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La question du genre dans les bulletins d'information radiophoniques

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Master

Reference

La question du genre dans les bulletins d'information radiophoniques

HAINAUT, Lucie

Abstract

Ce mémoire s'intéresse au traitement médiatique réservé aux hommes et aux femmes, en comparant les discours de journalistes radio traitant des démissions de Doris Leuthard et de Johann Schneider-Ammann. Son but est de vérifier si des différences de traitement liées au genre sont observables. Le corpus est constitué de douze émissions d'information radiophoniques diffusées peu après les annonces des démissions, survenues à deux jours d'intervalle. Cette recherche s'intéresse tout particulièrement aux rappels de genre et de rôles stéréotypiques, à la convocation de cadres genrés ainsi qu'à la valorisation ou la dévalorisation de la parole.

HAINAUT, Lucie. La question du genre dans les bulletins d'information radiophoniques . Master : Univ. Genève, 2019

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:123413

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La question du genre dans les bulletins d’information radiophoniques

Le cas des démissions de Doris Leuthard et Johann Schneider-Ammann

Image : Keystone

Mémoire de diplôme en Communication et Journalisme Sous la direction de Patrick Amey

Mai 2019

Institut Medi@Lab Lucie Hainaut

Faculté des Sciences de la Société 57 chemin de la Mousse

Université de Genève 1226 Thônex

Boulevard du Pont d’Arve, 40 lucie.hainaut@bluewin.ch

1205 Genève 13-318-837

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Remerciements

La rédaction du présent mémoire a été rendue possible grâce à l’aide et le soutien d’un certain nombre de personnes, à qui j’aimerais exprimer ici toute ma gratitude.

Je tiens tout d’abord à remercier mon directeur de mémoire, Patrick Amey, qui m’a accompagnée dans la réalisation de ce travail. Ses connaissances ainsi que ses retours sur ma recherche m’ont été d’une aide précieuse. C’est grâce à ses conseils et ses recommandations de lecture que j’ai été en mesure d’étoffer mon bagage théorique. Je le remercie encore chaleureusement pour le temps qu’il m’a accordé, lorsque j’avais des interrogations sur ce travail.

Mes collègues de Master méritent également des remerciements particuliers, tant pour les moments passés ensemble que pour les discussions enrichissantes que nous avons menées. Les échanges sur nos mémoires respectifs ont constitué des pistes de réflexion intéressantes pour cette recherche, de même que des encouragements bienvenus.

Je tiens à remercier aussi mes dévouées relectrices et relecteur qui ont pris le temps, durant une période chargée, de lire des extraits de mon travail. Leurs retours m’ont été d’une grande aide et m’ont permis de clarifier mon propos lorsque cela était nécessaire. Ils m’ont également apporté un soutien bienvenu dans cette période de labeur intense, et m’ont rassurée sur mon travail.

J’aimerais encore remercier mes parents, qui m’ont fait confiance et m’ont laissé la latitude dont j’avais besoin pour rédiger ce travail de diplôme. Merci à eux pour leur soutien et leurs encouragements qui m’ont accompagnée tout au long de ma formation.

J’aimerais enfin remercier Hadrien dont les relectures attentives m’ont permis d’apporter de la clarté à mon argumentation. Sa présence et son soutien tout au long de la rédaction de ce mémoire m’ont aidée à avancer et à me dépasser.

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Sommaire

1 Introduction ... 1

2 Problématique et hypothèses ... 3

2.1 Problématique ... 3

2.2 Hypothèse 1 ... 4

2.3 Hypothèse 2 ... 4

2.3.1 Hypothèse 2a) ... 5

2.3.2. Hypothèse 2b) ... 5

2.4 Hypothèse 3 ... 6

3 Cadre théorique ... 7

3.1 Genre et médias... 7

3.1.1 Genre ... 7

3.1.2 Stéréotype de genre ... 7

3.1.3 Statistiques ... 8

3.1.4 Traitement médiatique des femmes ... 9

3.1.4.1 Invisibilisation ... 9

3.1.4.2 Insistance sur l’apparence physique ... 11

3.1.4.3 Position de victime ... 12

3.1.4.4 Infantilisation ... 12

3.1.5 Traitement médiatique des femmes politiques ... 13

3.1.6 L’influence du genre des journalistes sur le traitement médiatique des femmes ... 15

3.1.7 Médias : une parole masculine ... 17

3.2 L’influence des médias sur les publics ... 18

3.2.1 Perspective historique ... 18

3.2.2 Les médias comme vecteur d’entretien des stéréotypes de genre ... 19

3.3 Genre et politique ... 20

3.3.1 Genre et politique en Suisse ... 21

3.4 Politique suisse ... 22

3.4.1 Le Conseil fédéral ... 23

3.4.1.1 Démission du Conseil fédéral ... 23

3.5 Analyse critique du discours ... 24

4 Méthodologie et Corpus ... 26

4.1 Hypothèse 1 ... 26

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4.1.1 Opérationnalisation ... 26

4.1.2 Méthodologie ... 27

4.2 Hypothèse 2 ... 29

4.2.1 Opérationnalisation ... 29

4.2.2 Méthodologie ... 30

4.3 Hypothèse 3 ... 32

4.3.1 Opérationnalisation ... 32

4.3.2 Méthodologie ... 33

4.4 Corpus ... 34

4.4.1 Choix du médium ... 34

4.4.2 Sélection des stations radio ... 35

4.4.3 Choix du format d’émission ... 36

4.4.4 Choix de l’événement ... 37

4.4.5 Sélection des bulletins d’information ... 37

4.4.6 Retranscription des bulletins d’information ... 38

5 Analyse ... 40

5.1 Hypothèse 1 ... 40

5.1.1 Interprétation des résultats ... 49

5.2 Hypothèse 2 ... 51

5.2.1 Sous-hypothèse 2a) ... 51

5.2.2 Sous-hypothèse 2b) ... 55

5.2.3 Interprétation des résultats ... 60

5.3 Hypothèse 3 ... 61

5.3.1 Interprétation des résultats ... 66

6 Retour sur les hypothèses ... 67

6.1 Hypothèse 1 ... 67

6.2 Hypothèse 2 ... 67

6.2.1 Sous-hypothèse 2a) ... 67

6.2.2 Sous-hypothèse 2b) ... 68

6.3 Hypothèse 3 ... 69

7 Conclusion ... 70

8 Références Bibliographiques ... 73

9 Annexes ... 76

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1 Introduction

24%, c’est le pourcentage de femmes présentes dans les médias au niveau mondial – comme au niveau suisse – en 2015, selon les résultats du Global Media Monitoring Project (GMMP). Cela correspond à un quart seulement des sujets des nouvelles, alors que les femmes représentent la moitié de la population mondiale. Cette sous- représentation porte à s’interroger sur ses causes, mais aussi sur les raisons sa perpétuation. Pourquoi la situation n’évolue-t-elle pas, ou très peu, alors que ce problème a été pointé du doigt il y a plusieurs dizaines d’années maintenant ? De plus, outre la sous-représentation féminine, de nombreuses études ont souligné que les femmes apparaissant dans les médias souffrent de présentations stéréotypiques.

Dans le cadre de ce présent travail, nous avons fait le choix d’étudier le discours des journalistes sur les femmes et les hommes. Nous avons sélectionné la radio comme média à analyser. En effet, bon nombre d’études se sont intéressées à la représentation des femmes à la télévision ou dans la presse, mais à notre connaissance, très peu ont pris comme corpus spécifique la radio. Or, ce média n’est pas épargné par le sujet : l’association française « Prenons la Une » a par exemple rédigé un communiqué dans lequel elle critique l’absence de femme dans les matinales des six radios nationales les plus écoutées de France. Leur constat est le suivant :

aucune femme aux manettes de la tranche 7h-9h en semaine dans les radios nationales, une majorité d’hommes tous postes confondus, deux fois plus d’hommes que de femmes à tenir une chronique régulière et une distribution

“genrée” des sujets.

Ainsi, les femmes sont sous-représentées dans les sujets des nouvelles radiophoniques, mais aussi au niveau de leur production.

Même si nous sommes en possession de chiffres sur la présence des femmes à la radio, grâce aux résultats du GMMP 2015 – 23% en Suisse – nous considérons qu’une étude plus approfondie, faisant appel à une analyse qualitative, permettrait de mieux appréhender la question de la représentation des femmes et des hommes sur ce média. De cette manière, nous supposons qu’il serait possible de comprendre plus finement de quelle manière et dans quelles circonstances apparaissent des discours stéréotypiques.

Nous avons fait le choix de nous intéresser à un événement particulier de la politique suisse. En effet, en 2018, à deux jours d’intervalles, un conseiller et une conseillère fédérales démissionnaient. Johann Schneider-Ammann a annoncé le mardi 25 septembre qu’il quitterait le gouvernement à la fin de l’année, Doris Leuthard a fait de même le jeudi 27 septembre. Cette situation est l’occasion idéale pour comparer le traitement médiatique réservé aux personnalités politiques selon leur genre. En effet, tous deux démissionnent au même moment du même poste ; reste la variable du genre.

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Notre étude portera donc sur le traitement médiatique réservé à Mme Leuthard et M.

Schneider-Ammann, dans le cadre de bulletins d’information radiophoniques diffusés peu après l’annonce de leur démission. Nous nous demanderons dans quelle mesure les journalistes radio font une différence entre les deux démissionnaires, et si cette différence est faite sur la base du genre. À cet effet, nous testerons notre corpus à l’aide d’hypothèses vérifiées auparavant par d’autres chercheuses, et vérifierons si elles sont d’actualité en Suisse, en 2018 et concernant les démissions de deux conseillers fédéraux.

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2 Problématique et hypothèses

2.1 Problématique

Les premiers travaux sur les représentations des femmes dans les médias sont parus à la fin des années 70. Quarante ans plus tard, des stéréotypes sexistes sont régulièrement pointés du doigt dans les discours médiatiques. Nous nous questionnons donc sur la persistance de ces stéréotypes, ainsi que sur leur présence dans les médias suisses, et plus particulièrement à la radio. Notre étude se donne pour mission d’étudier la question de la représentation des femmes et des hommes dans les bulletins d’information radiophoniques de stations captées sur le territoire du canton de Genève.

Le but de notre travail est de comprendre comment les rapports sociaux entre les genres sont interprétés et représentés à la radio. Cette question est particulièrement intéressante, dans la mesure où les médias d’information assument un rôle capital dans une société démocratique : ils ne disent certes pas ce qu’il faut penser, mais ce à quoi il faut penser, c’est-à-dire qu’ils ont une fonction de hiérarchisation de l’information (fonction d’agenda, McCombs et Shaw). Ainsi, en sous-représentant les femmes, c’est-à-dire en ne les mettant pas à l’agenda, ils diminuent du même coup l’importance qu’elles ont aux yeux de l’opinion publique en ce qui concerne l’actualité.

Nous supposons que les femmes sont non seulement sous-représentées dans les médias mais qu’en plus, lorsqu’elles sont mentionnées, c’est par le biais de stéréotypes de genre. Ainsi, les femmes sont soit invisibilisées de la vie publique, soit présentées de manière stéréotypique, c’est-à-dire d’une manière qui met en avant des traits jugés féminins plutôt que leur individualité.

Nous avons voulu mettre en place une analyse comparative, en étudiant le discours des journalistes au sujet des démissions de Johann Schneider-Ammann et de Doris Leuthard. Nous avons donc formulé notre problématique de la manière suivante : Dans quelle mesure les journalistes radio ont-ils fait une différenciation liée au genre dans le traitement des démissions de Doris Leuthard et Johann Schneider-Ammann ?

Afin de répondre à cette question, nous avons décidé de nous référer à des recherches similaires effectuées par des chercheuses en Suisse ainsi que dans d’autres pays et sur d’autres médias, la radio ayant été très peu étudiée selon le prisme du genre. Nous en avons tiré trois questions de recherche.

La première question de recherche concerne la présentation qui est faite des femmes et des hommes apparaissant dans les médias. Nous nous sommes questionnées sur les identités sociales mises en avant par les journalistes, et avons formulé ainsi notre question :

Quelle est l’identité sociale qui prédomine dans les représentations médiatiques des femmes politiques et des hommes politiques ?

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Ensuite, nous nous sommes questionnées sur le cadrage médiatique utilisé dans le cadre de l’événement politique qui nous intéresse, à savoir l‘annonce de l’arrêt de fonction. Nous avons donc formulé notre question comme suit :

Quel est le cadrage favorisé par les journalistes dans le cadre d’un arrêt de fonction ?

Enfin, nous avons souhaité nous intéresser plus spécifiquement à la parole des femmes politiques et des hommes politiques. Nous avons voulu savoir comment les médias rapportent les propos des unes et des autres. Nous avons donc formulé notre question de la manière suivante :

Quel est le traitement médiatique réservé à la parole des femmes politiques et des hommes politiques ?

2.2 Hypothèse 1

Afin de répondre à notre première question de recherche, nous avons émis l’hypothèse suivante :

Les journalistes soulignent davantage l’identité de genre en parlant des femmes politiques que des hommes politiques.

Pour cette première hypothèse, nous nous basons sur le constat de Bourdieu selon lequel l’homme est considéré comme « l’être universel », contrairement à la femme, dont le simple genre représente déjà un signe, une particularité. Nous supposons donc que pour cette raison, les journalistes sont tentés de rappeler le genre des femmes, afin de souligner ce qu’ils considèrent comme un trait distinctif. En revanche, nous faisons la supposition qu’ils ne jugent pas nécessaire de souligner le genre des hommes, étant entendu que le masculin n’est pas considéré comme un signe particulier.

Nous émettons l’hypothèse que ce phénomène est particulièrement présent dans le cas du discours médiatique sur les femmes politiques, car la politique est un monde masculin. Ainsi, les femmes qui pénètrent dans ce milieu sont considérées comme une déviance (Freedman, 1997 : 173). Pour cette raison nous supposons qu’un rappel régulier du genre des femmes politiques est une manière de souligner cette

« anomalie », le caractère exclusif que représente la présence d’une femme dans un monde d’hommes.

2.3 Hypothèse 2

Afin d’apporter une réponse à notre deuxième question de recherche, nous avons formulé l’hypothèse suivante :

Lors d’une fin de mandat ou d’un arrêt de fonction, les journalistes vont effectuer un cadrage différent dépendamment du genre de la personne démissionnaire.

Comme nous l’avons déjà évoqué, non seulement les femmes sont sous-représentées dans les médias mais quand elles sont mentionnées, c’est souvent à travers des représentations stéréotypiques. Nous supposons donc que les journalistes effectuent

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un cadrage différent selon qu’ils parlent d’une femme politique ou d’un homme politique. Les cadrages effectués correspondent à des stéréotypes de genre et présentent donc les démissionnaires en mettant en exergue des caractères jugés typiquement masculins ou typiquement féminins, au détriment de la personnalité des individus.

Afin de préciser les éléments stéréotypiques que nous comptons observer, nous avons énoncé notre hypothèse sous la forme de deux sous-hypothèses.

2.3.1 Hypothèse 2a)

Nous avons formulé notre première sous-hypothèse comme suit :

Ce cadrage opère via une valorisation plus importante de la mise en scène du corps dans le cas d’une femme politique que d’un homme politique.

De nombreuses recherches ont souligné l’insistance du discours médiatique sur l’apparence physique des femmes (Fowler : 1991, Freedman : 1997, Durrer : 2000, Sourd : 2005…). Elles relèvent en général un intérêt marqué des journalistes pour la silhouette des femmes, pour leurs vêtements, ou encore pour leur coupe de cheveux.

Nous souhaitons donc observer si cette insistance sur le corps des femmes se retrouve également dans notre corpus, avec plus de mentions et de descriptions de l’apparence physique de Doris Leuthard que de Johann Schneider-Ammann.

2.3.2. Hypothèse 2b)

Nous avons formulé notre seconde sous-hypothèse de la manière suivante :

Ce cadrage opère via une valorisation plus importante de la mise en scène des émotions dans le cas d’une femme politique que d’un homme politique.

Nous avons décidé de nous intéresser au traitement médiatique des émotions des femmes politiques, car selon une croyance très répandue, les femmes seraient plus émotives que les hommes. Elles seraient plus proches des émotions et ces derniers plus proches de la raison.

Les émotions sont souvent considérées comme un puissant marqueur de genre, jouant un rôle central dans les délimitations culturelles et sociales du masculin et du féminin. […] Dans le monde occidental, on considère aussi que les émotions sont davantage féminines et que la raison est plutôt masculine.

Les femmes, réputées plus proches de la nature et irrationnelles, manifesteraient en effet une sensibilité plus exacerbée que les hommes, exprimeraient davantage leurs sentiments (quitte à ce qu’elles se laissent déborder par eux), passeraient plus rapidement d’une émotion à une autre, seraient lunatiques ou hystériques. Les hommes, êtres de culture et de raison, auraient plus de retenue et de contrôle d’eux-mêmes, maîtriseraient bien davantage l’expression de leurs émotions et en changeraient moins souvent.

(Boquet & Lett, 2018)

Selon Boquet et Lett, cette opposition entre émotions/féminin et raison/masculin telle que nous la connaissons aujourd’hui n’a pas toujours eu cours. Elle daterait du XVIIIe siècle.

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Nous supposons que les émotions de Mme Leuthard bénéficient d’une attention particulière des journalistes dans notre corpus, contrairement à celles de M.

Schneider-Ammann. Nous nous attendons à ce que cette attention portée aux émotions de Mme Leuthard se manifeste par un plus grand nombre de remarques sur ses affects, ainsi que de descriptions et de commentaires sur ses émotions.

2.4 Hypothèse 3

Enfin nous avons tenté de répondre à notre troisième question de recherche à l’aide de l’hypothèse suivante :

Les journalistes valorisent la parole des hommes politiques, contrairement à la parole des femmes politiques qui est dévalorisée.

Selon le Global Media Monitoring Project, au niveau mondial, les femmes ne représentent que 24% des personnes apparaissant dans les nouvelles : elles sont donc sous-représentées dans les médias. Cette situation ne peut toutefois pas être vérifiée dans le cadre de notre corpus, car nous analysons les discours médiatiques concernant les démissions de deux personnalités politiques, un homme et une femme.

Nous ne pouvons donc pas observer une invisibilisation de Mme Leuthard, puisqu’elle est au contraire au centre de la nouvelle. Cependant, nous pouvons étudier une autre stratégie d’invisibilisation des femmes : celle qui passe par l’absence de leur parole dans les médias, ou tout du moins un moindre intérêt de la part des journalistes à retranscrire leurs propos. C’est par exemple ce qu’a constaté Durrer (2000), qui observe que la parole des femmes est moins souvent restituée au discours direct que celle des hommes. Ainsi nous supposons que même si Mme Leuthard est au centre de la nouvelle traitant de sa démission, les journalistes retranscriront un plus petit nombre de ses propos, comparé aux propos de M. Schneider-Ammann rapportés dans les nouvelles traitant de sa démission à lui.

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3 Cadre théorique

3.1 Genre et médias

3.1.1 Genre

La notion de genre nous intéresse, puisqu’elle est au centre de notre travail. Une définition basique du genre consiste à le considérer comme l’expression sociale du sexe. Autrement dit le sexe serait une donnée biologique, et le genre une donnée sociale et culturelle.

S’il y a bien une chercheuse dont le travail sur le genre a eu un énorme retentissement, c’est Judith Butler. Elle considère le genre comme une activité inconsciemment performée. Autrement dit, chacun « fait » son genre à partir de normes sociales (Butler, 2006 : 13). En outre, elle ne considère pas le genre comme une donnée fixe, immuable, et purement binaire, mais plutôt comme « une identité variable que les acteurs peuvent changer et réinventer au cours de leur vie » (Thiéblemont-Dollet, 2006). Ainsi, non seulement les individus « font » leur genre plus qu’ils n’ont un genre, mais en plus ils le renégocient au cours de leur vie.

On peut également comprendre le genre comme « un élément constitutif des rapports sociaux fondé sur des différences perçues entre les sexes » et comme « une façon première de signifier des rapports de pouvoir » (Scott : 1988, cité par Thébaud in Maruani : 2005). Ainsi, le genre participe-t-il avant tout d’un rapport de pouvoir, qui se base sur une définition ainsi qu’une séparation entre le masculin et le féminin.

Pour Julliard et Olivesi (2011), le genre est une construction sociale, culturelle et historique des rapports de sexe. « Aussi, étudier le Genre implique-t-il à la fois de le déconstruire comme système socialement, culturellement et historiquement situé, et d’entreprendre de « déciller » les yeux (Héritier, 2002) en révélant les processus de sa naturalisation ».

Dans le cadre de notre travail, nous considérerons le genre comme un système social basé sur la définition de « la nature des femmes et des hommes et de leurs différences » (Parini, 2006 : 31). Cette partition « détermine leurs places respectives dans la société » et crée « les conditions institutionnelles de cette partition des territoires basée sur l’inégalité » (ibid.). Autrement dit, nous nous intéresserons aux relations de domination qu’induit cette partition de la société. En effet, c’est la dichotomie entre le masculin et le féminin qui justifie les inégalités de genre. Par ailleurs, c’est par cette dichotomie que se mettent en place des définitions antinomiques du féminin et du masculin.

3.1.2 Stéréotype de genre

La notion de stéréotype sera utile dans notre travail afin de mettre en lumière les éléments de langage qui participent de caractéristiques arbitraires attribuées à des individus, parce qu’ils font partie d’un groupe social (Sales-Wuillemin, 2006 : 7), en l’occurrence des hommes ou des femmes. Les stéréotypes sont un cliché ou une idée reçue, c’est-à-dire une représentation simplifiée d’un groupe, qui peut être positive

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comme négative. Il s’agit en général de croyances partagées par un grand nombre d’individus.

Les stéréotypes de genre plus précisément, peuvent être définis de la manière suivante :

Toute représentation (langage, attitude ou représentation) péjorative ou partiale de l’un ou l’autre sexe, tendant à associer des rôles, comportements, caractéristiques, attributs ou produits réducteurs et particuliers à des personnes en fonction de leur sexe, sans égard à leur individualité. (Sales-Wuillemin, 2006 : 7)

Dans le cadre de ce travail, nous reprendrons la définition de stéréotype telle que présentée par Durrer, Jufer et Pahud dans leur ouvrage :

Nous considérerons que nous avons affaire à un stéréotype lorsque le discours journalistique fait usage de façon récurrente d’une idée, complexe, impliquant un jugement de valeur plus ou moins fort et ceci à propos d’un référent humain.

Dans le cadre de notre étude, le stéréotype consiste en un processus d’attribution et d’étiquetage récurrent, contraignant et limitatif des individus.

(2009 : 254)

3.1.3 Statistiques

La sous-représentation des femmes dans les médias est un phénomène connu et étudié depuis longtemps, qui se retrouve dans la plupart des pays du monde. C’est ce que démontre le Global Media Monitoring Project (GMMP), qui analyse la représentation des femmes dans les médias :

En 2015, les femmes ne représentent que 24 % des personnes que l’on entend, dont il est question et que l’on voit dans les nouvelles de la presse écrite, de la télévision et de la radio, soit exactement le même nombre qu’en 2010. (Rapport GMMP 2015)

Le GMMP étudie tous les 5 ans, depuis 1995, la représentation des hommes et des femmes dans les médias à travers le monde pendant une journée de monitorage. Lors de la dernière édition, c’est la date du 25 mars 2015 qui a été choisie. Les médias de 114 pays ont été analysés.

En Suisse, le GMMP a mesuré en 2015 exactement le même pourcentage de femmes représentées dans les médias qu’au niveau mondial, soit 24%. Pour la radio uniquement, le GMMP relève que seul un quart (23%) des personnes mentionnées aux informations radiophoniques sont des femmes. Au niveau suisse romand, le résultat est de 28%.

Plusieurs explications peuvent être apportées au déséquilibre de la représentation du genre dans les médias. Le dernier rapport du GMMP en propose certaines :

Le nombre comparativement moins élevé de femmes dans l’industrie, la définition structurelle des « nouvelles », les limites organisationnelles, la socialisation des reporters, les influences individuelles et les habitudes journalistiques. (2015 : 52)

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Concernant les femmes journalistes en Suisse, selon le rapport GMMP 2015 29% des nouvelles issues des médias traditionnels sont produites par des femmes. Pour la radio, le chiffre est très proche puisque le rapport a comptabilisé que 30% des émissions radio étaient rédigées ou présentées par des femmes. Si nous nous penchons sur la Suisse romande, le résultat en 2015 est de 58% de femmes journalistes (contre 0% en Suisse alémanique et 17% en Suisse italienne, ce qui explique le pourcentage national à 30%). Si nous nous intéressons au rapport 2010, 77% des nouvelles radiophoniques étaient présentées par des femmes en Suisse romande. Il semblerait donc que le GMMP relève une majorité de femmes à la radio suisse romande.

Attention toutefois à considérer les chiffres du Global Media Monitoring Project avec précautions : En effet, le GMMP ne prend en compte qu’une seule journée. De plus, il n’analyse qu’un panel restreint de radios suisses puisque seules les radios de la SSR (Société suisse de radiodiffusion) ont été étudiées. Il reste toutefois un outil très intéressant puisqu’il permet de dessiner des tendances, et de comparer les résultats que ce soit au fil des ans, entre les pays, ou les deux.

3.1.4 Traitement médiatique des femmes

De nombreuses recherches se sont intéressées au traitement médiatique réservé aux femmes : plusieurs phénomènes ont été observés. Ils ne sont en général pas créés de toutes pièces par les journalistes, mais corroborent plutôt des stéréotypes de genre préexistants. Nous allons détailler ici certains aspects du discours médiatique réservé aux femmes.

3.1.4.1 Invisibilisation

De nombreuses recherches tendent à prouver que les femmes sont invisibilisées dans les médias. Carter, Branston et Allan soulignent dans l’introduction de leur ouvrage News, Gender and Power ce phénomène dans le rapport des journalistes aux sources :

Studies of media-source relations show that journalists tend to rely primarily upon white, middle-class, middle-aged, professional males as sources, particularly when ‘expert’ opinions are being accessed. (1998 : 5)

Outre la préférence pour des hommes lors d’interventions d’experts, l’invisibilisation des femmes peut être généralisée à toutes les catégories de personnes présentes dans les médias. Alors même que les femmes constituent 50% de la population, dans les médias leur représentation s’élève à 24% au niveau mondial (Source : GMMP 2015). On pourrait supposer que cela s’explique par leur moindre présence dans la majorité des cercles de pouvoir et des postes à responsabilité (absence qui s’expliquerait entre autres par le plafond de verre, empêchant les femmes d’atteindre les postes les plus élevés dans les entreprises ou en politique). Cependant, même lorsqu’il s’agit de personnes dont le métier n’est pas le sujet du reportage, ce sont toujours les hommes qui sont représentés plus massivement que les femmes. C’est ce que constate le rapport 2015 du GMMP : parmi les retraités représentés dans les médias, seules 35% sont des femmes. On observe cette même tendance pour d’autres catégories de personnes dont l’occupation n’est pas mentionnée, comme les villageois

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ou résidents sans autre occupation indiquée, ou les personnes sans emploi. Ainsi, le plafond de verre ne suffit pas à expliquer à lui seul l’invisibilisation des femmes dans les médias. Le problème de cette invisibilisation est qu’elle renforce le sentiment que les femmes sont absentes des sphères de pouvoir, et même de l’ensemble de la société.

Un autre aspect de l’invisibilisation des femmes relevé par Durrer (2000 : 114) est l’invisibilisation de leur activité professionnelle. La chercheuse constate dans son corpus que « [l’]engagement professionnel [des femmes] est souvent moins explicitement exposé que celui des hommes » (Durrer, 2000 : 111). Elle souligne que l’identité personnelle des femmes est elle aussi régulièrement tue. Selon Durrer, Jufer et Pahud, nous pouvons constater le phénomène suivant :

Les hommes sont plus souvent mentionnés par leur prénom et leur nom de famille, alors que les femmes, si elles ne sont pas anonymes, sont nommées surtout par leur prénom ou leur affiliation. (Laplanche : 2010)

La stratégie d’affiliation consiste à nommer une femme en tant que « fille de »,

« épouse de » ou encore « mère de » plutôt que par son propre statut professionnel ou social. Son existence propre se trouve donc invisibilisée, au profit de sa relation avec un homme. Selon Fowler (1991, cité par Freedman, 1997 : 60), les « relations conjugales et familiales [des femmes] sont souvent mises au premier plan sans aucune raison car l’identité publique des femmes est perçue comme dépendante de ces rapports privés. ». Nous pouvons citer en exemple le cas d’Amal Clooney, avocate spécialisée dans les droits humains qui, même lorsqu’elle fait des apparitions strictement professionnelles, est renvoyée à son statut d’épouse de George Clooney.

En mettant en avant les rôles familiaux des femmes, ce sont souvent leur identité personnelle ou leur activité professionnelle (voire les deux), c’est-à-dire une partie de leur identité en tant qu’individu, qui sont invisibilisées.

Toujours dans un processus d’invisibilisation, nous pouvons encore constater que les voix des femmes sont moins mises en avant que celles des hommes : « On restitue plus rarement au discours direct les propos d’une femme que ceux d’un homme » (Durrer, 2000 : 111). Ainsi, la parole des femmes est dévalorisée, et leur opinion est plus rarement médiatisée.

Un autre procédé d’invisibilisation, plus insidieux, se situe au niveau du langage. En effet, en français, une règle de grammaire prétend que le masculin l’emporte sur le féminin. Ainsi, si on parle d’un groupe de personnes réunissant des hommes et des femmes, l’utilisation du masculin sera de rigueur, peu importe la proportion de représentants de chaque genre. Ainsi, si un journal titre « Climat : des chercheurs tirent la sonnette d’alarme », la présence éventuelle de femmes parmi ces chercheurs est invisibilisée, puisque le terme est au masculin. De plus, dans l’exemple présent, cela renforce l’impression que la science n’est pas un domaine de femmes.

En outre, nous pouvons observer que le masculin est considéré comme la norme, et le féminin comme un signe particulier. Julliard et Olivesi (2011) relèvent à ce sujet que

« la masculinité hégémonique s’appuie sur « son invisibilité et son apparente neutralité » (Connell, 2005, cité par Quemener, 2012) tandis que la féminité constitue

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une « marque » (Guillaumin, 1992) ». Ainsi, être une femme est déjà un trait particulier en soi, contrairement à la masculinité. Donc, en l’absence du signe « femme », un être humain va, par défaut, être considéré comme un homme. À ce sujet Bourdieu relève que l’homme est considéré comme « l’être universel », il est « socialement autorisé à se sentir porteur de la forme entière de l'humaine condition ». Il justifie :

« C'est ce que dit la langue lorsque, par un homme, elle désigne non seulement l'être humain mâle, mais l'être humain en général et qu'elle emploie le masculin pour parler de l'humanité. Et la force de l'évidence doxique se voit au fait que cette monopolisation grammaticale de l'universel, aujourd'hui reconnue, n'est apparue dans sa vérité qu'à la suite de la critique féministe. » (1990 : 7)

À ce sujet, Durrer, Jufer et Pahud parlent de la valeur générique du masculin, c’est-à- dire qu’est conféré au masculin une valeur universelle. Elles expliquent : « Toutefois, cette valeur générique est mise en cause par la propension de la majorité des sujets parlants à faire coïncider genre grammatical et genre naturel » (2000 : 208). Cela signifie qu’on prête aux mots des caractéristiques et des stéréotypes selon leur genre grammatical. Ainsi, le genre grammatical masculin ne serait pas générique, mais renverrait bien à des représentations, « des connotations et une idéologie qui sont liées au statut social de l’homme » (ibid.). Cela signifie qu’en utilisant un masculin supposément générique, nous mettons en réalité en avant le genre masculin uniquement, et invisibilisons le genre féminin.

En résumé, l’invisibilisation des femmes dans les discours médiatiques se présente sous différentes formes :

 Une sous-représentation des femmes, toute catégorie de personnes confondues

 La non-mention de leur activité professionnelle

 La non-mention ou la mention parcellaire de leur identité personnelle

 L’affiliation

 La moindre valorisation de leur voix comparée à celle des hommes

 La règle grammaticale du masculin qui l’emporte sur le féminin

 L’utilisation du masculin comme ayant une valeur supposément générique

3.1.4.2 Insistance sur l’apparence physique

Alors que plusieurs aspects de l’identité des femmes sont souvent passés sous silence leur apparence physique, elle, est mise en avant. Fowler (1991, cité par Freedman, 1997 : 60) constate « une prolifération d’expressions désignant les attributs physiques et sexuels des femmes ; à l’évidence une exagération du corporel est au centre de la représentation discursive du paradigme féminin ». Freedman souligne pour sa part que « les femmes sont en général aperçues, représentées, jugées en fonction de leur apparence physique beaucoup plus que les hommes » (1997 : 81). Sourd (2005) relève que cette attention portée non seulement à l’apparence physique des femmes, mais aussi à leurs tenues vestimentaires ou leur silhouette, s’associe à un rappel récurrent du champ notionnel de la séduction. Ainsi, alors que l’identité et la parole des femmes sont passées sous silence, leur image est quant à elle surreprésentée.

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C’est également ce que constate Durrer : les femmes assument souvent un rôle d’illustration.

Ainsi les photographies de femmes sont elles plutôt nombreuses au regard de leur présence dans les textes. Les femmes deviennent même majoritaires dans le cas des illustrations sans lien personnel avec les personnes évoquées dans les articles. Dans de tels cas, on observe que les femmes apparaissent souvent de façon anonyme. Elles ont alors pour fonction d’emblématiser la pauvreté, les souffrances de la guerre, le marché de la mode, le monde de l’hôpital, le public des journaux etc. Le plus souvent, il ne sera donné aucune information personnelle sur les femmes photographiées, dont l’anonymat ne sera pas levé.

(2000 : 111)

Cette insistance sur le corps des femmes les cantonne à un rôle d’images qui, par définition, sont immobiles, passives et muettes. Dans ce cas-là, nous pouvons considérer que leur potentialité d’action est niée.

3.1.4.3 Position de victime

Un autre topos récurrent des femmes dans les médias est celui de la victime, qui place les femmes en position de passivité, d’impuissance (Ross, 2010 : 119, voir aussi Byerly & Ross, 2006 : 41), Selon les résultats du GMMP 2015, au niveau mondial 16

% des femmes et 8 % des hommes présents dans les médias sont décrits comme des victimes. Dans son dernier rapport, le GMMP relève le phénomène suivant :

On persiste à présenter les femmes dans des positions de victimes impuissantes, contrairement aux photos des hommes, habituellement de profil, en tant que figures stoïques, fortes et autoritaires.

Durrer (2000) fait le même constat au niveau de la presse romande, qui représente volontiers des femmes en pleurs, qu’il s’agisse de photographies ou d’évocations de femmes en larmes, ou au bord des larmes. Cette insistance sur la figure de la victime souligne le caractère supposément fragile et vulnérable des femmes, sur leur prétendues passivité et dépendance vis-à-vis des hommes (Byerly & Ross, 2006 : 42).

3.1.4.4 Infantilisation

Un autre aspect récurrent de la représentation des femmes dans les médias est leur infantilisation. Selon Durrer (2000) elle passe par deux procédés principaux : le recours au seul prénom ainsi que l’usage abusif des qualificatifs jeune et petit. Nous avons déjà évoqué l’omission du nom de famille plus haut, en parlant de l’invisibilisation des femmes. La chercheuse commente : « Le recours au seul prénom est une stratégie infantilisante, dans la mesure où ce sont les enfants que l’on se permet d’évoquer en ces termes ». Nous pouvons mentionner l’exemple français des deux candidats à la présidentielle de 2007, Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy. Dans les diminutifs qui leur avait été attribués, c’est le prénom de la première et le nom du second qui avaient été retenus, formant le binôme « Sego & Sarko ». Et effectivement, Olivesi (2012 : 168-169) a relevé plus d’occurrences du prénom seul de Ségolène Royal que de Nicolas Sarkozy dans son corpus. Outre l’aspect infantilisant, l’utilisation du prénom seul renvoie à la sphère du privé, sphère dévolue au féminin.

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Quant à l’utilisation des qualificatifs jeune et petit, Durrer (2000) constate qu’ils sont régulièrement appliqués aux femmes dans le discours médiatique. L’adjectif jeune peut selon elle être utilisé jusqu’à un âge avancé, avant d’être remplacé par petit, lorsque le premier devient trop inadéquat. Qualifier quelqu’un de jeune peut certes être laudatif, la jeunesse étant connotée positivement sous certains aspects – apparence physique, dynamisme… – mais ce qualificatif renvoie également à l’idée d’inexpérience. Il peut en outre être, nous venons de le dire, un rappel de l’apparence jeune – donc supposément attrayante – de la personne et ainsi constituer un renvoi à son apparence physique.

Nous avons effectué un panorama qui tente de regrouper bon nombre de phénomènes observés dans le discours médiatique au sujet des femmes. Il nous faut toutefois rappeler ici que même si ces stratégies sont majoritairement utilisées pour parler des femmes, elles peuvent aussi s’observer chez des hommes. En effet, elles s’expriment non pas en termes d’exclusivité mais de préférentialité. Durrer souligne :

Il n’existe aucune forme qui soit réservée aux femmes. En revanche, on peut observer que le discours produit sur les femmes fait un usage préférentiel de certaines formes. (2000 : 119)

De même que les femmes ne sont pas les cibles exclusives de ces stratégies, nous pouvons également trouver des contre-exemples : des femmes dont le nom et la profession, de même que la parole sont rapportées, sans mention aucune de leur famille, par exemple. Mais encore une fois, ces phénomènes listés plus haut sont généralement utilisés pour parler des femmes dans le discours médiatique.

Il faut encore souligner que dans ce cadre théorique, nous avons mis l’accent sur le traitement médiatique des femmes, et pas des hommes. Cela s’explique par le fait que les hommes, étant considérés comme la norme, sont moins étudiés que les femmes, vues comme la marge. Toutefois, les observations concernant le traitement médiatique des femmes sont toujours faites en comparaison avec le traitement médiatique des hommes. Ainsi, en discutant de la représentation des premières dans les médias, nous pouvons de facto comprendre quelle est celle des seconds, par une définition en creux.

3.1.5 Traitement médiatique des femmes politiques

Nous avons abordé différents aspects du traitement médiatique réservé aux femmes en général. Les femmes politiques représentent une catégorie à part dans le traitement médiatique des femmes – une catégorie qui nous intéresse particulièrement, puisque les deux sujets de notre corpus sont des personnalités politiques.

Tout d’abord nous pouvons souligner que bon nombre d’aspects du traitement médiatique des femmes en général sont également valables pour les femmes politiques en particulier, comme le relèvent Durrer, Jufer et Pahud (2009) : « Les stéréotypes touchent presque de la même façon toutes les femmes qu’elles soient politiques, sportives ou commerçantes ». À titre d’exemple, plusieurs recherches soulignent que les rôles familiaux sont souvent convoqués dans les discours médiatiques sur les femmes politiques également (Freedman : 1997, Sourd : 2005, Durrer, Jufer & Pahud : 2000, etc). Les rôles familiaux les plus souvent évoqués sont

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ceux de mère, fille ou épouse. Concernant le statut d’épouse, Freedman fait le constat suivant :

Il est intéressant à noter aussi que le discours de la presse sur les femmes politiques parle non seulement du fait qu’elles sont mariées, mais fait référence à la profession de leur mari, ce qui nous montre clairement que le statut social des femmes, même des femmes qui ont une carrière propre, dépend toujours du statut social de leur mari. (1997 : 152)

Les femmes politiques, comme toutes les femmes représentées dans les médias, ne semblent pas avoir d’identité autonome et sont souvent mentionnées via un processus d’affiliation.

Durrer, Jufer et Pahud ont relevé dans leur corpus (qui traite de l’élection puis de la démission de Ruth Dreifuss, ainsi que de la candidature de Micheline Calmy-Rey au Conseil fédéral suisse) que l’apparence des femmes politiques est régulièrement commentée, via une insistance sur leurs vêtements (2009 : 300) ou leur coupe de cheveux (ibid. : 302). L’intérêt des journalistes pour l’apparence des femmes politiques a été observé dans de nombreuses autres recherches (Freedman : 1997, Tremblay : 2000, Sourd : 2005, Leroux & Sourd : 2005, Byerly & Ross : 2006 etc.). Freedman (1997 : 95) considère que cette insistance rapproche les femmes politiques des images de mode, soit des figures du paraître. Cela va à l’encontre de ce qui est attendu d’une personnalité politique – l’action, opposée au paraître – et nuit du même coup à la crédibilité des femmes politiques, qui semblent inefficaces. Freedman propose une réflexion intéressante à ce sujet :

Si les femmes politiques se confondent dans les représentations journalistiques avec les créations de mode, nous observons qu’à elles aussi les images, les symbolisations enlèvent la signification du faire. En d’autres termes les femmes politiques sont présentées comme des êtres habillés pour faire de la politique, et il y a des normes, des présuppositions sur ce qu’elles doivent porter pour aller à l’Assemblée Nationale, pour rencontrer le Président mais, une fois habillées, les représentations ne les symbolisent pas en train d’agir. Elles perdent leur réalité et deviennent des images, des mannequins. La rhétorique ne leur laisse pas la possibilité de prendre des décisions, de faire passer des lois, de changer le monde. Nous retrouvons ici l’ancien schéma dans lequel les femmes se trouvent du côté de la passivité et où l’activité s’associe au masculin.

Les femmes politiques se caractérisent par les vêtements qu’elles portent pour travailler, et non par le travail qu’elles font. (1997 : 107-108)

Julliard et Olivesi (2011) observent une insistance des journalistes sur le corps des femmes qui effectuent des métiers considérés comme masculins. Elles interprètent cette attention portée à leur apparence comme un moyen de rappeler leur différence : elles font un métier d’homme, mais elles restent malgré tout des femmes. Selon les chercheuses, le corps devient donc un « marqueur physique de la différence », un moyen de renvoyer les femmes à leur altérité. Nous supposons qu’un procédé analogue est à l’œuvre dans le cas du discours médiatique sur les femmes politiques.

Nous nous devons toutefois de mentionner un contre-exemple intéressant, relevé par Olivesi (2012) dans le cadre des élections présidentielles françaises de 2007. La

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chercheuse a observé une plus forte proportion de descriptions physiques d’hommes (68,75%) que de femmes (50%), dans son corpus constitué de 16 portraits d’hommes politiques et de 8 portraits de femmes politiques. Elle arrive à la conclusion suivante : La dichotomie ne s’opère plus d’un genre à l’autre mais, à l’intérieur d’un même genre, entre les candidats à fort capital politique et les candidats à capital politique faible. La même dichotomie s’observe dans la référence à la vie familiale des candidats. (2012 : 116)

Autrement dit, les personnes dont le physique est le plus souvent commenté par les médias semblent être celles dotées d’un capital politique faible, quel que soit leur genre. La notion de capital politique peut être comprise de la manière suivante :

Le capital politique est défini comme une forme particulière de capital social donnant un accès privilégié à la prise de décision politique. C'est le résultat des positions des acteurs et des interconnexions au sein du réseau. (Bondi &

Rizopoulos : 2017)

Ce constat est très intéressant, car il souligne que la variable déterminante dans l’insistance sur l’apparence physique des personnalités politiques ou la référence à leur vie de famille ne serait plus le genre, mais le capital politique. L’autrice relève toutefois que cette situation semble assez inédite, puisqu’elle explique que « tel n’était pas le cas lors des élection municipales [françaises] de 2001 » (2012 : 114, note 9) Dulong et Matonti avaient observé que « les candidates les plus dotées en ressources politiques […] attirent davantage l’attention des journalistes, leurs portraits occupent plus de place et sont dès lors plus riches en stéréotypes » (2005 : 284, cité par Olivesi : 2012). Il est difficile de tirer une règle générale de ces deux seules observations.

Toutefois, elles nous permettent de mettre en lumière un constat intéressant : le genre n’est pas l’unique variable susceptible d’influencer les représentations médiatiques des personnalités politiques.

Il nous paraît intéressant de souligner encore une observation effectuée par Olivesi sur son corpus. Selon elle, la représentation du genre en politique est rapportée par les journalistes, mais elle n’est pas assumée par ces derniers :

Le genre des personnalités politiques et le rôle qu’il joue dans leur représentation est rejetée dans l’implicite du discours, les propos d’un locuteur second, voire d’un locuteur tiers, ou dans un discours doxique indéterminé.

(2012 : 292)

Ainsi, les journalistes rapportent un discours sur le genre en politique, mais sans l’assumer, se donnant ainsi une illusion de neutralité.

3.1.6 L’influence du genre des journalistes sur le traitement médiatique des femmes

Même si ce n’est pas le sujet principal de ce présent travail, nous pouvons nous demander si le genre des journalistes peut influencer le traitement médiatique des femmes. Autrement dit, est-ce qu’une augmentation de journalistes femmes signifie une amélioration dans le traitement médiatique des femmes, ainsi qu’une meilleure représentation de ces dernières ?

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Si nous nous penchons sur la question de la représentation, il semblerait que les femmes journalistes aient une légère tendance à réaliser, plus que leurs collègues masculins, des reportages dans lesquels les femmes sont présentes. Au niveau mondial en 2015, « 29 % des sujets des nouvelles rapportées par les femmes journalistes sont des femmes, comparativement à 26 % chez les reporters masculins » (Rapport global GMMP, 2015 : 61). L’écart est toutefois mince, et nous sommes, dans un cas comme dans l’autre, loin de la parité.

Rodgers et Thorson (2006) ont analysé trois quotidiens publiés aux USA. Selon elles les femmes journalistes ont non seulement tendance à citer plus de femmes dans leurs sources (24% pour les femmes journalistes, contre 16% pour leurs confrères masculins), mais également plus de minorités. En outre, les femmes journalistes feraient moins usage de stéréotypes que leurs confrères masculins. Durrer, Jufer et Pahud (2009) constatent également que les femmes journalistes parlent plus des femmes, mais elles modèrent leur propos :

Les hommes semblent accorder moins d’importance que leurs collègues féminines aux femmes et notamment du point de vue de la féminisation des noms de profession. Toutefois, l’intérêt des journalistes femmes reste assez modéré et ne va pas jusqu’à provoquer une inversion des tendances. Comme leurs confrères, elles continuent de parler considérablement plus des hommes.

Leur conclusion corrobore les résultats obtenus par le GMMP 2015. C’est-à-dire qu’on observe certes une différence chez les femmes journalistes, mais pas au point de changer radicalement des méthodes journalistiques masculines. Ainsi, malgré l’influence positive que semblent avoir les femmes journalistes sur le traitement médiatique des femmes, la seule présence de reporters féminines dans les salles de rédaction ne paraît pas suffire à rendre le discours médiatique significativement plus égalitaire. Freedman fait le constat suivant :

Les femmes journalistes et rédactrices sont, comme leurs collègues masculins, soumises à des normes professionnelles et des règles de conduite implicites et explicites. Il ne faut pas supposer que pour elles le sentiment d’être une femme devance le désir d’être une bonne journaliste. Et de plus, même pour les femmes journalistes poursuivant des objectifs féministes, il ne serait pas toujours facile de faire passer leurs idées : l’individu se retrouve relativement impuissant face à un système de production avec une méthodologie et un canon de connaissances déjà fixes. La production des textes journalistiques se fait dans le cadre des normes et des règles professionnelles et même si ce n’est pas un acte délibéré, le/la journaliste doit incorporer dans son texte des éléments venant de l’institution dans laquelle il/elle travaille. Donc, quand il s’agit d’analyser la production des textes journalistiques, le sexe du journaliste est un facteur à prendre en compte mais ce n’est pas un facteur déterminant.

(1997 : 54-55)

Ainsi, en comparant ces différentes recherches, nous arrivons à la conclusion que les femmes journalistes ont certes tendance à présenter une plus grande sensibilité aux problématiques liées au genre. Cependant, la majorité des femmes journalistes semblent malgré tout elles aussi mettre plus souvent des hommes que des femmes

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au centre des nouvelles. Une explication possible à ce phénomène serait que le métier de journaliste reste un métier masculin, dans le sens qu’il repose sur des définitions de la masculinité (Damian-Gaillard, Frisque, & Saitta, 2009 : 197). Ainsi, les femmes journalistes se plient aux normes de la profession, afin de mener une carrière réussie.

Le rapport 2015 du GMMP relève que « certaines femmes reporters ont adopté la culture machiste des salles de rédaction, estimant qu’il s’agit là d’une manière de faire progresser leur carrière ». Or, ces normes reposent sur des définitions de la masculinité, et une manière de travailler instaurée par des hommes, qui rend difficile la mise en place d’un discours plus égalitaire. Et effectivement, d’après Damian- Gaillard, Frisque & Saitta, (2009), le genre du ou de la journaliste n’est pas la seule variable à prendre en compte pour qui désire comprendre les rapports de genre dans le journalisme. C’est bien plutôt les processus de production de l’information dans leur ensemble qui doivent être étudiés. L’analyse des contenus journalistiques n’est pas suffisante pour appréhender dans sa globalité les enjeux liés aux rapports de genre dans le journalisme. Nous devrons toutefois nous cantonner à ce domaine dans le présent mémoire. Ce qui n’empêche évidemment pas notre lectorat de garder à l’esprit cette réserve.

3.1.7 Médias : une parole masculine

« News is not simply mostly…about and by men […] it is overwhelmingly seen through men » (Hartley, 1982 : 146, cité par Carter, Branston & Allan, 1998 : 5)

Une des critiques faites aux médias est qu’ils proposent une parole fortement masculinisée et ce, malgré la féminisation croissante de la profession. À ce sujet, Olivesi constate :

Le discours de la presse de référence présente en effet une parole médiane, consensuelle, due à l’homogénéité de la formation entre journalistes et dirigeants, offrant l’impression d’une parole dominante, idéologiquement stable et peu discutable. Cette parole est par ailleurs fortement masculinisée. Même si les femmes sont de plus en plus nombreuses parmi les journalistes, le genre du/de la journaliste doit être mis en regard du positionnement idéologique du journal et n’influence la représentation médiatique du genre en politique que ponctuellement. » (2012 : 25)

C’est donc une parole d’hommes qui domine dans les médias. Une parole d’hommes mais également un regard masculin, et une évaluation de ce qui est intéressant et digne d’être raconté basé sur des critères masculins. Prenons par exemple le sport : bon nombre de grandes manifestations sportives très populaires ne célèbrent que les exploits des hommes : le Tour de France, la Coupe du monde de football… Pendant que les compétitions féminines sont estampillées « sport féminin », alors que personne ne parle de « sport masculin ».

Ross et Carter (2011) considèrent que les médias, en accordant moins de considération à la voix des femmes ainsi qu’à leurs expériences ou leur expertise, sous-estiment du même coup les contributions sociales, économiques et culturelles de ces dernières. Selon les chercheuses, cette situation affaiblit la démocratie. Ross (2010 : 90-91) va même jusqu’à considérer les médias comme un moyen de renforcer la domination masculine sur les femmes, en mettant en scène les femmes dans

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certains rôles. Attention toutefois à ne pas avoir une vision manichéenne des journalistes :

L’effet du message diffusé n’est pas le simple produit de "manipulateurs" qui posséderaient un plan de contrôle machiavélique. Les contenus du message diffusé dépassent largement l’intention première de l’émetteur. Celui-ci ne peut contrôler totalement le discours qu’il émet. (Breton & Proulx, 1993 : 176, cité par Seignour, 2011 : 32)

En effet, les journalistes reproduisent des stéréotypes de genre sans en être forcément conscients. Simplement ils convoquent des images, des représentations que la majorité ont intériorisés, et qui sont souvent porteuses de stéréotypes. Les stéréotypes sont utilisés par les journalistes afin de gagner du temps et de donner des repères à leur public afin de mieux appréhender une situation : « stéréotyper pour saisir l'attention, simplifier et résumer l'événement » comme le récapitule Tremblay (2000).

En résumé, de nombreuses recherches attestent de la parole fortement masculinisée des médias. On peut identifier plusieurs causes possibles à cette situation, comme la présence majoritaire des hommes historiquement dans ce domaine. Il ne faut toutefois pas y voir une volonté assumée des journalistes de renforcer la domination masculine, mais plutôt un ensemble de pratiques pour la plupart inconscientes qui nuisent à l’égalité des genres.

3.2 L’influence des médias sur les publics

La question de l’influence qu’ont les médias sur les publics concerne directement notre travail. En effet, des représentations médiatiques discriminantes vis-à-vis des femmes sont particulièrement problématiques dès lors qu’on reconnaît aux médias une certaine influence sur les publics, et donc la capacité de modifier les opinions ou les croyances. Or la représentation qu’ont les chercheurs de l’influence des médias sur les publics a évolué avec le temps.

3.2.1 Perspective historique

Une vision de cause à effet très linéaire prédominait au début du XXe siècle, avec le modèle de la seringue hypodermique ou du bullet theory (traduit en français par projectile magique). Ce modèle présentait les effets des médias comme étant directs et unidirectionnels – un message allant d’un émetteur à un récepteur –, et qui pouvaient inoculer des idées directement dans la tête des gens. Les médias étaient donc considérés comme très puissants car capables d’effets forts sur des publics facilement manipulables. Ainsi, il était communément admis qu’une simple analyse du message suffisait à en déduire les effets sur l’audience.

Ensuite cette vision a été nuancée, notamment dans les années 40 avec les recherches effectuées par Lazarsfeld. Ce dernier a mis en lumière le rôle des leaders d’opinion, c’est-à-dire des personnes intéressées par un domaine, qui sont considérées par leurs pairs comme expertes. Dans les années 50, Lazarsfeld et Katz ont élaboré un modèle de communication à deux étages ou two-step flow, dans lequel les médias touchent d’abord des leaders d’opinion. Ensuite, ces derniers sélectionnent, interprètent et transmettent à d’autres personnes les informations.

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Au début des années 80, Stuart Hall propose le modèle de codage/décodage : l’émetteur code un message, qui doit ensuite être décodé par le récepteur. Toutefois, ce dernier ne va pas forcément décoder un message comme le souhaiterait l’émetteur.

Hall considère qu’il existe trois lectures possibles d’un message :

 Une lecture hégémonique, c’est-à-dire que le récepteur décode le message de la manière attendue par l’émetteur, avec le code de référence souhaité

 Une lecture négociée, c’est-à-dire que le récepteur ne décode que partiellement le message

 Une lecture oppositionnelle, dans laquelle le récepteur effectue une lecture complètement autre que celle escomptée par l’émetteur

Dans le modèle de Hall, c’est la capacité d’interprétation du public qui est mise en avant.

Un dernier concept que nous souhaiterions évoquer est celui de la fonction d’agenda (agenda-setting theory), théorisée par McCombs & Shaw au début des années 70.

Selon ces deux chercheurs les médias ne disent pas ce qu’il faut penser, mais ce à quoi il faut penser, c’est-à-dire qu’ils ont la capacité de hiérarchiser l’information. Ils ont mis en lumière le fait que les thèmes les plus traités par les médias étaient également ceux jugés les plus importants par le public. Ici nous retrouvons une nouvelle perspective sur l’influence des médias sur les publics. Elle n’est plus aussi directe que dans le modèle de la seringue hypodermique, mais les discours médiatiques produiraient tout de même certains effets.

3.2.2 Les médias comme vecteur d’entretien des stéréotypes de genre

Après ce rapide tour d’horizon historique concernant l’influence des médias sur les publics, nous pouvons supposer que ces derniers ne sont pas totalement démunis face aux contenus des médias : ils sont en mesure de les déchiffrer, de les interpréter et de décider s’ils adhèrent aux messages véhiculés, ou non.

Nous l’avons vu, certaines théories accordent un fort pouvoir aux médias et d’autres, un pouvoir beaucoup plus limité. Durrer, Jufer et Pahud soutiennent l’idée théorisée par Bourdon selon laquelle « le champ de l’analyse des médias est globalement partagé en deux courants pour ce qui a trait aux effets, le courant qu’il qualifie d’empirique et le courant critique » (2009 : 18) :

Le premier, dominant dans la sociologie actuelle des médias, perçoit les effets comme limités. Rejetant l’idée de médias puissants, il est associé à une mise en valeur du public actif. Il prétend généralement parler au nom d’un rapport plus étroit et moins « abstrait » avec le terrain que le courant critique, ce pourquoi on l’a baptisé « empirique ». […] À l’autonomie individuelle du spectateur correspondrait un pluralisme des courants d’opinion exprimés dans les médias. Les organisations et les professionnels jouiraient d’autonomie par rapport aux intérêts politiques et économiques auxquels ils sont liés.

À l’inverse, le courant « critique » affiche sa prétention à un processus de

« décryptage » ou de « démasquage » d’un processus global de domination sociale dans les sociétés capitalistes, inaccessible au simple observateur. Les

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médias sont analysés comme un instrument de ce processus. Ils sont donc considérés comme influents sur le public. (Bourdon, 2000 : 23-24 cité par Durrer, Jufer & Pahud, 2009 : 18)

Maintenant persiste l’interrogation quant à savoir à quel point des représentations médiatiques stéréotypées des femmes influencent la vision qu’ont les publics de ces dernières. Nous savons que cette influence n’est ni totale, ni complètement nulle.

Certains chercheurs, Goffman par exemple, se distancient d’une vision de la presse en tant qu’outil de domination volontaire et conscient :

[…] Erving Goffman (1977) […] évit[e] d’analyser les représentations médiatiques des femmes (en l’occurrence dans la publicité) comme une stratégie consciente de domination orchestrée volontairement par des hommes souhaitant renforcer leur domination, mais plutôt comme une forme de « reflet » des stéréotypes sociaux existant dans la société à un moment donné que les médias « se contenteraient » de donner à voir. (Lévêque : 2013)

Ainsi, les médias reflètent des stéréotypes sociaux présents dans la société, qui sont à leur tour renforcés par leur apparition régulière dans les médias. Ou, comme le résume Sourd :

[L]es représentations véhiculées par certains médias d’information […]

constituent […], dans un même mouvement, un miroir grossissant de la collectivité qu’elles sont censées dépeindre et à laquelle elles sont adressées, ainsi qu’un vecteur puissant d’entretien des stéréotypes de genre. (2005 : 65) Il n’existe à notre connaissance pas de recherche qui a analysé l’influence des médias sur la formation ou la réaffirmation de stéréotypes de genre. Cependant, une étude menée par l’Université de Zurich a démontré que les médias influençaient de manière notoire le public lors de scrutins complexes (en l’occurrence la deuxième réforme sur l’imposition des entreprises) ; plus que lors de votations qui touchent à des préoccupations quotidiennes. Nous pouvons donc conclure que les effets des médias sur les publics ne sont pas uniformes, et peuvent se manifester de manière plus ou moins marquée.

Au-delà de la question de l’influence des médias sur les publics, qui est certes intéressante mais pour laquelle nous ne pouvons proposer une réponse simple et univoque, rappelons encore qu’un énoncé est porteur de significations, quels que soient les effets produits (Seignour, 2011 : 32). Il nous semble donc important de discuter des effets des médias sur les publics, afin de comprendre quelle est leur portée, mais ils ne remettent pas en question notre travail. Dès le moment où des représentations sexistes sont véhiculées par les médias d’information, ils manquent à leur devoir si ce n’est d’objectivité, pour le moins de présenter une information neutre et fidèle à la réalité.

3.3 Genre et politique

Nous avons parlé du monde médiatique comme d’un univers masculin, et nous pouvons dire de même de la politique, qui reste dominée par les hommes tant au niveau statistique que symbolique. Alors que les femmes ont le droit de vote depuis

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