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CRÈVE-LA-MORT

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DU MEME AUTEUR POESIE Le Cycle des chimères (LEMERRE).

Les Jours sans ombre (BOIVIN).

Privilèges (JEAN-RENARD).

ROMAN

Célestin Percheron (JEAN-RENARD). (Epuisé.) Berli-Berlot (JEAN-RENARD). (Epuisé.) L'Eveil (JEAN-RENARD). (Epuisé.)

Chronique contemporaine : I. Tartagaz Soldat (JEAN- RENARD).

CRITIQUE

Prosper Mérimée et l'Art de la Nouvelle (JEAN- RENARD).

L'Art de Colette (JEAN-RENARD).

Les Maîtres de la sensibilité française au XVIII siè- cle, 4 volumes in-8° (BOIVIN).

La Sensibilité révolutionnaire (BOIVIN).

Le Mystère poétique (BOIVIN).

La Jeunesse de. Prosper Mérimée, 2 volumes in-8°

(CHAMPION).

P. Mérimée de 1834 à 1853 (CHAMPION).

La Vieillesse de P. Mérimée (CHAMPION).

Bibliographie des Œuvres de P. Mérimée (en colla- boration avec P. JOSSERAND) (CHAMPION).

Une revue oubliée, < la Revue Poétique » (1835) (CHAMPION).

Œuvres complètes de P. Mérimée (CHAMPION).

Le Romantisme défini par le Globe (Presses Fran- çaises).

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Pierre TRAHARD

II

CRÈVE-LA-MORT

Roman

Éditions Jean-Renard 19, rue Racine - PARIS - 1944

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Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation réservés pour tous pays y compris la Russie.

Copyright by Éditions Jean-Renard, 1944.

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PREMIÈRE PARTIE

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IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE QUINZE EXEMPLAIRES DE LUXE SUR VÉLIN SUPÉRIEUR NAVARRE

NUMÉROTÉS DE 1 A 15.

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I

« C'est long, la guerre, mon lieutenant.

— Très long.

— Même en Afrique, avec ces diables de Bé- douins. Lorsque, en septembre 1939, j'ai été af- fecté au 2" régiment de tirailleurs sénégalais, je me suis frotté les mains. Ah bien ouiche! On nous embarque pour le fin fond du Maroc, autant dire pour le purgatoire. Un pays de soif et de mort, une guerre de sabre et de couteau, un soleil et une vermine à décortiquer un Zoulou ! Et voici un an bientôt que je n'ai pas vu la femme et les gosses, ni la Villette, ni les grands boulevards.

J'en suis à la renverse, et mal en point. » Le sergent Carillon n'est pas tellement décon- fit qu'il ne remarque la mine rêveuse de son chef. « Mais vous, mon lieutenant, demande-t-il à voix sourde, pourquoi ne parlez-vous jamais de votre famille?

— Je n'en ai plus.

— Ni de près, ni de loin?

— Autant dire! Veuve, ma mère s'est rema- riée à un banquier parisien, Casimir Heurteloup.

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— Connais pas.

— Moi non plus, ou si peu ! C'était — et c'est encore — un homme de sac et de haut vol, tout pénétré de son nom. Quant à ma mère, elle est morte en 1935, jeune encore, laissant un fils, mon demi-frère.

— Un frère, quoi!

— Non, un demi-frère, à peine. Gérard est si différent de moi! Si tu nous voyais l'un à côté de l'autre, tu jurerais deux étrangers. Je suis un Vermeil, il est un Heurteloup...

— Dame ! quand on n'est pas de la même cou- chette...

— Lui, aussi court de pattes que je suis long, aussi bas d'échine que je suis haut, sanguin autant que je suis sec...

— Un costaud, à la bonne heure!

— Et de fameuse encolure, grosset, enluminé, jovial, serviteur de l'un et de l'autre, courant l'argent, traquant les femmes. Ajoute qu'il est aussi exalté que je suis pisse-froid. Sa mère l'a gâté jusqu'aux moelles.

— Il a bien un métier, je pense?

— Il en a même plusieurs. Homme d'affaires

— c'est un peu vague, un peu élastique — homme d'affaires donc, il travaille à la Bourse et aux alentours.

— De la monnaie plein le sac, alors! Et vous, pauvre, naturellement, bon pour le casse -pipe.

Ah! la la! »

Carillon secoue la tête, et, agressif :

« A cette heure, il est biffin dans quel régi- ment, votre frère?

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— Réformé numéro 2...

— Costaud comme il est!

— Rapport à je ne sais quel asthme.

— Mince alors! On aurait bien, nous aussi, des difficultés respiratoires, surtout par cin- quante degrés à l'ombre! Quel âge, ce fils de loup?

— Trente-deux ans.

— Vous êtes son aîné de combien?

— Je vais avoir trente-quatre ans.

— Mon lieutenant! »

Vermeil se retourne. L'ordonnance du colonel, main au casque, hors d'haleine, fume tel un bœuf au labour.

« Qu'y a-t-il?

— Mon lieutenant, le colonel vous demande tout de suite.

— J'y cours... Carillon, rassemble les hommes, fais distribuer l'eau-de-vie, et relève les senti- nelles. »

Roland Vermeil s'éloigne. Il longe le parapet de la tranchée, bouscule au passage quelques goumiers abrutis de chaleur et de fatigue. Il a mis de grosses lunettes noires pour éviter la bles- sure du soleil qui mord d'aplomb, et il aperçoit le haut plateau marocain de El Mehaïa que cer- nent des monts chauves, ce plateau bossué de ro- ches, hérissé de pitons, raviné en sa terre grisâtre par l'oued Charef. L'horizon tremble avec une rapidité sans cesse accrue, et le paysage brille comme du sel. Les rouges falaises qui ferment, à l'ouest, le plateau nu prennent une teinte d'un violet sombre, tandis que les montagnes, plus

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lointaines, semblent de vastes draperies jaunes mal plissées, qui se fondent imperceptiblement avec le ciel. Roland aime cette aridité meurtrière, que la dévastation des hommes accuse. Voilà dix ans qu'il cherche à pénétrer son mystère. A peine est-il gêné par la fausse lumière du plein jour et par cette chaleur brutale qui décompose le pay- sage; à peine sent-il l'odeur charogneuse qui monte de la carcasse d'un chameau déchiquetée par l'hyène. Quelques cadavres frais, encore in- tacts, font sur le sable des taches écarlates. Voici Mahmoud, un tout jeune tirailleur algérien, — dix-huit ans — tué hier soir, à vingt mètres de la tranchée, d'une balle entre les yeux. Cette nuit, la lune donnait à plein sur le visage de cire et faisait paraître plus rouge le filet de sang qui coupe la joue. Roland aimait Mahmoud, et il le pleure. Plus loin, voici, entre les lignes, les sque- lettes de deux sentinelles qu'on a retrouvées, par une nuit terrible de décembre, la chair glacée, mais debout. Roland, malgré lui, frissonne. Un silence morne enveloppe les vivants et les morts:

tous dorment, et les vivants ne s'éveilleront que pour s'endormir à jamais. La canonnade, peu à peu, a éloigné les lions.

« C'est vous, Vermeil?... Entrez donc... Ça va?

— Très bien, mon colonel. Vous m'avez fait appeler?

— Urgent. Voici... Mais, d'abord, les nouvelles de France, par radio. Elles ne sont pas très bon- nes; vous savez?

— Je ne sais rien.

— Lille et Dunkerque sont menacées. L'inva-

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sion gagne les Hauts de Meuse et les Ardennes.

Notre ligne fléchit. »

Roland, devenu pâle, s'éponge le front et mor- dille sa lèvre inférieure.

« Quant à nous, perdus dans ce bled, ça ne vaut guère mieux. Voilà un an que nous nous battons, un contre dix, pour couvrir les pistes qui conduisent aux confins de l'Algérie et à la mer. On en a vu de dures cet hiver, hein? J'ai demandé des renforts. Bernique! La métropole a besoin de toutes ses forces, au moment où nos propres affaires se gâtent.

— Nous les rétablirons seuls, mon colonel.

— Touchez du bois!... Un Cherarda dissident est venu m'annoncer cette nuit que les tribus berbères se concentrent devant Matarka, et qu'il en vient de partout, de très loin, du Grand Atlas, des monts des Riata, des bords de la Moulouya, même des plateaux qui dominent, au sud, Fez et Meknès.

— Une révolte?

— Peut-être. A nous d'ouvrir l'œil et de la prévenir.

— Nous sommes deux mille, à peine.

— Dix-huit cent trente-cinq exactement de- puis le dernier coup de tampon. Et beaucoup sont malades, ou blessés, ou quasi-fous.

— Les marsouins ne s'habituent pas.

— Parbleu !

— Nos tirailleurs sénégalais — une poignée — sont presque réduits à néant. — On les met à toutes les sauces.

— Quant aux g o u m i e r s . . .

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— Fauchés!

— Les spahis...

— Il en reste un sur quatre. Nous vaincrons.

Quand j'ai dit aux survivants : « Mes amis, la

« situation est désespérée », ils m'ont répondu :

« Elle ne l'est pas, mon colonel, puisque nous

« sommes là. » Donc, nous vaincrons. Mais j'ai besoin de vous, Vermeil.

— A vos ordres, mon colonel. »

Le colonel Saint-Florentin, grand, noueux, au teint d'olive cuite et aux prunelles chaudron, le perce d'un regard en vrille.

« Dès cette nuit.

— S'il le faut.

— Vous, pas un autre. Imaginez... » Il hésite, et, le parcourant des pieds à la tête, en un clin de paupière :

« Imaginez-vous que je suis superstitieux!

— Vous, mon colonel?

— Moi. Or, vous avez le bon œil, comme di- sait le pauvre Mahmoud.

— Trois fois blessé...

— Et toujours vif. »

Le colonel rit sec, découvrant des dents iné- gales, plus jaunes que le sable.

« La Gueuse a peur de vous. Quand vous vous montrez, elle recule. Nos hommes vous appellent Crève-la-Mort. »

Il rit de plus belle.

« Crève-la-Mort! Joli nom à faire pâmer ces dames de la Kasbah! C'est pourquoi je vous choi- sis pour mon « coup de fourchette... » « Coup de fourchette », vous entendez, Vermeil?

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— J'entends, mon colonel.

— Il s'agit de m'enlever cette nuit, au clair de lune, hop! le groupe des Beni-Hassen qui occupe notre point d'eau, sous la palmeraie, à cinq cents mètres, près du ksar de Daïa. Dangereux! — On l'enlèvera.

— Vous prendrez quarante tirailleurs sénéga- lais et quarante gars de la Légion : souplesse et casse-gueule. Mais attention! Ils sont cinq cents, là-bas, un ramassis. Leur mouchard a dénombré des Aït Ioussi, des Aït Sidi Mimoun, des Aït Ar- mine, des Serouchen, des Beni-Mtir..., bref tout ce que le Haut Maroc compte de plus guerrier et de plus féroce.

— Bah! braves soldats, armes de pacotille.

— Ne vous y fiez pas! Ils sont appuyés par quelques déserteurs, qui ont des mitrailleuses et un obusier. Et puis, leurs chevaux... fameux, leurs pur-sang! Bref, il nous faut un gri-gri. Le gri-gri, c'est vous, Crève-la-Mort.

— Merci, mon colonel! J'attaquerai au mitan de la nuit, et, si j'en réchappe, demain, à l'aube, je vous rends compte.

— Vous en réchapperez. Dans vingt-quatre heures nous boirons une pinte d'eau fraîche à votre victoire. »

Vermeil regagne son gourbi en enjambant des corps que le soleil assomme à coups de battoir.

Au saillant de la tranchée, à demi envahie par les dunes, il observe l'oasis, où rien ne trahit une présence. Un bourrelet de terre grisâtre la cerne, relevé, çà et là, en bosses, et les troncs des pal-

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miers ressemblent à d'énigmatiques colonnes.

Entre l'oasis et la tranchée, des cadavres de Ber- bères font des taches blanches. Un marsouin en uniforme kaki est tombé de traviole sur le corps d'un Serouchen : une lance et une baïonnette sortent entre leurs épaules. Le bras levé du mar- souin esquisse un geste violent, brisé net. Vermeil sait l'horreur du combat, mais il ne frissonne pas. Il s'enorgueillit de porter un nom qui rayonne et sonne la fanfare, Roland Vermeil!

Et le surnom de Crève-la-Mort lui plaît.

« Fichu pays, murmure-t-il en examinant le terrain, pays fâcheux, traître en diable! La dune est mouvante, et le Berbère en connaît le flux et le reflux. Ces cadavres, là-bas, sont à demi enterrés déjà. Mon ami Serge Noël, tué il y a quinze jours, n'émerge plus que du crâne. En- core ce crâne est-il déchiqueté par les vautours. » Et une voix lointaine, qui monte des pays mor- nes, lui murmure aux oreilles :

« La guerre, petit, la guerre! »

Eh bien ! soit ! la guerre. Cette nuit, avec moins de cent hommes résolus, il attaquera cinq cents Berbères. Clair de lune, pour sûr, un découvert mortel, des traquenards en bordure de l'oasis, peut-être un 75 qui les fauchera net, en tout cas la fusillade à bout portant, puis la lutte au cou- teau avec ces hommes de bronze, beaux comme des demi-dieux, braves comme des fauves. Les fils de l'Atlas le guettent, lui, le Parisien mâtiné d'Auvergnat, le Français blanc aux veines bleues.

Son intelligence est tendue vers la tactique à suivre. Il dresse son plan avec méthode, il pré-

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voit, déjoue, ruse, ordonne, laisse franc jeu à ses hommes.

Ses hommes? Lesquels? Il regagne son gourbi, jette son casque, arrache ses lunettes :

« Sergent Carillon!

— Mon lieutenant?

— Nous attaquons à minuit l'oasis : quatre- vingts contre cinq cents. Tu en es?

— Bien sûr!

— Tu prendras un autre sergent, deux capo- raux, soixante-quinze marsouins et tirailleurs, au choix.

— Entendu, mon lieutenant.

— A 23 heures 30, tout le monde ici, en si- lence. Je donnerai les consignes. En attendant, laisse dormir les hommes; il fait une chaleur bouffe... Tiens! une lettre. »

Il renvoie Carillon d'un geste bref, déchire l'en- veloppe. C'est Gérard : grosse écriture noncha- lante et contournée, phrase capricieuse, en sac- cades et sous-entendus. La lettre, datée du 15 avril, est antérieure au désastre, et n'offre plus que des nouvelles défraîchies. Roland la parcourt avec distraction. La carte d'état-major, déployée sur sa table, lui tire l'œil malgré lui : l'oasis est entourée d'un cercle rouge, où con- vergent des flèches bleues. Cependant Gérard bavarde à plume lourde : « Tout de même, on est bien tranquille. Les Allemands ne bougent pas; nous non plus. Et ça peut durer longtemps, à moins que... Moi, qui ai la bougeotte, je ne reste pas les bras croisés. J'ai lâché les Assurances,

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qui ne rapportaient plus le bifteck pour la bonne raison que les mobilisés oublient de payer leurs primes. Je les excuse, les pauvres, mais nous, il faut qu'on mange, n'est-ce pas? Alors j'ai été commissionnaire aux Halles. Meilleur, cela! Des petits profits à côté des gros, et de si braves gens, debout la nuit, par le froid et le chaud, trimant dur pour que tout le monde ait sa croûte. Je travaillais à la resserre des légumes, rue Saint- Eustache; dès 2 heures du matin sur le carreau, avec les forts et leurs dames. Mais un jour, pa- tatras! dispute avec le patron, un gros pansu malhonnête du boulevard Sébastopol. Je lui lâ- che son paquet, car j'ai horreur de la fripon- nerie, et me voilà sur le pavé. Vous autres, fonc- tionnaires, vous ne connaissez pas, Dieu merci!

ces ruptures d'attelage. Bref, je quête un emploi.

Pas longtemps. On m'accepte, sur ma bonne mine, dans les Cuirs et Peaux, Service de l'Inten- dance, et c'est moi qui vous fabrique ces godasses numéro 1 que l'Europe nous envie, ces équipe- ments de guerre inusables à s'y briser la mâ- choire. Lorsque tu auras besoin de brodequins solides, fais-moi signe. Il est vrai que, dans le désert, on marche pieds nus. Veinard, va! Ici l'hiver a été dur, et on a gelé à gueule fendue.

Valentine et moi nous disions : « Ah! si nous

« étions à la place de Roland!... »

« Mon lieutenant, j'ai vos hommes, tous vo- lontaires.

— C'est bien, Carillon. Et la mitrailleuse?

— Les légionnaires la porteront à dos d'homme, avec un canon de tranchée. Ils pré-

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tendent que l'endroit n'est pas salubre et que ça sentira demain la charogne.

— Qui vivra verra. Reviens dans une heure.

Double ration ce soir, pinard à volonté, et ciga- rettes. »

La lettre de Gérard tremble entre les doigts de Vermeil, qui continue sa lecture. « Ah! si nous étions à la place de Roland!... A propos, comment vas-tu? Ni boulot, ni casse, n'est-ce pas? On n'entend jamais parler de votre secteur.

Calme plat sans doute, comme ici. Les guerres coloniales, ça n'est tout de même pas la vraie guerre. Des Bédouins armés de bâtons et de lan- ces, quel gibier pour nos Lebel et nos 75! Autant dire une chasse au lapin. Si tu as l'occasion de tirer un de ces drôles, rapporte-nous donc son burnous. Valentine en a une envie folle pour draper le piano. J'oubliais de te dire que nous avons acheté un Pleyel de vingt mille billets

— d'occasion — et que Valentine s'en donne à cœur joie. Il faut te dire aussi que nous avons quitté la triste rue des Epinettes, qui faisait pouille et ladre, pour un hôtel particulier de la rue Copernic, dans le seizième. Les Batignolles n'étaient plus en rapport avec notre situation.

Imagine-toi que Valentine s'est mise en tête d'avoir un authentique salon Louis XVI. Ça m'a couté le vert et le sec, mais nous l'avons, dix pieces originales recouvertes en Aubusson et garanties sur facture par un antiquaire de la rue Bonaparte. En somme, les affaires ne vont pas trop mal. »

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Roland jette la lettre et fredonne avec une sorte de rage l'imbécile refrain :

Quand les affaires marchent, Tout marche au régiment.

Soldats, en avant, 'arche Pour le gouvernement!

Puis, par une brèche mouvante, il examine à la jumelle l'oasis redoutable en son immobilité silencieuse. Il rêve un instant, une barre au front, s'assied, allume une cigarette, tire quel- ques bouffées, se lève, repousse du pied la lettre de Gérard, se rassied avec force, ouvre le cahier où il griffonne ses souvenirs, et, très calme, écrit avec application « Ce soir, 8 juin 1940, à la lune montante, je mène l'attaque contre les dis- sidents berbères qui occupent l'oasis de Ter- bouka. J'ai mille et une chances de rester sur le carreau. En conséquence, je lègue mes frusques et ma bourse à la compagnie pour qu'elle boive à ma santé, mon corps à l'hyène pour qu'il n'em- peste pas les camarades, et mon âme au diable, si diable il y a... >

Le sergent Carillon apparaît au seuil du gourbi. C'est un homme des environs d'Arles, pe- tit, noiraud, échiné, que le désert a rendu taci- turne.

« Mon lieutenant, on est prêt.

— Les hommes sont là?

— Tous, et, je le répète, des volontaires, des gars à l'emporte-pièce.

— Parfait. Ça marchera sur des roulettes.

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— Heu! Mon lieutenant a-t-il vu cette lune?

Une insolence!

— Ah! oui. On fera du plat-ventre, baïonnette au fourreau.

— Et puis, mon lieutenant, il y a autre chose.

— Quoi donc?

— Vous ne sentez pas une pesanteur, comme du plomb dans le corps? Le chacal aboie, le temps est malsain. Tenez! »

Il montre, au sud, par delà l'oasis, une barre violette qui traverse le ciel et semble rouler vers eux.

« On dirait un simoun, un furieux coup de tempête. Si ça nous prenait en route... »

Roland consulte sa montre. Il lui tarde d'agir, car plus il attend, moins il est calme. Encore trois minutes. Une main s'abat sur son épaule.

« C'est l'heure de gicler », dit le colonel, un peu nerveux.

Sur un signe de Vermeil, les hommes franchis- sent le parapet de la tranchée et se mettent à ramper. Le colonel les suit d'un regard anxieux.

« Faites vite, à la fourchette! Je reste ici en soutien. Bonne chance, mon petit Vermeil, bonne chance! »

De grandes ombres dispersées se profilent sur l'onduleux terrain, qui s'éloignent et s'effacent bientôt. Les palmiers de l'oasis, immobiles, agi- tent leurs têtes, et, tout à coup, une immense rafale, tournoyant sur elle-même, soulève les sables en vagues brûlantes, noie, submerge, aveugle, ensevelit. La lune a disparu, l'obscurité recouvre le plateau.

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« Flambés! » s'écrie le colonel en lâchant sa montre.

Mais le crépitement baroque d'une mitrail- leuse, puis un hurlement sourd, prolongé, lui prouvent qu'ils ne le sont pas.

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II

« Alors, Carillon, c'est fait?

— Oui, mon colonel. L'oasis est prise; seule- ment, il nous faut du renfort, vu que les Bé- douins sont traîtres et peuvent revenir à la charge.

— Tu emmèneras cinquante hommes. Nos pertes sont grandes?

— Forcément. D'abord ce sacré coup de tem- pête, vous savez. On se relève. Mais nos imbé- ciles de Sénégalais, qui s'imaginent avoir le feu au cul, se jettent à genoux pour implorer je ne sais quel bon dieu nègre. En dix secondes, zou ! le sable les recouvre, ras de tête.

— Je les vois, dit le colonel, sa jumelle aux yeux; ou plutôt je ne vois que des bras tendus, des mains crispées. C'est affreux.

— Une balle vous nettoie plus proprement, ajoute Carillon, flegmatique. C'est égal, la tem- pête a été pour nous tout de même, bonne mère!

Imaginez, mon colonel, que, entre deux soufflées, on a gagné à jambes tricotantes, et haut le corps, la ligne de palmiers qui ferme l'oasis. Les Ber-

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bères, aveuglés, assourdis, n'ont rien vu, rien entendu, autant dire que leur sacré bon dieu

— ça doit être le même que celui de nos tirail- leurs — leur a joué un vilain tour. On leur tombe dessus, vlan ! Hourvari, criailleries, corps à corps, massacre et jeu de quilles, une belle marmelade...

Pou r ma part, j'en fricasse trois, qui n'ont pas le temps de cligner de l'œil. Ils croient, les po- vres, que les démons de la tempête s'acharnent sur eux. Un miracle, quoi! Tant et si bien que ces mangeurs de têtes de mouton déguerpissent et qu'on les repousse bien au delà de la fon- taine, en tirant dans le tas, à coups perdus. Si on avait été en nombre, on les reconduisait à Matarka.

— Nos pertes?

— Quinze à vingt hommes.

— Bigre! Le quart de l'effectif.

— Eux, un monceau. Ça va embaumer le ca- davre. Des mouches, déjà, grosses comme mon pouce et vertes. Faudra laisser venir cette nuit les nettoyeurs du désert, sinon le typhus nous prendra au ventre.

— Je ne te demande pas des nouvelles du lieutenant. Sain et sauf, bien entendu.

— Un coup de lance dans les côtes, une balle dans le cou.

— Qu'est-ce que tu racontes là? Crève-la- Mort...

— Heu!... C'est Frise-la-Mort qu'il faudrait dire. A tel point que Boule-de-Gomme, notre im- bécile d'infirmier, prétend qu'il est impossible de

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le ramener à cause de l'hémorragie. Seulement, là-bas, rien pour le soigner.

— Carillon, tu vas prendre, avec ton renfort, quatre brancardiers, et tu le ramèneras.

— Oui, mon colonel. Mais si, en route, il passe l'arme à gauche?

— Il ne mourra pas. La mort a peur de lui. » Carillon ouvre des yeux d'extase, et reste muet, cloué par la surprise.

« Va, Carillon, va. Le major Barbelette t'ac- compagnera, lui et ses drogues. Rien à craindre. » Et comme le sergent ne bouge toujours pas :

« Eh bien! tu bayes aux corneilles? File, nom d'une pipe, et plus vite que ça! »

Carillon fait demi-tour, s'éloigne, groupe ses hommes et ses infirmiers.

« Pourvu, mon Dieu! grogne-t-il à part soi, pourvu que ce butor de soleil, il n'ait pas rendu fou, notre colonel! On serait propres, alors! »

Pendant une demi-heure, la petite colonne zig- zague entre les bras tendus des morts, aux gestes violents, cassés net. La civière plonge, disparaît et reparaît dans les vagues de sable. Au loin, derrière l'oasis, une fumée violette monte : c'est la kasbah des Aït Sefra qui brûle.

Vers le soir, au moment où la chaleur semble moins cruelle, la civière reparaît. Le colonel, aux aguets, ne la perd pas des yeux, et, tout à coup, une larme brûlante coule sur sa joue. Il aperçoit, dans un recul prodigieux, la petite maison basse où, près d'Amboise, aux frais rivages de la Loire, une femme encore jeune, mais grave, veille sur deux fillettes. Reverra-t-il jamais ces enfants,

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cette femme, et l'hospitalière maison? De les dé- fendre ainsi, à trois cent cinquante lieues de distance, ne va-t-il pas mourir comme ce Roland Vermeil, dont il lui semble entendre le hoquet suprême? Bien vite il chasse l'idée, il chasse la peur.

« Ridicule, absurde ! Crève-la-Mort ne peut pas mourir, marmonne-t-il entre ses dents déchaus- sées. Il ne mourra pas. »

Puis, esclave de l'idée sombre, il reprend :

« Si ce n'est lui, c'est donc moi qui mourrai...

Tout à l'heure, après l'avoir vu, j'écrirai à ma femme. Car demain... »

Il l'a revu, le teint cireux, les lèvres blanches, le regard flou. Deux larges taches rouges mar- quent, à travers les pansements, les plaies vives de la gorge et de la poitrine. Les mouches ont suivi le convoi, et les infirmiers s'évertuent à chasser la nuée malodorante.

« Mettez-le dans mon lit », ordonne le colonel.

Et, tirant à part le médecin-major, tandis que les brancardiers emportent le blessé :

« Est-ce grave, Barbelette?

— Très. La lance a pénétré dans le poumon droit, et la balle a effleuré la carotide. Le malheureux est saigné à blanc. J'hésite à l'opé- rer. D'ailleurs... »

Il esquisse un geste las.

« Nous n'avons presque plus rien, depuis le dernier coup de tampon, qui a vidé l'infirmerie.

Il faudrait l'évacuer, mais il est trop faible.

— Ouvrez ma cantine, prenez ma pharmacie

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ACHEVÉ D'IMPRIMER SUR LES PRESSES DES MAITRES IMPRIMEURS ARRAULT ET C A TOURS, LE CINQ AVRIL MIL NEUF CENT QUARANTE-QUATRE POUR LE COMPTE DES ÉDITIONS JEAN-RENARD A PARIS

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