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Article pp.7-14 du Vol.25 n°145-146 (2007)

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Zbigniew SMOREDA

La forte diffusion des technologies d’information et de communication durant la décennie passée a bouleversé les pratiques de communication, de consommation culturelle et de loisirs. La multiplication des outils et des canaux d’échange et de diffusion numérique semble aussi avoir transformé certains paramètres de notre vie quotidienne. Si l’on suit en effet les recherches sociologiques qui ont été centrées sur un objet particulier, la télévision, le téléphone mobile, l’ordinateur, l’internet ou même l’interaction en face-à-face, on ressent de plus en plus clairement tous les désavantages d’une vision trop fragmentaire des pratiques sociales. Les Français se parlent de moins en moins, mais ils se téléphonent de plus en plus ; la consommation du téléphone fixe à domicile baisse, mais celle du mobile augmente ; la lecture de la presse quotidienne est en chute, celle des journaux en ligne progresse, etc. On pourrait allonger et complexifier cette liste à l’envi. La sociologie des usages centrée sur l’individu, en tant qu’utilisateur des technologies, est particulièrement sensible à cette diversification des supports et des pratiques de communication et d’échange.

En suivant l’individu distribué sur les multiples réseaux de connexions sociotechniques, enrôlé dans les échanges et les appartenances à des niveaux d’engagement très divers, nous éprouvons en effet une difficulté croissante pour reconstituer une image homogène de données disparates produites massivement par des recherches ponctuelles.

Au fur et à mesure que la part des contacts médiatisés croît, on peut s’interroger sur l’évolution des formes ordinaires de relation. La morphologie des répertoires relationnels se transforme à la fois à travers la spécialisation et la distribution des usages et en fonction des capacités des

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technologies de communication et des contextes pluriels d’usage. Nous pouvons donc légitimement nous demander quels sont les effets de configuration des outils et des services, qui sont de plus en plus nombreux, sur nos pratiques sociales, nos interactions, notre participation à la culture.

L’analyse conjointe de la sociabilité en face-à-face et de la sociologie du téléphone, nous a déjà permis d’identifier de nombreux enchevêtrements entre interactions immédiates et médiatisées1. La très forte corrélation constatée entre les contacts en face et les contacts médiatisés a ainsi montré que les usages d’outils de communication étaient intimement associés aux interactions en présence. De fait, il semblait vain d’essayer de les analyser séparément de la sociabilité quotidienne2.

Au même moment, la recherche menée sur l’internet a mis fortement l’accent sur la notion d’entrelacement des usages3. Incontestablement, l’internet constitue bien un objet multiforme, c’est-à-dire à la fois un média de masse et de communication interpersonnelle. Son étude conduit donc rapidement à la question du choix des outils remplissant des fonctions similaires et de leurs agencements. Sous l’influence des projets consacrés à l’étude du Net, la problématique d’entrelacement des usages et des outils s’est cristallisée au sein du laboratoire de sociologie de France Télécom R&D4. Les analyses consacrées aux messageries sur l’internet, par exemple, ont mis en évidence l’effet d’empilement des outils dans les pratiques développées5. Une articulation très forte entre les pratiques de navigation et de communication et un lacis des tâches effectuées en parallèle ou en séquentiel ont ainsi été mis en exergue6. En poursuivant cette problématique, une autre recherche sur les entrelacements entre médias dans la construction des publics des émissions télévisées a été lancée7. Elle a mis en évidence à quel point les temporalités des médias de masse et des médias interpersonnels pouvaient être étroitement entremêlés via les activités de visionnage, de discussion, de communication ou de vote suscitées par une émission télévisuelle. Le mouvement engagé par ces recherches a abouti, naturellement, à une interrogation sur le manque de travaux intégrés sur les

1. Voir CARDON, SMOREDA et BEAUDOUIN, 2005.

2. Par exemple LICOPPE et SMOREDA, 2000 ; LICOPPE, 2002.

3. BEAUDOUIN et VELKOVSKA, 1999.

4. BEAUDOUIN et al., 2002.

5. BEAUDOUIN, 2002.

6. Cf. BEAUDOUIN et LICOPPE, 2002.

7. BEAUDOUIN, BEAUVISAGE, CARDON et VELKOVSKA, 2003.

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TIC à travers lesquels il aurait été possible de suivre sur un échantillon unique les pratiques multiples.

En parallèle, l’irruption des contenus numériques (disponibles en ligne ou sur les supports facilement manipulables) dans le quotidien des Français a fortement touché les pratiques culturelles et les loisirs, et ceci sans que les enquêtes classiques aient pu précisément enregistrer ce phénomène. Les échanges de contenus numériques sont venus s’inviter au cœur même des réseaux techniques de communication. Le partage, voire l’autoproduction des contenus ont clairement dépassé le cadre habituel d’analyse de la sociologie de la réception, pour s’intégrer à l’étude des usages de TIC et à l’analyse de la sociabilité8. Une perspective centrée sur l’individu en tant qu’utilisateur des TIC, ne pouvait pas ignorer cette transformation des comportements.

La mobilisation de différents médias de communication dans l’entretien du lien social, la superposition et l’entrecroisement des pratiques de communication et de consommation culturelle et ludique, l’interpénétration des sociabilités personnelles et professionnelles, la mobilité et la portabilité des outils de communication, tous ces phénomènes enregistrés par les études dispersées nous semblaient constituer un ensemble difficilement dissociable dans l’analyse des usages sociaux des TIC. Il était en effet devenu de plus en plus clair que face à la convergence des technologies, c’était bien l’entrelacement des usages qui constituait le cadre le plus approprié pour approcher un ensemble de phénomènes disjoints autour des technologies de contact et de loisir. C’est dans ce contexte que nous avons mis en place un projet qui visait à éclairer de manière globale la question des entrelacements.

Ce numéro de la revue Réseaux rend compte des principaux travaux menés dans le cadre de ce chantier, qui aura duré deux ans9. Il se compose de onze contributions qui reflètent l’état d’analyse de nos données à l’heure actuelle.

8. Cf. CARDON et GRANJON, 2005.

9. Ce projet a été financé par France Télécom R&D. La constitution du panel et les enquêtes de terrain ont été réalisées par Médiamétrie//Nielsen Netratings. Les chercheurs impliqués dans le projet ont été : Houssem Assadi, Thomas de Bailliencourt, Valérie Beaudouin, Thomas Beauvisage, Armelle Bergé, Anca Boboc, Sylvie Bourbigot, Laurence Dhaleine, Françoise Fessant, Fabien Granjon, Fabienne Gire, Laurence Le Douarin, Olivier Martin, Frédérique Legrand, Dominique Pasquier, Anne-Sylvie Pharabod, Barbara Poulain, Cezary Ziemlicki, et Zbigniew Smoreda.

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Le premier article décrit la méthodologie originale de la recherche mise au point pour saisir les pratiques numériques dans leur globalité. Zbigniew Smoreda, Thomas Beauvisage, Thomas de Bailliencourt et Houssem Assadi introduisent la problématique de l’investigation et, après avoir passé en revue les différentes méthodes d’enquête sur les TIC, expliquent l’architecture complexe du projet « Entrelacs ».

Le texte suivant est plus spécifiquement consacré à la méthode de saisie des comportements sur l’ordinateur, qui a été utilisée par notre projet de recherche. Thomas Beauvisage dresse d’abord un état des lieux exhaustif des méthodologies d’analyse de l’internet et des usages de l’informatique pour positionner et expliquer ensuite le choix du dispositif d’observation utilisé dans notre recherche.

Dans le troisième papier, Thomas de Bailliencourt, Thomas Beauvisage et Zbigniew Smoreda appliquent la notion d’entrelacement à la communication interpersonnelle. Ils analysent l’ampleur de cet entrelacement entre différents outils de communication vocaux et textuels, puis examinent comment ils se déploient sur les différents réseaux de sociabilité, et proposent enfin cinq profils d’usage distincts qui combinent les différents outils de communication et attestent des lignes de fracture entre communication textuelle et vocale d’une part, et entre échanges synchrones et asynchrones d’autre part.

La socio-ethnographie de la mise en contact est l’objet de l’article de Fabien Granjon, Catherine Blanco, Guillaume Le Saulnier et Grégory Mercier. Les auteurs décomposent le lien social en deux dimensions : les relations et leur actualisation par les contacts, afin de repérer des configurations techno- relationnelles singulières. Leur analyse, appuyée sur une enquête qualitative minutieuse, porte sur la sociabilité de tous les membres du foyer. A travers trois études de cas détaillées, l’article met en évidence les formes d’entrelacement des réseaux relationnels et des outils de communication selon des cadres familiaux spécifiques.

La contribution de Fabienne Gire, Dominique Pasquier et Fabien Granjon s’interroge sur la bonne façon d’analyser les pratiques de loisirs au moment de la forte croissance de la diffusion médiatisée des contenus hétérogènes et de l’hybridation des publics. La question du rôle de la sociabilité dans la participation à la culture devient notamment centrale. Les auteurs construisent une typologie des univers de participation culturelle, puis les

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analysent en fonction de l’homogénéité de loisirs en couple. Ils examinent la

« sociabilité culturelle » à travers les relations construites autour des loisirs avec les différents cercles sociaux.

Dans l’article qui suit, Thomas Beauvisage propose une analyse de l’usage de l’ordinateur par les foyers français. Grâce aux données d’un logiciel- sonde installé sur l’ordinateur à domicile, il examine les usages faits du PC au foyer, le partage de cet outil entre les membres du ménage, le rythme de son utilisation active et passive. L’auteur montre, entre autres, que si l’accès au web agit comme un moteur de l’usage du PC, des profils individuels contrastés d’usage se différencient autour d’orientations davantage multimédias, plus ludiques ou principalement tournées vers la communication. Il propose aussi une analyse de l’évolution des usages du web, en confrontant les données de notre enquête (2005-2006) aux résultats obtenus en 2000 et 200210.

Anne-Sylvie Pharabod analyse quant à elle les équipements et les usages d’une catégorie particulière de la population : les « solos ». L’auteure compare systématiquement les personnes vivant seules à celles vivant en couple, selon leur genre et leur classe d’âge, ceci pour montrer les stratégies contrastées d’équipement et d’agencement des outils au domicile. La question de la gestion du temps et des loisirs est alors soulevée, pour aboutir à une interrogation sur les contraintes qui pèsent sur l’organisation de l’espace privé et les usages des outils multimédias dans la vie quotidienne des « solos ».

Fabien Granjon et Clément Combes se livrent à un examen des évolutions de la consommation des contenus musicaux que l’on peut associer à la numérisation et à la multiplication à la fois des supports et des équipements.

Ils observent que les TIC participent fortement à la diffusion et à la circulation de la musique et conduisent à une réorganisation des pratiques des amateurs. Leurs analyses montrent que l’âge et le genre différencient grandement les pratiques liées à la consommation musicale. En allant plus en avant, les auteurs proposent – à travers une prise en compte simultanée du tournant numérique de la consommation et des relations contrastées que les amateurs entretiennent avec la musique – un examen des changements de format qui restructurent aujourd’hui la consommation musicale.

10. BEAUVISAGE, 2004.

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L’article d’Olivier Martin décrit plus particulièrement la diffusion des usages des outils de communication parmi les enfants vivant chez leurs parents. Il étudie la manière dont les outils de communication s’inscrivent dans le processus d’individualisation des enfants par rapport à leurs parents.

L’auteur montre comment à travers l’individualisation des outils observée au fur et à mesure que l’enfant grandit, la dynamique d’autonomisation vis-à- vis des parents se met en place et progresse à la fois par la gestion d’accès aux outils, l’aménagement de l’espace domestique et les usages des TIC.

Le papier signé par Thomas de Bailliencourt et Zbigniew Smoreda porte sur les échanges interpersonnels pendant les événements sportifs de grande ampleur. Les auteurs examinent les communications par téléphone mobile durant le Mondial de Football 2006. En particulier, ils s’intéressent à la structure générique d’un match par rapport aux échanges observés sur le mobile et aux consultations de l’internet à domicile. Les temps forts et les temps faibles du match sont exploités de façon différentiée, mais la nature même des échanges dépend de la structure du match, ce que montrent les analyses statistiques du trafic téléphonique.

Le dernier article de ce numéro proposé par Anca Boboc et Laurence Dhaleine, puise dans les données de deux recherches (« Entrelacs » et

« Dynamo »11) afin de questionner les usages privés des TIC sur le lieu de travail. Ce sont les différences entre les hommes et les femmes qui sont examinées ici. Les chercheures montrent que les femmes, plus que les hommes, rationalisent les contraintes de temps et de lieux professionnels de façon à limiter leur temps de travail et de trajet, afin de se rendre plus disponibles pour leur foyer. En revanche, l’analyse de la mobilisation des TIC professionnelles pour gérer les affaires privées au bureau fait apparaître un effet de genre contraire. Ce sont les hommes qui y consacrent davantage de temps. Comme le remarquent les auteures, le privé au bureau pour les femmes est surtout une réponse à un besoin de réactivité forte, tandis que les hommes réalisent des activités privées au bureau à des moments qu’ils choisissent.

11. BOBOC, DHALEINE et MALLARD, 2006.

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BEAUDOUIN V. (2002), « De la publication à la conversation. Lecture et écriture électroniques », Réseaux, vol. 20, n° 116, p. 199-225.

BEAUDOUIN V., ASSADI H., BEAUVISAGE T., LELONG B., LICOPPE C., ZIEMLICKI C., ARBUES L., LENDREVIE J. (2002), Parcours sur Internet : analyse des traces d’usage, Rapport de recherche. France Télécom R&D, Issy-les- Moulineaux.

BEAUDOUIN V., BEAUVISAGE T., CARDON D., VELKOVSKA J. (2003), L’entrelacement des médias dans la constitution des publics de Loft Story, Rapport de recherche, France Telecom R&D, Issy-les-Moulineaux.

BEAUDOUIN V., LICOPPE C. (2002), « Présentation », Réseaux, vol. 20, n° 116, p. 9-15.

BEAUDOUIN V., VELKOVSKA J. (1999), « Constitution d’un espace de communication sur l’Internet », Réseaux, vol. 17, n° 97, p. 121-177.

BEAUVISAGE T. (2004), Sémantique des parcours des utilisateurs sur le Web, Thèse de doctorat, Université de Paris X-Nanterre.

BOBOC A., DHALEINE L., MALLARD A. (2006), « Travailler, se déplacer et communiquer : premiers résultats d’enquête », Réseaux, vol. 24, n° 140, p. 133-158.

CARDON D., GRANJON F. (2005), “Social networks and cultural practices: A case study of young avid screen users in France”, Social Networks, vol. 27, n° 4, p. 301- 315.

CARDON D., SMOREDA Z., BEAUDOUIN V. (2005), « L’entrelacement des medias », P. Moati (éd.), Nouvelles technologies et modes de vie, Editions de l’Aube, Paris.

LICOPPE C. (2002), « Sociabilité et technologies de communication. Deux modalités d’entretien des liens interpersonnels dans le contexte du déploiement des dispositifs de communications mobiles », Réseaux, vol. 20, n° 112-113, p. 171-210.

LICOPPE C., SMOREDA Z. (2000), Liens sociaux et régulations domestiques dans l’usage du téléphone, Réseaux, vol. 18, n° 103, p. 255-276.

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