• Aucun résultat trouvé

Les troubles du spectre de l'autisme : troubles de genre ? l'autisme comme défi à la binarité des genres

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Les troubles du spectre de l'autisme : troubles de genre ? l'autisme comme défi à la binarité des genres"

Copied!
104
0
0

Texte intégral

(1)

Master

Reference

Les troubles du spectre de l'autisme : troubles de genre ? l'autisme comme défi à la binarité des genres

ISEPPI, Clara

Abstract

Historiquement considéré comme un trouble majoritairement masculin, l'autisme touche néanmoins une fraction non négligeable de filles et de femmes. Ce constat a emmené des chercheurs de divers domaines scientifiques, dont notamment la psychiatrie ou la neuroscience, à étudier les caractéristiques et les particularités des femmes atteintes de troubles du spectre de l'autisme. Ce mémoire a pour objet l'autisme à travers le prisme du genre. Une analyse d'un corpus d'articles biomédicaux de ces dix dernières années sur la question de l'autisme et les différences entre les sexes, conjuguée à une méthodologie inspirée de la critique féministe des sciences a ainsi permis de mettre en avant l'état des recherches sur le genre et l'autisme. De plus, cette analyse met en lumière les négociations qui ont lieux au sein de ces disciplines quand les notions de sexe et/ou de genre sont chamboulées. Effectivement, les théories genrées majeures autour de l'autisme permettent de mettre en avant un certain trouble de genre par le défi que semblent poser les individus autistes au dogme de la binarité des genres. [...]

ISEPPI, Clara. Les troubles du spectre de l'autisme : troubles de genre ? l'autisme comme défi à la binarité des genres. Master : Univ. Genève, 2020

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:145062

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

(2)

Faculté des sciences de la société Master en Études genre

Les troubles du spectre de l’autisme : troubles de genre ?

L’autisme comme défi à la binarité des genres

Clara Iseppi

Août-septembre 2020

Sous la direction de Prof. Delphine Gardey

(3)

Remerciements

En premier lieu, je tiens à remercier Delphine Gardey pour avoir accepté de m’encadrer dans cette étude, ainsi que pour son aide et ses encouragements pendant la rédaction de ce mémoire.

Merci à Lionel pour son soutien pendant l’écriture de ce travail.

Enfin, merci à ma mère pour sa patience et son aide.

(4)

Liste des abréviations

ADI-R : Autism diagnostic interview

ADOS: Autism diagnostic observation scale APA : American Psychiatric Association ASD : Autism spectrum disorders

ASSQ : Autism spectrum screening questionnaire CARS: Childhood autism rating scale

CFTMEA-R : Classification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent CHAT/M-CHAT : Modified checklist for autism in toddlers

CIM : Classification Internationale des Maladies Mentales DSM : Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders IRM: Imagerie par résonnance magnétique

NCBI : National Center for Biotechnology Information OMS : Organisation mondiale de la santé

SCQ : Social communication questionnaire TD : Typically developing

TED : Troubles envahissants du développement

TED-NOS : Troubles envahissants du développement non spécifiés TSA : Trouble du Spectre de l’Autisme

(5)

Résumé

Historiquement considéré comme un trouble majoritairement masculin, l’autisme touche néanmoins une fraction non négligeable de filles et de femmes. Ce constat a emmené des chercheurs de divers domaines scientifiques, dont notamment la psychiatrie ou la neuroscience, à étudier les caractéristiques et les particularités des femmes atteintes de troubles du spectre de l’autisme. Ce mémoire a pour objet l’autisme à travers le prisme du genre. Une analyse d’un corpus d’articles biomédicaux de ces dix dernières années sur la question de l’autisme et les différences entre les sexes, conjuguée à une méthodologie inspirée de la critique féministe des sciences a ainsi permis de mettre en avant l’état des recherches sur le genre et l’autisme. De plus, cette analyse met en lumière les négociations qui ont lieux au sein de ces disciplines quand les notions de sexe et/ou de genre sont chamboulées. Effectivement, les théories genrées majeures autour de l’autisme permettent de mettre en avant un certain trouble de genre par le défi que semblent poser les individus autistes au dogme de la binarité des genres. Ces théories représentent ainsi des moyens de remise en ordre du brouillage apparent de genre qui s’observe.

(6)

TABLE DES MATIÈRES

LISTE DES ABRÉVIATIONS 3

RÉSUMÉ 4

INTRODUCTION 7

I. TROUBLES DU SPECTRE DE L’AUTISME ET GENRE : QUEL

EST LE PROBLÈME ? 8

1.1. Problématique 8

1.1.1. Les troubles du spectre de l’autisme : brève introduction 8

1.1.2. Question de recherche 14

1.1.3. Enjeux et apports de la recherche 16

1.1.4. Plan de travail 18

2.1. Cadre théorique 19

3.1. Sources et méthodologie 21

3.1.1. Provenance et nature des données 21

3.1.2. Méthode de récolte et d’analyse des données 22

3.1.3. Choix des articles 24

II. LES TROUBLES DU SPECTRE DE L’AUTISME : DES

TROUBLES AU MASCULIN ? 27

2.1. Les troubles du spectre de l’autisme 27

2.1.1. Bref historique 28

2.1.2. Les changements de 1970-1980 : les classifications internationales 30

2.1.3. L’évaluation diagnostique : principaux outils 34

2.1.4. Principales explications étiologiques 35

2.1.5. TSA et la différence sexe/genre : les grandes lignes 37

Étiologie 38

Phénotype féminin unique 39

Influences socio-culturelles 39

2.2. Présentation du corpus et analyse 40

2.3. Les théorisations genrées des TSA 45

2.3.1. Le phénotype autistique féminin 45

Tableau clinique différent 45

Différences dans les symptômes cardinaux 48

2.3.2. La théorie du cerveau masculin extrême 50

2.3.3. La théorie de l’incohérence de genre 53

2.3.4. Génétique 55

III. LES TROUBLES DU SPECTRE DE L’AUTISME : DES

« TROUBLES DE GENRE » ? 57

(7)

3.1. La critique féministe des sciences : outils pour analyser le cas de l’autisme 57

3.1.1. La recherche des différences entre les sexes 58

3.1.2. Le cadre binaire des genres 59

3.1.3. Les notions de sexe et de genre : trouble dans les définitions 61

3.1.4. « L’individu autiste » : création d’un corps intelligible 64

3.2. Le cerveau comme site de la différence des sexes : les apports des Critical neurosciences et

l’application aux troubles du spectre de l’autisme 65

3.2.1. Le dimorphisme sexuel au niveau du cerveau : définitions et théories 65

Brain organization theory 67

La latéralisation cérébrale 69

La connexion interhémisphérique 70

3.2.2. Les Critical neurosciences : outils et concepts 71

Méthodes de comparaison et surestimation des différences 73

La vision essentialiste des différences entre les sexes 74

3.2.3. La primauté de la classification binaire du masculin et du féminin 76 3.3. « Trouble dans le genre » : l’autisme comme défi au paradigme de la binarité des genres 78

3.3.1. Les apports des théories féministes queer 78

3.3.2. Le sexe comme construction : illustration à travers le cas de l’autisme 79 3.3.3. Les troubles du spectre de l’autisme : défi à l’ordre binaire des genres ? 81

CONCLUSIONS 87

SOURCES 90

Ressources en ligne 95

Corpus d’analyse 96

(8)

Introduction

La revue scientifique spécialisée Autism publia en 2017 un numéro spécial1 sur l’autisme au féminin, s’inscrivant ainsi dans l’intérêt grandissant de la communauté scientifique pour la présentation des troubles autistiques chez les filles et les femmes. Les troubles du spectre de l’autisme, historiquement définis comme des troubles affectant de surcroît les hommes, sont de plus en plus acceptés comme pouvant aussi toucher les femmes. Cependant, l’image d’un trouble masculin prévaut encore dans une majorité de travaux scientifiques en la matière, et la présentation féminine est considérée comme une anormalité du tableau clinique classique de l’autisme. Les outils et les échelles d’évaluation diagnostiques se fondent d’ailleurs quasi- exclusivement sur cette présentation masculine des symptômes. Or la prévalence féminine de l’autisme, bien que faible, n’est pas nulle, ainsi comment expliquer ce phénomène ? Quelles causes biologiques, génétiques ou autres peuvent apporter des éclaircissements sur comment des femmes puissent être atteintes d’un trouble masculin ?

Ces questionnements ont été le commencement d’une analyse plus approfondie des recherches autour de la prévalence biaisée de l’autisme, notamment telle qu’elle est menée dans le cadre des neurosciences et de la psychiatrie. Ces problématiques m’ont ainsi emmener à me poser des questions plus larges sur les notions de sexe et de genre telles qu’elles sont pensées et travaillées dans ces disciplines scientifiques. Une étude détaillé d’un corpus précis traitant des questions de sexe et de genre dans le cas de l’autisme m’ont permis de mettre en avant les défis qui émergent quand on fait face à un trouble qui semble toucher un sexe plus que l’autre. Les préjugés et les stéréotypes de genre s’insinuent dans les hypothèses mêmes des chercheurs, et des certitudes semblant aller de soi paraissent ébranlées. Des différences strictes entre les sexes sont posées comme préambule dans la majorité des recherches traitant de la question de la prévalence inégale entre hommes et femmes dans l’autisme. Or ceci, dans le cadre d’une approche féministe qu’est la mienne, appelle à se poser « toutes sortes de questions dérangeantes » (Butler, 2006 : p.217) sur ce que sont ces différences, mais aussi autour des notions de sexe ou de genre. Car loin d’être anodines, les caractérisations faites par les disciplines scientifiques sur les questions de sexe, de genre et des différences entre hommes et femmes ont des effets tangibles sur les objets qu’ils étudient. Mon mémoire va tenter de mettre en lumière ces effets dans un contexte spécifique qui est celui de l’autisme : ce trouble

1 Autism. Special Issue on : Women and girls on the autism spectrum. Vol. 21, n.6, Août 2017. En ligne https://journals.sagepub.com/toc/auta/21/6 (consulté le 11 avril 2020).

(9)

historiquement défini comme masculin semble poser des problèmes aux disciplines neuroscientifiques et psychiatriques dans le sens où elles peuvent aussi concerner les femmes.

Des véritables questionnements émergent ainsi dans la communauté scientifique quant aux causes de ce phénomène, mais aussi sur les effets de ceci sur la « féminité » de ces femmes (ainsi que sur la « masculinité » des hommes). Un brouillage semble s’opérer dans les catégories classiques de distinction des sexes. Mon mémoire a ainsi pour sujet précisément ce brouillage, et la manière dont les différentes disciplines mentionnées négocient avec ces défis.

Commençons donc par introduire plus précisément ce que sont les troubles du spectre de l’autisme, ainsi que les questionnements qui en émergent du point de vue du genre.

I. Troubles du spectre de l’autisme et genre : quel est le problème ?

1.1. Problématique

1.1.1. Les troubles du spectre de l’autisme : brève introduction

Les troubles du spectre de l’autisme (TSA) sont des syndromes qui font partie des troubles envahissants du développement (CIM-10) et des troubles neurodéveloppementaux (DSM-5). Ils se caractérisent par des difficultés dans les interactions sociales ainsi que des comportements et des intérêts restreints et stéréotypés. Les TSA ont aussi une forte prévalence masculine, avec un ratio homme/femme estimé à quatre pour un, mais qui semble varier avec le quotient intellectuel : ainsi il est de deux pour un chez les individus présentant des troubles additionnels et/ou une déficience intellectuelle, et de dix pour un chez les individus dits high functioning ou Asperger et n’ayant pas de déficience intellectuelle. Ce sex ratio fortement biaisé est au cœur de nombreux questionnements dans la communauté scientifique s’intéressant à l’autisme, et notamment dans les domaines de la psychologie, de la psychiatrie et des neurosciences qui travaillent le plus sur ce trouble. Un grand nombre d’articles scientifiques s’emploient à rechercher les causes de ces différences de prévalence entre hommes et femmes.

Les changements de paradigme qui se sont opérés autour de la définition clinique de l’autisme et de son diagnostic depuis les premières caractérisations dans les années 1940 ont influencé les causes supposées expliquer ces différences de sexe dans la prévalence et la présentation de l’autisme. Le trouble autistique est aujourd’hui considéré comme un trouble neurodéveloppemental. Ainsi le domaine de la psychologie et de la psychiatrie s’intéressent-t-

(10)

ils à trouver la cause des différences de sexe en les cherchant au niveau du cerveau et en employant des méthodes de recherche issues des neurosciences. Nous nous trouvons donc dans un contexte où les théories neuroscientifiques ont un poids de plus en plus important et leurs théories, pratiques et thérapies influencent à la fois les recherches biomédicales mais aussi la société dans son ensemble (Ortega, 2009). Le développement de techniques avancées de recherche, notamment en génétique et en neurologie, crée un terreau propice aux théories du déterminisme biologique des différences entre hommes et femmes en les ancrant dans le cerveau et dans les gènes des individus (Vidal, 2013). Les sites de la différence se transposent ainsi au cerveau et dans les gènes, ce qui offre un socle biologique à priori immuable pour signifier les différences entre les sexes (Gardey et Löwy, 2000).

Le poids des neurosciences et de leurs méthodes dans les recherches autour des troubles autistiques est particulièrement notable dans le corpus d’étude que j’ai choisi d’établir, à partir de recherches ciblées, sur le portail américain PubMed. Ce portail piloté par le National Center for Biotechnology Information (NCBI)2 propose depuis 1996 une base de données de près de 30 millions d’articles issus des sciences médicales et biomédicales. La majorité des articles dans les domaines de la biomédecine sont regroupés dans la base bibliographique MEDLINE, qui est une base de donnée liée à PubMed. Cette base de données permet une recherche par mots clés ciblés, ainsi que le choix de différents filtres (temporalité, sujets en particulier) permettant d’orienter plus précisément la recherche.

J’ai choisi de concentrer mon enquête sur des articles parus au cours des dix dernières années, c’est-à-dire entre 2009 et 2019, et j’ai ainsi pu observer une constante hausse des articles traitant de sexe et/ou genre en lien avec l’autisme. Après un processus de sélection et de tri à partir des abstracts et des mots clés, le corpus final se compose de 69 articles que j’ai analysé plus en détail. La majorité des articles proviennent d’Amérique du Nord et du Royaume-Uni et la totalité est en langue anglaise. Les disciplines majoritaires sont la psychologie, la psychiatrie et les neurosciences. A la lecture de ces articles, j’ai pu mettre en avant quatre thèmes qui sont traités par les documents du corpus, et que je vais présenter brièvement ici.

Le premier thème présente l’autisme comme une forme extrême de l’intelligence masculine : il s’agit de la théorie dite « extreme male brain theory » développée par le

2 Informations issues du site PubMed : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/about/ (consulté le 4 août 2020)

(11)

psychiatre anglais Simon Baron-Cohen. C’est une des théories les plus citées dans les articles du corpus, et elle se base sur des supposées différences cognitives entre hommes et femmes qui résultent en des « types de cerveaux » distincts. Les femmes auraient plus de capacité d’empathie (empathizing) et les hommes auraient une grande capacité pour comprendre les systèmes et les règles qui les soutiennent (systemizing). Les individus autistes sont supposés présenter un type de cerveau ultra-masculin, c’est-à-dire avec des capacités de systemizing exacerbées, mais une empathie sous-développée. Ces différences entre les types de cerveau et les capacités cognitives sont en grande partie attribuées à des influences hormonales, notamment de la testostérone prénatale, qui causeraient une « hyper-masculinisation » du cerveau dès la période fœtale, et ceci aurait des conséquences permanentes visibles tout au long de la vie.

La deuxième théorie importante est nommée la « gender incoherence theory » : à l’inverse de la théorie précédente, celle-ci présente l’autisme comme une gender defiant disorder. Dans cette perspective, les individus autistes sont vus comme défiant leur genre, et ces études observent une « inversion » des genres, où les hommes autistes sont considérés comme plus « féminins » et les femmes autistes comme plus « masculines »3. Certains postulent aussi que les individus autistes sont plus androgynes.

Une troisième vision pour expliquer le sex ratio déséquilibré de l’autisme mettent en avant le fait que les troubles du spectre de l’autisme se présentent différemment entre hommes et femmes, et qu’il existe ainsi un phénotype féminin d’autisme. Celui-ci serait méconnu et peu pris en considération car les définitions cliniques de l’autisme se sont basées sur la présentation masculine du syndrome, et les recherches se sont ainsi faites sur des échantillons majoritairement ou exclusivement masculins. De ce fait, les particularités féminines de l’autisme et de sa présentation ne sont pas mesurées par les outils diagnostics courants, ce qui conduit au sous-diagnostic des filles et femmes et expliquerait ainsi une partie du sex ratio. Par ailleurs, les filles autistes sont aussi supposées « camoufler » leurs difficultés, notamment dans le domaine des relations sociales, ce qui rendrait l’observation de leurs troubles moins flagrante par rapport aux garçons, et le fait qu’elles soient diagnostiquées moins fréquent.

Le quatrième type d’explication des différences de sexe dans l’autisme se base sur des explications génétiques. Les femmes auraient par exemple besoin d’une plus grande charge de mutation génétique que les hommes pour manifester des troubles menant à un diagnostic de

3 Il me semble important ici de noter que ces termes sont ceux utilisés par les auteurs eux-mêmes : ainsi je reprends leurs expressions et catégorisations car il me semble important d’utiliser les catégories mobilisées par les auteurs, et ne pas altérer la terminologie des chercheurs.

(12)

trouble autistique. De plus, il existerait des mécanismes génétiques conférant une protection aux femmes vis-à-vis de l’autisme, mais qui augmenterait le risque pour les hommes.

Ces quatre explications témoignent des théorisations genrées des troubles du spectre de l’autisme existantes aujourd’hui. Comme le note Lesley Rogers (2010), les recherches biomédicales sur les différences de sexe peuvent se diviser en deux catégories : d’une part les explications unitaires, qui présentent la différence comme étant uniquement déterminée par les gènes, mettant donc en avant une vision essentialiste et déterministe des différences (Rogers, 2010). D’autre part, nous trouvons les explications interactives, qui postulent que les différences résultent de l’interaction de l’expérience et des gènes, c’est-à-dire une vision alliant le social et le biologique et la façon dont les deux se co-construisent (Rogers, 2010). Ces deux types d’explication se retrouvent dans le cadre des quatre théorisations genrées autour des TSA présentées ci-dessus. Ortega (2009) note que les recherches sur l’autisme et son étiologie se caractérisent par trois démarches majoritaires : la caractérisation du cerveau « autiste », la recherche d’un génotype autiste et la recherche autour des influences environnementales (Ortega, 2009). De même, la recherche de l’explication du sex ratio inégal des TSA s’articule autour de ces trois axes. Effectivement, les recherches s’emploient à trouver le lieu de la différence entre hommes et femmes atteints d’autisme, en les localisant soit dans les cerveaux soit dans les gènes, c’est-à-dire dans la biologie. Le dénominateur commun de ces démarches ainsi que des théories précédemment citées, est la localisation des mécanismes causant la prédominance masculine dans la biologie et plus précisément dans le « sexe », tout en faisant une distinction claire et infranchissable avec le social, c’est-à-dire le « genre » (Cheslack- Postava et Jordan-Young, 2012). Comme nous le verrons dans le chapitre où nous analyserons plus en détail le corpus, les notions de sexe et de genre restent floues dans le champ des neurosciences et de la psychologie, et quand ces deux notions se retrouvent dans les recherches ils sont le plus souvent clairement distingués en tant que « sexe biologique » et « genre social », ou encore utilisés comme synonymes. Nous reviendrons plus en détail sur cet aspect dans l’analyse des articles scientifiques sélectionnés pour notre corpus.

Les théories genrées sur l’autisme ne sont cependant pas exemptes du contexte social où elles sont nées : en effet, toute science est ancrée dans un espace-temps qui l’influence et vice-versa. Comme le montre Ilana Löwy (1995, p.525) :

(13)

« (…) les divisions de genre opèrent à l’intérieur de la science. Cette proposition repose sur un double constat : celui du poids de la division en genres dans la société et la culture, celui de l’impossibilité de laisser la science en dehors de la société et de la culture »4. En effet, notre société se fonde en grande partie sur la bicatégorisation par sexe, où le masculin et le féminin sont clairement distincts, et où le masculin prédomine et constitue la norme (Kraus, 2000 ; Hammarström et Annandale, 2012). Cette division, en tant qu’elle est supposée ancrée dans la biologie, n’est pas remise en cause par les chercheurs car elle paraît naturelle et allant de soi (Kraus, 2000 ; Gardey, 2006). Ainsi, les recherches s’intéressant à des pathologies montrant une prévalence masculine ou féminine, comme notamment les troubles autistiques, courent le risque de présenter des interprétations prouvant une différence incommensurable car les catégories hommes et femmes sont théorisées comme distinctes par nature, en raison du caractère retenu comme biologique du sexe (Springer, Hankivsky et Bates, 2012). Les constructions binaires de sexe sont donc bien souvent renforcées mais pas remises en causes dans ces recherches (Springer, Hankivsky et Bates, 2012 ; Gardey, 2006).

Les articles sur les différences de sexe dans les TSA présentés ici s’inscrivent dans un plus large contexte de recherches sur les différences. Ces recherches sont intégrées elles-mêmes à une histoire, à des contextes et des lieux spécifiques. Il me semble ainsi important de présenter brièvement les recherches sur les différences de sexe dans le cadre des neurosciences particulièrement, pour montrer comment ce type de recherche s’inscrit, au même titre que tous les autres types, dans une constellation précise de contexte politique et social d’une époque donnée. Mon mémoire n’a pas pour but de proposer une analyse historique détaillée, il s’agit ici proposer un bref survol qui devrait permettre de saisir les grandes lignes de l’histoire dont sont héritières les recherches qui se font aujourd’hui sur les différences d’un point de vue biologique entre les hommes et les femmes. En effet, ces recherches de différences, et notamment au niveau du cerveau, ont souvent été menées en parallèle à un agenda politique ou sociétal plus large, où il a fallu ré(affirmer) l’ordre social basé sur les différences et la hiérarchisation des deux sexes. Comme le note Robyn Bluhm en citant Ruth Hubbard

4 LÖWY, Ilana. Le genre dans l'histoire sociale et culturelle des sciences. In : Annales. Histoire, Sciences Sociales.

Cambridge University Press, 1995. p. 523-529.

(14)

(2012 :p.234) « pour être crus les faits scientifiques doivent coller aux visions du monde de l’époque »5 .

Robyn Bluhm (2012) met en avant deux périodes importantes dans l’histoire des neurosciences et les recherches des différences de sexe au niveau cérébral. La première se situe à la fin du 19ème siècle : dans un contexte de demandes de droits politiques et sociaux dans les sociétés Américaines et Anglaises, les médecins veulent prouver que les femmes n’ont pas les capacités intellectuelles pour exercer ces droits qu’elles revendiquent. Les chercheurs s’emploient à prouver que les femmes ont des cerveaux plus petits que les hommes, et donc que la taille serait à la base de la capacité intellectuelle des individus (Bluhm, 2012). De plus, on essaie de prouver que les activités et stimulations intellectuelles trop intensives seraient néfastes pour les femmes, voire désastreuses pour l’humanité entière car les bébés nées de ces mères intellectuelles seraient faibles et abîmés (Bluhm, 2012).

La deuxième période importante se situe entre la fin des années 1960 et les années 1980 : les recherches de ces années se focalisent essentiellement sur l’endocrinologie, et plus spécifiquement sur l’influence des hormones pendant la période prénatale sur les fœtus et la constitution du cerveau (Bluhm, 2012). De ces recherches se développera le modèle linéaire du développement humain et des différences de sexe, qui suppose que les gènes induisent la production d’hormones qui vont sculpter le cerveau en fonction du sexe : ainsi, des cerveaux totalement masculins ou féminins seront développés, et qui détermineront de façon permanent les comportements et les caractéristiques psychologiques des hommes et des femmes (Bluhm, 2012).

Il est ainsi possible ici d’entrevoir les difficultés qui se posent dès lors qu’on se trouve en présence d’éléments pouvant perturber cette dichotomie à priori immuable. Comment faire quand des catégories de personnes ne rentrent pas dans cette conceptualisation binaire du sexe et du genre ? En effet, comme le note Delphine Gardey (2006 ; p. 665) :

« la matrice hétérosexuelle des conceptualisations biologiques du « sexe » (…) ne semble pas tolérer la diversité ni le continuum »6.

5 Ma traduction de : « to be believed scientific facts must fit the world-view of the times ». Voir BLUHM, Robyn.

Beyond neurosexism: is it possible to defend the female brain? – In BLUHM, Robyn, JAAP JACOBSON, Anne et MAIBOM, Heidi Lene (Eds), Neurofeminism. Issues at the intersection of feminist theory and cognitive science.

New directions in philosophy and cognitive sciences. Palgrave Macmillan. 2012, p. 230-245.

6 GARDEY, Delphine. Les sciences et la construction des identités sexuées. Une revue critique. In : Annales.

Histoire, sciences sociales.Éditions de l'EHESS, 2006. p. 647-673.

(15)

Cependant comme le laissent entendre les théories genrées sur l’autisme, on se trouve précisément en face d’un potentiel défi à la dichotomie des sexes. Les individus atteints de TSA sont tantôt présentés comme hyper-masculinisés, tantôt comme androgynes voire même inverser leur identité de genre, introduisant ainsi un brouillage dans la certitude de la hiérarchisation et la division sexuée. Or ceci semble clairement problématique au vu de la prégnance de ce modèle dichotomique dans notre société, où l’ordre social semble basé sur l’ordre biologique (Vidal, 2013 ; Gardey et Löwy, 2000). Ainsi, l’incertitude et l’ambiguïté n’ont pas de place dans la matrice de différence des sexes, et encore moins dans la médecine qui fonde une grande partie de ses paradigmes dans la division des sexes, et qui met en avant l’importance d’avoir une identité sexuelle claire pour le bien-être des individus (Gardey et Löwy, 2000). Comment alors réagir face à des cas qui ne semblent pas suivre ces lignes rigides ? De quelle façon procède la psychologie et les neurosciences face à ces brouillages des genres dans le cas des TSA ? Un problème semble ainsi se dessiner entre les théories de la dichotomie du sexe et les observations faites sur les individus TSA.

1.1.2. Question de recherche

Les TSA semblent ainsi introduire des questionnements autour de la validité du cadre théorique de la dichotomie des genre. En effet, le développement de théories genrées autour de l’autisme laissent-elles penser que le sexe et le genre sont pensés dans les recherches sur l’autisme. On peut se demander alors comment les neurosciences et les disciplines qui s’y rattachent négocient avec ces définitions quand les distinctions classiques sont remises en cause, et les manières dont les théories genrées autour de l’autisme sont mobilisées par ces savoirs scientifiques pour rendre compte des brouillages de genre qui se profilent.

Ainsi, mon mémoire va-t-il essayer de répondre à la question suivante : en empruntant la formulation de Judith Butler7, l’autisme met-il en avant un « trouble dans le genre » ? Plus précisément, les individus autistes sont-ils un défi à la binarité des genres ?

En effet, les théories tels que la « Extreme male brain theory « ou la « Gender incoherence theory » postulent des « troubles dans le genre » chez les individus atteints de troubles autistiques. Dans le cadre théorique de la binarité des sexes, des phénomènes vus comme

7 BUTLER, Judith. Trouble dans le genre: le féminisme et la subversion de l'identité. Paris : Editions La découverte, 2006.

(16)

atypiques pour les hommes seront considérés comme féminins, et à l’inverse un phénomène atypique pour les femmes sera vu comme masculin (Jordan-Young et Rumiati, 2012). Les recherches dans mon corpus montrent comment les sciences médicales essayent de remettre en ordre la binarité des genres en trouvant l’origine des « anormalités » de la différenciation sexuelle, que ce soit au niveau cérébral, hormonal ou encore environnemental, pour ainsi pouvoir rétablir l’ordre des sexes sur lequel se base la majorité des paradigmes de la médicine et de la psychologie. Les différences hommes-femmes sont de cette façon rétablies et validées car basées sur des recherches scientifiques.

On peut aussi se demander pour quelle raison des théories telles que la « Extreme male brain theory » ou la « Gender incoherence theory » sont si largement reprises dans les études sur l’autisme et les différences de sexe : que nous dit ceci sur l’état et le rapport qu’entretiennent les neurosciences avec les notions de sexe et de genre ? Mon mémoire va permettre de voir la relation des neurosciences et des recherches biomédicales avec le sexe et le genre, et comment ces sciences participent à la construction de définitions qui vont avoir des effets plus larges, et notamment au niveau du diagnostic et de la prise en charge des troubles autistiques. Tout ceci met en lumière toute la complexité de penser les notions de sexe et de genre dans le contexte des sciences dites « dures ». Cela nous permet aussi de nous interroger sur les difficultés à penser la matérialité (du corps, du cerveau) et les différences construites, sociales, tout ceci en lien avec l’autisme et le sex ratio inégal qui s’observe.

Outre ces considérations plutôt épistémiques, il est intéressant d’étudier la façon dont l’autisme est pensé comme un syndrome au masculin. En effet, des articles de mon corpus mettent en avant comment la version (le « phénotype ») féminine de l’autisme est différente de celui masculin, presque une variante « anormale » de la présentation classique du trouble autistique. La norme est ainsi pensée au masculin, comme cela a été le cas pour d’autres maladies (par exemple les maladies cardio-vasculaires).

L’article de Gillis-Buck et Richardson “Autism as a biomedical platform for sex differences research” de 2014 m’a servi de base de réflexion pour ma problématique. Dans cet article, les deux auteures mettent en avant la façon dont la recherche autour des différences de sexe dans l’autisme devient en réalité un point focal d’où partent d’autres recherches sur les différences entre hommes et femmes. De cette façon, la prévalence masculine de l’autisme est réduite à des causes biologiques, qu’elles soient au niveau cérébral ou génétique, tout en mettant dans l’ombre les causes sociales ainsi que les stéréotypes de genre qui pourraient aussi expliquer la vision de l’autisme comme un trouble au masculin. Comme le montrent Fausto-Sterling, Coll

(17)

et Lamarre (2012a), une distribution différentielle de la prévalence d’une maladie entre hommes et femmes peut laisser penser qu’il existe deux normes distinctes, c’est-à-dire une pour les femmes et une pour les hommes, et qui ne se recoupent pas. Ainsi ces recherches ancrées dans le cadre binaire des sexes participent-elles simultanément à renforcer ce même cadre (Springer, Hankivsky et Bates, 2012). Ce phénomène est d’autant plus amplifié qu’il émane d’un projet scientifique, ce qui lui confère une légitimité sociale accrue car la science est considérée comme neutre et objective (Löwy, 1995). Or les sciences, et ceux qui font science, sont aussi influencées par les représentations de genre qui prévalent à un moment et à un lieu donné, et dans un contexte social et politique, ce qui a un impact sur les théorisations, les méthodes et les recherches scientifiques (Gardey, 2006 ; Hoffman et Bluhm, 2016). Plus précisément, elles participent à construire et à (re)modeler les identités sexuelles des individus qu’elle étudie (Gardey, 2006 ; Gardey et Löwy, 2000), cela même si ces individus ne rentrent pas dans la bicatégorisation préscrite, comme le mentionne notamment Cynthia Kraus en citant Judith Butler (2000 ; p.190, souligné par l’auteur) : « (…) le sexe est une catégorie normative qui produit, circonscrit, régule le corps en permettant ou en interdisant certaines identifications pour produire un corps sexué, culturellement intelligible ». Ainsi, les sciences s’inscrivent dans un contexte où les individus ne peuvent être pensés que en appartenant à l’une ou l’autre des catégories dichotomiques de sexe, et aucun cas intermédiaire n’est toléré sous peine d’être pathologisé. Même en présence de cas ne rentrant pas clairement dans la dichotomie, il persiste

« l’impératif culturel » (Kraus, 2000 : p. 209) de rétablir cette bicatégorisation en créant des

« (…) identités et des corps sexués clairs et stables, quoique ces mêmes corps soient équivoques (…) » (Kraus, 2000, p.209, souligné par l’auteur). Nous verrons ainsi par la suite comment ceci s’applique dans le cas des individus atteints de TSA, et la façon dont ils présentent un défi au cadre théorique de la dichotomie des genres.

1.1.3. Enjeux et apports de la recherche

Mon mémoire va ainsi mettre en lumière la façon dont sont pensées les notions de sexe et de genre dans les champs scientifiques s’intéressant aux TSA, et comment ces savoirs médicaux vont négocier avec le défi que semblent poser les individus atteints de troubles autistiques au dogme de la binarité de genre. Comme le notent Löwy et Rouch (2003), les différences de sexes sont influencées, co-crées par les pratiques scientifiques d’un espace-temps donnée, ainsi que par le développement de nouvelles technologiques médicales. Mon travail va

(18)

s’inscrire dans cette démarche qui consiste à ne pas considérer les notions de sexe et de genre ainsi que les différences biologiques comme étant des objets stables ; au contraire il s’agira ici de voir la façon dont ces notions sont inscrites dans le contexte scientifique actuel qui situe de façon croissante les différences entre les sexes au niveau cérébral.

Étudier les théorisations genrées autour de l’autisme me semble aussi important au vu des implications plus larges qu’elles engendrent : en effet, ces théorisations, qui sont aussi des affirmations sur le sexe et le genre, influencent les pratiques cliniques et de diagnostic entourant l’autisme, ce qui atteint directement les individus concernés par ces troubles. On peut ainsi penser que ceci peut avoir des conséquences délétères sur ces individus, mais aussi leurs proches. En cristallisant et essentialisant les différences de sexes entre les individus atteints de TSA, il existe un risque de véhiculer l’idée que ces différences sont fixes et naturelles, donc inévitables car « crées » par la nature (Fine, 2012 ; Rippon et al. 2014).

Mon mémoire va aussi permettre de voir comment sont pensés le masculin et le féminin dans les sciences s’intéressant au cerveau et le lien avec les comportements, et la manière dont est pensé et négocié la binarité des genres dans un contexte qui semble la défier tel que les TSA.

Delphine Gardey et Ilana Löwy (2000 ; p. 14) notent en effet que « (…), les dichotomies sont donc entités variables, objets de définitions et de redéfinitions, modes d’interrogation inévitablement situés et datés mais toujours à l’évidence tributaires d’une pensée du féminin et du masculin, et de leurs relations. ». Analyser les conceptualisations et les théorisations autour des différences entre les hommes et les femmes dans le contexte médical me semble d’autant plus important que, dans nos sociétés biomédicalisées, la voix de la médecine a un fort écho, d’autant plus quand les explications des différences de sexes semblent résider dans le cerveau (Kaiser et al., 2009). Comment trouver un meilleur « haut-lieu biologique » que le cerveau ? Voir comment les sciences médicales et psychologiques sont, au même titre que les autres sciences, parcourues et traversées par des stéréotypes et des idées préconçues sur le genre (Van den Wijngaard, 1991), le sexe, le masculin et le féminin devient ainsi plus qu’un simple exercice de pensée. Il devient essentiel car ces théorisations genrées ont des réels effets sociétaux, ainsi que cliniques dans le cas de l’autisme (Rippon et al. 2014), mais aussi sur les représentations sociétales autour de l’autisme et des individus atteints de ce trouble. En analysant un corpus d’articles publiés sur une période de dix ans, je vais pouvoir proposer une vue d’ensemble sur l’état des recherches et des pensées autour du sexe et du genre dans le contexte de l’autisme sur un période déterminée. Ce n’est donc pas une revue de l’état des recherches depuis le début des travaux sur l’autisme, mais plutôt une fenêtre sur un laps de temps court mais dense en termes de publications disponibles.

(19)

Ce travail va en outre permettre de mettre en évidence la manière dont les sciences biomédicales participent à définir et à construire les identités sexuées (Gardey, 2006), et de cette façon justifier et maintenir le cadre de la dichotomie des genres, qui s’inscrit dans notre société qui se fonde en grande partie sur la stabilité de cette binarité (Kraus, 2000). Face à une catégorie d’individus qui semble défier cette binarité, les sciences médicales continuent de les penser en références à deux sexes catégoriquement différents, comme on le voit pour les cas intersexuels, mais aussi dans les cas de l’autisme (Kraus, 2000). Jordan-Young (2012) montre dans son travail sur les femmes atteintes d’hyperplasie congénitale des surrénales, un trouble endocrinien dans lequel les femmes présentent des taux anormalement élevés de testostérone et sont donc considérées comme « masculinisées », comment ce diagnostic devient un cadre à travers duquel se définit et se re-définit la sexualité et le genre, et aussi à travers lequel on va juger et interpréter les traits et les comportements de ces femmes. De même, nous verrons la manière dont le diagnostic d’autisme peut avoir ces mêmes effets.

En dernier lieu, mon mémoire va aussi proposer une vue d’ensemble sur l’utilisation et les définitions des notions de sexe et de genre, à travers l’étude des articles de mon corpus. Ceci va permettre de mettre en lumière la façon dont opère le déterminisme biologique qui semble s’ancrer de plus en plus dans la médecine d’aujourd’hui, mais aussi les conséquences de l’utilisation des notions de sexe et de genre comme synonymes, un fait qui s’observe clairement dans les articles de mon étude (Hammarström et Annandale, 2012).

1.1.4. Plan de travail

Mon mémoire se divise en trois parties. La première partie se compose de l’introduction aux troubles du spectre de l’autisme proposée ci-dessus. La suite de cette première partie retrace le cadre théorique et méthodologique, inspiré en grande partie par les critiques féministes des sciences. Il s’agit ainsi de poser les bases conceptuelles sur lesquelles se construira le restant de l’argumentation.

Dans la deuxième partie, je propose d’analyser plus en profondeur les troubles du spectre de l’autisme, en retraçant l’histoire de sa définition depuis l’apparition de l’autisme comme figure clinique et entité diagnostique. J’aborderais aussi les différents outils diagnostiques. À la suite de ceci, j’analyserais plus en détail les théories genrées déjà mentionnées brièvement dans cette première partie. Ceci sera relié avec l’étude du corpus d’articles qui constitue mon terrain d’analyse pour ce mémoire.

(20)

La troisième partie se veut plus critique : en empruntant des concepts et notions des critiques féministes des sciences, ainsi que du courant des Critical neurosciences, il s’agit de lire et analyser les théories genrées de l’autisme d’un point de vue féministe. Cette partie montrera la façon dont les troubles du spectre de l’autisme se posent, outre qu’un trouble masculin, aussi en un véritable trouble de genre.

2.1. Cadre théorique

L’étude critique des sciences (Sciences studies) nous donne des outils pour penser la science non comme un objet naturel et sans histoire, mais plutôt comme une « institution » (Pestre, 2006 : p.3) où se concentrent « un ensemble de « pratiques et de faire » (ibid). Ainsi, la science est une entreprise humaine, où agissent des individus et dont les pratiques scientifiques se rattachent au contexte social et historique dans lequel ils vivent. Dans cette approche critique, la science est donc « dés-essentialisée » (Pestre, 2006 : p. 7), c’est-à-dire dépourvue de son aura de discipline neutre et objective, et devient de ce fait un objet d’étude permettant l’analyse et la critique des manières de faire, des idéologies ou encore des théorisations qui y ont lieu. Cependant, ces pratiques scientifiques ne se font pas dans un vase clos, mais bel et bien dans un contexte social donné, et où les deux se co-produisent et s’influencent mutuellement (Pestre, 2006). En effet, comme le note Dominique Pestre (2006 : p.48), « l a science étant un dispositif qui produit des ordres conceptuels et sociaux multiples – et non un dispositif qui « dévoilerait » simplement l’ordre caché de la nature - , il est maladroit de « décontexualiser » ce qu’elle dit et fait. Toujours liés à des porteurs et des lieux, ces dires et faire sont toujours en passe d’être redéfinis. ». Les savoirs scientifiques sont dont intégrés dans des lieux précis, ce qui remet en question la prétendue universalité des savoirs des sciences dites « dures » (Oudshoorn, 1998). Cette approche critique des sciences permet aussi de se défaire de la vision courante qui représente la science comme une entreprise tendant toujours vers le progrès, et où les « erreurs » du passé font partie de ce cheminement vers la vérité scientifique (Gardey, 2006 ; Pestre, 2006 ; Gardey et Löwy, 2000). En adoptant une vision historique, on peut ainsi dévoiler la manière dont les sciences et leurs pratiques ont toujours été en lien avec le contexte où elles se font.

Depuis les années 1970, des travaux critiques féministes sont venus compléter et élargir les concepts des Science studies. Des biologistes et autres scientifiques femmes ont voulu mettre en avant le caractère sexiste des savoirs des sciences de la vie ou des sciences sociales en montrant la manière dont ces savoirs naturalisent les différences entre les hommes et les

(21)

femmes, ainsi que les notions de masculinité ou de féminité (Pestre, 2006). Le concept de

« genre » vient alors signifier la distinction entre ce qui est socialement construit (le genre) et ce qui est biologique (le sexe), pour se défaire des discours naturalisants et essentialistes sur les différences et les inégalités hommes/femmes (Hammarström et al. 2014 ; Krieger, 2003 ; Gardey, 2006 ; Löwy et Rouch, 2003 ; Gardey et Löwy, 2000). Cette dichotomie a été remise en cause dans les années 1980 et 1990, notamment à travers les théories queer, qui pensent le sexe comme étant lui aussi un fait social, et rompant ainsi la distinction claire entre genre et sexe proposée par la première vague féministe (Kraus, 2000 ; Kaiser, 2012 ; Kaiser et al., 2009 ; Gardey, 2006 ; Löwy et Rouch, 2003). Dans ce même contexte, le genre est aussi pensé en termes relationnels, dans le sens où il est vu comme une catégorie d’analyse et comme un signifiant de relations de pouvoir et d’inégalité entre les hommes et les femmes (Löwy, 1995 ; Springer, Hankivsky et Bates, 2012 ; Gardey et Löwy, 2000).

La critique féministe des sciences nous donne ainsi des outils précieux pour prendre en compte les opinions ordinaires dans les sciences, c’est-à-dire les représentations et images qui sont produites par ce que Sandra Harding (1989) appelle « science as usual », c’est-à-dire « les sciences telles qu’elles se font » (Gardey, 2006 : p. 651). Cette approche nous permet de comprendre la relation entre les images de la masculinité et de la féminité qui prévalent dans une société à un temps donnée et la production de savoirs scientifiques sur la masculinité et de la féminité8. On peut ainsi se poser la question de savoir quels sujets sont choisis par les sciences, et pourquoi tel sujet est-il considéré pertinent.

Regarder les « sciences telles qu’elles se font » permet de rompre avec la vision de l’objectivité et la neutralité absolue qui est attachée aux sciences naturelles, et de mettre en avant le fait que toute connaissance est située, c’est-à-dire ancrée dans un contexte social et politique, mais aussi qu’elle est le fruit d’individus eux-mêmes intégrés dans ce contexte (Gardey, 2006 ; Löwy et Rouch, 2003 ; Fausto-Sterling, 1986). Dans le cadre des critiques féministes, ceci a permis de dé-naturaliser des propos sur la différence entre hommes et femmes, ou encore sur la place de la femme dans la société. Le genre est ainsi un outil d’analyse puissant, et aussi un concept qui nous permet de comprendre les significations de la masculinité et de la féminité qui sont

8Ma traduction de :“(…)better understanding about the rela- tion between the social images of masculinity and femininity and the scientific production of knowledge about masculinity and femininity”. Voir VAN DEN WIJNGAARD, MARIANNE. The Acceptance of Scientific Theories and Images of Masculinity and Femininity. Journal of the History of Biology, 1991, vol. 24, no 1, p. 19-49.

(22)

attachées aux catégories d’homme et de femme dans une société (Löwy, 1995). Cet outil, ainsi que les apports des critiques féministes des sciences fournissent un cadre théorique intéressant pour étudier les manières multiples dont les sciences participent à (co-)créer les notions de masculinité et de féminité, ou encore de différences de sexe/genre en les transformant en phénomènes naturels car ancrés dans la biologie (Gardey, 2006 ; Löwy et Rouch, 2003 ; Gardey et Löwy, 2000).

3.1. Sources et méthodologie

3.1.1. Provenance et nature des données

Ma recherche se base sur l’analyse d’un corpus d’articles issus de la base de données américaine PubMed9, qui compte près de 30 millions de références de littérature médicale. J’ai choisi cette base de données pour le grand nombre de références proposées, ainsi que pour sa large utilisation dans d’autres articles de recherche se basant sur l’étude de corpus d’articles médicaux.

Pour étudier la façon dont semble apparaître le « trouble dans le genre » dans l’autisme, j’ai centré mes recherches autour d’articles traitant des différences de sexe/genre et d’autisme.

Ainsi mon terrain est constitué d’articles scientifiques provenant de différents domaines, dont notamment les neurosciences, la psychologie ou encore la génétique.

La majorité de mon corpus est constitué d’articles présentant des recherches de psychologie cliniques, comportant des observations effectuées sur un groupe cible (ici les individus atteints de TSA) et sur un groupe contrôle (ici des individus dits neurotypiques, donc non atteints de TSA), ainsi que l’administration de tests psychologiques. Une autre partie des articles présentent des recherches incluant des mesures et des prélèvements, notamment de sang pour y mesurer des niveaux d’hormones. De plus, une partie du corpus se constitue de recherches utilisant des techniques d’imagerie cérébrale comme par exemple l’imagerie par résonnance magnétique (IRM). Enfin, il me semble important ici de mentionner que certains articles ne traitent pas d’individus diagnostiqués autistes, mais travaillent sur des individus sains présentant des traits autistiques. J’ai choisi d’intégrer ces articles dans l’analyse car ils représentent la vision d’un continuum des traits autistiques qui s’étend dans la population générale. Cette idée a été développée par la psychiatre Lorna Wing dans les années 1980, qui

9 Disponible sur: https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov (consulté le 8 août 2020)

(23)

met en avant l’idée que des traits qu’on peut caractériser d’autistiques sont présents à des degrés divers dans toute la population, avec les cas extrêmes étant caractérisés de pathologiques donc diagnostiqués TSA (Baron-Cohen et Hammer, 1997). Je reviendrai plus en détail sur cette notion ultérieurement dans mon mémoire.

Ces articles ainsi que les différentes méthodes utilisées seront présentés et analysés plus en détail dans la deuxième partie de mon travail.

On notera dès à présent que près de 30% des articles proviennent d’Amérique du Nord, et 25%

de Grande-Bretagne. Le reste provient essentiellement d’Europe et d’Australie. Uniquement trois articles sont non-Occidentaux : un est issu d’Iran, et deux de Chine.

Le protocole suivi pour la sélection des articles (recherche par mots clés dans la fonction recherche de PubMed) est détaillée dans la prochaine section.

3.1.2. Méthode de récolte et d’analyse des données

Pour effectuer ma recherche dans la base de données PubMed, j’ai appliqué la méthode présentée dans l’article « Autism as a biomedical platform for sex differences research » de Gillis-Buck et Richardson (2014). Ainsi, j’ai appliqué leurs termes de recherches, qui me semblent pertinent au vu de la similitude de nos thèmes de recherche. Mettre en avant l’évolution des recherches sur les différences de sexe/genre et les troubles du spectre de l’autisme nous permet de voir la façon dont les recherches sur les différences de sexe/genre se développent dans les domaines de la médecine et de la psychologie, ainsi que la manière dont se dessine le « trouble dans le genre » dans et autour des TSA.

J’ai utilisé la fonction de recherche standard proposée par PubMed, pour chercher des articles, abstracts et mots-clés traitant de différences de sexe/genre et d’autisme (Gillis-Buck et Richardson, 2014 ; Oertelt-Prigione et al., 2010)10. En amont de cette recherche, j’ai effectué une première phase exploratoire : en combinant plusieurs mots clés de recherches, sur une période de 20 ans, j’ai pu constater que la question d’« autisme et genre » a commencé à émerger comme point d’intérêt à partir des années 201011. Pour cette raison j’ai axé ma recherche finale sur une période de dix ans (2009-2019).

10 Termes de recherche effectué le 8 mars 2019: (autism AND (“sex difference*” OR “gender difference*” OR

“sex specific” OR “gender specific” OR “sexual difference*” OR “sexual dimorph*” OR “sex dependent*” OR

“gender dependent*” OR “sex based” OR “gender based” OR “sex ratio*” OR “sex characteristic*”) . Filtré par:

Article types=Journal articles OR Review Text availability=Abstract OR Full text Publication dates=10 years Species=Humans

11 gender AND autism 2944 articles. Augmentation depuis 2014

(24)

En utilisant cette méthode de recherche, j’ai obtenu un total de 796 articles et revues de la littérature avec les termes de recherche, et 335 en rajoutant les filtres.

L’analyse du corpus d’articles sera à la fois quantitative et qualitative. Premièrement, une analyse quantitative (simple) va permettre de présenter le corpus plus en détail, ainsi que de mettre en avant la diversité des domaines de recherches et des méthodes utilisées. Ceci permet aussi de voir la multitude d’acteurs et de disciplines médicales qui s’intéressent aux TSA.

En deuxième lieu, j’effectuerai une analyse qualitative d’analyse de discours et de contenu, pour mettre en lumière les différentes théorisations qui existent autour des TSA. En lisant de façon systématique les articles du corpus, j’ai ainsi pu compléter une grille de lecture pour mettre en avant les théorisations genrées des TSA, ainsi que les définitions et les constructions des catégories de sexe et de genre, ce qui permet une vue d’ensemble de la manière dont ces notions sont effectivement pensées et travaillées dans les sciences biomédicales et psychologiques qui s’intéressent à l’autisme. Ceci permettra aussi de voir la façon dont ces sciences négocient avec le trouble dans le genre posé par l’autisme, face au cadre théorique de la binarité des sexes, en essayant de trouver des explications biologiques pouvant sauver l’ordre social reposant sur la distinction claire entre hommes et femmes.

Ma méthode se veut féministe en ce sens que je suis les propositions d’Isabelle Clair (2016 : p.70), qui propose qu’une méthode peut être qualifiée de féministe si : « 1) elle promeut de penser ensemble théorie et méthode ; 2) elle fonde cette théorie sur une acception que selon laquelle le genre est une catégorie d’analyse et non un objet ou une « donnée » à observer ; 3) elle s’appuie sur un corpus bibliographique féministe – entre autres corpus ». Lier méthode et théorie me semble pertinent dans le cas de mon mémoire, qui va allier analyse d’un corpus biomédical et critique féministe des sciences. Cette analyse féministe du corpus se fait donc à travers le prisme du genre, où le genre en tant que catégorie d’analyse (Scott et Varikas, 1988), fait ressortir les enjeux et les (re)négociations qui ont lieu dans le cas des recherches sur les TSA et l’apparent trouble de genre qui s’y profile.

women AND autism 506 articles. Augmentation depuis 2014

autism AND gender differences 753 articles. Augmentation constante depuis 2010 autism AND sex ratio 129 articles. Pic en 2016

(25)

3.1.3. Choix des articles

Mon corpus final se compose de 69 articles, qui seront la base de mes analyses. Pour sélectionner les articles pertinents pour ma recherche, j’ai appliqué les critères de sélection développés par Oertelt-Prigione et collègues (2010). Ces derniers développent les critères d’inclusion et d’exclusion pour choisir des articles pertinents à analyser du point de vue des différences de sexe/genre12 :

Critères d’inclusion :

• Articles décrivant des différences de sexe/genre spécifiques dans l’espèce analysée

• Articles analysant des données relatives à des différences spécifiques de sexe/genre

Critères d’exclusion :

• Absence de descriptions de sexe/genre

• Présence d’énoncés généraux ou sans analyse

• Référence à la maladie étudiée uniquement comme co-morbidité

En appliquant cette méthode de filtrage et de sélection, 69 articles remplissaient les conditions et sont ainsi pertinentes pour mon analyse. Le schéma 1 montre le processus de sélection, et est inspiré de la méthode utilisée par Loomes, Hull et Mandy (2017).

12 Oertelt-Prigione et al. (2010, p.2)

(26)

Schéma 1 : Processus de sélection et de filtrage des articles du corpus

Le corpus final se compose de 69 articles retenus pour l’analyse. Comme mentionné plus haut, la majorité des articles proviennent d’Amérique du Nord et du Royaume-Uni. Il ne ressort pas d’auteur ou de groupe d’auteur majoritaire, ce qui montre que le thème des différences de sexe/genre dans les TSA est un sujet qui intéresse un grand nombre de chercheurs divers. Ceci a aussi été observé dans le corpus d’articles étudiés par Gillis-Buck et Richardson dans leur article (2014). Les domaines majoritaires qui étudient les TSA et le sex ratio déséquilibré sont la psychologie, la psychiatrie et les neurosciences. Cette diversité permet de voir la prégnance des questions des différences de sexe/genre dans les TSA, mais aussi plus largement, comme nous allons le voir plus loin. Les revues de la littérature ne sont pas inclus dans le corpus, mais seront utilisées pour compléter les analyses car ils constituent des outils intéressants pour suivre le développement des connaissances scientifiques dans un domaine (Oertelt-Prigione et al., 2010). Ainsi, le corpus inclut des articles présentant des recherches cliniques en psychologie, psychiatrie ou encore neurologie. Ce type d’article permet de voir la façon dont sont conceptualisées les notions de sexe et/ou de genre dans les domaines de la psychologie et des neurosciences, et comment ceci est intégré aux réflexions autour des TSA.

Articles identifiés à travers recherche

dans base de donnée PubMed

(n=796)

Identification

Application de filtre de recherche

(n=335)

Filtrage

Analyse des abstracts rentrant dans les critères de

sélection (n=184)

Analyse

Articles retenus pour analyse

(n=69)

(27)

Ces articles permettent aussi d’analyser les discours autour des concepts de sexe et de genre, et de mettre en avant comment ces disciplines pensent le genre, notamment en lien avec des affections qui semblent le troubler, comme les TSA.

Les articles choisis proviennent de journaux scientifiques divers, même si la majorité des articles ont été publiés dans des revues spécialisées dans les recherches autour des troubles autistiques. Ainsi, une grande partie des articles publiés en 2017 par exemple ont été publiés dans un numéro spécial de la revue Autism sur les questions de genre et d’autisme13. Ceci montre comment les questions des différences de sexe/genre commencent à être des questions de plus en plus importantes dans les domaines de la médecine et de la psychologie. Le tableau 1 montre les journaux d’où proviennent les articles de mon corpus.

Liste des revues scientifiques

American Journal of Medical Genetics Part B: Neuropsychiatric Genetics (USA) Archives of Sexual Behavior (USA)

Autism (USA)

Autism research (USA) Biological Psychology (USA) Brain (UK)

Disability and health journal (USA)

Journal of abnormal child psychology (USA) Journal of attention disorders (USA)

Journal of autism and developmental disorders (USA) Journal of neurophysiology (USA)

Journal of the American Academy of Child & Adolescent Psychiatry (USA) Laterality: Asymetries of Body, Brain and Cognition (USA)

Molecular autism (UK) Neuroscience bulletin (Chine) PLoS One (USA)

Psychiatry Research: Neuroimaging (USA) Psychoneuroendocrinology (USA)

Research in developmental disabilities (USA) Social cognitive and affective neuroscience (UK) The British Journal of Psychiatry (UK)

Tableau 1 : Liste des journaux scientifiques

13 Autism. Special Issue on : Women and girls on the autism spectrum. Vol. 21, n.6, Août 2017. En ligne https://journals.sagepub.com/toc/auta/21/6 (consulté le 11 avril 2020).

(28)

II. Les troubles du spectre de l’autisme : des troubles au masculin ?

2.1. Les troubles du spectre de l’autisme

Cette partie propose un bref historique de la notion d’autisme et de sa définition. Nous nous intéresserons ensuite aux critères diagnostiques tels qu’ils sont mis en place par les classifications internationales : la Classification Internationale des Maladies (CIM) et le Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux (DSM), qui sont les références pour la majorité des travaux de recherche, mais aussi pour poser un diagnostic d’autisme aujourd’hui.

Le DMS sera particulièrement intéressant ici en ce qu’il représente la « Bible de la psychiatrie » (Bajeux, 2016 : p.18 ; Vuille, 2014), et est donc particulièrement influant dans les pratiques cliniques et la recherche scientifique. Ce Manuel a la particularité de ne pas proposer d’étiologie des troubles, mais uniquement les différents critères qui doivent être remplis pour poser un diagnostic (Bajeux, 2016). Le DSM est édité par l’Association Américaine de Psychiatrie (APA) qui se compose d’acteurs privés et publics experts dans le domaine de la psychiatrie. Bien que le DSM soit édité aux États-Unis son influence dépasse largement ses frontières, et il est utilisé au niveau international comme outil diagnostic mais aussi dans une myriade d’autres fonctions : effectivement, Marilène Vuille (2014 : p.3) note que « [s]es modes d’exploitation sont diversifiés : clinique, scientifique, mercantile, idéologique, médico-légal, à des fins de pouvoir, de remboursement des soins, d’élaboration de politiques publiques (…) ». Ainsi, le DSM se démarque comme un outil extrêmement influant et puissant dans les domaines de la psychiatrie, et les spécialités qui s’y rattachent, dont notamment les neurosciences. L’influence d’une approche neurologique, qui se note particulièrement dans la dernière version du DSM (DSM- 5, APA, 2013) s’inscrit ainsi dans la notion, qui fonde la psychiatrie, selon laquelle les troubles mentaux sont avant tout des maladies du cerveau (Bajeux, 2016 : p.19). Les troubles autistiques, comme nous l’évoquerons plus loin, sont ainsi pensés majoritairement comme étant localisés au niveau cérébral.

Nous le verrons, les troubles autistiques ont subi et subissent des changements de définition et de caractérisation au cours des différentes versions du Manuel. Commençons ainsi par présenter l’autisme en proposant un bref survol historique de l’évolution de ce trouble et de sa caractérisation au cours du temps.

(29)

2.1.1. Bref historique

La notion d’autisme telle qu’elle est pensée aujourd’hui prend ses racines dans les premières théorisations qui ont été faites à son sujet dans les années 1940. Même s’il est vrai que les individus qui aujourd’hui auraient été considérés autistes ont été classés de façons différentes à travers l’histoire (par exemple « l’idiotie » ou « arriération mentale » dans les débuts du XXème siècle), la définition qui est utilisée aujourd’hui date du milieu des années 1940. Ainsi, le bref historique proposé ici débutera à cette période, même si écrire l’histoire de l’autisme à travers le prisme du genre me semblerait un projet intéressant, ce n’est néanmoins pas le propos de mon mémoire14.

Le terme d’autisme a été utilisé la première fois par un psychiatre suisse, Eugen Bleuler, qui en 1911 l’utilise pour décrire un mécanisme de défense qui survient chez les schizophrènes adultes, et qui consiste en un repli sur soi et une distanciation en réponse à des difficultés émotionnelles due au trouble schizophrène (Hochmann, 2009 ; Tardif et Gepner, 2019). Le mot autisme vient du grec autos et signifie « soi-même ». Ainsi, au début le terme autiste s’applique à un mécanisme dit secondaire (c’est-à-dire en lien avec une autre pathologie, ici la schizophrénie), et non à un trouble à proprement parler comme c’est le cas aujourd’hui. Il faut attendre les années 1943, quand le pédopsychiatre américain Leo Kanner utilise ce même terme pour décrire « (…) une figure clinique originale » (Hochmann, 2009 : p.246) dans son article

« Autistic disturbances of affective contact » (Kanner, 1943). Kanner y décrit ce qu’il appelle un « trouble autistique (inné) du contact affectif » (Hochmann, 2009 : p.246), trouble qu’il nomme autisme infantile précoce. Kanner a effectué des observations sur une cohorte de onze enfants, soit huit garçons et trois filles, tous âgés de moins de onze ans. Il relève ainsi deux symptômes centraux de l’autisme qui sont la solitude et l’immuabilité, observant que ces enfants ne jouent pas avec les autres, ou alors de façon anormale, et qu’ils se focalisent, parfois jusqu’à l’obsession, sur des détails (Hochmann, 2009). Kanner veut à tout prix différencier l’autisme de la schizophrénie, notamment en insistant sur le fait que la difficulté fondamentale de ces enfants autistiques est leur « (…) inaptitude (…) à établir des relations normales avec les personnes et à réagir normalement aux situations depuis le début de la vie » (Hochmann, 2009 : p.247, italiques de l’auteur). Kanner met donc en avant le caractère inné du trouble autistique, sans pour autant en proposer une étiologie spécifique. Étant fortement influencé par

14 Pour l’histoire de l’autisme, on peut par exemple se référer à : HOCHMANN, Jacques. Histoire de l’autisme.

Paris : éditions Odile Jacob. 2009.

Références

Documents relatifs

Par la suite, nous avons évalué les performances de tous les enfants sur des tâches connues pour être difficiles chez les enfants avec un trouble spécifique du langage :

Pour ce faire, nous avons divisé nos enfants ASD en deux groupes en fonction de leurs performances en grammaire : ceux présentant des déficits grammaticaux

Tout d'abord, comme nous avons pu le voir, nos résultats montrent que la tâche d'opposition morphosyntaxique (N-EEL) pose problème pour établir l'existence ou l'absence d'un

Perturbations émotionnelles et leurs remédiations dans le Trouble du Spectre de l'Autisme.. SAMSON, Andrea Christiane,

significativement plus élevée chez les patients atteints d’épilepsie que dans la population générale, ce qui suggère des mécanismes pathophysiologiques similaires (Helmstaedter

Pour rappel, cette étude vise à montrer qu’un entraînement du langage portant sur les phrases enchâssées peut améliorer la Théorie de l’Esprit dans l’ensemble de

Les capacités de langage pragmatique et de TdE sont plus basses pour les personnes avec le FXS+TSA comparées aux personnes avec le FXS uniquement ; ces capacités

Les professionnels ont fortement conseillé aux trois couples parentaux d’arrêter de parler leur langue d’origine avec leurs enfants au profit de l’anglais (langue