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Le passage à l'ère post-westphalienne : les politiques européennes et impériales de la France pendant la IVe République (1944-1958)

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© Maryliz Racine, 2020

Le passage à l'ère post-westphalienne: les politiques

européennes et impériales de la France pendant la IVe

République (1944-1958)

Thèse en cotutelle

Doctorat en histoire

Maryliz Racine

Université Laval

Québec, Canada

Philosophiæ doctor (Ph. D.)

et

Aix-Marseille Université

Marseille,France

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Le passage à l’ère post-westphalienne

Les politiques européennes et impériales de la France

pendant la IV

e

République (1944-1958)

Thèse en cotutelle

Maryliz Racine

Sous la direction de :

Talbot C. Imlay

Philippe Mioche

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ii

RÉSUMÉ

Ravagée par la guerre et occupée pendant plusieurs années, la France a été le théâtre de changements majeurs dans la manière dont ses dirigeants ont appréhendé son avenir au sein du Concert des Nations. Ces derniers étaient conscients de l’importance qu’a eue l’empire entre 1940 et 1945 et le rôle central qu’il avait pour le rétablissement de la légitimité du pays en tant que Puissance mondiale. Dans le domaine économique, les colonies étaient conçues comme un apport essentiel au relèvement de la France et pour sa prospérité. Les décideurs français ont ainsi consolidé les liens entre la métropole française et ses colonies pour fonder une politique impériale sur les principes du républicanisme selon lesquels la République était « une et indivisible ». Les hommes politiques français ont raffermi l’emprise de la France sur leurs territoires d’outre-mer par la création de l’Union française et ont donné un second souffle à la constitution d’un État-Empire, un projet entamé dans les années 1930.

La dernière phase d’expansion de l’empire du dix-neuvième siècle faisait place alors depuis les années 1920 et 1930 à une logique de développement et de mise en branle des projets coloniaux de manière à créer un empire qui pouvait constituer un ensemble cohérent. La poursuite de cette logique du mythe colonial français après 1945 a eu pour effet de modifier l’identité de la France en tant qu’acteur du système international. La France n’était plus perçue par ses agents sub-étatiques comme un simple État possédant des colonies, mais bien comme une nouvelle entité dans laquelle ses excroissances dans l’outre-mer faisaient dorénavant partie intégrante de l’État et contribuaient à forger un avenir, qui était dès lors inextricablement partagé.

Le bien-fondé de la mission civilisatrice de la France se traduisait dans cette période par un sentiment de devoir envers les territoires d’outre-mer ; le devoir de les amener au développement économique moderne et à un stade civilisationnel supérieur. Ces mêmes convictions ont conduit les gouvernements français à envisager une autre issue à cette relation que celle de l’indépendance totale, encouragée par les mouvements de décolonisation. Cette nouvelle identité a des effets tangibles sur la conception et l’engagement des décideurs et les haut-fonctionnaires français dans les projets destinés à rapprocher les économies européennes et dans la poursuite de l’intégration européenne.

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iii

Dans le cas de la CECA, puisque cette institution sectorielle avait peu d’impacts sur la production d’outre-mer, on envisageait les bénéfices à une association entre les continents européen et africain comme marginaux. Cependant, le facteur colonial devenait de plus en plus influent dans les prises de décisions effectuées par les haut-fonctionnaires et analystes français du ministère des Affaires étrangères. Il a d’ailleurs constitué l’un des points d’achoppement dans les négociations de la mise en place d’une armée européenne, car l’article 38 du Traité instituant la CED ne prévoyait pas de mesures permettant à la France de conserver les moyens de poursuivre ses opérations de pacification dans l’empire ainsi que la guerre d’Indochine. C’est en ce sens qu’après l’échec de la CED le gouvernement français sous le leadership d’Edgar Faure a entrepris de mener des réformes de manière à trouver une solution durable au dilemme de la vocation européenne ou mondiale de la France. Des réformes politiques et économiques majeures étaient envisagées afin de transformer l’Union française en une association fédérale franco-africaine librement consentie. L’ensemble français ne pouvait donc plus être intégré partiellement à des initiatives européennes, car cela contreviendrait aux principes républicains renforcés par les réformes. Dans le contexte de la « relance européenne », le gouvernement sous Guy Mollet proposait de lier le marché commun européen aux territoires d’outre-mer, ce qui aurait permis l’ouverture des marchés africains aux échanges européens. Intégrées dans cette Eurafrique, les colonies auraient ainsi vu les bénéfices de conserver le lien politique avec la France.

Cette thèse analyse la manière dont la souveraineté était comprise et imaginée par les dirigeants français pendant la construction européenne et lors du remodelage de leurs liens avec les anciennes colonies. Sans nier la portée de la souveraineté dans le cadre de l’existence d’un État, elle fut appelée à être modifiée ; ses éléments constitutifs furent repensés au profit d’une forme étatique supranationale. L’étude de ce nouveau modèle des relations internationales sera étendue aux alternatives que les dirigeants français ont proposées aux colonies africaines. Ces derniers les poussaient à dépasser le stade du nationalisme pour adhérer à un modèle étatique jugé supérieur : un stade post-westphalien dans lequel leurs revendications indépendantistes seraient caduques.

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iv

ABSTRACT

Ravaged by years of occupation, France witnessed major changes in policymakers’ vision of the country’s future and of French interests and aims. They were aware of the importance of the empire during the war and the role it would play after the war in the restoration of France’s international legitimacy as a Great Power. Colonies were also conceived as an essential element of France’s revival and of its long-term prosperity. French decision-makers thus sought to strengthen links between the French metropole and its colonies in order to reassess its imperial identity, which was founded on republican principles. These politicians stiffened France’s hold on its overseas territories with the implementation of the Union française and gave a second wind to the achievement of a State-Empire. The nineteenth century expansionary phase of the French empire had given way to another phase of imperialism in which development and progress of the overseas territories were at its core. The continuation of the colonial myth had profoundly modified French identity as a key player of the international system. France was no longer seen by its sub-national agents as a simple State holding colonies, but as a new form of statehood; an entity in which its overseas territories was now a constituent part of it and contributed to forging new perspective for their shared future.

This new identity had a significant influence on how interests within the international system and particularly in Europe were pursued, especially within the European integration projects. Decisions makers in the French Fourth Republic evaluated their potential gains and preferences, first of all, through the lens of an Imperial Power. In other words, France’s political and economic elite had first examined the inherent implications of the upholding of their pre-1940 empire on France’s economic and geo-strategic needs, in the shifting context of early Cold War. Pro-European projects were therefore analyzed and weighed in regard to their costs and benefits, in the light of a new grid. Decision makers were influenced by the

bien-fondé of French colonialism, based on the sentiment that France had a duty towards

overseas territories; a duty of guiding them towards progress and civilization. It is with those considerations in mind that the French governments envisaged another solution to the question of its relationship with its colonies than total independence.

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v

The French stance on the European federal project was thus influenced by the introduction of a new variable in the equation of early European integration: the facteur colonial. In the early European integration process, it was considered marginal because of the sectoral approach of the ECSC. Although, the imperial identity was more and more apparent in the interests and policies pursued by the French government during the EDC debate. The introduction of a European army did not ensure France either the possibility of pursuing its peacekeeping operations in the overseas territories or the Indochina War. After the defeat of the EDC project in the French parliament, the government under the leadership of Edgar Faure envisioned a new set of reforms (political, administrative, and economic), which would transform the Union française into a consensual Franco-African federal political association. From this perspective, the ensemble français could not anymore be introduced partially within the European projects promoted in the wake of the « European revival ». Under Guy Mollet’s government, a plan to establish supranational structures in their former colonies and in Europe was formulated so that free trade between the two continents could be established. With the economic benefits anticipated for the overseas territories, this Eurafrican project would have proved to African representatives that their interests lay in maintaining the political link between their territories and France.

Accordingly, this thesis argues that French leaders questioned the international relations framework based on the nation-state as the central entity of the international system in order to conciliate their ambitions in Europe and as a State-Empire. These two projects – Franco-African association and European integration ̶ shared common characteristics and conceptual origins: supranationalism. French officials and policy-makers promoted a federal Eurafrican project to avoid the process of decolonization and create a political structure that would defuse difficult and pressing colonial issues. The former French colonies were asked to pass from the status of colonized territories to constituents of a supranational structure. The French decision makers pushed the overseas territories to transcend the stage of nationalism to reach an advanced statehood model: a post-Westphalian stage in which their demands for total independence would be obsolete.

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vi

TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ... ii

ABSTRACT ... iv

TABLE DES MATIÈRES ... vi

LISTE DES ABRÉVIATIONS ... ix

REMERCIEMENTS ... x

INTRODUCTION ... 1

PREMIÈRE PARTIE ... 47

CHAPITRE I : Au cœur des nécessités économiques et impératifs diplomatiques, 1945-1948 ... 51

1.1. La restauration de la légitimité française ... 53

1.1.1. La culture coloniale française et l’évolution politique des territoires ... 54

1.1.2. Un « évolutionnisme social » dans les colonies ... 59

1.1.3. La culture coloniale et l’économie d’après-guerre ... 70

1.2. Le relèvement ... 73

1.2.1. Le Plan Monnet ... 74

1.2.2. La fonction économique des colonies dans l’ensemble français ... 81

1.2.3. L’équilibre de la balance des paiements ... 87

CHAPITRE II : Les choix d’une puissance déclinante, 1948-1950 ... 101

2.1. Cristallisation de la Guerre froide et modification des considérations sécuritaires françaises ... 104

2.1.1. Quelle perception des problèmes allemand et soviétique ? ... 105

2.1.2. La solution européenne ... 109

2.1.3. Une situation économique difficile à redresser ... 113

2.2. L’idée européenne et les difficultés économiques ... 117

2.2.1. La circulation des idées ... 119

2.2.2. Le fédéralisme et le Conseil de l’Europe... 125

CHAPITRE III : Le facteur colonial dans les relations extérieures françaises (1948-1950) ... 134

3.1. La complémentarité franco-africaine et eurafricaine ... 136

3.2. L’empire stratégique ... 145

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vii

DEUXIÈME PARTIE ... 167

CHAPITRE IV : L’amorce du fédéralisme européen ... 173

4.1. La Conférence tripartite de Londres ... 176

4.1.1. Les enjeux européens et coloniaux... 178

4.1.2. Entre convergence des buts et divergence des moyens ... 184

4.2. Unions douanières et intégration sectorielle ... 189

4.2.1. Le Plan Schuman et l’outre-mer... 190

4.2.2. La pertinence du bloc eurafricain ... 196

CHAPITRE V : Le déclenchement de la Guerre de Corée et ses impacts ... 203

5.1. La défense du « monde libre » et les souverainetés européennes ... 205

5.2. Les critiques de la communauté internationale ... 216

5.3. L’outre-mer au Conseil de l’Europe ou l’européanisation de la question coloniale 224 CHAPITRE VI : La politique coloniale, un paramètre de la politique étrangère ... 241

6.1. Les derniers moments d’hésitations ... 243

6.2. L’Union française, un ensemble « harmonieux et équilibré » ... 261

6.2.1. Le Plan Hirsch ... 262

6.2.2. L’ONU et les territoires non-autonomes ... 271

TROISIÈME PARTIE ... 282

CHAPITRE VII : Vers une communauté franco-africaine affirmée ... 286

7.1. Mendès France, Faure et l’empire ... 288

7.1.1. Le repli impérial ... 290

7.1.2. La France, sous le feu des projecteurs... 296

7.2. Vers une relance strictement européenne ... 306

7.2.1. La France et la poursuite de l’intégration européenne ... 307

7.2.2. La relance européenne ... 316

7.2.3. La priorité va au nucléaire ... 321

7.3. La « cognitive map » et les décideurs français ... 334

7.3.1. Un fédéralisme franco-africain... 334

7.3.2. L’interprétation des informations ... 339

CHAPITRE VIII : L’Eurafrique et le tournant « Mollet-Pineau » ... 345

8.1. La conviction pro-européenne et ses effets ... 347

8.1.1. Le Rapport Spaak ... 349

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viii

8.1.3. Pour une France réformatrice ... 371

8.2. Un réflexe anti-munichois aux conséquences inattendues ... 383

8.2.1. La Crise de Suez mise en contexte ... 386

8.2.2. La crise de Suez, un catalyseur ... 394

8.3. La solution eurafricaine aux dilemmes vocationnels français ... 398

8.3.1. L’intégration ou l’association des territoires d’outre-mer ? ... 399

8.3.2. La phase finale des négociations ... 405

CONCLUSION ... 417

SOURCES ARCHIVISTIQUES CONSULTÉES ... 431

BIBLIOGRAPHIE ... 439

ANNEXE I – CHRONOLOGIE ... 455

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ix

LISTE DES ABRÉVIATIONS

 AN : Archives nationales

 ANOM : Archives nationales d’outre-mer

 BOIA : Bureau d'organisation des ensembles industriels africains  CCEE : Comité de coopération économique européenne

 CCFOM : Comité central de la France d’outre-mer

 CECA : Communauté européenne du charbon et de l’acier  CED : Communauté européenne de défense

 CEE : Communauté économique européenne  CPE : Communauté politique européenne

DGEN : Délégation générale à l’Économie nationale  DOM : Départements d’outre-mer

 ERP : European Recovery Program

 ENFOM : École nationale de la France d’outre-mer

 FIDES : Fonds d’investissement pour le développement économique et social  HAEU : Historical Archives of European Union

 MAE : Ministère des Affaires étrangères  MFOM : Ministère de la France d’Outre-Mer  MNA : Mouvement nationaliste algérien  MRP : Mouvement républicain populaire

 MTLD : Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques  NEI : Nouvelles équipes internationales

 OECE : Organisation européenne de coopération économique  OURS : Office universitaire de recherche socialiste

 PTOM : Pays et territoires d’outre-mer

 SACEUR : Commandant suprême des forces alliées en Europe  SCUA : Suez Canal Users Association

 SFIO : Section française de l’Internationale socialiste  UEO : Union de l’Europe occidentale

 UO : Union occidentale

 UEP : Union européenne de paiement  ZOF : Zone d’occupation française

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REMERCIEMENTS

La thèse en elle-même ne reflète qu’imparfaitement l’ensemble du processus qui est sous-jacent au doctorat. Il s’agit avant toute chose d’un cheminement intellectuel. Il faut donc rester ouvert aux idées nouvelles, aux courants historiographiques émergents et aux conseils donnés, car on ne sait jamais où ils nous mèneront, ni quel déclic qu’ils peuvent engendrer. Je me montre reconnaissante envers tous ceux qui m’ont nourri de leurs réflexions. Je me suis plu à me prêter à l’exercice et sortir de mes zones de confort. En ce sens, cette thèse se joint à une pléiade d’autres qui elles aussi alimentent la discipline et la rendent vivante.

Ma thèse n’aurait pas eu les mêmes couleurs sans la contribution de mes deux directeurs, MM. Philippe Mioche et Talbot C. Imlay. Leur rigueur intellectuelle et leur réalisme ont participé à atteindre ce niveau de perfectionnement et à faire de cette thèse une réussite. Ils m’ont toujours encouragé à sortir des sentiers battus. En outre, leur compréhension et leur support ont constitué des appuis nécessaires à la progression de ma recherche.

Au fil des années, mes analyses m’ont amenée à aller aux quatre coins de l’Europe pour d’abord aller chercher la matière première avec laquelle je devais travailler et ensuite pour exposer mes hypothèses aux spécialistes de l’histoire française. Ces déplacements, loin d’être une errance sans but, m’a donné la motivation nécessaire à poursuivre ce que j’avais entamé. Le Fonds de recherche du Québec – Société et Culture a contribué d’ailleurs financièrement à rendre possibles ces déplacements. Je tiens également à remercier aussi l’Université Laval et l’Université d’Aix-Marseille pour leur apport financier.

Des embûches, il y en a dans le parcours doctoral. Il ne faut pas se le cacher. Surmonter des difficultés n’est pas une chose facile et je n’aurais probablement pas terminé cette thèse sans l’appui inconditionnel de ma famille. Ils ont toujours cru en mes capacités. Mes collègues étudiants ont, eux aussi, participé à ce processus d’une certaine manière, par la solidarité qu’ils démontraient. Bien entendu, ces remerciements ne seraient pas complets si je passais outre la contribution de Jimmy Voisine. Il m’a soutenu dans mes moments de découragement et il m’a inspiré à avoir confiance en moi, en mon jugement, en mes aptitudes. Il a fourni le support moral dont j’avais besoin et m’a toujours encouragé à aller plus loin. De plus, je dois accorder une mention particulière à mes trois assistants, Maya, Guedaille et Albert, sans qui ces dernières années auraient été

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xi

beaucoup plus ternes et pénibles. Vous avez rendu les moments difficiles de ce cheminement un peu plus tolérable. Je vous en serai éternellement reconnaissante.

Finalement, je ne peux pas passer sous silence le rôle fondamental de tous ceux et celles qui ont contribué à élever ce manuscrit en le lisant et en le commentant : Francis Lacroix, Frédéric Dubois, Jimmy Voisine, Julie Francoeur ainsi que Jean-Michel Turcotte. Vous m’avez aidé à rendre ce manuscrit un peu plus épuré et fluide. J’avais besoin de ce regard externe pour peaufiner ce manuscrit d’envergure et vous vous êtes pliés volontiers à l’exercice, ce qui est tout à votre honneur.

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Pour tous ceux qui ne sont plus là pour voir l’achèvement de ce projet.

(14)

1

INTRODUCTION

La Conférence de Brazzaville, tenue entre le 30 janvier et le 8 février 1944, s’insérait dans une reprise graduelle du contrôle de la France sur sa destinée. Encore occupée, la France sous la direction du général de Gaulle semblait réaffirmer la puissance de la France par la tenue de cette Conférence qui se voulait avoir pour objectif de déterminer l’avenir de l’empire français. L’empire constituait le symbole de la survivance de la France libre, tout comme il incarnait un bastion de résistance vis-à-vis de l’envahisseur allemand. Le rôle crucial des colonies africaines dans le déroulement de ce conflit, celui d’un « refuge de notre honneur et de notre indépendance1 », soulignait de Gaulle, devait conduire la France à renouveler les liens entre la métropole et ses colonies. Sous l’effet de la défaite française lors de la Seconde Guerre mondiale, les liens entre ces deux entités, qui formaient quelques années auparavant l’essence de la « grandeur » française, s’étaient distendus et cette conférence devait donner un souffle nouveau à leur destinée partagée. Les colonies africaines constituaient d’ailleurs une base de départ pour les forces de libération, un autre symbole de leur centralité. Le général de Gaulle en était conscient et c’est la raison pour laquelle il insistait à cette occasion sur la notion de « devoir » envers l’empire. Cette conférence présentait un caractère novateur et elle fut menée dans une volonté de réforme.

À son ouverture, c’est en gardant à l’esprit la « vocation civilisatrice vieille de beaucoup de centaines d’années2 » que le général de Gaulle entrevoyait les perspectives de développement des

territoires d’outre-mer ainsi que les liens à renouveler entre la métropole et son empire. Sous les thèmes de progrès, de modernisation, d’élévation du niveau de vie et d’ouverture, le discours du général de Gaulle demeurait axé sur la redéfinition de la notion d’empire. L’objectif était défini autour de l’intégration des territoires non autonomes « dans la communauté française avec leur personnalité, leurs intérêts, leurs aspirations, leur avenir3 ». Il voyait l’ensemble français comme

une mosaïque dont le ton dominant était donné par la métropole, mais dont les nuances étaient fournies par les différentes teintes des personnalités des territoires d’outre-mer.

1 Raymond-Martin LEMESLE, La Conférence de Brazzaville de 1944 : contexte et repères, Cinquantenaire des prémices à la décolonisation, Paris, Centre des hautes études sur l’Afrique et l’Asie modernes, 1994, pp. 121. 2 Ibid., p. 121.

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2

Le colonialisme français n’était aucunement remis en cause lors de cette conférence, au contraire. Une des idées phares était le renforcement du sentiment d’appartenance de ces territoires à l’ensemble français et à la République. La forme qu’allait épouser la relation entre la métropole et ses colonies demeurait abstraite. On y parlait d’un « ensemble français » et de « communauté » pour décrire les nouveaux liensqui seraient établis entre les parties constituantes de l’empire, sans nécessairement expliciter ce que cela entendait. Cette conférence a constitué néanmoins le socle sur lequel reposait la politique coloniale française dite tardive ; une assise sur laquelle allaient se superposer les projets de réforme ultérieurs pour en peaufiner le fonctionnement. Elle a donné lieu à l’ébauche grossière de l’architecture institutionnelle qui encadrerait dorénavant l’empire français, tout en conservant un flou délibéré en ce qui a trait aux nouveaux statuts territoriaux introduits, qui correspondaient au degré d’autonomie et de développement atteint par chacun de ces territoires. Ces nouveaux statuts pavaient la voie à une catégorisation plus complexe des territoires de l’empire : départements, protectorats, territoires sous tutelle, pays d’outre-mer, etc. La présence de la France dans les colonies à diverses intensités (dans le domaine administratif, économique, financier, politique, diplomatique) était ainsi réaffirmée4. L’introduction de ces

statuts impliquait toutefois l’évolution des colonies de manière à atteindre un niveau de gestion de leurs affaires qui s’accordait à leurs capacités, leurs aptitudes au pouvoir et à leurs aspirations, ce qui était une conception organique radicalement nouvelle de l’empire. Ces aspirations devaient cependant demeurer dans les limites de ce que permettait le maintien de l’empire. Ces évolutions ne signifiaient aucunement une ouverture à l’indépendance, mais plutôt la poursuite de la mission civilisatrice française quant à l’apprentissage de ce qu’était la pratique du pouvoir en vue d’une décentralisation progressive de celui-ci.

Les politiques coloniales étaient, pour reprendre les termes de l’historien Olivier Le Cour Grandmaison, « à l’encontre des taxonomies convenues existant à l’époque » et devaient « être regardées comme les plus importantes et les plus intérieures des affaires extérieures ou les plus

extérieures des affaires intérieures5 ». La nature des relations avec les colonies avait forcé le traitement des questions qui leur étaient relatives à un fonctionnement en circuit clos, hermétique

4 Archives nationales d’outre-mer (ANOM), fonds ministère des Colonies, Direction des Affaires politiques (XIXe

siècle-1962) (61 COL), série Algérie et Sahara (AS), 904-1, Recommandations adoptées par la Conférence africaine

française, 8 février 1944.

5 L’accentuation est celle de l’auteur. Olivier LE COUR GRANDMAISON, La République impériale : Politique et racisme d’État, Paris, Fayard, 2009, p. 50.

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3

à une influence directe des autres acteurs étatiques mondiaux. La Conférence de Brazzaville confirmait l’officialisation des politiques visant la cohésion entre les unités de cet ensemble français en une république unifiée et solidaire. La politique – au sens du mode de gouvernance des affaires qui incombaient alors à la France – devait donc être menée selon cette logique. En conséquence, le clivage entre ce qui relève de la politique intérieure et extérieure suivait les logiques républicaines. La politique française était donc organisée en fonction de ces découpages. En tant qu’affaires intérieures, les enjeux coloniaux avaient une place à part au gouvernement. Néanmoins, toute affaire internationale qui impliquait une des colonies devait être traitée par la métropole, qui possédait le monopole de l’exercice des affaires extérieures. Cette séparation systématique de l’empire du système international a renforcé la perception d’un clivage normal entre les affaires coloniales et internationales. Cette manière de traiter les affaires extérieures a introduit chez la majorité des historiens une trame qui correspond aux mêmes découpages. Entre 1946 et 1958, pour les dirigeants français, plusieurs processus politiques ou économiques prenaient place en dehors des limites de l’Hexagone : un rythme des relations diplomatiques imposé par des épisodes de crises et de détente engendrés par la Guerre froide ; une intensification des revendications d’indépendance ; une libéralisation des flux économiques, accompagnée de l’inauguration des institutions internationales qui en assuraient le bon fonctionnement ; ainsi qu’une dynamique propre aux affaires internes de l’Union française. Toutes s’entrecoupaient à l’occasion et se superposaient dans les calculs politiques, diplomatiques et économiques de ces dirigeants et haut-fonctionnaires. Le traitement en silo de ces processus, rythmes et dynamiques semble atténuer la possibilité de déceler différentes interactions que les uns avaient avec les autres. Cela est d’autant plus vrai en ce qui a trait à l’analyse de la politique coloniale et de l’intégration européenne qui occupaient toutes deux une niche importante de la politique française de cette période dans la définition des intérêts nationaux.

L’idée d’une fédération européenne avait déjà connu de forts appuis dans l’entre-deux-guerres. Les mouvements de la Résistance avaient en France porté cette idée rassembleuse au sein de leurs différents cercles en tant que possible futur de l’Europe une fois la guerre terminée ; une idée alimentée largement par les courants pacifistes6. L’après-guerre a ainsi été témoin d’un

6 Veronika HEYDE, De l’esprit de la Résistance jusqu’à l’idée de l’Europe : projets européens et américains pour l’Europe de l’après-guerre (1940-1950), Bruxelles, Peter Lang, 2005.

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4

accroissement significatif de l’intérêt pour cette idée, à partir des bases militantes existantes acquises auparavant. La politique coloniale de la France, parallèlement, faisait peau neuve avec l’abolition de l’indigénat et les réformes politiques envisagées. Ces deux processus se déroulaient en simultanée – même s’il ne faut pas y voir un synchronisme systématique – et présentaient une certaine parenté idéelle. L’Union française, à l’instar des États-Unis d’Europe, aurait été ébauchée dans une architecture institutionnelle proche du fédéralisme et tous deux demandaient l’établissement d’un consensus à poursuivre un avenir commun et partagé. Brazzaville constituait un jalon de la refonte des liens qui unissaient les colonies à la métropole et devait amorcer une nouvelle ère du colonialisme français.

Lorsque la question de la participation des colonies s’est posée à lors du développement des premières organisations européennes, ces deux pendants de la politique française semblaient appeler à des considérations stratégiques, politiques et économiques différentes, suffisamment pour être traités séparément. Cette première impression se dissipe si l’on considère que ces éléments étaient des parties intégrantes du calcul stratégique des gouvernements tout au long de la IVe République. Évoquer la création d’une armée européenne sans aborder l’empêtrement des troupes françaises en Indochine apparait impossible. Par exemple, la thèse de David Thompson7

fait d’ailleurs une démonstration des impacts concrets qu’a eus la politique française en matière de défense européenne continentale sur le déroulement de la guerre d’Indochine. Attribuer des ressources au réarmement européen sur le continent se résumait à amputer le nombre de divisions mobilisables dans le cadre de la guerre d’Indochine. Dans ce cas, le calcul peut être fait facilement en matière de ressources allouées, mais il n’en est pas toujours ainsi. Il est donc important de prendre en considération également les dimensions politiques, géostratégiques et diplomatiques de ce jeu à somme nulle. Si ce calcul stratégique et politique peut être fait dans le cas de la CED, qu’en est-il des autres initiatives européennes pendant la IVe République ?

C’est à partir de ces réflexions quant au lien possible entre les politiques impériales et européennes en France que se sont articulés plusieurs questionnements quant aux moments où les deux pans de la politique française sont traités simultanément (lors des négociations des Traités de Rome, par exemple) ; à la nature des conceptions similaires mobilisées dans des projets en Europe et en

7 David THOMPSON, Delusion of Grandeur: French Global Ambitions and the Problem of the Revival of Military Power, 1950–1954, Toronto, Thèse de doctorat, 2007.

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5

Afrique ; et même à la façon dont les idées circulaient en Europe sur la fonction et le rôle à envisager pour les colonies dans l’après-guerre. Il apparait que le « facteur colonial » a épisodiquement été au cœur de débats dans l’élaboration des politiques françaises.

La coordination des différents ministères et départements au gouvernement nécessitait des efforts constants pour en faire ressortir une ligne politique cohérente. Le contexte international instable de l’ère post-1945 appelait parfois les gouvernements à concentrer leurs efforts diplomatiques sur la cohésion de l’Europe. À d’autres moments, les colonies françaises constituaient le point focal des discussions, à titre d’exemple, lors de l’élaboration de stratégies défensives françaises en perspective d’un possible affrontement en Europe dans le cadre de la Guerre froide. L’instabilité du gouvernement au cours de la IVe République – où le mandat d’un Chef de gouvernement n’a duré parfois qu’un mois – a en outre contribué à l’image d’une France incapable de cohésion. Malgré tout, ce facteur colonial s’est imposé progressivement comme une dimension incontournable de la politique étrangère française. Toutefois, il faudra attendre le dépôt du Rapport du Comité intergouvernemental créé par la Conférence de Messine pour que le gouvernement français – dirigé par Guy Mollet – milite auprès des autres États européens en faveur de l’inclusion des colonies dans les projets intégratifs européens8.

L’indécision des gouvernements français quant à l’attitude à adopter vis-à-vis des territoires non-autonomes indique la nécessité apparente d’identifier les influences, les interactions et les incidences que ces deux pans de la politique française ont eues l’une sur l’autre entre 1945 et 1957. Pour l’historien Yves Montarsolo, les deux sphères de la politique française semblent avoir eu une influence mutuelle sur leur dynamisme et leur synchronisme9. Puisque l’historiographie à ce sujet est limitée, ces influences méritent plus d’attention. Les incidences des politiques européennes sur les politiques impériales (et vice versa) doivent être analysées à leurs points de friction et à leurs croisements. À cela, il faut ajouter un portrait global de la manière dont les dirigeants ont évalué les actions à prendre, en fonction de la logique de gouvernance tendant à conserver les affaires coloniales en dehors des débats de politique extérieure. Un de ces points de contact a été les négociations en vue de la signature des Traités de Rome entre les six États membres de la CECA.

8 Le gouvernement français dénonçait l’absence de toute référence aux empires français et belge dans le rapport servant

de base de discussion pour la création d’un marché commun.

9 Yves MONTARSOLO, L’Eurafrique, contrepoint de l’idée d’Europe : Le cas français de la fin de la deuxième guerre mondiale aux négociations des Traités de Rome, Aix-en-Provence, Publication de l’Université de Provence, 2010.

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Il s’agit de l’une de ces fenêtres temporelles où les éléments de convergence entre la sphère impériale et européenne de la politique de la France transparaissaient clairement, avec la proposition française au cours de ces négociations d’intégrer l’outre-mer au marché commun européen. Cette proposition française apparait pour certains historiens comme un caprice français lors des négociations10 et elle est interprétée par d’autres comme un facteur périphérique aux débats

économiques de fonds quant à l’intégration européenne11. Pour cette étude, il s’agit d’une occurrence visible du débat sur l’outre-mer, faisant suite à une série de réflexions au sein du gouvernement français sur le sujet. Ces traités sont un cas de figure très évocateur de ces débats, car ils rattachaient en outre le werden des colonies françaises et belges à celui de l’Europe des Six. Les États signataires des Traités de Rome12 étaient « déterminés à établir les fondements d’une union sans cesse plus étroite entre les peuples européens13 » et établissaient une union douanière en ce sens. Comme résultat final de la « relance européenne », ces traités affichaient ouvertement un idéal européen de solidarité, notamment, par la consolidation des économies européennes. Ayant pu s’unir sous une zone de libre-échange non contraignante, ces six gouvernements ont fait le choix d’une intégration ; d’une perte relative de leur souveraineté, au profit de la constitution d’un marché commun. En outre, les États signataires entendaient « confirmer la solidarité qui lie l’Europe et les pays d’outre-mer et désirant assurer le développement de leur prospérité14 ».

Au-delà de cet idéal, cette association servait aussi les intérêts français, car les cinq partenaires de la France acceptaient de contribuer au financement des investissements requis pour le développement économique et social de leurs colonies africaines.

En s’attardant à ces points de croisement, de choc ou de synergie entre la politique coloniale et européenne française, cette thèse a pour objectif de déterminer quelle a été l’influence de l’intégration européenne sur la politique coloniale tardive, tant du point de vue idéel que dans sa substance. Autrement dit, il s’agit de déterminer le degré d’influence des mouvements pro-européens dans l’analyse de la faisabilité d’un projet fédéral impérial au sein de l’élite politique,

10 Pierre GERBET, La construction de l’Europe, Paris, Armand Colin, 5e édition, 2007, pp. 151-156.

11 Laurent WARLOUZET, Le choix de la CEE par la France : L’Europe économique en débat, de Mendès France à de Gaulle (1955-1969), Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, pp. 33-96.

12 La République fédérale d’Allemagne (RFA), la France, l’Italie, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas. 13Archives nationales de France (AN), Fonds Secrétariat général du gouvernement et service du premier ministre

(F60), vol. 3106, Traité instituant la Communauté économique européenne.

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mais aussi de déterminer en quoi la vocation européenne de la France a affecté les projets impériaux. Aussi, cette thèse explore les évolutions de la politique coloniale de la France et son influence sur les initiatives européennes, autant du point de vue de la forme que ces organes européens ont prise, que sur l’étendue des compétences perçues comme pouvant être l’objet d’un partage avec des instances supranationales. En d’autres mots, un des objectifs est de déterminer si le facteur colonial a contribué à freiner l’engouement pour la participation de la France aux organismes européens supranationaux ainsi que de déterminer la hiérarchisation des intérêts de la France sur sa vocation européenne et ses conséquences. Il est ainsi question d’articuler une interprétation du colonialisme tardif de manière à faire ressortir les impacts que la redéfinition identitaire de la République française a eus sur ses politiques européennes et plus largement dans la perception des dirigeants et hauts-fonctionnaires de l’environnement international. Finalement, considérant que le maintien des colonies au sein de la République française était primordial pour France, un troisième objectif de cette recherche est de déterminer les conséquences de la refonte des liens avec les territoires d’outre-mer dans la manière d’appréhender leur futur partagé et dans la compréhension de l’exercice de la souveraineté des États contemporains. Il reste ainsi à déterminer si les pressions pour la décolonisation auraient influencé la manière dont les dirigeants français ont anticipé l’accession graduelle des colonies françaises à l’autonomie et si cela a engendré une manière nouvelle de concevoir leurs rapports mutuels vis-à-vis de la souveraineté. L’historienne Véronique Dimier souligne que « le meilleur moyen de déconstruire une évidence scientifique est de trouver le moment où elle n’était pas évidente, où elle se heurtait à d’autres évidences15 ». C’est exactement ce que l’objet de cette thèse a pour ambition. Revenir au moment

où, pour les chercheurs actuels, on retrouvait un certain nombre de ces antinomies à l’égard du nationalisme et de l’avenir des colonies. Et, comme le rapportent plusieurs historiens spécialistes de la IVe République, la période entre 1945 et 1957 était celle où un flottement s’étirait dans l’orientation des politiques nationales en Europe. Une nouvelle ère s’ouvrait dans les relations internationales et les considérations stratégiques principales étaient profondément modifiées. De nouveaux principes pouvaient être introduits dans la politique française envers l’Europe et l’Afrique, puisqu’aucun cours spécifique de l’histoire n’était prédéterminé.

15 Véronique DIMIER, Le gouvernement des colonies, regards croisés franco-britanniques, Bruxelles, Éditions de

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8 Approche choisie

Afin d’exposer adéquatement l’approche choisie pour cette étude, il est nécessaire d’abord d’établir les raisons qui nous ont incités à sélectionner : le cadre temporel, l’eurocentrisme de la thèse, une approche nationale ainsi que le particularisme français et ses apports potentiels pour notre objet d’étude. Le cadre temporel pour explorer les politiques coloniales et européennes de la France a été aligné au découpage classique soulevé par l’historiographie dominante en ces deux domaines et par la présence des points de contact entre ces deux sphères politiques. Bien que la IIIe République ait constitué un âge d’or du développement de la politique coloniale en France, l’idée de l’unification européenne pour sa part n’a eu que peu d’applications politiques pratiques, à l’exception du Plan Briand. Loin de diminuer l’importance de la circulation des idées sur ce sujet dans l’entre-deux-guerres, cette période ne fournirait que peu d’occurrences entre les politiques coloniales et européennes. Cela nous amène à considérer la IVe République.

Dans l’histoire de la construction européenne, les historiens offrent des études très diversifiées quant à la nature de l’Europe d’après-guerre, à la structure des organisations, aux processus historiques qui ont mené les États européens à la conception et à la mise en place d’organisations à vocation coopérative (Conseil de l’Europe) et celles régies par un principe fédéral (CECA, CED, CEE)16. Tel que l’historien Pierre-Henri Laurent le souligne, il est possible de distinguer deux

grands découpages chronologiques d’analyse dans l’historiographie de l’intégration européenne post-1945 : la première, entre la fin de la guerre et la signature des Traités de Rome, qui recense l’émergence du phénomène et la seconde, postérieure à 1958, durant laquelle l’Union européenne que l’on connait s’est graduellement constituée à partir de la CEE17. La première

période (1945-1957) correspond mieux aux objectifs de recherche dans la mesure où l’Europe a été le théâtre d’un foisonnement exceptionnel d’idées quant au futur de l’Europe ainsi qu’un engouement politique certain à mettre la construction européenne au premier plan.

16 Pour un aperçu des historiens et des axes de recherches jusqu’en 1992, voir : Yves CONRAD et Michel DUMOULIN

(dir.), Répertoire des chercheurs et de la recherche de la construction européenne, Louvain-la-Neuve, Groupe de liaison des Historiens auprès de la Commission des Communautés européennes, 1992.

Pour un aperçu moins systématique, mais plus récent de l’étendue des recherches, voir : Réseau international de jeunes chercheurs en histoire de l’intégration européenne, The Road to a United Europe : Interpretations of the Process of

European Integration, Bruxelles, Peter Lang, 2009.

17 Pierre-Henri LAURENT, « Historical Perspectives on Early European Integration », Journal of European Integration, 12, 2–3 (1989), pp. 89–100.

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Dans le domaine colonial, la IVe République est un moment de questionnement intensif sur la nature des relations entre la métropole et les colonies. Ce colonialisme tardif témoignait d’une part de la volonté de la France à préserver son empire et d’autre part de faire de cet empire un aspect majeur de sa politique internationale. De nombreuses réformes politiques, administratives, sociales et économiques ont également eu cours entre 1946 et 1958, faisant de l’ère post-1945 une ère de mutation importante des relations entre la métropole et les colonies. La cooccurrence de l’effervescence de l’idéal pro-européen et du renouvellement des liens coloniaux fait de la IVe

République française un cadre temporel où ces deux questions ont occupé une grande part de la stratégie géopolitique française. Le foisonnement des idées, la multitude de réflexions, la multiplication des projets et d’initiatives dans les affaires coloniales et européennes nous incitent à délimiter cette thèse entre la tenue de la Conférence de Brazzaville et la fin de la IVe République.

Pour ce qui est de l’approche euro-centrée adoptée, il est à noter qu’une grande proportion des études abordant les questions coloniales les traite en fonction de la perspective de la métropole, car le siège du pouvoir s’y trouvait et les directives données aux administrateurs coloniaux et aux élites locales en émanaient. Cette étude suit ainsi cette même logique, d’autant plus que le sujet de cette thèse se rapporte directement aux décideurs politiques. L’eurocentrisme de cette étude s’explique par la nature des questions posées. D’autres chercheurs, tels que Frederick Cooper, intègrent des sources archivistiques comprenant les délibérations entre les représentants coloniaux et le gouvernement français, afin de faire ressortir les différences entre les diverses conceptions de la citoyenneté et son évolution18. La perspective des administrateurs des territoires africains et celle dégagée au cours des Assemblées territoriales de l’Union française peuvent être mobilisées, à condition que l’objet de recherche s’articule autour de l’application des directives métropolitaines ou de l’étude de phénomènes politiques, économiques ou sociaux locaux. L’étude des discours des élites locales serait indéniablement vitale à l’analyse de leur influence sur les mouvements nationalistes, panafricains et panislamiques en Afrique coloniale, mais ce n’est toutefois pas l’objet de cette thèse. Celle-ci ne s’attardera pas non plus aux luttes d’indépendance en elles-mêmes, aux atrocités commises lors ces conflits ou au caractère « tragique19 » de la

18 Frederick COOPER, Citizenship Between Empire and Nation: Remaking France and French Africa, 1945–1960,

Princeton, Princeton University Press, 2014.

19 Ruscio va jusqu’à faire le décompte des morts, afin de faire un bilan des conséquences humaines de la décolonisation

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décolonisation française, bien qu’il y aurait tout aussi un intérêt historique à poursuivre les recherches qui s’y intéressent20. Si ces analyses ont le mérite d’explorer des guerres parfois

méconnues du public, elles s’intéressent généralement peu aux impacts diplomatiques que ces conflits ont eus et aux réactions qu’ils ont provoquées dans la gestion des colonies restantes. Puisque l’objet de cette thèse est construit autour des nouvelles orientations de la politique coloniale française post-1945, la perspective à adopter pour cette thèse est forcément euro-, voire franco-centrée. L’étude des questions concernant un nouveau modèle de relations interétatiques implique donc que notre analyse se base sur les sources archivistiques en provenance de la métropole, là où se sont élaborés les plans de la redéfinition des liens entre la métropole et ses colonies et là où sont concentrés les décideurs politiques à l’origine de l’intégration européenne. Par ailleurs, l’engouement pour l’histoire transnationale, l’histoire globale et l’histoire croisée est manifeste depuis les quinze dernières années, même si on en recense l’existence dans d’autres domaines que l’histoire depuis les années 195021. Les chercheurs et les historiens sont appelés

dans de nombreux articles à délaisser les approches et perspectives nationales ou comparatives pour s’ancrer dans cette nouvelle mouvance. Le transnationalisme a pour caractéristique de mettre en exergue des flux et connexions qui, autrement, ne seraient pas exposés dans leur ensemble comme objet d’étude, tout comme le transnationalisme peut s’appliquer à des processus qui s’opèrent à une échelle plus large de celle des États. Cette approche a même engendré de nouvelles réflexions dans le monde colonial, alors que certains colloques et conférences incitent les jeunes chercheurs à procéder à une analyse transimpériale. Des liens peuvent être établis entre des territoires appartenant à un même empire ou, au contraire, à des territoires dont le point de rattachement est situé dans des systèmes impériaux différents. Dans cette optique, l’histoire coloniale pourrait effectivement servir à relever des liens entre des acteurs, des mouvements

Messidor, 1987. Il fournit notamment un bilan des victimes de la décolonisation. Voir aussi pour une analyse récente : Ahmed-Baba MISKÉ, La décolonisation de l’Afrique revisitée : La responsabilité de l’Europe, Paris, Karthala, 2014.

20 Sur l’histoire « noire » de la guerre d’Algérie, voir : Pierre VIDAL-NAQUET, Les crimes de l’armée française, Paris,

Maspero, 1975 ; Raphaëlle BRANCHE, « Des viols pendant la guerre d’Algérie », Vingtième siècle. Revue d’histoire,

no 75, numéro spécial : histoire des femmes, histoire des genres (2002), pp. 123-132. ; Yves COURRIÈRE, Les fils de

la Toussaint, Paris, Fayard, 1968. ; Philippe BOURDREL, Le livre noir de la guerre d’Algérie : Français et Algériens,

1945-1962, Paris, Plon, 2003. ; Bouda ETEMAD, La possession du monde : poids et mesures de la colonisation

(XVIIIe-XXe siècles), Bruxelles, Complexe, 2000.

21 Pierre-Yves SAUNIER, « Learning by Doing: Notes about the Making of the Pelgrave Dictionary of Transnational History », Journal of Modern European History, 6, 2 (2008), pp. 165-66.

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sociaux, des idées, etc22. Cependant, l’objet de cette thèse a été construit autour de la République française, en tant qu’unité territoriale de référence, ce qui nous pousse donc à ne pas « sauter dans le train » du transnationalisme23. La nature des liens examinés explique en partie ce choix ; l’autre

motif réside dans le particularisme français dans l’histoire de l’intégration européenne.

En plus du choix d’une approche nationale, on peut se demander en quoi la perspective nationale

française est intéressante. L’historien Pierre Gerbet voit dans cette approche l’essence de l’étude

d’un particularisme. La France est considérée comme un cas à part en raison du poids qu’elle a occupé dans l’amorce initiale du processus d’intégration européenne, mais aussi parce qu’elle partageait déjà une zone douanière instaurée avec les différentes composantes de son empire. Par conséquent, l’intégration économique de la France à l’Europe est considérée comme un cas à part en raison des autres questions que son adhésion soulevait. Les décideurs politiques français étaient reconnus pour la place importante qu’ils ont occupée pour l’impulsion de la CECA, mais aussi pour le rôle déterminant qu’ils ont joué dans le ralentissement du processus intégratif, comme lors de l’échec de la CED. C’est en ce sens que Gerbet affirmait que les élites politiques en France ont eu un impact « en faveur de l’intégration européenne ou contre elle24 ». Il n’est donc pas étonnant

de compter parmi des études consacrées entièrement à ce thème qui demeurent des incontournables. Il semble opportun de souligner cette orientation nationale dans les ouvrages d’historiens reconnus pour leurs analyses sur la question européenne : Gérard Bossuat25, René

Girault26, Alfred Grosser27, Erling Bjøl28, etc. Leurs analyses constituent encore aujourd’hui des

22 Pierre-Yves SAUNIER, « Transnational History. Symposium, Canberra, Australian National University, September

2004 », Historical Social Research, 31, 2 (2006), p. 123.

23 « AHR Conversation: On Transnational History », The American Historical Review, 111, 5 (2006), pp. 1441–1446.

Il est à noter qu’un appel à contribution a récemment été lancé par l’Université de Lausanne pour une Conférence ayant pour thème : « Empire and globalisation(s). Circulations, exchanges and trans-imperial cooperation in Africa, 19th-20th centuries ». Une publication est prévue au terme de ce colloque, laquelle s’insère définitivement dans la mouvance trans-impériale.

24 Pierre GERBET, La France et l’intégration européenne : Essai d’historiographie, Bruxelles, Peter Lang, 1995. 25 Voir notamment : Gérard BOSSUAT, L’Europe des Français, 1943-1959 : la IVe République aux sources de

l’Europe communautaire, Paris, Publications de la Sorbonne, 1996. ; Idem, Les aides américaines économiques et militaires à la France, 1938-1960 : Une nouvelle image des rapports de puissance, Paris, Comité pour l’histoire

économique et financière de la France, 2001. ; Idem, Faire l’Europe sans défaire la France, 60 ans de politique d’unité

européenne des gouvernements et des présidents de la République française (1943-2003), Bruxelles, Peter Lang, 2006. 26 Voir notamment : René GIRAULT, La Puissance française en question : 1945-1949, Paris, Publications de la

Sorbonne, 1988. ; Idem. (dir.), Les Europe des Européens, Paris, Publications de la Sorbonne, 1993.

27 Voir notamment : Alfred GROSSER, La IVe République et sa politique extérieure, Paris, Armand Colin, 1961 ; Idem,

Affaires extérieures : la politique de la France depuis 1944, Paris, Flammarion, 1984. ; Idem, Les Occidentaux : les pays d’Europe et les États-Unis depuis la guerre, Paris, Fayard, 1978.

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références en matière d’intégration européenne et de la perspective française, même si plusieurs de ces ouvrages datent29. Ces analyses demeurent tout à fait valides, notamment en ce qui concerne

de divers acteurs impliqués (hommes politiques, partis, groupes de pression, etc.) quant aux orientations sur la question européenne. Elles constituent la base historiographique des nouvelles études en la matière. Cette thèse s’appuie ainsi sur cette reconnaissance du particularisme français afin de poursuivre les réflexions émises sur ce thème de l’historiographie.

État des lieux

Établir un état des lieux n’est pas une chose évidente, car le sujet en lui-même à la croisée du thème impérial et européen de l’histoire française pousse à considérer plusieurs champs historiographiques, dont celui de l’intégration européenne, des Colonial et Post-Colonial Studies, de la décolonisation, etc. À cela s’ajoutent quelques précisions sur les ouvrages ayant pour objet d’étude l’Eurafrique. Ainsi, cet éclatement de la littérature appelle à un positionnement complexe. Le champ historiographique de la construction européenne est extrêmement vaste, mais il reste marqué par les ouvrages de quelques pionniers, qui ont pavé la voie aux débats encore en cours aujourd’hui. Il est même d’ailleurs possible de déceler trois grandes tendances historiographiques relatives à l’étude du processus intégratif, qui se sont attardées à divers degrés au cas de la France. En premier lieu, il est important de souligner l’apport des historiens et politologues, tels que Alan

29 À cette liste pourraient être ajoutés des historiens dont les analyses ont marqué l’historiographie, bien qu’ils ne

traitent pas directement du rôle français dans l’intégration européenne, dont Jean-Baptiste Duroselle, Marie-Thérèse Bitsch, Raymond Poidevin, Pierre Gerbet et Wilfried Loth.

Voir notamment : Jean-Baptiste DUROSELLE, L’Europe de 1815 à nos jours. Vie politique et relations

internationales, Paris, Presses universitaires de France, 1964. ; Idem, Tout empire périra : théorie des relations internationales, Paris, Publications de la Sorbonne, 1981.

Marie-Thérèse BITSCH, Le fait régional et la construction européenne, Bruxelles, Bruylant, 2003 ; Idem, Histoire de

la construction européenne de 1945 à nos jours, Bruxelles, Complexes, c1996. ; Idem, La construction européenne : enjeux politiques et choix institutionnels, Bruxelles, Peter Lang, c2007.

Raymond POIDEVIN (et. al.), Institutions européennes et identités européennes, Bruxelles, Bruylant, 1998 ; Idem, (et.

al.), Les Relations franco-allemandes : 1815-1975, Paris, Armand Colin, 1977 ; Idem, Robert Schuman : Homme d’État, 1886-1963, Paris, Imprimerie nationale.

Pierre GERBET, Le Relèvement, 1944-1949, Paris, Imprimerie Nationale, 1991 ; Idem, La construction de l’Europe,

op. cit. ; Idem (et al.), Dictionnaire historique de l’Europe unie, Bruxelles, A. Versaille, c2009 ; Idem (et al.), L’Union politique de l’Europe : jalons et textes, Paris, Documentation française, 1998 ;

Wilfried LOTH, La gouvernance supranationale dans la construction européenne. Bruxelles, Bruylant, 2005. ; Idem,

Der Weg nach Europa. Geschichte der europäischen Integration 1939-1957, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht,

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Milward30, Andrew Moravcsik31, Sylvie Lefèvre32 et Gérard Bossuat33, qui soutiennent la primauté

de l’argument économique en tant que vecteur de l’intégration européenne. Selon cette interprétation, l’essentiel de l’impulsion initiale et les facteurs qui ont contribué à la poursuite de la construction européenne auraient été centrés sur la reconstruction d’après-guerre et l’entrée de l’Europe dans la compétitivité accrue dans les marchés économiques et financiers. Nombre d’historiens, en second lieu, accordent une préséance à l’interprétation historique axée sur l’étude de la pression externe exercée par les facteurs géopolitiques et ses effets sur la cohésion interne du continent européen. Cela a donné lieu à des analyses intéressantes sur les impacts des dynamiques de la Guerre froide ainsi que sur le poids des États-Unis dans la question du maintien d’une Europe puissante, résistante aux actions des forces communistes34. En troisième lieu, une part des

interprétations historiques de l’intégration européenne sont centrées sur l’argument selon lequel le désir d’indépendance et de sécurité de la France et de l’Europe était à l’origine des initiatives d’unification de l’Europe. On y retrouve ainsi des analyses portant sur les efforts d’émancipation de la France par rapport aux aides extérieures35 ainsi que des ouvrages dont l’argument principal

30 Alan MILWARD, The European Rescue of the Nation-state, Berkeley, University of California Press, c1992; Idem, The Reconstruction of Western Europe, 1945-51, Berkeley, University of California Press, 1984.

31 Andrew MORAVCSIK, The Choice for Europe: Social Purpose and State Power from Messina to Maastricht, Ithaca,

Cornell University Press, 1998.

32 Sylvie LEFÈVRE, Les relations économiques franco-allemandes de 1945 à 1955 : de l’occupation à la coopération,

Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1998.

33 Gérard BOSSUAT, Les aides américaines économiques et militaires à la France, 1938-1960, op. cit. ; Idem, L’Europe occidentale à l’heure américaine : le Plan Marshall et l’unité européenne, Bruxelles, Complexe, c1992. 34 Irwin WALL, The United States and the Making of Postwar France, Cambridge, Cambridge University Press, 1991;

William HITCHCOCK, France Restored : Cold War Diplomacy and the Quest for Leardership in Europe, 1944–1954, Chapel Hill, Université of North Carolina Press, 1998; Michael CRESWELL, A Question of Balance : How France

and the United States Created Cold War Europe, Cambridge, Harvard University Press, 2006; Annie LACROIX-RIZ,

Le choix de Marianne : les relations franco-américaines 1944-1948, Paris, Messidor, 1985. ; Wilfried LOTH, Europe,

Cold War and Coexistence, 1953–1965, Londres, Frank Cass, 2004; Pierre GERBET, La construction de l’Europe, op.

cit. ; Pierre MELANDRI (dir.), Les relations franco-américaines au XXe siècle : Actes du colloque de l’observatoire

de la politique étrangère américaine, 24-25 mai 2002, Paris, L’Harmattan, 2003. ; Michael HOGAN, The Marshall

Plan : America, Britain, and the Reconstruction of Western Europe, 1947–1952, Cambridge, Cambridge University

Press, 1987.

Pour une synthèse, voir : Michael SUTTON, France and the Construction of Europe, 1944–2007 : the Geopolitical

Imperative, New York, Berghahn, 2007; Corine DEFRANCE (et. al.), Entre Guerre froide et intégration européenne :

reconstruction et rapprochement, 1945-1963, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2012. 35 Voir notamment : Robert FRANK et René GIRAULT, La Puissance française en question (1945-1949), op.cit ;

Gérard BOSSUAT, L’Europe occidentale à l’heure américaine, op. cit. ; Claire SANDERSON, France,

Grande-Bretagne et défense de l’Europe, 1945-1958 : l’impossible alliance ?, Paris, Publications de la Sorbonne, 2003. ;

Charles COGAN, Alliés éternels, amis ombrageux : les États-Unis et la France depuis 1940, Paris, Bruylant, 1999; Peter STIRK et David WILLIS (éd), Shaping Postwar Europe: European Unity and Disunity, 1945–1957, Londres, Pinter, 1991; Robert FRANK, La hantise du déclin : le rang de la France en Europe, 1920-1960 : finances, défense et

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est axé sur l’émergence des relations franco-allemandes comme un catalyseur du mouvement intégratif en Europe36.

Les ouvrages cités demeurent des analyses tout à fait valides. Les historiens qui en sont à l’origine ont effectué un travail de défrichage nécessaire. Ces débats fournissent aux jeunes chercheurs des clés de compréhension essentielles afin d’élargir ce champ historiographique en développant de nouvelles approches37. Peu de ces ouvrages s’attardent par contre aux parallélismes entre les projets européens et eurafricains, ou aux connexions entre l’Europe et l’Afrique. Les références à la question coloniale se limitent à aborder les conflits en cours dans les colonies françaises ou à évoquer la pierre d’achoppement dans les négociations des Traités de Rome. Malgré cela, l’historiographie récente s’intéresse marginalement aux raisons pour lesquelles les dirigeants français se sont tournés vers les projets eurafricains ou aux incidences européennes des politiques coloniales françaises ou belges. Quelques historiens se sont attelés à la tâche de désenclaver l’histoire européenne, comme il sera discuté plus loin dans cette section, mais cette histoire demeure somme toute confinée à l’étude de phénomènes strictement européens pour la période à l’étude. Il ne s’agit pas d’un champ qui fait exception ; les Colonial Studies constituent eux aussi un champ axé sur son propre univers.

Les Colonial Studies sont restées longtemps dans l’ombre des Post-Colonial Studies, car les dernières vagues d’indépendance (en Afrique surtout) ont contribué à ce que cet objet d’étude soit

36 Voir notamment : Geneviève MAELSTAF, Que faire de l’Allemagne ? Les responsables français, le statut international de l’Allemagne et le problème de l’unité allemande, Paris, direction des Archives, Ministères des affaires

étrangères, 1997 ; Roy WILLIS, France, Germany, and the New Europe, Stanford, Stanford University Press, 1965; Hebert TINT, French Foreign Policy since the Second World War, Londres, Weindenfeld and Nicolson, 1972; Cyril BUFFET, Mourir pour Berlin : la France et l’Allemagne (1945-1949), Paris, Armand Colin, 1991. ; Desmond DINAN,

Europe Recast : A History of European Union, Londres, Boulder, 2004; Philip GORDON, France, Germany, and the

Western Alliance, Boulder, Westview Press, 1995.

37 Les études citées demeurent en somme des ouvrages statocentré. Il existe toutefois une pléiade d’approches à la

construction européenne qui mettent de l’avant les « forces » à l’œuvre (partis politiques, syndicats, regroupements,

etc.) et même d’autres qui se concentrent sur les grands hommes politiques. Gérard BOSSUAT, « Les grandes

tendances de l’historiographie universitaire française contemporaine dans le domaine de l’histoire des constructions européennes », Lettre d’information des historiens de l’Europe contemporaine, 7, 1-2 (1992), pp. 25-35.

D’ailleurs, certains ouvragent traitent des nouveaux objets de l’histoire européenne, notamment en rapport avec l’identité, la mémoire, les rapports de forces internes aux États européens et au transnationalisme. Voir notamment : René GIRAULT, (dir.). Identité et conscience européennes au XXe siècle, Paris, Hachette, 1994 ; René GIRAULT et

Gérard BOSSUAT (dir.), Europe brisée, Europe retrouvée. Nouvelles réflexions sur l’unité européenne au XXe siècle,

Paris, Publications de la Sorbonne, 1994. ; Fondation Jean Monnet pour l’Europe, Une dynamique européenne : le

Comité d’action pour les États-Unis d’Europe, Lausanne, Fondation Jean Monnet pour l’Europe et Économica, 2011. ;

Nicolas VERSCHUEREN, Fermer les mines en construisant l’Europe : une histoire sociale de l’intégration

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