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4.4 Corpus

5.2.1 Sous-hypothèse 2a)

Ce cadrage opère via une valorisation plus importante de la mise en scène du corps dans le cas d’une femme politique que d’un homme politique.

Dans notre corpus, nous ne retrouvons pas de mention directe du corps de Johann Schneider-Ammann ou de Doris Leuthard. Par contre, nous pouvons déceler des indices de cadrage sur l’apparence physique des démissionnaires. Nous avons réuni ces indices dans les tableaux suivants :

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Doris Leuthard

Journaliste D. Leuthard Itw autre

mention/description de l'apparence physique

« Son sourire, son dynamisme, ses intonations parfois surprenantes, son franc-parler, bien éloigné de la retenue ou de la froide maîtrise de ses collègues la rendaient peut-être un peu plus humaine. » JF

RadioLac

« Doris Leuthard le sourire dans la voix, qui a plaisanté sur la difficulté de choisir le bon moment pour ans quittera le Conseil fédéral à la fin de cette année après 12 ans vous allez lui dire et lui souhaiter pour la suite, parce qu’elle a que 55 ans ! » NH RTS

« Après Johann Schneider-Ammann, Doris Leuthard, la conseillère fédérale de 55 ans a annoncé ce matin son départ après 12 ans passés au Conseil fédéral. » QL OneFM

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Johann Schneider-Ammann

Journaliste J. Schneider-A. Itw autre

mention/descriptio n de l'apparence physique conseillers fédéraux démissionnaires. L’âge peut être un indice sur l’apparence physique, car la beauté est souvent associée à la jeunesse. Dans notre corpus, nous observons ainsi diverses mentions de l’âge de M. Schneider-Ammann et Mme Leuthard : 6 pour le premier (dont 4 faites par des journalistes, 1 par lui-même en rediffusion et 1 par M. Nantermod en direct) et 7 pour la seconde (dont 5 faites par des journalistes et 2 par elle-même). Compte tenu du fait que M. Nantermod est intervenu en direct sur les ondes de La Première, nous ne pouvons pas considérer que sa remarque est le fait des journalistes, contrairement à l’éventualité où son interview aurait été enregistrée et donc l’extrait aurait été choisi. En revanche, la propre remarque de M. Schneider-Ammann sur son âge est une rediffusion, de même que celles de Mme Leuthard. Ainsi, le nombre de mentions de l’âge de Mme Leuthard est très légèrement plus élevé que M. Schneider-Ammann.

En prenant en compte les stations radio, nous faisons un constat intéressant : les radios privées (RadioLac et OneFM) mentionnent l’âge des deux candidats, et celui de M. Schneider-Ammann est plus fréquemment cité (quatre contre deux). Les journalistes de la RTS en revanche ne mentionnent pas une seule fois l’âge de M.

Schneider-Ammann, mais celui de Mme Leuthard apparaît trois fois. Toujours sur les

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ondes de la RTS, l’âge est évoqué par les intéressés eux-mêmes dans des diffusions d’interviews pré-enregistrées : une fois pour M. Schneider-Ammann, deux fois pour Mme Leuthard. Cela laisse supposer un traitement différent de l’âge des démissionnaires. Ainsi, sur les stations radio privées, l’âge semble être considéré comme une information donnée sur la personnalité politique qui démissionne, au même titre que son appartenance politique par exemple. Sur la RTS en revanche, nous constatons un traitement différencié selon le genre. Il nous faut souligner ici que c’est une seule et même journaliste qui mentionne trois fois l’âge de Mme Leuthard, Nadine Haltiner. Cela laisse supposer qu’il s’agit peut-être d’une pratique individuelle plutôt qu’un fonctionnement inhérent à la rédaction dans son ensemble. Cependant, notre corpus est trop restreint pour nous permettre d’affirmer cela avec certitude.

Nous devons manier l’âge comme indicateur avec prudence, car des journalistes peuvent mentionner l’âge de personnalités politiques pour diverses raisons, il ne s’agit pas forcément uniquement de souligner l’apparence physique (la jeunesse ou la vieillesse) de la personne. En effet, et surtout dans le cas de démissions, parler de l’âge peut servir à souligner la proximité – ou non – avec l’âge de la retraite. Et effectivement, dans les extraits de notre corpus, il est difficile de prouver que les mentions de l’âge seraient des sous-entendus sur la jeunesse ou la vieillesse des démissionnaires.

D’un autre côté, rien n’explique alors les mentions de l’âge de Mme Leuthard. Si, concernant M. Schneider-Ammann, le but est de souligner la proximité avec l’âge de la retraite, qu’en est-il pour Mme Leuthard ? S’agit-il de sous-entendre qu’elle est trop jeune pour la retraite, et qu’elle devrait encore travailler ? Mais au fond, elle dit elle-même qu’elle va probablement continuer à exercer une activité, lorsqu’elle répond qu’elle « peu[t] encore faire quelque chose ». S’agirait-il alors d’un tic journalistique, qui serait effectivement indépendant du genre du politicien ou de la politicienne ? Quelle que soit la raison qui explique ces mentions, il apparaît que l’âge de Mme Leuthard est relevé un plus grand nombre de fois que celui de M. Schneider-Ammann dans notre corpus, mais que la différence est très légère.

Outre l’âge, nous relevons dans notre corpus un autre élément qui a trait à l’apparence physique : le sourire, et en l’occurrence celui de Mme Leuthard. Les journalistes reviennent deux fois sur son sourire, la mention d’Alexandra Richard du « sourire dans la voix » de Mme Leuthard étant probablement à comprendre au sens figuré, c’est-à-dire qu’elle aurait un ton qui laisse entendre qu’elle plaisante. En revanche la remarque de Nadine Haltiner sur le fait que le sourire de Mme Leuthard aurait marqué la politique suisse ne laisse aucune place au doute : il est bel et bien question de l’expression faciale de Mme Leuthard. Et d’ailleurs, il est curieux d’entendre dire que Mme Leuthard a marqué la politique suisse grâce à son sourire. Si elle a marqué la politique suisse, ne serait-ce pas plutôt grâce à son travail ou aux réformes qu’elle a apportées ? Sans compter qu’il est peu probable qu’une telle remarque soit faite concernant un homme.

On imagine mal entendre dire de M. Schneider-Ammann (ou de tout autre politicien) qu’il aurait marqué la politique suisse de son sourire. Traits de caractères individuels mis à part, il est certes vrai que les femmes sourient plus souvent que les hommes (Fischer & LaFrance, 2015). Ainsi, nous pourrions imaginer qu’il est plus probable que les journalistes rapportent les sourires féminins, puisque plus fréquents. Malgré tout,

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cette insistance sur le sourire des femmes renforce du même coup l’impression qu’elles sourient plus, en visibilisant ceux-ci uniquement, et en invisibilisant les sourires masculins. Et puis peut-on vraiment marquer la politique uniquement en souriant ? Nous nous permettons d’en douter.

L’autre remarque présente dans notre corpus qui mentionne le sourire de Mme Leuthard vient de Jérôme Favre, journaliste à RadioLac :

La PDC a parfois fâché, notamment dans les régions de montagne, mais elle était incroyablement populaire. Son sourire, son dynamisme, ses intonations parfois surprenantes, son franc-parler, bien éloigné de la retenue ou de la froide maîtrise de ses collègues la rendaient peut-être un peu plus humaine.

Ici nous retrouvons l’idée, déjà discutée dans le cadre de l’analyse de notre première hypothèse, que les femmes (ou du moins Doris Leuthard) seraient plus proches des gens, plus chaleureuses, en opposition à des ministres masculins présentés comme froids et distants (mais du même coup maîtres de leurs émotions). Cela dit, au-delà de la problématique liée au fait de souligner un élément correspondant aux stéréotypes du genre de la personne, il peut sembler compréhensible de parler du sourire de quelqu’un dans le but de souligner sa popularité. Plus en tout cas que parler du sourire comme élément marquant en politique. Toutefois, une question nous semble légitime : les journalistes mesureraient-ils la popularité d’un homme politique à son sourire, comme le fait ici Jérôme Favre avec Mme Leuthard ? Cela nous paraît peu probable.

Au-delà du sourire, nous relevons que les qualités attribuées par Jérôme Favre à Mme Leuthard sont toutes relatives à sa présentation et sa personnalité : « son sourire, son dynamisme, ses intonations parfois surprenantes, son franc-parler ». Mais aucune ne souligne son travail ou son intelligence par exemple. Cela donne l’impression que pour une femme politique, c’est son apparence et son attitude qui décident de sa popularité ou de son impopularité.

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