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du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 mai e chambre Audience publique du 12 juillet 2019

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Tribunal administratif Numéro 43004 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 mai 2019 4e chambre

Audience publique du 12 juillet 2019

Recours formé par Monsieur ..., sans domicile connu, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L. 18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43004 du rôle et déposée le 22 mai 2019 au greffe du tribunal administratif par Maître Franck Greff, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ..., né le … à … (Erythrée), de nationalité érythréenne, actuellement sans adresse connue, ayant été assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK) sise à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 7 mai 2019 par laquelle les autorités luxembourgeoises ont pris la décision de le transférer vers l’Italie, Etat membre compétent pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 juin 2019 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Franck Greff et Madame le délégué du gouvernement Stéphanie Linster en leurs plaidoiries respectives.

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Le 28 janvier 2019, Monsieur ... introduisit auprès des autorités luxembourgeoises une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur ... fut entendu par un agent du service de police judiciaire, service criminalité organisée / police des étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion, sur base des recherches dans la base de données EURODAC, que Monsieur ... avait illégalement franchi la frontière italienne en date du 25 novembre 2018.

Le 30 janvier 2019, Monsieur ... fut encore entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par le « règlement Dublin III ».

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Par décision du 6 février 2019, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, dénommé ci- après « le ministre », notifia à Monsieur ... un arrêté du même jour ordonnant son assignation à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg, dénommée ci-après « la SHUK », pour une durée de trois mois. Cette assignation fut prorogée par la suite pour une nouvelle durée de 3 mois par un arrêté ministériel du 6 mai 2019.

Par courrier électronique du 6 février 2019, le ministre sollicita auprès des autorités italiennes la reprise en charge de Monsieur ... en vertu de l’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III.

Par un courrier non daté, transmis par courrier électronique en date du 10 avril 2019, les autorités luxembourgeoises informèrent les autorités italiennes qu’elles considèrent l’Italie comme ayant tacitement accepté, en date du 7 avril 2019, la reprise en charge de Monsieur ... en application de l’article 22, paragraphe (7), du règlement Dublin III.

Par courrier électronique du 12 avril 2019, les autorités italiennes donnèrent leur accord pour l’organisation du transfert de Monsieur ... par l’aéroport de Venise.

Par décision du 7 mai 2019, envoyée par courrier recommandé le lendemain, le ministre informa Monsieur ... que le Grand-Duché de Luxembourg a pris la décision de le transférer vers l’Italie sur base de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 13, paragraphe (1), du règlement Dublin III, la décision étant libellée comme suit :

« (…) J'accuse réception de votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire que vous avez introduite en date du 28 janvier 2019.

En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 13(1) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013, le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l'Italie qui est l'Etat membre responsable pour examiner votre demande de protection internationale.

En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 28 janvier 2019 et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 30 janvier 2019. En mains également la télécopie de votre mandataire du 15 avril 2019, par laquelle il sollicite l'application de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013.

Selon vos déclarations vous auriez quitté votre pays d'origine le 5 octobre 2014 en direction de l'Ethiopie où vous seriez resté pendant deux ans. Ensuite, vous seriez parti au Soudan et y seriez resté pendant huit mois. Puis, vous seriez passé en Libye et y seriez resté pendant deux ans.

En novembre 2018, vous auriez pris le bateau pour vous rendre en Italie où vos empreintes auraient été enregistrées. Deux mois plus tard, vous auriez quitté l'Italie, seriez passé par la France et la Belgique pour arriver au Luxembourg en date du 27 janvier 2019.

Il résulte par ailleurs des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection internationale, notamment dans la base de données EURODAC, que vous avez précédemment franchi irrégulièrement la frontière italienne, par voie maritime, en date du 25 novembre 2018.

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Sur base des informations à disposition, le Grand-Duché de Luxembourg a adressé une demande de prise en charge aux autorités italiennes sur base de l'article 13(1) du règlement (UE) n° 604/2013, demande qui fut tacitement acceptée par lesdites autorités italiennes en date du 7 avril 2019 sur base de l'article 22(7) du règlement précité.

Lors de votre entretien Dublin III du 30 janvier 2019, vous indiquez être en bonne santé (page 2/8 du rapport d'entretien). En effet, vous n'avez pas fait mention d'éventuelles particularités sur votre état de santé empêchant un transfert vers l'Italie, qui est l'Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Monsieur, vous indiquez ne pas vouloir vous rendre en Italie pour le traitement au fond de votre demande de protection internationale parce que « je terminerais dans la rue car il n'y a pas de travail là-bas. Ce serait donc très dur pour moi » (page 5/8 du rapport d'entretien).

Rappelons à cet égard que l'Italie est liée à la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE »), et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv.torture »).

Il y a également lieu de soulever que l'Italie est liée par la Directive UE n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive UE n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que l'Italie profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière. S'il est notoire que les autorités italiennes connaissent des problèmes quant à leurs capacités d'accueil des demandeurs de protection internationale, qui peuvent être confrontés à d'importantes difficultés sur le plan de l'hébergement, des conditions de vie, il n'y a toutefois aucune sérieuse raison de croire qu'il existe, en Italie, des défaillances systémiques dans la procédure de demandes de protection internationale et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte UE.

Par conséquent, en l'absence d'une pratique actuelle avérée en Italie de violation systématique de ces normes minimales de l'Union européenne, cet Etat est présumé respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture, de même que les conditions minimales d'accueil fixées dans la directive Accueil.

Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de l'UNHCR qui recommanderait de façon générale de suspendre tes transferts vers l'Italie sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

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Monsieur, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence en Italie revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv. Torture.

Relevons dans ce contexte que si vous deviez estimer que les autorités italiennes ne respectent pas vos droits élémentaires, il vous appartient de saisir les autorités compétentes italiennes, notamment judiciaires.

Au vu de ce qui précède, l'application de l'article 3(2), alinéa 2, du règlement (UE) n°

604/2013 ne se justifie pas.

Monsieur, vous soutenez également que « je n'ai pas reçu d'aide. Personne ne s'est occupé de moi » (page 5/8 du rapport d'entretien). Relevons à cet égard que si vous deviez estimer que les autorités italiennes ne respectent pas vos droits élémentaires, il vous appartient de saisir les autorités compétentes italiennes, notamment judiciaires.

Vous n'avez par ailleurs pas fait valoir des raisons particulières ou humanitaires qui auraient dû amener l'Etat luxembourgeois à faire application de l'article 17(1) du règlement (UE) n° 604/2013.

Aussi, les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l'application des articles 8, 9, 10 et 11 du règlement (UE) n° 604/2013.

D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités italiennes n'ont pas été constatées.

Monsieur, il suit des considérations qui précèdent que la responsabilité des autorités italiennes pour le traitement de votre demande de protection internationale et des suites à y réserver est acquise. (…) ».

En date du 7 mai 2019, le ministre s’adressa au service de police judiciaire, section criminalité organisée / police des étrangers, de la police grand-ducale en vue d’organiser le transfert de Monsieur ... vers l’Italie qui fut finalement effectué le 12 juin 2019.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 22 mai 2019, Monsieur... a fait introduire un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 7 mai 2019.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en annulation contre les décisions de transfert visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, telle que la décision litigieuse, un recours en annulation a valablement pu être introduit à l’encontre de celle-ci.

Le recours en annulation introduit est encore recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur reprend les rétroactes tels que résumés ci-avant, en précisant qu’il aurait quitté l’Erythrée en octobre 2014, sans préjudice quant à une date plus exacte, après avoir déserté de l’armée dans laquelle il aurait été enrôlé de force. Il explique qu’il viendrait d’une famille de militaires, son père et deux de ses frères servant dans l'armée érythréenne et ses oncles étant morts au combat lorsque le pays aurait été en guerre. Il donne à considérer que le service national serait illimité en Erythrée et qu’après une première

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tentative de désertion échouée, il aurait été torturé, emprisonné et contraint à une marche forcée pour se déplacer d’une prison à l’autre où il aurait été privé de lumière, de nourriture et d’hygiène.

Il affirme avoir décidé de quitter son pays d'origine après avoir appris que la police militaire le rechercherait et pour éviter l'arrestation de ses parents. Malgré cela, sa mère aurait été arrêtée, interrogée et emprisonnée pendant un mois.

Le demandeur explique ensuite que lors de son trajet vers l’Europe il serait passé par l’Ethiopie où il aurait été la cible de voleurs et le Soudan, où il aurait été capturé et torturé physiquement et sexuellement par des contrebandiers lui réclamant de l'argent pour le laisser partir vers Karthoum. Arrivant en Libye, il relate avoir connu les camps de Koufra, Ben Gazi, Ash Schwayrif, Beni Oulid où il serait resté presque deux ans sous l’emprise de ravisseurs qui l’auraient enfermé, frappé et torturé.

Il fait valoir que les tortures morales et physiques subies en Erythrée, au Soudan et en Libye seraient à qualifier d'actes inhumains et dégradants.

Le demandeur relève ensuite qu’une fois arrivé en Italie, son calvaire aurait continué, étant donné qu’il aurait dû subir les mesures « anti-migrantes » du ministre de l'Intérieur italien, étant obligé de dormir de nombreuses nuits dehors, sans accueil possible dans une structure adaptée, contrairement à ce qu’il aurait indiqué dans son entretien Dublin III.

Etant donné qu’avant la prise de la décision déférée, le ministre aurait été informé de son état particulièrement vulnérable par un courrier de son litismandataire du 15 avril 2019, ayant également relevé qu’il souffrirait d'une tuberculose sous traitement médical, il aurait appartenu au ministre de renoncer à un transfert vers l'Italie.

En droit, le demandeur tientà préciser qu'il n’aurait pas déposé de demande de protection internationale en Italie, où seules ses empreintes auraient été prises.

Quant au fond, le demandeur donne à considérer que si chaque Etat membre de l’Union européenne respectait les libertés fondamentales et les valeurs proclamées à travers les différents instruments législatifs, un recours, tel que celui présentement introduit, n’aurait pas lieu d’être.

Or, une nouvelle tendance xénophobe se manifesterait dans différents États membres de l'Union européenne, comme en Italie, pays qui serait confronté à un important flux migratoire alors qu’il serait lui-même au bord d’une crise financière.

En ce qui concerne la situation des « migrants » en Italie, le demandeur relève qu’en raison d'une insuffisance de moyens matériels et financiers, les demandeurs de protection internationale devraient y vivre dans des camps excessivement surpeuplés et dans des conditions inhumaines avec des difficultés d’accès au système d’accueil, ce qui ressortirait notamment d’un rapport de l'organisation « Médecins sans frontières » publié en février 2018 et dont il cite des extraits. Ces constats seraient confirmés par un rapport publié le 23 mars 2018 par la « Asylum Information Database » (AIDA).

Le demandeur fait plaider que cette situation exposerait chaque demandeur de protection internationale vivant sur le territoire italien à des traitements inhumains et dégradants, contraires aux articles 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, dénommée ci-après « la CEDH » et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne, dénommée ci-après « la Charte ».

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Il estime qu’il serait évident que, sous le gouvernement italien actuel, avec un ministre de l'Intérieur d'extrême-droite, les conditions de vie des demandeurs de protection internationale ne s’amélioreraient certainement pas, mais qu’au contraire, une aggravation de la situation serait même à prévoir.

Le demandeur donne à considérer que le 24 septembre 2018, un « décret-loi « anti- migrant » » aurait été adopté par le conseil des ministres italien, devenu depuis une loi du 28 novembre 2018, ayant pour conséquence, pour les demandeurs de protection internationale, notamment de rendre exceptionnels les permis de séjour humanitaires - que 25% des demandeurs d'asile en Italie auraient obtenus ces dernières années-, de prévoir la suspension de la demande d'asile dans le cas où le demandeur se montrerait « dangereux » ou ferait l'objet d'une condamnation en première instance et de réorganiser le système d'accueil des demandeurs d'asile, qui seraient regroupés dans de grands centres d'accueil, les efforts de répartition sur le territoire pour favoriser l'intégration étant réservés aux mineurs isolés et aux réfugiés reconnus. Cette nouvelle législation aurait également instauré la révocation de la naturalisation de tout étranger condamné pour terrorisme ainsi que la généralisation de l'utilisation des pistolets électriques, y compris par les policiers municipaux, favorisant ainsi l'évacuation des bâtiments occupés, l'obligation de proposer un hébergement provisoire aux personnes vulnérables ayant également été supprimée.

Il apparaîtrait clairement que l'Italie ne voudrait plus que de grands centres d'accueil pour les demandeurs de protection internationale, la mise en application dudit décret-loi n'ayant pas tardé, tel que le confirmerait un article récent du quotidien britannique « The Guardian », publié le 23 janvier 2019 sur son site Internet. Ainsi, les demandeurs de protection internationale n'auraient plus accès à des structures d'accueil légères comme peuvent l'être l'hébergement chez des particuliers, résidents italiens, de sorte à rendre illusoire tout espoir d'intégration/

d'assimilation, à créer des espaces de contrôle, à pointer du doigt les personnes « accueillies » dans ces centres, ainsi qu’à rendre plus aisées les expulsions.

Le demandeur estime dès lors qu’outre ce durcissement dans les conditions d’accueil, la politique italienne en matière d'immigration menée et exécutée par le gouvernement italien ne respecterait plus les objectifs et valeurs mis en avant par l'Union européenne en matière d'immigration, tels qu'exprimés notamment dans le considérant (2) du règlement Dublin III, ce que le ministre ne pourrait ignorer, connaissant parfaitement à la fois la situation dramatique dans laquelle se trouveraient les demandeurs de protection internationale en Italie que les intentions, en matière de politique migratoire, du gouvernement italien.

Après l'entrée en vigueur du « décret-loi « anti-migrant » », la situation pour les réfugiés se serait tellement dégradée en Italie que le Danish Refugee Council et l'Organisation Suisse d'Aide aux Réfugiés, ci-après désignée l'«OSAR », auraient publié en date du 12 décembre 2018 un rapport intitulé « Rapport de monitoring sur les transferts Dublin vers l'Italie » exposant de manière détaillée les conditions de vie désastreuses des migrants en Italie, en mettant en avant la situation de treize personnes transférées en Italie sous le règlement Dublin III, devant attendre longtemps avant d’être logées, ce qui rendrait plus difficile l’accès à la procédure d’asile italienne les soumettant au risque de traitements inhumains et dégradants.

Le demandeur invoque encore un rapport de l'association luxembourgeoise

« PASSERELL » du 28 janvier 2019 ayant permis d’observer les conditions choquantes de reprise en charge par l'Italie des demandeurs de protection internationale, concluant que le retrait systématique des mesures d'accueil conduirait inéluctablement à croire qu'il existerait dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des

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demandeurs, qui entraîneraient un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte. De même, d’après ce rapport, l'absence de réactivation des conditions d'accueil entraînerait automatiquement un dysfonctionnement général du « système Dublin », alors que face au dénuement le plus complet auquel ils devraient faire face en Italie, il ne serait pas surprenant que les « dublinés transférés » dans ce pays chercheraient à le quitter. Ainsi, la politique italienne actuelle alimenterait sans fin les mouvements secondaires au lieu de les arrêter.

Ledit rapport estimerait également qu’étant donné que le règlement Dublin III exigerait un

« „bilan de qualité" » complet du système de Dublin, et notamment de ses effets sur les droits fondamentaux, il ne serait pas acceptable d'attendre une décision de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) ou de la Cour européenne des droits de l'homme (CourEDH) pour mettre fin à des transferts qui contreviendraient clairement au respect des droits fondamentaux.

Au vu des rapports mentionnés, le demandeur estime que tout réfugié et spécialement tout

« dublin returnee » serait dorénavant devenu, de manière non équivoque, une véritable personae non grata en Italie et qu'un changement de cette politique xénophobe ne serait pas à prévoir à court et à moyen terme, de sorte que son transfert vers l'Italie équivaudrait, à l'heure actuelle, à un transfert d'une personne vulnérable dans un État-membre de l'Union Européenne où le respect des droits fondamentaux ne pourrait pas lui être garanti.

Le demandeur fait ainsi plaider que le ministre, en pleine connaissance des conditions d'accueil des demandeurs de protection internationale en Italie, voire des personnes transférées sous le règlement Dublin Ill, et de la politique du gouvernement italien actuel, aurait dû appliquer l'article 3, paragraphe 2, du règlement Dublin III, article qui aurait déjà été appliqué par plusieurs juridictions nationales de différents États membres de l'Union Européenne au cours des derniers mois, et notamment, par le tribunal administratif de Paris dans un jugement du 25 juin 2018, par un jugement du tribunal administratif de Luxembourg du 3 août 2018 (n°41401 du rôle), par le tribunal administratif de Pau dans un jugement du 15 octobre 2018, par la Cour administrative de La Haye dans un arrêt du 18 octobre 2018, et encore très récemment par le tribunal administratif de Toulouse dans un jugement du 21 février 2019. Plus précisément, il aurait été notamment retenu, dans le jugement précité du 3 août 2018, que les autorités italiennes connaîtraient actuellement des problèmes quant à leur capacité d'accueil des demandeurs d'asile, impliquant que ceux-ci risqueraient de se voir confrontés à des difficultés quant à l'hébergement, aux conditions de vie et à l'accès aux soins, suivant les situations pour en conclure que le ministre aurait dû rechercher, si le transfert d’un demandeur de protection internationale vers l'Italie présenterait les garanties fondamentales prévues par la Convention de Genève au bénéfice des demandeurs de protection internationale, et ce, en demandant aux autorités italiennes de lui apporter des garanties individuelles concernant notamment l'accès à un logement décent, afin d'écarter tout risque dans le chef de l’intéressé d'être exposé à une situation de précarité et à des traitements inhumains et dégradants. De son côté, le tribunal administratif de Toulouse, dans son jugement du 21 février 2019, aurait fortement remis en question le principe de la confiance mutuelle entre les États- membres de l'Union Européenne, en évoquant la circonstance suivant laquelle les autorités italiennes se trouveraient en grande difficulté pour traiter les demandes d'asile dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile ainsi que pour garantir l’accès aux soins des demandeurs de protection internationale.

Le demandeur estime qu’il appartiendrait dès lors au ministre de rapporter la preuve que les autorités italiennes lui ont conféré des garanties individuelles concernant l’accès à un logement décent, aux soins et à un avocat, ainsi que l’absence de risque de traitements inhumains et dégradants. Cette obligation d'obtenir les garanties suffisantes de la part du gouvernement italien serait une obligation de résultat et le ministre ne saurait se limiter à lui fournir une liste d’adresses

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utiles à Rome, d’autant plus qu'il ne ressortirait pas de manière non équivoque de son dossier administratif qu'il y serait effectivement transféré.

Le ministre étant incontestablement et pleinement informé des conditions de reprise en charge désastreuses par l'Italie au jour de sa décision, le demandeur estime qu’il lui aurait appartenu de se déclarer compétent pour connaître de sa demande de protection internationale, en application de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III.

Le demandeur conclut ensuite à une erreur manifeste d'appréciation quant à la situation d'un demandeur de protection internationale pouvant être renvoyé en Italie, étant donné que le ministre, tout en ayant parfaitement connaissance des violations graves par l’Italie des valeurs et des principes mis en avant par l'Union Européenne, aurait basé la décision déférée du 7 mai 2019 sur l'article 25, paragraphe (2) du règlement Dublin III, c’est-à-dire sans que l’Italie n’ait fourni de réponse positive à sa demande de reprise en charge, ce qui soulèverait déjà des interrogations quant au respect de l’Italie de son obligation d'assurer une bonne organisation de son arrivée.

A ce sujet, le demandeur renvoie encore une fois au rapport de la mission d'observation, établi par l'association « PASSERELL », ayant constaté qu'il n'existerait pas une bonne organisation de l'arrivée des demandeurs de protection internationale transférés en Italie.

Il donne également à considérer, dans ce contexte, qu’il aurait informé le ministre, par un courrier de son litismandataire du 15 avril 2019, de sa vulnérabilité du fait d’avoir été incarcéré dans son pays d'origine et torturé au Soudan et en Libye. Le demandeur critique le fait que malgré cette mise en garde, le ministre n'aurait manifestement pas tenu compte de ces éléments pourtant décisifs qui auraient permis de procéder à un examen du risque qu'occasionnerait le transfert pour sa santé, d’autant plus que malgré les atrocités subies et les épreuves endurées, il serait en plus confronté à un sentiment de rejet général en Europe.

Le demandeur relève que le rapport rédigé par l'association « PASSERELL » aurait clairement exposé qu'à défaut de disposer d'une adresse, ce qui serait le cas pour toute personne renvoyée, un demandeur de protection internationale se trouverait déchu de tout droit d'hébergement, de sorte à être obligé de dormir dans la rue où sa santé physique et mentale ne manquerait pas de se dégrader.

Dans ce cadre, il invoque encore les dispositions de l'article 31, paragraphe (2) du règlement Dublin III selon lesquelles l'Etat membre procédant au transfert serait tenu de transmettre à l'Etat membre responsable les informations qu'il juge indispensables à la protection des droits de la personne à transférer et à la prise en compte de ses besoins particuliers immédiats, dans la mesure où l'autorité compétente, conformément au droit national, dispose de ces informations, le demandeur estimant que la preuve des impératifs posés devrait être rapportée par le ministre.

Le demandeur affirme qu’il ne serait dès lors pas certain qu’il se verrait dispenser le traitement adapté à son état de santé et puisse bénéficier du suivi nécessaire.

Le demandeur se réfère encore à un arrêt du 19 mars 2019 de la CJUE qui aurait rappelé que si le principe de confiance mutuelle entre les États membres aurait, dans le droit de l'Union, une importance fondamentale, il s’agirait d’une présomption réfragable, alors qu’il ne saurait être exclu que ce système rencontre, en pratique, des difficultés majeures de fonctionnement dans un État membre déterminé, de telle sorte qu'il existe un risque sérieux que des demandeurs d'une protection internationale soient, en cas de transfert vers cet État membre, traités d'une manière

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incompatible avec leurs droits fondamentaux, notamment en cas de défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans cet État membre constituant des motifs sérieux et avérés de croire que le demandeur courra un risque réel d'être soumis à des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte.

Le demandeur estime qu’à travers les rapports qu’il aurait versés, la preuve des défaillances serait rapportée et l’idée que la situation des demandeurs de protection internationale et des migrants se serait améliorée serait une simple utopie.

Au contraire, la situation des demandeurs de protection internationale se serait encore tellement dégradée en Italie, que l'OSAR viendrait de publier, le 8 mai 2019, un nouveau rapport extrêmement alarmant y relatif qui s’opposerait à l’application du principe de la confiance mutuelle à l'égard de l'Italie d'aujourd'hui.

Ainsi, l’OSAR aurait retenu que depuis l’entrée en vigueur, au printemps 2018, du décret

« Salvini », la situation en Italie se serait nettement détériorée en raison des restrictions budgétaires limitant encore plus l’accès au système de santé et à l’assistance judiciaire, faisant en sorte que les demandeurs de protection internationale se trouveraient dans une situation de précarité matérielle extrême ne leur permettant pas de faire face à leurs besoins essentiels tels que l’alimentation, l’hygiène et l’hébergement qui ne serait plus possible que dans de grandes structures d’accueil dans des conditions plus précaires tels que « CDA », « CARA » ou « CAS ».

En effet, seuls les réfugiés reconnus seraient dorénavant acceptés dans les centres « SPRAR » actuellement dénommés « SIPROIMI ».

Concernant la perte du droit à un logement, l'OSAR confirmerait une nouvelle fois ce que l'association « PASSERELL » aurait déjà constaté en janvier 2019, à savoir que les demandeurs de protection internationale qui auraient quitté leur hébergement sans autorisation n’auraient plus accès à un logement, décision qui serait difficilement attaquable en justice.

Concernant l'accès extrêmement restreint aux soins médicaux et psychiatriques en Italie, le rapport serait également plus qu'alarmant, le demandeur rappelant qu’il souffrirait d'une tuberculose et se trouverait actuellement sous traitement médical au Luxembourg dont la continuation en Italie ne saurait être garantie, de sorte qu’il craint que son état de santé s'aggraverait de manière considérable après le transfert vers l'Italie.

De plus, nul ne saurait contester le traumatisme qu’il aurait subi suite aux séquestrations et aux violences, les tortures et menaces ayant laissé des séquelles physiques et psychologiques, nécessitant des traitements et un suivi, qui ne sauraient toutefois être garantis en Italie, tel que relevé en gras dans les conclusions du rapport OSAR du 8 mai 2019.

Le demandeur estime finalement que la décision déférée du 7 mai 2019 serait encore fortement critiquable pour deux autres raisons.

Ainsi, le ministre aurait déclaré en janvier 2019, sans préjudice quant à la date exacte, qu'il aurait sollicité de la Commission européenne d'entamer une enquête afin de dresser une image concrète de la situation d'accueil des demandeurs de protection internationale en Italie, ce qui démontrerait de manière non équivoque que le ministre aurait de sérieux doutes quant au respect des conditions d'accueil par le gouvernement italien, s’opposant nécessairement à l’application du principe de confiance mutuelle.

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En second lieu, le demandeur estime qu’il n’y aurait pas lieu d’attendre que la CourEDH ou la CJUE en viennent à retenir l'existence de défaillances systémiques en Italie, alors que les procédures y relatives seraient complexes et longues, de sorte qu’il appartiendrait aux autorités nationales de constater l'existence de défaillances systémiques sur base des documents qui leur sont fournis et ce, afin d’éviter d’exposer toutes ces personnes à des conditions de vie désastreuses dans l’attente d’un éventuel arrêt de la CourEDH ou de la CJUE.

Conformément à l'article 3 de la CEDH, le ministre aurait également pu suspendre tous les transferts vers l'Italie en attendant un arrêt de la CourEDH ou de la CJUE qui préciserait qu'il n'y a pas de défaillances systématiques en Italie.

Le demandeur donne encore à considérer, dans ce contexte, que l'UNHCR aurait déjà officiellement formulé le 21 novembre 2018 ses inquiétudes quant à la situation des réfugiés en Italie après que le nouveau gouvernement italien ait été mis en place.

Il rappelle à ce sujet l’arrêt du 23 mai 2016 de la Grande Chambre de la CourEDH, dans le cadre de l'affaire Avotins c. Lettonie, qui aurait précisé que, lorsque les juridictions des Etats membres sont appelées à appliquer un mécanisme de reconnaissance mutuelle établi par le droit de l'Union, ce serait en l'absence de toute insuffisance manifeste des droits protégés par la CEDH.

En revanche, s'il leur est soumis un grief sérieux et étayé dans le cadre duquel il est allégué que l'on se trouverait en présence d'une insuffisance manifeste de protection d'un droit garanti par la CEDH à laquelle le droit de l'Union européenne ne permettrait pas de remédier, elles ne pourraient renoncer à examiner ce grief au seul motif qu'elles appliquent le droit de l'Union.

En dernier lieu, le demandeur invoque un jugement rendu le 2 avril 2019 par un tribunal administratif de Berlin, tel que cité dans le rapport OSAR du 8 mai 2019, ayant annulé un transfert d'un réfugié malade vers l'Italie pour éviter une violation de l’article 4 de la Charte, alors que l‘accès au système de santé ne serait possible qu’après l’enregistrement formel en tant que demandeur de protection internationale, ce qui pourrait prendre quelques mois pendant lesquels seul l’accès aux soins médicaux basiques et d’urgence serait possible.

Le demandeur en conclut que l’ensemble de ces considérations reprises ci-dessus et des documents versés permettrait de dégager des défaillances systémiques en Italie au sens du règlement Dublin III justifiant l'annulation de la décision ministérielle déférée du 7 mai 2019 pour violation de la loi, sinon pour erreur manifeste d'appréciation.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en tous ses moyens.

En vertu de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

L’article 13, paragraphe (1), du règlement Dublin III, dispose que « Lorsqu’il est établi, sur la base de preuves ou d’indices tels qu’ils figurent dans les deux listes mentionnées à l’article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) no 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d’un État membre dans lequel il est entré en venant d’un État tiers, cet État membre

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est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière. ».

Il s’ensuit que si, en vertu du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen d’une demande de protection internationale formulée par un ressortissant d’un pays tiers et si ce pays accepte, même tacitement, la prise en charge de l’intéressé, le ministre décide, d’un côté, de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et, de l’autre côté, de ne pas examiner sa demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

Le tribunal constate de prime abord qu’en l’espèce, la décision ministérielle déférée est motivée, d’une part, par le fait que le demandeur a franchi illégalement la frontière italienne en date du 25 novembre 2018 et, d’autre part, par le fait que les autorités italiennes ont accepté tacitement en date du 7 avril 2019 de prendre en charge l’examen de sa demande de protection internationale, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de transférer le demandeur vers l’Italie et de ne pas examiner sa demande de protection internationale.

En l’occurrence, le demandeur conteste la compétence de principe de l’Etat italien, respectivement l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois, au motif qu’il affirme ne pas avoir déposé de demande de protection internationale en Italie où il aurait seulement été obligé de donner ses empreintes digitales.

Or, force est de constater qu’il ressort de l’extrait de la base de données EURODAC que le demandeur a franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 25 novembre 2018, de sorte qu’en application de l’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III, c’est l’Italie qui est compétent pour statuer sur sa demande de protection internationale même si le demandeur n’a formellement déposé cette dernière qu’une fois arrivé au Luxembourg. Ainsi, les conditions de l’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III étant remplies, la circonstance que le demandeur n’ait donné que ses empreintes en Italie sans y avoir finalisé des démarches en vue du dépôt formel d’une demande de protection internationale reste sans pertinence en l’espèce.

Il suit de ce qui précède que le moyen du demandeur tenant à affirmer qu’il se serait limité à donner ses empreintes digitales en Italie sans y déposer de demande de protection internationale est à rejeter.

En deuxième lieu, le demandeur fait valoir l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et en ce qui concerne les conditions d’accueil des demandeurs en Italie au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, de sorte que son transfert serait contraire à l’article 3 de la CEDH et à l’article 4 de la Charte.

L’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III dispose que : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. ».

Force est au tribunal de constater que cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement

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désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, respectivement de l’article 3 de la CEDH.

La situation visée par ledit article 3, paragraphe (2), du règlement Dublin III est celle de l’existence de défaillances systémiques empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers un Etat membre déterminé1.

A cet égard, le tribunal relève que l’Italie est tenue, en tant que signataire de la CEDH, au respect des dispositions de celle-ci et de celles du Pacte international des droits civils et politiques et de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés.

Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant, qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, comme en l’occurrence l’Italie, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard2. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants3.

Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable4 – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées5. Dans son arrêt du 16 février 2017, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile6, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.

Au vu de ce qui précède, il n’incombe donc pas au ministre, tel que le prétend le demandeur dans sa requête introductive d’instance, de lui fournir des garanties de la part des

1 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 92.

2 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S, c. Secretary of State for the Home Department et C- 493/10, M.E. et al c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform., point 78.

3 Ibidem, point. 79 ; Voir également : trib. adm 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib.adm. 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm. 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.

4CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Italienne, n° 29217/12; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n° 30696/09.

5 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

6 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 95.

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autorités italiennes quant aux conditions d’accueil lui réservées, mais bien au demandeur de fournir des éléments concrets permettant de retenir l’existence de défaillances systémiques en Italie au sens de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III, constituant une violation des droits garantis par les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, ce qu’il reste pourtant en défaut de faire en l’espèce.

En effet, contrairement à ce qu’il affirme dans sa requête introductive d’instance, il ressort de ses propres déclarations lors de son entretien du 30 janvier 2019 qu’il a été logé en Italie après son arrivée7. S’il explique certes aussi avoir eu l’impression que personne ne se serait occupé de lui et s’il n’est effectivement pas contesté que le demandeur n’a pas formalisé de demande de protection internationale en Italie avant son départ, ce dernier reste cependant muet quant aux circonstances concrètes de cet état de fait, respectivement quant aux démarches qu’il aurait entreprises en vue de ce faire. Au contraire, il ressort de ses propres explications lors de son entretien Dublin qu’il a surtout quitté l’Italie par crainte de terminer dans la rue, faute d’opportunités professionnelles8.

En ce qui concerne son argumentation selon laquelle il n’aurait pas accès aux soins en Italie en raison de sa vulnérabilité causée par les traumatismes vécus dans son pays d’origine ainsi qu’au Soudan et en Libye, force est de relever que, contrairement à ce qu’il allègue dans sa requête introductive d’instance, le demandeur, au cours de son entretien Dublin, affirme que « Grâce à Dieu (…) , il ne m’est jamais rien arrivé de mal. », de sorte qu’il n’est pas établi qu’il nécessiterait un soin particulier y relatif, étant d’ailleurs relevé que le demandeur ne verse pas de certificat médical à cet égard et qu’il n’apparaît pas qu’il ait formulé une demande de soins particulière au cours de son séjour au Luxembourg, mis à part le traitement de sa tuberculose latente qui, d’après l’ordonnance médicale versée en cause, est en cours de traitement préventif, tel que cela est confirmé par le médecin délégué dans son avis du 29 mai 2009.

Le demandeur n’a dès lors pas apporté la preuve que personnellement et concrètement ses droits n’auraient pas été respectés ou ne seraient pas garantis en Italie, que les droits des demandeurs de protection internationale en Italie ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore que les demandeurs de protection internationale n’auraient en Italie aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir.

Quant aux considérations générales sur l’état du système d’accueil et de traitement des demandes de protection internationale en Italie, force est de relever que s’il ressort certes des pièces versées en cause par le demandeur, et notamment les rapports d’organisations internationales, que les autorités italiennes ont connu des problèmes quant à leur capacité d’accueil des demandeurs d’asile, impliquant que ceux-ci risqueraient de se voir confrontés à des difficultés quant à l’hébergement, aux conditions de vie et à l’accès aux soins, suivant les situations, il ne s’en dégage néanmoins pas que les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale en Italie soient caractérisées par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure d’emblée, et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets, pour tout demandeur de protection internationale, d’être systématiquement exposé à une situation de précarité et de dénuement matériel et psychologique, au point que son transfert dans ce pays constituerait en règle générale un traitement prohibé par l’article 3 de la CEDH et par l’article 4

7 Rapport Dublin III, page 5 « Je suis resté 1 mois dans 1 camp & personne ne s’est occupé de moi »

8 Rapport Dublin III, page 5 « Je terminerais dans la rue car il n’y a pas de travail là-bas. Ce serait donc très dur pour moi. »

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de la Charte9.

Ainsi, le tribunal ne s’est pas vu soumettre d’éléments permettant de conclure à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Italie, qui entraîneraient un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers ce pays.

Quant au changement législatif adopté en Italie en date du 28 septembre 2018, tel que décrit notamment par l’association « PASSERELL » et par le rapport de l’OSAR du 8 mai 2019, et visant notamment à restreindre les garanties et les droits des demandeurs d’asile et à limiter l’accès aux structures d’hébergement dans un certain type de centres aux personnes vulnérables telles qu’aux bénéficiaires du statut de réfugié et aux mineurs non accompagnés, les demandeurs de protection internationale devant s’accommoder d’autres centres d’accueil réorganisés, force est au tribunal de constater que, d’un côté, ce changement législatif, à lui seul, n’est pas de nature à laisser conclure que tout transfert d’un demandeur de protection internationale vers l’Italie entraînerait ipso facto un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte et, de l’autre côté, l’Italie, étant liée par la directive n°

2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, constitue, encore, un Etat de droit où une personne, estimant être privée de droits tels que découlant notamment de la directive précitée, dispose de voies de recours idoines. Cette conclusion n’est pas non plus énervée par le durcissement des conditions d’obtention d’un titre de séjour humanitaire dont auraient auparavant pu bénéficier 25 % des demandeurs de protection internationale en Italie.

Ainsi, si les différents rapports précités témoignent effectivement de certaines difficultés des demandeurs de protection internationale retournés en Italie en application du règlement Dublin III, il n’en résulte pas que le retour en Italie de demandeurs de protection internationale dans le cadre du règlement Dublin III entraînerait ipso facto une violation, dans leur chef, des articles 3 et 4 de la Charte, étant relevé, tel que cela ressort notamment du rapport de l’association

« PASSERELL », qu’il y existe des institutions caritatives ainsi que des organisations non gouvernementales qui permettent de prendre en charge les demandeurs de protection internationale à leur retour en Italie, en leur faisant bénéficier, dans un premier temps, de logements, nourriture, accès à un médecin et à l’assistance juridique.

A cet égard, le tribunal relève encore que le demandeur n’invoque aucune jurisprudence de la CourEDH relative à une suspension générale des transferts vers l’Italie, voire une demande en ce sens de la part de l’UNHCR. Le demandeur ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis émanant de l’UNHCR, ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers l’Italie de ressortissants érythréens dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile italienne qui les exposerait à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte, et ce même si le demandeur est à suivre dans son argumentation que l’existence d’une telle interdiction ne saurait être considérée comme une condition sine qua non pour retenir des défaillances systémiques dans un pays d’accueil donné.

En vertu de tout ce qui précède, le tribunal est amené à retenir que le moyen tiré d’une violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III encourt le rejet.

9 En ce sens : Tribunal administratif fédéral suisse, 4 avril 2017, Cour V, E-1721/2017, disponible sur https://jurispub.admin.ch/publiws/ ; Voir aussi : trib. adm., 19 juillet 2017, n° 39682 du rôle et trib. adm, 16 août 2017, n° 39786 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.

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Il convient finalement de rejeter le reproche du demandeur, suivant lequel l’acceptation tacite de reprise en charge des autorités italiennes reflèterait leur volonté de ne pas faire face à leurs engagements, au motif que, d’une part, le mécanisme de l’acceptation tacite est explicitement prévu par l’article 25 du règlement Dublin III, et, d’autre part, il ressort des éléments du dossier que les autorités italiennes ont, en date du 12 avril 2019, explicitement indiqué aux autorités luxembourgeoises les modalités du transfert du demandeur.

Cette conclusion n’est pas non plus énervée par le fait que le ministre ait, dans un entretien sur la chaîne RTL, émis des doutes sur la prise en charge des demandeurs de protection internationale par les autorités italiennes en invoquant le fait qu’il aurait saisi la Commission européenne à cet égard, alors que ce constat n’amène pas à conclure, en l’absence de toute réponse à cette saisine qui aurait été concrétisée par un avis, une recommandation ou une position écrite de la part de la Commission européenne constatant des défaillances systémiques, que tous les transferts vers l’Italie pourraient entraîner un risque réel de subir des traitements inhumains ou dégradants au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent et à défaut de tout autre moyen que le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs,

le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ; reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

donne acte au demandeur de ce qu’il déclare être bénéficiaire de l’assistance judiciaire ; condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Anne Gosset, premier juge,

Olivier Poos, premier juge,

et lu à l’audience publique du 12 juillet 2019, par le premier vice-président, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Carlo Schockweiler

Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 12 juillet 2019 Le greffier du tribunal administratif

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