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L'élection de for par le de cujus

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L'élection de for par le de cujus

ROMANO, Gian Paolo

ROMANO, Gian Paolo. L'élection de for par le de cujus. Successio , 2019, no. 3, p. 207-223

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:135127

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1.  Je souhaiterais remercier chaleureusement le Professeur Bonomi de nous avoir réunis en cette belle journée tardo-estivale. C’est un plaisir d’être aux côtés de tant de collègues estimables même si c’est pour parler de… décès et de ses conséquences, et de la planification de ses conséquences. Je tiens à saluer le grand travail de Thomas Meyer, qui s’est chargé de la lourde tâche d’établir le Rapport expli- catif à l’Avant-Projet1 et de compiler les observations qu’il a suscitées. Il n’est que juste de lui exprimer toute notre gratitude. A la suite du partage – au de- meurant parfaitement amiable – des sujets entre les orateurs, il m’incombe de traiter de l’élection de for par le ou la de cujus. En suivant la Loi fédérale sur le droit international privé (« LDIP »), il convient de distinguer la succession d’un-e ressortissant-e suisse domicilié-e à l’étranger, d’une part (1) et, d’autre part, celle d’un-e ressortissant-e étranger/-ère – ou, et c’est l’une des nouveautés « avant-projetées », du Suisse ou de la Suissesse bi-national-e ou pluri-na- tional-e – domicilié-e en Suisse (2).

1. Election de for par un-e ressortis- sant-e suisse domiciliée à l’étranger

2.  Comment est-on arrivé à reconnaître à un être humain, dont la vie se déploie à travers les frontières, et titulaire notamment d’un patrimoine « multi-na- tional », c’est-à-dire distribué sur les territoires de

1 Modification de la loi fédérale sur le droit international privé (Successions), Rapport explicatif à l’Avant-projet, 14 février 2018, <https ://www.ejpd.admin.ch/dam/data/

bj/aktuell/news/2018/2018-02-14/vn-ber-f.pdf>.

L’élection de for par le de cujus

Gian Paolo Romano*

plusieurs pays, la possibilité de choisir le for compé- tent pour « s’occuper »2 du règlement post-mortem de celui-ci, notamment entre le for de son dernier domicile et celui de l’Etat ou de l’un des Etats dont il a la nationalité ? Les origines de cette proposition sont intéressantes.

Le Rapport explicatif commence par constater que la LDIP, à l’article  87 al.  2, permet déjà au

« Suisse de l’étranger »  – Auslandschweizer : selon les statistiques de l’Administration fédérale, il y en auraient environ 770 000 fin 20183 – de choisir le for suisse de son Canton et lieu d’origine4. La réforme procède d’un constat du droit positif, de cette proro- gation de for suisse qu’il consacre. « Prorogation » unilatérale cependant, « unidirectionnelle », car elle ne profite expressément qu’au for helvétique. Mais prorogation offerte également à ceux des Suisses vivant à l’étranger qui possèdent une double (ou multiple) nationalité. C’est le cas de presque trois quarts de ces Helvètes établis hors de Suisse5.

2 C’est le terme utilisé par la LDIP aux articles 87 al. 1 et 88 al. 1.

3 DFAE, Statistiques des Suisses de l’étranger : <https://

www.eda.admin.ch/eda/dfae/vivre-etranger/publica- tions-statistiques.statistiques.html>.

4 Rapport explicatif (note 2), p. 12.

5 Pierre Dessemontet, « La Suisse compte 10 millions d’ha- bitants – La Suisse et ses doubles nationaux », Le Temps, 7 juillet 2018 : « Mais la thématique de la double nationa- lité ne saurait s’arrêter à nos frontières : en effet, 774 900 Suisses vivent à l’étranger. Parmi ceux-ci, une large ma- jorité – 569 700 personnes, soit 73,5 % – détiennent au moins deux nationalités ». Par exemple, l’ATF du 19 avril 2010, 5A_171/2010 a pour objet la succession d’un Suisse domicilié au Maroc qui n’était pas uniquement suisse, mais qui, né en Tunisie, était tout à la fois suisse, fran- çais et tunisien.

* Professeur à l’Université de Genève. Le texte élargit celui d’une intervention prononcée le 11 septembre 2019 à Lausanne. Le style oral a été le plus souvent maintenu.

Le langage « épicène » a été employé dans l’introduction et dans les intitulés ; il l’a été de manière plus sporadique dans le corps du texte. Je tiens à remercier sincèrement Gabrielle Peressin pour sa relecture attentive.

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Même si des études sociologiques font défaut6, une telle prorogation semble bien répondre à un be- soin. Je me souviens, au temps où je travaillais à l’Institut suisse de droit comparé, de l’avis de droit sollicité par une Suissesse, domiciliée en Bretagne, qui souhaitait choisir la Suisse comme lieu d’admi- nistration et distribution post mortem de ses biens : de préférence, de tous ses biens. Car elle en détenait également en France. Elle cherchait à savoir quelles étaient les chances que la France respecte une telle élection de for helvétique7. Il n’y a pas longtemps, une dame, d’âge avancé, vivant à Lausanne, son lieu d’origine, projetait de s’installer à Toulouse où elle avait quelques attaches familiales. Avant de mettre à exécution son projet, elle a exprimé à son notaire le vœu d’inscrire dans son testament une clause at- tributive de juridiction au profit des autorités lau- sannoises, le « siège » de son patrimoine se trouvant en Romandie. Un collègue de l’Université de Ge- nève me présente il y a tout juste une semaine à l’un de ses cousins, un Helvète installé en Argentine, qui s’interroge sur la manière d’établir un testament qui soit « internationalement valable », car il a des biens dans les deux pays et dans d’autres également. J’at- tire en passant son attention sur la possibilité que lui offre la Suisse de désigner les autorités de son lieu d’origine, Genève en l’espèce. Il m’en remercie cha- leureusement tout en revenant vers moi le lende- main pour me demander si un tel choix « serait ’ok’

pour l’Argentine ». Certains des Suisses « expatriés » en Afrique du Nord et au Moyen-Orient – dans la seule Dubaï, il y en a plus de 2000 – désirent conju- rer l’éventualité d’une immixtion des autorités et du droit « local » moyennant le choix du for et du droit suisses. Dans une affaire montée jusqu’à Mon Re- pos, le de cujus, vivant au Maroc, avait « expressé- ment écarté le droit marocain de son dernier domi-

6 Ce qu’on peut appeler la sociologie du droit internatio- nal privé  – qui peut être approximativement définie comme la branche de la sociologie du droit qui étudie les relations privées internationales  en prêtant attention, d’une part, aux pratiques effectives des acteurs, notam- ment des justiciables dont la vie se déploie à travers les frontières et, d’autre part et plus généralement, à la ma- nière dont ces justiciables vivent les conséquences des textes, et à la manière dont ils font face aux consé- quences des défauts de coordination entre les Etats quant aux textes mono-nationaux qu’ils se donnent, et donc à la menace de conflits internationaux de lois, d’au- torités, de juridictions et de décisions – est un domaine tout aussi intéressant, et crucial quand il s’agit de réfor- mer les dispositions existantes, qu’il est pour l’instant délaissé.

7 La réponse est aujourd’hui négative, sous la vigueur du Règlement Successions (v. infra, n° 3) ; elle l’était aussi à l’époque en vertu des règles françaises.

cile »8. La perception est répandue qu’un certain nombre de ces pays en tout cas – il n’est pas rare que la gestion des affaires successorales y soit confiée à des tribunaux religieux  – sont mal équipés pour s’occuper de la succession de membres de familles non-musulmanes d’origine européenne9.

Le for éligible qu’évoque l’article 87 al. 2 LDIP est celui du lieu d’origine. Non pas celui d’un autre lieu, et d’un autre Canton, avec lequel la personne a des liens, notamment parce qu’elle y a été domiciliée longtemps avant de s’expatrier ou parce qu’elle y possède l’essentiel de la composante suisse de son patrimoine. Mon ami Nicolas a vécu la majeure par- tie de sa vie dans le Canton de Vaud et s’est, depuis peu, installé en Thaïlande, comme un nombre crois- sant d’Helvètes, y compris retraités10. Il souhaiterait indiquer le Canton de Vaud, où se concentre l’essen- tiel de ses attaches familiales et patrimoniales, comme lieu du règlement de sa succession. Seule- ment, son lieu d’origine est situé dans le semi-Can- ton de Bâle-Campagne. Il n’y a jamais mis les pieds.

Son allemand laisse à désirer. Peut-il désigner le for vaudois qui lui est proche et écarter le for bâlois qu’il

8 ATF du 7 janvier 2010, 5A_620/2007, cons. 5.2.

9 Et ce alors même que ces Etats tendent à soumettre la succession du de cujus à la loi nationale, entre autres pour éviter qu’un étranger non-musulman soit soumise à la loi musulmane : v. p. ex. Ahmed Mohmed Elhawary,

« Regulation of Conflict of Laws in the United Arab Emirates », 27 Arab L.Q. 1 (2013), avec des références aux solutions adoptées par d’autres Etats de l’aire ara- bo-musulmane. Mais si le de cujus, bien qu’étranger (par exemple Suisse), est de confession musulmane, le Maroc, tout comme d’autres Etats, en soumettent la succession au droit marocain et, par conséquent, tout membre de sa famille qui ne serait pas musulman ne pourrait pas hériter de lui (article  332 de la « Mouda- wa na » : « Il n’y a pas de successibilité entre un musulman et un non musulman ») : Jad Aboulachbal, « Le cadre juri- dique des successions des étrangers au Maroc », 1er août 2018, <http ://www.cfcim.org/magazine/46944>. La suc- cession franco-allémano-helvético-égyptienne ayant donné lieu à ATF 143 III 51 (et à une dizaine de déci- sions, en France, en Allemagne, en Egypte et en Suisse) a pour objet la succession d’un Egyptien musulman ayant épousé une Allemande, laquelle avait été écartée de la succession par les autorités égyptiennes du fait de sa confession chrétienne. Pour un commentaire v. P.-H.

Steinauer, successio, 2017, p. 234 s., O. Gaillard, AJP, 2017, p. 799 s.

10 Les Suisses vivant en Thaïlande étaient à peine 3000 en 2000 et ils sont 9.330 fin 2018, c’est-à-dire dix fois plus que les Suisses vivant en Inde (644) et presque trois fois plus que les Suisses vivant en Chine (3300), dont le nombre est aussi en progression : <https ://www.bfs.

admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/population/migration- integration/suisses-etranger.assetdetail.7806801.html>.

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perçoit comme éloigné ? L’article 87 al. 2 LDIP ne semble pas l’y autoriser.

3. Comme le révèlent ces quelques exemples, il est permis de penser qu’une série de facteurs sont de nature à dissuader un certain nombre des Suissesses et Suisses de l’étranger d’exercer une professio fori en faveur des autorités helvétiques.

a) Il est d’abord probable qu’une grande partie de ces personnes ignorent que la LDIP leur ouvre une telle option. L’ignorance d’un droit subjectif n’en favorise pas l’exercice. Les représentations consu- laires de Suisse à travers le monde pourraient y re- médier en relayant l’information sur leur site inter- net notamment – tout comme certaines représenta- tions françaises attirent désormais l’attention des

« Français établis hors de France » sur les facilités que leur offre le « Règlement Successions »11  – ou dans la documentation qu’elles remettent à ces ex- patriés au moment de l’enregistrement.

b) Ensuite, et l’obstacle est plus sérieux, bon nombre des Etats d’« accueil » de ces Suisses ne re- connaîtraient pas une telle élection. La compétence de leurs autorités – du dernier domicile ou de la der- nière résidence habituelle du de cujus – ne saurait, de leur point de vue, être écartée par la seule vo- lonté de celui-ci. C’est le cas des 25 Etats membres de l’Union européenne liés par le Règlement Suc- cessions12. Environ 60 % des Suisses de l’étranger résident dans l’Union européenne – dont plus d’un quart, presque 200 000, en France13. Ainsi, le choix du for par la Suissesse résidant en France dans les deux espèces évoquées devrait demeurer sans effets pour la France. Il en va probablement de même des Suisses établis aux Etats-Unis –80 000, composant la première communauté helvétique résidant en de- hors de l’Europe  – pour lesquels le choix du for

11 Règlement (UE) No. 650/250 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des déci- sions, et l’acceptation et l’exécution des actes authen- tiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen. A titre d’exemple, v. le site de l’Ambassade de France à Zagreb, en Croatie :

<https ://hr.ambafrance.org/Successions-internationales- et-residence-a-l-etranger-nouvelles-regles>.

12 La « compétence générale » fixée à l’article 4 en faveur des autorités de l’Etat de la résidence habituelle du de cujus au moment du décès n’est écartée que très excep- tionnellement, en cas notamment d’accord d’élection de for parmi les survivants, et si le de cujus désigne pour applicable la loi d’un Etat membre, et non pas celle d’un Etat tiers (articles 5, 6 et 7). Sur la position hostile à la professio fori du Règlement, v. infra, n° 6.

13 Plus exactement, 198.000 : <https ://www.bfs.admin.ch/

bfs/fr/home/statistiques/population/migration-integration/

suisses-etranger.assetdetail.7826259.html>.

d’origine pourrait même, y compris à l’égard des biens meubles situés en Suisse, être tenu pour contraire au vieux Traité américano-suisse de 1850, qui est en encore en vigueur et prime la LDIP14. Ainsi égale- ment du Canada et de nombre de pays de l’Amé- rique du Sud, qui accueillent 10 % de ces « natio- naux de l’extérieur ». Toute incertitude quant à la disponibilité des Etats d’accueil à donner effet à une professio fori risque d’en paralyser en amont l’ex- ploitabilité. Mandatée par l’Administration fédérale, une étude de l’Institut suisse de droit comparé vi- sant les principaux pays d’expatriation des Helvètes pourrait concourir à dissiper une telle incertitude.

c) Il est vrai que, face au doute, le Suisse ou la Suissesse de l’étranger pourrait toujours circons- crire l’élection de for à la « part » de la succession

« se trouvant en Suisse », comme l’énonce l’article 87 al.  2 LDIP.  Mais cette perspective de « morcelle- ment juridictionnel », à supposer qu’elle soit com- prise par l’intéressé-e, peut lui paraître compliquée, dispendieuse et aléatoire. L’idée que son trépas en- traînera le travail de multiples autorités, financées en partie par les biens qu’il aura laissés, peut ne pas le séduire. La composition respective des masses situées en Suisse et dans l’Etat d’accueil peut ne pas être établie au moment du choix. Surtout, une telle composition peut changer après le décès du de cujus : des effets personnels, y compris de valeur, tels des tableaux ou du mobilier, sont déplacés d’une rési- dence à l’autre par les survivants qui les détiennent, souvent en toute bonne foi ou de concert avec d’autres survivants ; les actifs bancaires sont facile- ment transférés d’un compte à l’autre ; des immeubles sont aliénés et le produit de la vente « rapatrié ».

Comme le Tribunal fédéral l’a indiqué, le moment déterminant quant à la situation d’un bien aux fins d’affirmer ou décliner la compétence des autorités est, non pas le moment du décès mais le moment d’une éventuelle action en justice15. On sait qu’une telle action peut intervenir des années et même des

14 Traité entre la Confédération suisse et les Etats-Unis de l’Amérique du Nord conclu le 25 novembre 1850. L’ar- ticle 6 est communément interprété comme retenant, à la fois pour la compétence et le droit applicable, le ratta- chement au dernier domicile pour les meubles et au lieu de situation pour les immeubles. Sur la page consacrée aux « Relations bilatérales Suisse-Etats d’Unis d’Amé- rique », l’Administration fédérale rappelle qu’ « [o]n es- time qu’un million de personnes ayant des racines suisses vivent aux États-Unis » et qu’« entre 1700 et 2015, quelque 460 000 Suisses et Suissesses y ont émigré »

<https ://www.eda.admin.ch/eda/fr/dfae/representations- et-conseils-aux-voyageurs/etats-unis/suisse-etats-unis.

html>.

15 ATF du 28  novembre 2013, 5A_264/2013, et ATF du 30 mai 2008, 5C.291/2006.

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avoir eu d’attaches réelles avec ce lieu, alors qu’il en conserve avec celui de son dernier domicile suisse ou de situation des biens. L’« attractivité » de l’élec- tion de for pourrait être renforcée par l’introduction la possibilité d’élire, outre le for d’origine, égale- ment le for au dernier domicile suisse ou au lieu de situation d’une partie non négligeable des biens se trouvant en Suisse.

Ces remarques concourent probablement à expli- quer pourquoi c’est assez en vain qu’on chercherait, en dépouillant la jurisprudence du Tribunal fédéral mais aussi les décisions cantonales publiées, des af- faires marquées par une élection de for faite par le de cujus établi à l’étranger. En revanche, les cas où les Auslandschweizer – de France, Monaco, Argen- tine, Maroc … – ont fait une élection de droit suisse ne sont pas rares18. C’est qu’une telle élection de droit, contrairement à l’élection de for, est aujour- d’hui assez souvent respectée par les autorités de l’Etat d’accueil. Elle l’est en principe par les Etats appliquant le Règlement Successions. Un droit sub- jectif international – qui suppose, pour être exercé, des actes, activités ou démarches engageant les ter- ritoires « souverains » de deux ou plusieurs Etats – ne saurait exister si un seul Etat le reconnaît mais non pas l’autre. Des dispositions « mono-natio- nales », comme le sont celles inscrites dans la LDIP, sont impuissantes toutes seules à l’accorder.

Mais l’Avant-projet intervient plutôt dans la situa- tion inverse : celle d’un étranger établi en Suisse qui souhaiterait concentrer au sein de son Etat d’ori- gine les activités officielles du règlement de sa suc- cession.

18 TPI Monaco, du 16 janv. 2014, PO c/ WY (Suisse domi- cilié à Monaco) ; ATF du 7 janvier 2010, 5A_620/2007, cons. 5.2. (Suisse domicilié au Maroc) ; ATF du 18 oc- tobre 2017, 5A_325/2017 (Suissesse demeurant en France) ; Tribunal administratif NE, 7 septembre 1998, RJN, 1998, p. 262 (Suisse domicilié en Argentine) ; cf.

LG Kempten, 8 août 2002, IPRax, 2004, p. 530, note H.

Dörner (Suissesse domiciliée en Allemagne) ; SAP Bar- celone, 28  sept. 2004, n° 493/2003, JUR 2004/289919 (Suisse domicilié en Espagne).

décennies après l’ouverture de la succession. Et quid des biens qui ne sont situés ni en Suisse ni dans l’Etat du domicile ? En endossant le point de vue de notre Helvète d’Argentine, la perspective que les autorités suisses et les autorités argentines puissent s’engager dans un conflit pour s’adjuger la maîtrise juridictionnelle des biens qu’il laisse en Uruguay ou en Espagne ne devrait pas l’enchanter. S’ajoute le constat qu’à l’ère de la dématérialisation – et donc de la « déterritorialisation » – de la richesse, identi- fier le lieu de certains éléments du patrimoine, actifs et passifs, ne va pas de soi : que l’on pense aux « cryp- tomonnaies », qui sont « partout et nulle part », ou aux droits d’auteur, si importants dans la succession, médiatisée entre toutes, de Johnny Halliday, ou à d’autres créances, ou encore à l’imputation des dettes : l’emprunt contracté auprès d’une banque genevoise par un Suisse qui, au moment du décès, vit à Cannes, pour le financement d’un bateau qui est immatri- culé en France est-il imputable à la masse suisse ou à la masse française ? Et qu’en est-il des sommes qu’une caisse de prévoyance a versé à titre de rente au Suisse établi à l’étranger et dont elle demande aux héritiers la restitution ? Trois arrêts du Tribunal administratif fédéral viennent de confirmer le réa- lisme d’une telle hypothèse16.

d) Par ailleurs, il n’est même pas certain que la Suisse se mobiliserait en toute circonstance pour garantir l’effectivité sur sol helvétique de l’élection du for d’origine. Le Tribunal fédéral semble ad- mettre, en matière successorale, la compétence fon- dée sur la volonté expresse ou implicite des parties via les articles 5 et 6 LDIP à la faveur d’une instance

« directe »17. Si la compétence des autorités de l’Etat d’accueil est acceptée par les parties à une éven- tuelle procédure étrangère ou n’est pas contestée par le défendeur, une telle compétence pourrait être reconnue s’agissant également d’une instance « in- directe ». Plus généralement, la LDIP ne se prononce pas sur le caractère exclusif ou non-exclusif de la compétence suisse d’origine, objet d’une désigna- tion par le de cujus. Rien ne garantit aujourd’hui à la Suissesse établie en France qu’une décision des autorités françaises visant tous ses biens ne serait en définitive pas mise à exécution en Suisse via l’ar- ticle 96 al. 1 lit. a) LDIP en dépit de l’élection de for.

e) Enfin, comme je l’ai indiqué, le for suisse « éli- gible » semble être le for au lieu d’origine unique- ment. Rattachement ancestral au sens propre du terme : des « ancêtres ». Le Suisse de l’étranger, tout comme le Suisse résidant en Suisse, peut ne jamais

16 TAF du 31 août 2017, C-1934/2015, TAF du 23 janvier 2019, C-3948/2017, et TAF du 15 mars 2019, C-1422/2017.

17 ATF du 19 mai 2014, 5A_55/2014.

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membres  – plus exactement ses ressortissants22  – une certaine liberté, il n’est que juste qu’elle recon- naisse aux autres communautés humaines, égale- ment organisées en Etats, le droit de revendiquer la même liberté au profit de leurs propres ressortis- sants. C’est la fameuse « règle d’or », un impératif

« prépositif » et « catégorique » de justice, qui se re- trouve d’ailleurs dans toutes les grandes religions, et énonce une préoccupation intimement liée au déve- loppement de l’humanité depuis ses origines23  : « Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas que l’on te fasse » ; de manière positive : « Accepte qu’autrui soit libre de faire dans les rapports avec toi ce que tu souhaiterais pouvoir faire dans les rapports avec au- trui ». En clair, comme la Suisse réclame pour les Suisses de l’étranger la liberté de choisir le for hel- vétique, de même elle devrait permettre aux autres Etats d’habiliter leurs citoyens domiciliés en Suisse à choisir le for de leur Etat national.

Voilà donc le premier mobile de la réforme à la- quelle aspire le projet du nouvel article 86 alinéa 3 LDIP24 : compléter, en la « bilatéralisant », la dispo- sition unilatéralement formulée de l’article  87 LDIP, en éliminant l’incertitude d’une manière res- pectueuse du puissant principe égalitaire dont il a été question.

5. Le Rapport explicatif évoque une raison sup- plémentaire, qui tient à la coordination recherchée par la Suisse avec les 25 pays qui, depuis le 18 août 2015, appliquent le Règlement Successions. 65%

des étrangers de Suisse en proviennent. L’impor- tance de cette coordination helvético-européenne – dans l’intérêt de la catégorie, si fournie, d’êtres hu- mains dont la vie se déploie et les biens se situent

« multi-territorialement », tout à la fois en Suisse et dans un ou plusieurs Etats de l’Union européenne – est évidente ; elle n’en mérite pas moins d’être rele- vée avec force. On peut bien sûr se demander si une loi « mono-étatique » de droit international privé est le moyen le plus efficace pour assurer une coordina-

22 Terme qui, au sens premier et étymologique, désigne les citoyens d’un pays qui « sortent » du territoire de ce pays pour s’implanter sur le territoire d’un autre.

23 Sur ce que le fondement du bilatéralisme ou multilatéra- lisme en droit international privé repose sur un tel prin- cipe, v. G.P. Romano, « Le droit international privé à l’épreuve de la théorie kantienne de la justice », Fest- schrift I. Schwander, 2011, p. 613 s., et Journal de droit international, 2012, p. 456 s. 

24 Dont voici le texte : « Une personne ayant une ou plu- sieurs nationalités étrangères peut, même si elle a la na- tionalité suisse, soumettre par testament ou pacte suc- cessoral l’ensemble de la succession ou une part de celle-ci à la compétence des autorités de l’un de ses États nationaux ».

2. Election de for par un-e ressortis- sant-e étranger/-ère domicilié-e en Suisse et par un Suisse ou une Suissesse bi-national-e ou plurina- tional-e domicilié-e en Suisse

4. Les non-nationaux établis en Suisse sont aujour- d’hui plus de deux millions19  : 25 % de la population résidente, presque trois fois plus nombreux que les Suisses de l’étranger. Est-ce que la Srilankaise qui vit à Plainpalais pourrait valablement désigner les autorités du Srilanka comme seules compétentes pour s’occuper de sa succession ? Le Libanais chré- tien orthodoxe habitant Montreux les autorités liba- naises de sa communauté confessionnelle ? L’Alle- mande établie à Zurich les autorités allemandes, la Suédoise résidant en Valais les autorités suédoises ?

Le texte de l’article 86 LDIP dans sa version ac- tuelle ne prévoit pas expressément une telle option.

Il ne semble pas y avoir sur ce point de jurispru- dence topique du Tribunal fédéral. La doctrine est, quant à elle, divisée quant à la position se laissant déduire de l’esprit et de la systématique de la LDIP20. Le point de départ dont se prévalent les auteurs fa- vorables à l’admettre de lege lata est l’article 5 LDIP qui autorise une élection de for « en matière patri- moniale ». Il semble bien que la « matière » successo- rale est par essence patrimoniale. Seulement, une telle disposition évoque un « accord » – un acte bila- téral donc – entre les « parties », alors que le propre de l’élection de for qui nous intéresse est d’être uni- latérale, comme l’est l’acte le plus naturellement destiné à l’accueillir : le testament21. L’article 5 LDIP est alors lu en conjonction avec l’article 87 alinéa 2 convoqué par analogie. Il est naturel d’en appeler également au principe non-écrit du droit internatio- nal privé qui est au cœur des relations internatio- nales en général : si une communauté humaine orga- nisée en Etat réclame pour elle, et pour ses propres

19 Environ 2.160.000 en 2018 : <https ://www.bfs.admin.ch/

bfs/fr/home/statistiques/population/migration-integra tion/nationalite-etrangere.assetdetail.5866921.html>.

20 Pour A. Bonomi, « Die geplante Revision des schweize- rischen Internationalen Erbrechts : Erweiterte Gestal- tungsmöglichkeiten und Koordination mit der Europä- ischen Erbrechtsverordnung », RSDIE, 2018, p. 159 s., p. 162 : « Hingegen ist eine einseitige Zuständigkeitsbe- stimmung zugunsten ausländischer Behörden gemäss dem aktuellen Text des IPRG nicht möglich ». Une telle possibilité existerait en revanche pour B. Dutoit, Droit international privé suisse – Commentaire à la loi fédérale du 18 décembre 1987, 5e éd., Bâle, 2016, Art. 87, n° 6.

21 Même si, comme je le dirai plus loin (infra, n° 9), elle peut s’inscrire aussi dans un pacte successoral.

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équivalent pécuniaire) à un autre survivant. Irré- solu en droit, ce désaccord entre Etats quant à l’at- tribution des mêmes biens favorise en fait la résur- gence de la loi de nature, du plus fort, du plus malin, du plus rapide, du plus teigneux29.

6. Si l’introduction du choix du for étranger a paru assez naturelle, le résultat n’en demeure pas moins novateur. Car la possibilité, expresse et « omniva- lente », pour le de cujus de désigner lui-même le « for successoral », encore que cantonnée à un cercle li- mité de fors – en substance : celui de sa nationalité ou d’une de ses nationalités et celui de son domi- cile – n’est à ma connaissance prévue dans aucune législation nationale, ni dans aucun instrument, bi- latéral ou multilatéral. Dans l’histoire des relations privées internationales, la Suisse fait œuvre de pion- nière. Une fois de plus, a-t-on envie de dire. Car la Suisse n’avait-elle déjà été avant-gardiste lorsqu’elle introduisit en 1891 la possibilité pour le de cujus de choisir le droit applicable, la professio iuris ? Adop- tée par le législateur suisse, une telle solution pour- rait bien faire ailleurs des émules. Ce qui devrait augmenter les chances que d’autres Etats respectent l’élection de for suisse et donc l’effectivité du droit des Suisses de l’étranger de l’élire.

Notons cependant qu’au cours des travaux pour le Règlement Successions, l’idée d’autoriser le de cujus à désigner les autorités successorales compétentes a été écartée. Des voix prestigieuses s’y sont oppo- sées. Pourquoi cette méfiance ? Pour le Professeur Lagarde, « le règlement des litiges successoraux n’est plus l’affaire du défunt et ce n’est pas à lui de modi- fier à l’avance le centre de gravité déterminé objecti- vement par le règlement »30. J’avoue que, sous ré- serve de ce que je dirai dans un instant à propos de l’accord entre les survivants31, cette explication ne m’a pas entièrement convaincu – même si je n’ai pas encore trouvé le courage de le lui dire. D’une part, elle devrait conduire à douter également de la perti- nence de la professio iuris, pourtant l’un des piliers du Règlement, salué par le Professeur Lagarde.

Quoique distinctes, les deux libertés sont liées : si l’on reconnaît à une personne qui, par son domicile et sa nationalité, entretient des liens avec deux Etats, et dont la vie, les activités et les biens s’orga- nisent autour de deux « centres de gravité », la possi-

29 Pour plus de développements sur ce point, v. G.P. Ro- mano, « Successions internationales et (semi-)loi fédérale sur le droit international privé : quelques défis », RSDIE/

SZIER 2018, p. 183–212.

30 P. Lagarde, « Les principes de base du nouveau règle- ment européen sur les successions », Rev. crit. dr. int. pr., 2012, p. 694.

31 Infra, n° 8.

tion « inter-étatique »25. Quoiqu’il en soit, le Règle- ment prévoit, dans une disposition qui compte pro- bablement parmi les plus critiquables, un for de nationalité inscrit au sein du catalogue, bien nourri, des compétences « subsidiaires »26  : celles qui se dé- clenchent si la résidence habituelle du de cujus est située dans un Etat tiers27. Et la Suisse est – jusqu’à nouvel ordre – Etat tiers.

Prenons un exemple. Une Portugaise a son domi- cile et sa résidence habituelle en Suisse – la commu- nauté portugaise de Suisse, fin 2018, était forte de 266.000 membres. Selon le Règlement, le for de la succession de notre protagoniste est situé au Portu- gal, à tout le moins si elle y possède des biens28 – et on sait que c’est souvent le cas. Pour neutraliser un conflit helvético-portugais de juridictions, la Suisse offre à notre protagoniste un moyen de coordonner elle-même l’exercice de la juridiction par les deux Etats. Elle s’en trouve en quelque sorte érigée en agent de la coordination bi-étatique. Si elle désigne un for au Portugal en vertu de l’article 86 al. 3 pro- jeté de la LDIP, la Suisse « retire » la compétence de ses autorités au lieu du domicile – fixée à l’article 86 al. 1 LDIP – pour « déférer » à la compétence portu- gaise. Voilà qui travaille à la prévention d’un conflit helvético-portugais de juridictions, et par consé- quent d’un conflit helvético-portugais de décisions, tout aussi onéreux pour les contribuables suisses et portugais qu’il est désastreux pour les justiciables concernés et pouvant les conduire à des situations juridiquement inextricables : le Portugal attribue des biens (ou leur équivalent pécuniaire) à un survi- vant et la Suisse attribue les mêmes biens (ou leur

25 v. « Successions internationales et (semi-)loi fédérale sur le droit international privé : quelques défis », RSDIE 2018, p. 183–212.

26 Sur la signification du terme « subsidiaire », v. A. Bonomi,

« Le Règlement européen sur les successions et son im- pact pour la Suisse », in P.-H. Steinauer, M. Mooser, A.

Eigenmann, Journée de droit successoral 2015, Berne, 2015, p. 63 s., p. 95, qui en conclut que la « subsidiarité de ces dispositions est donc d’une nature très différente de celle qui caractérise les fors des articles  87 al.  1 et 88 LDIP ».

27 « Article 10 Compétences subsidiaires : 1. Lorsque la ré- sidence habituelle du défunt au moment du décès n’est pas située dans un État membre, les juridictions de l’État membre dans lequel sont situés des biens succes- soraux sont néanmoins compétentes pour statuer sur l’ensemble de la succession dans la mesure où : a) le dé- funt possédait la nationalité de cet État membre au mo- ment du décès ; ou, à défaut… ». Pour une critique fort autorisée, y compris dans les relations avec la Suisse, v.

A. Bonomi, « Le Règlement européen sur les successions et son impact pour la Suisse », cit., p. 63 s.

28 Condition fixée par l’article 10(1)(a) du Règlement Suc- cessions : v. le texte reproduit à la note précédente.

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leur pourcentage est toujours négligeable, il n’en demeure pas moins que de plus en plus de personnes entretiennent deux (ou plusieurs) résidences et se déplacent régulièrement entre l’une et l’autre (ou les autres) de telle sorte qu’il est difficile de savoir la- quelle est principale et laquelle est secondaire (et au besoin laquelle est tertiaire), d’autant que la fré- quence de leur présence physique sur le territoire de l’un ou l’autre Etat peut varier selon les années.

On  parle parfois de « nomadisme » contemporain.

L’exemple de Johnny Hallyday n’en est que le plus connu du grand public33. Il suffit de parcourir la ju- risprudence nationale pour se rendre compte des lancinantes hésitations que peut soulever la déter- mination du dernier établissement d’un défunt ayant partagé ses dernières années entre plusieurs demeures, y compris aux fins de la compétence34. D’autant que – comme l’a répété le Tribunal fédéral à la faveur d’une affaire franco-helvético-belge – la domiciliation administrative n’est pas décisive35. Une personne peut au demeurant être enregistrée comme domiciliée à la fois dans la commune d’un pays et dans une autre commune d’un autre pays36.

33 La justice française devrait se prononcer le 28  mai 2019 sur le lieu de la résidence habituelle – France ou Californie ? – du célèbre chanteur. Si les autorités fran- çaises concluent à l’existence d’une résidence habituelle en France, cela n’empêchera pas les autorités califor- niennes de retenir une résidence habituelle en Californie.

34 Pour se tenir uniquement à la jurisprudence fédérale des dernières années, ATF du 22  mars 2018, 5A_797/

2017, SJ, 2018 I, p. 476 – la de cujus était-elle domiciliée en Suisse (à Lausanne notamment) ou en Pologne ? (il semble que, pour la Pologne, son dernier domicile se si- tuait en Pologne, pour la Suisse, en Suisse ; v. le passage suivant : « L.E., de nationalité suisse et polonaise, est décédé en 2009 en Suisse, où elle était domiciliée légale- ment… Sur la base d’un certificat d’héritier délivré par l’autorité polonaise le 24 mars 2010 en sa faveur et fondé sur le domicile de la défunte en Pologne au jour de son décès ») ; ATF du 19 juin 2017, 5A_278/2017 – la de cujus était-elle domiciliée en Suisse (en Valais notamment) ou en Belgique ? – ATF du 28 octobre 2017, 5A_325/2017 – la de cujus était-elle domiciliée à Genève ou en France voisine ? C’est, dans ce dernier cas, la professio iuris en faveur du droit suisse qui, du fait qu’elle entraîne la com- pétence des autorités suisses (art.  87 al.  2 LDIP), tiré d’affaires en permettant de « laisser ouverte » la déter- mination du domicile de l’intéressée. Cf. ATF du 1er mars 2017, 5A_612/2016, où une des parties a soutenu jusqu’au Tribunal fédéral, mais en vain, que la de cujus était do- miciliée en Suisse et non pas en France.

35 ATF, 19 juin 2017, 5A_278/2017.

36 ATF, 2  février 2015, 4A_443/2014 où le protagoniste, double national franco-suisse, figurait tout à la fois sur la liste des habitants de Grilly, en France, et de Lau- sanne.

bilité de désigner, entre les lois de ces Etats, celle qui réglera sa succession, pourquoi ne pas l’habiliter à désigner également, entre ces mêmes centres de gravité, l’Etat dont les autorités régleront sa succes- sion, d’autant plus si le for éligible est celui de l’Etat dont la loi est éligible ?32

D’autre part, la clause attributive de juridiction présente un attrait dont on ne parle que peu : per- mettre aux êtres humains de travailler à la déjudi- ciarisation des relations susceptibles de se nouer entre les survivants après leur trépas, en œuvrant à la sécurité juridique, à la prévisibilité du sort que subiront leurs richesses une fois qu’ils auront quitté ce monde. Instrument de planification, son exercice concourt à la prévention du contentieux successo- ral. Planifier, c’est réduire les risques de guerres ju- diciaires entre les prétendus ayants droit. L’écra- sante majorité des êtres humains sains d’esprit sou- haitent éviter qu’une fois qu’ils auront accompli le grand passage, leurs proches d’ici-bas soient tentés de se faire des procès, qui consomment les ressour- ces de l’héritage, consument les personnes et divisent les familles. Or « pour avoir la paix  – disaient les Romains  – préparez la guerre ». Désigner par avance le seul juge saisissable – le seul terrain de la bataille éventuelle – réduit le risque qu’il soit néces- saire pour les survivants de le saisir effectivement et augmente corrélativement les chances que le litige entre eux reste virtuel, hypothétique. Car le cadre juridique  – droit matériel applicable, y compris à l’administration des biens héréditaires, et tout ce qui peut influer sur lui : qualification, ordre public, renvoi, etc. – s’en trouve fixé avec plus de certitude que si le de cujus avait à jongler entre deux cadres juridiques potentiels résultant de deux fors concur- rents, dont il ne sait pas quel est celui dont la com- pétence se déclenchera pour de bon. Le spectre du forum shopping par l’un des prétendus héritiers au détriment d’un autre est conjuré dans un certain nombre de cas.

Autre avantage : passer outre l’incertitude quant à la localisation du dernier domicile ou de la dernière résidence du de cujus. On sait qu’une telle incerti- tude peut être source de litigiosité et mobiliser des ressources publiques considérables pour la dissi- per. Le phénomène de la bi-résidentialité ou de la multi-résidentialité des êtres humains ou, si l’on pré- fère, de leur bi-domiciliation ou multi-domicilia- tion, est en essor dans bien des régions du monde. Si

32 Regrettent l’absence de professio fori dans le Règle- ment Successions, A. Bonomi, in A. Bonomi / P. Waute- let, Le droit européen des successions, 2e éd., Bruxelles, 2016 et E. Lein, « Art. 5 », in : A. Dutta & J. Weber, In- ternationales Erbrecht, München 2016, n° 18 s.

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7.  Pour la communauté des étrangers établis en Suisse la plus aguerrie, les Italiens – 320 000 environ en 2018 – le « for de nationalité » est déjà applicable en vertu de la Convention italo-suisse de 1868. Pas besoin d’une désignation à cet effet par le de cujus38. J’espère, évidemment, que ma disparition ne dé- clenchera pas des « contestations entre héritiers », comme s’exprime l’article 17 al. 3 de ce vénérable traité. Je ne souhaiterais pas que les biens que j’au- rai acquis d’ici là soient asservis au financement de la guerre entre mes proches. Ma première dernière volonté, si l’on me passe l’oxymoron, tient à ce que la dévolution de mon patrimoine italo-suisse se

« règle » de manière rapide et efficiente – et donc en

exorbitants  – car chaque partie au litige doit recruter une équipe d’avocats pour chacun des Etats impliqués, qui à leur tour doivent se tenir réciproquement infor- més  pour éviter de se contredire (donc huit équipes d’avocats qui suivent les procédures engagées dans quatre pays) –, lenteurs inévitables, procédures parallèles, con- flits internationaux de juridictions et de décisions. Les biens convoités restent parfois « bloqués » pendant plu- sieurs années sans que personne ne puisse en profiter, même pas les administrations fiscales. Parfois, à l’inverse, les intéressés se livrent à un « pillage » en déplaçant les actifs sur lesquels ils peuvent mettre la main vers le ter- ritoire de l’Etat le plus bienveillant à leur égard. On peut alors se demander s’il ne serait pas raisonnable pour les intéressés et les communautés étatiques concernées que la résolution des litiges résultant des successions à très forte multi-nationalité puisse être confiée à des juridic- tions internationales – c’est-à-dire aujourd’hui à des tri- bunaux internationaux arbitraux  – à l’issue de procé- dures transnationales, en général plus rapides et en dé finitive moins dispendieuses. Les décisions circule- raient plus facilement au lieu de rencontrer des obsta- cles, comme c’est souvent le cas des décisions mono- nationales car la Convention de New York de 1958 n’ex clut pas de son champ d’application les litiges suc- cessoraux ; cf. U. Haas, « Schiedsgerichte in Erbsachen und das New Yorker Übereinkommen über die Anerken- nung und Vollstreckung ausländischer Schieds sprüche », SchiedsVZ, 2011, p. 289–301 et Schieds gerichte in Erb- sachen, Zurich, 2012, p. 159–194.). Il y a lieu de croire que bien des juges nationaux seraient les premiers à se réjouir (dont certains souhaiteraient pouvoir dire : « en- levez-moi ce terrible dossier de la table, car je ne peux rien y faire »). Sans compter l’intérêt que pourrait avoir la Suisse à ce que l’arbitrage international se répande dans ce domaine également.

38 Convention d’établissement et consulaire entre la Suisse et l’Italie conclue le 22 juillet 1868, dont l’article 17, aux alinéas 3 et 4, énonce : « Les contestations qui pour- raient s’élever entre les héritiers d’un Italien mort en Suisse, au sujet de sa succession, seront portées devant le juge du dernier domicile que l’Italien avait en Italie.

La réciprocité aura lieu à l’égard des contestations qui pourraient s’élever entre les héritiers d’un Suisse mort en Italie ».

Réduire les occasions de litiges internationaux répond aux intérêts bien compris des justiciables et des collectivités qu’ils forment, et donc des autorités chargées de satisfaire au mieux à ces intérêts. L’élec- tion de for par le de cujus s’y efforce. Evoquons l’analogie avec la clause arbitrale. Pierre Lalive, dé- cédé en 2013, regrettait qu’on n’insiste pas suffisam- ment sur ce que celle-ci vise d’abord à prévenir le contentieux, en supprimant une incitation à la ba- taille, en favorisant une composition amiable et exorcisant la « course vers le for » (« forum run- ning ») tout autant que le conflit international de juridictions37.

37 Les successions multi-nationales dont sont saisies les autorités helvétiques débordent parfois largement le ter- ritoire suisse pour se rattacher à de nombreux autres Etats, même si la lecture des décisions nationales n’en donne qu’un aperçu tronqué. Dans l’une de ces affaires où j’ai été consulté, qui avait des liens avec la Suisse, la France, l’Italie, New York, l’Angleterre, entre autres, des dizaines de procédures ont été engagées devant les tribunaux de quatre Etats, dont certaines se marchaient sur les pieds. Les choses ont, pour les intéressés, très peu avancé – sous l’angle de la détermination de qui a quels droits sur quels biens – depuis plus de six ans. Ces mê- mes intéressés ont déjà investi des millions et les contri- buables de tous ses pays, y compris suisses, ont dû mobi- liser des centaines de milliers de francs de ressources publiques – c’est eux qui financent largement le travail des autorités judiciaires. Il n’est pas rare que les juges nationaux se sentent « dépassés » par ces affaires car elles

« dépassent » très largement le « territoire intérieur » (Inland) de l’Etat dont ils tiennent leurs pouvoirs et donc les limites de leur imperium. Ils soupçonnent que la décision qu’ils sont appelés à rendre pourrait ajouter à la confusion et au désordre international, plutôt que con courir à ramener l’ordre et la paix. Sur cette « frus- tration » justifiée des juges « mono-nationaux » s’agis- sant du contentieux familial international, v. G.P. Ro- mano, « Vers des tribunaux transnationaux pour des familles transnationales ? – L’exemple de la responsabi- lité parentale », Semaine judiciaire, 2019, à paraître et, pour le contentieux au sujet des régimes matrimoniaux, G.P. Romano, « Quelques remarques sur le nouveau Rè- glement n° 1103 en matière de régimes matrimoniaux et son incidence dans les relations helvético-europé ennes », Fam.Pra.ch, 2019, p. 36 s. ; il y est question entre autres de l’impuissance avouée par un juge britannique : « At the moment it appears to me that this worlwide litigation is completely out of control. Phenomenal costs are being spent, a phenomenal amout of court time worldwide has already been taken up, and very long delays are in con- templation… », Chai v. Pang (2014) EWHC 750 (Fam.), n° 8. Ce même juge britannique est allé jusqu’à « implo- rer » les parties d’essayer de trouver un accord « avant que ce contentieux terrifiant n’échappe un peu plus au contrôle » (« sooner or later they need to sit down and discuss money. I implore them to do so before this appal- ling litigation gets yet further out of control »). Coûts

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qui a conduit aux deux « grands arrêts » où la possi- bilité d’une professio iuris a été acceptée par le Tri- bunal fédéral40, le de cujus, ressortissant italien ayant son domicile à Collina d’Oro, au Tessin, avait explicitement désigné comme applicable le droit suisse. Mon Repos a certes reconnu la validité d’une telle désignation à la faveur d’une action, tendant à obtenir des renseignements, ouverte par l’épouse survivante, résidant à Milan, à l’encontre d’UBS Lugano. Mais saisi par la même épouse d’une action en réduction à l’encontre des enfants du premier lit, le Tribunal de Milan a retenu comme applicable le droit italien sans s’expliquer sur la validité ou l’inva- lidité de la professio iuris41. La compétence suisse avait été en l’espèce acceptée par la défenderesse.

Dans une autre affaire, aujourd’hui pendante de- vant le Tribunal de Genève, elle ne l’a pas été. Le de cujus, italien domicilié à Genève depuis une quin- zaine d’années, avait désigné, dans son testament, le droit suisse en laissant une partie importante de ses biens à l’épouse survivante. Celle-ci se réclame de la compétence suisse et du droit suisse, pour qui la ré- serve des enfants est de 3/8 ; elle se résout à assigner en justice les descendants italiens issus d’un premier mariage, résidant en Italie, lesquels se réclament de la compétence italienne en vertu de l’article 17 al. 3 et, par conséquent, du droit italien, qui leur « ré- serve » le tiers de la masse. L’incertitude quant au juge compétent et au droit applicable a donné lieu à de nombreuses réunions et échanges de correspon- dances. Des coûts déjà significatifs ont été engagés.

Verdict : il n’est pas sûr qu’un Italien établi en Suisse ait le droit subjectif « binational » – reconnu et res- pecté par l’Italie également  – de désigner le droit suisse. Est-il juste que nous soyons tenus dans l’ignorance ?

Il y a quelques temps, j’ai rêvé d’une manifesta- tion organisée par les Italiens de Suisse et leurs fa- milles qui réclamaient, sur ce point, sécurité et jus- tice des autorités helvétiques  et italiennes42. Ils étaient des dizaines de milliers, plus nombreux que les gens qui sont descendus en début d’année dans les rues de Suisse romande pour protester contre l’inaction des pouvoirs publics face à l’urgence cli- matique. Certains scandaient : « fin à l’incertitude »,

« fin à l’incertitude », « fin à l’incertitude ». D’autres tenaient des pancartes où l’on pouvait lire : « les mêmes options que les autres Européens ». D’autres

40 ATF 136 III 461 et 138 III 354.

41 Je dois cette information à l’amabilité du Professeur Angelo Pelosi, qui a suivi cette affaire italo-suisse de- vant les juridictions milanaises.

42 C’était à la vérité plutôt du « daydreaming ».

dehors des tribunaux  – selon la loi applicable, et selon mes éventuelles dispositions de dernière vo- lonté ajustées à celle-ci. Mais si de telles « contesta- tions » devaient s’élever, c’est le for italien qui de- vrait les trancher. Il en va de même du sort des biens d’Ilaria Pretelli39 et de tant d’autres de nos conci- toyennes et concitoyens. Il s’agit plus exactement du for du dernier domicile que nous avons eu en Italie avant de nous établir en Suisse, pour moi donc les tribunaux de Milan. Pour les Italiennes et les Ita- liens de Suisse, la question est alors plutôt de savoir s’il leur est loisible de désigner le for suisse de leur domicile ou de leur résidence. Puis-je choisir les au- torités vaudoises – notamment, j’imagine, le Tribu- nal d’arrondissement de la Côte – en supposant que je demeure ici jusqu’ad vitae supremum exitum ? S’il en est ainsi, je souhaiterais exercer un tel droit d’« option », y compris pour augmenter les chances que tout à la fois la professio iuris en faveur du droit suisse et le pacte successoral ajusté au Code civil suisse que je souhaiterais également réaliser avec ma compagne soient respectés « internationale- ment », c’est-à-dire également du côté italien. Mais il ne semble pas qu’en l’état de l’article 17 al. 3 du Traité italo-suisse, une telle professio fori soit auto- risée. C’est là un pari risqué. Il y a lieu d’espérer qu’une fois la nouvelle disposition bilatéralisant la professio fori inscrite dans la LDIP, ce texte bi-éta- tique ultra-centenaire soit ajusté par les Etats contractants de manière à offrir aux personnes qui relèvent de son champ d’application  – les Italiens établis en Suisse et les Suisses établis en Italie – des droits subjectifs quant à la planification de leur suc- cession au moins semblables à ceux qui résultent de la rencontre entre la LDIP et le Règlement Succes- sions dans la sphère des Français domiciliés en Suisse et des Suisses domiciliés en France, des Polo- nais domiciliés en Suisse et des Suisses domiciliés en Pologne, des Maltais domiciliés en Suisse et des Suisses domiciliés à Malte… N’est-il curieux que les membres de la communauté des non-nationaux la plus nombreuse soient pénalisés quant aux options de planification qui leur sont ouvertes par rapport aux communautés qui n’en comptent que quelques centaines ?

Il n’est en effet même pas certain qu’une élection par l’Italien domicilié en Suisse en faveur du droit suisse soit autorisée du côté italien. Dans l’affaire

39 Qui s’est beaucoup intéressée au Traité : v. I. Pretelli et T. Ballarino, « Una disciplina ultracentenaria delle suc- cessioni », RDT, 2014, p. 889 ; v. ég. I. Pretelli, « Les pou- voirs du créancier dans le patrimoine du débiteur  – Exemples choisis de successions transfrontalières ré pudiées », not@lex 2018, p. 77 s., p. 86 s.

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comme une clause distincte des autres clauses du testament », si bien que « la validité de la clause d’élection de for ne peut être contestée au seul motif que le testament n’est pas valable ». S’il y a contesta- tion au sujet de la validité du testament ou du pacte successoral, c’est le for désigné qui devrait être com- pétent pour la trancher, à moins que la source de l’invalidité n’affecte la clause d’élection elle-même : c’est le cas de l’incapacité du testateur. Il se peut que l’instrument en question, du point de vue du for étranger élu, soit invalide alors qu’il aurait été tenu pour valable s’il avait été apprécié par le for suisse écarté. Une mise en garde s’impose. C’est au de- meurant ce qui se vérifie également pour la profes- sio iuris : dans une affaire helvético-franco-britan- nique, la clause testamentaire de désignation du droit anglais, choisi par le testateur, britannique domicilié en Suisse au moment du décès, a entraîné l’invalidité du testament même qui la comportait car, pour le Wills Act 1837, le mariage subséquent contracté par le de cujus emporte révocation des testaments antérieurs47.

Qu’en est-il du for compétent pour statuer sur la validité, ou la portée, de la clause d’élection de for ? On sait que le Règlement dit « Bruxelles I-bis », mais non pour l’instant la Convention de Lugano, attribue au for élu, du moins en cas de saisines pa- rallèles, une compétence prioritaire pour trancher les contestations autour de la validité de l’élection de for48. En l’état de la LDIP, il semble malaisé de reconnaître primauté au for étranger élu s’il est saisi en second lieu. Supposons qu’un Allemand désigne un for allemand et que le juge suisse de son lieu de domicile soit saisi en premier lieu d’une action vi- sant entre autres à contester la validité d’une telle clause d’élection de for, et que le tribunal allemand élu soit saisi en second lieu d’une action visant entre autres à faire déclarer la validité de l’élection de for.

C’est la règle de la priorité des saisines inscrite à l’article 9 LDIP qui devrait, semble-t-il, côté suisse, être retenue. Et qu’en est-il du droit applicable au fond de la clause d’élection de for ? Est-ce le droit du for élu, le droit régissant le fond de la succession, y compris de l’instrument qui la comporte, ou bien le droit du for saisi ? Le Règlement Bruxelles I-bis re- tient le droit du for élu. Il en va de même de la

47 ATF du 23 février 2009, 5A_437/2008.

48 Article  31 al.  2 du Règlement Bruxelles I-bis : « Sans préjudice de l’article 26, lorsqu’une juridiction d’un État membre à laquelle une convention visée à l’article  25 attribue une compétence exclusive est saisie, toute juri- diction d’un autre État membre sursoit à statuer jusqu’à ce que la juridiction saisie sur le fondement de la conven- tion déclare qu’elle n’est pas compétente en vertu de la convention ».

encore criaient : « égalité », « égalité », « égalité ». D’au- tres enfin : « Coordonnez-vous ! Coordonnez- vous ! ».

8. Revenons au projet de réforme, pour évoquer quelques points concernant la mise en œuvre de cette élection de for qu’il entend ouvrir aux deux millions de non-nationaux domiciliés ici43.

Quant à la forme, la stipulation désignant le for compétent – comme celle qui désigne le droit appli- cable44 – peut être inscrite ou bien dans un testament ou bien dans un pacte successoral. Mais doit-elle obéir aux mêmes formalités qui sont exigées pour la validité formelle du testament ou du pacte qui l’ac- cueille ? Une clause trouvant place dans un « codi- cille » – dont elle nourrirait seule le contenu – de- vrait parfaitement faire l’affaire. Si elle est formulée dans un pacte successoral, elle n’en perd pas moins son caractère unilatéral45. La clause d’élection de for devrait en tout cas être tenue pour autonome par rapport aux autres dispositions figurant dans l’ins- trument où elle prend place. En adaptant la défini- tion peut-être la plus autorisée d’une telle « autono- mie » – ou principe de la « séparabilité » (« severabi- lity »)46 – on peut affirmer qu’« une clause d’élection de for faisant partie d’un testament est considérée

43 Il faut, plus exactement, enlever le peloton des 320 000 env. Italien-n-es vivant en Suisse, qui demeurent soumis au Traité italo-suisse.

44 Article 90 al. 2 LDIP.

45 L’insertion dans un acte qui est par essence bilatéral d’une stipulation qui est par essence unilatérale peut pa- raître curieuse et ne va en tout cas pas sans problèmes.

Dans le texte d’un pacte successoral que j’ai eu sous les yeux, les parties, la mère et la fille, avaient établi un

« préambule » qui faisait état des désaccords qui les avaient divisées, puis figurait l’expression : « les Parties ont convenu ce qui suit ». L’« Article premier » compor- tait une clause d’élection de droit qui provenait d’une seule « partie », la « disposante » comme s’exprime l’ar- ticle  95 LDIP, celle dont la succession était en cause.

Cette même disposante s’est demandée par la suite si elle avait le droit de modifier la clause d’élection de droit et d’une manière qui aurait pu rendre invalide le pacte successoral. En l’état des textes, la réponse me paraît devoir être affirmative : même si elle figure immédiate- ment sous « les parties ont convenu ce qui suit », une telle stipulation ne peut provenir, pour la LDIP, que d’une partie, qui devrait donc semble-t-il pouvoir la modifier librement. Est-ce que l’engagement d’une partie envers l’autre à soumettre sa succession à une loi « éligible » par elle est valable si bien que la clause d’élection de droit ne pourrait plus être révoquée ? La même question pour- rait se poser à l’égard d’une élection de for.

46 Article 3 lit. d) de la Convention du 30 juin 2005 sur les accords d’élection de for : « Un accord exclusif d’élection de for faisant partie d’un contrat est considéré comme un accord distinct des autres clauses du contrat. La vali- dité de l’accord exclusif d’élection de for ne peut être contestée au seul motif que le contrat n’est pas valable ».

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ropéenne, et dans bien d’autres pays52. Les parties aux litiges successoraux s’accordent souvent au moins sur un point : il vaut mieux en minimiser la publicité. Dans une affaire récente où pour laquelle j’ai été consulté, une Française septuagénaire, do- miciliée en Suisse romande, ayant une fille d’un pre- mier mariage, et des petits-enfants de celle-ci, a préféré, avant de se remarier à un Suisse bien plus jeune qu’elle, choisir pour régir sa succession le droit français. La raison en est que celui-ci ne pré- voit pas de réserve héréditaire au profit de l’époux survivant lorsque celui-ci concourt avec des descen- dants. Mais, quant aux autorités qui se chargeraient de sa succession, elle était parfaitement satisfaite du for suisse et tenait même à éviter dans la mesure du possible l’immixtion des autorités françaises. Pour lever toute ambiguïté quant à ses préférences « juri- dictionnelles », il lui est loisible de faire une pro- fessio fori en faveur des autorités helvétiques de son domicile en corroborant la compétence « ordi- naire » – fixée à l’article 86 al. 1 LDIP – de celles-ci.

Si elle serait a priori impuissante à empêcher le dé- clenchement de la compétence française subsidiaire fondée sur la nationalité et le lieu de certains biens, la manifestation d’une telle volonté pourrait néan- moins jouer un rôle en cas de saisines parallèles lorsque le for suisse est saisi le premier53.

Il est vrai que, pour ce qui est du Suisse de l’étran- ger, l’article 87 al. 2 LDIP, prévoit un for en Suisse au lieu d’origine en cas de professio iuris en faveur du droit suisse et l’Avant-projet propose utilement d’ajouter l’incise : « pour autant qu’il n’ait pas fait de réserve à cet égard ». Mais il se peut que l’asymétrie54 qu’introduirait l’article 86 al. 3 LDIP visant la suc- cession de l’étranger en Suisse ne soit qu’apparente.

Car si le Suisse de l’étranger désigne le droit suisse mais non pas expressément le for suisse, il est per-

52 Sans compter la possibilité que des avoirs situés en Suisse n’aient pas été régulièrement déclarés aux autori- tés fiscales de leur Etat d’origine. A la suite de l’entrée en vigueur pour la Suisse (1er janv. 2017) de la norme internationale régissant l’échange automatique de ren- seignements relatifs aux comptes financiers en matière fiscale (« EAR »), et de l’augmentation du nombre d’Etats partenaires (89 au 1er janv. 2019), un tel cas de figure devrait se raréfier. Cf. <https ://www.efd.admin.

ch/efd/fr/home/themen/wirtschaft--waehrung--finanz platz/finanzmarktpolitik/echange-automatique-de-ren seignements--ear-.html>.

53 Côté français, une telle situation de litispendance franco- suisse n’est pas prise en charge par le Règlement Succes- sions mais demeure sous l’empire des règles françaises sur la litispendance internationale qui laissent au juge français une marge de discrétion.

54 Pour le Rapport explicatif, p. 13, le « nouvel art. 86 al. 3 ne présente pas de règle analogue ».

Convention de La Haye de 2005  sur les accords d’élection de for49. C’est là sûrement la tendance la plus moderne. Ainsi, la validité au fond d’une clause d’élection de for allemand devrait être appréciée conformément au droit allemand. Mais l’élection de for successoral étant déjà une nouveauté, il ne serait pas surprenant qu’au moins dans un premier temps, les juridictions suisses appliquent le droit suisse. Je préfère ne pas m’appesantir sur ces questions qui peuvent aujourd’hui sembler la prolifération de l’es- prit pur. Contentons de relever que le régime de l’élection de droit en matière successorale, d’une part, et celui de l’élection de for en matière contrac- tuelle, d’autre part, devraient constituer d’utiles sources d’inspiration pour édifier le « régime » d’élec- tion de for successoral. Mais des aménagements pourraient s’avérer nécessaires, du fait notamment du caractère unilatéral d’une telle élection50.

9. Question d’une importance pratique plus impé- rieuse : une élection de for ne saurait être déduite de l’élection de droit étranger. Le Rapport explicatif prend sur ce point une position nette qui me paraît défendable51. Il arrive que les étrangers établis en Suisse considèrent que la loi de leur Etat national est mieux ajustée à leurs dernières volontés, notam- ment parce qu’elle leur offre une plus grande liberté de planification, et ils font dès lors une professio iuris conformément à l’article 90 al. 2 LDIP. Mais en l’absence de précisions contraires, il me paraît justi- fié de ne pas présumer leur volonté de confier la ges- tion du règlement de leur succession exclusivement aux autorités de l’Etat national dont ils ont désigné la loi. Il y a lieu de penser que nombre de ces per- sonnes s’accommodent parfaitement – et même pré- fèrent  – que les autorités suisses « s’occupent » de leur succession. Un for successoral helvétique pré- sente d’attrayantes vertus : dévolution relativement rapide, y compris si elle devait être judiciaire (il y a des pays où des actions en partage durent plus de dix ans…), coûts comparativement peu élevés, et une certaine discrétion du travail des autorités. En cas de contentieux, les noms des plaideurs sont « ca- viardés » des décisions publiées, alors qu’ils ne le sont en général pas en Angleterre, aux Etats-Unis, en France, devant la Cour de justice de l’Union eu-

49 Article  25 al.  1 Règlement Bruxelles I-bis et article  5 al. 1 de la Convention de La Haye de 2005.

50 Cf. remarque plus loin, n° 12, à propos du cercle de per- sonnes auxquelles la clause est opposable.

51 Rapport explicatif, p. 13.

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