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Chronique-Allemagne

DAGRON, Stéphanie, et al.

DAGRON, Stéphanie, et al. Chronique-Allemagne. Annuaire international de justice constitutionnelle, 2006, vol. XXI-2005, p. 379-415

DOI : 10.3406/aijc.2006.1811

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:103690

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Allemagne

Stéphanie Dagron

,

Michel Fromont

,

Constance Grewe

,

Francis Limbach

,

Xavier Volmerange

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Dagron Stéphanie, Fromont Michel, Grewe Constance, Limbach Francis, Volmerange Xavier. Allemagne. In: Annuaire international de justice constitutionnelle, 21-2005, 2006. Constitutions nationales et Constitution européenne – Autonomies locales et Constitutions. pp. 379-415;

doi : https://doi.org/10.3406/aijc.2006.1811

https://www.persee.fr/doc/aijc_0995-3817_2006_num_21_2005_1811

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ALLEMAGNE

par Stéphanie DAGRON, Michel FROMONT, Constance GREWE, Francis LIMBACH et Xavier VOLMERANGE *

I - Statistique des décisions de la Cour fédérale ; II - Organisation et activité des pouvoirs publics ; 1 - La dissolution du Bundestag ; 2 - La répartition des compétences,

3 - L'Etat de droit ; III - Les droits fondamentaux ; 1 - L' inconstitutionnalité de la loi sur le mandat d'arrêt européen ; 2 - La liberté de la presse ; 3 - Droits de la personnalité, libertés individuelles, protection de la vie privée et des données personnelles ; 4 - Les droits fondamentaux de procédure : la détention provisoire ; 5 - Le droit des étrangers

* * *

I - STATISTIQUES DES DÉCISIONS DE LA COUR FÉDÉRALE

En 2005, le contentieux se réduit un peu après l'accroissement des deux années précédentes. 5105 nouvelles affaires sont enregistrées contre 5589 en 2004.

Les recours individuels en forment la majeure partie : 4967 contre 5434 en 2004 et parmi ceux-ci, les recours dirigés contre les jugements continuent de dominer largement. Après les recours individuels viennent les ordonnances provisoires au nombre de 88, puis les procédures en contrôle des normes (abstrait et concret) qui s'élèvent à 34, les litiges organiques entre Bund et Lander à 13.

La Cour a jugé 5060 affaires contre 5612 en 2004 dont 4920 recours individuels. Le 31 décembre 2005, sont restées en stock 2731 affaires contre 2686 en 2004.

Stéphanie DAGRON, Docteur en droit, chargée de recherches à l'Institut fur deutsches und europdisches Verwaltungsrecht ; Michel FROMONT, Professeur à l'Université Paris I ; Constance GREWE, Professeur à l'Université Robert Schuman, Strasbourg, Directrice de l'Institut de recherche Carré de Malberg ; Frédéric LIMBACH, Docteur en droit, Assistant à la Faculté de droit de l'Université de Kiel ; Xavier VOLMERANGE, Maître de Conférences à l'Université de Rennes I.

Annuaire international de justice constitutionnelle, XXI-2005

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II - ORGANISATION ET ACTIVITÉ DES POUVOIRS PUBLICS

L'événement majeur est en 2005 la dissolution du Bundestag et les élections législatives. La dissolution a donné lieu à un contentieux assez abondant. En outre, cette année comporte elle aussi quelques arrêts relatifs à la répartition des compétences qui confirment le tournant amorcé vers une conception plus favorable aux compétences fédérées.

1 - La dissolution du Bundestag

a) h' organisation des travaux parlementaires : les commissions d'enquête 1 Une directive envoyée en mars 2000 aux ambassades et consulats d'Allemagne par Ludger Volmer, secrétaire d'Etat auprès du ministre des affaires étrangères Joschka Fischer, avait déclenché une vive polémique en Allemagne. Cette instruction avait pour objet d'alléger considérablement la procédure pour se faire délivrer un visa, facilitant ainsi un trafic de papiers notamment au consulat de Kiev jusqu'en 2003. Bien qu'alerté par la police des frontières, Joschka Fischer avait reconnu lui-même ne pas avoir réagi, en tant que ministre responsable, avec suffisamment de rapidité, de détermination et de rigueur. Dans ces circonstances, le Bundestag avait mis en place le 17 décembre 2004 une commission d'enquête parlementaire chargée de déterminer les conditions dans lesquelles les visas pouvaient être délivrés aux ressortissants étrangers. Celle-ci devait notamment se pencher sur la question de savoir si les visas avaient été accordés de manière irrégulière dans certaines ambassades, si cela avait eu des incidences sur la criminalité en Allemagne et si le gouvernement pouvait être tenu responsable d'éventuelles lacunes.

Le 2 juin 2005, la commission décida de mettre un terme à son programme de travail et de rendre un rapport au regard des éléments dont elle disposait au motif que si la législature devait théoriquement prendre fin à l'automne 2006, il fallait très probablement s'attendre à des élections anticipées dès l'automne 2005. Selon l'article 33 de la loi relative aux commissions d'enquête du Bundestag, lorsqu'il est prévisible que la commission d'enquête ne peut pas terminer son travail avant la fin de la législature, elle doit remettre au Bundestag un rapport sur la base des éléments dont elle dispose. La majorité de la commission considérait que la condition posée par cet article était remplie.

Saisie par 265 députés CDU/CSU et FDP, la Cour constitutionnelle ordonne à la commission de poursuivre son programme de travail tel qu'il avait été fixé le 3 1 mars et ce jusqu'à la date d'une éventuelle dissolution du Bundestag par le Président fédéral, à moins qu'une modification de ce programme de travail soit décidée à l'unanimité.

X. V.

b) Conflit entre organes de l'Etat à propos de la dissolution 2

Une députée contestait la décision prise par le Président fédéral le 21 juillet 2005 de dissoudre le Bundestag et d'organiser des élections législatives le 18 septembre 2005 en se fondant sur l'article 38 al. 1 phrase 2 LF (les députés du Bundestag sont les représentants du peuple) et l'article 39 al. 1 phrase 1 LF (Le Bundestag est élu pour quatre ans). Elle était soutenue par des petites formations

1 Décision du 15 juin 2005 - 2 BvQ 18/05

2 2e Chambre, décision du 8 août 2005, 2 BvE 4/05

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politiques. En effet, selon l'article 65 de la loi relative à la Cour constitutionnelle fédérale, d'autres requérants que le Président fédéral, le Bundestag , le Bundesrat, le Gouvernement fédéral et les membres de ces organes dotés de droits propres par la Loi fondamentale ou par les règlements intérieurs peuvent venir soutenir un requérant et la partie adverse si la décision est également significative pour la délimitation de leurs compétences.

Mais dans la décision du 8 août 2005, la Cour constitutionnelle déclare irrecevable l'intervention à l'instance de ces petites formations politiques car le § 65 de la loi exige une adhésion aux intérêts juridiques du demandeur. Or, en l'espèce, la députée et les petits partis politiques poursuivaient des buts différents. Alors que la députée faisait valoir que la dissolution portait atteinte à son statut de parlementaire, les petites formations politiques avançaient l'argument selon lequel la dissolution ne leur permettait pas de préparer suffisamment à l'avance la campagne électorale. X. V.

c) Recours des petits partis contre la décision de dissoudre et quorum de signatures 3

Selon l'article 18 al. 2 de la loi sur les partis politiques, les formations qui ne sont pas représentées au Bundestag ou dans un Landtag de manière ininterrompue par au moins 5 représentants ne peuvent présenter une liste de candidats que s'ils ont, au plus tard le quarantième jour précédant le jour de l'élection, informé par écrit le président de la Commission électorale fédérale.

Ces listes doivent en outre être signées par au moins un pour mille électeurs du Land depuis la dernière élection du Bundestag (avec un plafond fixé à 2000 électeurs). Or selon l'article 39 al. 1 phrase 4 de la Loi fondamentale, en cas de dissolution, les élections ont lieu dans les 60 jours. Ce délai laisse évidemment très peu de temps aux formations politiques non représentées pour collecter le nombre requis de signatures lorsqu'elles n'ont pas anticipé la dissolution. Celle-ci est intervenue le 21 juillet 2005 avec des élections prévues le 18 septembre.

Le Ministère de l'intérieur avait alors fait savoir que les conditions d'éligibilité devaient être réunies pour le 15 août 2005 (34 jours avant la tenue des élections).

Estimant être atteints dans leur droit à l'égalité des chances, des petits partis politiques formèrent un recours organique dirigé d'une part contre l'ordonnance de dissolution prise par le Président fédéral et d'autre part contre les dispositions de la loi relative aux partis politiques.

Dans sa décision du 23 août 2005, la Cour constitutionnelle fédérale déclarera la requête irrecevable car les conditions posées par l'article 64 de la loi relative à la Cour constitutionnelle fédérale ne sont pas réunies. Une requête est seulement recevable si le requérant fait valoir que sa personne ou l'organe auquel il appartient est violé dans les droits et obligations qui lui ont été conférés par la Loi fondamentale.

La décision de dissoudre le Bundestag conformément à l'article 68 de la Constitution ne crée pas de lien juridique entre le requérant et le Président fédéral.

Cette norme n'a pas pour objet de défendre les intérêts des partis politiques qui ne sont pas représentés au Bundestag. Elle est davantage destinée à assurer une certaine stabilité entre le Chancelier et le Bundestag. L'article 68 de la Constitution n'a donc pas pour objet de garantir une période minimum destinée à permettre aux petits partis politique de préparer les élections. Dans la mesure où cette disposition ne 3 2e Chambre, décision du 23 août 2005, 2 BvE 5/05, EuGRZ 2005, 539-

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fonde pas le statut juridique de ces partis, ils ne peuvent pas être atteints par une dissolution même inconstitutionnelle.

Il n'y a par ailleurs pas de corrélation entre d'une part le droit de dissolution et d'autre part les articles 3 (égalité devant la loi), 2 1 (statut des partis politiques) et 38 (élections) de la Loi fondamentale: que la dissolution soit conforme ou pas à la Constitution, les conséquences sont identiques pour le requérant.

Par ailleurs, le § 64 de la loi relative à la Cour constitutionnelle fédérale dispose que la requête doit être présentée dans les six mois à compter de la prise de connaissance de la mesure objectée ou de l'omission. Or le délai est dépassé affirme la Cour. Le législateur avait prévu dès la loi du 7 mai 1956 l'obligation de collecter des signatures pour les partis politiques qui ne sont pas représentés au Bundestag. Une loi électorale est certes intervenue le 11 mars 2005 mais elle n'a pas d'incidences sur l'obligation de collecter des signatures : elle avait uniquement pour objet de redessiner les circonscriptions électorales. Pour qu'une requête dans le cadre d'un conflit entre organes de l'État soit recevable, il aurait fallu que la loi nouvelle crée ou accentue le caractère anticonstitutionnel de la loi de 1956. Par conséquent, l'intervention récente du législateur n'a pas pour effet de faire à nouveau courir le délai de 6 mois.

De la même façon, l'argument selon lequel le législateur aurait dû prévoir un aménagement spécial pour les petites formations politiques en cas de dissolution est irrecevable car la loi relative à l'organisation des élections anticipées remonte à 1975.

X. V.

d) Recours formé par deux députés contre la dissolution du Bundestag 4 Les mécanismes du parlementarisme rationalisé avait déjà donné l'occasion à la Cour constitutionnelle de se prononcer lors de la précédente dissolution en 1983 5.

Selon l'article 68 de la Loi fondamentale, si une motion de confiance proposée par le chancelier fédéral n'obtient pas l'approbation de la majorité du Bundestag, le président fédéral peut, sur proposition du chancelier fédéral, dissoudre le Bundestag dans les vingt et un jours. Ce mécanisme empêche a priori de procéder à une dissolution "à l'anglaise" : le chancelier est théoriquement dans l'impossibilité de dissoudre une chambre au sein de laquelle il dispose d'une majorité. Cependant, grâce à un vote calibré lors de la question de confiance, le chancelier peut être mis en minorité, ce qui lui ouvre la voie pour solliciter la dissolution auprès du Président fédéral. De la même façon qu'en 1983, la Cour constitutionnelle, dans sa décision du 25 août 2005, évite de s'immiscer dans des équilibres politiques difficilement appréciables par le juge en rejetant le recours formé par deux députés.

La Cour admet que la dissolution du Bundestag à la suite d'une motion de confiance n'est constitutionnelle que dans la mesure où elle correspond non seulement aux exigences posées à l'article 68 de la Constitution mais également à son objectif.

Selon elle, les articles 63 (élection et nomination du chancelier), 67 (motion de défiance constructive) et 68 (motion de confiance) LF permettent de garantir l'existence d'un gouvernement capable d'agir. Cette capacité d'action ne signifie pas simplement que le chancelier est en mesure de définir une ligne politique et d'en assumer la responsabilité mais également qu'il peut compter sur une majorité au Bundestag. Or, souligne la Cour, la question de savoir si le chancelier dispose encore d'une majorité fiable ne peut que difficilement être appréciée extérieurement.

4 2e Chambre, jugement du 25-8-2005, 2 BvE 4/05 et 2 BvE 7/05, EuGRZ 2005, 517.

5 BVerfGE 62, 1

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Il n'en reste pas moins que l'élaboration de l'article 68 révèle qu'une question de confiance susceptible de provoquer une dissolution ne peut être justifiée que lorsque la capacité d'action d'un gouvernement a disparu. Aussi, aux yeux du juge, l'article 68 n'est pas détourné de son but lorsqu'un chancelier, craignant d'être mis en minorité lors de votes à venir, pose la question de confiance. En effet, la capacité d'agir du gouvernement est déjà atteinte lorsqu'un chancelier doit infléchir sa politique pour éviter d'être désavoué au Bundestag. Même si le chancelier doit rester sous le contrôle du parlement et s'efforcer de trouver un compromis, il n'en reste pas moins que le gouvernement est conçu comme un organe politique qui doit être capable d'assumer sa politique devant les citoyens et les députés. Il doit, pour cela, disposer d'une marge d'appréciation suffisante. L'évaluation juridique de cette marge de manœuvre peut difficilement être appréciée car une perte de confiance ne se prête guère à une analyse juridictionnelle.

Par ailleurs, la décision de dissoudre résulte d'un processus politique impliquant trois organes constitutionnels. Chancelier, Bundestag et Président ont chacun une part de responsabilité dans la procédure conduisant à la dissolution: le chancelier puisqu'il pose la question de confiance, le Bundestag en ouvrant par un vote défavorable le chemin à une éventuelle dissolution, et enfin le Président fédéral qui apprécie si les conditions posées par l'article 68 sont effectivement réunies. Cette chaîne de responsabilités oblige le juge constitutionnel à restreindre son contrôle qui n'est pas identique à celui qu'il exerce lorsqu'il contrôle une norme ou son exécution.

Lorsqu'il avait justifié le recours à la question de confiance dans la séance du 1er juillet 2005, le chancelier avait indiqué que son programme de réformes

« Agenda 2010 » avait provoqué des dissensions non seulement entre les différents partis politiques mais également au sein de son propre parti, le SPD. Il avait également avancé un certain nombre d'éléments qui renforçaient l'analyse selon laquelle il ne disposerait plus à l'avenir d'une capacité suffisante d'agir (notamment les défaites électorales enregistrées depuis 2003). Le président du SPD et du groupe parlementaire avait d'ailleurs fait part de ses inquiétudes quant à la capacité d'agir de son parti et par conséquent du gouvernement fédéral. Celui-là même qui devait apporter son soutien au gouvernement partageait ainsi les mêmes inquiétudes que le chancelier.

La Cour en conclut que le contexte politique général était de nature à conforter le chancelier dans son analyse.

Dans son opinion dissidente, le Juge Jentsch conteste l'analyse faite par la majorité de la chambre de la Cour constitutionnelle fédérale. Il constate que la majorité parlementaire n'avait jamais fait défaut au gouvernement lors du vote des lois. La façon dont a été interprétée la motion de confiance revient à reconnaître au Bundestag un droit à l'autodissolution, ce qui n'est pas prévu dans la Loi fondamentale. Il souligne enfin que l'instrumentalisation de la question de confiance est de nature à affaiblir le statut du parlement. L'analyse faite par la majorité des juges revient à autoriser le chancelier à provoquer de nouvelles élections par l'intermédiaire d'une fausse question de confiance dès lors qu'il considère indispensable que sa politique soit ovationnée.

La juge Llibbe-Wolff, tout en approuvant le sens de la décision rendue, conteste l'interprétation faite de l'article 68 qui revient finalement à construire un simple contrôle de façade: l'étendue du pouvoir d'appréciation laissé au chancelier

empêche la Cour d'exercer un véritable contrôle. X. V.

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2 - La répartition des compétences

a) La décision sur les droits d'inscription universitaires

Par une décision en date du 26 janvier 2005 6 («Studiengebiihren- Entscheidung ») la Cour constitutionnelle fédérale a confirmé son interprétation des art. 72 et 75 LF développée dans ses décisions sur la loi concernant les soins aux personnes âgées en 2002 7 et sur la loi concernant les « professeurs junior » en 2004 8. Selon cette jurisprudence, la marge de manœuvre laissée au législateur fédéral dans le domaine de la compétence législative concurrente et de la loi-cadre est désormais extrêmement réduite. La Cour suit ainsi le choix opéré par le législateur constitutionnel en 1994 favorable au renforcement de la compétence législative des Lander. En l'espèce, la deuxième chambre de la CCF ne s'est pas prononcée sur la constitutionnalité au fond des mesures nouvelles adoptées par le législateur. Se plaçant sur le terrain de la répartition des compétences entre la Fédération et les Lander, elle adopte une décision qui, sans être entièrement convaincante au regard de son argumentation, contribue au renforcement des compétences législatives des États fédérés.

Dans cette affaire, la Cour avait à juger de la constitutionnalité de certaines modifications introduites dans la loi-cadre sur l'enseignement supérieur du 8 août 2002. L'art. 1 n° 3 de cette 6e loi de modification interdisait aux universités d'exiger des étudiants le versement de droits d'inscription jusqu'à ce qu'ils aient obtenu une première qualification, voire dans l'hypothèse où ils souhaiteraient s'engager dans un nouveau cycle d'études, jusqu'à l'obtention d'une seconde qualification. L'art. 1 n° 4 prévoyait l'obligation pour les universités d'inclure des associations d'étudiants dans leur structure organique.

À l'appui de la procédure en contrôle abstrait des normes 9 contre la loi-cadre modifiée, les gouvernements des Lander du Bade-Wurtemberg, de la Bavière, de Hambourg, de la Sarre, de la Saxe et de la Basse-Saxe ont allégué l'incompétence du

législateur fédéral en la matière.

La compétence du législateur fédéral pour édicter des lois-cadres peut reposer sur deux fondements différents. Le premier fait l'objet de très courts développements de la part de la Cour. Il s'agit de l'art. 125a LF selon lequel une loi fédérale antérieure au 15 novembre 1994, qui ne pourrait plus relever du droit fédéral en raison des modifications apportées par le constituant aux art. 74 (compétence législative concurrente), 75 al 1 et 72 al. 2 LF, peut être modifiée par le législateur fédéral. Concernant la disposition interdisant l'imposition de droits d'inscription universitaires, la Cour constate qu'elle conduit à l'élargissement des matières traitées par la loi-cadre sur l'enseignement supérieur, cette loi n'ayant jamais réglementé cette question. De même, concernant la disposition imposant la création d'organisations étudiantes, elle constate que, depuis 1998, cette question a été transférée aux Lander, la loi-cadre ne comportant plus aucune disposition sur ce sujet. Retenant une interprétation stricte de l'art. 125a LF, la Cour refuse alors de considérer la compétence du législateur fédéral pour adopter les dispositions contestées comme fondée sur cet article.

6 2e Chambre, décision du 26 janvier 2005, 2 BvF 1/03, EuGRZ 2005, p. 63-71.

7 2e Chambre, décision du 24 octobre 2002, 2 BvF 1/01, EuGRZ 2002, p. 631-659-

8 2e Chambre, décision du 27 juillet 2004, 2 BvF 2/02, EuGRZ 2004, p. 503-520. Voir le commentaire de C. GREWE, cette revue XX-2004, p. 469. Voir en outre le contenu de l'opinion dissidente critiquant l'élargissement des compétences des Lander.

9 Cette procédure est prévue par l'article 93 § 1 al. 2 LF et les §§ 13 n° 6 et 76 de la loi sur la Cour constitutionnelle fédérale.

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Le second fondement possible auquel la Cour accorde toute son attention, est celui offert par l'art. 75 al. 1 LF. En application de cet article, le législateur fédéral est autorisé à édicter des dispositions-cadre pour la législation des Lander dans certains domaines précis, et notamment le domaine des « principes généraux de l'enseignement supérieur ». L'exercice de cette compétence doit être néanmoins strictement compris, l'habilitation donnée au législateur fédéral devant s'exercer dans les limites fixées par l'art. 72 al. 2 LF. Cet article précise que « la Fédération a le droit de légiférer lorsque et pour autant que la réalisation de conditions de vie équivalentes sur le territoire fédéral ou la sauvegarde de l'unité juridique ou économique dans l'intérêt de l'ensemble de l'Etat rendent nécessaire une réglementation législative fédérale ». L'analyse de ces dispositions et de leur application aux faits de l'espèce conduit la Cour à annuler les nouvelles dispositions : le législateur fédéral n'est pas compétent pour réglementer les droits d'inscription et la création d'organisations étudiantes 10. L'argumentation de la Cour est très détaillée. Différentes questions font successivement l'objet de son analyse.

La première est de savoir si les matières concernées font partie des « principes généraux de l'enseignement supérieur ». Conformément à sa jurisprudence antérieure, la CCF retient une définition large de « l'enseignement supérieur » . Cette définition doit néanmoins être strictement appréciée, l'art. 75 al. 1 limitant la compétence de la Fédération aux seuls « principes généraux » de l'enseignement supérieur. En l'espèce il ne fait aucun doute que le prélèvement de droits d'inscription universitaires fait partie de cet ensemble. Leur montant détermine en effet, pour les étudiants, les conditions matérielles de leurs études et, pour les universités, le financement de leurs activités. De même, il ne fait aucun doute pour la Cour — qui n'apporte d'ailleurs aucune précision sur ce point — que la disposition imposant aux universités la création d'associations d'étudiants relève des « principes généraux ».

La seconde question est alors celle de la compétence du législateur fédéral au regard de certaines des exigences de l'art. 72 al. 2 LF. Cet article attribue compétence à la Fédération lorsqu'il apparaît qu'une législation fédérale est nécessaire pour assurer la réalisation de conditions de vie équivalentes sur tout le territoire de la République. En d'autres termes et conformément à la jurisprudence antérieure de la CCF, le pouvoir de légiférer est reconnu à la Fédération lorsque les conditions de vie dans les différents Lander ne se sont pas développées de manière identique, les différences réelles ou prévisibles entre les Lander pouvant représenter une menace pour la cohésion sociale.

En l'espèce, la Cour rejette les arguments présentés par le législateur fédéral à l'appui d'une telle interprétation. Concernant tout d'abord l'interdiction des droits d'inscription, elle rejette le premier argument avancé selon lequel il était nécessaire de rassurer les futurs étudiants quant aux conditions d'étude sur tout le territoire de la Fédération et de veiller à ce que leur nombre ne diminue pas en réaction à d'éventuels droits d'inscription. Pour la Cour, l'intérêt d'une législation fédérale ne peut résider dans la volonté d'assurer une plus large ouverture des études universitaires à la population, sauf à démontrer que le prélèvement de droits d'inscription dans certains Lander entraînerait une discrimination des habitants de ces Lander incompatible avec la réalisation de conditions de vie équivalentes. Or, non seulement les étudiants font preuve d'une grande mobilité leur permettant d'éviter s'ils le souhaitent les universités réclamant des droits trop élevés, mais encore il reste 10 II est à noter que la Cour ne précise pas ici quelles pourraient être les conditions exceptionnelles autorisant le législateur fédéral, en application de l'art. 75 al. 2 LF, à édicter des dispositions-cadre contenant des règles allant dans le détail ou directement applicables.

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très difficile de déterminer les raisons pour lesquelles un étudiant choisit un lieu particulier pour poursuivre ses études. D'autres questions financières, comme le coût de la vie dans un endroit plutôt que dans un autre, jouent un rôle important dans le choix d'une université. Les droits universitaires ne constitueraient alors qu'un critère supplémentaire mais non déterminant. Par conséquent, il est impossible de mesurer les conséquences de l'imposition de tels droits pour les futurs étudiants et cette première justification doit être écartée.

La Cour rejette ensuite le second argument fondé sur l'éventuelle baisse de la qualité de l'enseignement dans les Lander ne réclamant pas de droits d'inscription.

Les universités dans ces hànder pourraient être choisies par un très (trop) grand nombre d'étudiants soucieux de réduire le coût de leurs études, les conditions d'études dans des universités bondées étant alors rendues beaucoup plus difficiles et la qualité de l'enseignement menacée. Pour la Cour cependant, il reste très difficile de définir avec précision les critères retenus par les étudiants pour choisir une université. Les chiffres fournis, illustrant les changements d'université au cours du semestre d'été 2004 des étudiants inscrits dans une université du Land de la Hesse pour l'université de Mayence à la suite de l'introduction dans la première de droits universitaires sont, selon elle, encore trop peu significatifs. Elle considère en outre que, même dans l'hypothèse où des droits d'inscription peuvent être considérés comme influençant le choix des étudiants, une législation fédérale ne serait pas nécessaire pour assurer la réalisation de conditions de vie équivalentes. En effet, les Lander disposent de moyens suffisants pour lutter contre les conséquences négatives de la mobilité des étudiants : par exemple, une surcharge en nombre peut être empêchée par l'introduction de quotas.

Ensuite, concernant la création obligatoire d'organisations étudiantes, la Cour ne se laisse pas convaincre par les arguments du législateur fédéral en faveur de la nécessité de son intervention. Pour le législateur, la liberté laissée aux Lander sur la question de la création d'associations d'étudiants porte préjudice à l'effectivité de l'auto-administration des universités. En outre, la création obligatoire d'associations conditionnerait l'existence de partenaires représentatifs susceptibles de représenter les intérêts des étudiants au niveau de la Fédération. Néanmoins, pour la Cour, il n'est pas démontré que la participation effective des étudiants au fonctionnement de l'université dépende de l'existence institutionnellement réglementée d'organisations étudiantes. De même, il n'est pas suffisamment démontré en quoi la création d'associations d'étudiants peut permettre d'assurer la cohésion de la structure sociale de la fédération.

La dernière question est celle de la compétence du législateur fédéral au regard des autres conditions de l'art. 72 al. 2 LF. Celles-ci autorisent la Fédération à légiférer lorsque cela est exigé pour la sauvegarde de l'unité économique et juridique.

La Cour, qui ne se livre à aucun développement concernant la disposition législative relative aux associations d'étudiants, s'interroge uniquement sur la nécessité réelle d'une telle législation dans le domaine des droits universitaires. La sauvegarde de l'unité économique est un critère qui s'applique avec succès lorsque l'existence de réglementations fédérées emporte avec elle des inconvénients graves pour l'économie de la Fédération dans son ensemble. En l'espèce, une telle menace n'est pas démontrée.

Ainsi, il n'est pas établi que l'introduction de droits d'inscription pourrait menacer la réalisation du but — qui est aussi lié à l'intérêt économique général — de la formation universitaire du plus grand nombre d'individus possible. La poursuite de cet objectif doit être l'un des buts principaux des Lander dans leur politique de l'enseignement supérieur. Or, tant que l'existence d'inconvénients réels pour l'économie générale ne peut être concrètement démontrée, il s'agit de considérer que

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les Lander s'appliquent à atteindre ce but. En outre, une législation fédérale peut être justifiée par l'intérêt économique de l'ensemble de l'État lorsqu'il s'agit d'assurer l'unité de la formation professionnelle ou de définir des conditions identiques d'exercice de certaines professions. En effet, les différences de formation et de conditions d'exercice de certaines professions peuvent représenter une menace pour l'économie dans certains domaines. En l'espèce, de tels effets négatifs ne sont pas démontrés. Au contraire, la prescription de droits d'inscription dans toutes les universités pourrait aussi avoir des effets positifs sur la qualité de l'enseignement et l'engagement des universités.

La Cour en déduit l'inconstitutionnalité des dispositions contestées qu'elle annule.

S. D.

b) Les écoutes téléphoniques instituées par la loi relative à la sécurité et à l'ordre publics de la Basse-Saxe 11

C'est à l'occasion d'un recours constitutionnel, illustration réitérée de l'enchevêtrement des contentieux et des procédures 12 , que la lere Chambre de la CCF évoque et tranche un problème de compétence posé par cette loi de Basse-Saxe dans sa version du 11 décembre 2003 promulguée le 19 janvier 2005. Le § 33a de cette loi institue une surveillance téléphonique à l'égard des personnes que certains faits permettent de croire susceptibles de commettre dans l'avenir des infractions d'une gravité particulière ainsi que les personnes qui les accompagnent ou qui sont en contact avec elles. Or le juge constitutionnel nie pour l'essentiel la compétence législative du Land, appliquant en cela une jurisprudence déjà bien établie qui contrebalance les tendances récentes à la promotion de la compétence fédérée.

Il estime en effet que si la partie technique de la surveillance des télécommunications relève de la compétence fédérale, ces aspects ne sont pas concernés ici, s'agissant plutôt d'une surveillance des contenus des messages téléphoniques. La prévention des infractions relève de la compétence des Lander en tant que fonction de la police administrative mais la CCF considère que le § 33a de la loi concernée ne se limite pas à cette fonction et ne s'épuise pas dans cette qualification. Dès lors que cette disposition vise à rassembler des documents ou des preuves facilitant la poursuite d'infractions futures, elle doit être rattachée à la rubrique des procédures juridictionnelles et rangée dans la catégorie de la police judiciaire ressortissant de la compétence législative concurrente (art. 74 al. 1 n°l LF).

Dans le domaine de la surveillance des télécommunications, le Bund a utilisé sa compétence législative de manière exhaustive. Les mécanismes de la compétence concurrente s'opposent alors à l'établissement d'une loi fédérée dans le même domaine. C'est ce que la Cour va démontrer par la suite. Elle s'attache d'abord à préciser que la collecte des informations n'est pas principalement destinée à empêcher la commission d'infractions mais plutôt à rassembler des preuves dès un stade très avancé, à l'ère des « pré-soupçons ». Elle relève qu'il s'agit d'une procédure pénale concrète, dirigée contre un accusé concret.

11 Jugement de la lere Chambre du 27 juillet 2005, 1 BvR 668/04, EuGRZ 2005, 436 ss.

12 C. GREWE, « A propos de la diversité de la justice constitutionnelle en Europe : l'enchevêtrement des contentieux et des procédures » , in Les droits individuels et le juge en Europe, Mélanges en l'honneur de Michel Fromont, Presses universitaires de Strasbourg 2001, p. 255- 266.

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La législation fédérale existant dans ce secteur doit être considérée comme exhaustive parce qu'elle exprime un concept global qui exclut d'autres mesures placées plus en avant de la commission d'une infraction. Le législateur fédéral a pris cette décision en toute conscience, compte tenu notamment des principes de légalité, de proportionnalité et des exigences de la jurisprudence constitutionnelle. Admettre une réglementation supplémentaire qui autoriserait des interventions plus précoces et selon des modalités éventuellement moins contraignantes risquerait d'aboutir à des règles contradictoires et des recoupements normatifs. Pour ces motifs et les autres relevant de la protection des droits fondamentaux 13, la CCF annule la

disposition attaquée du § 33 a. C. G.

3 - L'État de droit

a) Les suites de l'affaire Gorgulù

Par trois décisions en date des 1er février 2005 l4, 5 avril 2005 15 et 23 juin 2005 l6, la Cour constitutionnelle fédérale clôt la série débutée en 2001 des décisions rendues dans une affaire opposant le père naturel d'un enfant né hors mariage, aux parents adoptifs de cet enfant. Au delà de l'interprétation à donner au droit à l'exercice de la vie familiale garanti par l'art. 6 LF, la question principale posée à la CCF en 2004 était celle de l'autorité de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme sur les juridictions internes. La position définie en 2004 est confirmée ici dans ces trois décisions. Elle peut se résumer ainsi : l'art. 46 de la Convention européenne des droits de l'homme impose aux États parties à la Convention l'obligation de se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels ils sont partis. Cette force obligatoire s'impose à l'État mais aussi à toutes les autorités publiques. Néanmoins, si les juridictions sont d'une manière générale dans l'obligation de respecter une interprétation donnée par la CEDH, elles peuvent renoncer à l'appliquer dans l'hypothèse où des circonstances particulières l'exigeraient. En l'espèce, la Cour annule les décisions du Tribunal régional supérieur rejetant les demandes d'attribution de l'autorité parentale et de droit de visite faites par le requérant.

S. D.

b) L'obligation de citer explicitement le droit fondamental auquel la loi apporte une restriction 17

La loi relative à la sécurité et à l'ordre publics de la Basse-Saxe, déjà évoquée à propos de la répartition des compétences, comporte de nombreux vices d'inconstitutionnalité dont l'un concerne plus particulièrement le principe de l'État de droit : c'est celui, d'ordre formel, qui oblige le législateur à viser explicitement - ainsi que l'exige l'art. 19 al. 1 LF - le droit fondamental auquel cette loi apporte des restrictions.

La loi en cause modifie une loi antérieure qui s'était conformée à l'obligation de citation mais la loi nouvelle ne réitère pas cette référence. Le juge constitutionnel se montre ici sévère en exigeant que toute modification législative qui aggrave une

13 Voir infra III, 2 a).

14 lerc Chambre, décision du 1er février 2005, 1 BvR 2790/04, unvw.bverfg.de.

15 lerc Chambre, décision du 5 avril 2005, 1 BvR 1664/04, EuGRZ 2005, p. 268.

16 lere Chambre, décision du 10 juin 2005, 1 BvR 2790/04, EuGRZ 2005, p. 426.

17 Jugement de la lerc Chambre du 27-7-2005, 1 BvR 668/04, EuGRZ 2005, 436 ss.

(13)

restriction précise clairement la restriction et le droit qu'elle concerne. Cette

« obligation de citation » remplit selon lui une fonction d'avertissement et de réflexion et sa méconnaissance conduit à l'inconstitutionnalité de la loi. Mais étant donné qu'il s'agit là d'une jurisprudence nouvelle, la Cour limite, au nom de la sécurité juridique, les effets de celle-ci à l'avenir. C'est donc une application intéressante des réflexions entamées depuis quelque temps sur les revirements de jurisprudence et la sécurité juridique 18. En l'espèce, cette « générosité » est, en toute hypothèse sans effets, puisque la loi encourt de multiples autres reproches. C. G.

III - LES DROITS FONDAMENTAUX

Au titre des droits fondamentaux, la CCF a rendu un grand arrêt, ou du moins un arrêt « spectaculaire », celui sur le mandat d'arrêt européen. Pour le reste, les décisions sont, comme toujours, extrêmement nombreuses et si on peut se hasarder à une appréciation générale, on dira que, comme pour la Cour européenne des droits de l'homme, ce sont les libertés individuelles et les droits fondamentaux de procédure qui « marquent » le paysage de l'année 2005.

1 - L'inconstitutionnalité de la loi sur le mandat d'arrêt européen 19 En 1949, l'article 16, alinéa 2, phrase 2, Loi fondamentale posait le principe :

« Aucun Allemand ne peut être extradé à l'étranger ». Par une loi constitutionnelle du 29 novembre 2000, il fut ajouté la phrase suivante : « Des règles dérogatoires peuvent être édictées par la loi pour les extraditions vers un Etat membre de l'Union européenne ou auprès d'une juridiction internationale pour autant que soient respectés les principes de l'État de droit ». En 2002, l'Union européenne adopta la décision-cadre 2002/584//JAI du 13 juin 2202 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre États-membres. Cette décision fut transposée dans le droit interne allemand par la loi du 21 juillet 2004 sous la forme d'un huitième partie ajoutée à la loi sur l'entraide internationale en matière pénale du 23 décembre 1982.

Or, un Syrien ayant également la nationalité allemande M. Darkanzali, fut soupçonné par la justice espagnole d'avoir des liens avec l'organisation terroriste Al Qaida. A la suite d'une demande d'extradition d'un tribunal de Madrid, il fut arrêté et emprisonné en Allemagne le 15 octobre 2005 sur la base de la nouvelle loi, car sous l'empire de l'ancienne législation, seules les personnes de nationalité étrangère pouvaient être extradées. Le 23 novembre, la Cour d'appel de Hambourg autorisa l'extradition, le ministre prononça l'extradition dès le lendemain, mais le même jour, cette décision fut suspendue par une ordonnance provisoire de la Cour constitutionnelle fédérale à la demande de l'intéressé (NJW 2005, p. 2060 ; EuGRZ 2004, p. 667). Le 18 juillet 2005, la Cour constitutionnelle fédérale statua sur le fond du recours individuel formé par l'intéressé : elle cassa la décision de la Cour de Hambourg déclarant recevable la demande d'extradition présentée par le juge espagnol, elle annula la décision de l'État de Hambourg d'accorder l'extradition et, enfin et surtout, elle déclara que la loi de 2004 sur le mandat d'arrêt européen était inconstitutionnelle et nulle.

18 Voir N. MOLFESSIS, Les revirements de jurisprudence, Rapport remis à Monsieur le Premier Président Guy Canivet, Ed. du Jurisclasseur, coll. Cour de cassation, 2005.

19 Jugement de la T Chambre du 18-7-2005, 2BvR 2236/04, EuGRZ 2005, 387 ; NJW 2005, p. 2289, note Bôhm, p.2588 ; JZ 2005, p. 838, note Vogel, p.801 : DVBl. 2005, p. 1 1 19-

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Cette décision a fait grand bruit en Allemagne. Le Gouvernement fut vivement critiqué pour avoir transposé de façon aussi défectueuse la décision-cadre de l'Union européenne. Le Gouvernement déclara qu'il allait immédiatement préparer une nouvelle loi, mais en raison de la dissolution du Bundestag , le projet de nouvelle loi ne fut arrêté que le 27 janvier 2006 après que fut formé le Gouvernement de Grande coalition. La justice espagnole fit savoir, de son côté, qu'elle n'accorderait plus d'extraditions vers l'Allemagne faute de réciprocité.

Dans ses motifs, la Cour part de l'idée que l'interdiction d'extrader un Allemand donne à celui-ci un véritable droit subjectif à ne pas être extradé et que ce droit est un droit fondamental, qui peut certes être restreint en faveur des demandes d'extradition émanant d'États membres de l'Union européenne, mais seulement dans certaines limites. Ces limites ne sont pas seulement tirées de la référence faite par l'article 16 aux exigences de l'Etat de droit, mais également de l'idée même de dérogation. En conséquence, les restrictions apportées au droit d'un Allemand de ne pas être extradé ne doivent pas être excessives ; en d'autres termes, elles doivent satisfaire le principe de proportionnalité.

Or, pour la Cour, la restriction apportée au droit fondamental d'un Allemand à ne pas être extradé n'est respectée que dans deux cas. Le premier cas est celui où les faits répréhensibles et leurs effets se sont tous deux produits à l'étranger ou présentent un caractère international indéniable. Le second cas est celui où l'infraction pénale a été commise seulement en partie à l'étranger : les autorités allemandes doivent alors procéder à une appréciation concrète de la situation. Pour respecter cette nécessité de prendre des décisions plus appropriées, il est nécessaire que le législateur impose aux autorités chargées de décider de l'extradition l'obligation de respecter un certain nombre de conditions : leur pouvoir d'appréciation doit être encadré par la loi, exigence qui, en l'espèce, n'est pas satisfaite.

La Cour insiste ensuite sur le fait que ces exigences sont compatibles avec la décision-cadre et ne contredisent donc pas le droit communautaire. En effet, la décision-cadre permettait précisément de refuser l'extradition pour des faits commis en tout ou en partie en Allemagne ou encore pour des faits commis dans un autre Etat membre de l'Union européenne et non réprimés en Allemagne (art. 4 , n° 1 de la décision-cadre). De même, elle permettait de refuser l'extradition dans le cas où l'autorité judiciaire allemande a décidé de ne pas ouvrir une procédure ou a décidé de la clore (art. 4, n° 2 et 3).

Enfin, la Cour se fonde sur l'article 19, al. 4, de la Loi fondamentale qui garantit à chacun une protection juridictionnelle efficace contre tout acte d'une autorité publique pour constater un autre vice d'inconstitutionnalité. En effet, dans la loi de 2004, la décision que peut prendre le ministre à la suite de la déclaration de recevabilité faite par le juge n'est plus discrétionnaire comme dans le régime général de l'extradition, mais elle est subordonnée à diverses conditions. En conséquence le respect de ces conditions par le ministre doit pouvoir faire l'objet d'un contrôle juridictionnel. Or la loi n'a pas prévu un tel contrôle.

C'est sur la base de ces motifs que la Cour a déclaré nulle toute la loi ainsi que les décisions des autorités de Hambourg qui se fondaient sur elle.

Le jugement est accompagné de trois opinions dissidentes (la majorité n'ayant réuni que l'assentiment de cinq juges). L'opinion dissidente du juge Brol3 est la plus radicale : selon lui, la loi est contraire à la Constitution parce qu'elle ne respecte pas les limites imposées à la construction européenne par l'article 23 de la Loi fondamentale. La juge Lubbe-Wolff soutient la position presque inverse : certes la loi n'a pas suffisamment tenu compte des droits fondamentaux des intéressés, mais les violations de la Constitution ne justifient pas une annulation totale de la loi.

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Enfin le juge Gerhardt adopte lui aussi une position radicale, mais dans le sens inverse : selon lui, la loi était conforme à la constitution et, au contraire, le jugement est en contradiction avec la jurisprudence communautaire. De fait, il est exact que certains passages du jugement se placent trop exclusivement sur le terrain du droit national et le juge constitutionnel a procédé lui-même à l'interprétation de la règle communautaire pour démontrer la compatibilité entre les deux ordres juridiques.

M. F.

2 - La liberté de la presse

Deux décisions qui se situent dans le prolongement de la jurisprudence précédente concernent cette liberté.

a) Perquisition des locaux de la rédaction d'un journal 20

Un journaliste avait organisé, à l'occasion d'une exposition sur « les mondes corporels » une séance de photographie nocturne en disposant dans le centre ville de Munich six moules de cadavres. La publication de ce reportage dans son journal a d'abord déclenché des poursuites judiciaires, puis une perquisition dans les locaux du journal, jugées régulières par deux décisions du Tribunal régional de Munich I. C'est contre ces décisions que le journal introduit un recours constitutionnel pour violation de la liberté de la presse.

La CCF juge le recours recevable et bien fondé. Elle souligne d'emblée qu'une perquisition des locaux d'une rédaction constitue, en raison de la gêne qu'elle occasionne au travail de la rédaction et de ses possibles effets d'intimidation, une ingérence dans la liberté de la presse. Quant aux restrictions admissibles de cette liberté, elles doivent être adéquates, nécessaires et proportionnées au but visé. Si la CCF admet qu'en l'occurrence, les deux premières conditions sont remplies, elle censure l'absence de proportionnalité au sens étroit du terme. La Cour reproche d'abord au Tribunal régional de n'avoir pas mis en balance concrètement la gravité des griefs reprochés et l'atteinte à la liberté de la presse. Elle estime que les modalités de la perquisition ensuite auraient dû être délimitées et limitées, ce que le Tribunal a omis de faire. Pour ces raisons, ces décisions sont annulées et renvoyées devant le Tribunal régional.

C. G.

b ) Evocation d'un journal dans un rapport sur la protection de la Constitution 21

Le Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie publie chaque année, sur la base d'une loi du 18 décembre 2002 relative à la protection de la Constitution, un rapport destiné à éclairer le public sur les activités visant à supprimer ou à abroger les principes constitutionnels qui protègent l'ordre fondamental démocratique et libre. Des données personnelles peuvent être mentionnées dans la mesure où les personnes concernées se rattachent à une réunion de personnes agissant dans le sens mentionné.

Au cours des années 1994 et 1995, ces rapports rendent compte de manière détaillée, au titre des activités des mouvements d'extrême droite, des publications du journal « Junge Freibeit » (Jeune Liberté), soupçonné d'agitations dirigées contre la Constitution. Le journal porte plainte contre cette publication dans les rapports

20 Décision de Section de la lere Chambre du 1-2-2005, 1 BvR 2019/03, EuGRZ 2005, 176 ss.

21 Décision de la lere Chambre du 24-3-2005, 1 BvR 1072/01, EuGRZ 2005, 421 ss.

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devant le tribunal administratif de Diisseldorf qui rejette la requête pour le motif essentiel qu'une telle publication ne rentre pas dans le champ de protection de la liberté de la presse. Le journal demande alors d'être admis à introduire un appel, ce qui lui est refusé par un arrêt du tribunal administratif supérieur de la Rhénanie-du- Nord-Westphalie du 22 mai 2001. C'est donc au juge constitutionnel que s'adresse le journal.

La CCF accueille le recours fondé sur la violation de la liberté de la presse.

Elle déclare que le soupçon d'agitation contre la Constitution, évoqué dans le rapport de protection de la Constitution à l'encontre d'un organe de presse, équivaut à une ingérence dans la liberté de la presse et requiert par conséquent les justifications y afférentes. Les deux juridictions administratives auraient ainsi notamment méconnu l'étendue du champ de protection de la liberté de la presse. À cet égard, la Cour considère notamment que même des ingérences indirectes, tels des agissements d'autorités étatiques influant sur le comportement de tiers, peuvent être assimilées à une atteinte. En l'espèce, elle qualifie la publication des rapports de protection de la Constitution de sanctions négatives à l'encontre du journal. En effet, des lecteurs, des annonceurs ou des journalistes peuvent au vu de la publication se détourner du

journal.

Si l'évocation du journal dans le rapport équivaut donc à une ingérence, reste à savoir si celle-ci se justifiait en l'occurrence. La CCF constate d'abord la régularité de la loi fédérée pour s'interroger ensuite sur son application. Celle-ci suppose une hostilité active contre la Constitution et non pas une simple critique ; elle suppose aussi que les articles émanant de personnes autres que la rédaction puissent être imputés au journal. La Cour procède ici à une analyse nuancée des faits de l'espèce en admettant la possibilité pour le journal d'ouvrir un « forum des opinions », tout en optant pour une ligne politique générale. L'existence d'un tel forum a pour conséquence que les articles ne peuvent être automatiquement imputés au journal.

En toute hypothèse, la responsabilité du droit de la presse ne saurait ici servir pour inférer les opinions d'autrui à celles de la rédaction. De même, la Cour désapprouve les critères sur lesquels les juridictions administratives se sont fondées pour admettre les soupçons d'agitation contre la Constitution. Les juges administratifs invoquent à cet égard l'effet produit sur les tiers. La CCF exige que soient examinés les buts du journal. Elle en conclut qu'un nouvel examen des circonstances par les juridictions de fond est nécessaire. Enfin, elle renvoie également à la vérification de ces juridictions la question de savoir si les modalités de la publication correspondent au principe de la proportionnalité. Elle insiste en particulier sur la possibilité de distinguer dans le rapport entre les faits avérés et ceux qui ne sont que probables ou possibles. En tout cas, les décisions déférées à la Cour ne satisfont pas aux exigences

constitutionnelles. C'est pourquoi la CCF renvoie l'affaire au tribunal administratif.

C. G.

c) Inconstitutionnalité de la contribution prévue par la loi bavaroise sur les médias

Dans sa décision du 26 octobre 2005 22 , la Cour constitutionnelle devait se prononcer sur le recours constitutionnel d'un abonné au câble qui avait été condamné à payer une contribution destinée à financer des chaînes locales privées.

Cette contribution, imposée par la loi bavaroise sur les médias aux abonnés au câble, était destinée à financer les capacités économiques des chaînes privées locales et à leur permettre de développer leurs programmes. Elle ne correspondait ni à 22 Décision de la l"e Chambre, 1 BvR 396/98

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l'utilisation du câble ni à la redevance audiovisuelle. La Cour estime dans son arrêt qu'une telle disposition législative est inconstitutionnelle car elle ne permet pas de garantir la diversité des programmes: elle porte atteinte à la liberté d'agir inscrite à l'article 2 de la Loi fondamentale qui inclut non seulement la liberté de contracter mais encore le droit de ne pas supporter une charge financière non fondée constitutionnellement et imposée par une autorité publique. Afin de ne pas mettre en difficulté les chaînes locales, elle donne toutefois au législateur bavarois jusqu'au

31 décembre 2008 pour trouver une solution.

Le juge de Karlsruhe estime que la coexistence d'un secteur privé et d'un secteur public dans le domaine de l'audiovisuel est un élément permettant d'assurer la diversité des programmes: les règles du marché audiovisuel ne permettent effectivement pas à elles seules d'assurer une telle diversité. Dans ces circonstances, le législateur est fondé à intervenir soit pour obliger les chaînes publiques à la diversité, soit pour soutenir les chaînes privées à condition que celles-ci assurent une programmation variée. En l'espèce, la contribution ne comportait cependant aucune contrepartie de cette sorte, les chaînes bénéficiaires ne se voyant pas imposer de contraintes en vue d'assurer la diversité de la programmation. X. V.

3 - Droits de la personnalité, libertés individuelles, protection de la vie privée et des données personnelles

Il s'agit là d'un thème majeur de la jurisprudence de 2005 qui montre à la fois les menaces du développement technologique et les retombées des législations importantes de ces dernières années en matière de surveillance et de lutte antiterroriste. Les décisions ici choisies tantôt mettent en lumière un conflit de droits, tantôt s'attachent à mieux délimiter les contours et les limites des pouvoirs de surveillance.

a) Les écoutes téléphoniques préventives prévues dans la loi sur la sécurité et l'ordre publics de la Basse-Saxe 23

Le requérant, un juge, entame, ce qui est assez exceptionnel, un recours constitutionnel directement contre une loi de la Basse-Saxe, en l'occurrence celle portant sur la sécurité et l'ordre publics, telle qu'elle a été modifiée le 1 1 décembre 2003 et promulguée le 19 janvier 2005. Le § 33a de cette loi institue une surveillance téléphonique à l'égard des personnes que certains faits permettent de croire susceptibles de commettre dans l'avenir des infractions d'une gravité particulière ainsi que les personnes qui les accompagnent ou qui sont en contact avec elles. Ces écoutes s'opèrent clandestinement et ne sont portées à la connaissance des personnes visées qu'une fois que tous les dangers sont écartés.

La lere Chambre de la CCF déclare le recours non seulement recevable mais encore fondé. L'admissibilité et la recevabilité du recours résultent de ce que le requérant ne pourra attaquer les mesures d'exécution de la loi, c'est-à-dire les écoutes, celles-ci étant effectuées en l'ignorance de la personne visée. L'effectivité du droit de recours exige donc d'admettre un recours contre la loi elle-même, dès lors que le requérant démontre qu'il peut raisonnablement être l'objet des écoutes ainsi autorisées. La Cour donne acte de cette possibilité et accepte en conséquence d'examiner le recours au fond.

23 Jugement de la lerc Chambre du 27-7-2005, 1 BvR 668/04, EuGRZ 2005, 436 ss.

(18)

De ce point de vue encore, la CCF conclut à l'inconstitutionnalité de la loi.

Les motifs en sont nombreux et concernent tant l'organisation et l'activité des pouvoirs publics 24 que les droits fondamentaux.

En particulier, elle comporte des atteintes matérielles à la liberté des télécommunications protégée par l'art. 10 LF. Ces atteintes consistent dans une insuffisante clarté normative, dans la méconnaissance du principe de proportionnalité et dans l'absence de garanties contre les ingérences dans le noyau du projet de vie privée.

Le principe de légalité et les exigences de clarté qui en résultent sont destinés à renseigner les personnes concernées sur les conséquences possibles de leurs comportements ; ils servent également à lier le pouvoir d'appréciation de l'administration dans son contenu, sa finalité et sa portée et ils fournissent enfin au juge des critères pour son contrôle juridictionnel. Tout cela suppose que le législateur indique des éléments et des critères précis permettant de circonscrire concrètement le champ des écoutes autorisées. Ces exigences paraissent d'autant plus nécessaires que la loi, comme en l'occurrence, intervient pour permettre la poursuite d'infractions futures sans que celles-ci soient déjà accomplies ou seulement préparées.

La CCF estime que la loi examinée ne satisfait nullement à ces exigences, en se contentant de se référer à une possibilité, fondée sur des faits qui ne sont pas concrétisés davantage, que quelqu'un commettra à un moment donné dans l'avenir une infraction d'une gravité considérable : « Une autorisation aussi vaste ne satisfait pas aux exigences de la légalité ». Cela vaut tant pour les personnes susceptibles de commettre ces infractions que pour celles qui les accompagnent ou sont en contact avec elles. La Cour précise ses griefs, en reprochant au législateur de n'avoir pas prévu d'indicateurs de probabilité de la commission des infractions ni d'avoir limité dans le temps les mesures de surveillance ; la référence à des infractions d'une particulière gravité se révèle également incertaine, puisqu'elle ne se révèle ni suffisamment précise ni suffisamment restrictive. Enfin il s'avère impossible d'interpréter ces dispositions de manière restrictive et donc conforme à la Constitution, car ces interprétations ne parviennent pas à combler le déficit de clarté normative. On ne peut davantage attendre des autorités de police qu'elles restreindront leur pouvoir d'intervention. En somme, c'est au législateur lui-même de prendre ses responsabilités.

Or, celui de la Basse-Saxe rend possibles des ingérences graves dans le secret des télécommunications dès lors qu'il autorise des informations sur les connexions et le contenu des conversations, que ces écoutes concernent virtuellement un grand nombre de personnes et qu'elles interviennent sans que les personnes concernées le sachent, que les données récoltées peuvent être utilisées à d'autres fins que celles initialement escomptées.

Ces insuffisances de la légalité affectent également la proportionnalité 25 . Ainsi le but justifiant l'ingérence ne résultant pas clairement de la loi, il devient impossible d'apprécier concrètement la gravité de l'atteinte. En particulier, le législateur n'a adopté aucun concept précis mettant en relation les infractions graves avec les écoutes téléphoniques. Il n'a pas délimité plus précisément non plus le cercle des personnes de contact ni garanti un droit à l'information approprié.

24 Voir supra 11.

25 Sur les liens entre ces deux concepts, voir C. GREWE en collaboration avec R. KOERING-JOULIN, Libertés, Justice, Tolérance, Mélanges en hommage au Doyen Gérard Cohen-Jonathan, Bruylant, 2004, p. 891-916. « De la légalité de l'infraction terroriste à la proportionnalité des mesures antiterroristes », in :

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Enfin, le législateur n'édicte aucune garantie permettant d'éviter que les écoutes portent sur le noyau du projet de vie privée absolument protégé. Il n'a pas limité le contenu des conversations enregistrables ni prévu que celles-ci soient immédiatement effacées. Pour toutes ces raisons, le § 33a de cette loi est inconstitutionnel .

C. G.

b) Les exigences en matière de saisie de données électroniques 26

Les requérants, associés dans un cabinet d'avocats et dans une société de conseil fiscal et se partageant un même local professionnel, s'élèvent contre la perquisition des locaux et la saisie de plusieurs ordinateurs et de diverses données électroniques. Ces mesures sont intervenues dans le cadre d'une procédure pénale dirigée contre l'un des associés en raison d'un soupçon de fraude fiscale sur la base d'une décision du tribunal cantonal de Hambourg. Les requérants ayant contesté cette décision, le tribunal cantonal de Hambourg a confirmé sa première décision le 4 juin 2002 qui a été confirmée et étendue en appel par le tribunal régional de Hambourg. Les requérants déposent alors un recours constitutionnel, en invoquant la violation des art. 2 al.l, 20 al. 3, 12 al. 1 et 13 al. 1 et 2 LF. Les requérants se réfèrent surtout aux relations de confiance entre eux et leur clients qui auraient été mises à mal par ces ingérences. La seconde chambre de la CCF rappelle que, par une ordonnance provisoire du 17 juillet 2002, elle a enjoint aux services compétents de déposer les données électroniques auprès du tribunal cantonal en attendant sa décision sur le fond.

Celle-ci accueille le recours dans la mesure où il est dirigé contre la saisie des données électroniques et admet ici une violation de l'art. 2 al. 1 LF, c'est-à-dire le droit à « l'autodétermination informationnelle » 27 . La Cour examine d'abord l'existence d'une ingérence dans ce droit, puis la base légale des restrictions au droit, le respect du principe de proportionnalité et enfin les exigences procédurales destinées à la protection effective des droits.

La CCF rappelle que la protection des données personnelles est un droit fondamental qui ne se limite pas à la protection du secret de la vie privée mais qui s'étend à tout comportement humain. C'est pourquoi la vie et les locaux professionnels en sont concernés au même titre que la vie privée en permettant à chacun de décider librement de disposer ou d'utiliser ses données personnelles. La saisie de telles données ne constitue pas seulement une atteinte aux personnes détentrices du matériel informatique mais également aux droits de leurs clients. Ces derniers subissent ainsi une atteinte à leur propre droit à l'autodétermination informationnelle, au droit à une communication confidentielle avec leur avocat, ce qui risque de compromettre le droit à un procès équitable. La Cour ajoute que ce recours doit également servir à la sauvegarde du droit constitutionnel objectif, à sa concrétisation et à son développement 28 . Si elle retient qu'il s'agit en l'occurrence d'atteintes graves aux relations de confiance entre les avocats et leurs clients, elle refuse cependant d'y voir une violation de la liberté professionnelle (art. 12 LF) laquelle ne peut être admise qu'en présence de dispositions visant directement des 26 Décision de la 2e Chambre du 12-4-2005, 2 BvR 1027/02, EuGRZ 2005, 413 ss.

27 Voir sur cette notion : C. GREWE, Rapport sur l'Allemagne in : Constitution et secret de la vie privée, Table ronde 2000, AIJC XVI-2000, p. 146 ss.

28 Voir C. GREWE, « Subjectivité et objectivité dans le contentieux de la Cour de Karlsruhe », Droits n° 9, 1989, p-131-142 et « À propos de la diversité de la justice constitutionnelle en Europe : l'enchevêtrement des contentieux et des procédures », in Les droits individuels et le juge en Europe, Mélanges en l'honneur de Michel Fromont, Presses universitaires de Strasbourg 2001, p. 255-266.

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activités professionnelles et non pas lorsqu'il y a simplement des répercussions sur l'exercice des activités professionnelles comme en l'espèce. Toutefois, les particularités de la profession des requérants doivent être prises en compte dans l'appréciation de l'ingérence dans leur droit à l'autodétermination informationnelle.

La base légale est fournie par les §§ 94 ss. du code de procédure pénale qui, certes, étaient conçus à l'origine pour des saisies d'objets corporels mais que le législateur a clairement voulu appliquer également aux données électroniques.

S'agissant de la proportionnalité des ingérences, la CCF insiste d'abord sur l'intensité de l'atteinte résultant de la multitude d'informations saisies dont nombre sont sans intérêt pour la procédure entamée mais qui, de ce fait, atteignent également une foule de personnes sans rapport avec la procédure. La saisie de l'ensemble des données stockées ne paraît pas nécessaire à la CCF s'il est possible de disposer des seules données nécessaires à la preuve par un autre moyen moins préjudiciable aux requérants. Les justifications produites à l'appui d'une telle ingérence doivent donc être en rapport avec cette portée.

Or, si d'un côté, l'intérêt public exige une poursuite pénale efficace, on doit tenir compte, de l'autre côté, non seulement des intérêts des personnes lésées mais également de ceux des tiers. La CCF ajoute ici dans la balance le libre exercice de la profession d'avocat ifreie Advokatur ) qui, en tant qu'élément du droit objectif, est d'intérêt public. L'appréciation de l'ensemble de ces éléments doit donc s'effectuer dans chaque cas particulier et doit s'attacher à un examen scrupuleux des données et de leur pertinence probable pour la procédure afin de ne retenir que celles qui sont réellement nécessaires.

Mais si le principe de proportionnalité peut permettre de limiter l'ingérence étatique dans les données personnelles, il ne suffit pas à empêcher des atteintes au droit à l'autodétermination informationnelle. La protection effective des droits fondamentaux requiert également un aménagement adéquat des procédures.

Concernant spécialement la protection des données personnelles, la Cour insiste sur les obligations d'information, d'effacement, sur les limites de la collecte et de l'utilisation des données.

À cet égard, la vérification (Durchsicht ) des données prescrite par le § 110 du code de la procédure pénale vise à empêcher des saisies durables et disproportionnées et tend ainsi à réduire l'intensité de l'atteinte au droit. Même si le droit pénal n'ordonne plus la présence du propriétaire des données, la consultation des associés innocents sur l'appartenance ou le contenu des données aurait pu permettre d'effectuer un tri plus attentif aux droits en présence. De même, les dispositions relatives à l'effacement des données peuvent s'avérer utiles dans cette procédure de vérification. Enfin, les tiers non concernés par la procédure pénale doivent avoir un droit à l'information. La Cour conclut ces considérations en estimant que si les garanties procédurales sont méconnues de manière grave, arbitraire, intentionnelle ou systématique, il faut alors interdire d'utiliser les données ainsi récoltées dans le procès pénal.

Appliquant ces principes aux faits de l'espèce, la CCF estime que le tribunal régional, en autorisant une saisie globale, a empêché l'examen circonstancié des éléments de l'affaire. Il a nié la nécessité de différencier entre les dates pertinentes et les autres, il n'a pas tenu compte de l'implication de tiers, de la confidentialité de certaines données ni de la nécessaire protection des rapports de confiance entre les avocats et leurs clients. L'affaire est donc renvoyée à ce tribunal. C. G.

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