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Chronique-Allemagne

DAGRON, Stéphanie, VOLMERANGE, Xavier

DAGRON, Stéphanie, VOLMERANGE, Xavier. Chronique-Allemagne. Annuaire international de justice constitutionnelle, 2009, vol. XXIV-2008, p. 481-511

DOI : 10.3406/aijc.2009.1948

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:103687

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Allemagne

Stéphanie Dagron

,

Xavier Volmerange

Citer ce document / Cite this document :

Dagron Stéphanie, Volmerange Xavier. Allemagne. In: Annuaire international de justice constitutionnelle, 24-2008, 2009.

Constitution et famille(s) - Urgence, exception et Constitution. pp. 481-511;

doi : https://doi.org/10.3406/aijc.2009.1948

https://www.persee.fr/doc/aijc_0995-3817_2009_num_24_2008_1948

Fichier pdf généré le 05/07/2018

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ALLEMAGNE

par Stéphanie DAGRON et Xavier VOLMERANGE *

l - Statistiques des décisions de la Cour constitutionnelle fédérale — II - Organisation et activité des pouvoirs publics ; A) Droit électoral ; 1) Clause des 5 %, égalité du suffrage, égalité des chances ; 2) Inconstitutionnalité de la loi électorale permettant une pondération négative des voix ; B ) Litiges entre organes constitutionnels ; Le déploiement de soldats allemands à bord d avions AWACS au dessus de la Turquie ; C) Droit de la fonction publique ; La nomination dun directeur en tant que fonctionnaire à durée déterminée —III - Droits fondamentaux ; A) Droit de la personnalité ; 1) Vie privée, droit à l'image, Caroline von Hannover ; 2) Le droit fondamental de l'enfant à être élevé et éduqué parses parents ; 3) La loi sur le transsexualisme ; 4) La punition de l'inceste entre frères et sœurs ; B) La protection des données personnelles ; 1) Le droit fondamental à la confidentialité et à l'intégrité des systèmes informatiques ; 2) Le droit à l'autodétermination informationnelle; 3) Le contrôle des communications électronique s ; C) Principe d égalité ; 1 ) Liberté professionnelle et interdiction de fumer ; 2) Déductibilité des frais de transport

* * *

I - STATISTIQUES DES DÉCISIONS DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE FÉDÉRALE

Au premier janvier 2008, plus de 2500 affaires étaient encore pendantes auprès de la Cour constitutionnelle fédérale (CCF).

Sur les 6378 procédures introduites auprès de la Cour en 2008, 6245 constituent des recours constitutionnels, ce qui représente près de 98 % des affaires.

Au cours de l'année écoulée, la Cour a traité 6234 affaires, il y a donc une légère diminution par rapport à l'année précédente 1 .

* 1 administratives de Speyer ; Maître de conférences à l'Université de Rennes I. L'ensemble des statistiques et des décisions sont accessibles sur le site de la Cour constitutionnelle à l'adresse suivante : http://www.bundesverfassungsgericht.de Respectivement, Docteur en droit, chercheur à l'École supérieure allemande des sciences

Annuaire international de justice constitutionnelle, XXIV -2008

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II - ORGANISATION ET ACTIVITÉ DES POUVOIRS PUBLICS

La Cour constitutionnelle a rendu cette année deux décisions particulièrement importantes en matière de droit électoral. Dans le premier cas, il s'agissait d'une disposition contenue dans la législation de Land mais calquée sur la loi fédérale pour l'élection des députés au Bundestag. La Cour, à travers cette décision, vient souligner la différence de nature entre une assemblée législative et une assemblée de nature municipale. Ce qui vaut pour l'une ne vaut pas forcément pour l'autre et la Cour constitutionnelle juge inconstitutionnelle la clause des 5 % pour les élections locales.

L'autre décision était très attendue puisqu'il s'agissait de statuer sur la constitutionnalité de la dernière élection au Bundestag : la loi électorale est déclarée inconstitutionnelle sans que la Cour ne dissolve le Bundestag ni n'exige une modification de la loi électorale avant les prochaines échéances législatives fixées à la fin du mois de septembre 2009. Les droits du Bundestag sont par ailleurs mieux définis puisque la Cour vient dire, cinq ans après les faits et dans une autre décision, que le Bundestag aurait dû donner son accord pour envoyer des troupes surveiller l'espace aérien turc dans les opérations militaires précédant le conflit armé en Irak.

La décision du 28 mai 2008 intervient deux ans après la révision constitutionnelle de l'article 33 de la Loi fondamentale autorisant le

« développement » du droit des principes de la fonction publique. La Cour vient souligner que ce développement ne peut se faire en portant atteinte aux principes traditionnels du fonctionnariat.

A - Droit électoral

1) La clause des 5 % aux élections locales au Schleswig-Holstein porte atteinte à l'égalité du suffrage et à l'égalité des chances 2

Les litiges constitutionnels entre organes de l'État tranchés par la Cour constitutionnelle fédérale sont quantitativement peu nombreux mais revêtent généralement une importance particulière. Conformément à l'article 99 de la Loi fondamentale, la Cour peut connaître des litiges de nature fédérale (par exemple la participation d'un parti politique à une commission du Bundestag ) mais et des litiges de nature fédérée. L'art. 99 LF prévoit qu'une loi de Land peut attribuer au juge de Karlsruhe le jugement de litiges constitutionnels internes au Land. C'est dans le cadre d'un contentieux entre organes du Land du Schleswig-Holstein que la Cour devait trancher le litige opposant des partis politiques au Landtag. Depuis longtemps la Cour constitutionnelle fédérale a en effet reconnu qu'un parti politique pouvait agir devant la Cour à travers un litige entre organes de l'État.

La fédération du parti Alliance 90 /Les Verts du Schleswig-Holstein avait déposé le 19 mai 2006 au Landtag de Kiel une proposition de loi visant la suppression de la clause des 5 % des suffrages exprimés pour être représenté dans les conseils municipaux et les conseils d'arrondissement. Cette disposition existait depuis l'entrée en vigueur de la loi sur les élections municipales et d'arrondissement le 1er avril 1959. Après avoir été examinée en première lecture puis transmise à la commission compétente du Landtag , cette proposition de la loi fut finalement rejetée à la majorité par le Landtag le 13 décembre 2006 grâce aux voix de la CDU et du SPD.

La Cour devait tout d'abord statuer sur la recevabilité du recours c'est-à-dire déterminer si le refus de supprimer la clause des 5 % par le Landtag constituait un cas 2 CCF, 2e chambre, décision du 13.02.08 (BVerfGE 120, 82), 2BvK 1/07.

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d'ouverture du litige entre organes du Land. On pouvait en effet douter que la non adoption d'une disposition législative soit constitutive d'un motif d'inconstitutionnalité mais le juge considère qu'il ne s'agit pas simplement d'une absence de décision législative. Aux yeux de la Cour constitutionnelle fédérale, le rejet de la proposition de la loi constitue une prise de position du Landtag et les conditions posées par l'article 64 de la loi relative à la Cour constitutionnelle fédérale sont donc remplies : « La requête est seulement recevable si le requérant fait valoir que sa personne ou l'organe auquel il appartient est violé ou directement menacé par une mesure ou une omission de la partie adverse dans les droits et obligations qui lui ont été conférés par la Loi fondamentale ». S'agissant de la recevabilité, le juge de Karlsruhe assimile l'adoption d'une loi au rejet de celle-ci. Dans les deux cas, il constate qu'il s'agit bien d'une décision produisant des effets juridiques, prise par le Landtag, au cours de la procédure législative et affectant les droits des requérants.

La Cour constitutionnelle a toujours défendu l'exigence des 5 % des suffrages exprimés pour qu'un parti soit représenté au Bundestag 3 ou dans un Landtag même si cette clause porte atteinte à l'égalité du suffrage et à l'égalité des chances des partis politiques. Elle considère ici en revanche que cette disposition est inconstitutionnelle puisqu'elle s'applique aux conseils locaux.

La Cour souligne que Bundestag et Landtag sont des institutions dotées d'un pouvoir législatif pour l'exercice duquel des majorités claires sont indispensables. Ce n'est en revanche pas le cas des conseils locaux qui n'exercent qu'une activité de nature administrative. On ne peut donc pas se fonder sur l'intérêt que présente la clause des 5 % pour les assemblées législatives afin de justifier le maintien d'une telle disposition au niveau local. Pour cette raison, la décision de la Cour constitutionnelle est sans incidence pour les trois villes-Etats que sont Brème, Hambourg et Berlin dans lesquels l'assemblée communale est également une assemblée législative.

Si le seuil des 5 % pouvait se justifier jusqu'à la réforme des institutions locales au Schleswig-Holstein en 1995, ce n'est désormais plus le cas puisque le maire ( Biirgermeister ) et les conseils locaux sont désormais élus au suffrage universel direct. Le maire porte donc seul la responsabilité de la direction de l'administration communale et il n'a pas à craindre l'absence de majorité claire au sein de son conseil puisque les décisions y sont prises à la majorité relative. Le risque de voir un conseil incapable d'agir en raison d'une multitude de petits partis politiques est donc réduit et le travail au sein des commissions communales n'est pas non plus empêché puisque les communes sont libres d'en fixer le nombre de membres.

Le seuil des 5 % ne peut pas non plus se justifier par le fait qu'il empêcherait ainsi les partis d'extrême droite ou hostile à l'ordre établi par la Loi fondamentale d'être élus dans les conseils locaux : cette disposition vise en effet tous les partis politiques et tous les candidats se présentant individuellement. Or pour interdire un parti politique, il existe une procédure prévue à l'article 21 de la Constitution dans laquelle la Cour constitutionnelle fédérale statue sur la question de l'inconstitutionnalité des partis politiques. Cette procédure a d'ailleurs déjà été mise en œuvre à plusieurs reprises et a conduit à l'interdiction d'un parti néo-nazi en 1952 et du parti communiste en 1956.

Le principe de libre administration prévu à l'article 28 de la Loi fondamentale doit permettre de choisir des candidats en fonction d'intérêts locaux qui ne reflètent pas nécessairement les enjeux défendus par les grands partis à l'échelle du pays. Il est donc indispensable que des petits partis représentant uniquement des intérêts locaux 3 Voir par exemple BVerJGE 1, 208. Lors des premières élections qui avaient suivi la réunification, la clause des 5 % avait été régionalisée : le pourcentage avait été calculé séparément dans l'ancien territoire de la RDA et dans l'ancien territoire de la RFA (BVerJGE 82, 322).

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puissent être représentés lors des élections locales. Or le seuil des 5 % constitue un obstacle difficile à franchir pour les plus petites formations politiques.

A la suite de cette décision, la Cour constitutionnelle de Thuringe a également déclaré cette disposition législative inconstitutionnelle dans un arrêt du 1 1 avril 2008 et le Land de Sarre a supprimé cette clause en août 2008.

X.V.

2) In con stitutionn alité de la loi électorale permettant une pondération négative des voix 4

Le système électoral allemand est généralement décrit comme un scrutin proportionnel personnalisé. Il favorise le bipartisme tout en évitant qu'un seul parti ne dispose de la majorité absolue. Il conduit donc à des coalitions gouvernementales (grandes ou petites) tout en empêchant les partis extrémistes d'être représentés au Bundestag. La Cour de Karlsruhe a pourtant considéré que la loi électorale était contraire à la Constitution dans la mesure où elle pouvait conduire, dans certains cas, à une pondération négative des voix.

Les élections législatives se déroulent avec un seul tour de scrutin et chaque électeur dispose de deux voix. Avec la première voix l'électeur choisit l'un des candidats de la circonscription (au nombre de 299) ; avec la seconde, il vote en faveur d'un parti politique. Cette deuxième voix est importante car elle détermine le rapport de force au Bundestag. Les sièges obtenus grâce à la seconde voix sont attribués d'abord aux candidats élus directement grâce à la première voix : il n'y a donc pas une indépendance totale entre les deux bulletins de vote.

Le Bundestag se compose d'au moins 598 députés. Cependant, le nombre de députés peut être plus élevé car le candidat arrivé en tête grâce à la première voix est élu même si le parti qu'il représente obtient proportionnellement de moins bons résultats.

Il y a donc des mandats excédentaires lorsque, dans un Land donné, un parti obtient plus de mandats directs au Bundestag que ceux qui lui reviendraient sur la base des secondes voix obtenues.

Ce mode de scrutin, efficace mais compliqué, peut néanmoins conduire au paradoxe d'une pondération négative des voix à cause des mandats excédentaires. Dans certains cas, un nombre de voix moindre en faveur d'un parti politique peut en effet lui permettre d'avoir un siège supplémentaire au Bundestag. Le phénomène inverse peut également se produire. Des voix supplémentaires en faveur d'un parti politique peuvent lui faire perdre un siège 5 . Si par exemple à Hambourg le SPD avait obtenu 1 9 500 voix de moins, il aurait pu bénéficier d'un siège supplémentaire au Bundestag.

Ce paradoxe est généralement imperceptible et ce n'est en principe qu'a posteriori que l'on peut mesurer les effets paradoxaux du mode de scrutin. Deux éléments l'ont pourtant rendu particulièrement visible lors des dernières élections législatives de 2005. D'une part le faible écart de voix entre les deux grands partis et d'autre part la tenue d'une élection partielle en Saxe à la suite du décès d'une candidate. Dans la mesure où l'ensemble des résultats électoraux était connu lors de cette élection partielle, l'électeur était en mesure de calibrer son vote afin de favoriser le parti qu'il soutenait.... en ne votant pas pour lui. Lors de ces élections partielles, le candidat de la CDU dans cette circonscription obtint 37 % des voix avec la première voix alors que la CDU n'obtint que 24 % des voix, sans pour autant perdre son mandat. Les électeurs 4 CCF, 2e chambre, décision du 03.07.08, 2BvC 1/07, 2 BvC 7/07.

5 Pour comprendre les détails de cette disposition législative, voir le site de l'un des requérants avec, à l'appui, des exemples chiffrés et simulations : wahlrecht.de.

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savaient en effet qu'avec 41.225 voix supplémentaires accordées à la CDU, ce parti perdait un mandat excédentaire (en Rhénanie Westphalie) et donc un siège au Bundestag. On peut d'ailleurs remarquer que si les électeurs du SPD avaient eu la même logique, ils auraient du voter massivement pour la CDU dans cette circonscription.

Selon la Cour, les dispositions législatives qui permettent de tels effets portent atteinte au principe d'égalité du suffrage ainsi qu'à son caractère direct.

En effet, le principe d'égalité du suffrage suppose que chaque voix pèse le même poids: une voix donnée à un parti politique doit l'avantager. S'il est possible que, dans certains cas, cela ne soit pas le cas, on aboutit alors à des résultats arbitraires, ce qui met en évidence les effets paradoxaux du système démocratique. Certes, l'égalité du suffrage ne signifie pas que toutes les voix données comptent de manière égalitaire dans le résultat de l'élection : ce n'est notamment pas le cas dans un suffrage majoritaire puisque les voix du parti minoritaire ne sont pas représentées. La loi prévoit par ailleurs un seuil de 5 % pour être représenté au Bundestag (ce qui signifie que certaines voix ne comptent pas). En revanche cela ne doit pas conduire à une situation dans laquelle une voix exprimée en faveur d'un parti politique puisse lui faire perdre un siège.

Selon la Cour, aucune raison impérieuse ne permet de justifier une telle atteinte au principe d'égalité du suffrage même si ces distorsions aux effets inverses s'expliquent par le souci de prendre en considération des intérêts régionaux dans la représentativité du Bundestag. Ce souci d'une représentation régionale ne constitue pas une raison suffisante pour porter une telle atteinte au principe d'égalité du suffrage. D'ailleurs, souligne la Cour, le Bundestag est un organe unitaire et le législateur n'est donc pas dans l'obligation de tenir compte de la structure fédérale de l'Allemagne dans le mode de scrutin.

Les dispositions contestées portent également atteinte au principe du suffrage direct puisque l'électeur n'est pas en mesure de déterminer si sa voix va contribuer au succès ou à la défaite électorale du parti qu'il soutient. Cette situation, souligne la Cour, n'est pas marginale : elle peut se produire à chaque fois qu'il y a des mandats excédentaires, ce qui était le cas pour la seizième législature avec 16 mandats supplémentaires. On constate en effet, depuis la réunification de l'Allemagne, une multiplication de ces mandats excédentaires.

La Cour ne peut pas annuler le scrutin dans les circonscriptions concernées puisque le phénomène est global : l'inconstitutionnalité du mécanisme a des effets sur la répartition des sièges au Bundestag. La Cour ne va cependant pas jusqu'à la solution extrême qui consisterait à déclarer les dernières élections inconstitutionnelles, ce qui conduirait à la dissolution du Bundestag. Une dissolution immédiate conduirait d'ailleurs à organiser de nouvelles élections sur la base de la même loi électorale. Les mêmes causes produiraient alors les mêmes effets. Le législateur n'a d'ailleurs pas attendu la décision de la Cour constitutionnelle pour tenter de remédier partiellement aux inconvénients soulignés par le juge de Karlsruhe. La loi électorale a ainsi été modifiée le 17 mars 2008. Alors que la répartition proportionnelle des sièges était jusqu'alors calculée grâce à la procédure dite « Hare/Niemeyer », c'est la procédure

« Sainte Laguë/Schepers » qui s'appliquera lors du prochain scrutin. Déjà utilisée pour désigner les présidents et vice-présidents des commissions parlementaires ainsi que pour les élections européennes, ce mode de calcul semble plus équitable. Il s'agit de diviser par un facteur commun le nombre respectif de secondes voix recueillies par les différents partis. Ce mode de calcul permet d'éviter des situations dans lesquelles les voix attribuées à un parti le desservent, mais il ne les empêche pas complètement.

La Cour considère, compte tenu de la complexité de la nouvelle réglementation électorale à adopter, qu'il n'est pas possible de remédier aux défauts de l'actuelle loi avant la fin de la législature. Le législateur est en revanche dans l'obligation de

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modifier la loi électorale avant le 30 juin 2011. Les prochaines élections législatives fixées au 27 septembre 2009 se dérouleront donc sur la base d'une loi jugée inconstitutionnelle par la Cour constitutionnelle fédérale. X.V.

B - Droits et compétences du Bundestag

Le déploiement de soldats allemands à bord d'avions AWACS au dessus de la Turquie exigeait l'approbation du Bundestag 6

Dans le cadre de la tension internationale du printemps 2003, le gouvernement fédéral avait décidé de participer à l'opération Display Detterence organisée dans le cadre de l'OTAN. Il s'agissait pour les soldats allemands de participer à la surveillance de l'espace aérien turc à bords d'avions AWACS {Airborne Warning and Control System) afin de prévenir toute attaque aérienne en provenance du voisin irakien.

Le groupe parlementaire du FDP au Bundestag saisit alors la Cour constitutionnelle d'un litige entre organes de l'État prévu à l'article 93 al. 1 n°l de la Loi fondamentale : la Cour constitutionnelle a une interprétation plutôt large de cet article et considère que les groupes politiques parlementaires peuvent introduire ce type de litige.

Le groupe politique requérant considérait que le gouvernement avait violé les droits du Parlement en ne soumettant pas au Bundestag la décision de déployer des troupes. Pour le Gouvernement fédéral au contraire, il ne s'agissait que d'une simple opération de routine, purement défensive et destinée à protéger un État membre du Traité de l'Atlantique nord. Cette opération ne nécessitait donc pas l'approbation du Bundestag.

Ce recours était assorti d'une demande d'ordonnance provisoire, rendue cinq jours après le début des combats armés menés par la coalition contre les troupes de Saddam Hussein : le 25 mars 2003, la Cour, après avoir mis en balance les avantages et les inconvénients respectifs d'une ordonnance favorable au Parlement ou au Gouvernement, avait considéré que les droits du Parlement n'avaient pas été atteints de manière excessive.

Statuant au fond cinq ans après cette décision provisoire, la Cour constitutionnelle revient sur sa décision provisoire et considère que l'approbation du Bundestag était nécessaire. Cette décision du juge constitutionnel présente encore un intérêt objectif puisque la décision au fond permet de clarifier les compétences respectives du Bundestag et du Gouvernement lorsque des soldats allemands interviennent dans le cadre d'opérations extérieures.

Dans une précédente décision du 12 juillet 1994 1 , la Cour constitutionnelle avait déjà déduit le principe selon lequel le déploiement des forces armées à l'extérieur exigeait l'approbation du Bundestag en s'appuyant sur la tradition constitutionnelle depuis 1918 et sur la logique des dispositions (parfois contradictoires) de la Loi fondamentale. L'article 24 al. 2 LF prévoit que pour sauvegarder la paix, la Fédération peut adhérer à un système de sécurité mutuelle collective, ce qui implique des limitations à ses droits de souveraineté. Selon l'article 59 al. 2 de la Loi fondamentale, le Bundestag doit approuver le fondement conventionnel d'un tel système de sécurité collective.

6 CCF, 2e chambre, décision du 07.05.08, 2BvE 1/03.

7 BVerfGE 90, 286.

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En revanche la mise en œuvre concrète des dispositions prévues dans ce système de sécurité collective relève de la compétence du gouvernement. C'est à lui que revient la mission de participer aux décisions stratégiques de l'Alliance et aux réunions pour définir une éventuelle intervention.

Selon la Cour, la liberté dont doit disposer le Gouvernement ne va pas jusqu'à autoriser le déploiement de soldats allemands lors d'une opération décidée dans le cadre conventionnel car l'engagement des forces armées doit relever de la responsabilité de l'organe représentant le peuple. En d'autres termes, la Cour considère que la dynamique politique d'un système d'Alliance plaide pour que la responsabilité politique d'une telle décision soit endossée par le Parlement lui-même. Compte tenu de la portée et de la signification de l'approbation parlementaire en matière de défense, les droits du Bundestag ne doivent pas être interprétés de manière restrictive. Bien au contraire, puisque le doute doit bénéficier au Parlement. L'approbation du Parlement constitue un élément essentiel du principe de la séparation des pouvoirs, non une procédure conduisant à un effacement des compétences entre le Parlement et Gouvernement.

Pour que l'approbation du Bundestag soit requise, il faut des éléments suffisamment tangibles montrant l'imminence de la possibilité de faire usage des armes par les soldats allemands. C'est le cas lorsque la Bundeswehr intervient à l'étranger et qu'elle est autorisée à ouvrir le feu.

La question de savoir si des soldats allemands sont impliqués dans une opération armée peut parfaitement faire l'objet d'une décision juridictionnelle, contrairement à ce que prétendait le gouvernement fédéral.

Au regard de ces éléments d'appréciation, la Cour conclut que les soldats de la Bundeswehr n'auraient pas dû participer à la surveillance de l'espace aérien turc sans que le Bundestag ne donne son approbation. Lorsque cette opération militaire a été conduite, des éléments tangibles laissaient déjà présager l'imminence d'un conflit armé. X.V.

C - Droit de la fonction publique

ha nomination d'un directeur en tant que fonctionnaire à durée déterminée est inconstitutionnelle 8

Saisie par la Cour administrative fédérale dans le cadre d'un contrôle concret des normes, le juge de Karlsruhe devait examiner la constitutionnalité d'une loi de Land. La Rhénanie-du Nord-Westphalie avait en effet adopté une loi permettant de recruter des fonctionnaires à durée déterminée.

Selon la loi soumise au contrôle de la Cour, un poste de fonctionnaire correspondant aux fonctions de directeur ne pouvait être pourvu dans un premier temps que pour une durée de cinq ans. À l'issue de cette première période, le recrutement sur un emploi à vie était exclu. Ce n'est qu'après une nouvelle période de cinq ans que l'emploi provisoire pouvait éventuellement être transformé en emploi à vie.

La Cour souligne qu'en la matière, le recrutement d'une personne à vie doit s'appliquer à toutes les fonctions qu'une personne peut exercer au cours de sa carrière.

Parce qu'il fait partie des éléments structurants du fonctionnariat, le législateur n'a pas simplement à prendre en compte ce principe mais est également tenu de le respecter.

C'est à cette condition que peut être assurée l'indépendance du fonctionnaire, gage d'une administration au service d'un Etat de droit : c'est parce qu'il bénéficie d'une 8 CCF, 2e chambre, décision du 28.05.08, 2BvL 11/07.

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garantie statutaire que le fonctionnaire est à même d'exercer ses fonctions de manière indépendante dans le respect de la loi et du droit.

Le statut de fonctionnaire à durée déterminée est un statut qui existe en droit allemand mais cette exception ne se justifie que par la nature des fonctions exercées.

C'est notamment le cas des fonctionnaires politiques ou des fonctionnaires communaux élus. Dans le premier cas, il s'agit de fonctionnaires conseillers du gouvernement.

Employés dans la haute fonction publique, ils sont tenus d'épouser les conceptions et les objectifs du gouvernement. Ils ont une mission hybride, à la fois politique et administrative, puisqu'ils doivent mettre en œuvre des options politiques dans le cadre d'une action administrative. Dans le second cas, celui des fonctionnaires politiques, on est en présence de fonctionnaires dont l'emploi relève d'une volonté démocratique. Par sa jurisprudence, la Cour constitutionnelle fédérale veut circonscrire cette catégorie de fonctionnaires. Le poste de directeur d'une administration de Land ne justifie pas que le législateur étende la catégorie des fonctionnaires à durée limitée. En effet, dans ce cas, le fonctionnaire n'aurait aucune garantie statutaire. Il lui manquerait ici l'indispensable sécurité juridique qui lui permet d'exercer ses fonctions en toute indépendance. Le fonctionnaire placé dans cette situation devrait craindre pendant 10 ans (c'est-à-dire entre un tiers et un quart de sa carrière) la non reconduction dans ses fonctions avec les conséquences qui en découlent sur le niveau de ses revenus et de sa pension de retraite. Il pourrait ainsi se voir déconsidéré auprès de ses collègues, de ses subordonnés et du public. De telles mesures ne se rencontrent que dans le cadre du droit disciplinaire de la fonction publique où la rétrogradation avec perte de traitement constitue la sanction la plus grave après la révocation.

Le motif avancé par le législateur pour justifier cette disposition n'a rien de convaincant. Rien ne dit qu'il est de nature à augmenter la performance puisque ni la reconduction de la deuxième période de cinq ans, ni la transformation en emploi à vie au terme de celle-ci ne sont liées aux résultats du fonctionnaire. Il faut même craindre, souligne la Cour, que ces décisions soient liées à des éléments étrangers aux capacités du fonctionnaire. Si le législateur avait souhaité véritablement mesurer les performances du fonctionnaire, il aurait prévu un concours entre plusieurs candidats au moment de la prolongation ou de la pérennisation du poste afin de les mettre en concurrence. Or ce n'est pas le cas.

Enfin la disposition législative contestée n'est pas nécessaire pour tester l'aptitude du fonctionnaire à exercer un emploi à vie. Il est ainsi possible de confier un poste de directeur à quelqu'un pour une période d'essai, ce qui reste compatible avec le principe de l'emploi à vie.

X.V.

II - LES DROITS FONDAMENTAUX

La jurisprudence sur les droits fondamentaux a été très largement marquée en 2008 par le thème de la protection du droit de la personnalité en liaison avec la protection de la dignité humaine (vie privée de Caroline von Hannover et droit « de ne pas voir son enfant »), la protection de la famille (lois sur le transsexualisme et sur la punition de l'inceste entre frères et sœurs) et la protection des données personnelles (droit fondamental à la confidentialité et à l'intégrité des systèmes informatiques, lecture automatisée des données signalétiques des véhicules et contrôle des communications électroniques). Dans ce cadre, la Cour a reconnu l'existence de deux nouveaux droits fondamentaux : le droit fondamental de l'enfant à être élevé et éduqué par ses parents et le droit fondamental des individus à la garantie de la confidentialité et à l'intégrité des systèmes informatiques. Deux autres décisions doivent retenir

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l'attention dans le cadre de l'application du principe d'égalité dans lesquelles la Cour a déclaré l'inconstitutionnalité de la déductibilité des frais de transports seulement à partir du vingtième kilomètre et de la loi de Land relative à l'interdiction de fumer.

A - Droit de la personnalité

1 ) La vie privée de Caroline von Hannover

La question de la légalité de la publication de photos sur la vie privée de Caroline von Hannover occupe depuis une dizaine d'années les juridictions allemandes, mais aussi européennes9. En 1999, la CCF avait ainsi posé certains principes.

Interrogée par Caroline von Hannover sur la constitutionnalité de la publication de photos la représentant au regard de son droit à la protection de la vie privée, la Cour avait considéré que la différence de protection accordée - en conformité avec les articles 22 et 23 de la loi sur les droits d'auteur (Kunsturhebergesetz , KUG) - aux personnalités

« relatives » de l'époque contemporaine d'une part et aux personnalités « absolues », d'autre part, devait être considérée comme conforme à la Loi fondamentale. En accord avec cette jurisprudence, seules les personnalités relatives devaient bénéficier d'une large protection de leur vie privée, leur représentation ne devant être rendue accessible au public qu'avec leur consentement préalable. Les personnalités absolues, en revanche, devaient tolérer de telles publications, le droit à la vie privée ne pouvant d'une manière générale justifier l'interdiction de photographies réalisées dans des lieux publics.

En 2004, la Cour européenne des droits de l'homme avait adopté dans cette même affaire une position différente plus favorable à la protection de la vie privée. Pour

la Cour de Strasbourg, l'interprétation retenue en 1999 par la Cour constitutionnelle fédérale allemande entraînait une protection très limitée de la vie privée et du droit à l'image pour les personnalités « absolues » de l'histoire contemporaine — parmi lesquelles on trouve des personnalités de la vie politique occupant des fonctions officielles, mais aussi des personnes privées comme Caroline von Hannover.

Conformément à la jurisprudence de la CCF en effet, ces personnalités ne pouvaient se prévaloir d'un droit à la protection de leur vie privée que lorsqu'elles se trouvaient dans un endroit de nature privée ou bien dans un endroit public mais isolé, la preuve du caractère isolé devant être rapportée. La CEDH concluait à l'unanimité à la violation par l'Allemagne de l'article 8 de la CEDH 10 .

En 2008, c'est une affaire impliquant à nouveau Caroline von Hannover qui a donné la possibilité à la Cour constitutionnelle fédérale d'énoncer les principes applicables afin que les droits antagonistes à la liberté de la presse (art. 5 al. 1 LF) et au respect de la personnalité (art. 2 al. 1 et 1 al. 1 LF) soient protégés en conformité avec la jurisprudence de la CEDH. Par sa décision rendue le 26 février 2008, la Cour a clarifié un état du droit rendu incertain par l'opposition jurisprudentielle entre les deux juridictions . . . d'une manière en définitive favorable aux organes de presse 11 .

Les faits de l'espèce étaient relativement compliqués. Les requêtes tendaient à obtenir la protection d'intérêts opposés dans le cadre de la publication de certains reportages mettant en scène la vie privée et quotidienne de Caroline von Hannover. Les deux premiers recours étaient introduits respectivement par Caroline von Hannover et 9 Voir les deux arrêts de la CEDH des 24.09.2004 et 24. 06. 2006, von Hannover c. France et von

Hannover c. Allemagne. En Allemagne, les procédures engagées par Caroline von Hannover ont conduit aux décisions suivantes de la CCF : 15.12.1999 (lBvR 653/96) ; 04.04.2000 (lBvR 1505/99) ; 13.04.2000 (1 BvR 2080/98).

10 CEDH, arrêt du 24.09.2004, Affaire von Hannover c. Allemagne.

11 CCF, lere Chambre, décision du 26.02.08, lBvR 1602/07, lBvR 1606/07, lBvR 1626/07-

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par le journal Frau im Spiegel. Caroline von Hannover invoquait son droit à la protection de la personnalité pour contester la constitutionnalité de la décision de la Cour fédérale de justice par laquelle avait été autorisée la publication renouvelée d'un reportage paru en février 2002 dans le Journal Frau im Spiegel. Ce reportage portait sur l'état de santé du Prince Rainier de Monaco et était illustré par une photo représentant la requérante, en compagnie de son époux, dans une rue de la célèbre station de ski de Saint Moritz. Le journal Frau im Spiegel, second requérant, demandait à ce que soit déclarée contraire au droit la liberté de la presse, la décision de la Cour fédérale de justice lui interdisant la publication renouvelée d'images utilisées pour deux reportages : un reportage paru en février 2003 consacré au séjour de Caroline von Hannover et d'autres membres des familles royales à St. Moritz et illustré par une photo du couple ; un autre reportage paru en mars 2004, portant sur la participation de Caroline von Hannover au bal annuel de la Rose et notamment illustré par une photo du couple sur un télésiège dans une autre station de ski helvétique.

Le troisième recours était introduit par le journal 7 Tage. Il était dirigé contre une décision de la Cour fédérale de justice lui interdisant la publication renouvelée d'une photo présentant le couple von Hannover sur son lieu de vacances. Cette photo venait illustrer un reportage publié en mars 2002 consacré à la location par Ernst von Hannover de la villa lui appartenant au Kenya et intitulé : « Dormir dans le lit de la princesse Caroline, un rêve accessible — Même les personnes riches et célèbres font des économies ; nombre d'entre elles louent leurs propriétés à des hôtes payants ».

La Cour constitutionnelle, fidèle à sa méthode de raisonnement, présente son interprétation du droit applicable avant de confronter les faits au droit. Les précisions juridiques apportées touchent les points suivants : l'interprétation des droits fondamentaux à la liberté de la presse et au respect de sa personnalité (1), les critères à prendre en compte pour déterminer l'équilibre à respecter entre ces deux droits (2) et le rôle des juridictions (3).

(1) La protection accordée à la liberté de la presse par la Loi fondamentale est très large. Conformément à la jurisprudence antérieure de la CCF, cette protection s'étend aux éléments suivants : la détermination du contenu, de la nature, de la forme ou de l'illustration d'une publication ; la réalisation d'images ; l'appréciation de ce qui relève ou non de l'intérêt du public. Concernant ce dernier point, la Cour précise que la liberté de la presse n'est pas dépendante de la nature des sujets traités, voire de leur qualité. Un journal relevant de la catégorie « divertissement » bénéficie par conséquent de la protection garantie par l'art. 5 al. 1 LF, au même titre que tous les autres journaux.

Le droit au respect de la personnalité implique le droit à disposer de sa propre image et à la protection de la vie privée. Selon la Cour, la première garantie, bien que n'étant pas absolue, permet à chacun de décider de l'utilisation par des tiers de son image. La protection doit être en outre renforcée en fonction des développements technologiques qui facilitent la prise d'images et fragilisent les droits de la personnalité : les personnes célèbres notamment sont susceptibles d'être prises en photos

— par exemple par tous les détenteurs de téléphones portables — dans toutes les situations. Concernant la protection de la vie privée, la Cour précise que cette protection présente une dimension thématique — doivent être protégés les sujets ne relevant pas de la sphère publique — et géographique. La Cour abandonne ici la solution antérieure selon laquelle la protection de la vie privée impliquait uniquement l'interdiction de réaliser des images d'une personnalité se trouvant dans un lieu de nature privée ; le droit à l'image ne trouvait alors à s'exercer dans un lieu public que lorsqu'il pouvait être démontré par la personne concernée qu'elle se trouvait dans un espace « privé » au sein de l'espace public. La Cour considère désormais que la protection touche les événements

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se déroulant dans l'espace privé, mais aussi dans l'espace public lorsque l'on peut considérer que la personne concernée se trouve dans une situation de détente.

La liberté de la presse, comme le droit au respect de la personnalité, ne sont pas pour autant des garanties absolues (art. 5 al. 2 et 2 al. 1 2e phrase LF). Concernant la liberté de la presse, deux textes sont à prendre en compte : la loi sur les droits d'auteur, tout d'abord, qui soumet en principe la diffusion de photographies à la condition de l'autorisation expresse du ou des individus reconnaissables sur l'image (art. 22 KUG).

Une exception est admise lorsque l'image en cause relève de « l'histoire contemporaine » et qu'il est démontré que sa publication ne porte pas atteinte à un intérêt légitime de la personne représentée (art. 23 al.l KUG). L'art. 8 al. 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensuite, qui protège le droit des individus au respect de leur vie privée dans tous ses éléments et accorde le droit à chacun de demander à la justice l'interdiction préventive de la publication d'images.

Cette protection est en outre renforcée lorsque sont touchés des membres de la famille et plus particulièrement des enfants (art. 6 al. 2 LF). Concernant le droit au respect de la personnalité, son exercice est limité par le respect dû aux droits d'autrui, à l'ordre constitutionnel ou à la loi morale » (art. 2 al. 1 2e phrase LF). Il s'agit notamment des limites induites par la liberté de la presse en lien avec la loi sur les droits d'auteur, ainsi que par l'art. 10 de la Convention européenne des droits de l'homme qui garantit la liberté d'expression, la liberté de communiquer et recevoir des informations et idées.

(2) Concrètement, pour qu'une image puisse être publiée sans violation du droit à la vie privée et à la protection de l'image, il est nécessaire que les directives suivantes soient respectées : en premier lieu, l'intérêt général pour le public du reportage contesté doit être démontré. La Cour constitutionnelle, s'appuyant notamment sur la jurisprudence de la CE DH, précise que les articles illustrés ou reportages relatifs à une personnalité présentent un intérêt général lorsqu'ils mettent en évidence des divergences entre l'image publique et la réalité « privée », mais aussi lorsqu'ils révèlent des éléments scandaleux, immoraux, ou illégaux de la vie de cette personne, ou bien encore, lorsqu'ils traitent de sa vie quotidienne. Concernant ce dernier point, la Cour considère en effet que les personnalités remplissent une fonction de modèle au sein de

société, leur comportement étant susceptible de contribuer à la formation de l'opinion publique. En deuxième lieu, concernant plus spécialement l'utilisation d'une image, il est nécessaire non seulement que soient respectés les principes énoncés plus haut relatifs aux circonstances dans lesquelles une image peut être réalisée, mais encore, que soit respecté le principe selon lequel une image ne peut être publiée uniquement dans le but de satisfaire la curiosité du public. Ce principe n'est pas très contraignant pour les organes de presse. La Cour précise ainsi qu'une photo peut accompagner un texte s'il elle ajoute un élément au sujet traité, ou bien encore, plus simplement, si elle vise à attirer l'attention du lecteur sur ce texte. C'est uniquement lorsqu'il apparaît clairement que l'intention du journal était de publier la photographie d'une personne connue dans un but uniquement commercial que l'intérêt pour la formation de l'opinion publique n'est pas démontré. En l'espèce, la Cour considère par conséquent que l'interdiction contestée par le journal Frau im Spiegel de publier des photographies, représentant Caroline von Hannover et son époux en vacances dans une station de ski, ne constitue pas une violation de la liberté de la presse : la Cour de justice a très justement conclu qu'un reportage sur les vacances de Caroline von Hannover touchait un sujet relevant de sa vie privée et que la simple satisfaction de la curiosité des lecteurs de magazines ne pouvait justifier une publication. En revanche, concernant le reportage sur la maladie du Prince Rainier illustré par une photo de la requérante en vacances, la Cour constitutionnelle considère qu'il n'y a pas de violation du droit de la personnalité : d'une part, la Cour de justice a bien vérifié que la photographie incriminée n'avait pas

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été obtenue grâce à des techniques extrêmement sophistiquées et elle a respecté la jurisprudence de la CEDH en la matière ; d'autre part, le reportage portant sur la maladie de Rainier et sur la réaction de sa famille à cette situation peut effectivement relever de l'intérêt général.

(3) Concernant ce deuxième point, il est intéressant de noter que la Cour constitutionnelle respecte l'appréciation des faits réalisée par la Cour de justice. Elle précise d'ailleurs clairement les limites de son contrôle et le rôle des juridictions ordinaires: les juridictions doivent étudier chaque affaire séparément et soupeser les différents intérêts en présence. La Cour constitutionnelle pour sa part, doit s'assurer que la loi a été correctement interprétée, que les garanties constitutionnelles ont été respectées et que les juges ont tenu compte de la jurisprudence de la CEDH. Elle rappelle à cet effet sa position définie en 2004 dans l'affaire Gorgtilu 12 : le respect à accorder à la Convention européenne des droits de l'homme est relatif, les juridictions allemandes disposant d'une certaine marge d'appréciation. Ainsi, l'application de la Convention européenne ne doit pas conduire à reconnaître aux individus des garanties inférieures à celles dont ils disposent sous l'empire de la Loi fondamentale.

Par conséquent, et à partir du moment où une décision juridictionnelle respecte ces exigences, la Cour constitutionnelle se refuse à porter un jugement sur la solution retenue. Concernant la troisième requête, elle censure la décision contestée, la Cour de justice n'ayant pas suffisamment argumentée sa position. La Cour constitutionnelle note que l'article concerné portant sur la location par Ernst von Hannover de sa villa au Kenya livre des informations concernant le prix de la location, les conditions, le mobilier de la villa, mais aussi plus largement cite des personnalités connues (stars hollywoodienne ou membres de familles royales) qui procèdent aussi à la location de leurs propriétés. Cet article n'a donc pas pour objet la description des vacances du couple (domaine de la vie privée) et peut présenter une valeur informative réelle. En outre, la photo qui représente le couple von Hannover ne révèle pas directement une situation de vacances ou de détente, situation dans laquelle un niveau de protection plus élevé serait indiqué. Elle conclu au renvoi de l'affaire pour décision devant la Cour de justice fédérale.

S. D.

2) Le droit fondamental de l'enfant à être élevé etéduqué par ses parents Dans cette affaire la Cour devait se prononcer sur une question soulevant des difficultés particulières et à laquelle les tribunaux, comme la doctrine, donnaient des réponses divergentes : le juge peut-il obliger, sous astreinte, un parent à avoir des relations personnelles avec son enfant ?

Les faits à l'origine de l'affaire étaient relativement simples : le requérant, marié et père de deux enfants nés de ce mariage, était aussi le père d'un enfant né en 1999 d'une relation adultérine. Il avait reconnu cet enfant, versait une pension alimentaire, mais il refusait tout contact personnel avec lui. Par un jugement en date du 6 novembre 2000, le tribunal cantonal, saisi par la mère, avait refusé d'ordonner l'obligation pour le père de développer une relation personnelle avec l'enfant : pour le tribunal, une telle contrainte devait être considérée comme contraire aux intérêts de l'enfant. Le tribunal régional supérieur, saisi en appel, avait en revanche ordonné une rencontre de deux heures tous les trois mois sous peine d'astreinte pouvant aller jusqu'à 25.000 €. Le tribunal fondait son jugement sur le § 1684 al 1 du Code civil allemand 12 CCF, 2e Chambre, décision du 14. 10.2004, 2 BvR 1482/04. Voir notre analyse, cet Annuaire

XX-2004, p. 472.

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(Biïrgerliches Gesetzbuch, BGB) selon lequel non seulement, l'enfant a le droit d'entretenir des relations personnelles avec chacun de ses parents, mais encore, chaque parent a le droit, mais aussi l'obligation d'avoir des relations personnelles avec l'enfant.

Le § 33 de la loi sur les matières de juridiction gracieuse ( Gesetz iïber die Angelegenheiten der freiwilligen Gerichtsbarkeit , FGG) donne la possibilité au juge d'assortir sa décision d'une astreinte pouvant aller jusqu'à 25.000 € (possibilité d'astreinte souvent utilisée pour régler les difficultés liées au droit de visite de parents séparés notamment).

La Cour constitutionnelle, dans sa décision en date du 1er avril 2008 13, a considéré le recours dirigé contre cette décision comme recevable. En ordonnant au père contre sa volonté et sous menace d'astreinte, de développer une relation personnelle avec son enfant, le juge a imposé une limitation à l'exercice par le requérant de son droit fondamental à la protection de la vie privée garanti par les art. 2 la. 1 et 1 al. 1 LF dont il s'agit de vérifier la constitutionnalité.

L'introduction du § 1684 al. 1 dans le Code civil en 1997 avait fait l'objet de nombreuses discussions au sein des organes législatifs. Cette nouvelle disposition était destinée à mettre le droit national en accord avec les engagements internationaux de l'Allemagne en matière de droits de l'enfant. La République avait ratifié en 1992 la convention internationale des droits de l'enfant qui prévoit dans son article 9 que « le droit de l'enfant séparé de ses deux parents ou de l'un d'eux [à] entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à [son] intérêt supérieur (...) » doit être respecté par les Etats parties. Pour le Bundesrat, le droit de l'enfant à avoir des relations personnelles avec ses parents devait être inscrit dans la loi, la mise en œuvre de ce droit ne pouvant néanmoins être réclamée en justice — sans possibilité d'astreinte — que par l'enfant lui-même et à partir de sa 15e année. Pour la commission des lois du Bundestag , en revanche, il était non seulement nécessaire de reconnaître l'existence d'un droit subjectif de l'enfant à avoir des contacts avec ses parents sans précision d'âge, mais encore, de prévoir la possibilité pour le juge de contraindre les parents refusant un tel contact. Pour la commission — suivie en ce sens par le législateur — la contrainte étant censée avoir un effet pédagogique.

La question que se pose la Cour n'est qu'indirectement celle de la constitutionnalité de cette disposition du Code civil. Dans sa décision, elle analyse la question liée de la constitutionnalité du § 33 al. 1 et al. 3 FGG et son analyse porte sur les deux interrogations suivantes : le recours à la menace d'astreinte vise-t-il à la réalisation d'un but légitime (1) et est-il réellement adapté pour atteindre ce but (2) ?

(1) Pour la Cour, le premier point ne soulève pas de difficultés. Le § 33 FGG est mis en œuvre pour contraindre un parent à respecter le § 1684 al. 1 BGB. Cette disposition concrétise l'obligation des parents, inscrite à l'art. 6 al. 2 LF, d'élever et d eduquer leurs enfants, mais aussi — et c'est la première fois que la Cour énonce ce droit subjectif — le droit correspondant des enfants, contenu dans ce même article, à avoir une relation personnelle avec leurs parents. Pour la Cour, l'existence d'un droit subjectif au profit de l'enfant peut justifier la limitation d'un autre droit subjectif : en l'espèce, le droit du père au respect de sa vie privée et de sa décision de ne pas avoir de relations personnelles avec son enfant. De plus, une telle limitation respecte le principe de proportionnalité : l'obligation d'avoir des relations personnelles à la charge des parents s'impose au regard de l'importance de ces relations pour le développement de l'enfant.

La Cour considère bien qu'une décision judiciaire, contraignant un parent réticent, a des conséquences sur le comportement de cette personne dans sa relation avec l'enfant.

Pour autant — et la Cour suit ici l'argumentation retenue par la commission des lois du Bundestag — une telle obligation peut conduire à ce que le parent concerné prenne 13 CCF, lere chambre, décision du 01.04.08, 1 BvR 1620/04.

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conscience de l'importance de cette relation pour le bien de l'enfant et, éventuellement, modifie son point de vue, sa relation devenant au fil du temps une relation voulue. Pour la Cour, l'intérêt de l'enfant mérite d'être tout spécialement protégé et doit être placé devant l'intérêt des parents. Aussi, le but poursuivi par le législateur en donnant la possibilité au juge de recourir aux moyens de contrainte prévus au § 33 FGG est un but légitime conforme à la Constitution.

(2) Le deuxième point est en revanche plus délicat. La réponse donnée par la Cour témoigne d'une souplesse notamment dictée par l'absence d'analyses scientifiques en la matière. Le recours à la menace d'astreinte vise à favoriser l'établissement d'une relation personnelle dans l'intérêt de l'enfant. Or la Cour n'est pas persuadée que le recours à cet instrument lui soit réellement bénéfique. Pour la Cour, la menace de sanctions financières va pouvoir effectivement conduire un parent à accepter un contact qu'il rejetait et il ne peut être totalement exclu qu'une telle menace ait en définitive des conséquences positives pour l'enfant. Pour autant, il semble que le seul prononcé par le juge de l'obligation contenue au § 1684 al. 1 BGB sans recours à une menace de nature financière soit plus appropriée. Dans ce cas en effet, une certaine marge d'appréciation est laissée à la personne concernée qui peut continuer à ignorer l'obligation à sa charge ou bien la remplir. En d'autres termes, soit, l'obligation n'est pas remplie et l'enfant ne sera pas physiquement confronté à un parent qui ignore son existence en sa présence — situation pouvant survenir avec la menace d'astreinte et qui ne peut être bénéfique à l'enfant — soit, il est possible que le parent qui accepte ce contact après décision du juge, soit finalement prêt à s'engager dans une relation personnelle. La Cour constitutionnelle ne conclut pas pour autant à l'inconstitutionnalité du § 33 al. 1 et 3 FGG. Elle précise que cette disposition ne peut être interprétée que restrictivement : une menace d'astreinte ne pouvant être décidée que dans le cas exceptionnel ou il est démontré qu'une rencontre ordonnée sous astreinte est bénéfique pour l'enfant.

En l'espèce, la Cour constate que le tribunal supérieur, pour rendre son jugement, s'est uniquement appuyé sur le rapport d'expertise concluant qu'un contact dans ces circonstances ne causerait pas de difficultés trop importantes ou durables pour l'enfant. Or, au regard de l'interprétation retenue par la Cour constitutionnelle comme conforme à la Constitution, le tribunal aurait dû aller plus loin dans son analyse et démontrer le caractère bénéfique de cette relation pour l'enfant. En conséquence, la Cour donne raison au requérant et renvoie l'affaire en jugement.

En matière de politique familiale, et au delà du fait important de la reconnaissance d'un nouveau droit subjectif au bénéfice de l'enfant, la Cour semble donner le message suivant aux autorités politiques et judiciaires : lorsque les structures familiales n'existent pas ou plus, il ne doit pas revenir au juge de les créer et de les imposer par la contrainte. La nature particulière, en dehors des cadres juridiques, des relations personnelles entre parents et enfants doit être acceptée et respectée.

La sphère de l'intime est aussi l'objet de la décision sur le transsexualisme.

S. D.

3 - La loi sur le transsexualisme

La loi sur le transsexualisme en date du 10 septembre 1980 ( Transsexuellengesetz , TSG) ouvre la possibilité à une personne transsexuelle d'obtenir l'adaptation de son prénom à son identité sexuelle, ainsi que la modification de la mention de son sexe dans les registres de l'état civil. La loi précise les conditions dans lesquelles de telles corrections peuvent être réalisées. Ainsi, conformément au § 1 TSG, un changement de prénom ne sera accordé que si la personne concernée, de nationalité allemande, a vécu pendant au moins trois années conformément à l'autre rôle sexuel et a donné l'assurance

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de l'irréversibilité de sa conviction d'appartenance à l'autre sexe. Le § 8 TSG ajoute des conditions supplémentaires relatives à la demande de constatation juridictionnelle de changement de sexe. Une telle demande n'est accordée par les tribunaux, en dehors des conditions précédentes, que dans l'hypothèse dans laquelle les personnes concernées : ne sont pas ou plus mariées — une personne mariée devra demander le divorce —, ne sont plus en mesure de concevoir des enfants et ont eu recours aux traitements et opérations nécessaires les ayant libérées de leurs caractéristiques sexuelles primaires et secondaires.

La Cour constitutionnelle, saisie par le tribunal d'instance de Schoneberg en application de l'art. 100 al. 1 LF, devait se prononcer sur la question de la validité du paragraphe 8 TSG au regard de la Loi fondamentale. Les faits à l'origine de cette saisine étaient simples : le requérant, né en 1929 et marié depuis 1952, avait fait procéder à un changement de prénom en 2001 en conformité avec le § 1 TSG. Après s'être soumis à l'opération nécessaire au changement de sexe, le requérant demandait à ce que le tribunal reconnaisse sa nouvelle identité, tout en refusant de demander le divorce. Pour le tribunal, cette disposition devait être considérée comme contraire aux articles 1 al. 1 (protection du principe de dignité humaine) en liaison avec l'art. 2 al. 1 (droit de la personnalité), 6 al. 1 (protection du mariage et de la famille) et 3 al. 1 (égalité devant

la loi) LF.

Par une décision en date du 27 mai 2008 14 , la CCF constate que le § 8 TSG est bien contraire à la Loi fondamentale. Pour la Cour, il n'est pas acceptable en effet au regard de l'art. 2 al. 1 en liaison avec l'art. 1 al. 1, et 6 al. 1 LF, que la loi impose le divorce aux personnes remplissant les conditions des § 1 et 8 TSG. Une autre alternative juridique devrait être offerte par le législateur aux personnes transsexuelles mariées souhaitant obtenir cette reconnaissance tout en restant marié.

Le raisonnement de la Cour est le suivant. L'article 2 al. 1 LF qui garanti le droit de chacun à l'épanouissement de sa personnalité, garanti le droit à l'autodétermination sexuelle. En d'autres termes, la Loi fondamentale protège la recherche et la reconnaissance par chacun de son identité sexuelle comme de son orientation sexuelle.

L'appartenance à l'un ou l'autre genre est juridiquement déterminée dès la naissance par les caractéristiques génétiques de l'individu. Cependant, lorsque ces caractéristiques ne correspondent pas à l'identité de genre ressentie par la personne concernée et que cette dernière a suivi des traitements particuliers et fait procéder aux opérations nécessaires, les registres d'état civil doivent être modifiés, conformément à la garantie du droit de la personnalité et du droit fondamental à la dignité humaine.

Cette sphère intime de la personnalité ne peut, selon la Cour, subir des limitations d'origine étatiques que dans l'hypothèse où ces limitations sont justifiées par un but légitime et qu'elles sont proportionnées. Une telle limitation est inscrite au

§ 8 TSG : l'exercice du droit à l'autodétermination sexuelle est conditionné par l'absence de liens maritaux. La personne concernée est placée devant une alternative : préserver les liens maritaux et renoncer soit au changement de sexe, soit à la

reconnaissance juridique de ce changement (seul le changement de prénom restant possible), ou bien divorcer et remplir ainsi toutes les conditions du § 8, sans que puisse être prise en considération la volonté éventuelle des époux de rester sous le régime juridique du mariage. Le but légitime poursuivi par le législateur n'est pas contestable : il s'agit de la protection de l'institution du mariage, telle que garantie par l'article 6 al. 1. En Allemagne, un mariage ne peut être conclu légalement qu'entre personnes de sexes opposés.

Pour autant, la restriction apportée par la loi au droit à l'autodétermination sexuelle est disproportionnée par rapport au but recherché. Pour la Cour, il n'est pas

14 CCF, lere chambre, décision du 27.05.2008, 1 BvL 10/05.

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acceptable au regard de la Loi fondamentale d'imposer une telle condition à une personne souhaitant la reconnaissance de son appartenance à l'autre genre sans qu'une possibilité lui soit donnée de poursuivre une communauté de vie protégée par la loi.

La démonstration de ce déséquilibre semble néanmoins laborieuse. La Cour met en balance deux garanties protégées l'une et l'autre par la Loi fondamentale. D'un côté, les éléments conditionnant l'institution du mariage — et notamment l'attachement à la condition de l'opposition des sexes — ne peuvent être remis en cause par le législateur même si ce dernier doit accepter l'existence dans certains cas de couples mariés qui ne semblent pas remplir les conditions requises : ainsi une personne peut rester mariée après un changement de prénom (en application du § 1 TSG) conforme à sa sensibilité voire après une opération de réassignation sexuelle non suivie d'une modification d'état civil. De l'autre, l'exercice du droit au développement de la personnalité. Cet exercice est largement restreint lorsque les personnes concernées doivent renoncer à un élément essentiel sur le fondement duquel repose leur existence : l'appartenance à l'autre genre ou le mariage.

Aussi, la Cour poursuit-elle son argumentation en se référant à la garantie de l'article 6 al. LF qui protège l'institution du mariage et en adoptant la perspective du conjoint de la personne transsexuelle. La contrainte au divorce est forcément en contradiction avec cette garantie : la personne légalement mariée doit pouvoir bénéficier du cadre juridique instauré par les liens du mariage aussi longtemps qu'elle souhaite la communauté de vie avec son conjoint. Le changement de genre opéré par l'un des deux conjoints et le souhait consécutif de la modification de l'état civil ne doivent pas porter atteinte à la garantie constitutionnelle du mariage pour l'autre conjoint.

La conclusion de la Cour est double et en partie critiquable. D'un côté, elle ouvre une porte pour le législateur afin que le maintien de la situation juridique créée par le mariage ne conduise pas forcément à l'acceptation du mariage entre partenaires de même sexe. Elle propose la solution tout à fait intéressante de la définition d'une forme juridique offrant aux personnes ayant mis fin à leurs liens maritaux, suite au changement de genre de l'un des conjoints, une protection identique à celle offerte par l'article 6 al. 1 LF. Les droits et obligations liés à la communauté de vie maritale ne disparaissent pas, bien que l'on ne se trouve plus dans le cadre du mariage. Il s'agirait d'un partenariat d'un genre nouveau en droit allemand entre personnes du même sexe et prenant en compte des intérêts anciens. De l'autre côté, elle propose au législateur de supprimer tout simplement le § 8 al. 1 TSG et d'autoriser exceptionnellement la reconnaissance du changement de sexe sur les registres de l'état civil tout en acceptant le maintien des liens du mariage entre les deux conjoints concernés. Cette solution est acceptable selon la Cour au regard du nombre extrêmement limité d'individus mariés ayant découvert leur transsexualité au cours de leur mariage et désirant rester mariés après avoir procédé à un changement de sexe. En outre, cette solution serait justifiée par la garantie constitutionnelle du mariage, malgré le fait que, par définition, le mariage ne soit réalisable qu'entre un homme et une femme. Cette seconde solution n'est pas très convaincante.

La Cour donne au législateur un délai (1er août 2009) pour adopter l'une de ces solutions, le § 8 al. 1 TSG n'étant plus applicable à partir du prononcé de la décision et jusqu'à l'entrée en vigueur d'une nouvelle règle.

S. D.

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4) La condamnation pénale de l'inceste entre frères et sœurs

La Cour constitutionnelle fédérale avait à juger dans cette affaire de la constitutionnalité d'une sanction pénale extrêmement controversée, applicable aux relations incestueuses entre frères et sœurs. La solution adoptée le 26 février 2008 15 par laquelle la Cour a refusé de censurer la disposition en cause a par conséquent fait l'objet de nombreuses critiques : de la part d'un membre de la Cour, le juge Hassemer, dans une opinion dissidente très argumentée, mais aussi de la part de la doctrine 16 et des médias 17 . La réticence traditionnelle de la Cour à censurer le législateur en matière pénale et à lui imposer des limites plus étroites, est ici confirmée. . .et largement contestée 18 .

Dans cette affaire, le requérant avait introduit un recours constitutionnel contre le jugement du tribunal cantonal de Leipzig, tel que confirmé en appel par le tribunal régional supérieur de Dresden, le condamnant à une peine privative de liberté d'une durée d'un an et quatre mois pour relations sexuelles avec sa sœur. Les faits étaient les suivants : le requérant, placé dans une famille adoptive dès l'âge de quatre ans, n'avait fait la connaissance de sa sœur biologique — alors âgée de 16 ans — que l'année de ses 23 ans. De leur relation intime étaient nés quatre enfants. Le requérant soulevait indirectement la question de la constitutionnalité du § 173 al. 2, 2e phrase du Code pénal (Strafgesetzbuch, StGB) qui prévoit une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à 2 ans, ou une amende, pour toute personne majeure ayant des relations sexuelles avec un membre de sa fratrie biologique. Selon le requérant, une telle disposition devait être considérée comme contraire aux article 2 al. 1 LF et 1 al. 1 LF qui protègent le droit fondamental à l'autodétermination en matière sexuelle, ainsi qu'aux article 3 al. 1 et 3 LF (principes d'égalité et de non discrimination). En outre, il considérait le jugement adopté comme contraire au droit à la protection de la famille énoncé par l'article 6 al. 1 LF.

La Cour constitutionnelle, après avoir accepté d'examiner la constitutionnalité de la loi pénale et du jugement contesté, n'a pas suivi l'argumentation présentée par le requérant. Sa décision est fondée essentiellement sur l'analyse de la conformité de la disposition pénale contestée avec le droit à la protection de la vie privée. . .analyse qu'elle fait précéder de manière tout à fait inhabituelle d'une présentation détaillée de l'interdiction de l'inceste à travers le temps (l'analyse remonte jusqu'à l'antiquité 19 ) et l'espace 20 . Il est à noter que ces développements ne sont pas expressément repris par la suite pour fonder son argumentation.

Le droit à l'autodétermination sexuelle n'est pas expressément garanti par la Loi fondamentale. La Cour constitutionnelle considère néanmoins que les domaines de l'intimité et de la sexualité font partie de la sphère privée dont la garantie est assurée par l'article 2 al 1 LF en liaison avec l'article 1 al. 1 LF. Dans sa jurisprudence antérieure, la Cour a interprété ces articles comme protégeant le droit des individus à 15 CCF, 2e Chambre, décision du 26.01.08, 2 BvR 392/07.

16 Voir B. NOLTENIUS, Grenzenloser Spielraum des Gesetzesgebers im Strafrecht? ZJS 2008, p. 15 ; T. Hornle, Das Verbot des Geschwisterinzests — Verfassungsgerichtliche Bestâtigung und verfassungsrechtliche Kritik, NJW 2008, p. 2085 ; B. ZABEL, Die Grenzen des Tabuschutzes im Strafrecht JR 11 (2008), p. 453.

17 Voir par exemple l'article de presse suivant : R. BURGER, Kann denn Liebe strafbar sein ? FAZ, 13.03.08.

18 Voir la première partie de l'opinion dissidente du juge Hassemer concernant le rôle du législateur en matière pénale et les contraintes qu'il doit respecter, notamment points 75 à 80.

19 Points 3 à 10 de la décision.

20 Points 15 à 17 de la décision. La Cour constitutionnelle s'appuie sur un avis rendu par l'Institut Max-Planck de droit pénal qui présente la situation dans 20 pays différents.

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