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1. Introduction

La traduction est un champ aussi vaste que compliqué à définir. Lorsque l’on s’y intéresse, de nombreuses questions se font jour et pour y répondre, il est important de définir ce que l’on entend par traduction, quel est le contexte dans lequel elle intervient, quel en est le but ou encore quel médium elle utilise. R. Bannerjee nous renvoie à la double définition formulée par Willis Barnstone : « La lecture est un acte de l’interprétation qui vient du signe graphique…la lecture est la traduction et la traduction est la lecture » (1998 : 136). En effet, si l’on donne à l’acception du terme traduire le sens de rapporter, ou de retranscrire par le biais d’une production écrite la lecture et donc l’interprétation d’un texte faite par le traducteur ou la traductrice, on sous-entend alors que la traduction ne peut être unique. C’est pourquoi, il est important de disposer d’un ensemble de critères permettant d’effectuer une lecture analytique d’une œuvre traduite. Ces éléments offrent, en outre, la possibilité de distinguer différentes tendances liées à la conception de la traduction, à l’origine des choix et directions prises par les traducteurs. Ce faisant, on pourra aussi identifier les facteurs susceptibles de faciliter ou au contraire de complexifier l’exercice.

Subissant l’influence directe du contexte socio-culturel, historique ou encore politique, la traduction, et ce au même titre que d’autres productions littéraires, peut se révéler être une source importante d’informations. La problématique que constitue le passage d’une langue à une autre met donc en évidence la dualité contextuelle existant entre l’original et l’œuvre traduite. Ainsi, l’éthique de traduction adoptée est déterminante dans le processus de transmission des valeurs véhiculées pas un texte. Elle questionne également la relation qu’entretiennent original et œuvre traduite et la perception que l’on peut en avoir. Par conséquent, en analysant comparativement une œuvre originale et ses différentes traductions dans une même langue, il sera possible de mettre en évidence, si différence il y a, les stratégies mises en place par les traducteurs et par voie de conséquence la perception de l’œuvre résultant de ces choix.

1.1. But

Ce mémoire se propose donc de présenter deux traductions françaises des œuvres d’Astrid Lindgren et de les mettre en relation avec les textes originaux suédois. C’est en 1945 que Pippi Långstrump (Fifi Brindacier en français) fait sa première apparition. La jeune héroïne connue

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de tous, que l’on associera volontiers à la culture enfantine suédoise, fait également figure d’incarnation, d’allégorie de la Suède, un pays se voulant résolument progressiste (Söderberg, 2010 : 78). En effet, le caractère novateur des ouvrages de Lindgren, et à bien des égards, rompant avec la tradition littéraire jusqu’à lors d’usage, peut être considéré comme l’amorce d’un tournant décisif dans la littérature jeunesse.

Comme le rappelle notamment Lena Bergenwall dans son travail sur la traduction des livres pour enfants, les œuvres de Lindgren sont porteuses d’une image nouvelle, allant à l’encontre des usages, des normes sociales ayant alors cours. C’est à travers la mutation qui s’opère quant à la place de l’enfant dans la littérature que l’auteure vient transfigurer les règles du genre. Cependant, pour ne pas être réducteur et rendre le plus fidèlement possible la subtilité du style d’écriture de Lindgren, il est important de rappeler que, paradoxalement peut-être, ses histoires sont à la fois ancrées dans un genre tout en dépassant le cadre prévu par celui-ci.

D’après Edström, c’est sans aucun doute le personnage de Pippi Långstrump qui outrepasse le plus ostensiblement les codes, tout en s’y inscrivant (2000 : 21). Fort de ce constat, nous allons donc porter notre attention sur les différentes caractéristiques de Pippi participant à la création de la représentation de son personnage. C’est à travers l’analyse de son comportement, de son rapport à l’autre et bien entendu, de manière plus directe, de son apparence physique que l’on pourra approcher la spécificité de ce personnage que d’aucuns considèrent comme un porte-étendard de la libération de la femme dans la société. Cette ambivalence du personnage à la fois icône du féminisme et incarnation de l’image de la Suède se retrouve notamment dans l’article de Tiina Meri (2018) sur le portail officiel en ligne du pays. Ce qui nous occupera dans ce mémoire sera donc de comparer les textes originaux suédois et leurs traductions françaises en nous focalisant sur la question de la représentation du personnage principal. Ainsi, en confrontant l’image de Pippi véhiculée par les différents textes, nous interrogerons de manière objective le rôle de médiation et de transposition que revêt la traduction.

Nous nous demanderons alors, dans quelle mesure le travail de traduction des différents ouvrages de Pippi Långstrump, mis en relation avec les choix éthiques des traducteurs , peut avoir une incidence sur la représentation du personnage principal ?

Pour répondre à cette question nous axerons notre réflexion sur un point particulier évoqué plus tôt, à savoir la représentation d’un personnage féminin fort et indépendant. Ce faisant, nous essayerons de voir si cette image inédite pour l’époque, présente dans le texte de Lindgren, est à l’épreuve de la traduction en français.

3 1.2. Méthode

La méthode employée dans ce mémoire sera basée sur l’étude contrastive de la narration et des choix lexicaux dans différents passages des livres de Pippi Långstrump et de leurs traductions françaises. Nous nous intéresserons d’abord à la place qu’occupe le traducteur et plus particulièrement à différents concepts relatifs à la question de la visibilité de ce dernier dans le texte qu’il produit. Nous verrons ensuite, en quoi les théories féministes et de genre permettent de traiter la question de la traduction en adoptant une approche, à l’heure actuelle, souvent négligée. Enfin, nous porterons notre attention sur les spécificités du travail de Lindgren. En effet, c’est par et à travers les personnages que l’intrigue se développe. En faisant le choix de mettre en scène une héroïne atypique, dépassant les codes prévus par le genre littéraire, l’auteure autorise l’intrigue à sortir elle aussi du cadre traditionnel.

Pour mener à bien la comparaison des différentes Pippi représentées, dans les textes originaux de Lindgren d’une part et dans les traductions françaises d’autre part, les passages sélectionnés seront ceux dans lesquels la jeune héroïne est décrite au lecteur. Ces passages clés, mis en relation les uns avec les autres, permettront d’abord de brosser le portrait des différents visages dont l’auteure et le traducteur ou la traductrice affublent respectivement le personnage, ensuite, de mettre en exergue les similitudes et différences présentes dans ces représentations.

Ainsi, en analysant de manière comparative les différents passages, il sera possible d’interroger ce que nous appellerons – en empruntant un terme au domaine de la géologie – le degré de

« transmissivité » de la traduction. En d’autres termes la capacité de la traduction de filtrer plus ou moins le message véhiculé par l’original.

1.3. Corpus de référence

Pour pouvoir avoir une vision plus complète de la représentation du personnage de Pippi Långstrump, nous utiliserons trois traductions françaises que nous mettrons en relation avec les textes originaux en suédois. Les deux premières traductions datent respectivement de 1962 pour Fifi Brindacier (une réédition de livre intitulé Mademoiselle Brindacier parut en 1951), et de 1953 pour Fifi Princesse toutes deux réalisées par la même traductrice, Marie Loewegren.

On remarquera d’ailleurs une spécificité de la seconde traduction, Fifi princesse, puisqu’il y

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est indiqué que ce livre est constitué, avec l’accord de l’auteur, de la deuxième partie de Pippi Långstrump går ombord et de l’intégralité de Pippi Långstrump i söderhavet.

La troisième traduction, réalisée en 1995, est quant à elle le travail d’Alain Gnaedig.

L’ouvrage que nous utiliserons dans ce mémoire est intitulée Fifi Brindacier : l’intégrale dans son édition de 2015, dans lequel sont compilés les livres suivants :

Fifi Brindacier / Pippi Långstrump

Fifi Princesse / Pippi Långstrump går ombord

Fifi à Couricoura / Pippi Långstrump i söderhavet

Ainsi, il nous sera possible d’appréhender le personnage de Pippi de manière plus globale puisque nous avons accès, sauf dans le cas de la traduction de Marie Loewegren, à l’intégralité des histoires la concernant. Ce qui nous permettra en outre de sélectionner les passages, les plus pertinents et les plus en adéquation avec l’objet de ce mémoire.

1.4. Recherches antérieures

Dans son mémoire intitulé « La traduction de livres pour enfant : Une comparaison entre quelques traductions des livres d’Astrid Lindgren sur Pippi Långstrump (Fifi Brindacier) et Emil i Lönneberga (Zozo) », Lena Bergenwall se propose de réaliser une analyse comparative des livres d’Astrid Lindgren et de leurs traductions françaises.

En mettant en évidence les différences présentes dans les ouvrages en langue française, Bergenwall démontre qu’elles sont des marqueurs significatifs, permettant de révéler que les traditions culturelles suédoises et françaises, en ce qui concerne notamment la place accordée à l’enfant dans la société, ne sont pas les mêmes. La comparaison des traductions françaises entre elles lui permet également de mettre en lumière plusieurs phénomènes relatifs à la traduction littéraire. D’une part que le contexte culturel contemporain au moment de l’écriture doit être pris en compte lors de l’analyse des textes, et d’autre part, que ce même contexte s’inscrit dans un processus évolutif comme le montre la proximité plus ou moins grande des traductions par rapport aux originaux.

Un dernier point que le mémoire de Bergenwall aborde, est l’influence du traducteur, mais aussi et surtout celle des maisons d’édition, qui pour respecter la ligne éditoriale, prennent la liberté de réagencer, raccourcir et retravailler les textes originaux lors du processus de traduction.

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Susanne Lilliestam avec son mémoire « Pataudgrins, sylves griffues et nains gris : Une étude sur la traduction en français de Ronya fille de brigand d’Astrid Lindgren », s’interroge sur les difficultés de la transposition d’un texte d’une langue à une autre en se focalisant sur la traduction française des néologismes créés par Astrid Lindgren et plus particulièrement les invectives, les jurons et le nom des génies inventés par l’auteure. Lilliestam présente donc, les différentes stratégies dont le traducteur dispose pour réaliser son travail. Ces différentes approches relatives à la traduction permettent, en outre, d’introduire la notion de fidélité entre original et texte traduit, tout en mentionnant le fait que le contexte culturel et social avait également une influence importante sur les partis pris adoptés par les traducteurs.

Enfin, l’article « UNE ANARCHISTE EN CAMISOLE DE FORCE Fifi Brindacier ou la métamorphose française de Pippi Långstrump », de Christina Heldner parut dans La revue des livres pour enfants en 1992, se focalise quant à lui sur la première traduction française de Pippi Långstrump. En se basant sur l’analyse comparative du texte original et de son alter ego français, Heldner propose une explication quant à la différence de réception du personnage de Pippi Långstrump en Suède et de celui de Fifi Brindacier en France. Ainsi, elle met en évidence la corrélation existante entre les choix du traducteur, en ne négligeant pas non plus l’importance d’un point de vue décisionnel des maisons d’édition, et la réception de la traduction d’une œuvre littéraire.

Fort des constats formulés dans ces différents travaux, nous porterons quant à nous notre attention sur l’influence de l’éthique du traducteur sur le texte qu’il produit, en la mettant en relation avec les théories féministes et de genre. Ainsi, nous pourrons nous intéresser à la transmissibilité, une des caractéristiques essentielles de la traduction, en comparant les différentes représentations de Pippi Långstrump et de Fifi Brindacier.

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