• Aucun résultat trouvé

Les significations attribuées à l'expérience de la reconversion professionnelle

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Les significations attribuées à l'expérience de la reconversion professionnelle"

Copied!
248
0
0

Texte intégral

(1)

Master

Reference

Les significations attribuées à l'expérience de la reconversion professionnelle

RIBORDY, Annika Frida

Abstract

Ce mémoire propose une analyse de la reconversion professionnelle sous l'angle de l'expérience, dans une perspective épistémologique compréhensive. Un détour historique permet de saisir la signification de la reconversion professionnelle à la fin du 19e siècle à Genève grâce au dépouillement et à l'analyse de sources historiques dans les archives de la FPSE. L'expérience de la reconversion professionnelle est ensuite traitée au présent à partir du point de vue de l'individu pour comprendre comment se vit cette expérience et quelles significations lui sont attribuées. Notre démarche d'analyse met en relation les concepts de changement, d'identité, de temporalité, d'épreuve, avec les données empiriques produites par des entretiens semi-directifs inspirés de la méthode d'histoire de vie...

RIBORDY, Annika Frida. Les significations attribuées à l'expérience de la reconversion professionnelle. Master : Univ. Genève, 2016

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:81833

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

1 / 1

(2)

MEMOIRE REALISE EN VUE DE L’OBTENTION DU/DE LA MAITRISE EN FORMATION DES ADULTES

PAR Annika RIBORDY

DIRECTEUR DU MEMOIRE

Maryvonne CHARMILLOT, Université de Genève

JURY

Edyta TOMINSKA COMTE, Université de Genève Catherine SCHENKEL, chargée de recrutement Philippe ZIN, formateur d'adultes consultant

GENEVE Février 2016

UNIVERSITE DE GENEVE

FACULTE DE PSYCHOLOGIE ET DES SCIENCES DE L'EDUCATION SECTION SCIENCES DE L'EDUCATION

(3)

Ce mémoire propose une analyse de la reconversion professionnelle sous l’angle de l’expérience, dans une perspective épistémologique compréhensive.

Un détour historique permet de saisir la signification de la reconversion professionnelle à la fin du 19e siècle à Genève grâce au dépouillement et à l’analyse de sources historiques dans les archives de la FPSE.

L’expérience de la reconversion professionnelle est ensuite traitée au présent à partir du point de vue de l’individu pour comprendre comment se vit cette expérience et quelles significations lui sont attribuées. Notre démarche d’analyse met en relation les concepts de changement, d’identité, de temporalité, d’épreuve, avec les données empiriques produites par des entretiens semi-directifs inspirés de la méthode d’histoire de vie.

Ces entretiens permettent de comprendre l’expérience de reconversion professionnelle comme un processus, caractéristique de l’individu et de son contexte, qu’elle soit forcée ou volontaire. Elle touche plusieurs domaines de vie simultanément ou successivement, et en tant que processus, les catégories « forcé / volontaire » apparaissent non exclusives. Enfin, plus cette expérience est ancrée dans une trajectoire professionnelle et de vie, plus elle aboutit favorablement.

(4)

LES SIGNIFICATIONS ATTRIBUEES A L’EXPERIENCE DE LA RECONVERSION PROFESSIONNELLE

Par Annika RIBORDY

Mémoire présenté en vue de l’obtention d’un Master en formation des adultes, sous la direction de Maryvonne CHARMILLOT

Février 2016

Jury :

Maryvonne CHARMILLOT (directrice), Université de Genève Edyta TOMINSKA COMTE, Université de Genève

Catherine SCHENKEL, chargée de recrutement

Philippe ZIN, formateur d’adultes consultant

(5)

Page 2 sur 245

Table des matières

INTRODUCTION ... 4

CHAPITRE 1 : PERSPECTIVE HISTORIQUE ... 6

É

CLAIRAGE SUR LES CONCEPTS

-

CLES

... 6

É

LEMENTS METHODOLOGIQUES

... 7

C

ONTEXTE HISTORIQUE ET QUELQUES INSTITUTIONS

-

CLES

... 8

L

E PREMIER CABINET D

ORIENTATION PROFESSIONNELLE

... 10

L

A SIGNIFICATION DE L

ORIENTATION PROFESSIONNELLE AU DEBUT DU

20

E SIECLE

... 12

S

YNTHESE

... 17

CHAPITRE 2 : CONSTELLATION CONCEPTUELLE ... 18

À

LA CONQUETE DE NOTRE OBJET DE RECHERCHE

... 18

QUE DISENT LES DICTIONNAIRES ? ... 19

L

A DIMENSION DU CHANGEMENT

... 22

QUELQUES DONNEES STATISTIQUES ... 23

NEGRONI ET LA RECONVERSION PROFESSIONNELLE VOLONTAIRE ... 25

L

A DIMENSION DE L

IDENTITE

... 27

L

A DIMENSION DE LA TEMPORALITE

... 30

LA RELATION AU FUTUR SELON A.TOFFLER ... 30

LA RELATION AU PROJET SELON JEAN-PIERRE BOUTINET ... 32

L

A DIMENSION DE L

EPREUVE

... 34

CHAPITRE 3 : PROBLEMATIQUE ... 37

Q

UESTIONS DE RECHERCHE

... 38

CHAPITRE 4 : POSTURE EPISTEMOLOGIQUE ET CHOIX METHODOLOGIQUES ... 39

L

A DEMARCHE COMPREHENSIVE

... 40

P

RODUCTION DES DONNEES

... 41

L

A RELATION COMPLEXE ENTRE INTERVIEWE ET INTERVIEWER

... 44

CHAPITRE 5 : ANALYSE DES DONNEES ... 46

P

ORTRAIT DES INTERVIEWES

... 48

A

NALYSE THEMATIQUE TRANSVERSALE

... 51

LE CHANGEMENT ... 51

Des catégories discutables ... 51

Changements exogènes et endogènes ... 53

Voyage dans les différents domaines de vie ... 54

(6)

Page 3 sur 245

L’IDENTITE... 57

Identité attribuée et dynamiques identitaires ... 57

Le manque de reconnaissance ... 60

LA TEMPORALITE ... 63

L’avenir incertain ... 63

Le poids du passé ... 65

L’EPREUVE ... 67

S

YNTHESE DE L

ANALYSE THEMATIQUE TRANSVERSALE

... 71

S

YNTHESE INTERPRETATIVE TRANSVERSALE

... 73

C

ONSIDERATIONS EN LIEN AVEC LA FORMATION DES ADULTES

... 78

CONCLUSION ... 81

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES ... 83

RÉFÉRENCES ÉLECTRONIQUES ... 85

ANNEXES ... 88

A

NNEXE

1 : « L

E CHOIX D

UNE CARRIÈRE

»,

PAUL

R

UDHART

,

DIRECTEUR DE L

OFFICE DE L

INDUSTRIE

... 88

A

NNEXE

2 : « C

HEFS D

APPRÉCIATION D

APTITUDES MANUELLES AU COURS D

EXERCICES DE MENUISERIE

», 1925 ... 89

A

NNEXE

3 : P

AGE

4

DES RÉSULTATS D

UN EXAMEN MÉDICAL POUR LE JEUNE

P. D

UBOIS SOUHAITANT DEVENIR CORDONNIER

, 1924 ... 90

A

NNEXE

4 : E

XAMEN PSYCHOLOGIQUE DE

J. B

ADEL

, 1925 ... 91

A

NNEXE

5 : G

RILLE D

ENTRETIEN

... 92

A

NNEXE

6 :

TRANSCRIPTION ENTRETIEN PRÉ

-

EXPLORATOIRE DE

M

AX

... 95

A

NNEXE

7 :

TRANSCRIPTION ENTRETIEN EXPLORATOIRE DE

D

ORA

... 119

A

NNEXE

8 : T

RANSCRIPTION ENTRETIEN SEMI

-

DIRECTIF DE

N

ILS

... 129

A

NNEXE

9 :

TRANSCRIPTION ENTRETIEN SEMI

-

DIRECTIF DE

S

TAN

... 153

A

NNEXE

10 :

TRANSCRIPTION ENTRETIEN SEMI

-

DIRECTIF DE

W

ILLY

... 185

A

NNEXE

11 :

TRANSCRIPTION ENTRETIEN SEMI

-

DIRECTIF DE

L

ÉNA

... 225

(7)

Page 4 sur 245

INTRODUCTION

Changer de métier devient une pratique de plus en plus répandue, voire nécessaire. Ce que nous appelons la reconversion professionnelle correspond en grande partie aux caractéristiques de notre époque actuelle tel que des changements rapides dans notre ère de globalisation, et une mouvance constante dans la vie sociale, politique, économique ou culturelle. La révolution industrielle du 19

e

siècle ainsi que les différentes crises économiques ont participé à ce processus de changement et de variation permanente. Dans le monde professionnel, cette notion de changement est aujourd’hui omniprésente, et devient même parfois source de souffrances au travail. L’idée de devoir se réaliser est en effet de plus en plus répandue, telle une « injonction au bonheur », idée qui se retrouve dans l’ouvrage d’Alain Ehrenberg (2010) « La société du malaise » et qui fait notamment référence à la surcharge de responsabilités auxquelles les individus doivent faire face. Parallèlement, il devient fréquent de constater sur le marché du travail des restructurations et/ou des délocalisations géographiques des entreprises, des changements organisationnels, etc. C’est dans ce contexte que nous nous intéressons dans ce mémoire aux personnes adultes actives pour observer comment elles vivent et gèrent un certain changement dans leur trajectoire professionnelle : la reconversion professionnelle.

Cet objet de la reconversion professionnelle, malgré sa signification parfois univoque et simple dans le sens commun, manque de clarté dans sa définition en raison des multiples possibilités de se reconvertir. Ceci alors même que cet objet représente de nos jours une pratique importante dans le domaine de la formation des adultes. Nous avons en effet constaté une forte présence dans la littérature scientifique d’ouvrages ou d’articles portant sur l’entrée et l’engagement en formation, ainsi que sur la motivation, mais très peu sur la reconversion professionnelle. Cet état de fait a été une des raisons du choix de cette thématique dès le début du master. Une seconde raison de ce choix provient de raisons personnelles, étant directement concernée par la problématique. Enfin, cette thématique de la reconversion professionnelle nous est également apparue pertinente puisqu’en lien avec le domaine de la formation des adultes qui prône « la formation tout au long de la vie ».

Comment se déroule cette expérience de reconversion professionnelle chez les personnes

qui la vivent ? Que mobilisent-elles pour surmonter les difficultés et parvenir à leurs fins ? En

souhaitant ouvrir la « boîte noire » sur cette thématique, un premier constat s’impose : relevant

d’expériences individuelles et d’une diversité des parcours, il semble difficile de la « décrire » de

façon globale et d’un point de vue extérieur. Nous souhaitons donc découvrir ce qui se cache dans

cette expérience de reconversion professionnelle à partir du point de vue de l’individu, point de

vue qui révèle notre posture proche de la philosophie de l’action.

(8)

Page 5 sur 245

Le présent mémoire est ancré dans la discipline de référence des sciences de l’éducation et porte plus spécifiquement sur la formation des adultes, sous l’angle de la sociologie de la connaissance. Quant à la démarche épistémologique, il s’agit de la compréhension.

Le plan de ce mémoire se décompose de la manière suivante :

Pour comprendre cet objet de la reconversion professionnelle, nous proposons dans un premier

chapitre un regard historique à partir d’une recherche effectuée au sein des archives de la faculté

(Faculté de Psychologie et des Sciences de l’éducation, FPSE ci-après). À partir de ce chapitre

historique (chapitre 1), nous entrons ensuite dans le second chapitre par une revue de la littérature

appelée constellation conceptuelle, en commençant notamment par une étude étymologique des

termes étudiés (chapitre 2). Après avoir exploré et décomposé plusieurs dimensions intégrantes de

la reconversion professionnelle, nous traitons de la problématique au chapitre 3. Puis nous

décrivons notre posture épistémologique ainsi que nos choix méthodologiques au chapitre 4, avant

d’arriver au chapitre 5 portant sur l’analyse des récits d’expérience produits dans les entretiens de

recherche réalisés. Enfin, nous closons ce mémoire par quelques considérations en lien avec le

domaine de la formation des adultes.

(9)

Page 6 sur 245

CHAPITRE 1 : PERSPECTIVE HISTORIQUE

Pour une mise en œuvre de la démarche d’analyse documentaire sur des sources historiques, nous nous interrogeons sur comment était prise en charge cette question des choix des métiers à une époque où les bifurcations professionnelles n’étaient pas dans la norme. Y avait-il un réel choix de métier ou ces derniers étaient-ils affectés selon une certaine logique ? Pour répondre à ces questions et décrire le paysage de la reconversion professionnelle au début du 20

e

siècle, nous partons d’éléments bibliographiques ainsi que d’analyses de sources historiques qui ont été décelées dans les archives de la FPSE.

Concernant notre plan pour ce premier chapitre, nous développerons tout d’abord un cadre théorique avec différentes sous-rubriques (clarification des concepts et questionnements). Nous apporterons également quelques éléments méthodologiques pour éclaircir le processus de construction des données. Ensuite nous situerons le contexte historique de la recherche en mentionnant les principales institutions concernées par notre thématique. Puis nous développerons notre analyse à partir de nos questionnements.

É

CLAIRAGE SUR LES CONCEPTS

-

CLES

L’une des premières difficultés a été de clarifier l’utilisation des différents concepts qui évoluent selon le temps. Ce terme de reconversion apparaît à la fin du 19

e

siècle (en 1874) dans un contexte religieux pour désigner l’acte de « retrouver la foi perdue » selon le Trésor de la Langue Française (TLF ci-après). C’est seulement autour des années 60 que ce terme apparaît dans un contexte professionnel pour signifier un « changement d’activité, de profession ».

Lors des recherches sur la thématique de la reconversion professionnelle dans les archives de la faculté, il est apparu le terme d’orientation, et non de reconversion. Ce terme d’orientation fait son apparition dès le début du 20

e

siècle comme le montre la naissance d’un certain type d’institutions pour l’orientation scolaire et professionnelle à Genève notamment. Pourtant, le TLF, ne relève ce concept de l’orientation dans un contexte purement scolaire et professionnel que dès les années 60. Celui-ci est alors décrit comme un « ensemble de moyens mis en œuvre pour orienter un jeune, un adulte dans une voie scolaire ou professionnelle en fonction de ses aptitudes, de ses goûts et des débouchés » (1978).

Parallèlement, le terme très proche de réorientation, défini en tant qu’« action de réorienter ; résultat de cette action » par le TLF, apparaît également dans les années 60 dans une encyclopédie éducative pour signifier la « réorientation des élèves qui abandonnent » les études.

Nous concentrerons toutefois notre analyse à partir du concept-clé

d’orientation professionnelle

qui prend racine à Genève dès le début du 20

e

siècle selon les sources historiques travaillées.

(10)

Page 7 sur 245

Après avoir analysé l’évolution des termes relatifs à la notion de reconversion professionnelle, nous allons développer notre propos à partir du terme d’orientation professionnelle. Notre premier questionnement est :

Quand commence-t-on à percevoir le besoin de l’orientation à Genève ?

Nous avons volontairement omis de signifier dans cette question s’il s’agit d’orientation professionnelle ou scolaire car les deux sont fortement imbriqués lors du début du 20

e

siècle.

Nous allons ensuite approfondir notre développement grâce aux différents questionnements ci-après :

Quelle est la signification de cette orientation au début du 20e siècle et peut-on y percevoir une liberté de choix de métier, ou au contraire la présence d’inégalités sociales ?

Comment, le cas échéant, cela est-il perceptible ? Que peut-on percevoir sur ce processus historique ?

Y a-t-il un lien avec l’évolution des secteurs économiques d’activité ?

É

LEMENTS METHODOLOGIQUES

Maintenant que nous avons situé ce détour historique dans un « espace-temps », nous allons présenter le dépouillement des sources historiques existantes aux archives de la FPSE, c’est-à-dire principalement dans le fond Jean-Jacques Rousseau (fond JJR ci-après).

Face à ces nombreuses sources, il y eut un choix difficile de pertinence et de temps à faire.

L’archiviste, qui a été d’une grande aide durant cette découverte, a mis à disposition environ quatre cartons du fond JJR avec quelques sources intéressantes pour découvrir la naissance et le besoin de l’orientation professionnelle dès le début du 20

e

siècle jusqu’aux années 30-40. Il y avait également plus de six cartons concernant l’époque 1950-2000 du fond Uldry concernant surtout les programmes d’éducation permanente des adultes et l’AJETA, l’Association d’aide aux jeunes travailleurs et apprentis. Ces documents n’ont pas fait l’objet d’une analyse approfondie dans ce travail malgré leur intérêt, par manque de place et par choix de l’espace-temps de notre problématique. Nous tenterons toutefois de faire quelques liens entre ces différentes périodes à la fin de notre analyse pour pouvoir appréhender la question du processus.

La première étape de travail, qui n’était pas la plus appropriée puisqu’il aurait été préférable

de commencer par l’analyse des bibliographies (ce travail a été rattrapé par la suite), a été de

commencer par tout feuilleter, en lisant rapidement, pour observer ce qui alimenterait nos

questionnements. Malgré quelques appréhensions, nous avons rapidement saisi les sources qui

semblaient utilisables de celles qui n’apportaient que très peu à notre analyse.

(11)

Page 8 sur 245

Toutefois, une seconde grande difficulté réside dans le choix d’écarter ou de prendre certaines sources, de savoir si ce choix ne tient pas de l’erreur ou d’un jugement trop hâtif. En effet, qu’est-ce qui assure que notre analyse, à partir d’un choix porté sur certains documents plutôt que d’autres, soit pertinente ? Est-ce qu’il y aurait des risques que la réalité des faits historiques soit déformée ? Afin de répondre à ces questions, malgré un début de travail méthodologiquement inconvenant, nous avons tout au long du travail tenté de nous référer aux ouvrages de référence et à nos questionnements. Ensuite, nous avons également fait référence à certaines sources choisies afin d’argumenter notre analyse. Nous espérons ainsi être au plus proche de la réalité historique.

C

ONTEXTE HISTORIQUE ET QUELQUES INSTITUTIONS

-

CLES

À partir du 19

e

siècle se développe en Europe une économie de marché capitaliste dont la professionnalisation des activités amène une nouvelle organisation du travail et des qualifications de plus en plus scientifiques

1

. Cette évolution se fait surtout dans les professions libérales (avocat, médecin, ingénieur).

En Suisse, on constate une forte présence de la formation et de l’orientation professionnelle qui deviennent des « questions de politiques sociales »

2

. Par exemple, le système dual de formation, appelé apprentissage, rend la Confédération active dans le subventionnement de la formation professionnelle. Cette dernière sera institutionnalisée par une loi fédérale dès 1930 dans le but de « garantir l’insertion socio-économique des couches sociales les moins favorisées tout en satisfaisant les nécessités économiques » (Thomann Jeanneret et al., 2007, p. 292). Cette possibilité de se former ainsi de manière duale à une profession sous-tend un idéal libéral promettant une ascension sociale

3

. Une place est ainsi donnée à l’individu, face au fonctionnement majoritaire qui était jusqu’alors la transmission d’une profession par héritage ou par compagnonnage. Cette vision émancipatrice est très présente dans les milieux bourgeois, mais pour le reste de la population, c’est-à-dire la majorité, on exerce une profession en tant que devoir et celui-ci décrit un statut social

4

.

Observons à présent ce mouvement de professionnalisation qui débute dès 1860 pour le métier d’enseignant en Suisse par exemple, ainsi que l’Histoire de la création de la FPSE. À Genève, une première chaire pédagogique fut créée en 1890 par l’État, le Département de l’Instruction publique, pour professionnaliser le corps enseignant. Mais le réel apport des sciences

1 Éléments apportés par la partie 2 de la définition de « profession », dictionnaire historique suisse (DHS) en ligne.

2 Éléments apportés par la partie 2 de la définition de « profession », dictionnaire historique suisse (DHS) en ligne.

3 Éléments apportés par la partie 2 de la définition de « profession », dictionnaire historique suisse (DHS) en ligne.

4 Éléments apportés par la partie 2 de la définition de « profession », dictionnaire historique suisse (DHS) en ligne.

(12)

Page 9 sur 245

de l’éducation et de la psychologie est amené par Edouard Claparède (Claparède ci-après), psychologue et partisan de l’éducation nouvelle, lorsqu’il fonda l’Institut Rousseau en 1912. Cet institut n’était pas encore rattaché à l’État, ni subventionné par celui-ci. Il fonctionnait par autofinancement et grâce à des subventions de source privée principalement. Celui-ci avait pour fonction : la recherche sur la méthode scientifique ; assurer le progrès de cette nouvelle science ; de devenir un centre de formation qui rassemble et diffuse les recherches ; et enfin, un centre de propagande en faveur du renouveau éducatif (Thomann Jeanneret et al, 2005, p. 10).

Claparède est clairement contre une pédagogie scolastique et conservatrice transmettant des savoirs « morts » ou livresques comme on peut le lire dans son texte de 1912 « Un institut des Sciences de l’Éducation et les besoins auxquels il répond ». Faisant référence à Rousseau, il milite pour une meilleure connaissance des enfants. Et comme l’écrit Hameline à propos de Claparède :

« il demeure persuadé que l’application de la science aux choses humaines constitue, au demeurant, un progrès » (Hameline, 1993, p. 3). Il fonde son travail sur des lois issues de la pédagogie expérimentale par l’observation et crée des tests d’aptitudes pour enfants et jeunes adultes. C’est également en 1918 qu’il ouvre, en collaboration avec le directeur de l’Institut, Pierre Bovet, un cabinet d’orientation professionnelle, « premier établissement suisse de ce type » (Hofstetter, Ratcliff & Schneuwly, 2012).

En 1929, l’Institut Rousseau alors nommé Institut des Sciences de l’éducation, est rattaché à la Faculté des lettres de l’Université de Genève. C’est en 1948 que cet institut est intégré à l’Université comme « Inter-faculté », puis devient en 1975, la FPSE telle que nous la connaissons aujourd’hui.

Cette description du processus historique de la faculté n’est pas sans lien avec le thème de

l’orientation professionnelle. Elle permet de comprendre quel rôle majeur ont joué les institutions

dans cette question, dans un contexte en pleine mouvance entre le politique, l’économie et les

besoins du marché du travail, comme le résume bien Antoine Prost (2012) dans son court article.

(13)

Page 10 sur 245

Pour en revenir à l’orientation professionnelle, celle-ci devient petit à petit un outil d’institutionnalisation par l’État à cause de différents facteurs : « économiques et sociaux […]

(division du travail, crise de l’apprentissage, une certaine marginalisation de la classe ouvrière) ; des facteurs scolaires, scientifiques et idéologiques » (Turbiaux, 2006, p. 220). Cette idéologie se retrouve dans ce début du 20

e

siècle qui foisonne de personnalités marquantes dans les Sciences de la psychologie et de l’éducation, telles que par exemple J. Dewey, M. Montessori en Europe, et plus localement J. Piaget et E. Claparède à Genève.

Après cette description historique générale, examinons notre questionnement quand commence-

t-on à percevoir le besoin de l’orientation à Genève ?

L

E PREMIER CABINET D

ORIENTATION PROFESSIONNELLE

Comme nous l’avons évoqué, l’Institut Rousseau ouvre en 1918 un Cabinet d’orientation professionnelle (cabinet ci-après) à Genève. Cela fait suite au contexte économique précité évoluant vers les secteurs secondaires et tertiaires. Les professions se spécialisant, un besoin croissant de travailleurs formés apparaît. Mais aussi, ce cabinet répond à un besoin d’un autre ordre, celui « des adultes qui, déçus par un premier choix qui leur paraît malheureux, sollicitent des conseils sur des carrières mieux en rapport avec leurs goûts et leurs aptitudes

5

». C’est ainsi que Claparède, alors directeur de l’Institut Rousseau, décrit l’utilité de ce cabinet dans son rapport d’activité. Cet énoncé de Claparède nous dévoile une conception d’une place existant pour chacun.

À la croisée des besoins des entreprises et de la personne qui devrait être guidée vers un métier lui correspondant, le cabinet apparaît être, comme nous l’avons mentionné, le premier établissement suisse de ce type, à cette période. Son but, d’ordre social mais également économique, est d’orienter au mieux les personnes vers un métier correspondant à leurs

« aptitudes », concept central de cette thématique de l’orientation professionnelle à cette époque.

En effet, c’est à partir de la mesure de ces aptitudes individuelles que l’orientation par métier se pratique. Ces aptitudes sont définies comme « tout caractère psychique ou physique considéré sous l’angle du rendement » (Claparède, 1922, p. 30, mentionné par Thomann Jeanneret et al., 2007, p.

298). Le cabinet doit également, pour définir les aptitudes nécessaires selon les métiers, analyser les professions (Thomann Jeanneret et al., 2007, p. 298). Ainsi, les tâches à accomplir par ce cabinet sont, entre autres, d’analyser les pratiques, les professions sous l’angle des aptitudes et de déterminer individuellement les niveaux d’aptitudes par des tests, que ce cabinet doit lui-même créer.

5 Rapport d’activité de l’Institut Rousseau, page 4, année de publication supposée autour de 1950.

(14)

Page 11 sur 245

La création de ces tests coïncide avec la naissance de la discipline appelée « docimologie », autrement appelée science des examens, dans laquelle la psychologie va jouer un rôle prépondérant, puisque « les origines de la docimologie s’inscrivent aussi dans l’histoire plus large de la psychologie appliquée, c’est-à-dire de la psychotechnique » (Martin, 2002, p. 2). Cette science a été créée par Henri Piéron et Henri Laugier en France. Mais c’est Claparède qui va être l’initiateur d’une méthode scientifique pour créer ces tests d’aptitudes. Claparède et Piéron se connaissaient et échangeaient de nombreux courriers, ce qui explique également la diffusion des connaissances ainsi que l’arrivée de la docimologie et des tests d’aptitudes.

Ces hommes travaillaient pour que la psychotechnique réponde non pas seulement à des besoins économiques en orientant correctement des travailleurs vers un emploi, mais pour intégrer

« un vaste projet dans lequel la science et ses applications doivent résoudre les problèmes sociaux et constituer un instrument de régulation sociale » (Martin, 2002, p. 5). L’on comprend ainsi l’importance accordée à l’orientation professionnelle en plein essor à cette période-là.

Pour en revenir au cabinet, afin de répondre à sa mission d’orientation, celui-ci pratique des « évaluations de profils » des individus pour les diriger au mieux vers un métier. Le cabinet met également sur pied des examens d’entrée ou des tests d’aptitudes pour des entreprises qui souhaitent engager des travailleurs, comme pour la Poste ou les CFF (Thomann Jeanneret, et al., 2007, p. 297).

Le public auquel s’adresse cet institut est en grande majorité des jeunes personnes qui terminent leur scolarité obligatoire. Ainsi, nous ne sommes pas encore dans le paradigme de l’éducation des adultes, car ces derniers sont considérés comme insérés dans le marché du travail.

C’est ainsi que se dessine le besoin d’orientation dans les années 20, à Genève : entre

résultats scolaires qui sont analysés, et visées futures professionnelles qui sont mesurées par des

tests. Pour mieux saisir le sens donné à l’orientation professionnelle à cette époque, nous allons

maintenant analyser quelques documents émis par ce cabinet.

(15)

Page 12 sur 245

L

A SIGNIFICATION DE L

ORIENTATION PROFESSIONNELLE AU DEBUT DU

20

E SIECLE

Voici pour rappel les questionnements qui guident l’analyse de ces documents historiques :

Quelle est la signification de cette orientation au début du 20e siècle et peut-on y percevoir une

liberté de choix de métier, ou au contraire la présence d’inégalités sociales ? Comment, le cas échéant, cela est-il perceptible ?

Que peut-on percevoir sur ce processus historique ?

Y a-t-il un lien avec l’évolution des secteurs économiques d’activité ?

Ces questions nous permettent d’approfondir notre questionnement sur le sens donné à l’orientation professionnelle au début du 20

e

siècle.

Concernant la première question, l’idéal libéral naissant et souhaitant partir des aspirations des individus se voit rapidement être concrètement mis à mal pour plusieurs raisons. L’orientation professionnelle vient prévenir les conséquences, considérées comme néfastes, lors d’un mauvais choix professionnel, car cela obligerait de changer de voie, et donc signifierait « alors […] un nouvel apprentissage à recommencer, des forces et du temps gaspillés » (Claparède, 1914, p. 256).

On perçoit ainsi combien le fait de changer de métier n’est ni chose courante, ni positive. Cette vision de la répartition optimale des forces de travail corrobore l’idée de rationalisation fortement présente à cette époque, comme le souligne Thomann Jeanneret et al. (Thomann Jeanneret et al., 2007, p. 294). Nous le percevons également au travers d’associations entretenant des relations proches avec le cabinet, dont l’ASORT (Association Suisse de l’Organisation Rationnelle du Travail) et l’Office de l’Industrie. En effet, ceux-ci, dont surtout l’ASORT, pratiquaient des tests d’aptitudes mis sur pied par l’Institut Rousseau et sur demande de certaines entreprises.

Nous avons trouvé un nombre significatif de ces tests d’aptitudes que le cabinet faisait passer à des jeunes adultes en fin de scolarité afin d’observer la concordance entre le choix éventuel du jeune adulte ainsi que ses aptitudes, avec les aptitudes demandées par le métier visé.

Certains tests ne visaient pas un métier mais avaient pour but de définir un « profil » de travailleur afin de savoir vers quelle activité orienter la personne. Ces tests portent sur des dimensions multiples comme les aptitudes intellectuelles et mentales, ainsi que la santé physique.

La signification de l’orientation n’est pas ici d’orienter des jeunes adultes vers leurs

aspirations ou vers un métier qui les intéresse, mais plutôt de les orienter vers un métier qu’ils sont

capables d’effectuer selon leurs aptitudes. Leurs capacités, dépendantes de ces tests

psychotechniques élaborés par plusieurs psychologues de l’époque comme, nous l’avons

courtement mentionné, Claparède à Genève et Piéron en France, indiquent si leur choix initial est

cohérent et donc validé. Sinon, des solutions alternatives sont proposées afin de rediriger la

(16)

Page 13 sur 245

personne vers un métier ou une profession qu’elle serait mieux à même de pratiquer. Par ailleurs, en France, Piéron, psychologue et philosophe, fonde 10 ans après la naissance du cabinet à Genève, c’est-à-dire en 1928, l’Institut national d’orientation professionnelle qui est devenu aujourd’hui l’INETOP (Institution National d’Étude du Travail et de l’Orientation professionnelle).

Nous avons trouvé dans les archives un nombre important d’écrits, plus précisément des lettres de correspondances, entre le cabinet, l’ASORT et l’Office de l’Industrie. Ces contacts fréquents indiquent le lien se construisant et se développant entre le monde du travail et le monde de l’orientation professionnelle, ce dernier étant géré par des chercheurs dans une optique de psychologie appliquée. Mais certaines tensions dans les rôles et obligations de chacune de ces institutions indiquent également le contexte de l’époque en mouvement.

Parmi ces écrits, le directeur de l’Office de l’Industrie, Mr. Rudhart, a rédigé un texte d’une page appelé « Le choix d’une carrière » (annexe 1), nous supposons en 1922 ou 1923 (la date exacte n’est pas mentionnée). Il décrit notamment la mise sur pied d’examens psychotechniques d’entrée à l’École d’horlogerie avec l’aide de l’Institut Rousseau. Ces tests ont permis « un classement des futurs élèves », pour finalement constater que les deux derniers étudiants du classement, après une année dans cette école, en ont été écartés car jugés « incapables » pour continuer la formation. Rudhart relève également l’intérêt de constater que le classement effectué par ces tests psychotechniques a concordé avec le classement des résultats des étudiants après une année dans l’entreprise, lorsqu’ils étaient jugés par leurs maîtres d’apprentissage. Le directeur de l’Office de l’Industrie juge ainsi la pertinence de ces tests d’aptitudes « car il sera dans la suite possible, sinon de refuser l’entrée à des jeunes gens désireux de se vouer à telle ou telle profession […] en montrant les résultats obtenus, déconseiller fortement aux parents de guider

leurs enfants dans telle ou telle

carrière » (annexe 1, 8

e

paragraphe).

Nous relevons ainsi un double discours dans cette source : Mr. Rudhart utilise les termes de « choix de carrière » et de vocation pour finalement donner raison aux aptitudes des individus.

C’est en effet ces dernières qui détermineront la place que peuvent prendre, ou pas, les postulants.

Donc malgré l’idée de pouvoir faire un choix dans sa carrière professionnelle, les aptitudes et les capacités des individus, mesurées à un moment précis, semblent définir et caractériser l’orientation professionnelle de l’individu.

Ce texte nous donne ainsi un aperçu de ce que signifie l’orientation au début du 20

e

siècle,

qui n’est finalement pas tant émancipatrice que les discours libéraux peuvent supposer, dont le

discours de Claparède par exemple. L’orientation professionnelle est même, à cette époque, à

(17)

Page 14 sur 245

l’opposé de cet idéal qui « permet le contrôle social de la mobilité des individus tout en faisant abstraction du sujet acteur » (Thomann Jeanneret et al., 2007, p. 293).

Nous avons relevé que l’une des missions du cabinet était de construire des tests psychotechniques mesurant les aptitudes définies dans un métier. Pour connaître ces aptitudes attendues, nous avons repéré dans l’annexe 2 une fiche manuscrite prenant note des aptitudes nécessaires dans un domaine professionnel (dans ce cas, la menuiserie). À partir d’une observation directe en classe de 6

e

primaire sont relevés 12 points pour l’évaluation des aptitudes jugées nécessaires pour ce métier du bois (qualité, exactitude, rapidité du dessin, etc.). Cette fiche, portant une attention centrale sur l’aspect technique du métier, indique également des critères d’une autre catégorie, telle que « attention pendant les explications données » (point 8) ou la « politesse » (point 11). Ces informations nous permettent de mieux comprendre comment et à partir de quels éléments concrets sont construits les tests d’aptitudes.

Observons à présent en détails, pour comprendre comment se traduisait concrètement l’orientation professionnelle, certains tests d’aptitudes effectués. Ceux-ci étaient également dans le fond JJR concernant le cabinet.

Dans l’annexe 3, nous pouvons analyser un examen médical qui faisait partie d’un test d’aptitudes. Celui-ci atteste d’une décision défavorable au choix initial d’un jeune adulte appelé Paul Dubois, 15 ans. Paul souhaite devenir cordonnier mais la conclusion du Docteur ne va pas dans le même sens. En effet celui-ci écrit dans la rubrique « Observations spéciales » : « Enfant délicat peu propre à un métier demandant un gros effort. Apte à être cordonnier ? La seule contre- indication est la vie trop renfermée et trop sédentaire pour ce métier ». Cette conclusion, qui ne paraît toutefois pas irrévocable (puisqu’il y est écrit « la seule contre-indication »), tend à démontrer un désaccord du médecin. La première phrase de ce paragraphe (« Enfant délicat peu propre à un métier demandant un gros effort ») donne le ton et indique relativement clairement un désaccord entre les capacités de Paul et ce qui est attendu du métier visé (cordonnier). Ce résultat médical et le test d’aptitudes psychotechniques sont ensuite transmis au cabinet qui prend par la suite une décision, et répond généralement aux parents des postulants en émettant des recommandations. Nous n’avons toutefois pas trouvé la suite d’une telle décision concernant Paul Dubois.

Nous saisissons à nouveau, par l’extrait de ce document, combien la question du choix est

limitée. Si les personnes répondent aux critères préétablis par ces tests, alors elles ont des chances

de leur côté. Dans le cas inverse, ces personnes sont « réorientées » vers des métiers leur

correspondant mieux, tâche à laquelle s’attèle le cabinet.

(18)

Page 15 sur 245

Un second et dernier exemple de test psychologique effectué confirme la prédominance d’un classement des individus. Il s’agit d’un test psychologique effectué en 1925 auprès de Jean Badel, né en 1906. Ce jeune homme a alors 19 ans. Celui-ci passe un test psychologique pour savoir vers quel métier il peut s’orienter. Mais les résultats négatifs « n’offrent rien de suffisamment saillant » et conduisent les décideurs à orienter Jean vers des « travaux simples et faciles » comme le cartonnage notamment. Malheureusement, nous ne savons pas comment les catégories citées, comme « l’intelligence générale », sont évaluées. Mais la présence de celle-ci (« intelligence générale » et « intelligence mécanique »), qui est jugée faible dans ce cas, nous donne une information sur les croyances quant aux capacités des individus. Celle-ci diffère d’une personne à une autre, comme aujourd’hui, mais surtout c’est l’aspect « définitif » qui est intéressant à soulever. Il apparaît en effet qu’il s’agit d’un « état de fait » irrémédiable, telle une fatalité, et c’est ainsi que Jean Badel se verra attribuer un emploi à la hauteur de son

« intelligence » ou autrement dit, de ses aptitudes.

Finalement, ce classement ou cette orientation des individus est intéressante car elle nous indique qu’elle est, en quelque sorte, définitive. Les individus se retrouvent alors « figés » dans une activité leur correspondant à partir d’évaluations et de jugements extérieurs, et sans l’idée d’évolution. L’idée de mobilité et de changement d’emploi, comme nous la connaissons aujourd’hui, est alors encore très éloignée.

En conclusion, sur le sens donné à l’orientation professionnelle, ces tests d’aptitudes et examens médicaux nous révèlent une forte présence, malgré l’idée initiale d’orienter les individus vers leur « vocation », de déterminismes sociaux par les décisions imposées de services extérieurs.

Nous pouvons également émettre l’hypothèse que les jeunes adultes faisant appel aux services de ce cabinet sont ceux dont la catégorie socio-professionnelle des parents est moyenne, voire aisée.

Ceci car ces étudiants ayant un bon parcours scolaire et une situation familiale aisée, ils continuent leurs études pour atteindre des métiers « nobles » (avocat, médecin, etc.). Cette fracture des horizons de métiers nous semble visible dans l’étude de ces différents documents. Ces inégalités nous sont également perceptibles par l’analyse de sources historiques effectuées et par ce que nous connaissons de l’Histoire.

En effet, c’est uniquement à partir des années 60 notamment que Bourdieu et Passeron

(1964 et 1970) ont dénoncé en France ces inégalités de reproduction dans les systèmes scolaires

et académiques dans les ouvrages « Les Héritiers » et « La reproduction ».

(19)

Page 16 sur 245

Qu’en est-il du processus historique de l’orientation professionnelle ? Il convient de relever que l’idée de créer un cabinet d’orientation professionnelle, même si dans les faits cela n’est pas encore le cas dans ce contexte comme nous l’avons vu jusqu’à présent, vient apporter une faille dans cette volonté de « figer » la place et l’activité des personnes. En effet, on constate que l’idée du choix réel d’un métier fait par un individu et des changements possibles dans un parcours professionnel prend une posture grandissante.

L’entre-deux guerre indique, selon le dictionnaire historique suisse en ligne, un paysage revenu aux valeurs conservatrices et autoritaires ayant pour impact d’institutionnaliser l’orientation professionnelle sous la coupe indirecte de l’économie et de la rationalisation, comme nous avons tenté de le démontrer. Dès 1945, les choses s’ouvrent sur une conception à nouveau plus libérale. Cette période, c’est-à-dire l’arrivée des trente glorieuses, signifie une évolution radicale dans les secteurs d’activité économiques : la Suisse et l’Europe passent à une économie basée sur un secteur primaire au secteur secondaire – et cela est visible dans la présence de l’industrie et de l’idée de rationalisation du travail. Ce processus a commencé au début du siècle passé et a perduré sur plusieurs dizaines d’année. Il a surtout évolué en dépassant le secteur secondaire pour parvenir à une forte prédominance du secteur tertiaire, c’est-à-dire par une économie de services.

Cette évolution, voire bouleversement qui s’est fait dans les années 50-60, demande des compétences précises pour des métiers qui se spécifient davantage et font de plus en plus prendre conscience de l’importance de la formation et de l’orientation. Les changements économiques, sociaux et culturels (comme par exemple les évènements de mai 68) deviennent visibles dans le marché du travail. Puis la fin des trente glorieuses avec les crises économiques va également se traduire par différents besoins d’adaptation de la main d’œuvre et d’innovation technique. C’est à cette époque que commence à entrer dans la norme l’idée de changer de métier et donc, le renforcement du besoin en orientation professionnelle notamment. On perçoit des mouvances professionnelles dues aux spécifications (évolutions technologiques) mais également aux rationalisations. C’est également à cette période que l’adulte est de plus en plus pris en considération en tant qu’individu qui doit se former de manière permanente. Les fonds d’archives volumineux de Raymond Uldry, qui a beaucoup œuvré pour la formation professionnelle et l’encadrement des jeunes, démontrent l’arrivée de trajectoires professionnelles moins figées, beaucoup plus mobiles et changeantes.

Ce constat nous permet de répondre à notre questionnement relatif au processus historique

de l’orientation professionnelle : celle-ci naît d’abord d’une idéologie de liberté émancipatrice qui

s’applique pourtant sur un fond de rationalisation du travail. Mais elle se développe petit à petit

(20)

Page 17 sur 245

grâce aux différentes évolutions, et aux besoins économiques et sociaux. Nous pourrions donc admettre que ce processus est également en lien avec l’évolution de la société dans la période des années 50 à 80, notamment avec l’évolution dans les secteurs d’activité économique. Il s’agit en effet d’avoir des travailleurs aptes à répondre à des besoins économiques mouvants et à évoluer dans un marché du travail toujours plus instable. La question de l’orientation professionnelle prend alors toute son importance, et elle se combine avec l’arrivée de termes tels que par exemple l’idée de « trajectoire de vie », « éducation permanente » puis « éducation des adultes » et « reconversion professionnelle ».

S

YNTHESE

L’orientation professionnelle de cette époque des années 1920 est finalement encore très éloignée de l’idée de reconversion professionnelle. Mais elle en a montré les prémisses de par les idéaux naissant de l’époque grâce à des penseurs tels que Claparède par exemple.

Ce type de recherche sur des sources historiques est intéressant par le côté « enquête » de ce travail ainsi que par l’importance de resituer l’objet dans son contexte. Nous espérons, malgré le fait que nous avons parfois choisi des « morceaux » de sources, que ce but a été atteint. En effet, il n’est pas évident de reconstituer « une histoire » à partir de bribes de celle-ci, puisque les fonds dépouillés et partiellement analysés ne comportent pas toutes les pièces nécessaires pour la construction d’un fil rouge. D’où l’importance de consulter les monographies et les ouvrages de référence afin d’apporter des éléments pour pallier à ces « trous » interprétatifs.

Entrons maintenant dans le deuxième chapitre de ce mémoire pour observer comment est

traité notre objet de la reconversion professionnelle dans le sens commun, puis dans la littérature

scientifique.

(21)

Page 18 sur 245

CHAPITRE 2 : CONSTELLATION CONCEPTUELLE

Après ce détour historique, revenons au temps présent pour répondre à notre problématique relative à l’expérience de la reconversion professionnelle. Nous allons commencer par établir un état de l’art sur ce que signifie la « reconversion professionnelle » aujourd’hui et comment cette notion est abordée dans la littérature. Nous avons intitulé cette partie « constellation conceptuelle », expression empruntée chez Caroline Dayer (2013), pour développer différentes dimensions faisant partie intégrante de l’expérience de la reconversion professionnelle et qui nous permettront une vue d’ensemble de notre objet de recherche. En effet, on ne peut analyser la reconversion professionnelle sans travailler certains thèmes, dont ceux de l’identité, du changement, de la temporalité, de la notion de projet et d’épreuve par exemple. Nous développons également les propositions théoriques de Catherine Négroni qui a beaucoup travaillé sur la reconversion professionnelle volontaire.

Avant d’entrer dans ces différentes dimensions, nous présenterons quelques constats empiriques sur la signification de ce terme dans le « public », sur le terrain. Puis nous analyserons la notion de reconversion professionnelle dans une perspective étymologique et sémantique.

C’est par la suite, dans un deuxième temps, que nous approfondirons l’analyse théorique avec une revue de la littérature selon divers apports disciplinaires et différents auteurs.

À

LA CONQUETE DE NOTRE OBJET DE RECHERCHE

Avant de chercher des définitions « savantes », nous avons commencé par prospecter le terrain, et ce de deux manières différentes : la première en interrogeant différentes personnes (actives, étudiantes, à la retraite, mais aucune en reconversion professionnelle) sur ce qu’elles entendaient par « reconversion professionnelle » et sur ce que cela signifiait pour elles. Huit personnes ont répondu à notre demande par e-mail. La seconde manière de découvrir notre objet s’est faite par des premiers entretiens exploratoires auprès de personnes en cours de reconversion professionnelle ou ayant vécu cette expérience.

En analysant les huit réponses obtenues par e-mail sur la signification de ce terme, il en

ressort tout d’abord que ce terme n’était pas clair ou complètement (re)connu de tous. Une minorité

a admis ne pas (re)connaître ce terme. Malgré cet inconnu, nous retrouvons dans les huit avis

exprimés l’idée du changement, même chez la personne qui ne reconnaissait pas ce terme. Que la

reconversion soit imposée ou choisie, nous retrouvons dans ces opinions l’idée d’un passage entre

un avant (l’ancien métier ou l’ancien poste de travail) et un après (le nouveau métier ou le nouveau

poste). Une personne (qui étudie dans le milieu académique) a même nommé la reconversion

professionnelle de tournant dans la vie professionnelle.

(22)

Page 19 sur 245

Nous constatons également dans la majorité de ces expressions la présence de la notion d’effort ou de difficulté dans ce que représente l’expérience de la reconversion professionnelle. À cause de l’investissement personnel et de l’adaptation au changement, la reconversion exigerait, comme l’une des personnes interviewée l’a souligné, de l’énergie.

Concernant les deux entretiens pré-exploratoires, pour l’une des personnes interrogées qui a vécu cette expérience de reconversion professionnelle, il est intéressant de constater que ce terme n’était pas (re)connu. Nous avons, en effet, eu l’occasion d’interviewer une personne qui a changé de métier en passant par une longue formation en alternance, mais qui ne connaissait pas ce terme.

Plus que cela, ce terme ne représentait rien d’important dans le sens où l’urgence pour cette personne était de trouver un emploi stable. Cette première expérience de confrontation avec le sens donné au terme de reconversion professionnelle nous donne une piste sur sa provenance. En effet, nous nous posons la question, à savoir si ce terme n’a pas été créé par des instances sociales ou politiques (tel que le chômage par exemple) pour décrire ce phénomène. C’est-à-dire que ce terme n’est pas né des utilisateurs de la langue, des personnes, mais plutôt d’entités qui travaillent en lien avec le monde du travail.

Nous reviendrons plus tard sur l’analyse de ces entretiens exploratoires.

Q

UE DISENT LES DICTIONNAIRES

?

Après ces quelques premiers constats tirés du « sens commun », analysons à présent plus profondément le terme de reconversion professionnelle.

Une version imprimée du Larousse de 1986 définit le verbe reconvertir ainsi : « Adapter (une industrie, une main-d’œuvre, quelqu’un) à une production, un métier différent : Reconvertir

une usine d’horlogerie en usine de matériel électronique. Il s’est reconverti dans l’hôtellerie ».

Cette première définition intègre l’idée du changement, tout comme l’idée d’un avant et d’un après. Mais puisque nous nous intéressons à la reconversion professionnelle de personnes, nous pouvons lire, dans la version électronique du Larousse sur Internet, une séparation entre la reconversion d’une entreprise et celle d’une personne. En effet, la définition donnée à propos des reconversions d’entreprise porte une différence avec la définition donnée à propos des reconversions des personnes, c’est-à-dire des reconversions professionnelles (« Affecter quelqu'un à un nouvel emploi, lui donner une nouvelle formation ») (Dictionnaire Larousse).

Cette deuxième définition concernant le sujet indique une passivité de l’acteur (affecter

quelqu’un à un nouvel emploi). Or nous savons qu’actuellement, beaucoup de personnes

choisissent de changer de métier et l’exemple de la première définition prise dans la version du

(23)

Page 20 sur 245

Larousse de 1986 en tient compte (« il s’est reconverti dans l’hôtellerie ») par le verbe, à forme pronominale (« se reconvertir »). Mais que la reconversion soit choisie ou subie, dans les deux cas, nous parlerons avec l’utilisation de la forme pronominale, comme cela est le cas dans l’exemple d’un changement d’emploi forcé : « l’entreprise a forcé certains employés à se reconvertir ».

Aussi, quelle différence y a-t-il entre « reconvertir » et « convertir » ? Le préfixe « re » signifie « la répétition, le recommencement

6

». Dans le syntagme reconversion professionnelle, cette notion de répétition désigne le fait de recommencer un apprentissage, de se former pour un nouvel emploi. Ce n’est donc pas le fait de travailler, mais le fait de prendre un nouvel emploi et tout ce que cette nouveauté apporte qui est répétée. Le verbe « convertir » signifie, toujours selon Larousse, le fait de « changer, de transformer une chose en une chose différente », et il ne concerne donc pas directement l’individu. De là l’intervention du pronom réfléchi pour signifier le fait de

changer quelque chose dans l’individu, c’est-à-dire dans son parcours professionnel.

Après ces premiers éléments, nous retenons que la définition de l’expression reconversion professionnelle signifie un changement professionnel qui passe par une formation.

Il est difficile d’imaginer changer de métier ou d’activité professionnelle sans formation, mais pour éviter toute confusion, nous intégrons dans la définition du terme de reconversion professionnelle pour ce travail, l’ingrédient de la formation. Cet aspect de la formation ne concerne pas le métier de la personne, mais le processus de reconversion professionnelle. C’est-à-dire qu’une personne non qualifiée (un métier sans formation) qui se forme (avec une formation pour se reconvertir professionnellement) dans le but de changer d’activité est également concernée par notre problématique.

La présence de la formation dans l’expression reconversion professionnelle se perçoit également si l’on se tourne vers les langues étrangères. En effet, l’allemand traduit reconversion professionnelle par « Umschulung » : « um » préfixe équivalent au « re », et « Schulung » signifiant la formation. En anglais, le même constat s’impose, malgré plusieurs traductions possibles. Nous retenons celle de « retraining » avec la même idée précitée qu’en allemand. Ainsi, l’anglais et l’allemand indiquent linguistiquement la présence de la formation. C’est pourquoi nous retenons cet aspect dans la définition de la reconversion professionnelle, et puisque cette formation concerne le stade de la vie active et du monde professionnel, il s’agit de formation continue.

Cette formation continue peut être formelle aussi bien que non formelle. Les différences entre ces deux catégories se lisent dans la Loi fédérale sur la formation continue. La formation formelle est « réglementée par l’État et […] dispensée dans le cadre de la scolarité obligatoire »

6 Propos tirés du site Internet http://www.synapse-fr.com/manuels/PREFIXE.htm

(24)

Page 21 sur 245

(Loi fédérale sur la formation continue, article 3). Tandis que la formation non formelle signifie la

« formation structurée en dehors de la formation formelle » (idem). À relever que nous ne prenons pas en compte la formation continue informelle, c’est-à-dire tout ce que l’on apprend dans la vie quotidienne sans structure ni organisation (avec la famille, sur le lieu de travail, etc.), car ce type de formation, bien qu’il soit important, est difficilement analysable. Ce type de formation informelle est toutefois aisément imaginable si l’on considère des personnes « déplacées » d’un poste de travail à un autre au sein d’une entreprise qui doivent « apprendre sur le tas » une nouvelle activité. Nous choisissons de limiter notre travail à la reconversion professionnelle intégrant une formation formelle et/ou non formelle.

Aussi et comme nous le verrons par la suite, nous retrouvons également dans les propos de Négroni (2005 a et b) cette idée du changement lorsqu’elle définit la reconversion professionnelle - volontaire toutefois.

Avant de développer notre revue de la littérature, il reste encore un point à clarifier sur l’utilisation de la notion de reconversion professionnelle : de quoi parle-t-on ? D’un changement de métier ou de profession ? De poste de travail ? D’activité ? Négroni parle dans sa définition

« d’activité, de secteur ou de profession » (Négroni 2005a, p. 313). Nous intégrons également ces trois termes pour désigner la reconversion professionnelle, bien que tout au long de ce travail, nous utiliserons le terme principal d’activité.

Après ce premier développement sur notre objet de travail, une première synthèse semble appropriée. Ainsi, nous définissons la reconversion professionnelle par un changement d’activité

professionnelle que subit ou choisit une personne dans son parcours professionnel, en passant par une formation continue formelle ou non formelle.

À présent, observons comment est traitée la notion de reconversion professionnelle selon

certaines de ses composantes ou de ses thématiques, et chez différents auteurs.

(25)

Page 22 sur 245

L

A DIMENSION DU CHANGEMENT

Le chapitre historique a clairement mis en évidence combien le changement devait être évité, notamment dans les parcours professionnels, au début du 19

e

siècle. Aujourd’hui, nous vivons dans l’omniprésence du changement qui est intégré dans différents domaines (social, économique, environnemental, etc.) et à différents niveaux (individuel et collectif). Diverses causes amènent des situations fluctuantes, dont notamment les instabilités économiques et/ou politiques, l’évolution démographique, l’arrivée des nouvelles technologies requérant une constante adaptation et de nouveaux apprentissages. Beaucoup d’autres causes pourraient encore être évoquées.

Concernant le monde du travail, l’adage actuel de « l’apprentissage tout au long de la vie », qui signifie que la formation ne concerne plus uniquement une tranche d’âge mais doit évoluer tout au long de la vie des individus, rend saillant le besoin des individus de s’adapter et de répondre à différents besoins de la société (économiques, sociaux, etc.). Aussi, nous comprenons à la lecture critique de Bauman (Bauman, 2006) que cet adage, qui fait partie des recommandations de l’Union européenne, vient accentuer la notion de responsabilité individuelle, tout comme la Loi sur la formation continue. En effet, chacun est à présent responsable de son niveau de formation, de son

« adaptation » au monde du travail et à ses besoins. Or, l’accès à la formation n’est pas le même pour tous et la relation biographique que chacun porte envers l’école amène des conceptions très différentes d’un individu à l’autre concernant l’apprentissage et la formation.

Comme le relève Bauman (2006), la formule de l’apprentissage tout au long de la vie entend responsabiliser, mais il suppose des compétences dans un « jeu conçu par d’autres » (Bauman, 2006, p. 198). Pour lui, « « l’incertitude fabriquée » constitue le principal instrument de domination » (Bauman, 2006, p. 197) et il critique fortement le marché qu’est devenu la formation continue. Nous avons souhaité mentionner cette critique car elle permet une distanciation avec l’objet de la formation ainsi que par rapport à notre futur rôle de formateur d’adultes.

Finalement, qu’elle soit forcée ou choisie, la reconversion professionnelle implique un changement. Or celui-ci « n’est pas naturel » comme le soulèvent Pourtois et Demonty (2004, p.

154), et ce malgré son omniprésence dans notre société. Cela est visible lorsque nous observons les ateliers de bilans de compétence, les cours proposés par le chômage pour saisir des opportunités, ou le rôle des formateurs d’adultes qui doivent « accompagner le changement », etc.

Nous allons à présent décortiquer le concept de changement selon qu’il soit choisi ou désiré par la

personne, ou au contraire subi.

(26)

Page 23 sur 245

Commençons dans l’optique d’un changement désiré par la personne. Dans beaucoup de cas, un changement de métier est désiré par des personnes qui se remettent en question. Mais selon un article sur le changement paru dans la revue « Sciences humaines » en 2009, peu de personnes passeraient à l’acte pour effectivement changer de profession. Et les statistiques manquent à ce sujet.

QUELQUES DONNEES STATISTIQUES

Que sait-on officiellement sur la reconversion professionnelle ? Il n’est pas facile de rassembler des données précises sur le sujet tant la diversité des parcours possibles est foisonnante.

Mais aussi parce que surviennent des difficultés de définitions.

En effet, selon la revue Panorama (2008) qui a tenté de traiter le sujet : « ce n’est pas une personne sur deux qui change de métier, ni une personne sur trois, c’est une question de définition

7

» (Fleischmann, 2008, p. 3). En effet, il est peu évident de connaître le nombre exact de personnes qui se sont reconverties professionnellement tant les découpages des métiers mais également des statuts et des positions hiérarchiques (employés devenant responsables de service) ne sont pas évidents à saisir.

Pour illustrer cela, prenons l’exemple des différentes professions qui sont recensées par la Confédération depuis 1900. Plus récemment, et de manière beaucoup plus détaillée, l’office fédéral de la statistique tient à jour une nomenclature suisse des professions appelée « NSP 2000 ».

Cette dernière contient actuellement environ 19'000 professions classifiées « selon un ordre semblable à celui des domaines d’activité économique » (site Internet OFAS, 2015). Les professions sont réparties parmi neuf catégories (par exemple 1-Professions de l’agriculture, de l’économie forestière et de l’élevage. 2-Professions de l’industrie et des arts et métiers, etc.).

Comme le relève Daniel Fleischmann, si on entend par reconversion professionnelle une personne qui passe d’une de ces catégories à une autre après avoir changé de métier, alors le taux serait de quatre personnes sur dix (Fleischmann, 2008, p. 3). Toutefois, une reconversion professionnelle peut également avoir lieu même si une personne change de métier sans pour autant changer de catégories parmi les neuf existantes. L’exemple repris de Fleischmann est celui d’une personne qui travaille d’abord en tant que mécanicien électronique et qui ensuite devient ébéniste : malgré le net changement d’activité, la catégorie 2 de la NSP 2000 (Professions de l’industrie et des arts et métiers) reste la même. Il semblerait que dans ce cas concernant le « type » de métier qui change, le taux passe à six personnes sur dix.

7 Traduit de l’allemand par nos soins.

(27)

Page 24 sur 245

Aussi, le terme de profession peut poser des questions « selon qu’il s’agisse de métiers (coiffeur ou relieur), de formations (germaniste ou philosophe), de types d’emploi (personnel du département ou employé municipal) ou encore selon les positions occupées (fonctionnaire habilité ou chef de rayon) »

8

(Fleischmann, 2008, p.3). Tout ceci rend les analyses statistiques complexes.

Il apparaît toutefois clairement que le nombre de personnes qui changent de métier a augmenté de manière significative ces trente, voire quarante dernières années.

Il y a ensuite les personnes qui souhaitent changer de métier (huit sur dix pour la France selon Lhérété, 2013, p.40) mais qui ne le font pas. Là aussi, il est difficile d’établir des données statistiques selon que les personnes expriment ou non leur volonté de changer de métier, voire également selon les demandes de reconversion professionnelle refusées par des institutions d’aide (l’Assurance invalidité) ou des directeurs d’entreprise qui ne voient pas d’intérêt à accorder du temps ou de l’investissement dans les reconversions professionnelles de leurs employés, c’est-à- dire à l’interne de l’entreprise. Au niveau de la mobilité professionnelle, changer de métier, de manière libre ou de manière forcée, implique de lourdes responsabilités et un engagement important. La mobilité est aussi un effet de la précarité (Corrèges, 2013, p. 44). Comme Corrèges le souligne, « environ un tiers des chômeurs qui retrouvent un emploi changent de métier et de qualification » (Corrèges, 2013, p. 44).

Dans l’optique d’un changement initié par la personne, nous apprenons à la lecture de cette revue que changer (volontairement) de profession signifie « passer du rêve à l’action ». Il y a donc quelque chose de l’ordre de la transformation, d’une quête de sa personnalité, de ses aspirations telles que décrites par Boltanski & Thévenot (1991) concernant le « monde de l’inspiration ».

Certains sociologues admettent aujourd’hui que la transformation de soi relève d’une « dynamique profonde de la modernité » (Sciences humaines n°205/2009). Nous nous posons toutefois la question, à savoir dans quelle mesure un changement involontaire de profession peut également amener vers une telle transformation. En effet, une reconversion forcée peut-elle également devenir ou contenir une part de quête d’aspirations ? Nous reprendrons cette hypothèse lors de l’analyse des données empiriques.

Revenons à présent sur le cas des reconversions choisies et arrêtons-nous un instant sur Négroni qui a activement travaillé sur la reconversion professionnelle (RP ci-après) volontaire.

8 Traduit par nos soins.

Références

Documents relatifs

du traducteur, c’est aussi dans cette perspective qu’un bon nombre de spécialistes dont Paul Ricœur préconisent ,à juste titre, une dimension éthique à cette profession .Avec

Le niveau manifeste du fait numérique faisant écran dans nos séances pour aller plus loin (les élèves tournent en rond), nous avons cru bon de mettre la lumière

Mais la circonspection dans laquelle la devise «Je me souviens», inscrite sur celles du Québec, l’a jeté lorsqu’il s’est installé chez nous, l’a conduit à

Elles ont été intégrées en premier dans Excel de 1992 (N° 4) puis dans Excel 93 (N° 5) qui a été le premier programme Microsoft voyant apparaître le langage VBA (voir définition

Wolff (2015) définit les moments des concerts par des plaisirs extrinsèques de l’acte musical : « (…) il y a tous ces plaisirs liés aux conditions objectives de sa réception :

Ces logiciels peuvent parfois scénariser les enchaînements de séquences (audio et vidéo) et créer des didacticiels ("Director"), des films interactifs ou de

Donc, le ministère a introduit des jeux sans grand rapport les mathématiques pour diminuer sournoisement le volume horaire de mathématiques,

La virgule permet de séparer la partie entière de la partie décimale dans un même nombre.. Elle indique le rang