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Ni tout-puissant, ni déprimé ; l'enseignant suffisamment bon
MAULINI, Olivier
MAULINI, Olivier. Ni tout-puissant, ni déprimé ; l'enseignant suffisamment bon. Résonances , 2021, no. 9, p. 8-10
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Date: 03.06.2021
Résonances 1951 Sion 027/ 606 42 18 www.resonances-vs.ch/
Genre de média: Médias imprimés Type de média: Presse spécialisée Tirage: 3'200
Parution: 9x/année N° de thème: 377.116
Ordre: 1094772 Page: 8
Surface: 106'419 mm²
Référence: 80979712
ARGUS DATA INSIGHTS® Schweiz AG | Rüdigerstrasse 15, case postale, 8027 Zurich T +41 44 388 82 00 | E mail@argusdatainsights.ch | www.argusdatainsights.ch
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Ni tout-puissant, ni déprimé:
L'enseignant suffisamment bon
Olivier Maulini & Sercan Erceylan
MOTS-CLÉS: HIER AUJOURD'HUI
«Vous vous teniez droit dans votre costume noir, l'air sévère, sans un sourire. Limage du maître. Vous régniez idéal vers lequel nous tendions. Maitre infaillible et su- blime, surplombant de votre estrade la vie, vous étiez notre modèle...» Cette ode au professeur disparu est écrite à l'imparfait: quoi d'étonnant, en réalité? Une jeune femme l'adressa à son ancien instituteur il y a 25 ans, autant dire une éternité. Qui peut aujourd'hui - et sans rire - prétendre en effet au sublime et à l'infaillibi- lité? Même le pape François s'y refuse: il veut écouter et convaincre, le contraire de trôner et pontifier.
Soyons honnêtes: prêtres, juges, gendarmes, patronnes et patrons, présidentes et présidents, médecins, pro- fesseurs, parents, toutes les figures de l'autorité se dé- battent désormais dans l'ambiguïté. Elles peuvent se plaindre d'être de moins en moins respectées, mais elles- mêmes ne voudraient pas qu'on se prosterne à leurs pieds. Les parents rêvent de complicité avec leurs enfants, les enseignants d'élèves autonomes et entreprenants, les médecins de patients lucidement consentants. A l'ère de l'égalité de tous face à tous, de la concurrence libéralisée
et de l'horizontalité des réseaux sociaux (Rosanvallon, 2011), les statues de commandeurs ne font plus rêver; la cancel culture voudrait même les déboulonner.
LA DOUBLE PEINE DE L'ENSEIGNEMENT CONTESTÉ
L'école et les enseignants sont parmi les premiers touchés.
Comment rester un modèle à suivre dans un monde où toute instruction peut passer pour un abus de pouvoir caractérisé? Exiger d'un enfant qu'il se taise, l'exclure de la classe faute de mieux, lui prescrire un devoir par com- pensation: tout est potentiellement discutable, et de plus en discuté d'après les enquêtes empiriques. Le profes- seur Paty est mort d'avoir montré des caricatures à ses élèves: un cas-limite qui glace le sang. Mais des mises en cause à bas bruit peuvent produire usure et souffrance à force de se multiplier: contestation des notes, des bi- lans d'évaluation, des mesures de soutien, des horaires de piscine, des lectures imposées, des bricolages de Noël, des normes de conduite, des barèmes de sanction... La recherche montre un métier d'instruire de plus en plus stressé, désabusé, voire déprimé, en particulier dans les pays où l'école fut longtemps idéalisée (Maulini, 2019).
Plus l'activité des professionnels devient difficile, moins ils se sentent «reconnus», «considérés», «valorisés». D'où Olivier Maulini & Sercan Erceylan
LiN MODELÉ 2
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Date: 03.06.2021
Résonances 1951 Sion 027/ 606 42 18 www.resonances-vs.ch/
Genre de média: Médias imprimés Type de média: Presse spécialisée Tirage: 3'200
Parution: 9x/année N° de thème: 377.116
Ordre: 1094772 Page: 8
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VOTRE MiSSiON CONSISTERA A
CARENCES PE LA
COURAGE!
un sentiment de double peine régulièrement exprimé:
la charge augmente et le soutien diminue, de quoi faire fléchir les plus résolus. Si le corps enseignant est héritier d'un pouvoir formel (réglementé, contrôlé, évalué), son
pouvoir réel est mis en question et son autorité mena-
cée de s'estomper. La crise des institutions, de la raison et des solidarités fragilise une profession jadis symbole de stabilité. «Qu'attend donc la direction?! Pourquoi ne tape-t-elle pas sur la table pour de bon!? N'est-ce pas son rôle de faire taire les empêcheurs de travailler sereine- ment, comme cela se passait auparavant, sans tous ces contrôles, directives et protocoles tatillons?» La bureau- cratie prétend rationaliser l'action, mais elle devient ab- surde si elle l'encombre inutilement. Un pouvoir sûr delui exigerait la confiance, et ses subordonnés seraient
protégés dans leur sphère de compétence.«Les statues de commandeurs ne font plus rêver.»
I LES DEUX AUSPICES D'UNE AUTRE FERMETÉ C'est ici que nous butons. Car reprocher à nos chefs de ne pas être tout-puissants, n'est-ce pas leur faire subir ce que nous trouvons abusif d'endurer à notre niveau? est
facile d'exiger d'un ministre qu'il serre la vis partout...
sauf à notre détriment. La vérité est plus complexe. Les leaders «infaillibles et sublimes» ne prospèrent que dans les dictatures, les démocratures, les partis populistes, les sectes ou les gangs mafieux. La démocratie serait plu-
tôt le régime de l'inachèvement, du tâtonnement, de la discussion: c'est sa médiocrité qui fait sa grandeur,
parce qu'elle tient à ce que personne ne gouverne seul, tel un dieu ou un fou détaché de l'humanité. Pour sortirdu trouble, d'un sentiment de marasme ou de crise de civilisation, des voix appellent régulièrement au retour des certitudes à poigne: et s'il s'agissait plutôt de fer-
mement y renoncer?Le fantasme de perfection a partout le même revers:
celui de la dépression. A quoi bon osciller entre rêve et cauchemar si le plus réaliste est de s'engager en sachant
faillir, de se fier aux autres sans tout en attendre, de
renvoyer dos à dos la pensée magique et l'égocentrisme propres aux enfants? En somme, pourquoi ne pas s'ap- procher d'un modèle paradoxal mais du coup primordial:celui de l'adulte suffisamment bon? (Winnicott, 1956)
Cet éducateur est sage parce que présent sans envahisse- ment, modeste sans résignation. Il évite autant l'empriseque l'abandon. Il incite l'enfant à grandir pleinement, sous deux auspices que le sens commun oppose trop souvent: d'une part la stature d'une figure l'incitant à
s'élever hors du confort de la dépendance; d'autre partl'empathie émanant de cette figure et l'autorisant ac-
tivement à se risquer (Cifali, 2019). Besoin de stimula- tion et de sécurité. Peut-on parfaitement les doser? Ceserait retomber dans le délire de l'omnipotence, d'une
supériorité à ce point bienveillante qu'elle exempte ses ouailles de bien agir et penser de leur côté. Souvenons-nous du renard et du Petit Prince, cherchant mutuel- lement à s'apprivoiser. C'est ensemble qu'ils nouèrent une relation: parce qu'aucun des deux ne pouvait seul
la décréter.
VOTRV
CONSiSTeRA
A
LA SOCiee
Date: 03.06.2021
Résonances 1951 Sion 027/ 606 42 18 www.resonances-vs.ch/
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Parution: 9x/année N° de thème: 377.116
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Références:
Cifali, M. (2019). Préserver un lien. Ethique des métiers de la relation. Paris: PUF.
Il fallait que je vous dise. Lettres d'élèves. (1997). Paris:
Nathan.
Maulini, 0. (2019). Eduquer entre engagement et lucidité. Paris: ESF.
Rosanvallon, P. (2011). La société des égaux. Paris: Seuil.
Saint-Exupéry, A. (1946). Le Petit Prince. Paris:
Gallimard.
Winnicott, D. W. (19562006). La mère suffisamment bonne. Paris: Payot.
LES AUTEURS
Olivier Maulini & Serran Erceylan Université de Genève
Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation
Laboratoire Innovation Formation Education (LIFE)
www.unige.ch/fapse/life LES AUTEURS
Olivier Maulini & Sercan Erceylan Université de Genève
Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation
Laboratoire Innovation Formation Education (LIFE)
www.unige.ch/fapse/life