FACULTÉ DE MÉDECINE ET DE PHARMACIE DE BORDEAUX
ANNÉE 1897-1898 n" 35
CONTRIBUTION A L'ÉTUDE SUR
L'EMPLOI
du
ï I)Ë MERCURE
EN OCULISTIQUE
THESE POUR LE DOCTORAT EN
Présentée et soutenue publiquement le 17 Décembre 1897
PAE
Laurent-Jean-Joseph
COLIN
Elèvedu Servicede Santé de laMarine
NéàN'érac(Uot-ct-Garne), le 5 Septembre 1873
mm. bad.vl . . . professeur. . Président.
Eaaminalcurs d. la ThCsc : I
ETi
'.ÇST;
'!
J„«.braquehaykagrégé. . . . i
Le Candidatrépondraauxquestionsqui lui seront faitessurlesdiverses
parties de l'Enseignement médical.
BORDEAUX
Imprimerie Miocque-Balarac, Rue d'Albret, 26
1897
FACULTÉ DE MÉDECINE ET DE PHARMACIE DE BORDEAUX
M. PITRES Doyen
PROFESSEURS : MM. MICÉ
AZAM \ Professeurs honoraires.
DUPUY
MM. MM.
Clinique interne . .
Cliniqueexterne . .
Pathologie interne.
Pathologieetthéra¬
peutiquegénérales Thérapeutique . . .
Médecineopératoire Clinique d'accouchements . .
Anatomiepathologique . . .
Anatomie...
Anatomie générale
ethistologie . . .
) PICOT,
j PITRES.
; DEMONS.
3LANELONGUE
N...
VERGELY.
ARNOZAN.
MASSE.
MOUSSOUS.
COYNE.
BOUCHARD.
Physiologie JOLYET.
Hygiène LAYET.
Médecine légale . . MORACHE.
Physique BERGONIE.
Chimie BLAREZ.
Histoire naturelle . Pharmacie
Matièremédicale. .
Médecineexpérimentale. . .
Clinique ophtalmo¬
logique BADAL.
Clinique des maladies chirur¬
gicales des enfants . . .
Clinique gynécologique . . .
GUILLAUD.
FIGUIER.
DE NABIAS.
FERRE.
. VIAULT.
AGRÉGÉS EN EXERCICE :
section de,médecine (Pathologie interne et Médecine légale).
PIECHAUD.
BOURSIER.
MM. MESNARD.
CASSAET.
AUCHE.
MM. SABRAZES.
LE DANTEC.
section de chirurgie et accouchements
Pathologie externe.
Anatomie
Physique.
Chimieet toxicologie
Accouchements ( MM. VILLAR.
' BINAUD.
I BRAQIJEHAYE.
section dessciences anatomiques et physiologiques
3MM. RIVIÈRE.
I CHAMBRELENT
I MM. PRINCETEAU.
i CANN1EU. Physiologie. . . . MM. PACHON.
Histoire naturelle BEILLE.
section des sciences physiques MM. SIGALAS.
DEN1GES.
Pharmacie . . M. BARTHE
COURS COMPLEMENTAIRES
Clinique interne des enfants MM. MOUSSOUS.
Clinique des maladies cutanées et syphilitiques Clinique des maladies des voies urinaires.
Maladies dularynx, des oreilles et du nez Maladies mentales
Pathologie externe Accouchements Chimie
DUBREUILH.
POUSSON.
MOURE.
REGIS.
DENUCÉ.
RIVIERE.
DENIGES.
Le Secrétaire de la Faculté: LEMA1RE.
Par délibération du 5 août 1879,la Facultéaarrêté que les opinions émises dans les Thèsesqui luisontprésentées doivent être considéréescommepropresàleursauteurs,et qu'ellen'entend leur donner ni approbation ni improbatioD.
A mon Président de Thèse
MONSIEUR LE DOCTEUR RADAL
PROFESSEUR DE CLINIQUE OPHTALMOLOGIQUE
CHEVALIER DE LA LÉGION D'HONNEUR
OFFICIER DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE
INTRODUCTION
Ayant passé près d'une année à la clinique
ophtalmologique
de l'hôpital Saint-André, au service de M. le professeur
Badal,
nous nous sommes particulièrement intéressé à la médication
par les injections sous-conjonctivales.
Nous ne prétendons rien apporter de nouveau à cette
médication déjà ancienne, nous venons simplement consigner quelques observations à l'appui de cette doctrine, si souvent discréditée, et que quelques praticiens refusentencore d'adopter.
Mais avant d'entrer en matière, qu'il nous soit permis de
rendre hommage à nos maîtres des
hôpitaux civils
etmilitaires.
Nous adressons à M. le docteur Fromaget tous nos remer¬
ciements pour la bienveillance
qu'il
nous amontrée
et pourles
conseils qu'il nous a donnés.
Nous sommes aussi très heureux de témoigner à M. le
docteur Ulry toute notre sympathie en retour de son
aimable
obligeance, et àM. le docteur Badal,
nousoffrons l'expression
de notre vive reconnaissance pour l'honneur qu'il nous fait en
voulantbien présidernotre
thèse, dont il
nous adonné l'idée.
PLAN
Nous diviserons notre travail :
1° Nous ferons brièvement l'histoire des différentes injections sous-conjonctivales, et après avoirmontré les différentes critiques qu'on leur a faites et les plaidoyers en leur faveur, nous essaye¬
rons de faire reposer la méthode sur des lois d'anatomie et de physiologie ;
2° Nous traiterons du mode de pénétration des substances injectées sousla conjonctive;
3° Nous parlerons du pouvoir microbicide du cyanure de
mercure;
4° Nous exposerons les résultats cliniques en disant quelques
mots des affections oculaires d'origine syphilitique;
5° Nous ferons l'exposé des inconvénients des injections sous- conjonctivales du cyanure de mercure et des procédés employés,
pour tâcher d'y remédier;
6° Nous concilierons en exposantle procédé opératoire.
CHAPITRE PREMIER
Ce fut en 1866 que Rothmund introduisit dans la
thérapeu¬
tique oculaire les injections sous-conjonctivales
d'eau salée,
pouréclaircir les taies de la cornée. Après lui, Wecker continua avec quelquessuccès la mêmemédication.
L'éveil une foisdonné, un grand nombred'imitateurs suivirent
leur trace, apportant à la nouvelle méthode des
modifications
plusou moins importantes.
Lastrychnine estpréconisée en 1874par
Assmuth,
eninjections
sous-conjonctivales contre la cataracte commençante.
Le salicylate cle soucieestlancé parM. Bjerrum
[Méd. Tidskrift,
1894), qui vante son actionefficace dans les kératites ponctuées,
Lateinture d'iodeapparaîtavec Schweber, quil'injecte
dans le
corps vitré, pour décollement de la
rétine,
etle chlorure de
sodiumavec M. Lodato, à la dose de 2à 3 p. 100.
Le sublimé fut employé pour la première fois
à
Parme par Gallinga, et par Secondi àGènes. En France, Darier, dans la
clinique de son maître Abadie, fit en 1888 les
injections
sous- conjonctivalesdesublimé,
et futchez'nous le grand vulgarisateur
de cette nouvelle thérapeutique.
Le cyanure de mercure vint
plus tard
etRogman, dans
unelettre relatée parValude, dans les
Annales d'oculistique de 1893,
enparle sans trop d'enthousiasme,
à
causede la douleur et de
l'œdèmequ'il a observés, sans cependant
le rejeter,
caril avait
obtenu avec lui de bons résultats.
Mais c'estavec M.Cliibret, de Clermont-Ferrand, qu'ilest véri¬
tablement lancé dans la thérapeutique oculaire. Comme on le voit, la médicationpar les injections sous-conjonctivales remonte bien loin, et les différentsantiseptiques qui ont étéemployéspour
lutter contre le processus morbide, sont très nombreux, car
nousn'avons relaté que les principaux.
On n'est pas sans penser que cette méthode a dû soulever
beaucoup d'enthousiasme chezceux qui avaient obtenu avec elle de bonsrésultats, etbeaucoupde discrédit chez ceux qui n'avaient
obtenu que des insuccès.
M. Mutermilch, dans un article qui parut dans les Annale
d'oculistique en 1894, s'opposefortement àce nouveautraitement,
et M. Gutmann, dans un long travail analytique et clinique,
termine par la conclusion suivante :
« Malheureusement, il paraît qu'il en sera de cette nouvelle
thérapeutique comme il en a été, dans les dernières années, d'autres tentatives dont on a publié trop tôt les résultats, sans les avoir expérimentés à fond. De grandes espérances ont été éveillées, beaucoup de douleur a été occasionnée, à peine un résultat a-t-il été obtenu, etce n'estpasdans un petit nombrede
cas que l'on a nui. »
A côté de ce pessimisme envers les injections sous-conjonc¬
tivales,, nous lisons dans les Annalesd'ocxdistique de 1891, un article de Darierqui, à la suite des bons résultats obtenus dans sa
clinique, dansles cas de kératite, d'iritis, etc., s'exprime ainsi :
« Certaines maladies du fond de l'œil ontbénéficié très rapide¬
ment des injections sous-conjonctivales (chorio-rétinites cen¬
trales, choroïdites, névrites). Les injections sous-conjonctivales
sontindiquées dans tous les cas où il est nécessaire d'enrayer le
mal à bref délai. Aucune médication ne donne desrésultats aussi favorables dans un temps si court. »
Tout dernièrementencore, M. H. Dufour, danssespublications
de Lausanne (imp. Bridel et C% 1896), porte les conclusions suivantes, conclusions qui découlent d'une étude approfondie de
282 observations qu'il a recueillies, soit dans sa clientèle, soit à l'hôpital de Lausanne, depuis 1892:
cc Elles donnent très souvent des résultats admirables etcons¬
tituent,quoiqu'onendise,un grand progrès danslathérapeutique
oculaire ». Comme on le voit, les jugements portés sur la valeur
de cette nouvelle méthode sont nettement opposés, mais si, nous
dégageant un instant des résultats cliniques, nous cherchons à
trouver scientifiquement une valeur réelle à cette médication,
nous sommes obligés de nous ranger à l'avis de M. Darier, qui s'exprime de la façon suivante dans les Annales cl'oculistique
de 1893 :
« La thérapeutique locale que nous poursuivons déjà depuis
bien des années, avec notre maître Abadie, n'estpasbasée seule¬
ment sur l'empirisme, elle repose sur des lois d'anatomie etde physiologie très importantes, comme nous l'avons fait ressortir à
la Société d'Ophtalmologie de Paris, de 1892. »
Puis, au sujet des injections, il nous ditun peu plus loin :
« L'idée qui nous a guidé dans nos recherches estla suivante : Un infectieux primaire ousecondaire se localisant dansun organe aussi important que l'œil, il est de première nécessité d'enrayer
et d'éteindre sur place, si possible, le processus infectieux, sans jamais pourcela perdre de vue la
médication
de la thérapeutique générale. Quand la chose est faisable chirurgicalement, par lefer et parlefeu, le but estvite atteint, mais si leslésions ne sont
pas superficielles, ousi elles intéressent des tissus qu'il est impor¬
tant de respecter, quels moyens nous restent?
Ce qui nousreste, Secondi nousle dit, en quelques mots :
« Injecter l'antiseptique daas le foyer infectieux lui-même, ou dans sesalentours immédiats, de façon à irriguer, à aseptisertout
le territoirelymphatique dans lequel s'est cantonné le processus morbide, tel nous paraît être le but thérapeutique de toutes
les maladies infectieuses bien localisées. » En pourrait-il être
autrementpourles affections du globe oculaire? Je ne veux pas
parler des infections
légères, superficielles, limitées à la cornée.
Pour elles, une antisepsie faite avec beaucoup de soins,au moyen de lavages ou d'applications de compresses, arrêtera
facilement
lamarche de la maladie. On pourra faire au besoin un curettage si
l'infectieux est assez limité et si la cornée offre une résistance
i
— 14 —
suffisante. Toute cette thérapeutique convient à merveille à une affection externe du globe oculaire,àun ulcère de la
cornée qui
ne s'accompagne pas de complications. Mais il arrive souvent quela
plupart desmalades viennentnousconsulter alors que
leurs
jeuxsont depuis longtemps atteints. L'infection,
d'abord localisée,
afait des progrès énormes; dans les cas de
kératite infectieuse,
par exemple, la cornée s'offre à nouscomplètementinfiltrée de
pus,la chambre antérieure remplie d'hypopyon, l'iris recouvert
d'exsudats etprésentantuneteinteterne,lacristalloïde
antérieure
adhérente à la pupille et à la face postérieure de l'iris par de
nombreuses synéchies, etplus tardencore, si le malade a
retardé
davantage, l'on se trouve en présence de tous les
symptômes
d'une choroïdite, d'une panophtalmie ou d'une fonte purulente du globe oculaire.
Mais alors, les désordres survenus sont d'une toute autre gravité et nécessitent untraitement plus
énergique,
untraitement
qui devratendre le pluspossible à localiser dans l'organe
malade,
la lutte du médicament contre l'agentpathogène.
CHAPITRE II
Du mode de pénétration des substances injectées
sous la conjonctive.
Lathéorie nous montre donc qu'il est absolument nécessaire,
pour enrayer le mal, de faire pénétrer l'antiseptique dans le
milieu infecté. Mais alors l'on doit se demander si lapénétration peut se faire etsi les liquides injectés dans l'œil trouveront une voie ouverte dans laquelle ilspourront circuler. Je ne veux pas ici retracerl'histologie de l'œil, je ne ferai que citer un passage de Darier relaté dans les Annales d'ocnlistique de 1893, page244, quinous dit :
« L'œil estdans des conditions admirables pour se prêter à
cette thérapeutiquelocale, par son systèmelymphatique constitué
par des espaces communiquanttous intimemententre eux. Aussi n'est-il paslogique de conclure que le plus sur moyen de faire pénétrer des substances médicamenteasessolubles dans l'intérieur
de l'œil, c'est de les injectersous la conjonctive ou sous l'espace
de Tenon. »
Comme on levoit, comme l'histologie nous le montre, toutes les parties du globe oculaire communiquent entre elles par des lacunes, par des voies lymphatiques où circule le liquide nutritif
de l'œil. Il sera donc possible de faire pénétrer l'antiseptique.
Lesexpériences de Pflueger,avecla Fluorescéine,ontdémontré
que la pénétration se faisait parfaitement et, plus récemment,
— 16 —
MM. les D''s Fromaget et Laffay sont venus par leurs résultats
confirmer la théorie.
Dans leJournal de Médecine de Bordeaux, 1897 (Société d'Ana- tomie), nous lisons : « Avec l'aide de M. le Dr Laffay, nous
avons étudié lapénétration d'un sel facile à déceler dans l'œil, de l'iodure de potassium. Nousnous sommes servi d'unesolution très concentrée : 10 grammes d'iodure de potassium pour 15grammes d'eau.
Le27 février 1897, à 10 h. 15 du matin, nous injectonssousla conjonctive gauche d'un lapin un demi centimètre cube de la solution : soit 33 centigrammes d'iodure. L'œil droit n'a subi
aucune injection et doitnous servir de témoin. A 10 h. 30, nous
ponctionnonsla cornée gauche etnousaspirons l'humeur aqueuse rpie nous plaçons dans un flacon portant le n° 2, puis de cinq
minutes encinq minutesjusqu'à 10 h. 45, nous pratiquons deux
nouvelles ponctions.
A partir de 10 h. 35 et àtroisrepriseségalemeut,nousaspirons
l'humeur aqueuse de l'œil droit et nousla plaçons dans un flacon portant len° 1. Ces flacons sont remis à M. le professeur agrégé
Bartlie qui, avec son obligeance habituelle, a bien voulu rechercherla présence de l'iode.
Voici quelles sont les conclusions de son analyse : le liquide
du flacon n° 1 contientquelques tracesd'iode. Le liquide du flacon
n° 2contient de l'iode en quantité beaucoupplus considérable que celui du flacon n° 1.
La présence de l'iode dans le flacon n° 1 nous démontre que l'iodure estvite entraîné dans la circulation générale. L'abon¬
dance de l'iode dans le flaconn° 2 nous démontre que cette diffé¬
rence tient évidemmentaupassagedirectde l'iode dans l'œil.
Sinous avions cessénos ponctions vingt minutes après l'injec¬
tion, nousn'aurions probablementpas trouvéd'iode dansle flacon
n° 1, puisqu'un bout de trente minutes on ne pouvait en déceler
que des traces très minimes.
Ilne doit donc plusrester de doutes dans l'espritde personne : Les solutions injectées sous la conjonctive passent, dans. le globe
oculaire. r>
— 17 —
Maintenant, l'on doit se demander si tous pénétreront de la
même façon.
Deux propriétés sont nécessaires : il faut que la
substance
injectée soit soluble et diffusible, et sapénétration
sera enraison
directe de ces deux facteurs.
Il suffit pour s'en convaincre de lire la
thèse
duDr Ulry,
soutenue à Bordeaux au mois de décembre 1897.
Dans sa première expérience, il injecte 1/2
centimètre cube de
Fluorescéine à 1 p. 100souslaconjonctive du lapin.
7 minutes aprèstous les tissus sous-conjonctivaux sont
colorés,
lachambre antérieure estcolorée envert.
Dans une deuxième expérience, il se sertd'unesolution
saturée
de Fluorescéine, il en injecte 1/2centimètre cube.
5minutes après, tissus sous-conjonctivaux
fortement colorés,
chambre antérieure d'unvert intense, iris invisible, cornée légè¬
rement colorée.
A la coupe antéro-postérieure, toutest
coloré.
Dans une troisième expérience, il injecte une
solution de
carmin.
24 heures après, il fait l'énucléation et fixe
l'œil dans le formol
chlorhydrique.
Extérieurement,l'on voit une colorationrougedutissu conjonc-
tival aupointinjecté, lacernée est
aussi colorée
auniveau de
ce point, le tissu cellulairesus-scléral présente
uneteinte rosée à la
partie supérieurejusqu'au
nerf optique, à la partie inférieure la
teinte existe, mais moins prononcée.
Dansune coupe verticale
antéro-postérieure
:1° La sclérotique est rosée en haut surtout, un peu
moins
enbas et en arrière, et en bas et en avant elle ne
présente
aucunecoloration.
2° Lachoroïde estrosée en haut surfout.
3° Larétine est bien colorée en rose, surtout au voisinage
de
l'injection. La coloration va endécroissant jusqu'à la partie infé¬
rieure. A ceniveau, larétineprésenteuneteintepresque
ardoisée,
2
— 18 —
normale, et on peut à ce niveau saisir très nettement la-ligne où
s'est arrêtée la substance colorante.
4° Le cristallin n'a rien.
5° Lesgaines du nerf optique sont colorées en rose.
Continuons à suivre la série de ses expériences etnous voyons que dans une quatrième expérience, ayant injecté une quantité plus considérable de carmin, il constate 24 heures après énu-
cléation :
1° Que tout le tissu sous-conjonctival est imprégné de carmin depuis la partie supérieure de la troisième paupière, jusqu'à
l'extrémité inférieure du méridien vertical.
Dansune coupe antéro-postérieure, toutle tissu sous-conjonc¬
tival injecté,ainsi que lasclérotique depuis l'angle irido-cornéen, jusqu'à la pupille.
Le nerf optique avec ses gainesinjectées, mais ne présentant
paslui-même de coloration.
La choroïde légèrement injectée dans sa partie supérieure.
Larétine présentant sur sa face interne une coloration nor¬
male, sa face externe légèrementrosée du côté de l'injection.
Le cristallin n'a rien.
La cornéeavec une coloration légèrement rosée à 1 millimètre du limbe et qui devient plus foncée quand on s'en approche.
Enfin le Dr Ulry termine ses expériences en injectant sous la
conjonctive d'un lapin albinos une solution d'encre de chine stérilisée parl'ébullition.
4jours après, il sacrifie l'animal et ilconstate : une coloration noire des deuxpaupières supérieuresetinférieures etqui s'irradie
des deux côtés de larégion orbitaire.
Tout le tissu cellulaire de l'orbite est coloré en noir. Les espaces extra-vaginaux, les gaineselles-mêmes sont teintées en noirjusqu'au trou optique.
Il fixe alors l'œil au sublimé acétique et deux jours après il
l'ouvre suivant son équateur et constate :
1° Dans le tissu sus-scléral, la sclérotique, la gaine duremé-
rienne dunerfjusqu'au trou optique et au chiasma, la coloration noire qui apparaît nettement.
— 19 —
2° La choroïde ainsi que la rétine ne présentent aucune colo¬
ration noirâtre. Même constatation pour l'humeur vitrée et le
cristallin.
De toutes ces expériences il découle deux faits :
Le premierc'estque les liquides pénètrent dans l'œil, comme
Pfliieger l'avait démontré avec la Fluoresceine.
Le deuxième c'est qu'ilsne pénètrent pas tous également. Or,
si nous portonsnotre attention surles substances dont s'est servi le Dr Ulry, nous remarquons que la Fluoresceine qui a injecté rapidement tousles milieux de l'œil est très soluble et très diffu- sihle, que le carmin qui n'a injecté que les membranes, sans
imprégnerni l'humeur vitrée ni le cristallin, est moins soluble et moins diffusible.
Enfin l'encre de chine qui n'a pénétré que dans la sclérotique
et les gaines dunerf optique est presque insoluble et par le fait
excessivement peu diffusible.
Il est donc indispensable de prendre un antiseptique très
soluble ettrès diffusible pour pouvoir lutter contre le processus
morbide, pour imprégner complètement et sûrement tous les points infectés.
Les corps insolubles, ou qui formeront, injectéssousla conjonc¬
tive, des composés insolubles serontà rejeter.
De tousles sels de mercure, le plus diffusible est sans contes tation le cyanure de mercure ; il ne se décompose pas quand on
l'injecte sousla conjonctive, le sublimé au contraire doit forcé¬
ment pénétrer en moins grande quantité dans le globe oculaire, puisqu'il se transformeimmédiatement enalbuminate de mercure
qui estinsoluble.
Mais en dehors de cette propriété première etessentielle, la diffusibilité, que nous devons demander à la substance injectée
sousla conjonctive, ily en a une autre qui vientimmédiatement après et qui en est le complément, sans laquelle les succès que
nous attendons de cette thérapeutique ne sauraient avoir lieu.
Je veux parler du pouvoir microbicide du liquide, que nous
aurons choisi, et en particulier du cyanure de mercure que
nous préconisons.
.
CHAPITRE III
Du pouvoir microbicide du cyanure de mercure.
Depuis quelques années, le cyanure de mercure
tend à prendre
une place importante dans l'antisepsie
générale.
Onl'emploie
fréquemment, il n'apas l'odeur désagréable de l'acidephénique
et a cetavantage énorme surle sublimé, c'est qu'il n'attaque pas
les instruments. Lachirurgie s'en estemparée pour ce seulmotif,
voyons maintenant sison pouvoir antiseptique peut
le
mettre auniveau des deux premiers.
Dans lathèse du Dr Vialet, médecin de marine, soutenue à
Bordeaux en 1895, nouslisons :
« La solution de cyanure de mercure nous paraissait
donc
donner des résultats plus favorables que le sublimé.
Restait à
savoir si cette solution à 1 p. 100, était aussi antiseptique que la
solution de sublimé à 1 p. 1000, ce qui avait une double impor¬
tance et pour la durée du traitement et pour
l'efficacité de la
méthode, attendu que si la kératite à hypopyon est, comme
nousavons tout lieu de le penser, une maladie infectieuse, elle
doit céder d'autant plus vite que le remède seraplus
antiseptique.
Nous avions donc commencé, au laboratoire de bactériologie de
la Faculté de médecine, gracieusement mis à notre disposition
par M. le professeur
Ferré,
desexpériences tendant à établir le
pouvoirbactéricide comparé dusublimé
etdu
cyanurede
mercure, lorsque nousvîmes, enlisant laSemaine médicale du 23 octobre
1895, que nousavions été devancé, et que ces
expériences
oude
— 22 —
semblables venaient justement d'être faites. Ce sont MM. Ch.
Monod etMacaigne, de Paris, qui viennent de les communiquer
au 9e congrès dechirurgie,tenu à Parisdu 21 au 26 octobre 1895.
L'oxycyanure demercure en solution à5 p. 1000, disent-ils,se montre dans les expériences de laboratoire d'une valeur antisep¬
tique plus grande que le sublimé à 1 p. 1000.
« Sans présenter plus d'inconvénient que le bichlorure de mercure, il offre l'avantage de n'attaquer ni les mains ni les instruments du chirurgien. L'oxycyanure de mercure, sur la valeur duquel M. Cliibret (de
Clermont-Ferrand),
a le premierattiré l'attention, pourrait doncêtre substitué au sublimé dans la
pratique chirurgicale.
« Nous appuyons ces conclusions, d'abord sur unepratique hospitalière et civile qui date de plus de quatre années, puis sur trois séries d'expériences analogues à celles de MM. Tarnier et
Vignal,parlesquelles ils démontrentquel'oxycyanure demercure en solution à5 p. 1000 peut aussi bien, sinon mieux, empêcherle développement d'une culture, tuer une culture développée et
stériliser un corps souillé.
« Nous avons eu soin, pour donner plus de force à notre
démonstration, de fairenosessais, non pas sur des culturespures de streptocoques, et de staphylocoques dépourvues de spores et
présentant parconséquent une médiocre résistance, mais surdes
poussières de salles d'hôpital contenant des microbes variés :
bacille pyocyanique, streptocoque, bacterium coli et surtout un bacille ressemblant àla bactéridiecharbonneuse, munie despores résistant à une température de 100 degrés. »
Il résulte de ces expériences qu'une solution de cyanure de
mercure à 5 p. 1000, ou ce qui revient au même à 1 p. 200, possède un pouvoir antiseptique souvent plus grand, maisentous
cas toujours aussi grand qu'une solution de sublimé à 1 p. 1000.
Or, la solution de cyanure que nous avons
employée chez nos malades était au titre de 1 p. 100, c'est-à-dire jouissait d'un pouvoir deux foisplus fort quela solution de sublimé antérieu¬
rement employée, celle qui occasionna les petits accidents dont
nous avonsparlé plus haut. Théoriquementdonc, il n'y avait plus
— 23 —
lieu de craindre que la durée du traitement ne fût
prolongée
parla substitutiondu cyanure au sublimé, et la pratique est venue
confirmer entous points nos prévisions.
En effet, sur les huit malades traités par le sublimé, un seul (obs. 1) a pu être
considéré
commeguéri
aubout de six jours,
tandis quo les autres n'ontpusortir quedans une
période variant
de dix àvingt-un jours après la première injection.
Au contraire, sur les huit malades traités par le cyanure de
mercure, deux seulement (obs. 9 et 14) ont atteint, le
premier
onze jours, le second douze jours de traitement,
tandis
que tousles autres ont été considérés comme guéris et renvoyés cinq (obs. 11 et 12), six (obs. 13 et 15) et
neuf
jours(obs. 10) après la
première injection.
La durée du traitement étant donc notablement plus courte
avecle cyanure qu'avec le
sublimé,
et d'autre part,ainsi
quenousl'avons montré plushaut, les accidents bien moins
à
redouterpar l'emploi du premier sel de mercure, nous
n'hésitons
pasentreles deux solutions et c'est le cyanure de mercure que nous conseillons d'employer de préférence au sublimé, toutes les
fois
qu'il s'agira de kératite à hypopyon.
Voilà
pour lasolution à
employer.
Plus récemment, nous lisons dans le Journal de Médecine
de Bordeaux, 1897, une publication du Dr Fromaget et du
Dr Laffay, touchant le pouvoir antiseptique du cyanure
de
mercure : « 11 nous restait à savoir, disent-il, si cet œil, guéri cliniquement de son affection, renfermait encore des staphylo¬
coques dans son intérieur. A cet effet nous avons,
après les
précautionsnécessaires, pratiqué uneponction de lacornée
avecune aiguille à paracentèse, et M. Creignou,
préparateur de
M.le
professeurFerré, a bien voulu avec unepipette, aspirer
l'humeur
aqueuse etvitrée, d'une limpidité d'ailleurs
parfaite.
Voici les résultats de ces ensemencements :
Le premierfaitsur gélose, quoique très abondant,
n'a donné
lieu à aucun développement de colonies.
Sur sérum gélatinisé, aubout devingt-quatre heures,
trois
ou quatrepetites colonies blanches, grosses comme une petitetête
— 24 —
d'épinglequi, dans leur évolution ultérieure, ont donné des amas
crémeux de forme irrégulière, de coloration blanc grisâtre. À
l'examen microscopique, ontrouve qu'ils sont constitués par des bacilles, en battant de cloche, longs et gros restantcolorés parle
Gram.
« Mais on ne trouve pas de staphylocoques.
« L'injection sous-conjonctivale avait déterminé complètement
la mort des coloniesstaphylococciennes. »
Ainsi,, le pouvoir antiseptique du cyanure de mercure est nettement démontré.
Il possède donc les propriétés nécessaires aux substances qui
doivent arrêter et détruire les germes infectieux, il est très diffusible et antiseptique, et dans sathèse inaugurale de 1895, le
Dr Vialet ayant recueilli quatorze observations, les unes traitées parle sublimé, les autres par le cyanure de mercure, s'exprime
ainsi :
« Avecle cyanure de mercure, les résultats sontaussi beaux :
Jamais un ulcère n'a progressé, aucune aggravation ne s'est produite, la douleur est moins intense, l'œdème des paupières
ne se produitpresque jamais, il n'y a guère que le chémosis. » Il n'est donc pas étonnant qu'il ait donné aux praticiens de bons résultats dans les maladies infectieuses du globe oculaire.
Jene les citerai pas et me contenterai d'apporter aux documents déjà nombreux quelques observations quej'ai recueillies dans le service de notre maître, le professeur Badal.
Observation I (personnelle).
Kératite à hypopyon.
Berlholon Jean, âgé de G1 ans, demeurant à St-Yivien, se
présente le
5 novembreàla cliniqueophtalmologiquedel'hôpital
St-André
pouruneblessurequ'il reçut dansson œil avec unebranche
d'arbre.
Se plaint de douleurs, présente beaucoup
de larmoiement et de
photophobie.
Lacornéeest presquecomplètementdétruite par une vaste
ulcération,
la chambre antérieure n'existe plus et est remplacée par une
bouillie
puriforme. L'énucléation une
fois proposée est rejetée, et on injecte sous
laconjonctive du cyanurede mercure.
Douleurs violentes durantdeux heuresaprès
l'injection, le lendemain,
chémosisassez intense. Onapplique des compresses
chaudes
etde l'atro¬
pine Lesurlendemain de
l'injection, 7 novembre, l'inflammation est en
voie de régression, l'ulcérationse cicatrise et
l'hypopyon disparait.
Le14novembre jerevois le malade; plus de trace
d'inflammation,
plus depus.
Lemaladequitte l'hôpital guéri.
Observation II (personnelle).
Kératite à,hypopyon.
1° Audouy Adrien, se présente le
26 janvier 1897, à la clinique
ophtalmologique,avecune
kératite k hypopyon, survenue dans son œil
droit àla suited'un éclatde bois.
Ilressent quelques douleurs, moins intenses
qu'au début, mais il ne
peutguère ouvrirlespaupières.
Le larmoiement est assez abondant.
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À l'examen, la cornée a perdu de sa transparence et sur le bord interne l'on voit unepetiteulcération peuprofondeàpourtourirrégulier,
de forme allongée.
Puis l'on aperçoit unevàscularisation trèsépaissepartant de la scléro¬
tique et se dirigeant vers le centre de la cornée.
La chambre antérieure est nuageuse, contenant quelques ilocons de pus.
L'on faituneinjection de cyanure de.mercure le 29 janvier.
30. Chémosis assez fort. Douleurs violentes qui durèrentplus de trois heuresaprès l'injection.
2 février. Phénomènes inflammatoires sesont amendés. La vasculari- sation est devenue moins serrée, la teinte rouge de la sclérotique est.
devenue rosée, l'ulcération tendh disparaître.
La photophobiea diminuée. L'ulcère cornéenestenvoie de réparation.
Le 4 février le maladequitte l'hôpital, l'ulcérationayantdisparuet les troubles inflammatoires presque effacés. Acuité moins nette qu'avant
l'accident, est bien remontée cependant. Le malade qui, à son entrée,
ne voyaitpas la flamme d'une bougie de son œil malade, compte à son
départ facilementles doigtsh une distance de trois mètres.
Observation III (personnelle).
Irido-choroidite et Panophtalmie.
Auguste Laste, rueBrémontier, 57 ans. 0 D
En 1857, areçuun éclat derivet qui a fendu la cornée de haut en
bas,depuis le centrejusqu'à la partie inférieure. Dubrès et Pons le soi¬
gnèrent et constatèrentune cataractequi fut opérée par euxun anaprès.
Le malade peut compterles doigts après l'opération etguérit norma¬
lementsans incident, maissanssouffrance; sa vue s'affaiblit peu à peu.
En 1870 le malade n'y voyait plus de cetœil. En 1897, à lasuite d'un chocqu'il reçut, des douleurs survinrent dans son œil, qui donnaient aussiau malade la sensation de gravier. On diagnostiqua : kératite On lui donnadescollyres successifs qui ne purent empêcher les douleurs
de se produire. M. Lagrange levit le 20 août 1897 etle fit entrer
à
l'hôpital pour un enclavementde l'iris danssaplaie.
L'opération pour dégagerl'iris fut faite.
A la suite, douleurs intolérables,l'œil devient trèsrouge aveccliémosis
développé.
Le malade ressentait deslancementstrès forts desonœil. La pression,
au niveau duprocès ciliaire, était horriblement douloureuse, et même
l'instillation de quelques gouttes de collyre lui provoquait une grande
douleur avecla sensationd'un poids énorme à l'endroit où on le mettait.
Lacornée, l'iris, étaient trèstroubles; la pupille blanche on diagnos¬
tiqueune panophtalmie post-opératoire.
M. Boisseau, externe du service, lui fit alors une injection sous- conjonctivale de cyanure de mercure.
Douleurs très violentes àla suite del'injection, douleurs qui durèrent
deux heures. Bourrelet chémotique volumineux, et œdème des paupières.
Dès le soir même, toutesles douleurs s'amendèrent, le lendemain, les
phénomènes inflammatoires diminuèrent, la rougeur fut moins intense,
lestroubles de la cornée etde l'iris prirentune tendance à larégression.
Le surlendemain, œil presque normal, douleurs disparues, et on neles
éveillait qu'en exerçant une forte pression au niveau du procès ciliaire.
Le maladerestaencore quelques jours à l'hôpital, mais nefit plus de poussées inflammatoires.
Observation IV (personnelle).
DauvinEmile, 31 ans, Bordeaux.
Le maladese présente hlaclinique le 16 juillet1897avec une kératite
à.hypopyon h l'œil droit, causée par un éclat de bois.
Cet hommeprétend avoir eu la vue excellente jusqu'à cet accident,
survenudepuisune dizaine de jours.
Al'examen, sacornéeest infdtréeetsachambre antérieureestremplie
depus. Alapartie inférieure de la cornée siège uneulcérationprofonde.