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Traitement médiatique des femmes

3.1 Genre et médias

3.1.4 Traitement médiatique des femmes

De nombreuses recherches se sont intéressées au traitement médiatique réservé aux femmes : plusieurs phénomènes ont été observés. Ils ne sont en général pas créés de toutes pièces par les journalistes, mais corroborent plutôt des stéréotypes de genre préexistants. Nous allons détailler ici certains aspects du discours médiatique réservé aux femmes.

3.1.4.1 Invisibilisation

De nombreuses recherches tendent à prouver que les femmes sont invisibilisées dans les médias. Carter, Branston et Allan soulignent dans l’introduction de leur ouvrage News, Gender and Power ce phénomène dans le rapport des journalistes aux sources :

Studies of media-source relations show that journalists tend to rely primarily upon white, middle-class, middle-aged, professional males as sources, particularly when ‘expert’ opinions are being accessed. (1998 : 5)

Outre la préférence pour des hommes lors d’interventions d’experts, l’invisibilisation des femmes peut être généralisée à toutes les catégories de personnes présentes dans les médias. Alors même que les femmes constituent 50% de la population, dans les médias leur représentation s’élève à 24% au niveau mondial (Source : GMMP 2015). On pourrait supposer que cela s’explique par leur moindre présence dans la majorité des cercles de pouvoir et des postes à responsabilité (absence qui s’expliquerait entre autres par le plafond de verre, empêchant les femmes d’atteindre les postes les plus élevés dans les entreprises ou en politique). Cependant, même lorsqu’il s’agit de personnes dont le métier n’est pas le sujet du reportage, ce sont toujours les hommes qui sont représentés plus massivement que les femmes. C’est ce que constate le rapport 2015 du GMMP : parmi les retraités représentés dans les médias, seules 35% sont des femmes. On observe cette même tendance pour d’autres catégories de personnes dont l’occupation n’est pas mentionnée, comme les villageois

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ou résidents sans autre occupation indiquée, ou les personnes sans emploi. Ainsi, le plafond de verre ne suffit pas à expliquer à lui seul l’invisibilisation des femmes dans les médias. Le problème de cette invisibilisation est qu’elle renforce le sentiment que les femmes sont absentes des sphères de pouvoir, et même de l’ensemble de la société.

Un autre aspect de l’invisibilisation des femmes relevé par Durrer (2000 : 114) est l’invisibilisation de leur activité professionnelle. La chercheuse constate dans son corpus que « [l’]engagement professionnel [des femmes] est souvent moins explicitement exposé que celui des hommes » (Durrer, 2000 : 111). Elle souligne que l’identité personnelle des femmes est elle aussi régulièrement tue. Selon Durrer, Jufer et Pahud, nous pouvons constater le phénomène suivant :

Les hommes sont plus souvent mentionnés par leur prénom et leur nom de famille, alors que les femmes, si elles ne sont pas anonymes, sont nommées surtout par leur prénom ou leur affiliation. (Laplanche : 2010)

La stratégie d’affiliation consiste à nommer une femme en tant que « fille de »,

« épouse de » ou encore « mère de » plutôt que par son propre statut professionnel ou social. Son existence propre se trouve donc invisibilisée, au profit de sa relation avec un homme. Selon Fowler (1991, cité par Freedman, 1997 : 60), les « relations conjugales et familiales [des femmes] sont souvent mises au premier plan sans aucune raison car l’identité publique des femmes est perçue comme dépendante de ces rapports privés. ». Nous pouvons citer en exemple le cas d’Amal Clooney, avocate spécialisée dans les droits humains qui, même lorsqu’elle fait des apparitions strictement professionnelles, est renvoyée à son statut d’épouse de George Clooney.

En mettant en avant les rôles familiaux des femmes, ce sont souvent leur identité personnelle ou leur activité professionnelle (voire les deux), c’est-à-dire une partie de leur identité en tant qu’individu, qui sont invisibilisées.

Toujours dans un processus d’invisibilisation, nous pouvons encore constater que les voix des femmes sont moins mises en avant que celles des hommes : « On restitue plus rarement au discours direct les propos d’une femme que ceux d’un homme » (Durrer, 2000 : 111). Ainsi, la parole des femmes est dévalorisée, et leur opinion est plus rarement médiatisée.

Un autre procédé d’invisibilisation, plus insidieux, se situe au niveau du langage. En effet, en français, une règle de grammaire prétend que le masculin l’emporte sur le féminin. Ainsi, si on parle d’un groupe de personnes réunissant des hommes et des femmes, l’utilisation du masculin sera de rigueur, peu importe la proportion de représentants de chaque genre. Ainsi, si un journal titre « Climat : des chercheurs tirent la sonnette d’alarme », la présence éventuelle de femmes parmi ces chercheurs est invisibilisée, puisque le terme est au masculin. De plus, dans l’exemple présent, cela renforce l’impression que la science n’est pas un domaine de femmes.

En outre, nous pouvons observer que le masculin est considéré comme la norme, et le féminin comme un signe particulier. Julliard et Olivesi (2011) relèvent à ce sujet que

« la masculinité hégémonique s’appuie sur « son invisibilité et son apparente neutralité » (Connell, 2005, cité par Quemener, 2012) tandis que la féminité constitue

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une « marque » (Guillaumin, 1992) ». Ainsi, être une femme est déjà un trait particulier en soi, contrairement à la masculinité. Donc, en l’absence du signe « femme », un être humain va, par défaut, être considéré comme un homme. À ce sujet Bourdieu relève que l’homme est considéré comme « l’être universel », il est « socialement autorisé à se sentir porteur de la forme entière de l'humaine condition ». Il justifie :

« C'est ce que dit la langue lorsque, par un homme, elle désigne non seulement l'être humain mâle, mais l'être humain en général et qu'elle emploie le masculin pour parler de l'humanité. Et la force de l'évidence doxique se voit au fait que cette monopolisation grammaticale de l'universel, aujourd'hui reconnue, n'est apparue dans sa vérité qu'à la suite de la critique féministe. » (1990 : 7)

À ce sujet, Durrer, Jufer et Pahud parlent de la valeur générique du masculin, c’est-à-dire qu’est conféré au masculin une valeur universelle. Elles expliquent : « Toutefois, cette valeur générique est mise en cause par la propension de la majorité des sujets parlants à faire coïncider genre grammatical et genre naturel » (2000 : 208). Cela signifie qu’on prête aux mots des caractéristiques et des stéréotypes selon leur genre grammatical. Ainsi, le genre grammatical masculin ne serait pas générique, mais renverrait bien à des représentations, « des connotations et une idéologie qui sont liées au statut social de l’homme » (ibid.). Cela signifie qu’en utilisant un masculin supposément générique, nous mettons en réalité en avant le genre masculin uniquement, et invisibilisons le genre féminin.

En résumé, l’invisibilisation des femmes dans les discours médiatiques se présente sous différentes formes :

 Une sous-représentation des femmes, toute catégorie de personnes confondues

 La non-mention de leur activité professionnelle

 La non-mention ou la mention parcellaire de leur identité personnelle

 L’affiliation

 La moindre valorisation de leur voix comparée à celle des hommes

 La règle grammaticale du masculin qui l’emporte sur le féminin

 L’utilisation du masculin comme ayant une valeur supposément générique

3.1.4.2 Insistance sur l’apparence physique

Alors que plusieurs aspects de l’identité des femmes sont souvent passés sous silence leur apparence physique, elle, est mise en avant. Fowler (1991, cité par Freedman, 1997 : 60) constate « une prolifération d’expressions désignant les attributs physiques et sexuels des femmes ; à l’évidence une exagération du corporel est au centre de la représentation discursive du paradigme féminin ». Freedman souligne pour sa part que « les femmes sont en général aperçues, représentées, jugées en fonction de leur apparence physique beaucoup plus que les hommes » (1997 : 81). Sourd (2005) relève que cette attention portée non seulement à l’apparence physique des femmes, mais aussi à leurs tenues vestimentaires ou leur silhouette, s’associe à un rappel récurrent du champ notionnel de la séduction. Ainsi, alors que l’identité et la parole des femmes sont passées sous silence, leur image est quant à elle surreprésentée.

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C’est également ce que constate Durrer : les femmes assument souvent un rôle d’illustration.

Ainsi les photographies de femmes sont elles plutôt nombreuses au regard de leur présence dans les textes. Les femmes deviennent même majoritaires dans le cas des illustrations sans lien personnel avec les personnes évoquées dans les articles. Dans de tels cas, on observe que les femmes apparaissent souvent de façon anonyme. Elles ont alors pour fonction d’emblématiser la pauvreté, les souffrances de la guerre, le marché de la mode, le monde de l’hôpital, le public des journaux etc. Le plus souvent, il ne sera donné aucune information personnelle sur les femmes photographiées, dont l’anonymat ne sera pas levé.

(2000 : 111)

Cette insistance sur le corps des femmes les cantonne à un rôle d’images qui, par définition, sont immobiles, passives et muettes. Dans ce cas-là, nous pouvons considérer que leur potentialité d’action est niée.

3.1.4.3 Position de victime

Un autre topos récurrent des femmes dans les médias est celui de la victime, qui place les femmes en position de passivité, d’impuissance (Ross, 2010 : 119, voir aussi Byerly & Ross, 2006 : 41), Selon les résultats du GMMP 2015, au niveau mondial 16

% des femmes et 8 % des hommes présents dans les médias sont décrits comme des victimes. Dans son dernier rapport, le GMMP relève le phénomène suivant :

On persiste à présenter les femmes dans des positions de victimes impuissantes, contrairement aux photos des hommes, habituellement de profil, en tant que figures stoïques, fortes et autoritaires.

Durrer (2000) fait le même constat au niveau de la presse romande, qui représente volontiers des femmes en pleurs, qu’il s’agisse de photographies ou d’évocations de femmes en larmes, ou au bord des larmes. Cette insistance sur la figure de la victime souligne le caractère supposément fragile et vulnérable des femmes, sur leur prétendues passivité et dépendance vis-à-vis des hommes (Byerly & Ross, 2006 : 42).

3.1.4.4 Infantilisation

Un autre aspect récurrent de la représentation des femmes dans les médias est leur infantilisation. Selon Durrer (2000) elle passe par deux procédés principaux : le recours au seul prénom ainsi que l’usage abusif des qualificatifs jeune et petit. Nous avons déjà évoqué l’omission du nom de famille plus haut, en parlant de l’invisibilisation des femmes. La chercheuse commente : « Le recours au seul prénom est une stratégie infantilisante, dans la mesure où ce sont les enfants que l’on se permet d’évoquer en ces termes ». Nous pouvons mentionner l’exemple français des deux candidats à la présidentielle de 2007, Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy. Dans les diminutifs qui leur avait été attribués, c’est le prénom de la première et le nom du second qui avaient été retenus, formant le binôme « Sego & Sarko ». Et effectivement, Olivesi (2012 : 168-169) a relevé plus d’occurrences du prénom seul de Ségolène Royal que de Nicolas Sarkozy dans son corpus. Outre l’aspect infantilisant, l’utilisation du prénom seul renvoie à la sphère du privé, sphère dévolue au féminin.

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Quant à l’utilisation des qualificatifs jeune et petit, Durrer (2000) constate qu’ils sont régulièrement appliqués aux femmes dans le discours médiatique. L’adjectif jeune peut selon elle être utilisé jusqu’à un âge avancé, avant d’être remplacé par petit, lorsque le premier devient trop inadéquat. Qualifier quelqu’un de jeune peut certes être laudatif, la jeunesse étant connotée positivement sous certains aspects – apparence physique, dynamisme… – mais ce qualificatif renvoie également à l’idée d’inexpérience. Il peut en outre être, nous venons de le dire, un rappel de l’apparence jeune – donc supposément attrayante – de la personne et ainsi constituer un renvoi à son apparence physique.

Nous avons effectué un panorama qui tente de regrouper bon nombre de phénomènes observés dans le discours médiatique au sujet des femmes. Il nous faut toutefois rappeler ici que même si ces stratégies sont majoritairement utilisées pour parler des femmes, elles peuvent aussi s’observer chez des hommes. En effet, elles s’expriment non pas en termes d’exclusivité mais de préférentialité. Durrer souligne :

Il n’existe aucune forme qui soit réservée aux femmes. En revanche, on peut observer que le discours produit sur les femmes fait un usage préférentiel de certaines formes. (2000 : 119)

De même que les femmes ne sont pas les cibles exclusives de ces stratégies, nous pouvons également trouver des contre-exemples : des femmes dont le nom et la profession, de même que la parole sont rapportées, sans mention aucune de leur famille, par exemple. Mais encore une fois, ces phénomènes listés plus haut sont généralement utilisés pour parler des femmes dans le discours médiatique.

Il faut encore souligner que dans ce cadre théorique, nous avons mis l’accent sur le traitement médiatique des femmes, et pas des hommes. Cela s’explique par le fait que les hommes, étant considérés comme la norme, sont moins étudiés que les femmes, vues comme la marge. Toutefois, les observations concernant le traitement médiatique des femmes sont toujours faites en comparaison avec le traitement médiatique des hommes. Ainsi, en discutant de la représentation des premières dans les médias, nous pouvons de facto comprendre quelle est celle des seconds, par une définition en creux.

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