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Le rôle de l éthique dans la traduction française des œuvres d Astrid Lindgren

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Academic year: 2022

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Le rôle de l’éthique dans la traduction française des œuvres d’Astrid Lindgren

Fifi Brindacier digne héritière de Pippi Långstrump ?

Författare: Yann Batto Handledare: Liviu Lutas Examinator: Kirsten Husung Termin: HT 20

Ämne: Franska

Nivå: Kandidatexamen Kurskod: 2FR30E

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Abstract

Lindgren’s character Pippi Longstocking is well-known all around the world. Acclaimed by feminist movements, she has been considered as a proud role model, striving for equality, who has significantly influenced many young children. However, scholars agree that she has not had the same impact in every single country due to problems that stem from the translation work’s ethic. Thus, this study strives to investigate translation’s power on readership’s perception and decryption of Lindgren’s character by comparing narrative and lexical choices of two French translations of Pippi’s books. Based on the translator’s invisibility concept and feminist translation theories, the results show that Pippi Longstocking’s depiction can purposefully be altered by the translator to match French cultural standards. By impeding readers to get a full and unbiased picture of the character, the translator suppresses the subversiveness of Lindgren’s work. Thus, the forced domestication process causes the loss of key features that make Pippi iconic.

Keywords: translation, ethic, translator invisibility, feminist theories, cultural standards.

Mots-clés : traduction, éthique, invisibilité du traducteur, théories féministes, standards culturels.

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Table des matières

1. Introduction ... 1

1.1. But ... 1

1.2. Méthode ... 3

1.3. Corpus de référence ... 3

1.4. Recherches antérieures ... 4

2. Cadre théorique ... 5

2.1. La notion d’(in)visibilité du traducteur ... 5

2.2. Théories du gender et traduction ... 7

2.3. Les personnages dans la littérature... 10

3. Spécificités du travail d’Astrid Lindgren ... 12

3.1. Innovation dans la littérature pour enfant ... 12

3.2. Pippi Långstrump et le féminisme ... 13

4. Les traductions françaises de Pippi Långstrump ... 15

4.1. La première traduction par Marie Loewegren ... 15

4.2. La seconde traduction par Alain Gnaedig ... 16

5. Analyse comparative des deux traductions françaises ... 17

5.1. Fifi Brindacier / Pippi Långstrump ... 18

5.1.1. Pippi flyttar in i Villa Villekulla / « Drôlederepos » / Fifi s’installe à la villa Drôlederepos ... 18

5.1.2. Pippi sitter på grind och klättrar i träd / Fifi et l’arbre creux / Perchés sur une barrière et dans un arbre ... 21

5.2. Fifi Princesse / Pippi Långstrump går ombord ... 23

5.2.1. Pippi går i affärer / Fifi fait des emplettes / Fifi fait des courses ... 24

5.2.2. Pippi är med på skolutflykt / Fifi se promène / Fifi en excursion... 25

6. Discussion ... 29

7. Conclusion ... 35

Bibliographie ... 37

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1. Introduction

La traduction est un champ aussi vaste que compliqué à définir. Lorsque l’on s’y intéresse, de nombreuses questions se font jour et pour y répondre, il est important de définir ce que l’on entend par traduction, quel est le contexte dans lequel elle intervient, quel en est le but ou encore quel médium elle utilise. R. Bannerjee nous renvoie à la double définition formulée par Willis Barnstone : « La lecture est un acte de l’interprétation qui vient du signe graphique…la lecture est la traduction et la traduction est la lecture » (1998 : 136). En effet, si l’on donne à l’acception du terme traduire le sens de rapporter, ou de retranscrire par le biais d’une production écrite la lecture et donc l’interprétation d’un texte faite par le traducteur ou la traductrice, on sous-entend alors que la traduction ne peut être unique. C’est pourquoi, il est important de disposer d’un ensemble de critères permettant d’effectuer une lecture analytique d’une œuvre traduite. Ces éléments offrent, en outre, la possibilité de distinguer différentes tendances liées à la conception de la traduction, à l’origine des choix et directions prises par les traducteurs. Ce faisant, on pourra aussi identifier les facteurs susceptibles de faciliter ou au contraire de complexifier l’exercice.

Subissant l’influence directe du contexte socio-culturel, historique ou encore politique, la traduction, et ce au même titre que d’autres productions littéraires, peut se révéler être une source importante d’informations. La problématique que constitue le passage d’une langue à une autre met donc en évidence la dualité contextuelle existant entre l’original et l’œuvre traduite. Ainsi, l’éthique de traduction adoptée est déterminante dans le processus de transmission des valeurs véhiculées pas un texte. Elle questionne également la relation qu’entretiennent original et œuvre traduite et la perception que l’on peut en avoir. Par conséquent, en analysant comparativement une œuvre originale et ses différentes traductions dans une même langue, il sera possible de mettre en évidence, si différence il y a, les stratégies mises en place par les traducteurs et par voie de conséquence la perception de l’œuvre résultant de ces choix.

1.1. But

Ce mémoire se propose donc de présenter deux traductions françaises des œuvres d’Astrid Lindgren et de les mettre en relation avec les textes originaux suédois. C’est en 1945 que Pippi Långstrump (Fifi Brindacier en français) fait sa première apparition. La jeune héroïne connue

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de tous, que l’on associera volontiers à la culture enfantine suédoise, fait également figure d’incarnation, d’allégorie de la Suède, un pays se voulant résolument progressiste (Söderberg, 2010 : 78). En effet, le caractère novateur des ouvrages de Lindgren, et à bien des égards, rompant avec la tradition littéraire jusqu’à lors d’usage, peut être considéré comme l’amorce d’un tournant décisif dans la littérature jeunesse.

Comme le rappelle notamment Lena Bergenwall dans son travail sur la traduction des livres pour enfants, les œuvres de Lindgren sont porteuses d’une image nouvelle, allant à l’encontre des usages, des normes sociales ayant alors cours. C’est à travers la mutation qui s’opère quant à la place de l’enfant dans la littérature que l’auteure vient transfigurer les règles du genre. Cependant, pour ne pas être réducteur et rendre le plus fidèlement possible la subtilité du style d’écriture de Lindgren, il est important de rappeler que, paradoxalement peut-être, ses histoires sont à la fois ancrées dans un genre tout en dépassant le cadre prévu par celui-ci.

D’après Edström, c’est sans aucun doute le personnage de Pippi Långstrump qui outrepasse le plus ostensiblement les codes, tout en s’y inscrivant (2000 : 21). Fort de ce constat, nous allons donc porter notre attention sur les différentes caractéristiques de Pippi participant à la création de la représentation de son personnage. C’est à travers l’analyse de son comportement, de son rapport à l’autre et bien entendu, de manière plus directe, de son apparence physique que l’on pourra approcher la spécificité de ce personnage que d’aucuns considèrent comme un porte- étendard de la libération de la femme dans la société. Cette ambivalence du personnage à la fois icône du féminisme et incarnation de l’image de la Suède se retrouve notamment dans l’article de Tiina Meri (2018) sur le portail officiel en ligne du pays. Ce qui nous occupera dans ce mémoire sera donc de comparer les textes originaux suédois et leurs traductions françaises en nous focalisant sur la question de la représentation du personnage principal. Ainsi, en confrontant l’image de Pippi véhiculée par les différents textes, nous interrogerons de manière objective le rôle de médiation et de transposition que revêt la traduction.

Nous nous demanderons alors, dans quelle mesure le travail de traduction des différents ouvrages de Pippi Långstrump, mis en relation avec les choix éthiques des traducteurs , peut avoir une incidence sur la représentation du personnage principal ?

Pour répondre à cette question nous axerons notre réflexion sur un point particulier évoqué plus tôt, à savoir la représentation d’un personnage féminin fort et indépendant. Ce faisant, nous essayerons de voir si cette image inédite pour l’époque, présente dans le texte de Lindgren, est à l’épreuve de la traduction en français.

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3 1.2. Méthode

La méthode employée dans ce mémoire sera basée sur l’étude contrastive de la narration et des choix lexicaux dans différents passages des livres de Pippi Långstrump et de leurs traductions françaises. Nous nous intéresserons d’abord à la place qu’occupe le traducteur et plus particulièrement à différents concepts relatifs à la question de la visibilité de ce dernier dans le texte qu’il produit. Nous verrons ensuite, en quoi les théories féministes et de genre permettent de traiter la question de la traduction en adoptant une approche, à l’heure actuelle, souvent négligée. Enfin, nous porterons notre attention sur les spécificités du travail de Lindgren. En effet, c’est par et à travers les personnages que l’intrigue se développe. En faisant le choix de mettre en scène une héroïne atypique, dépassant les codes prévus par le genre littéraire, l’auteure autorise l’intrigue à sortir elle aussi du cadre traditionnel.

Pour mener à bien la comparaison des différentes Pippi représentées, dans les textes originaux de Lindgren d’une part et dans les traductions françaises d’autre part, les passages sélectionnés seront ceux dans lesquels la jeune héroïne est décrite au lecteur. Ces passages clés, mis en relation les uns avec les autres, permettront d’abord de brosser le portrait des différents visages dont l’auteure et le traducteur ou la traductrice affublent respectivement le personnage, ensuite, de mettre en exergue les similitudes et différences présentes dans ces représentations.

Ainsi, en analysant de manière comparative les différents passages, il sera possible d’interroger ce que nous appellerons – en empruntant un terme au domaine de la géologie – le degré de

« transmissivité » de la traduction. En d’autres termes la capacité de la traduction de filtrer plus ou moins le message véhiculé par l’original.

1.3. Corpus de référence

Pour pouvoir avoir une vision plus complète de la représentation du personnage de Pippi Långstrump, nous utiliserons trois traductions françaises que nous mettrons en relation avec les textes originaux en suédois. Les deux premières traductions datent respectivement de 1962 pour Fifi Brindacier (une réédition de livre intitulé Mademoiselle Brindacier parut en 1951), et de 1953 pour Fifi Princesse toutes deux réalisées par la même traductrice, Marie Loewegren.

On remarquera d’ailleurs une spécificité de la seconde traduction, Fifi princesse, puisqu’il y

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est indiqué que ce livre est constitué, avec l’accord de l’auteur, de la deuxième partie de Pippi Långstrump går ombord et de l’intégralité de Pippi Långstrump i söderhavet.

La troisième traduction, réalisée en 1995, est quant à elle le travail d’Alain Gnaedig.

L’ouvrage que nous utiliserons dans ce mémoire est intitulée Fifi Brindacier : l’intégrale dans son édition de 2015, dans lequel sont compilés les livres suivants :

Fifi Brindacier / Pippi Långstrump

Fifi Princesse / Pippi Långstrump går ombord

Fifi à Couricoura / Pippi Långstrump i söderhavet

Ainsi, il nous sera possible d’appréhender le personnage de Pippi de manière plus globale puisque nous avons accès, sauf dans le cas de la traduction de Marie Loewegren, à l’intégralité des histoires la concernant. Ce qui nous permettra en outre de sélectionner les passages, les plus pertinents et les plus en adéquation avec l’objet de ce mémoire.

1.4. Recherches antérieures

Dans son mémoire intitulé « La traduction de livres pour enfant : Une comparaison entre quelques traductions des livres d’Astrid Lindgren sur Pippi Långstrump (Fifi Brindacier) et Emil i Lönneberga (Zozo) », Lena Bergenwall se propose de réaliser une analyse comparative des livres d’Astrid Lindgren et de leurs traductions françaises.

En mettant en évidence les différences présentes dans les ouvrages en langue française, Bergenwall démontre qu’elles sont des marqueurs significatifs, permettant de révéler que les traditions culturelles suédoises et françaises, en ce qui concerne notamment la place accordée à l’enfant dans la société, ne sont pas les mêmes. La comparaison des traductions françaises entre elles lui permet également de mettre en lumière plusieurs phénomènes relatifs à la traduction littéraire. D’une part que le contexte culturel contemporain au moment de l’écriture doit être pris en compte lors de l’analyse des textes, et d’autre part, que ce même contexte s’inscrit dans un processus évolutif comme le montre la proximité plus ou moins grande des traductions par rapport aux originaux.

Un dernier point que le mémoire de Bergenwall aborde, est l’influence du traducteur, mais aussi et surtout celle des maisons d’édition, qui pour respecter la ligne éditoriale, prennent la liberté de réagencer, raccourcir et retravailler les textes originaux lors du processus de traduction.

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Susanne Lilliestam avec son mémoire « Pataudgrins, sylves griffues et nains gris : Une étude sur la traduction en français de Ronya fille de brigand d’Astrid Lindgren », s’interroge sur les difficultés de la transposition d’un texte d’une langue à une autre en se focalisant sur la traduction française des néologismes créés par Astrid Lindgren et plus particulièrement les invectives, les jurons et le nom des génies inventés par l’auteure. Lilliestam présente donc, les différentes stratégies dont le traducteur dispose pour réaliser son travail. Ces différentes approches relatives à la traduction permettent, en outre, d’introduire la notion de fidélité entre original et texte traduit, tout en mentionnant le fait que le contexte culturel et social avait également une influence importante sur les partis pris adoptés par les traducteurs.

Enfin, l’article « UNE ANARCHISTE EN CAMISOLE DE FORCE Fifi Brindacier ou la métamorphose française de Pippi Långstrump », de Christina Heldner parut dans La revue des livres pour enfants en 1992, se focalise quant à lui sur la première traduction française de Pippi Långstrump. En se basant sur l’analyse comparative du texte original et de son alter ego français, Heldner propose une explication quant à la différence de réception du personnage de Pippi Långstrump en Suède et de celui de Fifi Brindacier en France. Ainsi, elle met en évidence la corrélation existante entre les choix du traducteur, en ne négligeant pas non plus l’importance d’un point de vue décisionnel des maisons d’édition, et la réception de la traduction d’une œuvre littéraire.

Fort des constats formulés dans ces différents travaux, nous porterons quant à nous notre attention sur l’influence de l’éthique du traducteur sur le texte qu’il produit, en la mettant en relation avec les théories féministes et de genre. Ainsi, nous pourrons nous intéresser à la transmissibilité, une des caractéristiques essentielles de la traduction, en comparant les différentes représentations de Pippi Långstrump et de Fifi Brindacier.

2. Cadre théorique

2.1. La notion d’(in)visibilité du traducteur

L’acte de traduction soulève une question fondamentale, qui est de savoir dans quelle mesure le traducteur – qui en un sens est un trait d’union entre deux cultures, en somme un médiateur culturel et littéraire – est un acteur (in)visible lorsque l’on s’intéresse à la réception d’un texte traduit par le lectorat ?

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Lawrence Venuti nous donne une définition précise de ce qu’est la traduction.

« Translation is a process by which the chain of signifiers that constitutes the foreign text is replaced by a chain of signifiers in the translating language which the translator provides on the strength of an interpretation » (Venuti, 2008: 13). Cette définition met en lumière plusieurs aspects importants de la traduction qu’il est aisé d’oublier. Ce que l’on apprend, c’est que le traducteur propose et délivre une interprétation du texte étranger. Sathya Rao nous dit, quant à elle, que « la traduction a ceci d’original qu’elle offre un accès privilégié à l’étranger » (2004 : 13). Cependant, la traduction, dans son acception la plus traditionnelle, présente un étranger subjectif. Selon Venuti, l’acte de traduire peut aussi selon ses termes, s’accompagner d’une domestication du texte étranger (2008 : 14), c’est-à-dire une transposition des codes, des usages d’une culture étrangère à ceux ayant cours au sein de la culture cible, pour en faciliter l’accès.

Il dénonce d’ailleurs cette propension tout occidentale d’avoir recours à cet ethnocentrisme littéraire. Cette idée de domestication, et par conséquent d’appropriation de l’Autre, souligne une autre problématique relative au statut, à la fois particulier et paradoxal du traducteur mais également à la notion d’invisibilité.

Traditionnellement, le traducteur est considéré comme un travailleur de l’ombre. Les marques de sa présence sont les plus ténues possible. La mise au second ou plutôt en arrière- plan de sa présence éclipse dans le même temps son travail. Cette éthique revendiquant l’invisibilité a donc des conséquences importantes. En effet, elle participe au peu de reconnaissance dont jouit le statut du traducteur, qui, répondant à « l'impératif dictant l'effacement des traces de la réénonciation » (López López-Gay, 2009 : 114), permet à l’auteur étranger de s’imposer en le supplantant. Cette apparente transparence du texte reste toutefois trompeuse. Car comme le suggère Venuti, la traduction se fait passer pour original (2008 : 1).

C’est d’ailleurs en raison de cette illusion, la résultante de la stratégie traductive adoptée et de la volonté d’assurer une lisibilité fluide et aisée, que le traducteur se voit dans l’obligation d’inscrire son énonciation dans un cadre structuré par l’usage afin de pouvoir, comme le rappelle Venuti, maintenir un discours intelligible et syntaxiquement cohérent, de créer du sens.

Cet aspect de la traduction amène à s’interroger sur le concept de fluency, étroitement lié, d’une part à la notion d’invisibilité du traducteur, et d’autre part à la réception critique de cette même traduction. Paradoxalement, plus le travail de retranscription du texte – en l’inscrivant dans un contexte historique et social, et en le faisant correspondre aux attentes inhérentes à l’habitus du lectorat – est conséquent, c’est-à-dire ne posant aucune difficulté particulière quant à la compréhension lors de la lecture, plus le traducteur se rend invisible et plus le texte produit semble authentique. Mais comme le rappelle López López-Gay, il n’en est rien, car « l'adoption

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du critère de la lisibilité (fluency) revient le plus souvent à l'annexion des textes étrangers, à la quête du Même au prix de l'Autre » (2009 : 114). Cet état de fait, permet également de comprendre pourquoi la traduction peut être considérée comme duale. Elle fige et fixe les choix pris par le traducteur en faisant état d’une interprétation possible du texte originale, mais dans le même temps, n’a de cohérence que dans la relation qu’elle entretient avec le contexte culturel, social et historique dans lequel elle se fait jour (Venuti, 2008 : 14). Ceci sous-entend donc que le texte est irrémédiablement voué à être traduit à plusieurs reprises pour qu’il conserve la cohérence sémantique au regard d’un contexte qui lui aussi est amené à évoluer.

Pour lutter contre cette invisibilité impliquant en un sens, l’appropriation culturelle du texte original dans un souci d’agrément de lecture, on pourra rappeler que Venuti cite le travail de F. Schleiermacher proposant au traducteur de choisir entre deux approches opposées (Venuti, 2008 : 15). La première reposant sur une approche ethnocentrique, consiste à distordre le texte original pour le faire correspondre aux valeurs culturelles de la société à laquelle se destine la traduction. La seconde, ethnodeviant, consiste quant à elle, à bousculer la doxa la société réceptrice par la mise en relief des différences culturelles présentes dans le texte original, en permettant ainsi au lecteur d’avoir véritablement accès à l’Autre dans son particularisme. Dans la continuité de cette seconde approche, Venuti propose une réhabilitation du statut du traducteur en envisageant son travail sous un nouveau jour. Cette réhabilitation passe par un engagement comparable à une prise de position, un acte politique, puisque l’idée sous-tendant cette démarche est d’entrer en résistance contre l’hégémonie des valeurs dans la culture à laquelle s’adresse la traduction. C’est ce que Rao définie comme étant « une résistance menée au nom d’une conception intéressée du traduire (Rao, 2004 : 13). En suivant l’éthique de cette ligne de conduite, le traducteur reprend ces lettres de noblesse en se rendant visible, mais en remettant du même coup en cause le primat de l’auteur. C’est d’ailleurs dans ce dépassement de l’ordre jugé jusqu’à lors comme évident, dans la remise en question du statut de traducteur et de la conception faite de la traduction, que la question des théories du genre (gender) entrent en résonnance avec l’idée d’envisagée l’acte de traduire comme une action militante. De plus, si ce qu’avance Venuti est vrai, à savoir que la traduction fait état des valeurs d’une société, puisque modelée par celles-ci, alors on pourra observer le rapport au pouvoir et la hiérarchisation des genres.

2.2. Théories du gender et traduction

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Si l’on adopte une approche historiographique du champ littéraire et par extension de la traduction, on se rend compte d’un clivage entre ces deux domaines. L’accès à l’éducation et donc l’écriture ont longtemps été l’apanage des hommes. La traduction cependant, considérée comme une tâche subalterne, en ce sens qu’elle n’est pas production mais plutôt reproduction de l’original, a de ce fait été confiée aux rares femmes instruites. Usant ainsi de ce seul accès au domaine des Lettres, les femmes, en mettant au point différentes stratégies, ont très tôt eu recours au détournement de ce medium pour en faire un outil d’expression publique (Simon, 1996 : 2). Cette conception genrée et duale du couple auteur/traducteur permet également d’expliquer le peu de cas que l’on a longtemps fait de la traduction et du lexique employé pour décrire ce domaine. On pensera par exemple aux affirmations de John Florio (Simon, 1996 : 1) ou plus récemment à celles de Bensoussan (Simon, 1996 : 8) qui mettent tous deux en évidence la vision à la fois genrée et dépréciative caractérisant la traduction et son artisan. Selon eux, la traduction et donc le traducteur sont intrinsèquement féminins. Par opposition, l’auteur et sa production originale seraient quant à eux associés au pôle masculin.

C’est à partir des années 1970-1980, coïncidant, ou faisant suite à la deuxième vague du féminisme comme le rappelle E. Söderberg (2010 : 78), qu’un groupe de traductrices québécoises commencent à théoriser une nouvelle conception de leur discipline en adoptant un angle d’approche jusqu’à lors négligé, et en élaborant de nouvelles stratégies de traductions.

Comme nous l’avons vu dans la partie précédente traitant de l’invisibilité du traducteur, le texte traduit au même titre que l’original, sont tous deux représentatifs d’un contexte socio-culturel, politique, dont ils sont indissociables. Comme le suggère Oster,

[L]a traduction (en tant que processus et en tant que produit final) est un terrain propice à l’analyse des rapports de force à l’œuvre dans le processus de traduction et dans l’évaluation et la réception du texte-cible, ainsi qu’aux tentatives de renversement du rapport de force qui s’établirait, serait perpétué ou renforcé par ce processus. (2018 : 3)

La traduction féministe se propose donc de mettre en place de nouvelles méthodes de travail permettant de se focaliser sur la langue et la sémantique tout en portant sur elles un œil critique, afin de se détacher du caractère misogyne et patriarcal que le langage conventionnel renferme (von Flotow, 1991 : 72). Cet examen approfondi du langage, permet dans le même temps, comme le dit Sherry Simon, de redéfinir la notion de « fidélité » de la traduction ou « transparency » selon les termes de Venuti. En outre, « For feminist translation, fidelity is to be directed toward neither the author nor the reader, but toward the writing project–a project in which both writer and translator participate » (Simon, 1996: 2).

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De ce fait, cette approche à différentes conséquences visibles sur le texte traduit. Tout d’abord, en recourant au détournement, en préfaçant, annotant ou simplement par des ajouts, le ou la traductrice s’autorise à révéler sa présence, se rendre visible. Ceci vient donc marquer son implication directe dans le processus de transfert, mais aussi et surtout, la conscience que son rôle de médiation s’inscrit dans une démarche que l’on pourra qualifier de politique (von Flotow, 1991 : 75), en ce sens qu’elle se met au service d’un élan progressiste et du renouveau de la tradition littéraire et langagière (Simon, 1996 : 2). Comme on peut le remarquer, cette éthique de traduction et celle à laquelle aspire Lawrence Venuti sont étroitement liées, sinon semblables.

Une autre question que la traduction féministe aborde est en relation avec l’éthique de la démarche, est celle de l’attitude, ou plutôt de la position que le traducteur adopte vis-à-vis de l’interdépendance entre le texte traduit et l’original. Ce positionnement traite également de l’élément crucial qu’est la retraduction. Nous avons vu avec Venuti, deux types d’approches possibles. La première que l’on qualifiera d’ethnocentrique consiste à intervenir sur le texte pour augmenter sa « fluency » et sa « transparency ». C’est ce qu’Oster appelle quant à elle une traduction dite « d’acclimatation », « qui s’attache à faire connaître l’œuvre dans la culture- cible » (2018 : 5). On constate ici, que la préoccupation principale est d’estomper autant que faire se peut la particularité, la singularité qui font de l’œuvre son originalité. C’est pour cette raison que la seconde, une « foreignizing » approche, pour laquelle on pourra opter dans le cadre d’une retraduction ou tout simplement d’une traduction féministe, permettra « de véhiculer plus précisément une idée pouvant avoir été occultée par la première traduction » (Oster, 2018 : 5). Ainsi, on pourra parler en quelque sorte d’un engagement du traducteur à rester fidèle au texte en s’assurant de rendre au mieux la complexité de la parole de l’auteur.

Ce qui sous-entend également de s’affranchir des contraintes que la culture-cible pourrait imposer. Cette éthique visant à retranscrire le plus fidèlement possible le message véhiculé par l’original permet en outre, de légitimer l’intervention plus ou moins marquée du traducteur sur le texte. Ces interventions ont donc pour but de palier au mieux aux manques, ou difficultés que représente le passage d’une langue à une autre.

La tâche à laquelle s’attèle la traduction dite féministe pourra être résumée de la manière suivante. Très proches des préoccupations de Lawrence Venuti en ce qui concerne la visibilité du traducteur, les théoriciennes de ce mouvement militent pour la reconnaissance par l’affirmation de leur travail en adoptant une approche performative de la traduction. Ce faisant, leurs travaux peuvent être assimilés à une prise de position politique. En effet, cet engagement une éthique visant à dépasser le cadre de ce que nous appellerons la fidélité textuelle en

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proposant une interprétation, un point de vue nouveau sur une œuvre originale. Pour ce faire, la traduction procède alors à une analyse de la langue. Le langage comme construction arbitraire, dictée par les codes propres à une culture, permet d’appréhender les rapports de forces présents dans une société. C’est d’ailleurs par cette analyse du langage, que la traduction devient féministe. En se focalisant sur la sémantique, mais aussi sur l’attention portée au choix des mots employés, le travail des traducteurs consiste alors à proposer deux choses. D’une part, une production littéraire centrée sur le texte et son message, faisant abstraction des contraintes imposées par la réception dans la culture cible. D’autre part et par voie de conséquence, de s’inscrire dans une démarche progressiste permettant, à la fois de dénoncer, mais aussi d’outrepasser les codes structurants le langage jugés comme étant des projections représentatives d’une idéologie patriarchale. En d’autres termes d’amorcer un renouveau langagier permettant de donner aux femmes voie au chapitre, en ayant l’opportunité de développer un vocabulaire propre, mettant en adéquation pensée et expression. Ces dispositions participent donc à la création d’une éthique qui, par la réappropriation « féministe » du texte, vise à pallier la distorsion volontaire et/ou involontaire de l’image de la femme et de sa voie dans le domaine des Lettres, tout en rééquilibrant la balance dans les rapports de pouvoirs entre les genres.

C. Oster fait malgré tout une remarque concernant les manipulations apportées au texte en ajoutant que, « les lacunes ou la méconnaissance du contexte idéologique, littéraire, culturel, ou tout simplement le manque de recul par rapport à un texte ou une époque peuvent nuire aussi sûrement à la qualité de la traduction qu’une manipulation délibérée » (2018 : 5). Il faut donc faire preuve de vigilance et avoir un recul suffisant lorsque l’on tente de déterminer les raisons à l’origine des modifications présentent dans la traduction.

Nous avons vu dans cette partie en quoi les théories féministes et théories de genre étaient utiles quant à l’éthique à adopter lors de la traduction d’un texte. Cette éthique aspire aux mêmes avancées que celle proposée par Venuti en ce sens, qu’elles traitent toutes deux de la notion d’invisibilité du traducteur, de la reconsidération de son statut mais aussi de celui de la traduction et enfin de critères permettant de repenser la manière de juger plus objectivement de la qualité d’une traduction.

2.3. Les personnages dans la littérature

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Le terme de fiction englobe différents éléments qui la constituent. La fiction, comme la définit Reuter, est l’univers mis en scène par le texte : l’histoire, les personnages, l’espace-temps (2016, section 2). Ainsi, lorsque l’on veut analyser les caractéristiques d’une histoire, sur sa singularité, il est important de se pencher sur les éléments constitutifs de la fiction.

Dans ce mémoire le travail qui nous occupe est comme nous l’avons déjà mentionné, de porter notre attention sur la jeune héroïne, Pippi Långstrump. En effet, les personnages sont en quelque sorte la clé de voûte de l’histoire, puisque ce sont eux qui « permettent les actions, les assument, les subissent, les relient entre elles et leur donnent sens » (Reuter, 2016, section 2.2). C’est donc à travers les personnages et leurs actions que la fiction tire son essence. Un autre point important que soulève la question des personnages est qu’ils sont « des éléments clés de la projection et de l’identification des lecteurs » (Reuter, 2016, section 2.2). Il est intéressant de mettre cette affirmation de Reuter en relation avec ce que nous dit Heldner au sujet de la traduction de la première traduction de Pippi Långstrump. En effet, elle avance l’hypothèse selon laquelle les modifications et altérations apportées au texte par la traductrice Marie Loewegren, auraient pour but d’empêcher ou plutôt de limiter l’identification des jeunes lecteurs à des personnages fictifs ne faisant pas suffisamment montre de savoir-vivre, d’exemplarité (Heldner, 1992 : 68).

Pour en revenir aux personnages, nous allons maintenant nous intéresser à la manière dont ils sont présentés. Reuter fait référence aux travaux de Philippe Hamon, et à sa ‘grille de lecture’ permettant de distinguer et de hiérarchiser les personnages. Pour ce faire, Hamon propose six catégories de critères. Cette catégorisation permet en premier lieu de différencier les qualifications attribuées aux personnages tant physiques, psychologiques, comportementales que sociales. Ensuite, elle permet également d’analyser l’importance des personnages en fonction de la durée et de la fréquence à laquelle ils apparaissent tout au long du récit. En somme, quelle stratégie a été adoptée pour mettre en scène les personnages et ce qu’elle nous révèle sur le degré d’importance des personnages. Enfin, elle peut également permettre une évaluation des personnages en fonction de la manière dont ils sont décrits, c’est- à-dire, le discours dont il est fait usage pour parler d’un personnage.

Une des catégories de critère qui va se révéler être extrêmement utile pour notre travail est celle que l’on nomme la pré-désignation conventionnelle. Grâce à cette dernière, il est possible de combiner le personnage et ses actions en se référant à un genre donné. Ceci sous-entend également qu’indépendamment de l’histoire, les attributs et actions d’un personnage peuvent être codifiés ou régis par un ensemble de caractéristiques traditionnellement associées à un genre littéraire spécifique. Ce qui présuppose que le lecteur soit familier du genre en question,

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mais qui permet du même coup de faciliter la catégorisation du personnage par ces spécificités communes relative au genre en question. Reuter souligne cependant le fait qu’à partir de la fin du XIXe siècle les romanciers contemporains et d’avant-garde n’ont eu de cesse de remettre en cause la légitimité de cette approche. En ayant recours à l’euphémisation et au brouillage de ces marqueurs, ils ont remis en question la place du personnage dans l’œuvre littéraire et le bien-fondé des routines de lecture. Les deux points soulever dans ce paragraphe vont nous servir pour aborder la question de l’œuvre d’Astrid Lindgren et plus particulièrement de son personnage, Pippi.

3. Spécificités du travail d’Astrid Lindgren

3.1. Innovation dans la littérature pour enfant

Les universitaires s’accordent à dire que l’œuvre de Lindgren est à bien des égards, une véritable révolution dans le genre de la littérature pour enfant. D’un point de vue du style notamment, comme le soulignent A. Gnaedig, C. Heldner ou encore V. Edström, les textes de l’auteure sont imprégnés par l’oralité. « A linguistic game in which the phonetic qualities too, are important, for the swing of the rhythm and the beauty of style » (Edström, 2000 : 11). C’est d’ailleurs, comme le dit Gnaedig, ce jeu sur l’oralité qui rend la traduction dans une autre langue des textes de Lindgren si complexe. Mais c’est un autre aspect de l’œuvre de Lindgren qui va nous intéresser ici. Comme nous l’avons vu précédemment, la pré-désignation conventionnelle permet au lectorat d’avoir en quelque sorte une liste d’attentes quant aux caractéristiques, aux attributs d’un personnage en relation avec le genre littéraire auquel appartient le livre en question. D’après Gnaedig, le style des livres de l’auteure suédoise se plient « aux canons que l’on s’attend à trouver dans différents genre littéraires » (2007 : 135).

Mais comme le rappelle Edström, ce qui participe grandement au plaisir de lecture des livres de Lindgren est cette faculté qu’elle a d’assoir ses textes sur une structure allant de pair avec un genre littéraire spécifique, tout en outrepassant ses règles. Elle ajoute également que c’est sans aucun doute avec le livre Pippi Långstrump que l’auteure remet le plus en question les codes existants, mais en gardant malgré tout un fort attachement aux traditions littéraires (2000 : 21).

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Pour bien comprendre l’origine du caractère innovant et unique du travail de Lindgren il est important de rappeler que c’est au cours du XXe siècle que s’opère un changement radical dans la façon de considérer l’enfant, la place qu’il occupe dans la société et donc par extension son éducation. On pourra citer les travaux de la féministe suédoise Ellen Key et notamment son livre Le siècle de l'enfant. Avec l’émergence de cette vision nouvelle, l’enfant est placé au centre du débat. Il n’est plus considéré exclusivement comme un individu à former à travers une éducation stricte en jugulant ce qui fait de lui un enfant. C’est dans la continuité de cette pensée que l’on pourra inscrire le travail de Lindgren.

3.2. Pippi Långstrump et le féminisme

Le personnage de Pippi est donc particulièrement intéressant et ce à plusieurs titres. En la mettant en relation avec le concept de pré-désignation conventionnelle, on peut aisément déceler une rupture avec l’image traditionnelle du personnage de la jeune fille dans la littérature pour enfant. De manière très directe on pourra parler de son apparence physique : sa manière de s’habiller très peu conventionnelle, pour commencer, mais aussi et surtout « ses cheveux roux comme des carottes », « son nez, parsemé de taches de rousseur » en forme de « petite pomme de terre nouvelle » et « une grande bouche aux dents saines et blanches » (Lindgren, Gnaedig 2015 : 10-11), ce qui est loin de l’image mentale stéréotypée que l’on a d’une héroïne.

Pourtant, comme l’avance Edström : « Whereas Anne of Green Gables, is convinced that the color of her hair is going to ruin her life, Pippi radiates self-esteem » (2000 : 97).

Ensuite, un aspect issu de l’analyse comportementale du personnage donne une autre indication sur la singularité de Pippi. Comme le note Edström : « the girl in earlier children’s literature had mostly had quite a hard task minding her manners, cutting out awkwardness and attention-seeking » (2000 : 99). Le but étant de préparer les filles à se comporter comme des dames dès le plus jeune âge. On pourra mettre cela en relation avec ce souci de remettre en cause la place accordée jusqu’à lors à l’enfant, à le laisser s’exprimer pleinement, sans le brider en lui imposant une façon d’être calquée sur le comportement d’un adulte, une sorte d’émancipation vis-à-vis des adultes. Edström va plus loin encore en présentant l’analyse suivante : « I guess Astrid Lindgren must have had similar feelings, and created her Pippi in desperation and protest against the fine-lady ideal, for Pippi reveals advanced plans of becoming a proper lady » (2000 : 99).

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Ce personnage à l’apparence et au comportement paradoxal dans le sens premier du terme, est en rupture avec les règles et usages sociaux considérés comme acceptables comme le suggère Edström (2000 : 91). C’est notamment, grâce à cette capacité de repousser ou même de dépasser les limites, de prendre des risques et de rester fidèle à elle-même que Pippi acquiert sa dimension féministe. Comme le dit Edström : « she comes from the open seas – as far from a sequestered girl ideal as is conceivable » (2000 : 99). Ainsi, il est possible de la considéré

« comme une héroïne qui subvertit les frontières de genre » (Söderberg, 2010 : 78). Le fait qu’elle soit douée d’une force exceptionnelle, on se réfèrera ici au passage au cours duquel elle triomphe de l’homme le plus fort du monde, met l’accent sur l’inversion de la balance traditionnelle des pouvoirs qui voudrait que les hommes soient plus fort que les femmes. C’est à travers ses actions et interactions avec les autres personnages, son cadre de vie, que la petite fille est devenue « figure aussi largement plébiscitée par les féministes » (Söderberg, 2010 : 79). Eva Söderberg ajoute plus loin que le caractère de Pippi vient « bouleverser les rapports de pouvoirs à la fois entre adultes et enfants, et entre hommes et femmes. Elle fait face aux attitudes viriles et paternalistes des hommes en se servant de ses ressources tant verbales que physiques » (2010 : 80). Mais une question se pose cependant. En effet, il n’est pas donné la possibilité au lecteur d’avoir accès à la psyché du personnage (Edström, 2000 : 96). On peut alors s’interroger sur les motivations véritables de l’héroïne lorsqu’elle agit. Est-ce toujours une volonté de rétablir l’équitée qui l’anime ou est-elle seulement dans la démonstration de force et la confrontation ?

Un dernier point que l’on pourra noter, nous est donné par Söderberg. Elle s’intéresse à la question des cadeaux et des jeux que Pippi fait avec ses amis. L’exemple pris concernant les cadeaux est le suivant : Lorsque Tommy et Annika choisissent eux-mêmes leurs cadeaux, ils sont souvent sexués. En effet, les deux enfants, voisins de Pippi réponde aux canons de la petite-fille et du petit-garçon modèles. En revanche lorsque le choix incombe à Pippi, « c’est toujours un objet neutre du point de vue du genre » (Söderberg, 2010 : 81). Enfin, la question des jeux démontre le souci d’inclure Tommy et Annika. Ainsi, « beaucoup des jeux proposés par Fifi sont neutres du point de vue du genre » (2010 : 81).

L’ensemble des caractéristiques du personnages de Pippi que nous venons d’aborder permettent donc de mieux saisir la raison pour laquelle l’héroïne a pu être considéré comme une incarnation littéraire de l’émancipation de la femme. Il faut cependant rappeler que Lindgren n’a jamais explicitement formuler volonté particulière de faire de son personnage un faire-valoir d’une quelconque idéologie (Heldner, 1992 : 67).

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4. Les traductions françaises de Pippi Långstrump

Comme nous l’avons vu, lors de la traduction d’une œuvre littéraire, de nombreux problèmes se posent pour le ou la traductrice, il lui faut donc de manière plus ou moins arbitraire faire un choix, en accord avec sa propre conscience ou éthique, avec la société qui paradoxalement, à la fois de manière prégnante, implicite et inconsciente imprime sa marque, avec la maison d’édition et sa ligne éditoriale ou parfois encore avec l’auteur lui-même. On peut donc aisément comprendre la nécessité ou tout du moins la volonté de retraduire des œuvres littéraires, pour les actualiser, les affiner, et se faisant, de les faire correspondre avec le contexte social, sociétal et culturel contemporain au moment de la traduction. Ainsi, les ouvrages de Lindgren qui nous intéressent ici, ont été traduits à deux reprises. La première au début des années 1960, la seconde au milieu des années 1990.

4.1. La première traduction par Marie Loewegren

Dans son mémoire, Lena Bergenwall, s’appuyant sur une sélection de passages issus de Pippi Långstrump et Fifi Brindacier, présente les différences entre les deux traductions en relation avec le texte original. Se faisant, elle démontre que ces différences, parfois notables, sont symptomatiques de l’écart culturel entre la Suède et la France. En 1992, dans un article intitulé Une anarchiste en camisole Fifi Brindacier ou la métamorphose française de Pippi Långstrump, Christina Heldner fait une analyse critique de la traduction réalisée par Marie Loewegren parue en 1962, seule traduction disponible à cette époque. Consciente des problèmes inhérents à la traduction, elle se propose de se « concentrer sur les défauts majeurs, qui, eux, n'ont rien à voir avec les difficultés réelles de la pratique de la traduction » (1992 : 66). Un point d’une importance non négligeable, est qu’au vue de « l'énormité des altérations subies par la version française » (1992 : 66), elle ne considère donc pas le livre français comme un traduction mais comme une adaptation de l’œuvre de Lindgren. Partant de ce constat, il est donc évident que les amputations, les atténuations, les altérations et autres modifications ne sont pas le fait d’un hasard malheureux ou d’un manque de compétence de la traductrice, mais bien le résultat d’un choix conscient et délibéré. Si l’on s’intéresse par exemple aux passages

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supprimés, on remarque que, comme le dit Heldner, « qu’ils font souvent apparaître des adultes désagréables ou insolents contre lesquels Pippi se défend en se moquant d’eux » (1992 : 68).

On peut donc penser de manière assez légitime qu’effectivement la liberté de ton et surtout la création d’un personnage disruptif, venant interroger ou en un sens, remettre en question l’ordre social établi constitue le cœur du problème. C’est ainsi, que Bergenwall en tire la conclusion suivante, à savoir que c’est en raison des différences culturelles impliquant donc des différences d’acceptation, que la version française proposée par Marie Loewegren est si éloignée de l’œuvre originale. Ce qui sous-entendrait également, que la société française des années 1960 avait un ancrage dans un réseau de valeurs bien plus traditionalistes et rigides que celles ayant court dans la Suède du milieu des années 1940. On pourra également apporter une nuance à ces conclusions en rappelant que, bien que particulièrement novateur et en rupture avec les codes littéraires traditionnels, le personnage de Pippi avait été remanié, assagi, par Lindgren elle-même pour que le livre soit accepté par la maison d’édition Rabén & Sjögren.

4.2. La seconde traduction par Alain Gnaedig

Les ouvrages d’Astrid Lindgren et notamment ceux mettant en scène Pippi Långstrump, ont été traduits plus récemment, en 1995, par Alain Gnaedig. Lorsque ce dernier parle de son travail de traduction des œuvres de l’auteure suédoise il nous dit ceci : « le traducteur doit rendre, transposer, interpréter en français – interpréter au sens d’interpréter une partition musicale – ces effets, ces styles et ces voix » (Gnaedig, 2007 : 135). Cette affirmation laisse entendre que sa vision du travail de traduction est ancrée sur le travail de l’auteure et que le but de Gnaedig est de transmettre autant que faire se peut, l’essence même du texte et donc d’être le plus fidèle possible à l’intention que l’auteure a donné lors de la réaction de son ouvrage. La singularité ou la dimension unique du travail d’Astrid Lindgren n’est selon lui pas le fruit du hasard, puisqu’après avoir échangé avec Karin Nyman, la fille de l’écrivaine, il conclue que « Lindgren était particulièrement soucieuse et consciente de ce qu’elle voulait écrire et des effets qu’elle souhaitait produire avec le plus d’efficacité. Ainsi, on est en droit de penser que tacitement il prend un engagement, celui de faire ce que F. Schleiermacher avait nommé bien des années plus tôt « foreignizing translation » (Venuti, 2008 : 15). Cependant, on pourra tout de même rappeler que, même si la traduction se veut exemplaire, en d’autres termes le plus proche possible de l’original, on trouve tout de même certains aménagements du texte, certaines

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libertés que le traducteur s’est accordé de manière justifiée ou non. L’analyse comparative des textes faite par Bergenwall, révèle des différences entre la traduction de Gnaedig et l’original de Lindgren. Elle nous apprend entre autres, que « le niveau de langue du texte source » (2012 : 18) est mieux respecté chez Gnaedig. Comme le dit le traducteur, une attention particulière a été portée au respect de l’oralité si remarquable dans le style d’écriture de Lindgren. Un autre point qu’il aborde et qui peut servir à expliquer sa volonté de rester le plus fidèle possible à l’original, la dimension universelle du travail de Lindgren et sa transposabilité dans n’importe quel pays. Il dit d’ailleurs que les thèmes que l’écrivaine aborde, « trouve immédiatement un écho par-delà les différences culturelles et nationales » (2007 : 138). Il affirme également, que

« l’on conviendra aisément que Fifi sera dérangeante ou absurde non seulement en Suède, mais dans le monde entier. Elle trouve donc sa place partout » (2007 : 38), ce qui laisse donc supposer plusieurs choses. Si l’on se réfère à la première traduction réalisée par Marie Loewegren, qui comme le dit Heldner est une adaptation traduite, on peut donc en conclure que selon la société en question, le degré d’acceptation de certaines caractéristiques psychologiques ou comportementales d’un personnage qui est, il important de le rappeler, fictif n’est pas le même. Ce que vient également confirmer ce que Heldner nous dit de la traduction de Loewegren puisque affirme-telle, « même aux yeux d'un public conservateur, ces livres n'offrent rien de bien subversif » (Heldner, 1992 : 68). Comme le conclue également Bergenwall, les différences culturelles sont donc une des raisons expliquant les écarts entre les traductions et le texte original.

Ayant analyser les grandes tendances caractérisant des deux traductions disponibles actuellement des livres traitants de Pippi Långstrump, on peut donc objectivement s’attendre à ce que ce personnage ne soit pas présenté ou représentée de la même manière. On pourra penser que dans la version de Loewegren et comme Heldner le dit, on aura une Pippi beaucoup plus consensuelle, policée, ayant perdu sa dimension subversive qui la caractérise. A contrario, dans la version livrée par Alain Gnaedig on peut s’attendre à avoir accès si non à l’entièreté du personnage, tout du moins plus proche et fidèle à l’héroïne créée par Lindgren.

5. Analyse comparative des deux traductions françaises

L’objet de cette étude est dans un premier temps d’identifier et d’analyser les différences entre les textes de Lindgren et leurs traductions françaises. Contrairement au travail de Bergenwall

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traitant plus particulièrement de l’influence du contexte socio-culturel sur la traduction, nous analyserons quant à nous l’influence du traducteur et de son éthique de traduction – se reflétant dans la narration et dans les choix lexicaux – sur les textes français, en les comparant entre eux et avec les originaux suédois.

Nous utiliserons ici différents passages des aventures de Pippi Långstrump. Ces derniers ont été sélectionnés dans les livres suivants :

Fifi Brindacier/ Pippi Långstrump

Fifi Princesse / Pippi Långstrump går ombord

5.1. Fifi Brindacier / Pippi Långstrump

5.1.1. Pippi flyttar in i Villa Villekulla / « Drôlederepos » / Fifi s’installe à la villa Drôlederepos

Nous allons débuter l’analyse des différents passages en nous intéressant au chapitre, probablement le plus à même de nous livrer d’importantes informations sur le personnage de Pippi. Ce chapitre, le premier, fait découvrir aux lecteurs la jeune héroïne notamment à travers sa rencontre avec les habitants de la ville, en l’occurrence, Tommy et Annika. Nous allons donc tenter de présenter au mieux les différences présentent dans les différentes versions de ce chapitre pour pouvoir finalement en tirer des conclusions sur les différentes stratégies de traduction mises en place.

Dès les premières lignes on peut noter une différence concernant l’image des parents de Pippi. On commencera par mentionner la soustraction faite dans la version de Loewegren, de la précision qu’apporte Lindgren lorsqu’elle présente son personnage « [i]ngen mamma eller pappa hade hon » (2016 : 5). On retrouve dans la version de Gnaedig ce passage sous la forme suivante : « sans papa ni maman » (2015 : 7). Plus loin on remarque ceci,

Mamman hade dött när Pippi bara var en liten, liten unge som låg i vaggan och skrek så förskräckligt att ingen kunde vara i närheten. (Lindgren, 2016 : 5) Sa maman était morte alors que Fifi n’était encore qu’un bébé. (Loewegren, 1988 : 9)

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La maman de Fifi était morte quand celle-ci n’était qu’un tout petit bébé qui braillait si fort dans sa poussette que personne n’arrivait à rester à côté d’elle (Gnaedig, 2015 : 7)

De manière assez surprenante dans la première traduction le fait que Pippi soit un être à part, et ce dès son plus jeune âge, est supprimé. Comme s’il y avait ici une volonté de faire disparaitre un signe précurseur de la singularité à venir de ce personnage en la remettant dans la norme. Un autre passage plus représentatif de la place qu’accordent respectivement l’auteure et les traducteurs à l’adulte, intervient lors de l’explication concernant les chaussures de Pippi.

Och så hade hon ett par svarta skor som var precis dubbelt så långa som hennes fötter. De skorna hade henne pappa köpt åt henne i Sydamerika, för att hon skulle ha lite att växa i, och Pippi ville aldrig ha några andra. (Lindgren, 2016 : 10)

Ses pieds étaient chaussés de souliers noirs qui étaient exactement deux fois trop grand pour elle. (Loewegren, 1988 : 14)

Et puis, elle était chassée de souliers noirs deux fois trop grands pour elle. Son papa les lui avait achetés en Amérique du Sud pour que les pieds de Fifi aient la place de grandir un peu. Fifi n’en avait jamais voulu une autre paire. (Gnaedig, 2015 : 11)

Ici, Loewegren ajoute la précision « exactement » pour rendre le mot « precis » employé par Lindgren. Cependant, on remarque une fois encore, l’omission complète de la raison pour laquelle le personnage est chaussé de la sorte. Ce stratagème ne nuisant pas réellement à la compréhension globale du texte, permet de ne pas remettre en cause l’image du père et donc par extension celle des adultes. En effet, le raisonnement que tient le capitaine Brindacier, à mi-chemin entre celui d’un enfant et une manière habile de parer à une problématique réelle, par le comique que ce passage instaure de surcroît, décrédibilise quelque peu l’autorité des parents. Ainsi, l’adulte perd son statut de supériorité et devient presque l’égal de l’enfant. On pourra d’ailleurs rappeler que dans le livre Ronja Rövardotter (Ronya, fille de brigand dans sa version française) met également en scène l’image d’un père infantilisé par le comportement qu’il adopte vis-à-vis de sa fille.

Le passage correspondant à la rencontre de Pippi avec ses voisins Annika et Tommy est aussi riche d’enseignements sur le parti pris des traducteurs. Elle y explique pourquoi elle marche à reculons, mais pour ce faire ment ouvertement aux deux enfants avec qui elle converse. Ici, pour des raisons de concision, ne sera cité que le passage tiré du livre traduit par Loewegren.

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« Oui, tu as raison, je mens, fini-t-elle par avouer vexée.

C’est laid de mentir, dit Annika qui osait enfin ouvrir la bouche.

Oui c’est très laid de mentir, dit Fifi. Peut-on d’ailleurs exiger d’une petite fille, dont le papa est roi quelque part en Afrique, et qui n’a fait que naviguer toute sa vie, qu’elle dise toujours la vérité ?

Bien sûr », fit Tommy, et il sentit tout à coup que cette journée ne serait sans doute pas ennuyeuse. (Loewegren, 1988 : 15)

Le premier commentaire portera sur un mot employé par Loewegren, elle utilise « vexée

» quand Lindgren écrit « sorgset », que Gnaedig traduit par « désolée ». En utilisant le terme « vexée », Loewegren met l’accent sur un trait du caractère de Pippi qui n’est pas présent dans l’orignal, en renvoyant l’image d’une petite fille menteuse, mais qui en plus accepte mal la contrariété. On ajoutera également que Loewegren prend la décision de ne traduire que « en pappa som är en söderhavskung » de la manière suivante : « dont le papa est roi quelque part en Afrique » (1988 : 15), en omettant la première partie de la préposition « som har en mamma som är en ängel ». On constatera d’ailleurs que söderhavskung est transformé en roi quelque part en Afrique alors que, Gnaedig quant à lui, reste proche de l’original en écrivant « [m]a maman est un ange, mon papa est le roi des Mers du Sud » (2015 : 14).

Toutefois, la différence la plus notable dans ce passage intervient lors la deuxième réplique de Pippi. En réalité elle ne s’arrête pas après avoir posé la question à laquelle semble répondre Tommy. Bien au contraire, elle continue à justifier cette habitude de mentir en avançant un nouveau mensonge. Elle affirme qu’aucun habitant du Congo ne dit jamais la vérité et que c’est après avoir passé beaucoup de temps dans le pays qu’elle aurait faite sienne cette fâcheuse manie. L’intention de la traductrice est donc aisément identifiable. Un enfant doit aspirer à être honnête, le mensonge n’est donc pas un comportement acceptable, comme le rappellent Tommy et Annika à Pippi. Seulement, lorsque l’héroïne fait amende honorable et reconnait qu’elle a commis une mauvaise action en mentant, le passage est conservé. C’est donc pour limiter l’influence hypothétiquement néfaste de la représentation d’un personnage au comportement malicieux que la version de Loewegren est bien plus courte. Il est toutefois étonnant de constater que la phrase venant conclure l’intervention de Pippi : « Vi kan väl vara vänner ändå, säj ? », que Gnaedig traduit par « Nous pourrions bien être amis, pas vrai ? », n’est pas présente chez Loewegren.

Enfin, un dernier passage dans ce chapitre pourra attirer notre attention. Lors de la confection d’une pâte à crêpe et avoir reçu un œuf sur la tête Pippi explique :

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« J’ai toujours entendu dire que le jaune d’œuf était excellent pour les cheveux, dit-elle en s’essuyant. Vous allez voir à quelle vitesse ils vont se mettre à pousser maintenant. D’ailleurs, au Brésil, tout le monde se promène avec des œufs brouillés dans les cheveux.

C’est pour cela aussi qu’on n’y voit pas de chauves. » (Loewegren, 1988 : 17) J’ai toujours entendu dire que le jaune d’œuf était bon pour les cheveux, dit Fifi en s’essuyant les yeux. Vous allez voir, ils vont pousser à toute vitesse ! D’ailleurs, au Brésil tout le monde se promène avec du jaune d’œuf dans les cheveux. C’est pour ça qu’il n’y a pas de chauves. Sauf ce vieux monsieur tellement stupide qui mangeait ses œufs au lieu de s’en tartiner le crâne. Bien entendu, il s’est retrouvé sans un poil sur le caillou. Quand il sortait dans la rue, il y avait un tel bazar que l’on était obligé d’appeler la police. (Gnaedig, 2015 : 17).

Impasse est faite sur l’histoire du vieux monsieur chauve. On serait en droit de se demander pourquoi Loewegren décide de conserver la première partie à propos du Brésil et pas la seconde, puisque toutes deux semblent être tout droit sorties de l’imagination débordante de la jeune héroïne. Un élément de réponse réside dans le fait qu’elle tourne en ridicule un adulte.

Une fois encore, cette anecdote, vient entrée en conflit avec le primat de l’adulte sur l’enfant en remettant en question la notion d’autorité, car un enfant ne peut pas moquer un adulte. Au contraire, il lui doit respect et obéissance. Pour y remédier, la traduction Loewegren passe donc tout bonnement sous silence cette partie de l’histoire.

5.1.2. Pippi sitter på grind och klättrar i träd / Fifi et l’arbre creux / Perchés sur une barrière et dans un arbre

Avant même de débuter l’étude comparative des différents passages sélectionnés on pourra s’arrêter sur la différence entre les titres français et le titre original. On voit ici que malgré l’omission de la barrière et de l’escalade de l’arbre, le titre – plus orienté vers le contenu du chapitre – dans la version de Loewegren se focalise uniquement sur Pippi, alors que le titre proposé par Alain Gnaedig, plus proche de l’original, puisqu’il y est fait mention des deux activités, inclut Tommy et Annika, par l’utilisation de la forme plurielle du participe passé « perchés ».

Utanför villa Villekulla satt Pippi, Tommy och Annika. Pippi satt på ena grindstolpen, Annika på den andra och Tommy satt på grinden. Det var en varm och vacker dag i slutet av augusti. Ett päronträd som växte alldeles intill grinden

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sträckte sina grenar så långt ner att barnen kunde sitta och plocka de godaste små gulröda augustipäron utan större besvär. De mumsade och åt och spottade päronskrottar ut på vägen. (Lindgren, 2016 : 53)

Par une belle et chaude journée d’été, les trois petits amis étaient installés devant la villa « Drôlederepos », Fifi et Annika perchées sur les deux piliers de la porte d’entrée et Tommy à califourchon sur la barrière. Un vieux poirier, qui avait poussé tout prêt de là, étendait ses branches si bas que les enfants, pour cueillir des poires, n’avaient qu’à tendre les bras ; et ils ne s’en faisaient pas fautes.

(Loewegren 1988 : 49)

Fifi, Tommy et Annika étaient installés devant la villa Drôlederepos. Fifi et Annika étaient perchées sur un poteau, Tommy assis à califourchon sur la barrière. C’était une chaude et belle journée de la fin août. Un poirier, qui poussait juste à côté de la barrière, étendait ses branches si bas que les enfants pouvaient sans difficulté attraper les poires les plus mûres en tendant le bras. Ils les dévoraient et recrachaient les pépins sur la chaussée. (Gnaedig, 2015 : 53)

Dans ce premier passage, on peut constater plusieurs choses. Premièrement, si l’on porte notre attention sur le texte de Lindgren, on pourra noter que la scène d’exposition est plus détaillée. On y trouve un nombre d’adjectifs qualificatifs plus important que dans les deux traductions françaises. Secondement, on constate que la dernière phrase est totalement remaniée dans la version de Loewegren, pour éliminer le fait que les enfants crachent les pépins de poire. On pourra cependant dire que la version de Gnaedig fait l’impasse quant à elle, sur le verbe mumsade, qui en français, aurait nécessité l’ajout d’une proposition complète équivalant le sens du verbe.

Le plus grand changement que l’on peut rapporter dans ce chapitre vient à la suite de ce passage. En effet, dans la version de Loewegren, le second paragraphe débute comme suit :

« Le jardin de Fifi était ravissant » (1988 : 49). Cette phrase se retrouve chez Gnaedig, à la page 58, soit cinq pages plus loin. On constate donc que Loewegren opte, de manière arbitraire, pour la suppression d’un passage de taille considérable. L’amputation du texte ainsi réalisée permet à la traductrice de dissimuler une fois encore, une facette du caractère de Fifi. En effet, ce passage met en scène la jeune héroïne, qui, usant de malice, utilise la rencontre fortuite avec une petite fille pour inventer une histoire rocambolesque se déroulant à Shangaï. Se servant de la crédulité de l’enfant, elle achève son récit, à la manière d’un conte. A vocation didactique, cette historiette se conclue par une morale enjoignant son auditoire, des enfants, à ne pas croire aveuglément en tout ce que l’on entend, en somme de faire preuve de bon sens critique.

Loewegren prend ici le parti d’omettre ce passage pour masquer le mensonge du personnage au détriment de la morale venant conclure son histoire. On pourra enfin, se demander si cette

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suppression n’est pas également due à l’interprétation faite de cette morale qui pourrait être assimiler, une nouvelle fois, à une remise en cause de la relation enfant/adulte, dans laquelle l’adulte serait le sachant. En somme que l’autorité et la sagesse conférées de facto à l’adulte par son statut seraient à questionner.

Enfin, un court passage concernant Pippi pourra aussi retenir notre attention.

” Varför sörja, varför klaga”, sa Pippi. ” Kom ner hit i stället ni också, så kan vi leka att vi försmäktar i en fängelsehåla.” (Lindgren, 2016: 60)

« A quoi bon pleurer ? dit Fifi. Descendez me retrouver, vous deux. Nous ferons semblant d’être des prisonniers qui se languissent dans un cachot. (Loewegren 1988 : 49)

- Pourquoi pleures-tu ? Allez venez me rejoindre. On va jouer aux prisonniers qui meurent de faim dans leur cachot. (Gnaedig, 2015 : 61)

On constate dans ce passage que dans la première version de la traduction le discours rapporté de Pippi est adouci, en comparaison avec la version plus récente de Gnaedig. On ne parle pas de prisonniers, qui privés de nourriture s’éteignent progressivement, mais plutôt – sous l’influence de la traductrice certainement, et peut être même de la maison d’édition – de langueur, conséquence de leur détention. On est donc en présence d’une réalité en quelque sorte idéalisée.

Ce que l’on peut constater avec ces différents passages, est qu’à plusieurs reprises la première traduction, en ayant recours à différents subterfuges, tente de masquer, parfois partiellement, parfois intégralement, différents aspects ou caractéristiques des personnages pouvant être jugées comme inconvenantes. Si l’enfant fait preuve de correction alors il ne doit pas cracher par terre, même pas de pépins de fruits, même en étant à l’extérieur. Il ne doit pas non plus mentir comme le fait Pippi même si le mensonge participe in fine à en retirer une leçon importante. Enfin, un enfant ne parle pas ou plutôt ne joue pas à simuler la mort. Sur ce dernier point, on pourra rappeler que le rapport à la mort tient une place importante dans l’œuvre de Lindgren, comme par exemple dans l’ouvrage Bröderna Lejonhjärta (en français Les Frères Cœur-de-lion).

5.2. Fifi Princesse / Pippi Långstrump går ombord

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5.2.1. Pippi går i affärer / Fifi fait des emplettes / Fifi fait des courses

Elle courut chercher le sac que lui avait donné son papa, le capitaine Ephraïm Brindacier. Elle en sortit une poignée de pièces d’or qu’elle fourra dans la poche de son tablier.

Quelques instants plus tard, on pouvait voir trois enfants trotter dans la rue, M.

Dupont perché sur l’épaule de Fifi. Le soleil brillait dans le ciel bleu.

(Loewegren, 1990 : 126 -127)

- Moi j’en ai, répliqua Fifi qui, pour le prouver, alla ouvrir sa valise bourrée de pièces d’or.

Elle en prit une poignée qu’elle fourra dans la poche de son tablier.

- Ah ! Si seulement je trouvais mon chapeau nous pourrions nous mettre en route ! Pas de trace du chapeau. Fifi chercha d’abord dans le coffre à bois mais, curieusement, il ne s’y trouvait pas. Elle regarda ensuite dans la huche à pain mais n’en ressortit qu’un fixe-chaussette, un réveil cassé et un vieux croûton.

Pour finir, elle jeta un coup d’œil dans l’armoire à chapeaux mais n’y découvrit qu’une poêle à frire, un tournevis et un morceau de fromage.

- C’est le bazar complet ! Je ne trouve plus rien du tout ! dit Fifi furieuse. Je cherche ce fromage depuis un sacré bout de temps. C’est un coup de pot que je mette la main dessus. Chapeau, où est-tu ? finit-elle par crier. Tu viens avec nous ou non ? Si tu ne montres pas tout de suite, tu vas être en retard !

Aucun chapeau ne pointa le bout de son nez.

- Tant pis pour lui. Quel entêté, tout de même ! Mais je ne veux pas entendre de jérémiades quand je rentrerai, dit-elle fermement.

Peu après, Tommy, Annika et Fifi, avec M. Nilsson juché sur son épaule, prirent le chemin du centre-ville. (Gnaedig, 2015 : 143)

Ce passage révèle plusieurs choses. Tout d’abord, on peut voir que Loewegren ajoute une précision quant à la provenance de l’or dont dispose Pippi. Cependant, dans l’original, il n’est aucunement fait mention du la figure du père, comme si la traductrice voulait rappeler qu’un enfant ne pouvait pas réellement avoir autant d’argent en sa possession. Asseyant implicitement, par ce procédé, l’autorité du père qui traditionnellement subvient aux besoins de la famille. Ensuite, on voit très clairement que toute la partie concernant la recherche du chapeau est escamotée, privant ainsi l’accès du lecteur à plusieurs informations. On perd ainsi, le sens de l’ordre et du rangement tout particulier de Pippi. Mais c’est surtout la seconde partie qui est intéressante. Partie dans laquelle elle s’adresse au chapeau. On voit très clairement dans

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