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3.5 Analyse critique du discours

4.1.2 Méthodologie

Nous procéderons à une analyse qui mêle analyse de contenu et analyse de discours.

La première vise à tirer des conclusions liminaires et la seconde à affiner les premières observations, en examinant un nombre réduit d’extraits de corpus préalablement sélectionnés via l’analyse de contenu. Concernant la mention du genre, une simple analyse quantitative est déjà intéressante, afin de constater si, numériquement, les journalistes convoquent plus souvent le genre d’une femme politique que d’un homme politique. Mais une analyse qualitative visant à observer le contexte dans lequel intervient ce rappel du genre permet de mieux saisir les mécanismes à l’œuvre dans cette stratégie discursive. Cette observation est particulièrement intéressante pour notre corpus, car comme Jane Freedman l’avait relevé dans son ouvrage Femmes politiques : mythes et symboles (1997), en politique le masculin est la norme et le féminin est perçu comme une forme de déviance à cette norme masculine. De nombreux rappels du genre de Mme Leuthard pourraient donc souligner que sa présence dans le monde politique serait ressentie comme déviante.

Concernant les termes de référence, nous relèverons tous ceux présents dans notre corpus afin de vérifier si, comme nous le supposons, la profession de Mme Leuthard – conseillère fédérale – est moins souvent évoquée que celle de M. Schneider-Ammann. Nous pourrions ainsi vérifier si son attribution identitaire d’ordre professionnel est bel et bien délaissée, ou en tout cas moins mise en avant que celle de M. Schneider-Ammann. Nous nous pencherons notamment sur la mention (ou l’absence de mention) du titre de conseiller ou conseillère fédérale lors du sommaire, au début du journal horaire. Il est intéressant de se pencher sur les sommaires des journaux horaires, car ce sont avec eux que débutent les nouvelles. Ils ont pour but de présenter un résumé des informations et donc d’aller rapidement au cœur du sujet.

Ainsi, nous pouvons présupposer qu’une information qui figure au sommaire d’un bulletin horaire sera considérée comme centrale par les journalistes. Notre hypothèse est que l’identité professionnelle de Mme Leuthard est considérée comme étant moins importante que celle de M. Schneider-Ammann. Ainsi, si la profession de ce dernier apparaît au sommaire, cela signifiera qu’elle est effectivement jugée importante. De même, si la profession de Mme Leuthard n’y figure pas, elle sera donc traitée comme une information d’ordre secondaire.

En combinant les résultats de ces deux premières observations, nous pourrons déjà conclure si l’identité de genre de Mme Leuthard est effectivement mise en avant,

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comparé à celle de M. Schneider-Ammann, et si son statut de conseillère fédérale est, lui, plus en retrait que celui de son collègue.

L’étude du rappel des rôles familiaux nous permettra de vérifier si, comme l’ont observé de nombreuses chercheuses (Freedman : 1997, Sourd : 2005, Oliviesi : 2012 etc.) le rôle de mère et d’épouse est effectivement mis en avant chez les femmes politiques et donc si leur identité de genre prévaut sur leur identité professionnelle de personnalité politique. En effet, le féminin est majoritairement relié au domaine du privé – et donc notamment de la famille – contrairement au masculin, supposé être tourné vers la sphère publique. Ainsi, insister sur les liens familiaux d’une femme politique revient à la renvoyer à son statut de femme (son identité de genre) tourné vers le privé, plutôt que son statut de figure politique (son attribution identitaire d’ordre professionnel), tourné vers la sphère publique. Freedman (1997 : 152) a relevé que, de manière générale,

Le discours de la presse sur les femmes politiques parle non seulement du fait qu’elles sont mariées, mais fait référence à la profession de leur mari, ce qui nous montre clairement que le statut social des femmes, même des femmes qui ont une carrière propre, dépend toujours du statut social de leur mari.

Nous nous attendons donc à trouver dans notre corpus différentes mentions de l’époux de Mme Leuthard, de ses enfants et pourquoi pas aussi de son père. En effet, la filiation des femmes politiques est souvent soulignée, contrairement à celle des hommes. Il ne s’agit d’ailleurs pas que d’un lien de filiation biologique : plusieurs chercheuses, dont Freedman (1997), relèvent que les discours médiatiques sur les femmes politiques font souvent référence à une figure paternelle, un mentor : Jean-Marie Le Pen pour Marine Le Pen, ou François Mitterand pour Ségolène Royal. Bref, une femme politique ne semble être légitime que lorsqu’elle est associée à un homme politique.

Dans le cadre de cette hypothèse, nous serons particulièrement vigilantes quant à savoir qui parle. En effet, le but de notre recherche est d’analyser le discours des journalistes. Or, dans nos extraits, des politiciens s’expriment également. Nous devrons donc différencier les interventions des journalistes de celles des personnalités politiques interviewées. Et parmi ces dernières, nous ferons également une différence entre les personnes réagissant en direct de celles dont l’intervention a été enregistrée, et qui est rediffusée lors d’un bulletin d’information. En effet, dans le cas d’une interview en direct, les journalistes n’ont pas de prise sur les réponses apportées. Le seul élément qu’ils contrôlent se trouve en amont du journal horaire, dans le choix de la personne interviewée (choisir une personne notoirement sexiste par exemple, ou au contraire une personnalité politique qui a fait de l’égalité de genre son combat). En revanche, dans le cadre d’une interview retransmise, les journalistes ont tout le loisir de choisir les interventions qu’ils utiliseront, de les couper ou de les assembler. Dans ce cas-là, même si ce ne sont pas les journalistes qui s’expriment directement, nous pouvons considérer qu’ils font dire certaines choses aux personnalités politiques.

Ainsi, nous traiterons ces trois niveaux d’énonciation indépendamment.

Afin de nous aider dans notre analyse, nous recenserons les différentes interventions sous forme de tableau basé sur les modèles suivants :

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Doris Leuthard

Journaliste Itw rediffusée Itw en direct Mention

du genre

Johann Schneider-Ammann

Journaliste Itw rediffusée Itw en direct Mention

du genre

Doris Leuthard

Journaliste D. Leuthard Autre

itw Rôle familial

convoqué

Johann Schneider-Ammann

Journaliste J. Schneider-A. Autre

itw Rôle familial

convoqué

Nous n’hésiterons pas à ajouter d’autres indicateurs au fur et à mesure de notre analyse, s’il nous apparaît que certains éléments pertinents ne figurent pas sur ces tableaux.

4.2 Hypothèse 2

Lors d’une fin de mandat ou d’un arrêt de fonction, les journalistes vont effectuer un cadrage différent dépendamment du genre de la personne démissionnaire.

2a) Ce cadrage opère via une valorisation plus importante de la mise en scène du corps dans le cas d’une femme politique que d’un homme politique.

2b) Ce cadrage opère via une valorisation plus importante de la mise en scène des émotions dans le cas d’une femme politique que d’un homme politique.

4.2.1 Opérationnalisation

Afin de vérifier cette hypothèse, décomposée en deux sous-hypothèses, nous nous intéresserons à la notion de cadrage. Ce concept peut être défini de la manière suivante :

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To frame is to select some aspects of a perceived reality and make them more salient in a communicating text, in such a way as to promote a particular problem definition, causal interpretation, moral evaluation, and/or treatment recommendation for the item described. (Entman, 1993 : 52 cité par Lemarier : 2016)

Comme le souligne Lemarier (2016), l’étude du cadrage peut avoir plusieurs visées mais dans notre analyse, nous nous intéresserons uniquement au cadrage en tant que manière qu’ont les médias de construire et présenter un événement médiatique. Nous ne nous intéresserons en revanche pas aux effets sur le public ni à sa perception des cadres présents dans les bulletins d’information. Norris pour sa part parle de l’importance de comprendre les cadrages médiatiques pour la compréhension des discours issus des médias :

As Pippa Norris argues, to understand news it is first necessary to understand the various "frames" within which news narratives are contextualized (see also Entman 1989). These frames provide an interpretative structure that enables a particular story to be described, but they are not value-free. They are, rather, ritualized ways to understand the world, of presenting a reality that excludes/includes, and that emphasizes/plays down certain facts. (1997, cité par Byerly & Ross, 2006 : 39-40)

Rappelons que le cadrage est inhérent au travail journalistique : il serait impossible de rédiger un article ou une chronique radio exempte de tout cadre. Dans une perspective plus large, tout discours est constitué d’un certain cadrage. Toutefois, un usage répété des mêmes cadres a pour conséquence de les invisibiliser, et de les faire passer pour la norme, la seule manière de voir les choses.

Nous convoquons également la notion de mise en scène. Ici la mise en scène est à comprendre dans le sens où, dès le moment où il y a la conscience des regards sur soi, nous considérons qu’il y a mise en scène, qu’elle soit consciente ou non. C’est-à-dire simplement que nous n’agissons pas de la même manière si nous sommes seuls, ou si nous nous pensons observés. Dans le cadre des personnalités politiques cela est particulièrement prégnant, puisqu’elles savent que leurs actions pourront être rapportées à un grand nombre de personnes dans les médias. La mise en scène est ici à comprendre dans le sens de se présenter publiquement en sachant que cette apparition pourra donner lieu à des commentaires médiatiques.

4.2.2 Méthodologie

Pour tester cette hypothèse, nous relèverons les éléments qui participent des cadres de la mise en scène du corps ainsi que de la mise en scène des émotions. Nous relèverons donc le champ lexical de ces deux cadres.

Pour le premier cadre nous relèverons toute mention ou description de l’apparence physique des deux démissionnaires, qu’il s’agisse des cheveux, des vêtements, du visage et de ses expressions. Nous prendrons également en compte l’âge, quoiqu’il faille manier cet indicateur avec prudence, car une mention de l’âge n’a pas forcément pour but de souligner la beauté ou la laideur d’une personne. À plus forte raison dans

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le cadre d’une démission, rappeler l’âge peut servir à souligner la proximité (ou non) avec l’âge de la retraite en Suisse, et donc à justifier le départ du Conseil fédéral.

Après cet inventaire, nous passerons à une analyse plus détaillée de certaines des mentions relevées, afin de comprendre quelles caractéristiques physiques sont mises en valeur chez Mme Leuthard et M. Schneider-Ammann, comment les journalistes convoquent ces descriptions et ce qu’ils en disent.

Tout comme nous l’avons relevé plus haut, nous retrouvons différents intervenants dans les bulletins d’information figurant à notre corpus : des journalistes, ainsi que des personnes interviewées (des personnalités politiques pour la plupart, mais pas exclusivement). Et parmi ces personnes interviewées, certaines s’expriment en direct, d’autres sont en fait des retransmissions d’interviews enregistrées avant le journal horaire. Nous différencierons ces trois niveaux d’énonciation dans notre analyse, en relevant les éléments constitutifs de l’apparence des personnes démissionnaires comme suit :

Doris Leuthard

Journaliste D. Leuthard Itw autre

mention/description de l'apparence physique

cheveux

vêtements

visage et

expressions

rappel de l'âge

Johann Schneider-Ammann

Journaliste J. Schneider-A. Itw autre

mention/description de l'apparence physique

cheveux

vêtements

visage et

expressions

rappel de l'âge

Après cette analyse de la mise en scène des corps, nous nous pencherons sur la mise en scène des émotions. Nous procéderons de manière analogue que pour la sous-hypothèse 2a) : un inventaire des différentes émotions attribuées à Mme Leuthard et

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M. Schneider-Ammann, suivi d’une analyse plus précise de certains extraits. Ceci afin de comprendre ce que les journalistes cherchent à dire en convoquant les émotions de l’une ou l’autre personne démissionnaire, comment ces émotions sont mises en scène et surtout ce qu’elles disent de la manière dont le discours médiatique fait une différenciation (ou non) sur la base du genre. Nous nous attendons à retrouver une insistance de la part des journalistes sur les émotions de Mme Leuthard, contrairement à celles de M. Schneider-Ammann. En effet, les femmes sont considérées comme étant plus émotives que les hommes, moins stables émotionnellement parlant (Boquet

& Lett, 2018). De plus, Durrer, Jufer et Pahud (2009 : 344) soulignent que les médias font souvent appel à des procédés d’intimisation et ce, particulièrement à l’égard des femmes. Or, parler des émotions fait partie de ce procédé qui vise à mettre en avant une « human touch », en parlant de la vie privée ainsi que des sentiments de la personnalité interviewée. Il nous paraît donc probable de trouver dans notre corpus une certaine insistance sur les émotions de Mme Leuthard, insistance que nous ne pensons pas trouver concernant les émotions de M. Schneider-Ammann.

Afin de mener à bien notre analyse, nous relèverons les éléments constitutifs d’une mise en scène des émotions comme suit :

Doris Leuthard

Journaliste D. Leuthard Itw autre Mention d’une

émotion

Johann Schneider-Ammann

Journaliste J. Schneider-A. Itw autre Mention d’une

émotion

4.3 Hypothèse 3

Les journalistes valorisent la parole des hommes politiques, contrairement à la parole des femmes politiques qui est dévalorisée.

4.3.1 Opérationnalisation

Dans le cadre de cette hypothèse, nous chercherons à déterminer à quel point les journalistes valorisent la parole des hommes politiques au détriment de la parole des femmes politiques. Nous nous intéresserons uniquement à la parole de M. Schneider-Ammann et à celle de Mme Leuthard. Nous avons fait ce choix car nous concentrer sur leurs interventions plutôt que celle des autres personnalités politiques interviewées nous permet de comparer deux figures ayant un statut similaire. Ainsi, la variable de genre est isolée d’autres variables telles que l’expérience politique par exemple.

Nous nous intéresserons au discours, et notamment au discours rapporté.

Charaudeau en donne la définition suivante :

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Le discours rapporté est l’acte d’énonciation par lequel un locuteur (Loc/r) rapporte (Dr) ce qui a été dit (Do) par un autre locuteur (Loc/o), à l’adresse d’un interlocuteur (Interloc/r) qui, en principe, n’est pas l’interlocuteur d’origine (Interloc/o). À quoi il fait ajouter que le locuteur et l’interlocuteur d’origine (Do, Loc/o et Interloc/o) se trouvent dans un espace-temps (Eo-To) différent (Er-Tr) de celui du dit rapporté (Dr), du locuteur-rapporteur (Loc/r) et de l’interlocuteur final (Interloc/r). […]

Le discours rapporté se caractérise donc par l’enchâssement d’un dit dans un autre dit, une manifestation de l’hétérogénéité du discours, mais d’une hétérogénéité qui est marquée par des indices indiquant qu’une partie au moins de ce qui est dit est attribuable à un autre locuteur que celui qui parle. (2011 : 133)

Concernant les différentes formes de retranscription du discours, voici celles que nous prendrons en compte :

 Le discours direct : les propos d’une personne sont énoncés par cette dernière, via la rediffusion d’un entretien enregistré

 Le discours rapporté direct : les propos d’une personne sont énoncés par un autre locuteur, qui introduit la citation via un verbe introducteur et sans la modifier.

 Le discours rapporté indirect : les propos d’une personne sont énoncés par un autre locuteur, sans toutefois que l’exactitude en soit garantie. Ils subissent une altération, sous la forme d’une transposition au niveau des temps verbaux et des personnes. Les propos sont introduits à l’aide d’un verbe introducteur. Le discours rapporté indirect se trouve donc sous la forme d’une proposition subordonnée.

 Le discours indirect libre : il est similaire au discours rapporté indirect, mais le verbe introducteur disparaît. Ainsi le propos rapporté s’intègre complètement au discours du locuteur-rapporteur.

4.3.2 Méthodologie

Pour tester cette hypothèse nous commencerons par décompter le nombre d’interventions de chacun des deux conseillers fédéraux démissionnaires, qui ont été intégrées aux journaux radiophoniques. Ensuite nous comparerons leur durée ainsi que leur longueur. Après cela nous nous intéresserons à la question de la polyphonie via les modes de retranscription des discours des deux figures politiques qui nous intéressent. Ensuite de quoi nous nous intéresserons aux verbes introducteurs utilisés pour retranscrire les paroles des deux démissionnaires. Enfin nous élargirons notre analyse en nous penchant sur le temps accordé au traitement des démission, via la longueur des bulletins d’information.

La vérification de cette hypothèse se base donc particulièrement sur l’analyse de contenu. En commençant par décompter le nombre d’interventions de Mme Leuthard et M. Schneider-Ammann, nous pouvons relever si une différence d’intérêt pour la parole de l’un ou de l’autre se démarque de manière purement quantitative. La comparaison de la durée (en secondes) et de la longueur (en nombre de mots) permet

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d’affiner le premier résultat. En effet, il est envisageable que l’une des deux personnes démissionnaires ait peu d’interventions relayées par les journalistes dans les bulletins d’information, mais que ses interventions soient longues et donc que comparativement, sa parole ne soit finalement pas réellement défavorisée, puisqu’elle aurait moins d’interventions mais des interventions plus fournies. Nous prendrons en compte tant la durée que le nombre de mots, afin de nous assurer que nos résultats ne soient pas biaisés par le fait que les deux personnes démissionnaires aient un débit de parole très différent, l’une parlant beaucoup plus lentement que l’autre, par exemple.

Nous nous intéresserons également à la manière dont la parole de M. Schneider-Ammann et Mme Leuthard est intégrée au discours journalistique, c’est-à-dire à la question de la polyphonie au niveau de production du discours. Pour cela nous observerons les formes de retranscription du discours utilisées. Cette analyse nous permettra de tester l’adhésion – ou au contraire, une certaine mise à distance – des journalistes à la parole des deux personnalités démissionnaires.

Nous nous aiderons du tableau suivant afin de mener à bien notre analyse :

DL JSA

Discours direct

Discours rapporté direct Discours rapporté indirect Discours indirect libre

Total

Toujours dans le but de tester l’adhésion des journalistes, nous analyserons les verbes introducteurs utilisés par les journalistes pour rapporter les paroles de Mme Leuthard et M. Schneider-Ammann. En effet, les verbes de paroles peuvent par exemple retranscrire certaines attitudes des journalistes vis-à-vis de la crédibilité des propos rapportés, ou exprimer un jugement évaluatif.

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