FACULTÉ DE
MÉDECINE ET DE PHARMACIE DE BORDEAUX
A-ISnsrKE 1900-1901 K° 31
CONTRIBUTION A
L'ÉTUDE
DE
L'ANESTÏÏÉSIE
Par injection sous-arachnoidienna lombaire de cocaïne
THÈSE POUR. LE DOCTORAT EN MÉDECINE
présentée et soutenuepubliquement
le 12 Décembre 1900
par
Jean-Marie-Joseph-Charles-Philippe ADOUE
Né àLannemezan(Hautes-Pyrénées), le26septembre 1873.
MM. LANELONGUE, professeur.... Président.
PIÉCHAUD professeur.... j V1LLAR, agrégé j Juges.
CHAVANNAZ, agrégé 1
Le Candidat répondra aux questions qui lui seront faites sur les diverses
parties de l'Enseignement médical.
Examinateurs de laThèse
BORDEAUX
IMPRIMERIE Y. CADORET
17, Hue Poquelin-Molière, 17
(ancienne ruemontméjan)
1900
FACULTÉ DE
MÉDECINE
ET DE PHARMACIE DEBORDEAUX
M. de NABIAS
Doyen. | M. PITRES Doyenhonoraire.
PROFESSEURS
MM. MICÉ 1
DUPUY Professeurs honoraires.
MOUSSOUS )
Cliniqueinterne.
MM.
PICOT.
PITRES.
nv . , DEMONS.
Cliniqueexterne
J
LANELONGUE.Pathologieetthérapeu¬
tiquegénérales VERGELY.
Thérapeutique ARNOZAN.
Médecineopératoire... MASSE.
Cliniqued'accouchements LEFOUR.
Anatoniiepathologique COYNE.
Anatomie CANNIEU.
Anatoniie générale et
histologie VIAULT.
Physiologie JOLYET.
Hygiène LvVYET.
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Médecinelégale MORACHÇ.
Physique BERGONIÉ.
Chimie BLAREZ.
Histoire naturelle GUILLAUD.
Pharmacie FIGUIER.
Matière médicale deNAJ1IAS.
Médecineexpérimentale. FERRE.
Clinique ophtalmologique BADAL.
Clinique desmaladieschirurgicales
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BOURSIER.
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Chimiebiologique DENIGES.
AGREGES EN EXERCICE :
section de médecine (Pathologie interneetMédecine légale).
MM. CASSAET.
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HOBBS.
section le chirurgie et accouchements
Pathologieexterne
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VILLAR.
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Accouchements MM. CHAMBRELENT.
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Anatomie.
section des sciences anatomiques et physiologiques
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COURS COMPLÉMENTAIRES Cliniquedes maladiescutanées etsyphilitiques
Clinique des maladies des voies urinaires Maladies dularynx, desoreillesetdunez
Maladies mentales
Pathologie externe
Pathologieinterne Accouchements Chimie
Physiologie Embryologie Ophtalmologie
Hydrologieetminéralogie Pathologie exotique
M.BARTHE
MM. DUBREUILH.
POUSSON.
MOURE.
RÉGIS. ,
DENUCE.
RONDOT.
CHAMBRELENT.
DUPOUY.
PACHON.
N.
LAGRANGE.
CARLES.
LE DANTEC.
Le Secrétaire dela Faculté : LEMAIRE.
Pardélibérationdu 5 août1879, la Facultéaarrêté queles opinions émisesdans les 'hèsesqui quileur donnersont présentéesni approbationdoivent être considéréesni improbation. comme propres àleurs auteurs, et qu'elle n'entend
A mon Présidentde Thèse,
Monsieur le Docteur M.
LANELONGUE
Professeurde Clinique chirurgicale àla
Faculté de Médecine,
Chevalier delaLégiond'honneur,Officier de l'Instruction
publique
Membrecorrespondantdel'Académie deMédecine,
Membre del'Académie deBordeaux.
AVANT-PROPOS
Je salue avecunerespectueuse
émotion,
audébut de
cesquel¬
ques lignes, M.
le professeur Lanelongue. Je sais, et en cela mes
souvenirs sontdes plus nets, cher
Maître,
avecquelle sollicitude
parfois bien
vive, mais aussi combien profonde et vraie, vous
avez bienvoulu diriger mes premiers
essais
enchirurgie. Vous
savez aussi que, parmi nous,
étudiants, il
enest beaucoup
pour qui le souvenir du maîtrepréféré est chose douce et devient une
consolation pour les heures
difficiles de l'existence et de la
carrière médicale. De grand cœur,
merci
pourtout cela et
pourbien d'autres choses encore.
M. le professeur
Piéchaud,
envers vosmalades
voususez de
sollicitudeetdedévouement; auprès deceux
qui furent
vosélèves
assidus ou simplement vous
approchèrent,
cen'est, plus de la
sollicitude mais de l'amitié simple, large comme
votre
cœur.Pardonnez àla brièveté de montravail que votre
rigueur scien¬
tifique eût voulu plus complet
et
quele temps et aussi mon
savoir m'empêchent de faire plus
étendu.
M. le professeur Villar, c'est grâce à vos
conseils, à
vostra¬
vaux, à vos gracieux accueils, à mes
incessantes visites
queje
dois d'avoir mené peut-être à bien le
sujet de
mathèse. Je sais
que ma dette est grande.
Permettez-moi de la faire plus grande
encore et quenos relations trop courtes
et trop espacées devien¬
nent désormais plus suivies et
plus nombreuses.
Jadresse à M. le professeurChavannaz
toute
magratitude
pour1intérêtqu'il veut bien porter à mon
travail et l'honneur qu'il
mefait en assistant à mathèse.
CONTRIBUTION A
L'ÉTUDE
DK
L'ANESTHÉSIE
Par
injection sous-araclinoïdienne lombaire de cocaïne
INTRODUCTION
Si le mot opération implique
dans l'esprit de l'opéré à venir
del'appréhensionou même
de la terreur,
cen'est pas seulement
aupoint de vue des dangers
inhérents à toute intervention chi¬
rurgicale, mais aussi au
point de
vuede la souffrance à subir.
Lorsque le médecin propose à son
malade
uneintervention san¬
glante, si bénigne soit-elle, si peu
mutilante puisse-t-elle
paraître, il est rare que le futur opéré ne pose pas
tout d'abord
cette première question. «
Mais il faudra m'endormir, n'est-ce
» pas? Souffrirai-je? C'est-il
douloureux?
»En dehors de ces dernières considérations, dur est pour
la
famille le spectacle d'un de ses
membres devenu tout-à-coup
une chose inerte, en état de mort apparente,
soumise
sansla
moindre défense au couteau du chirurgien. Il s'attache à
l'état
12
de sommeil par le chloroforme ou l'éther, une espèce de décor dromatique. Il semble que cet anéantissement de sensibilité et
d'intelligence ne soit qu'un prélude au dernier souffle, une
antichambre de la mort.
Que de fois ai-je entendu des malades de la campagne, qui
pour la plupart cependant ne connaissent le sommeil chirurgi¬
cal que par ouï-dire, metenir lelangage suivant et presque tou¬
jours dans les mêmes termes :« Oh! monsieur, tout ceque vous
» voudrez, mais je ne me résignerai jamais à me faire endor-
» mir. Sije ne me réveillais plus! »
Le rêve peut-être
longtemps
caressé de nos jours et du vieux temps, de pouvoir, sans anéantir le malade, le soumettre auxexigences d'un traitement rationnel, semblait au premier abord
une utopie, et bien inquiétante eût paru l'affirmation d'un chi¬
rurgien prétendant impunément amputer une jambe en pleine
connaissance et pleinéveil du malade.
Eh bien! ce qui fut utopie hier, est devenu, au moins en
apparence, réalité aujourd'hui, comme tant d'autres rêves.
Une injection de chlorhydrate de cocaïne dans l'espace sous- arachnoïdien lombaire, et dix minutes après, le malade, sui¬
vant ses goûts ou son naturel, voit avec calme, parfois avec
une pleine et entière sérénité (c'est le mot), s'apprêter le terri¬
ble instrument libérateur, entend sans frémir le cliquetis tou¬
jours sinistre des mille pinces et autres outils dans la grande
cuvette flambée.
En lisant cette introduction à mon étude, beaucoup de mes
lecteurs, sans nul doute, tanceront, comme il semblerait le
mériter, mon enthousiasme de jeune et ne verront dans mon
travail que le résultat d'une fougue de nouveau, d'un attrait d'inédit. Et puis, les objections de pleuvoir. Y pensez-vous,
injecter de la cocaïne sous l'arachnoïde, me disait, il y a quel¬
ques jours, unvieux praticien de la campagne,T alors que cet agent, absorbé par la peau, a donné lieu à de si terribles acci¬
dents, syncopes, paralysies et le reste, sans compter les cas de
mort subite qui, pour être rares, ajoutait-il, n'en sont que plus
terrifiants^
— 13 —
Il faut donc me défendre, et
cela
avecméthode. Je ne me
perdraipasdans des considérations théoriques que le cadre de
montravail et le temps me
permettent seulement d'ébaucher.
Ce queje veux
montrer,
ce nesont pas des suppositions, des
espérances sur
l'avenir,
uneprédiction de faits, ce sont des
expériences
bien claires, des résultats dans leur brutalité toute
matérielle et d'autant mieux scientifique et
vraie.
J'ajoute que dans ma
thèse je n'ai visé qu'à établir l'état de
laquestion à l'heure
actuelle et démontrer par cela même que
la méthode était appelée
certainement à
ungrand avenir, lors¬
quede plus
autorisés et de plus outillés que moi auront accu¬
mulé les observations et les expériences sur
l'animal.
Mon plan,je l'ai
simplifié autant qu'il m'a été possible. M. le
professeur Villar
m'en
adonné les grandes lignes. Je me suis
gardé d'apporter de
grandes modifications à
ceplan et me suis
contenté d'ajouter deux chapitres.
J'ai voulu à la fois être clair
et facile à lire. J'ai voulu aussi que la
méthode de Bier
yfût
traitée en entier, que le tableau
de
sonétat actuel fût bien
complet.
J'étudierai donc :
1° L'historiquedel'injection
sous-araehnoïdienne lombaire de
cocaïne;
2° Sa technique; 3°Son étude clinique;
4° La valeur actuelle d'un nouvel agent, l'Eucaine
B, utilisé
au lieu et place de la cocaïne, et
les
moyensde remédier à cer¬
tains inconvénients de la cocaïne par l'association à
la solution
de cocaïne d'autres agentsmédicamenteux ;
5° Les indications et contre-indications du procédé
de Bier
ainsi que ses avantages;
6° Le mode d'action de la cocaïne lorsqu'elle est
injectée dans
l'espace sous-arachnoïdien lombaire.
Je ne conclurai enfin en ne m'appuyant que sur
des faits,
enfaisant la partbien large auxobjections
de bonne foi et de réelle
valeur scientifique.
I
Historique.
Il n'est question, en ce moment, dans toutes les publications périodiques, que de l'anesthésie par voie rachidienne qui, sui¬
vant les pays, porte le nom de Méthode de Bier, Méthode de
Corning ou procédé de Tuffier. Quelques lignes d'histoire s'im¬
posent pour établir sinon la part de chacun dans ses succès, tout au moins les responsabilités qui pèserontsurceux qui l'ont
étudiée.
LéonardCorning(deNew-York), en1885, injecta dans le canal rachidien une solution de cocaïne pour obtenir l'analgésie du
segment inférieur du corps et il proposa cette injection comme moyen d'analgésie chirurgicale. Les expériences portèrent
sur des chiens et des malades; le succès fut complet. Malgré
trois publications, ces expériences n'eurent aucun écho. Mais
Corning injectait sa solution au hasard dans le canal rachidien
(sa premièreinjection fut faite entre la 12e dorsale et la lre lom¬
baire); s'appuyant sur les faitsde Weir Mitchell etde Thorburn,
il regardait la piqûre du filum terminale commechosenégligea¬
ble. C'étaient là des injections intra-rachidiennes et non sub- rachidiennes.
Six ans plus tard, Quincke, en 1891, montra la facilité et l'innocuité de la ponction lombaire évacuatrice du liquide céphalo-rachidien. Son but était la décompression cérébro¬
médullaire thérapeutique.
Malheureusement,
ses espérances nese réalisèrent pas. Mais, si la ponction lombaire est à peu près
morte comme méthode de traitement, elle n'en fait pas moins époque par ses deux rejetons : le diagnostic de certaines alfec-
tions médicales par l'examen
du liquide céphalo-rachidien et
les tentatives d'action directe sur
la moelle
oules nerfs,
parl'intermédiaire de substances
miscibles
auliquide sub-arach-
noïdien. Je tiens à retenir, au sujet de ces
ponctions,
cefait,
qu'elles
prouvent d'une façon indéniable leur facilité et leur
innocuité.
Entre temps, MM.
Hugo.nino Mosso et François Franck
démontraient que l'action
directe d'une solution de cocaïne en
badigeonnages sur un
nerf
provoquel'anesthôsie parfaite dans
l'espacede six à sept
minutes et
quecette anesthésie fait place
graduellement et
d'une manière complète à
unerestitution
intégrale de la
sensibilité;
enmême temps,
cesauteurs propo¬
saient à lapratique ce mode
d'interruption du courant
nerveux.Quant à l'utilisation de la voie
sous-arachnoïdienne
pouragir
surla moelle, elle fut mise en pratique par
Sicard
enfévrier
1898; ce dernier put, chez un
malade,
auhuitième jour d'un
tétanos traumatique franchement
déclaré, abandonner dans
l'espace sous-arachnoïdien après
ponction lombaire, 4 centimè¬
trescubes de sérum tétanique.
Quincke a prouvé l'innocuité de
la ponction; François Franck
pense quelacocaïnen'altèreen
rien les nerfs; Sicard, enfin, montre
quele liquidesous-arachnoïdien
s'accommode parfaitement d'une
solution médicamenteuse aseptique.
En laissant de côté le chlorure et le bromure d'éthyle qui ont
des indications toutes spéciales, on ne
connaissait jusqu'à
nos jours que deux méthodesd'insensibilisation chirurgicale, l'anes-
thésie générale due à la perte de connaissance sous
l'action du
chloroforme et de l'éther ou encore par suite des
pratiques de
l'hypnotisme, et l'anesthésie locale obtenue par
l'action de la
cocaïneet du froid sur les nerfs sensitifs cl'une région limitée.
M. le professeur Bier est le premier en Europe
qui ait mis
cemode d'insensibilisation dans la pratique
chirurgicale. Gomme
onleverra dans lecoursdece travail,cetteinsensibilisation tient
le milieu entre l'anesthésie générale et
l'anesthésie locale,
cartout en laissant totalement intactes les facultés psychiques du
sujet, elle rend insensibles à la douleur environ les deux
tiers
inférieurs du corps. N'est-ce pas là une chose singulière au pre¬
mier abord et bien faite pour émerveiller et le malade et l'opé¬
rateur?
Les premiers essais de M. Bier datent du mois de novembre 1899.
Quelque temps après, M. Sicard expérimente le procédé sur des chiens notammentpar la voie sous-arachnoïdienne, et pres¬
que à la même époque, on signale un travail oublié, bien à tort,
du D1' R. Odier, ancien assistant à la Faculté de médecine de Genève. Deux lapins, deux cobayes, deux rats ont été injectés
par la méthode de Bier et toute trace de sensibilité a disparu
chez ces animaux.
Les essais de Kiel étonnentoupeu s'en faut le monde des chi¬
rurgiens, et M. le D1' Zeidler, chirurgien de l'hôpital Oboukow,
de Moscou, et son assistant Seldowitch inaugurent le nouveau
procédé dans leur service hospitalier.
Puis nous voilà en France. M. Tuffîersefait avec une autorité incontestable lepromoteur de la méthode, et, dès le 11 novem¬
bre 1899, expose le résultat de ses recherches. Dans la Presse médicale et à la Société de chirurgie en 1899; puis, en 1900,
dans la Semaine médicale, au XIIIe Congrès international, à la Société debiologie, dans la Revue de gynécologie et tout récem¬
ment dans la Presse médicale où il établit nettement l'historique
de la question.
Le 13 décembre de la même année, c'est M. Jaboulay (de Lyon), qui injecte lui aussi delà cocaïne et, grâce à des recher¬
ches très suivies, découvre ou tout au moins fixe presque les
idéessur certaines parties de la méthode.
MM. Severeanu et Gerota (de
Bucharest),
enjanvier et février 1900, M. Jonnesco, quelques jours après, donnent de longs dé¬tails sur ce sujet d'actualité et Racoviceano-Pitesti ajoute que,
malgré ses nombreux essais, il n'a encore trouvé aucune contre- indication au procédé.
Le 15 mai 1900, Tuflier expose longuement, dans la Semaine médicale, le procédé à suivre pour retirer de l'injectiontout ce
qu'elle peut et doit donner, car, dit-il, les insuccès s'expliquent
surtout par une technique défectueuse.
- 17 —
MM. Pousson et Chavannaz
(de Bordeaux), font trois essais et
voient malheureusement leurs
espérances
peuconfirmées.
Le mois dejuillet 1900 nous
réserve
unesurprise. Sous la si¬
gnature de
Bumm et Ivreis (de Bâle), un journal allemand an¬
nonce la merveilleuseutilisationdu
procédé
enobstétrique. Les
parturientes,
disent
cesMessieurs, ont accouché sans la moin,
dre douleur etn'ont présentéaucun
accident sérieux; les
accou¬cheurs français dont la curiosité
vient d'être si subitement
éveillée essaient aussi, et Doléris et
Malartic (de Paris) font
paraître, le 15
juillet 1900, le résultat de leurs observations,
résultats toutaussiengageantsque ceux
de leurs prédécesseurs.
On veut aller plus loin encore, on veut
supprimer
outenter
d'atténuer les quelques ennuis
consécutifs à l'injection et, après
essai sur lui-même, Fritz Engelman n'a que
des déboires à la
suite delasubstitution àla cocaïne del'eucameB,un
succédané,
moins toxiqueparait-il, de
composition plus stable, de plus sim¬
ple préparation.
C'est au XIIIe Congrès international que se
discute enfin cette
intéressante question. Les avis restent
partagés entre Severeanu
(de Bucharest), Tuffier,
Nicoletti (de Naples) et Bacoviceano (de
Bucharest). Ce dernier dit
qu'il
a euconnaissance de deux
casde
mort consécutive à l'injection. Mais il n'a eu que
connaissance,
et ne donne pas le moindre
renseignement, le moindre détail
sur ces deux malheureux essais.
A cette époque, on dirait qu'un
flot de récriminations
vadétrôner la méthode. Bier lui-même fait paraître, le 4 septem¬
bre 1900, dans le Munschener médical
Wochenschrift,
unarticle
qui conclut presque au rejet de ce genre
d'anesthésie. Il brûle
ou peu s'en faut ce qu'il a adoré, conclut en
tout
casà
une expérimentation bien plus longue et à uneexcessive prudence.
« Enun mot, dit-il, je ne crois pas augrand
avenir de l'injection
» sous-arachnoïdienne lombaire de cocaïne. »
Le 28 octobre 1900, Legueu et Kendirdjy
(de Paris) font
paraître, dans la Presse médicale, une longue étude où
la
technique occupe une heureuse part, et pas uninsuccès attri-
buable à la méthode ne parait dans ce
travail. Neuf fois
Adoue 2
— 18 —
l'eucaïne B est employée, etles auteurs se gardent d'exposer les
résultats obtenus avec ce dernier agent. Pourvu qu'ils n'aient
pas été aussi trompés que M. Engelman !
Le 14 novembre1900, Jaboulay (de Lyon) procèdeà desinjec¬
tions de cocaïne dans les deux branches du plexus brachial et désarticule sans la moindre douleur l'épaule de son malade.
Depuis le 25 août 1900, M. le professeur agrégé Villar (de Bordeaux) expérimentait avec un soin méticuleux la nouvelle
méthode, et ce n'est que le 16 novembre dernier qu'il a exposé
à la Société de médecine et de chirurgie de Bordeaux, le résul¬
tat de ses recherches. Ce rapport occupera la majeure partie de
montravail, parce qu'il vient bien àson heure, à un moment où il semble que la méthode va être sinon abandonnée, tout au moins mise en discrédit, qu'il n'a été fait qu'après mûre et bien
mûre réflexion, que les observations ont été prises sous le con¬
trôle sévère du maître, que rien n'a été laissé à l'imagination ou à un engouement, mon Dieu, bien compréhensible étant donnés les caractères de nouveauté, de réelle valeur, d'originalité enfin
du procédé.
Je signale encore la thèse de Cadol, inspirée par ïuffier, les publications de Schiassi, de Dumont, de Bibot, de Gioffredi, de Wolfler, de de Rouville et tout récemment de Marx (de New- York).
Il estjuste enfin de rappeler que M. le professeur Masse (de
Bordeaux)
a suivi avec le plus grand intérêt, comme chirurgienet comme anatomiste, cette questionet qu'il a fait paraître dans
sonjournal la Gazette hebdomadaire des sciences médicales de
Bordeaux, plusieurs articles d'actualité, qui n'ont pas peu con¬
tribué à vulgariser la méthode.
J'ai appris enfin, tout dernièrement, que le Dr Marcourt (de Bordeaux) avait pratiqué trois fois l'injection intra-racliidienne lombaire de cocaïne et qu'il avait obtenu l'analgésie parfaite.
II
La technique.
Dans ce chapitre, je vais
étudier
:1° la ponction elle-même,
2° le liquide à injecter.
1° La ponction. —
Bier procédait de la façon suivante : au
moyen d'injections
intra-dermiques de cocaïne, on insensibilisait
d'abordles parties mollesau
niveau des lombes et
onpratiquait
ensuite la ponction
lombaire, d'après la méthode de Quincke, à
l'aide d'une canule trèsfine.
Cette canule une fois engagée dans la
cavité rachidienne,
onenlevait l'obturateur, on bouchait
immédiatement l'orifice de
l'instrument avec le doigt de manière à
empêcher autant
que possible l'issue duliquide céphalo-rachidien, puis, au moyen
d'une seringue de Pravaz
s'adaptant exactement à la canule on
injectait au moyen de
cette dernière de 5 milligrammes à
1 centigramme etdemi de cocaïne
dans le liquide céphalo-rachi¬
dien. La solution variait de titre, de 0 gr. 50 à 1 gramme pour
cent.
Tenantcomptede la quantité
de
cocaïnequi devait rester dans
la canule, onavaitsoin d'injecterchaque
fois,
enplus de la dose
qu'on voulait envoyer, la
valeur d'une division
oud'une division
etdemi de laseringue. On attendait
ensuite pendant deux minu¬
tes environ, on enlevait la canule, puis on
obturait l'orifice de
laponction avec du collodion.
D'autres chirurgiens ont apporté à
la technique opératoire
certaines modifications que je
relaterai plus loin. Pour le
mo¬ment,je vais décrirelatechniquesi
nettement exposée
parTuf-
fier, technique qui est devenue
classique à
peude chose près.
« Après de nombreuses recherches,
dit M. Tuffier, je prati-
que depuis le mois de novembre 1899 l'anesthésie chirurgi¬
cale par injection de cocaïne dans l'espace sous-arachnoïdien lombaire.
» Jeme sers, pourpratiquer l'injection, de laseringue de Pra-
vaz stérilisable. L'aiguille que j'ai fait construire réalise les conditions suivantes : elle est suffisamment longue pour tra¬
verser aisément les plans qui séparent la peau, de l'espace
sous-arachnoïdien et dont l'épaisseur est variable suivant que les sujets sont plus ou moins gras et musclés. Elle est en pla¬
tine, facilement stérilisable et mesure 9 centimètres de long;
son diamètre externe est de 11 dixièmes de millimètres, son diamètre interne de 8 dixièmes de millimètres. Elle est assez
solide pour ne pas se tordre quand le chirurgien inexpéri¬
menté heurte les lames vertébrales. Enfin, détail nécessaire,
sa portionpiquante est taillée enbiseau très court.
» La technique opératoire proprement dite est la suivante :
Je pratique les injections, le sujet étant assis, les deux bras portés en avant. La région lombaire est aseptisée par un savonnage à la brosse et un lavage à l'alcool. Le tronc étant dans la rectitude, les crêtes iliaques sont repérées; la ligne
transversale qui les unit passe au niveau de la cinquièmever¬
tèbre lombaire. Au-dessous de cette ligne on peut pénétrer
dans le canal médullaire.
»L'indexgauche marquantl'apophyseépineusedelacinquième lombaire, on recommande au malade d'inclinerfortement le tronc en avant, de façon à faire le « gros dos ». Ce mouve¬
ment a pour effet de produire entre les lames vertébrales de la vertèbre sous-jacente un écartement de 1 centimètre et demi environ. A ce moment,j'ai toujours la précautionde dire
au malade : « Je vaisvous piquer,voussentirez peu de chose,
ne bougez pas ». Dans ces conditions, placé à droite du sujet
en général, je saisisentre le pouce et l'index de lamain droite
l'aiguille seule, préalablement stérilisée, et je pique à droite
de la colonne vertébrale, à 1 centimètre environ de la ligne
médiane épineuse, tout contre le bord de l'index qui repère l'apophyse.
» L'aiguille,
cheminant ainsi à travers la peau, le tissu cel-
» lulaire sous-cutané, l'aponévrose
lombaire, les muscles de la
» massesacro-lombaire,
l'aponévrose d'insertion du transverse
» et lecarré deslombes, pénètre
dans l'espace interlamellaire,
»puis dans
le canal rachidien à travers le ligament jaune. Si
»l'aiguille est
vraiment dans l'espace sous-arachnoïdien, elle ne
» rencontre aucune résistance et on
voit sourdre
presqueaussi-
» tôt, àson extrémité
libre,
unliquide clair, jaunâtre, qui sort
» goutte à goutte,
quelquefois
parsaccades rythmiques : c'est le
» liquide
céphalo-rachidien. Le chirurgien ne doit injecter de
» solutionqu'après
avoir constaté cette issue du liquide céphalo-
» rachidien.
» A ce moment, la seringue, chargée
d'un centimètre cube
» d'une solution de cocaïneà 2 p. 100 est
adaptée à l'aiguille et
» l'injection poussée
lentement, de façon à être complète en une
» minute. L'injection terminée, on
retire rapidement l'aiguille et
» on obture l'orifice avec du collodion stérilisé ».
Telle est la description de la
technique générale suivie aujour¬
d'hui; mais, ainsi queje l'ai
dit tout à l'heure, certaines modi¬
fications y ont été apportées.
En outre, il est des points sur
lesquels je doisinsister. Je
nepuis mieux faire pour cela que
de citer une partie du
travail de M. Villar
surla technique opé¬
ratoire.
« J'insiste toutd'abord,dit le chirurgien,sur
l'attitude à don-
» ner au malade. Celui-ci doit être assis. Tuffier,
qui dans
ses» premiers essais
avait placé
sonopéré dans le décubitus laté-
» ral gauche, les membres
inférieurs fléchis
surl'abdomen et le
» tronc plié en avant, a reconnu
lui-même plus tard que la
» position assise était
préférable. Une fois seulement, j'ai prati-
» qué l'injection dans le
décubitus latéral, il s'agissait d'un
» malade atteint de contusion grave de l'abdomen et
il eut été
» imprudent de
maintenir le malade assis. Ce n'est pas tout, le
» malade ne doit pas être assis sur
l'un des bords quelconque
» de la table, ni surtout au milieu de
celle-ci
;le plus commode
» et le plus simple, c'estde
l'asseoir
aubord de l'une des extré-
» mités de la table. On a ainsi plus de liberté
dans
ses mouve-—- 22 —
» ments que si le malade était assis au centre, et il est plus
» facile de l'étendre que s'il était assis sur l'un des bords laté-
» raux.
» Je me suis d'abord servi de l'aiguille de M. Tuffier, mais
» comme celle-ci s'était un peu tordue, j'ai eu recours, dans la
» la plupart de mes essais, à l'aiguille n° 3 de Dieulafoy. Mes
» injections se faisaient très bien. Je reconnais cependant que
» l'aiguille de Tuffier présente deux grands avantages : le pre-
» mier, c'est d'être facilement stérilisable en toute circonstance
» et le second, c'est d'offrir une grande solidité. J'ai toujours
» poussé mes injections avec la seringue de Luër qui est idéale
» au point de vue de la stérilisation. Les ampoules de cocaïne
» ont toujours été casséesaprèsflamblageà la lampeet le liquide
» recueilli dans un récipient en verre stérilisé.
» Je n'ai pas attaché grande importance au point précis oùje
» devais pratiquer l'injection; je veux dire par là que je n'ai
» jamais cherché systématiquement à passer entre la quatrième
» et cinquième lombaires, encore moins au-dessous de celle-ci.
» Bien aucontraire, dans toutes mes opérations, j'ai piqué au-
» dessus de la quatrième, ce qui ne peut avoir aucun inconvé-
» nient, puisque la moelle est encore assezéloignée de ce point.
» Avant de pousser l'injection,j'aitoujours retiré unecertaine
» quantité de liquidecéphalo-rachidien,variantentre 4et12gram-
» mes; j'en retirais,en général,une dizainede grammes, plutôt
» davantage;je voulais savoir si l'action de la cocaïne était
plus
» rapide, plus durable,si certainsmalaises consécutifs à l'injec-
» tion étaient plus ou moins accusés, suivant que l'on laissait
» le liquide céphalo-rachidien avec sa tension normale, ou que
» l'on cherchait à diminuer cette tension, en en soustrayantune
» certaine quantité.
» Etant données la longueur de l'aiguille et la tension du
» liquide céphalo-rachidien, je m'étais encore demandé si une
» certaine quantité du liquide à injecter ne pouvait pas rester
» dans l'intérieur de l'instrument. Pour obvierautant que possi-
» ble à cet inconvénient, voicicommentje procédais : l'injection
» terminée, le piston restant en place au fond de la seringue et
— 23 —;
» celle-ci toujours
adaptée à l'aiguille, je faisais coucher le
» malade sur le flanc
gauche; je crois que c'est là une bonne
»
précaution.
» Il me reste à signaler un
dernier détail : j'avais, chez un
» malade, enfoncé
l'aiguille à
uneprofondeur raisonnable : je
» n'avais rencontré aucun
obstacle; il
mesemblait bien que je
« devais être dans l'espace
sous-arachnoïdien et pourtant rien
» ne sortait par
l'orifice extérieur de l'aiguille. Je me décidais à
» Tetirercelle-ci etje
constatais
quel'orifice piquant était oblitéré
» par un
petit bouchon de graisse. Chez un autre malade, après
» lapiqûre,
il s'écoula
unpeude sang, puis plus rien, un caillot
» obstruait l'aiguille. Pour
éviter
cesennuis, je conseille de ne
«jamais
pratiquer la ponction qu'avec une aiguille munie d'un
»fil d'argent que
l'on retirera dès
quel'on se croira en bon lieu.
» Sile liquide
céphalo-rachidien
necoule pas, on fera fonction-
» ner le fil; sicelui-ci a été
retiré trop tôt, il faudra le remettre
» enplace avant
de
sedécider à une nouvelle ponction. Cette
» dernière manœuvre peut être assez
délicate,
carles aiguilles
» sont construite de telle sorte, que
le
corpsde l'instrument
» vienne fairesaillie dans
l'intérieur de l'embout. Le fil s'égare
» entre les parois de
l'aiguille et celles du susdit embout et l'on
» a souvent beaucoup de peine à trouver
l'orifice central. C'est
» pour simplifier
cette recherche de l'orifice de l'aiguille, que
»j'ai prié M. Creuzan
de
mefabriquer des aiguilles à embout
» arrondi, sans saillie intérieure,
de la sorte le fil trouve facile-
» ment savoie. Cette disposition sera
applicable à toutes sortes
» de seringues.
«Il m'estarrivé troisfois devoir sortirde
l'aiguille
unegoutte
» teintée de sang, et il était
facile de
serendre compte que ce
» n'était pas du sang pur.
En effet,
aubout de peu de temps, le
» liquidedevenait
clair. Il
estbien entendu que l'on ne doit pous-
» ser l'injection que
lorsqu'il
sortdu liquide clair; c'est le seul
»facteur qui permette
d'affirmer
quel'on
setrouve bien dans
» l'espace sous-arachnoïdien ».
Avantde passer à l'étude du
liquide à injecter, je tiens à dire
que la ponction
intra-rachidienne est
unemanœuvre facile, ainsi
qu'il résulte des affirmations des divers chirurgiens qui l'ont appliquée. Même lesmédecins qui y ont eu recours dans unbut
thérapeutique
s'accordent à reconnaître la facilité de cette petite opération. M. Pitres disaitdernièrement,
à la Société de méde¬cine deBordeaux, que lui etses élèves faisaientcouramment cette ponction dans son service, avec la plus grande facilité. M. Vil- lar emploie uniquement la seringue de Luër qui seule est par
faitementfstérilisable.
2° Le liquide à injecter. — Ce liquide, c'est la solution de cocaïne, on le sait déjà, mais il faut savoir comment doit être
préparée cette cocaïne, et quelle doit être la dose injectée. Tuf- fier se sert d'une solution de cocaïne qui semble donner les meilleurs résultats; c'est la même solution que celle dontse sont servis MM. de Rouville et Villar. Elle est préparée au labora¬
toire de biologie appliquée de Paris parMM. Hallion et Carrion.
C'est une solution à 2 p. 100 enfermée dans des tubes de verre
scellés à la lampe et strictement stérilisés. Voici comment on
pratique cette stérilisation : la solution est portée à 80° dans un
bain-marie pendant un quart d'heure, puis laissée à 38° ou 36°
pendant trois heures; on la reporte de nouveau à 80° dans le
bain-marie, puis on la laisse refroidir à 38°. Cette opération, répétée cinq ou six fois à un jour d'intervalle, assure seule la
parfaite stérilisation du liquide sans en altérer les propriétés.
C'est en somme la méthode de Tyndall.
M. Soulard,
pharmacien-adjoint
à l'hôpital Saint-André, a bien voulu, sur les conseils de M- Villar, préparer de la sorte des solutions de cocaïne. M. Bazin, pharmacien de la ville, en apréparé aussi. Ces préparations n'ont pas encore été expéri¬
mentées.
La solution de cocaïne ne
doit pas être seulement stérilisée.
Il faut de toute rigueur qu'elle soit de fraîche date, sinon elle devient infidèle dans son action.
Combien faut-il injecter de cocaïne? D'une façon générale,
les chirurgiens s'en sont tenus à la dose de 1 centigramme et demi et 2 centigrammes. Cependantonest allé plus loin, et c'est ainsi que Legueu et
Kandirdjy
ont injecté 3 centigrammes, Seve-reanu 4 centigrammes.
— 25 —
M. Villara injecté six
fois 2 centigrammes, trois fois 3 centi¬
grammes,une
fois 3 centigrammes trois quarts, vingt-quatre fois
4centigrammes.
Ces doses élevées ne sont peut-être pas néces¬
saires; Tuffier, Legueu,
Jaboulay ont pu pratiquer par exemple
des
hystérectomies abdominales avec des doses de 2 centigram¬
mes. C'estvrai, mais aussi se
sont-ils exposés à des mécomptes,
car il étaitrare que le
malade
aubout d'une heure ne commen¬
çât à sentir ou les
points de suture, ou l'introduction des drains,
ou d'autres manœuvresde la fin.
Il reste cependant une
dernière ressource, dira-t-on, au cas
où une première
injection
nesuffirait pas, celle de répéter cette
injection à une
dose moindre évaluée par le temps encore néces¬
saire pourterminer
l'intervention. Oui, mais supposez que vous
ayez à
pratiquer
unehystérectomie abdominale, comme je le
disais tout à l'heure, et qu'arrivé aux
trois quarts de l'opération
votre malade accuse de la douleur,
il
serabien ennuyeux de
soumettre votre opérée à une
seconde injection, sans compter
que
l'introduction de l'aiguille
nepourra plus être faite dans
lesconditions voulues par suite
de la difficulté, je dirai même
l'impossibilité
d'asseoir la malade.
Je dirai donc, en matière de
conclusion de
cechapitre, que
pour ce qui a
trait
auxopérations superficielles, lipomes, abcès,
ponctions, et pour ce
qui intéresse les extrémités des membres
inférieurs, la dose d'un milligramme
et demi
meparaît suffi¬
sante. Que pour les
interventions profondes
oulongues, la dose
devra aller jusqu'à. 4centigrammes
à
mesure quel'on s'éloigne
de ces extrémités.
Il se passe en un mot ce
qui
se passe avecle chloroforme ou
l'éther dont les doses varientsuivant le temps
nécessaire à l'opé¬
ration et suivant la nature de cette opération.