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DU MEME AUTEUR romans

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Academic year: 2022

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ÉROS MINORITAIRE

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D U M E M E A U T E U R r o m a n s

LE CŒUR DE W A T T E A U , J u l l i a r d .

COMME UN VOL DE GERFAUTS, J u l l i a r d , P r i x d e s L e c t e u r s 1 9 4 7 . I V E L L E , J u l l i a r d .

LE QUADRILLE DES MATAMORES, P l o n . JE M ' A P P E L L E KRISTINE, A l b i n M i c h e l .

LE TEMPS D ' A P P R E N D R E À VIVRE, A l b i n M i c h e l . LES TRICHEURS, P . S e g h e r s .

J E VOULAIS Ê T R E UNE FEMME, B u c h e t - C h a s t e l . JUSQU'À LA GAUCHE, B u c h e t - C h a s t e l .

BONNE NUIT, C H E R P R I N C E , B u c h e t - C h a s t e l . e s s a i s

LE C O M P L E X E DE DIANE, J u l l i a r d . EROS NOIR, T e r r a i n V a g u e .

Y A - T - I L E N C O R E DES HOMMES? F l a m m a r i o n .

V E R L A I N E E T RIMBAUD OU LA FAUSSE ÉVASION, A l b i n M i c h e l . L E S P L U S B E L L E S L E T T R E S DE F L A U B E R T , C a l m a n n - L é v y .

b i o g r a p h i e s

B E L L E - H U M E U R (VIE DE MANDRIN), A m y o t - D u m o n t . LA V I E PASSIONNÉE DE RIMBAUD, P . S e g h e r s . LA V I E PASSIONNÉE DE V E R L A I N E , P . S e g h e r s . V I E DE L I S Z T , E d . d u S u d .

V I E DE C H O P I N , E d . d u S u d . BALZAC QUE V O I C I , E d . d u S u d .

UNE FEMME TÉMOIN DE SON SIÈCLE : GERMAINE DE STAËL, F l a m - m a r i o n ( P r i x C h e v a s s u 1 9 6 6 ) .

LA COURONNE DE SABLE (VIE D ' I S A B E L L E EBERHARDT) ( i b i d . ) . p o é s i e

COLONNES DE L'ÂME, P . S e g h e r s . DÉMONS ET M E R V E I L L E S , P . S e g h e r s . UNE POMME ROUGE, MON CŒUR, P . S e g h e r s .

TRADUCTION DES POÈMES D'ÉMILY BRONTË, P . S e g h e r s . m é m o i r e s

I . C H I E N N E DE JEUNESSE, J u l l i a r d . I I . LES MONSTRES DE L ' É T É , J u l l i a r d .

c h e z l e m ê m e é d i t e u r , e n p r é p a r a t i o n LES ÉCRIVAINS EN CAGE.

LES TRAVESTIS.

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FRANÇOISE D'EAUBONNE

ÉROS MINORITAIRE

André Balland, Paris

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© Éditions André Balland, 1970

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A Jean-Paul Régent-Baltzinger

en témoignage d'estime littéraire

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« ... Marchons-nous en fin de compte...

vers l'instauration de l'hermaphroditisme et de l'androgynie, donc vers un état bisexué, ou vers un état asexué, une communauté sans sexes, ... ou vers un matriarcat généralisé où tous les êtres ten- draient à devenir « gynécoïdes »? ... Ne pourrait-il pas s'agir, d'ores et déjà, d'une marche vers un dépassement radical de la sexualité? »

Vers une pensée planétaire, Kostas AXE LOS.

« Il est impossible de lutter contre le mépris sans enseigner la connaissance et l'estime. »

L'Enseignement du Mépris, Jules ISAAC.

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AVERTISSEMENT

Tout semble avoir été dit et écrit sur l'homosexualité?

Prenons, dans le cas le plus objectif, la description de l'Histoire. Nous verrons que cette tendance humaine est tou- jours circonscrite à une période donnée, et de préférence reculée dans le passé ou éloignée dans l'espace : Grèce de Périclès, ou telle tribu aborigène. Etudie-t-on le fait d'un indi- vidu, criminel ou célèbre par ses œuvres? La psychanalyse échouera à déterminer l'origine de l'affaire et n'émettra que des calculs de probabilité; la génétique ne saura se prononcer entre « disposition innée » ou « disposition acquise »; la morale, prise de court entre l'agressive revendication de l'athée et le libéralisme d'un Père Oraison, préférera garder le silence des gouvernements socialistes à l'égard de la religion, « phé- nomène privé ». En outre, qui a pris la peine de considérer que, serait-ce en faveur de certaines déterminations géogra- phiques, ce fait universel offre d'assez sérieuses variations de style et des conséquences d'un ordre tout différent, qui le rat- tachent à la progression des cultures humaines pourtant basées sur l'Eros majoritaire?

Nous avons dit : dans le cas le plus objectif, donc le plus favorable. Qui croirait, encore, à la persistance du racisme anti- homosexuel? Si on aborde ce sujet, on se heurte à un hausse- ment d'épaules et une prière plus ou moins sèche de penser à d'autres victimes plus dignes d'être défendues. Quoi, à notre époque de libération sexuelle!... Oui, à cette époque. Nous

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pourrions multiplier les anecdotes lamentables et ne le ferons pas; restons sur le terrain de la connaissance livresque. Il n'y a pas si longtemps que le docteur Eck publiait chez Stock son Sodome consacré à supplier tout homosexuel, quel qu'il fût, de se soigner afin de guérir; du moins s'il était de sexe masculin;

s'il s'agissait de femmes, mon Dieu... Nous n'avons pas fini de voir, au cours de cette étude, apparaître cette curieuse par- tialité.

Des tentatives outrecuidantes de minimiser la place de l'Eros minoritaire dans son passé le plus privilégié, celui des amours grecques, se sont multipliées au cours de ces dernières décennies de « libération sexuelle », plus qu'au temps de l'obscurantisme déclaré. Il n'est que de lire Meier et son effa- rante Histoire de l'Amour grec traduite par Pogey-Castrie;

méconnaissant totalement la loi psychanalytique de la réani- mation des faits par les mythes, il attribue au mauvais esprit du V I siècle les suppositions irrespectueuses qui se formèrent sur les mœurs de la rude et saine Hellade des origines!... Le docteur Eck, qui s'en inspire, va jusqu'à écrire avec sérieux : « L'homo- sexualité grecque n'existe pas avant le V siècle »! Les mêmes points de vue surprenants sont partagés par le professeur Fla- celière. Ces contre-vérités peuvent sembler querelles de moines;

elles n'en sont pas moins significatives du malaise et de l'irri- tation qu'éprouve tout être, même cultivé, à se résigner à sa double sexualité native; c'est la source de la pudibonderie uni- versitaire ou médicale qui se manifeste encore à de tels niveaux de façon insupportable.

La palme revient, en la matière, à M. Morali-Daninos, auteur de l'opuscule Sociologie des relations sexuelles, dans la collection « Que sais-je? ».

Rangeant l'Eros minoritaire dans le chapitre III, « La Sexualité pathologique », voici ce qu'il nous en révèle :

« Les considérations qui suivent n'ont pas pour but d'excuser l'homosexualité ou de lui donner droit de cité.

Si elles visent à l'expliquer en tant que perversion et non

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comme crime (sic), elles la considéreront néanmoins comme fléau social d'une exceptionnelle gravité (re-sic).

... L'homosexuel n'aime pas s'obliger, se définir sociale- ment ou professionnellement...

... Si l'homosexualité recevait, même en théorie, un sem- blant d'approbation, si on lui permettait de sortir, ne fût- ce que partiellement, du cadre de la pathologie, on arri- verait vite à l'abolition du couple hétérosexuel et de la famille et de la société occidentale. »

(C'est moi qui souligne.)

Cette littérature-là date de 1968, année de la contestation généralisée.

Lorsque l'on connaît les drames, terminés encore par des suicides ou par des internements, bien plus fréquents qu'on ne peut le croire, tant à l'étranger qu'en province, et qu'on évalue le tirage d'une édition vulgarisatrice comme « Que sais-je? », on peut mesurer qu'il reste beaucoup à dire sur la question sans craindre de tomber dans le rabâchage ou l'humanitarisme.

Penchons-nous sur l'énorme masse d'écriture consacrée à ce sujet et d'où émerge, fétu de paille à la crête des vagues, le petit livre préfabriqué de M. Morali-Daninos (et qui sera bien davantage lu, croyez-moi, qu'un ouvrage de base destiné à un public plus cultivé, donc plus restreint). On reste stupéfait devant l'absence de la moindre tentative de synthèse. Cette lacune est due, sans aucun doute, à la difficulté du monde chrétien et occidental, cependant si ouvert à tous les courants de l'esprit, à reconnaître dans un comportement aussi ancien et aussi partagé que l'homosexualité un phénomène de consen- tement universel, et qui appartient à toute culture à titre de seconde normalité. Encore une fois, c'est d'autant plus accusé en ce qui concerne Sodome; Lesbos a droit à l'indulgence tou- jours un brin condescendante ou égrillarde des mêmes ver- tueux moralistes. Car Sodome seule est transgression, sépa- ration; selon le mot paulinien, celui qui la porte au cœur est à la fois « dans la Cité et non de la Cité ».

Cette attitude régressive, cette mauvaise foi nous ont

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privés d'une étude vraiment sérieuse sur l'ensemble de la ques- tion, entendons par là : à la fois analytique et synthétique. Il nous a paru intéressant d'apporter à ce réseau de problèmes encore en suspens un modeste essai d'éclairer les zones d'ombre. Et, par la même occasion, de réparer un peu, dans la mesure de nos moyens, les stupides ravages de tous les Morali- Daninos qui, à l'instar des nouvelles lois scélérates qui frappent en Espagne l'Eros second, contribuent à mystifier les masses en déclarant que tout être qui n'aime pas à leur façon majori- taire constitue à lui-même sa propre espèce, bref : est un monstre.

« Avant de guérir l'homosexualité, a dit Montherlant, il faudrait d'abord guérir le cerveau de ceux qui se le proposent. » Il est à craindre que la machine à décerveler du père Ubu reste seule efficace en cet effort.

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INTRODUCTION

Dans un débat à Cercle Ouvert en 1958, Gabriel Marcel se déclarait scandalisé « par la façon dont sont systématique- ment éludées les questions si graves que pose à la conscience le développement de l'homosexualité dans le monde qui est le nôtre ». Le docteur Eck, qui a choisi de mettre cette citation en épigraphe de son livre, Sodome, en 1966, révèle dès les premières lignes que ledit problème intéresse environ 10 % de l'humanité. « Un fait qui concerne un homme ou une femme sur dix vaut la peine d'être étudié. » Il nous a semblé précieux d'inscrire de tels aveux, en tête de cette entreprise, signés d'hommes qui sont loin de partager notre vue sur le sujet 1 Ces observations rappellent à la fois la dimension de l'affaire, l'intérêt passionné qu'elle suscite encore aujourd'hui après tant d'écrits à elle consacrés; mais la lecture des derniers essais en date révèle l'incertitude où beaucoup de bons esprits 1. Dès les premières lignes, le docteur Eck qui proteste de son objecti- vité et de son impartialité appelle l'homosexualité « fléau social » et la compare — pour établir une statistique proportionnelle — au cancer, à la tuberculose et aux accidents de la route. De plus, il élimine toute la des- cription phénoménologique des diversités de Sodome dans la louable intention de ne pas prêter lieu à un « intérêt malsain de curiosité ». Il est inutile de souligner que tout cela n'est guère sérieux (Sodome, 1966).

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se tiennent encore, à cet égard, incertitude où s'engouffre avec facilité le moralisme, fatal fléau de la connaissance. D'où vient l'homosexualité? Est-ce une maladie qu'il faut traiter, ou une anomalie comme le daltonisme, à laquelle il convient plutôt d'accoutumer l'individu? La passion du travesti est-elle une simple forme de l'homosexualité, un peu plus aberrante qu'elle, ou une catégorie érotique radicalement à part, et laquelle?

Voilà, prises au hasard entre beaucoup d'autres, des questions auxquelles nul n'a encore donné de réponse satisfaisante.

Il nous semble qu'il faille affirmer avant tout début de description et de polémique ce qui semble aujourd'hui acquis par les travaux du docteur Stekel et du docteur Giese, et qui avait déjà été posé comme postulat par Maurice Heine en 1932 : l'homosexualité n'est pas une paresthésie (perversion)

— pas plus, d'ailleurs, qu'une forme supérieure de l'amour comme certains « millénaristes » illuminés le proclamèrent — mais une partie de la racine qu'on peut nommer instinct sexuel, que constituent deux bulbes, l'homosexualité et l'hétérosexua- lité. C'est à partir de ce tronc que se développe la riche arbo- rescence des paresthésies. Il s'agit donc d'une seconde norma- lité de l'instinct sexuel, qui n'a de singulier que d'être beau- coup plus réduite que l'autre; en quelque sorte, un Eros mino- ritaire 1

Nous expliquerons en cours de route cette option en résu- mant brièvement les travaux qui ont permis d'établir cette conclusion sans avoir à y revenir. Sodome ne fait évidemment courir aucun danger à la communauté qui lui donne droit de cité; elle lui est beaucoup plus préjudiciable dans la mesure où, niée et rejetée par l'opprobre dans une situation marginale, elle se venge inconsciemment par des « cas » névrotiques ou psy- 1. Le livre du bon docteur suédois Ullerstam Les Minorités Erotiques (J.-J. Pauvert) dresse tout un tableau des paresthésies; mais il s'agit de ne pas confondre le feuillage et la racine; et la zoophilie, le fétichisme, le sado- masochisme, etc. n'offrent pas d'autre ressemblance avec l'homosexualité que de ne pas compter un aussi grand nombre de pratiquants que l'Eros majo- ritaire; ils diffèrent d'elle en espèce et en nature. Ne confondons pas ces

« minorités érotiques » avec Eros minoritaire.

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chotiques qui fournissent un bon contingent d'indésirables.

C'est pourquoi, bien que Sodome ne représente ni un vice, ni une maladie, ni une déviation, rien que la part minoritaire des actionnaires d'Eros et ayant sa place au Conseil, il va de soi qu'on soigne souvent en cabinet médical non l'homosexua- lité, mais des homosexuels; en premier lieu, ceux qui se refusent comme tels, pour les aider à s'accepter; en second lieu, ceux qui ne peuvent réellement se choisir et préfèrent une vie pour eux plus médiocre mais plus rassurante grâce à un Eros majo- ritaire qui les satisfait moins, mais ne les dévaste pas autant;

en dernier lieu, ceux que l'opinion publique a le tort de confondre avec tout le reste de Sodome, et qui n'en sont que les quartiers réservés : ceux-là dont l'homosexualité se complète d'une horreur pathologique des femmes, et qu'on peut nommer invertis.

Ce dernier cas est bien plus frappant à Sodome qu'à Lesbos, bien qu'on ait trop vite cédé à la tentation de faire de ce dernier îlot l'Arcadie des gentilles amusettes sans consé- quences où les bergères ne font que badiner en attendant le berger qui, lui, par sa divine présence phallique, remettra tout en ordre. Entre ces deux excès inverses, il existe la possibilité de recherche d'une authenticité.

A l'heure actuelle, où même le fait psychopathologique de l'aliénation mentale s'étudie comme l'a fait Michel Foucault à la lumière existentialiste 1 de l'Histoire, un phénomène aussi controversé que celui de Sodome doit s'examiner en situation;

c'est la description qui doit précéder l'analyse.

C'est pourquoi nous nous sommes arrêtée à cette méthode : l'étude du rapport entre Eros minoritaire et son contexte histo- rique, puis géographique, et enfin à notre époque dans ses liens avec le juridique et le pénal; ensuite — et ensuite seule- ment — l'Eros minoritaire en lui-même.

1. Michel Foucault est à présent structuraliste; cette option ne retire rien à la perspective existentialiste de son premier ouvrage : La folie à l'âge classique (1965).

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Qu'est-ce que ce dernier projet? Il s'agit de l'évolution d 'une certaine image donnée de l'homosexuel par la médecine, jusqu 'aux plus récentes découvertes. Il faut alors résumer cette histoire du passage de l'idée de vice à l'idée de maladie, et de l' idée de maladie à l'idée de déviation ou d'inauthenticité. Il sera intéressant de noter au passage qu'à ce dernier stade appartient pourtant une reconnaissance de fait.

Reste enfin à exposer l'échec des diverses disciplines à éclairer la genèse de l'homosexualité, et pourquoi.

Il paraît évident de devoir suffisamment déblayer le terrain de cette controverse millénaire pour procéder avec sûreté à un essai d'explication et de synthèse. Sur cette « cité de la plaine » que dévasta le feu biblique, il plane tant de lumières contradictoires que personne ne s'est seulement posé la très simple question : « Pourquoi, de toute l'antiquité orien- tale, l'interdit contre l'homosexualité surgit-elle chez les seuls Hébreux? Par crainte de la stérilité chez un petit peuple traqué? Mais l'Hébreu n'est traqué qu'à partir de sa captivité à Babylone; et pourquoi les chrétiens, que ne menaçait nulle- ment l'extermination, ont-ils renchéri encore sur cet interdit? » Devant la persécution ouverte ou latente qui survit si fort au judéo-christianisme, on s'en voudrait de ne pas citer ces lignes de Jaspers qui ne s'adressent pas à l'Eros second mais semblent pourtant l'évoquer.

« La non-appartenance sociale peut faire mortellement souffrir; mais cette souffrance, si elle ne détruit pas la vie physique, donne à l'homme ainsi exclu des chances extraordinaires : l'expérience des limites, qui demeurent invisibles à celui qui est à l'abri, et avec cela la conscience la plus vaste de la réalité vécue dans son ensemble; la possibilité d'apercevoir l'homme comme l'homme, nu , et les hiérarchies de la société, et du même coup l'homme dans sa dignité... de voir réellement à l'œuvre ce qui semble impossible et d'oser dès lors le défi d'un « quand 1. C'est moi qui souligne.

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même » dépassant toute limite, jusqu'à l'absurde. Ce sont des expériences et des possibilités de connaissance faites en un lieu qui n'est plus un lieu, qui au contraire échappe à toute mise en place, car c'est pour lui chose interdite. » C'est ainsi que Karl Jaspers définit le climat d'anomalie sociologique et de fragilité où se développent les créations de la grandeur, dans ses Grands Philosophes. L'exceptionnel n'est pas l'anormal; c'est souvent lui qui crée de nouvelles normes;

et quand il ne crée pas, il rappelle sévèrement ses limites au normatif qui n'a que trop tendance à se prendre pour l'étalon de l'univers. C'est en quoi, même s'il gêne beaucoup de gens, il demeure hautement bénéfique. « Rien, dit Jean Genet, ne doit être conservé plus précieusement qu'une petite pincée d'ordures. » (Les Paravents.) En effet; ne serait-ce que pour la jeter à la figure des persécuteurs à la hennissante bêtise.

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La Grèce. Le judaïsme.

Du Moyen Age à nos jours.

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« Il est un devoir de scandale;

l'historien ne peut s'y dérober. » A. CARACO.

L A G R E C E O U L A F L O R A I S O N

L a p r o t o - h i s t o i r e d e l ' h o m o s e x u a l i t é g r e c q u e

« La véritable histoire de l'homosexualité est davantage celle de la succession de ses formes que celle de ses dates. »

C'est ainsi que le docteur Eck, dans Sodome — bien qu'il s'agisse du dernier de ces contempteurs qui craignent

« propagande » et « contagion » contre toute évidence — , reprend presque mot pour mot une idée développée par le sociologue Jacques Valli, chercheur au C.N.R.S., dans la seule revue française entièrement consacrée à ces questions, Arcadie.

Cette position commune à deux observateurs placés aux anti- podes mêmes de leur problème est d'une exactitude conforme aux faits les plus patents.

Il faut en tenir compte en étudiant d'abord le phénomène particulier de la floraison grecque, avant l'interdit judaïque qui lui est pourtant antérieur; car notre civilisation est fille de la Grèce et du judéo-christianisme; sur ce point précis, où ces deux cultures génératrices sont en totale opposition éthique, on se doit de considérer le « oui » de la floraison avant le

« non » du tabou.

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Par réaction contre toute une glose souvent mêlée d'exa- gération qui glorifia les splendeurs du V siècle et son homo- sexualité, une tendance récente se fait jour, qui essaie de limiter la portée de ce fait.

L'Hellade du IV et du V siècle, l'âge de Périclès, doit certainement — du moins en partie — son éclat au type spécial d'amour qui en informe la pensée, la statuaire et la poésie. Mais l'Eros minoritaire n'apparaît-il, officiellement et dans ce rayonnement, qu'à cette époque de pointe? Etait-il inconnu aux précédentes époques et sombra-t-il ensuite dans la décadence? Le fait de cette dégradation possible et de son éclipse en tant que générateur culturel d'aussi grande dimen- sion prouve-t-il que son règne appartient à des formes vieillies, et qu'il est incapable en tant que tel de constituer un facteur original et nouveau de civilisation?

Meier soutient qu'on ne parle de l'Eros minoritaire à Athènes qu'au début du VI siècle. Il aurait été, selon certains, signalé pour la première fois en Hellade par Archiloque, au VII siècle, et pour être blâmé. Il eût donc été ignoré par la

« rude et virile » époque homérique, ainsi qu'aux stades archaïques et post-archaïques (hormis la toujours possible sacra- lisation de la « souillure » dans les rites secrets, les initiations et les cérémonies orgiaques de Dionysos). Il faudrait attendre Eschyle et ses Myrmidons pour découvrir la supposition qu'il existait sans doute entre Achille et Patrocle le lien d'éraste à éromène; alors surgiraient en sus de poétiques et licencieuses imaginations sur l'enlèvement de Ganymède par l'aigle Zeus, etc.

Les héros et les dieux, les références fabuleuses des légendes se transforment-ils donc gratuitement selon le goût du jour, et la fantaisie des écrivains et des aèdes n'est-elle ici que le reflet d'une mode surgie de rien et appelée à disparaître?

A ce point de vue quelque peu hâtif, on peut répondre par ce qu'affirme Didier Anzieu dans De l'interprétation psy- chanalytique des mythes :

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« L'hypothèse du travail des mythologues, à l'heure actuelle, est qu'un mythe est la transcription d'un rite plus ancien... un mythe, c'est un texte élaboré à partir d'un rite, retouché et raturé pendant des siècles. ... L'analyste, dont le métier consiste à trouver le sens, en les décompo- sant, des formations de l'inconscient, se sent très proche de cette mythologue (Marie Delcourt) qui interprète le sens du mythe, comme on fait d'un rêve, après l'avoir décomposé en phrases et en images signifiantes et après en avoir demandé le sens aux associations libres... La légende d'Œdipe est décomposée en cinq mythèmes fonda- mentaux; chacun de ces mythes est référé à un rite précis 1 »

A l'origine de la légende d'Œdipe se trouve une source curieuse, obscurcie par la suite, et sur laquelle nous aurait peut-être éclairés la tragédie perdue d'Euripide, Œdipe. Il s'agit d'une frasque de jeunesse de Laïos, père d'Œdipe. Obligé par ses malheurs de se réfugier chez le roi Pelops, à Athènes, il aurait enlevé de force le fils de son hôte, le jeune et gracieux Chrysippe. Pour le punir, les dieux l'auraient rendu stérile, avec l'avertissement que, s'il guérissait, le jour lui serait ravi par celui à qui il le donnerait.

Autre variante encore plus curieuse du drame : quand Œdipe rencontre son père inconnu, ils s'affronteront par riva- lité amoureuse : le même Chrysippe en est l ' o b j e t Il est donc bien question en Grèce d'homosexualité, aux origines; on n'a 1. Temps Modernes, octobre 1966. On peut rapprocher cette méthode d'investigation de celle de Pierre Gordon dont l'excellent essai Initiation sexuelle et morale religieuse démontre le rapport étroit entre le domaine des rêves et des mythes d'une part et celui des rites oubliés, de l'autre, à propos de la « caverne de Platon », par exemple; et aussi comment des pratiques jugées depuis lors obscènes ou dégradantes correspondaient à des rites de très anciennes cultures (néolithiques peut-être) sans aucune idée de « sacrali- sation par la souillure » mais plutôt comme maîtrise d'une peur (entre autres la peur de la femme. Cf. notre contribution Le Complexe de Diane.) 2. Remarquons l'étrange incrédibilité que la variante apporte au thème originel. Il va de soi que Laïos puni de stérilité pour avoir enlevé l'éphèbe Chrysippe, s'il engendre Œdipe, malgré l'interdit, et qu'il rencontre ce même Œdipe devenu homme, ledit Chrysippe sera encore plus âgé qu'Œdipe!

Or, tout se passe comme si Chrysippe n'avait pas vieilli. Laïos et Œdipe sont deux hommes, l'un vieux et l'autre jeune, qui se battent pour le même éphèbe. C'est bien ce que Didier Anzieu appelle — à propos d'un autre

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pas attendu Périclès! Ici le censeur proclame qu'elle n'apparaît que pour être châtiée? Etrange hâte à conclure. Si Laïos en meurt, maudit par Pelops et par Héra, la déesse protectrice du foyer, c'est en raison d'un crime bien plus inexpiable : il a récompensé un hôte par l'ingratitude et a souillé son toit; le châtiment serait le même s'il avait enlevé la fille, et non le fils.

Que des gens qui connaissent les mœurs de la Grèce antique se soient à ce point laissé mystifier par leurs préjugés moralistes donne la mesure du mal de l'obscurantisme.

Tout au plus peut-on souligner l'idée de singularité héré- ditaire contenue dans ce mythe; fils d'homosexuel, Œdipe sera incestueux; c'est par le même processus que Phèdre, dont la mère était zoophile, s'éprendra d'un beau-fils; ce dernier sera du reste plus voué à Artémis, avatar de la déesse Cottyto, patronne thrace de la chasse et des homosexuels, qu'à l'Aphro- dite majoritaire. (Cypris nous fait brûler de désir pour les filles.

Mais l'Amour nous apprend l'amour pour les garçons.) Toute la morale de l'époque abonde en fables sur la sacralisation de l'hôte et les lois de l'hospitalité, alors qu'on ne trouve nulle- ment de condamnation de l'amour homophile en tant que tel;

c'est la reproduction, à savoir l'amour le plus hétérosexuel, qui attire la foudre des dieux. Il est inutile de forcer les textes pour leur faire dire autre chose.

Toute cette célèbre légende de l'époque chtonienne est du reste bourrée d'allusions à la bisexualité, à la terreur qu'elle comporte, aux pouvoirs qu'elle confère. Les mythèmes successifs d'Œdipe forment un riche bouquet de thèmes signi- fiants, tant pour le poète de culture classique que pour le psy- chologue, pour le psychanalyste, le sociologue, l'ethnologue, l'historien. On y trouve aussi bien le fameux « complexe », que Freud considérait comme la clef de toute enfance, que le passage de l'endogamie à l'exogamie, le rappel des formes par- mythe — « le caractère de répétition propre aux formes de l'inconscient ».

C'est un fait que le mythe évoque la réactivation des conflits infantiles de l'adolescence. Donc, ce qui est « rajouté » plus tard ne l'est pas par mode ou fantaisie, mais traduit une réalité oubliée. L'apocryphe peut être éclairant.

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ticulières de la succession royale par un combat mortel destiné à éliminer le plus vieux, donc le père (et c'est ce qu'on résume vulgairement par la formule « secouer le cocotier »), et enfin, et c'est là ce qui retient le plus notre attention, l'obsession de la bisexualité en tant que péril et, à la fois, en tant que promesses.

Prenons la figure du Sphinx, premier aspect ou avatar de ce phénomène. Là aussi, Didier Anzieu confirme notre manière de voir .

« La sphinx est féminin en grec. Ce mot est devenu mascu- lin en français, ce n'est pas un pur hasard. Sphinx évoque un monstre à la fois homme et femme. Cet androgyne terrifiant ne symbolise-t-il pas la bisexualité fondamen- tale de l'être humain?...

« ... démone qui couche sa victime sous elle (toujours un homme jeune), l'immobilise avec ses griffes et tire de lui une jouissance à la fois sexuelle et sadique... Dans la forme archaïque et perdue de la légende, Œdipe ou bien tuait la sphinx après un combat difficile et sanglant ou bien s'unissait à elle en un acte hiérogamique, mais en la dominant, c'est-à-dire au sens le plus littéral en prenant le dessus sur elle. » I b i d . .

Ici, encore et toujours, le mythe est interprétable dans différents sens. Pour le psychanalyste, la Sphinx est la téné- breuse bisexualité, chargée de louches dangers, symbolisée peut-être aux yeux du jeune enfant par le couple de ses parents dans l'acte sexuel, l'incompréhensible jeu de « la bête à deux dos »; pour l'historien, l'accent est peut-être mis davantage sur la féminité menaçante, comme un souvenir du culte des Mères et de leur âge sanglant et obscur, souvenir aussi sans doute de l'insolite Amazone dont la horde guerrière défendait les pâtures 1. Rappelons ici que Sphinx vient du verbe sphiggein, serrer, étreindre, qui est à l'origine du mot sphincter désignant le muscle qui régit l'analité et la génitalité.

2. Victoire qui préfigure celle d'Œdipe accédant au trône en s'unissant à sa mère, à proprement parler en se couchant dessus comme devait le faire par rite hiérogamique le conquérant de la royauté en s'étendant sur la terre (acte de Brutus après avoir consulté l'oracle de Delphes) qui est la mère symbolique de tous les hommes, et en la fécondant de sa semence.

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contre le pastorat masculin (cf. la thèse de P. Gordon dans Initiation sexuelle et morale religieuse 1 et de la lutte des sexes pour s'assurer la suprématie terrestre; la légende judaïque de Lilith (la femme d'avant Eve) en porte également témoignage.

Est-ce nous aventurer trop loin? Non pas, car nous verrons plus tard converger ces thèmes divers : la terreur de la femme et de la sexualité fécondante, le tourment de l'homme d'avoir à surveiller sa vaincue dans les cultures phallocratiques, l'homosexualité en vue de récupérer la totalité bisexuelle lors- qu'elle est dépouillée de ses artifices et de ses menaces.

En effet, quel est l'avatar de la Sphinx? Marie Delcourt affirme que la littérature grecque ne donne qu'une version expurgée de ses embûches. La vieille divinité redoutable, la Phix, est devenue une majestueuse examinatrice qui fait passer l'oral au candidat au trône. « Des siècles plus tard, dit Didier Anzieu, les Grecs qui venaient d'inventer la géométrie, la philosophie et l'éloquence ont transformé ce corps-à-corps monstrueux en une élégante joute intellectuelle. » Certes, l'enjeu reste crucial; c'est la vie même du candidat. Le sens du symbole ainsi évolué est très clair. Tout d'abord, le Grec de l'époque chtonienne, épouvanté encore par la nécessité de passer de la bisexualité à la monosexualité, du culte des Mères à la phallocratie, de l'endogamie à l'exogamie, entouré de périls et d'embûches, n'obtenait que par un combat sanglant et sadique contre l'incube (image de sa propre ambiguïté sexuelle) le droit à une victoire incertaine qui pouvait toujours débou- cher sur la catastrophe (légende du mariage avec la mère, de l'exil et de la cécité). Les siècles passent, l'intelligence hellène prend peu à peu la première place dans l'arsenal des moyens de défense de l'homme contre ses paniques; au lieu de ces épou- sailles sadiques qui équivalaient à la mutilation de soi-même, au rejet d'une part de l'ambivalence sexuelle, le Grec apprend qu'on peut à moins de frais maîtriser cette ambivalence qui

1. Presses Universitaires.

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lui fait si peur, en tant que danger de chaos (d'anarchie psy- chique, dirait un psychanalyste); ce moyen nouveau, c'est la connaissance, c'est l'intelligence. La vie reste l'enjeu; celui qui ne domine pas sa chair par la plénitude spirituelle, l'exercice de l'esprit, demeurera un raté; il n'accèdera pas à la royauté, à la seigneurie de soi-même.

Voyons à présent, dans la même légende, la figure de Tirésias. Tirésias est une autre imago de bisexualité encore plus nette. Il a été homme, puis femme, puis à nouveau homme, grâce à la mystérieuse séparation des deux serpents (opération qui sera reprise par Hermès et donnera le caducée, symbole médical). Il a usé à chaque fois de sa sexualité, et peut ainsi connaître le plaisir de l'homme et celui de la femme.

C'est pourquoi Héra et Zeus lui demandent d'arbitrer leur conflit : de l'un et de l'autre, qui éprouve le plus vif orgasme?

Tirésias répond que celui de la femme est neuf fois plus fort, Héra, furieuse, le rend aveugle.

Arrêtons-nous un instant sur la colère de la déesse.

Qu'est-ce qui peut motiver ce courroux? Tirésias a-t-il donné raison à Zeus? Chacun des deux sexes tend-il à faire croire à l'autre qu'il est privilégié dans l'affaire, afin de ne pas lui donner barre sur lui en acceptant un devoir de gratitude? Ou bien Héra remplit-elle ici, comme dans le châtiment de Laïos, son rôle de gardienne du foyer et de ses valeurs en manifestant son indignation que Tirésias, du sexe mâle, ait osé accéder à la jouissance des femmes? En tout cas, par une claire dialectique symbolique, au même moment qu'il est aveuglé, Tirésias devient voyant; son double érotisme lui a procuré une lucidité supra-normale qu'il tournera vers la prophétie. Certes oui, la Grèce a connu et traduit dans ses mythes l'ambivalence d'Eros;

et elle a fait sa place au minoritaire auprès du majoritaire, devant les problèmes de la bisexualité, bien avant le VII siècle et les condamnations moralistes d'Archiloque! Pourquoi Flace- lière et Cie veulent-ils l'ignorer?

Pour en finir avec l'histoire de Tirésias, on remarquera

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que cette idée de l'homosexualité en tant qu'accès dangereux à des pouvoirs spéciaux continuera à hanter les Grecs jusqu'à l'âge moderne. Il suffit de se référer à la Présentation critique de Constantin Cavafy de Marguerite Yourcenar. Décrivant ce très grand poète, alexandrin et homosexuel, elle explique la genèse de son inspiration dans ces termes :

« Il semble parti de ce que l'on appellerait une vue romantique de l'homosexualité, de l'idée d'une expérience anormale, maladive, sortant des limites de l'usuel et du permis, mais par là même rémunératrice en joies et en connaissances secrètes, prérogative de natures assez ardentes ou assez libres pour s'aventurer au-delà du licite et du connu. » (Présentation, N.R.F.)

Cette vue « romantique » correspond, à quelques nuances près, à l'attitude des époques chtoniennes où se forme la légende d'Œdipe. Mais ce que cette position archaïque a de remarquable, c'est que ses réactions de méfiance à l'égard de la bisexualité, donc parfois à l'égard de l'homosexualité qui en découle (et ce que l'aède de ce temps projette dans les cour- roux d'Héra) ne traduisent absolument pas une adhésion morale à la seule monosexualité hétérosexuelle et aux valeurs de l'Eros courant; bien au contraire, c'est le Sexe tout entier qui est enveloppé de cette méfiance et de cette hostilité; et comme l'hétérosexualité est l'Eros majoritaire, c'est évidem- ment de lui qu'on parlera le plus souvent au sujet de cette peur et de cet antagonisme. Non du tout au nom d'une chasteté utopique, comme dans les cultures chrétiennes postérieures; ici, le héros, modèle proposé à l'homme par le rite et par le mythe, ne peut considérer le Sexe que comme une divinité obscure et atroce qu'il faut approcher pas à pas avant de l'affronter comme un fauve ou un vampire, et de le maîtriser soit par la violence guerrière soit par les ressources de l'intelligence.

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Méfiance du s e x e et misogynie

Toute la mythologie de l'époque serait à citer, où cette peur obsessionnelle s'exprime. Aux époques suivantes appa- raîtront d'autres réactions complémentaires : colère, mépris, dégoût, s'adressant cette fois à la femme, à l'être concret, et non plus aux forces louches et abominables dont elle a le tort d'être la dépositaire; ce qui prépare de longue main « le fait énorme que l'amour divinisant se soit élaboré contre elle » aux âges platoniciens (Suzanne Lilar, Le Couple). Attardons-nous encore un peu dans cet univers fabuleux des premières époques grecques; nous y trouverons une grande leçon.

Eros, à l'origine, n'est que le dieu du désir d'amour, non de l'amour; déjà il y a là une distinction importante. Le dieu de l'amour partagé est son frère, Antéros. (Il n'en est pas souvent question!) Tous deux sont nés de l'adultère d'Aphro- dite avec Arès. Leur sœur, Harmonie, sera une aïeule d'Œdipe.

Il est à noter que des cinq enfants de ce célèbre adultère, trois portent la marque voluptueuse et gracieuse de leur mère : Eros, Antéros et Harmonie, et que les deux autres tiennent davantage du père : Démos et Phobos, crainte et terreur (dont on a donné les noms aux satellites de Mars). Or, par la douce Harmonie sont transmis à la dynastie thébaine d'Œdipe les caractères les plus contradictoires de ce couple aussi disparate que l'être même de la Sphinx : le désir frénétique des joies charnelles (l'inceste) et l'agressivité meurtrière (le parricide).

Les psychanalystes estiment que dans la genèse d'une homo- sexualité se trouve fréquemment une fixation à la mère; ici, l'ordre chronologique est renversé; Œdipe (du moins dans certaines traditions) est épris du même éphèbe que son père;

ensuite seulement il consomme l'inceste avec la mère.

Mais cette sombre histoire est loin d'être isolée dans la constellation des fantasmes d'antiphysis que traduit la mytho- logie grecque. Didier Anzieu a raison de nous en proposer la lecture comme l'audition du discours d'un délirant. Ce ne sont

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que meurtres, vendettas, incestes en série, yeux crevés, sacri- fices humains, chair d'enfants mangée en festoyant. Non seu- lement le fils tue fréquemment le père, mais le père tue le fils (Cronos, Héraclès, Atrée), ou la fille (Agamemnon, Erechtée) le fils tue la mère (Oreste), la mère tue le fils (Médée ses deux enfants, Procné son fils qu'elle donne à manger au mari infidèle), les frères s'entr'égorgent (Etéocle et Polynice) et l'oncle tue sa nièce (Créon et Antigone). Ces exemples ne peuvent que diminuer, non épuiser, une très riche nomen- clature. Or, tous ces actes de violence, toutes ces atrocités ne sont pas obligatoirement le châtiment d'un inceste ou d'un adultère; l'ambition, l'observation d'un oracle religieux, une vengeance en sont les plus fréquents motifs, du moins en apparence; à l'origine existe toujours un mariage qui parfois a constitué l'offense à quelqu'un ou la transgression d'un interdit, donc un amour hétérosexuel de type courant, car il est rare de ne pas mécontenter quelqu'un — homme ou dieu

— en convolant. Le châtiment ne vise pas encore l'amour hors du mariage, comme dans la tradition judéo-chrétienne;

Arès et Aphrodite ne sont pas châtiés de leur adultère;

Antiope qui s'est enfuie avec Zeus et en a deux enfants n'est que maltraitée par son oncle, et c'est lui qui sera tué par ces jumeaux. Mais toujours et partout, dans cet univers, l'union la plus consacrée de l'homme et de la femme, voire du dieu et de la femme, de l'homme et de la déesse, a de fatales et sombres conséquences. Le jeu de l'hérédité épouvante le Grec. Les forces inexplicables de la fécondité ne le décon- certent pas moins que le tabou de la stérilité. Il craint l'inceste, il craint la copulation avec le descendant inconnu de quelque monstre dont la lignée est si abondante depuis le premier inceste de Gaïa, la Terre, avec le fils qu'elle a eu d'Ouranos, le Ciel. C'est cette angoisse devant les conséquences incal- culables de l'union sexuelle qu'il traduit de deux façons : la création de figures ambiguës, sinon homosexuelles, qui se figent dans un refus horrifié de l'amour physique; et surtout

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(un peu à la façon dont le christianisme a exorcisé l'horreur infantile de découvrir l'érotisme de sa mère en inventant la Vierge-Mère), surtout, en donnant naissance à une foule de mythes particuliers dont le héros ou l'héroïne est né sans le secours de la femme, ou de l'homme.

Les deux figures les plus remarquables qui appartiennent au premier système de défense sont Hippolyte et Atalante.

Le premier, « ce fils qu'une Amazone a porté en ces flancs », préfère de beaucoup courir les bois avec son écuyer, Théra- mène, que sacrifier à Aphrodite; sa divinité est plutôt « Cot- tyto », cette vieille déesse thrace de la chasse qui fut quelque temps identifiée à Artémis et qui est la patronne des homo- sexuels 1 La mer qui donna naissance à Aphrodite la vengera en suscitant le monstre marin dévorateur de celui qui dédaigna les belles. De même que la rudesse virile d'une Amazone a produit ce type de jeune chasseur et dompteur de chevaux que la femme ne tente pas, de même la dureté d'un père qui ne veut engendrer que des mâles fait d'Atalante une nouvelle sorte de fille-garçon, championne de course à pied et répu- gnant au mariage. L'Amazone se brûlait le sein pour renoncer symboliquement à la maternité.

On sait que ces guerrières étaient lesbiennes; Hérodote les décrit s'éloignant deux par deux vers la méridienne « pour 1. Le culte de Cottys ou Cottyto est célébré à Chio, « l'île des vins ».

Everemus (Fêtes et courtisanes de la Grèce, par Chaussard, t. I) parle de la

« licence effrénée » des cérémonies où « la liqueur de Bacchus est épanchée à grands flots » dans ces termes : « Les hommes se rassemblent en secret.

Leur tête est ornée de bandelettes dorées; des colliers serpentent sur leurs cous; ils affectent la parure et l'attitude des femmes. » Les femmes éloignées, c'était dans un Priape de verre qu'était bu le vin. La légende veut que le poète Eupolis ait été jeté à la mer par les initiés, pour avoir joué leurs mys- tères dans une pièce intitulée Les Baptaï. (Les Immerseurs.) Seul le titre est venu jusqu'à nous. Rappelons que Racine, excellent helléniste, s'excusait d'avoir rendu Hippolyte amoureux d'Aricie à cause des « mauvaises plai- santeries » provoquées par un Hippolyte conforme à son modèle de Sophocle!

(Notons que ces « bandelettes dorées » rappellent celles d'Alcibiade quand il déclare dans Le Banquet : « J'arrive avec ces bandelettes sur la tête pour les détacher et les attacher à la tête du plus sage et du plus beau. »)

Les rites de Cottyto sont-ils à l'origine des bizarres cérémonies orgia- ques, avec simulation d'accouchement, qui d'après Malaparte (La Peau) subsistaient encore dans l'Italie de 1947?

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satisfaire aux besoins de la nature ». Atalante, elle, répète en version féminine certains traits non seulement d'Hippo- lyte, mais d'Œdipe lui-même; elle aussi a été exposée par un père furieux de cette naissance, elle aussi voit toute sa vie troublée par un oracle : elle ne doit pas se marier, sous peine d'être transformée en animal. Nous avons déjà décrit, dans Le Complexe de Diane, le symbolisme de la ruse par laquelle son rival remporte la victoire à la course : en utilisant la ruse des pommes d'or, ce héros subtil établit la suprématie écono- mique d'un sexe sur un autre. Là aussi, l'intelligence succède au combat violent ou non, mais loyal, pour la conquête de cette même suprématie. Mais la fin n'en est pas heureuse, puisque non seulement Atalante mais son époux seront trans- formés en lions et attelés à l'équipage de Cybèle. Ainsi, après les succès dérisoires que la femme remporte sur l'homme et l'homme sur la femme, tous deux ne trouvent que la piètre consolation d'être les rois des animaux, et se voient condamnés à tirer le char de l'Espèce aveugle et lourde dont rien ne les a délivrés.

Le deuxième florilège est encore plus intéressant. On peut citer en foule ces naissances extraordinaires qui ne se produisent pas par les moyens naturels. Du sang du ciel, Ouranos, naîtront à la fois les déesses de la vengeance et la divinité de l'amour et de la beauté; Athéna naît du cerveau de Zeus; Hephaïstos naît de sa seule mère, Héra; du sperme qu'Hephaïstos a éjaculé sur la robe d'Athéna, et qui tombe à terre, naît Erichtonios, l'ancêtre de Thésée; de l'union de Myrrha avec son père, quand elle est transformée en arbre (l'arbre à myrrhe) naît le bel Adonis; Orion naît d'une peau de bœuf; etc. Tous ces fantasmes révèlent le vif désir d'engen- drer par parthénogenèse ou par ectogenèse, donc la crainte et la défiance de l'acte naturel de fécondation. Une sombre et accablante malédiction pèse, à l'âge archaïque et post- archaïque, sur le plus naturel des gestes d'Eros. Mais si au départ l'envie semble partagée, et que chaque sexe rêve de se

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Depuis des siècles de civilisation chrétienne, l'homosexualité relève du " p é c h é m u e t "

on ne brûlait pas s e u l e m e n t les c o n d a m n é s , mais les pièces du procès.

Aujourd 'hui encore elle e s t t e n u e pour perversion, maladie ou "bizarrerie" par les " n o r m a u x " .

Mais c o m m e n t se fait-il

que c e t t e perversion ait é t é pratiquée d a n s tout le monde antique e t m ê m e parfois honorée,

érigée en règle de m o r a l e ? La biologie, l'histoire, la psychanalyse o n t t e n t é des explications diverses.

C h a c u n e e s t i n t é r e s s a n t e ;

a u c u n e ne satisfait. Au prix d'un long travail

qui p a s s e de l'enquête journalistique à la documentation de l ' é r u d i t , F r a n ç o i s e d ' E a u b o n n e p r o p o s e une réponse originale.

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