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Chronique-Allemagne

DAGRON, Stéphanie, et al.

DAGRON, Stéphanie, et al. Chronique-Allemagne. Annuaire international de justice constitutionnelle, 2007, vol. XXII-2006, p. 599-633

DOI : 10.3406/aijc.2007.1855

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:103689

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Allemagne

Stéphanie Dagron

,

Michel Fromont

,

Constance Grewe

,

Olivier Jouanjan

,

Xavier Volmerange

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Dagron Stéphanie, Fromont Michel, Grewe Constance, Jouanjan Olivier, Volmerange Xavier. Allemagne. In: Annuaire international de justice constitutionnelle, 22-2006, 2007. Autonomie régionale et locale et constitutions - La répartition des compétences normatives entre le parlement et le gouvernement. pp. 599-633;

doi : https://doi.org/10.3406/aijc.2007.1855

https://www.persee.fr/doc/aijc_0995-3817_2007_num_22_2006_1855

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ALLEMAGNE

par Stéphanie DAGRON, Michel F ROMONT, Constance GREWE, Olivier JOUANJAN et Xavier VOLMERANGE *

I — Organisation et activité des pouvoirs publics ; 1 - La réforme constitutionnelle du fédéralisme allemand \ réaction à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale ; 2 - La jurisprudence en matière de fédéralisme financier ; II — Droits fondamentaux - 1 - Le

massacre des innocents : l'inconstitutionnalité d'une disposition controversée de la loi relative à la sécurité aérienne ; 2 - Dignité humaine, droits de la personnalité et droit à l' autodétermination informationnelle ; 3 - Liberté de conscience, liberté de religion, liberté d' association ; 4 - Principe d 'égalité, droit de propriété et liberté professionnelle ; 5 - Mariage, famille ; 6 - Droit de la nationalité, extradition ; 7 - Droits fondamentaux de la procédure

* * *

I - ORGANISATION ET ACTIVITÉ DES POUVOIRS PUBLICS

Si l'événement majeur est la réforme constitutionnelle du 28 août 2006 relative au fédéralisme, la Cour constitutionnelle est également intervenue dans ce domaine, notamment en matière financière.

Michel FROMONT, Professeur émérite à l'Université de Paris I Panthéon-Sorbonne ; Stéphanie DAGRON, Docteur en droit, Chargée de recherches à l'Institut Max -Planck pour le droit public étranger et le droit international public de Heidelberg ; Constance GREWE, Professeure à l'Université Robert Schuman, Strasbourg, Directrice de l'Institut de Recherches Carré de Malherg (IRCM) ; Olivier JOUANJAN, Professeur à l'Université Robert Schuman, Strasbourg, Directeur adjoint de l'Institut de Recherches Carré de Malberg ; Xavier VOLMERANGE, Maître de Conférences à l'Université de Rennes I.

Annuaire international de justice constitutionnelle, XXII-2006

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1 - La réforme constitutionnelle du fédéralisme allemand,

réaction à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale Pendant longtemps, le fédéralisme allemand a évolué vers un pouvoir fédéral de plus en plus fort. Certes, le moteur de cette évolution a été principalement le dynamisme de la politique fédérale, spécialement dans le domaine des relations extérieures et de la politique économique et sociale. Cependant, la Cour constitutionnelle fédérale a également contribué pendant longtemps à l'extension des compétences de la Fédération au détriment de celles des Lànder et aussi à la confusion des responsabilités politiques entre la Fédération et les Lander.

a) La réforme de 2006, réaction à la jurisprudence constitutionnelle relative aux compétences législatives concurrentes

L'exemple majeur du rôle joué par la jurisprudence constitutionnelle est certainement l'interprétation laxiste des conditions mises à l'intervention du législateur fédéral lorsque celui-ci revendique l'exercice de sa compétence concurrente pour éliminer la législation régionale en vigueur. Selon l'article 72, al. 2, de la Loi fondamentale dans sa rédaction primitive, « dans ce domaine (celui des compétences concurrentes), la Fédération a le droit de légiférer pour autant qu'existe un besoin de règles législatives fédérales parce que 1) une question ne peut pas être réglée efficacement par la législation des différents Lànder , ou que 2) la réglementation d'une question par une loi de Land pourrait affecter les intérêts d'autres Lander ou de l'ensemble, ou que 3. la sauvegarde de l'unité juridique ou économique l'exige, et notamment la sauvegarde de l'homogénéité des conditions de vie au-delà du territoire d'un Land ». Or la Cour constitutionnelle fédérale renonça pratiquement à exercer tout contrôle du respect de cette règle constitutionnelle, qui n'était autre que l'expression du principe de subsidiarité. Il en résulta une extension des compétences législatives fédérales d'autant plus considérable que le domaine des compétences concurrentes est très étendu (tout le droit privé et le droit pénal ainsi qu'une partie du droit public) et qu'il fut même agrandi par de multiples révisons constitutionnelles.

Lorsque les Communautés européennes puis l'Union européenne développèrent à leur tour leurs compétences législatives, les Lànder se sentirent pratiquement dépossédés de leurs compétences législatives et réclamèrent une réforme constitutionnelle et notamment la modification de l'alinéa 2 de l'article 72 de la Loi fondamentale, ce qu'ils obtinrent avec la révision du 27 octobre 1994. Selon le nouvel alinéa 2 de l'article 72 de la Loi fondamentale, « dans ce domaine, la Fédération a le droit de légiférer lorsque et pour autant que la réalisation des conditions de vie équivalentes sur le territoire fédéral ou la sauvegarde de l'unité juridique ou économique dans l'intérêt de l'ensemble de l'État rendent nécessaire une réglementation législative fédérale ». La Cour constitutionnelle fédérale a tiré les conséquences de ce changement de rédaction qui substitue à la notion de « besoin » celle de « nécessité ». De fait, dans trois décisions de 2002, 2004 et 2005 1 , elle censure des lois fédérales intervenues à tort selon elle dans le domaine des compétences concurrentes en raison de l'absence de nécessité de règles fédérales. Mais comme le firent remarquer tant les hommes politiques qu'une partie de la doctrine de droit public, le système allemand passait d'un extrême à l'autre. Dorénavant, la Fédération ne disposerait plus de possibilités d'intervention suffisantes tant pour faire face à ses obligations de transposition des directives communautaires que pour faire face à des

1 Analyses M. FROMONT in RDP 2004, p. 1 147 ; 2005, p. 1698 ; RDP 2006, p. 1767.

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besoins d'uniformité non pas dans toutes les matières relevant de la compétence concurrente, mais au moins dans certaines d'entre elles. De surcroît, ce principe de subsidiarité était applicable non seulement aux compétences dites concurrentes (il serait plus expressif de parler de compétences dont la Fédération peut exiger le monopole de l'exercice à certaines conditions), mais encore aux compétences de la fédération d'édicter des lois-cadres dans plusieurs matières, notamment dans deux domaines, la fonction publique et l'enseignement supérieur, qui sont politiquement très sensibles à la fois pour la Fédération (qui entend assurer un minimum d'homogénéité des conditions de vie) et pour les Lander (qui emploient la quasi-totalité des fonctionnaires allemands et ont la responsabilité première en matière universitaire).

Ces inconvénients apparurent tels qu'un remaniement général de la répartition des compétences législatives apparut nécessaire, ce qui fut réalisé par la réforme du 28 août 2006 avec l'appui des partis composant la « grande coalition ».

En premier lieu, la catégorie des lois fédérales-cadres fut supprimée. À quelques exceptions près, toutes ces matières ont été transférées au domaine des compétences concurrentes de la Fédération et des Lander avec, d'ailleurs, le plus souvent, possibilité pour les Lander de légiférer malgré la présence d'une loi fédérale (cf. infra).

En second lieu, le régime applicable aux compétences concurrentes qui était uniforme jusque-là (lorsque la nécessité de l'uniformité l'exige, la Fédération peut revendiquer l'exercice exclusif de la compétence législative) devient différencié. Il éclate en effet en trois régimes distincts.

Il y a tout d'abord les matières dans lesquelles la Fédération ne peut légiférer qu'en cas d'absolue nécessité. Selon la jurisprudence inaugurée par la Cour constitutionnelle fédérale en 2002 et confirmée en 2004 et 2005, c'est à la Fédération de prouver que l'unité de législation est indispensable. C'est à ce sujet que sont apparus deux nouveaux titres de compétence de la Cour constitutionnelle fédérale (art. 97, al. 2, de la Loi fondamentale). Désormais, la Cour constitutionnelle peut être saisie par le gouvernement ou l'assemblée du Land ou encore par le Bundesrat dans deux séries de cas.

Le premier est celui où la loi fédérale a été édictée à un moment où une législation uniforme apparaissait indispensable et où elle ne semble plus nécessaire aujourd'hui.

Le second cas est celui où la nécessité d'une réglementation uniforme n'était pas requise (situation avant la réforme de 1994) et où celle-ci est requise aujourd'hui. Ainsi les Lander peuvent faire reconnaître leur droit à légiférer malgré la présence d'une loi fédérale qui ne remplit plus les conditions pour être édictée.

Il y a ensuite les matières dans lesquelles la Fédération peut légiférer dès qu'elle le souhaite : l'exigence de la nécessité de lois uniformes a été abandonnée par le constituant de 2006 et la simple exigence d'un besoin, qui existait avant 1994, n'a pas été reprise. Mais ces matières se répartissent elles-mêmes en deux catégories. Il y a, d'une part, les matières pour lesquelles les Lander perdent (comme par le passé) tout pouvoir législatif dès lors que la Fédération a légiféré ; ces matières sont de loin les plus nombreuses ; en pratique, on revient dans ce cas au système en vigueur avant 1994 pour toutes les compétences concurrentes. Il y a, d'autre part, les matières pour lesquelles les Lander ont dorénavant le pouvoir d'adopter des lois contredisant la législation fédérale édictée, la Fédération ayant d'ailleurs la possibilité d'adopter une loi contredisant les lois dérogatoires des Lander, la loi la plus récente l'emportant alors sur la moins récente ; ces matières correspondent assez largement aux anciennes matières pouvant faire l'objet de lois-cadres fédérales.

La complexité du nouveau système n'échappera pas au lecteur. Il est assez difficile de prévoir quel usage il sera fait de toutes ces possibilités. On peut imaginer que seuls les Lander qui sont à la fois grands et riches en tireront profit.

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b) La réforme de 2006, réaction à la jurisprudence constitutionnelle relative au pouvoir du Bundesrat de s'opposer à une loi votée par le Bundestag

Le fédéralisme allemand est avant tout un fédéralisme administratif en ce sens que si la Fédération édicté à elle seule plus des trois quarts de la législation, les Lander assument eux-mêmes l'exécution de toutes les lois fédérales en toute autonomie, c'est-à- dire qu'en principe, ils organisent eux-mêmes leur administration et la procédure suivie par elle. Une exception était toutefois prévue par la Loi fondamentale dès le début. En effet, l'ancien alinéa 1 de l'article 84 de la Loi fondamentale disposait :

« lorsque les Lander exécutent les lois fédérales à titre de compétence propre, ils règlent l'organisation des autorités administratives et la procédure administrative, à moins que des lois fédérales n'en disposent autrement avec l'approbation du Bundesrat ». Dans la pratique, cette disposition fut fréquemment utilisée par la Fédération, ce qui aboutissait à réduire les compétences législatives des Lander en matière administrative.

De plus, l'application de cette disposition eut pour effet de multiplier les cas où un vote positif du Bundesrat , conseil composé de ministres des Lander, était requis pour l'adoption d'une loi fédérale. On estime que près des deux tiers des lois fédérales devaient de ce fait obtenir l'accord du Bundesrat. Ces cas se multiplièrent d'autant plus que la Cour constitutionnelle fédérale n'accepta pas que les lois fédérales puissent être divisées en deux parties, l'une contenant les dispositions matérielles et pouvant donc être adoptée sans l'accord du Bundesrat , l'autre contenant les dispositions organiques et procédurales et exigeant, au contraire, l'accord du Bundesrat. Le résultat fut donc non seulement une perte de compétences pour les Lander , mais encore la confusion des responsabilités politiques au niveau fédéral puisque le Bundestag , assemblée élue au suffrage universel direct, devait exercer sa compétence fédérale avec l'accord du Bundesrat , représentation des Lander. Cet inconvénient était particulièrement criant lorsque les deux chambres étaient dominées par des majorités différentes. Comme on le fit souvent remarquer, dans ces cas de coexistence de deux assemblées aux orientations politiques opposées, celles-ci étaient condamnées à conclure des compromis et à pratiquer une sorte de « grande coalition » occulte ; quand elles n'y parvenaient pas, l'adoption de toute nouvelle loi était bloquée.

C'est pour mettre fin à cette perte de compétence des Lander et à ces situations de confusion au niveau fédéral que la révision du 27 octobre 2006 a apporté deux corrections à l'alinéa 1 de l'article 84 de la Loi fondamentale. D'une part, la Fédération conserve le pouvoir de régler l'organisation et la procédure administratives des Lander lorsque ceux-ci exécutent une loi fédérale, mais les Lander acquièrent le pouvoir d'adopter des dispositions législatives dérogatoires à une telle loi ; il est vrai que, dans des cas exceptionnels, la Fédération peut imposer des règles uniformes de procédure administrative (mais non d'organisation administrative). D'autre part, l'accord du Bundesrat pour l'adoption de lois fédérales contenant des dispositions relatives à l'organisation à la procédure administrative des Lander est supprimée. De ce fait, la proportion des lois fédérales exigeant l'accord du Bundesrat devrait tomber à moins de

25%.

La révision constitutionnelle de 2006 a apporté d'autres modifications au système fédéral. Elles ne seront pas présentées dans cette chronique du fait qu'elles n'ont pas de lien avec la jurisprudence constitutionnelle. Il en va tout particulièrement de la suppression progressive des « tâches communes » qui permettaient à la Fédération et aux Lander de planifier et de financer certaines politiques d'équipements.

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Le lecteur trouvera une analyse complète de cette réforme dans : M. Fromont, La réforme du fédéralisme allemand de 2006, Revue française de droit constitutionnel , 2-2007, ainsi que la traduction française du texte modifié de la Loi fondamentale (par Autexier, Fromont, Grewe et Jouanjan) sur le site du Bundestag : www.bundestag.de/

htdocs_f/parlement/fonctions/cadre/loi_fondamentale.pdf (traduction). M. F.

2 - La jurisprudence en matière de fédéralisme financier

a) La responsabilité du Bund et des Lander en matière de corrections financières imposées par la Commission européenne

relatives à des primes communautaires 2

Dans un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 4 mars 2004, l'Allemagne avait demandé l'annulation d'une décision de la Commission venant écarter du financement communautaire certaines dépenses effectuées par les États membres au titre du Fonds européen d'orientation et de garantie agricole (FEOGA). La décision contestée procédait à des corrections financières relatives à des primes à la vache allaitante.

Des contrôles opérés par la Commission européenne avaient été effectués en Rhénanie-du-Nord, Schleswig-Holstein et en Bavière sur les aides octroyées. La Commission avait alors fait savoir aux autorités allemandes que les constatations faites dans les trois Lander seraient représentatives de l'ensemble du territoire allemand. La Commission avait motivé l'extension de la correction financière en faisant valoir qu'en raison du caractère similaire des principaux manquements constatés dans les Lànder visités et de l'importante similitude entre les structures et les procédures administratives, il convenait de partir du principe que des défaillances comparables devaient avoir existé dans les autres Lander non visités. Les autorités allemandes n'avaient pas été en mesure de prouver le contraire, avançant qu'elles n'étaient pas à même de fournir les documents utiles. Dans son arrêt, la Cour de Justice estime qu'il n'appartient pas à la Commission de se prononcer sur la répartition des compétences fixées par les règles institutionnelles de chaque État membre et sur les obligations qui peuvent incomber respectivement aux autorités de la Fédération et à celles des Lander.

Cette répartition des compétences ne saurait constituer une raison suffisante pour aménager les obligations qui incombent aux États membres envers la Communauté, dans le cadre de la répartition de la charge de la preuve d'une violation des règles de l'organisation commune des marchés agricoles. C'était donc au gouvernement allemand de prouver que les systèmes de contrôle dans les Lander n'étaient pas affectés par les mêmes défauts que ceux que la Commission avait constatés dans les trois Lànder contrôlés. La Cour de Justice avait estimé qu'il n'y a pas eu une atteinte au principe de coopération loyale inscrit à l'article 10 du Traité CE, qui entraîne une obligation pour les États membres de prendre toutes les mesures propres à garantir la portée et l'efficacité du droit communautaire et qui impose aux institutions communautaires des devoirs réciproques de coopération loyale avec les États membres.

Dans sa décision du 17 octobre 2006, la Cour constitutionnelle devait déterminer si l'article 104a, al. 5 de la Loi fondamentale fonde en lui-même un régime de responsabilité, et dans l'affirmative, déterminer si celui-ci pouvait jouer s'agissant d'une décision communautaire. Cet article énonce : « La Fédération et les Lander 2 CCF, jugement de la 2nde Chambre du 17-10-2006, 2 BvG 1/04 et 2 BvG 2/04,

http://www.bverfg.de/entscheidungen/fs2006l019_2bvf000303.html.

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supportent les dépenses d'administration de leurs services respectifs et sont responsables les uns vis-à-vis des autres du bon fonctionnement de leur administration. Les modalités sont fixées par une loi fédérale requérant l'approbation du Bundesrat » .

En doctrine, se posait en effet la question de savoir si cette co-responsabilité pouvait se fonder sur la première phrase de l'alinéa ou si au contraire les deux phrases étaient indissolublement liées de telle sorte que l'absence de loi fédérale entraînait également l'absence d'un régime de co-responsabilité. Par sa jurisprudence, la Cour fédérale administrative avait eu l'occasion de définir une part irréductible de responsabilité en se fondant sur la disposition constitutionnelle selon laquelle la Fédération et les Lander sont responsables les uns vis-à-vis des autres du bon fonctionnement de leur administration. Selon la Cour constitutionnelle, l'article 104a, al. 5, phrase 1 fonde déjà en lui-même un régime de responsabilité réciproque, ce que manifeste la jurisprudence administrative. Dans sa décision, la Cour constitutionnelle précise que cette responsabilité ne se limite pas aux dispositions législatives de l'ordre interne mais également à celles de l'ordre communautaire.

L'exécution du droit communautaire fait donc partie des tâches qui incombent aux pouvoirs publics, même en l'absence de la loi fédérale prévue à la deuxième phrase de l'article 104 a, al. 5.

Par conséquent les Lander peuvent être tenus pour responsables du manquement aux obligations communautaires, de la même façon que la Fédération : l'appartenance à l'Union européenne entraîne des droits et des obligations tant pour les Lander que pour la Fédération. Celle-ci a pu manquer à son devoir de coordination dans la mise en place du système des aides attribuées par le FEOGA. L'objet du litige entre les Lander et la Fédération était uniquement de savoir si l'article 104a, al. 5, phrase 1 pouvait fonder un régime de responsabilité réciproque et non de déterminer la part de responsabilité respective de la Fédération et des Lander : ce dernier point, souligne la Cour constitutionnelle fédérale, devra être tranché par la Cour fédérale administrative. X. V.

b) Non-reconnaissance au Land de Berlin du droit à recevoir des aides de la Fédération destinées à assainir sa situation financière 3

La Cour constitutionnelle était saisie par le Land de Berlin, confronté à une situation budgétaire très difficile. La Cour constitutionnelle n'a relevé aucun motif d'inconstitutionnalité dans la loi sur la péréquation financière, ni dans celle mettant en

oeuvre le pacte de solidarité.

Compte tenu de l'importance de sa dette — 17 275 euros de dette par habitant à Berlin fin 2005, contre 7 300 en moyenne en Allemagne — le Land souhaitait obtenir des dotations fédérales complémentaires prévues à l'article 107, alinéa 2, phrase 3 de la Loi fondamentale selon lequel la loi peut disposer que la Fédération, sur ses ressources propres, accorde aux Lander à faible capacité financière des dotations destinées à les aider à couvrir leurs frais financiers généraux.

Dans le système extrêmement complexe de la constitution financière, il faut distinguer plusieurs types de péréquation : d'une part la péréquation primaire ou secondaire et d'autre part la péréquation verticale ou horizontale. Il y a donc au total quatre niveaux de péréquation.

3 CCF, jugement de la 2nde Chambre du 19-10-2006, 2 BvF 3/03, http://www.bverfg.de/

entscheidungen/fs2006l 019_2bvf000303.html.

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- Le premier niveau est la péréquation verticale primaire, qui permet de répartir le produit des recettes fiscales entre la Fédération et les Lander (article 106, al. 2 de la Loi fondamentale)

- Le deuxième niveau est la péréquation horizontale primaire, qui permet de déterminer la quote-part revenant aux Lander dans le produit de la TVA (art. 107, al. 1 de la Loi fondamentale)

- Le troisième niveau est la péréquation horizontale secondaire, il s'agit d'assurer une compensation appropriée des inégalités de capacité financière entre les Lander et en tenant compte de la capacité et des besoins financiers des communes (art. 107, al. 2 de la Loi fondamentale)

- Le quatrième niveau est la péréquation verticale secondaire constituée par les dotations fédérales complémentaires (art. 107, al. 2, phrase 3 de la Loi fondamentale).

La Cour constitutionnelle fédérale devait donc préciser les conditions dans lesquelles les dotations du quatrième niveau sont constitutionnellement fondées.

Elle constate tout d'abord que de telles aides, destinées à assainir la situation financière d'un Land, ne sont pas sans conséquence sur l'équilibre général de la péréquation financière : elles sont de nature à avoir des répercussions sur les autres niveaux de péréquation. Elles ne peuvent donc constituer qu'une solution ultime et ne peuvent intervenir que lorsque la situation budgétaire d'un Land est telle que celui-ci est dans l'incapacité d'exercer ses missions régaliennes.

Cette situation ne peut intervenir que lorsque tout a été mis en œuvre pour essayer de redresser la situation : les dotations fédérales apparaissent dès lors comme la seule issue car ces dotations contredisent le principe d'autonomie et de responsabilité des Lander.

De telles aides ne peuvent avoir qu'un caractère exceptionnel et provisoire : elles n'ont pas vocation à pallier les trois autres niveaux de péréquation. Des déséquilibres durables manifestent soit de graves défauts dans les clés de répartition des trois autres niveaux, ce qui appelle une réforme, soit une mauvaise gestion d'un Land. Il faut donc des raisons particulières pour qu'un Land bénéficie de telles aides. Cela avait été notamment le cas au début des années 1990 pour les Lander de Sarre et de Brème. En effet, à la suite de la réunification allemande, ils étaient brutalement passés du stade de bénéficiaires du système de péréquation à celui de contributeurs, ce qui avait justifié l'octroi de dotations complémentaires fédérales 4 .

En dégageant trois critères budgétaires, la Cour constitutionnelle juge que la situation budgétaire globale de Berlin n'est pas telle qu'elle justifierait l'octroi de dotations fédérales complémentaires : si la situation est critique, elle n'est pas désespérée. La Cour souligne en effet que le Land peut sortir de ses difficultés « par ses propres moyens » non seulement en augmentant ses recettes (notamment en augmentant le taux de prélèvement de la taxe professionnelle ou en réalisant des cessions de patrimoine) mais aussi et surtout en diminuant ses dépenses, considérées comme disproportionnées au regard des autres villes-Etat. La Cour relève ainsi qu'il existe une dépense annuelle de 400 € de plus par habitant qu'à Hambourg en matière de logement.

Après la réforme du fédéralisme intervenue au cours de l'été 2006, la réforme du système de la péréquation financière, dont les limites sont atteintes, est à l'ordre du

jour.

X. V.

4 AIJC VIII-1992, 315 (318-320).

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II - LES DROITS FONDAMENTAUX

Dans ce domaine, l'arrêt qui a sans doute marqué cette année tout particulièrement est celui que la CCF a rendu sur la loi permettant d'abattre un avion civil en cas de détournement et de risque que l'avion soit utilisé pour commettre un attentat. En dehors de cette affaire, les décisions toujours aussi nombreuses interviennent très fréquemment en matière de procédure et dans le domaine de la détention préventive ; mais la plupart de ces arrêts ne font que confirmer une jurisprudence maintenant bien établie de telle sorte que la sélection ici présentée écarte ces décisions au profit de jurisprudences plus novatrices.

1 - Le massacre des innocents : l'inconstitutionnalité d'une disposition controversée de la loi relative à la sécurité aérienne 5

La loi sur la sécurité aérienne (Luftsicherheitsgesetz = LuftSiG) du 11 janvier 2005 a pour objet de renforcer la « protection contre les atteintes à la sécurité du trafic aérien, notamment contre les détournements d'avions, actes de sabotages et tous attentats terroristes » (§ 1 ). Cette loi s'inscrit évidemment dans le contexte nouveau créé par les attentats du 11 septembre 2001 et, en particulier, complète les dispositifs établis au niveau de l'Union européenne et notamment le règlement 2320/2002 de la Communauté du 16 décembre 2002 relatif à l'instauration de règles communes dans le domaine de la sûreté de l'aviation civile (JOCE L 355 du 30 déc. 2002, p. 1) modifié par le règlement 849/2004 du 29 avril 2004 (JOCE L 229 du 29 juin 2004, p. 3).

L'adoption de cette loi a déclenché une vaste discussion, à la fois politique et juridique 6. C'est surtout l'alinéa 3 du § 14 qui a suscité les plus vives controverses.

L'alinéa premier du paragraphe autorise les forces armées à refouler tout aéronef hors de l'espace aérien, le contraindre à l'atterrissage, le menacer de recourir à la force ou de procéder à des tirs de sommation lorsque ces mesures visent à prévenir la survenance d'un accident particulièrement grave. L'alinéa 2 impose aux autorités de choisir à chaque fois, dans un tel cas de nécessité, la mesure la plus appropriée. L'alinéa 3, enfin, s'insérait dans ce dispositif en prévoyant le cas exceptionnel de recours effectif et direct à la force armée contre un aéronef civil, autrement dit les conditions juridiques dans lesquelles un avion civil peut être abattu : un tel recours à la force armée « n'est licite que lorsque, compte tenu des circonstances, l'on doit considérer que l'aéronef est destiné à être employé contre la vie d'êtres humains et que (le recours à la force) est l'unique moyen de protection contre un tel danger imminent ».

Par son jugement, rendu par la première Chambre le 15 février 2006 7, la Cour constitutionnelle fédérale a constaté l'incompatibilité et déclaré en conséquence la nullité de ce troisième alinéa du § 14 LuftSiG avec la Loi fondamentale et a ainsi donné raison aux requérants qui avaient formé un recours constitutionnel exclusivement dirigé contre cette disposition de la loi. Celle-ci viole l'article 2 al. 2 phrase 1 LF,

5 Je remercie Madame Vasiliki VOULELI qui m'a communiqué un certain nombre d'informations bibliographiques qu'elle a recueillies dans le cadre de la rédaction de la thèse qu'elle consacre au principe de dignité en droit allemand.

6 Dans la presse, cf. notamment : Reinhard MERKEL, « Wenn der Staat Unschuldige opfert », Die Zeit du 8 juillet 2004 et, pour un commentaire de la décision de la Cour constitutionnelle : Martin KLINGST, « Nur das Leben Zahlt », Die Zeit du 16 février 2006.

1 Jugement 1 BvR 357/05, EuGRZ 2006, p. 83.

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combiné, d'une part, avec les art. 87 a al. 2 et 35 al. 2 et 3 LF et, d'autre part, avec l'article 1 al. 1 LF 8.

Après avoir déclaré irrecevable le moyen tiré de ce que l'adoption de la loi aurait nécessité l'approbation du Bundesrat, ce moyen n'étant pas suffisamment établi par la requête, la Cour admet en revanche la recevabilité du recours en tant qu'il est fondé sur les art. 1 al. 1 LF (dignité) et 2 al. 2 phrase 1 LF (droit à la vie) : la disposition législative autorisant le recours à la force armée contre des avions dans lesquels ont pris place des passagers innocents — cette disposition étant immédiatement applicable sans qu'il soit besoin d'autres mesures d'exécution — atteint de manière suffisamment immédiate les requérants dans leurs droits à la dignité et à la vie, dans la mesure où ils ont démontré qu'ils étaient des utilisateurs habituels des transports aériens.

Conformément à une jurisprudence bien établie, le recours est donc recevable directement contre la loi.

La disposition attaquée constitue à l'évidence une ingérence dans le droit à la vie des passagers comme des membres d'équipage. L'usage de la force armée entraîne la chute de l'appareil et la mort presque certaine de l'ensemble des personnes se trouvant à bord. Si le droit à la vie n'est garanti que sous la réserve de la loi, l'ingérence prévue par la loi doit respecter les règles constitutionnelles de compétence, ne pas porter atteinte à la « substance » (Wesensgehalt) du droit (art. 19 al 2 LF) et ne pas contredire les autres

« décisions constitutionnelles fondamentales ». L'inconstitutionnalité de la disposition contestée est double: formelle et matérielle.

Formellement, il manque à la Fédération la compétence nécessaire. Cette question de la compétence est déterminée par le fait que la loi présente elle-même le dispositif en cause non pas comme la prise en charge d'une mission fédérale, mais comme une opération d'entraide administrative (Amtshilfe ) au sens de l'article 35 al. 1 LF9. Les forces aériennes fédérales interviennent au soutien de la mission de police confiée par la Loi fédérale aux Lander , dans le cadre de la « protection contre les dangers » (Gefahrenabwehr ) qui constitue la fonction de police. Le § 13 LuftSiG situe en effet explicitement l'intervention fédérale dans le cadre des dispositions de l'article 35 LF qui se rattache lui-même à la possibilité, prévue à l'article 87 a al. 2 10 , du recours aux forces armées hors le cas de défense. Le dispositif, dès lors, ne peut être ramené ni à la compétence fédérale exclusive définie à l'article 73 n° 1 LF à travers la notion de « défense », ni à la « protection civile » qui s'y rattache. Le seul titre de compétence qui pourrait justifier la disposition se trouve donc dans l'article 35 LF qui vise la coopération de la Fédération avec les Lander en vue de faire face à une situation de catastrophe régionale ou interrégionale, qu'il s'agisse d'une catastrophe naturelle ou d'un « incident particulièrement grave ». Puisque l'article 35 s'interprète en combinaison avec l'article 87, il faut s'en tenir à un principe d'interprétation stricte. La disposition de l'article 87 avait été introduite en 1968 dans le cadre de la réforme

controversée qui constitutionnalisait l'«état de nécessité » (Notstandverfassung). Comme le montrent les travaux préparatoires de cette réforme constitutionnelle, toute extension de la compétence fédérale, sur le fondement - autrement admis — d'une compétence 8 Pour la discussion doctrinale de la loi et de la décision de la Cour, cf. notamment : BALDUS, N eue Zeitschrift fur Verwaltungsrecht 2004, p. 1278 ; SiTTARD/ULBRICH, JuS 2005, p. 432 ; MEYER, Zeitschrift fur Rechtspolitik 2004, p. 203 ; MlTSCH, Juristische Rundschau 2005, p. 274 ; PlEROTH/HARTMAN ,J uristische Ausbildung 2005, p. 729 ; W.-R. SCHENKE, NJW 200 6, p. 736.

9 « Toutes les autorités de la Fédération et des Lander se prêtent mutuellement entraide judiciaire et administrative. »

10 « En dehors de la défense, les forces armées ne doivent être engagées que dans la mesure où la présente Loi fondamentale l'autorise expressément. »

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implicite tirée de la « nature des choses » est exclue. L'introduction de dispositions constitutionnelles permettant à l'État de faire face à tout « état de nécessité », dans le contexte de l'action radicale de l'«opposition extraparlementaire », faisait l'objet d'une violente polémique qui obligeait le législateur à certaines précautions et garanties, ce dont témoigne notamment ce principe d'interprétation stricte. La loi sur la sécurité aérienne devait donc s'en tenir aux conditions strictes de l'article 35.

Or, puisqu'il s'agit un dispositif d'entraide administrative en cas de catastrophe naturelle ou d'incident particulièrement grave, puisque la Fédération, dans les cas prévus par l'article 35, intervient au soutien de la police des Lander, les conditions de son intervention ne peuvent être substantiellement différentes des modalités d'intervention des forces de police régionales. L'armée fédérale peut intervenir, mais aux conditions d'intervention de la police. Ce point est décisif dans la mesure où, si dans un tel cas l'usage d'armes — par la police et les forces armées — n'est pas prohibé par principe, il ne peut toutefois s'agir que d'un recours aux armes que la police régionale est elle-même habilitée à utiliser. Les forces militaires ne peuvent intervenir qu'à titre de « forces de police » . Cette interprétation est minutieusement établie par la Cour sur la base, notamment, des travaux préparatoires à la réforme constitutionnelle de 1968, tant pour le cas d'une catastrophe ou d'un incident d'ampleur régionale (art. 35 al. 2) que dans l'hypothèse d'un événement d'envergure interrégionale (art. 35 al. 3).

A cela s'ajoute que l'article 35 LF impose que toute décision d'intervention fédérale en cas de catastrophe naturelle ou d'incident particulièrement grave soit adoptée collégialement par le Gouvernement fédéral. Or, le dispositif de la loi sur la sécurité aérienne remet la décision, du moins lorsque l'urgence l'impose, aux mains du ministre de la défense qui en informe le ministre de l'intérieur. Or, dans le cas d'une attaque terroriste par voie aérienne, l'urgence est en principe toujours constituée et donc le ministre est ainsi de facto généralement substitué au Gouvernement. Il en résulte que l'article 35 LF ne peut fournir la base constitutionnelle adéquate au système d'intervention prévu au § 14 al. 3 LuftSiG.

La disposition attaquée est donc inconstitutionnelle au plan « formel », c'est-à- dire du point de vue de la répartition des compétences entre la Fédération et les Lander.

Mais la Cour ne s'en tient pas à ce seul constat. Conformément à sa pratique constante, elle entend apurer complètement la question de constitutionnalité et examine donc la

disposition du point de vue de sa conformité matérielle aux droits fondamentaux.

Le droit à la vie (art. 2 al. 2 LF) est garanti avec réserve de loi. Mais toute loi autorisant une ingérence dans ce droit doit non seulement respecter la garantie substantielle du droit à la vie, mais aussi tenir compte du droit intangible de tout être humain au respect de sa dignité (art. 1 al. 1 LF). Il existe une étroite interdépendance entre les deux garanties sur laquelle insiste la Cour depuis la décision de principe

« Interruption volontaire de grossesse » 11 : la vie est « la base biologique de la dignité ». Il en résulte que, en tout état de cause , la puissance publique ne saurait jamais retirer la vie à une personne par des moyens portant atteinte à sa dignité : la dignité, elle, est en effet absolue, « intangible » . Mais en même temps, parce que la garantie de la dignité comporte non seulement une obligation d'abstention s'imposant à l'État mais aussi une obligation positive de protection lui incombant, tout le dilemme juridique {et moral) de l'intervention prévue au § 14 al. 3 se joue dans cette dualité d'obligations : d'un côté, l'obligation de s'abstenir de porter atteinte à la vie des passagers et membres d'équipage innocents ; de l'autre, l'obligation de protéger la vie des femmes et des hommes menacés par l'avion transformé en arme de destruction. Au 11 Décision du 25 février 1975, BVerfGE 39, 1 (40).

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plan moral — et le principe de dignité importe dans le droit une dimension morale incontestable — existe-t-il un critère de choix, c'est-à-dire, pour dire brutalement mais nettement les choses, une raison justifiant, entre les deux groupes de personnes concernés, le choix des innocents à sacrifier ? On comprend la polémique interminable soulevée par la loi et la décision, car il n'est pas irrationnel de penser que, pour ce cas, aucune raison n'existe. Il est possible que la morale, ici, se taise. Que peut alors dire le droit ?

La situation de la Cour l'oblige à trancher là même où il y a dilemme. D'où, à notre sens, une stratégie argumentative qui efface relativement le dilemme même. Le point de vue des passagers et de l'équipage l'emporte dans l'analyse de la Cour. Toute sa rhétorique donne à ceux-ci un poids particulier quand la position des victimes potentielles de l'acte terroriste est euphémisée, du moins un peu. Mais y a-t-il un autre moyen de trancher que de donner à l'une ou l'autre des parties en présence un poids relativement plus important 12 ? S'agissant du contenu du principe de dignité, la Cour reprend ici l'une de ses interprétations traditionnelles, directement inspirée de l'impératif catégorique kantien, selon laquelle le principe interdit à l'État de faire d'un être humain « un simple objet » 1;> . Du point de vue de la Loi fondamentale, l'individu est une fin en soi, c'est-à-dire un être autonome auquel il appartient de se fixer librement ses propres buts, dans le cadre du droit. Autrement dit, comme le rappelle la Cour, le principe de dignité interdit qu'en aucune circonstance un individu soit privé de sa qualité de sujet.

Or, dans le cas visé par la loi d'un avion civil utilisé comme arme pour porter atteinte à la vie d'individus au sol, dans cette « situation extrême », l'équipage et les passagers se trouvent dans une position « sans issue » : « Ils ne peuvent plus, constate la Cour, influer sur les circonstances de leur vie indépendamment de la volonté d'autrui, de manière autonome ». Ils sont livrés à l'arbitraire des terroristes.

À partir de là, la décision se joue sur deux arguments essentiels mais de types différents. Le premier on peut le dire, est un argument de type moral, tiré de l'application décontextualisée de la loi morale que porte en lui le principe de dignité («jamais tu ne traiteras aucune personne comme un simple objet »). Le second est d'ordre pragmatique et concerne le contexte pratique de la décision d'abattre un avion civil (jusqu'à quel point le diagnostic de sa dangerosité pour les personnes au sol peut- être établi avec un degré de certitude suffisant).

L'argument moral est développé par la Cour d'une façon qui n'emporte pas nécessairement la conviction. L'équipage et les passagers, dans ce cas extrême, sont devenus les « simples objets » des terroristes. Mais il ne sont pas que les objets des terroristes, ils deviennent aussi les simples objets de l'Etat dès lors que celui-ci décide de faire abattre l'appareil : « Par cela que leur mise à mort (Totung) est utilisée afin de sauver autrui, ils sont chosifïés (verdinglicht ) et, en même temps, privés de leurs droits 12 Commentant le non licet de la Cour internationale de justice sur l'affaire de l'emploi et de la

menace d'emploi des armes nucléaires de 1996, Martti KOSKENNIEMI (La politique du droit international , Pédone, 2007) justifie ce silence du droit porté par la décision de la Cour de ne pas décider. Mais la décision de ne pas décider n'était pas une véritable décision au sens juridique dans la mesure où la Cour était saisie d'une demande d'avis consultatif. La haute instance pouvait, en quelque sorte, juridiquement respecter le silence de la loi morale face au dilemme de la destruction massive d'innocents. Dans l'affaire ici commentée, le dilemme est analogue dans sa structure, mais la position de la Cour est autre : elle ne peut échapper à la décision juridique du cas dans une situation d'indécision morale. Toute critique ou tout commentaire de l'arrêt doit en tenir compte (d'autant que le commentateur, lui, n'a pas à décider).

13 Voir, notamment : décision du 16 juillet 19 69, « Mikrozensus », BVerfGE 27, 1 (6) ; décision du 15 décembre 1970, «écoutes téléphoniques», BVerfGE 30, 1 (26); décision du 21 juin 1977, « prison à vie », BVerfGE 45, 187 (227).

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(i entrechtlicht ) ; dans la mesure où l'État dispose unilatéralement de leur vie, on dénie aux personnes à bord, qui ont elles-mêmes besoin d'être protégées en tant que victimes, la valeur qui s'attache à l'être humain en tant que tel. » Ils sont utilisés comme simple moyen au service de la sauvegarde de la vie d'autrui.

Il y aurait beaucoup à dire sur la difficulté, ici clairement à l'œuvre, de cette transposition au droit de la formule de l'objet, qui fait le principe de la morale kantienne.

« Ne traite jamais personne seulement comme un objet » est chez Kant une injonction qui s'adresse à la volonté et qui, si elle est respectée en conscience, la rend bonne.

Autrement dit, l'impératif touche aux intentions. Ce n'est pas ici le domaine de l'argumentation de la Cour qui s'en tient aux conséquences factuelles, au domaine de ce que Kant appellerait 1' « action extérieure » et qui est celui du droit : les conséquences objectives de la décision d'abattre l'appareil font que les passagers sont privés de toute liberté, privés de toute influence sur leur destin. Cette transposition pose, par elle- même, problème.

Mais à s'en tenir au seul plan sur lequel se situe la Cour, l'argument n'est pas absolument convaincant. D'abord, comme l'on voit, la position des victimes au sol, qui sont elles aussi dignes de protection quant à leur vie et leur dignité, est complètement évacuée du raisonnement. C'est ici que la Cour, rhétoriquement, efface le dilemme mis plus haut en évidence. Ensuite, la Cour ne considère pas le problème dans toute sa complexité. L'État a l'obligation de s'abstenir de porter atteinte à la dignité, mais il a aussi l'obligation de la protéger. Or, comme l'a dit la Cour elle-même, l'action terroriste a par elle-même déjà pour effet de priver les passagers et l'équipage de leur vie et de leur dignité. Il existe donc une obligation inconditionnelle à la charge de l'État de tout entreprendre pour protéger cette dignité et cette vie qui sont ainsi non pas seulement menacées mais déjà actuellement niées. Or, dans l'hypothèse considérée, tous les moyens autres que le feu, jusqu'aux sommations, ont démontré leur inefficacité. L'Etat n'est pas en mesure de protéger la dignité et la vie des personnes. Ne pas agir, c'est accepter la situation de fait, voulue par les terroristes, dans laquelle la vie et la dignité sont déjà niées, cette négation s'accomplissant lorsque l'appareil s'écrase sur la cible choisie par les terroristes. Ce que ne dit pas la Cour, c'est que la puissance publique est dans une situation qui est tout autant « sans issue » que celle des innocents qui sont à bord de l'appareil et qui seront certainement massacrés : soit elle procède elle-même au massacre en faisant abattre l'appareil, soit elle laisse le massacre se faire par la volonté des terroristes. Sans le dire, à notre avis, la Cour a hiérarchisé les obligations : il résulte nécessairement de sa position que l'obligation faite à la puissance publique de ne pas porter atteinte à la dignité prévaut sur celle qui lui impose de la protéger. Une telle hiérarchisation est fort contestée en doctrine et ne ressort certainement pas clairement de la lettre de l'article 1 LF qui fait obligation à « tous les pouvoirs publics » de

« respecter et protéger » - sans distinction d'importance - la dignité « intangible » de l'être humain.

Mais si cet argument de principe, qu'on a dit de type « moral » ne convainc pas entièrement, l'on voit aisément qu'il repose, quelle que soit la position qu'on adopte, sur l'hypothèse que l'utilisation de l'avion par des terroristes comme une arme dirigée contre des populations au sol est certaine. C'est ce présupposé que la Cour, à juste titre, examine en appréciant les conditions pragmatiques dans lesquelles la question de la décision d'abattre un appareil civil se pose. Il résulte de l'instruction et du débat oral devant la Cour que l'«on ne peut partir du principe que les conditions factuelles imposées à la décision et à l'exécution d'une telle mesure puissent être en toutes circonstances établies avec la certitude nécessaire ». Au contraire, sur la base des rapports d'experts et des témoignages réunis, la Cour constate que le diagnostic et le

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pronostic en la matière ne pourront être que « rarement » certains. La Cour détaille toutes les conditions pratiques et techniques qui font que « la décision ne pourra être prise, en règle générale, que sur la base d'un soupçon et non sur celle d'une connaissance assurée ». Dans les conditions d'urgence absolue dans lesquelles une telle décision doit être prise, le danger d'une décision « précipitée » est donc grand. Si une certaine incertitude du pronostic doit être supportée dans l'exercice ordinaire des missions de police, elle ne saurait cependant être admise lorsque sont en jeu la dignité et la vie des personnes. Autrement dit, dans l'incertitude, on ne saurait faire application d'une sorte de principe de précaution qui aurait pour effet de condamner des innocents et de passer par pertes et profits leur vie et leur dignité. Cette ligne argumentative peut apparaître plus convaincante que la précédente.

La décision se conclut par l'examen d'un certain nombre d'arguments plus limités au soutien du dispositif de la loi et que la Cour écarte successivement. On en mentionnera ici seulement deux. Premièrement, la Cour n'accepte pas qu'on puisse partir du principe que celui qui monte dans un avion accepte par avance la possibilité de son détournement et l'éventualité qu'il puisse être abattu par un État en cas de danger : ayant consenti d'avance et tacitement à la possibilité d'un tel drame, les passagers conserveraient en tout état de cause leur qualité d'agent libres. C'est une fiction dépourvue de tout fondement réel, réplique la Cour. Deuxièmement, la Cour nie que soit applicable à la situation visée par le § 14 al. 3 LuftSiG l'idée selon laquelle la sauvegarde de l'État démocratique et libéral puisse exiger le sacrifice d'individus — mourir donc non pas pour la patrie mais pour l'ordre constitutionnel démocratique, forme radicale de patriotisme constitutionnel : quelle que soit la validité de cette idée, les hypothèses que vise le dispositif contesté ne sont pas celles dans lesquelles la subsistance même de l'État serait immédiatement en cause et l'argument n'est donc pas recevable.

La Cour conclut donc ainsi à l'inconstitutionnalité de cette disposition hautement problématique, moralement et pratiquement. Elle devait trancher. On peut critiquer tel ou tel aspect de l'argumentation. On ne doit pas, depuis la position bien plus confortable du commentateur, méconnaître l'extrême difficulté devant laquelle était placée la Haute Juridiction.

O.J.

2 - Dignité humaine, droits de la personnalité et droit à l'autodétermination informationnelle

Quatre décisions venant compléter et préciser la jurisprudence antérieure doivent être évoquées à ce propos.

a) La recherche par quadrillage (Rasterfah n d u ngj 14

La recherche par quadrillage a eu un succès grandissant dans la lutte antiterroriste 15 . Après les attentats de septembre 2001, une recherche fédérale a été initiée, notamment pour découvrir d'éventuels terroristes « dormants ». La recherche se fondait sur les critères suivants : personnes de sexe masculin, âgés entre 18 et 40 ans, étudiants actuels ou dans le passé, de religion musulmane, naissance ou nationalité de certains pays à population majoritairement musulmane. Les autorités de police étaient 14 CCF, décision de la lère Chambre du 4-4-2006, 1 BvR 512/02, EuGRZ 2006, 448.

15 Voir C. GREWE et K.-P. SOMMERMANN, « Lutte contre le terrorisme et protection des droits fondamentaux », Table ronde, AIJC XVIII-2002, p. 80 ss.

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habilitées à récolter ces renseignements auprès de toute personne publique et d'un grand nombre de personnes privées, notamment les employeurs ou les assurances.

Le Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie a participé à cette enquête nationale. Celle-ci a été autorisée par une décision du tribunal cantonal de Dùsseldorf le 2 octobre 2001 sur la base du § 31 de la loi fédérée de police. La collecte des informations a permis de rassembler plus de 5 millions de données. Après application des critères de quadrillage, il restait encore un peu plus de 1 1 000 données qui ont été transmises à l'Office fédéral criminel. Toutes ces personnes ont été informées des recherches entreprises. L'affinement de la recherche a conduit à effacer un grand nombre de ces données si bien qu'en janvier 2003, il n'en subsistait que 9982 dans le fichier qui allaient être radiées au cours de l'année 2004. La police a entrepris des démarches plus poussées à l'égard de huit personnes mais aucune n'a été inculpée et aucun terroriste dormant n'a été découvert.

Le requérant, un citoyen marocain de religion musulmane et étudiant à Dùsseldorf, a attaqué la décision autorisant la recherche par quadrillage du tribunal cantonal. Le tribunal régional, puis le Tribunal régional supérieur ont rejeté la requête.

C'est ainsi que la CCF est saisie d'un recours constitutionnel.

La Cour admet le recours et le juge fondé. Elle examine d'abord la loi de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, base légale à la restriction au droit fondamental de l'autodétermination informationnelle du requérant. Le juge constitutionnel considère cette loi comme conforme à la Loi fondamentale, car elle est de nature à atteindre le but visé par le législateur — ce qui peut surprendre lorsqu'on se remémore qu'aucune poursuite pénale n'a été déclenchée dans le cadre de cette recherche —, qu'elle était nécessaire et proportionnelle, en particulier parce qu'elle exige un danger présent. Les exigences de la Loi fondamentale ne vont pas jusque là : selon la CCF, un danger concret suffit.

Mais en l'espèce, les autorités chargées d'appliquer cette loi l'ont interprétée de manière abusivement extensive et l'ont donc modifiée. Ils ont déplacé les recherches dans le champ de la pure prévention d'un danger abstrait. Or cette manière d'agir est incompatible avec la Loi fondamentale dès lors que l'ingérence dans le droit fondamental révèle une grande intensité. Le juge relève à ce titre les nombreux éléments rendant l'atteinte particulièrement grave. Il insiste tour à tour sur le nombre de dates de toute provenance, sur leurs interconnexions qui ont rendu possible de dresser des profils précis des personnes visées, sur le nombre de personnes concernées sans considération de leur implication dans une infraction ou dans la survenance d'un danger. La CCF met également en relief les conséquences négatives possibles pour les personnes visées : stigmatisations ou discriminations de toutes sortes. Dès lors, la Cour conclut à l'inconstitutionnalité des décisions du tribunal régional et du tribunal régional supérieur et renvoie l'affaire pour un nouveau jugement. Cette affaire montre ainsi que la Cour constitutionnelle devient plus sensible aux atteintes aux droits fondamentaux qu'engendre la lutte antiterroriste mais elle ne semble pas encore prête à admettre que les mesures en cause ne sont pas toujours adéquates ou nécessaires. C. G.

b) Saisie de données électroniques et de télécommunications dans le cadre d'une perquisition 16

Le requérant, juge à un tribunal cantonal, avait été soupçonné d'avoir livré des secrets professionnels à la presse dans le cadre d'une enquête antiterroriste. Ses téléphone

16 Jugement de la 2nde Chambre du 2-3-2006, 2 BvR 2099/04, EuGRZ 2006, 72.

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et ordinateur professionnels n'ayant révélé aucune communication avec le journaliste concerné, le tribunal a ordonné, sur demande du procureur, d'effectuer une perquisition au domicile du requérant en vue d'examiner les données contenues dans son ordinateur personnel et son téléphone portable. Ces mesures ayant été approuvées par le tribunal régional de Karlsruhe par une décision du 28-1-2003 et confirmées après un renvoi par la Cour constitutionnelle par décision du 12-10-2004, le requérant a saisi la Cour constitutionnelle dont la première Chambre accepte le recours et le juge pour l'essentiel bien fondé.

Les droits invoqués sont ici à la fois le secret des télécommunications (art. 10, al.

1 LF), l'inviolabilité du domicile (art. 13, al. 1 LF) et les droits de la personnalité, notamment le droit à l'autodétermination informationnelle (art. 2, al. 1 LF).

Le juge constitutionnel saisit l'occasion - et c'est là l'intérêt principal de ce jugement - pour délimiter les champs d'application respectifs de ces droits. Il estime en particulier que le secret des télécommunications n'est destiné qu'à compenser l'impossibilité d'une communication directe et donc l'existence d'un intermédiaire.

C'est ce qui explique que le champ d'application de ce secret est en principe limité au processus de transmission des communications. Dès lors que ce processus est achevé et que les données se trouvent dans l'appareil des personnes participant à la communication, le secret des télécommunications cesse de s'appliquer. C'est le cas en l'espèce et pour cette raison, la Cour constitutionnelle rejette le recours fondé sur ce motif.

Le droit à l'autodétermination informationnelle vient alors prendre le relais et assurer que la personne visée puisse décider librement de l'utilisation de ses données personnelles. Ce droit, la jurisprudence des années précédentes l'a montré 17 , est loin

d'être absolu mais ses restrictions supposent l'existence d'une loi claire et accessible et le respect du principe de proportionnalité. En l'occurrence, la base légale de la perquisition n'est pas contestée par le juge constitutionnel ; il insiste au contraire sur l'importance de la lutte antiterroriste. Toutefois, les décisions du tribunal régional ne satisfont pas les exigences de proportionnalité, la perquisition étant intervenue plusieurs mois après les révélations par la presse et sans que le juge du fond ait examiné toutes les pièces. La Cour remarque également la disproportion entre la gravité des faits reprochés et celle de l'atteinte aux droits fondamentaux du requérant. La décision du tribunal régional est par conséquent annulée.

C. G.

c) Mesure de sûreté et droit d'accès au dossier médical 18

Le requérant, condamné à une peine privative de liberté de 1 1 ans, a été placé en hôpital psychiatrique à titre de mesure de sûreté. Après avoir bénéficié de quelques assouplissements au régime d'application de la peine, tels des sorties, ces avantages lui ont été refusés. C'est pourquoi l'avocat du requérant a demandé d'accéder au dossier médical de ce dernier. Ce droit d'accès lui a été refusé d'abord par l'hôpital, puis par le tribunal régional de Heidelberg le 24-7-2001 et enfin par le tribunal régional supérieur de Karlsruhe le 21-2-2002. C'est contre ces deux décisions que le requérant dépose un recours constitutionnel en alléguant une violation de son droit à l'autodétermination, de la dignité de sa personne (art. 2 al. 1 et 1 al.l LF), du droit à un procès équitable (art. 20 al. 3 et 2 al. 1 LF) et du droit d'être entendu (art. 103 al. 1 LF).

17 Voir AIJC XX-2004, p. 477, ss. et AIJC XXI-2005, 395 s.

18 Décision de section de la 2nde Chambre du 9-1-2006, 2BvR 443/02, EuGRZ 2006, 297.

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La CCF déclare le recours admissible pour permettre au requérant d'obtenir l'application effective de son droit (§93a al. 2b loi sur la Cour constitutionnelle) et juge la requête manifestement fondée, les décisions attaquées portant atteinte à son droit à l'autodétermination et à sa dignité. La Cour rappelle à cette occasion que le droit fondamental à l'autodétermination informationnelle garantit à l'individu la faculté de décider lui-même de la disposition et de l'utilisation de ses données personnelles. Les restrictions à ce droit requièrent une base législative et sont subordonnées au principe de proportionnalité. Elles ne sauraient excéder ce qui est nécessaire pour la protection des intérêts publics.

La question est alors de savoir si ce droit d'autodétermination implique un droit similaire d'accès aux données personnelles. Jusqu'à présent, la CCF n'y a pas répondu de manière générale. Elle a cependant admis que le droit à l'information sur les données figurant au casier judiciaire découle du droit fondamental à l'autodétermination.

Quant au dossier médical, le droit du malade d'obtenir des informations de son médecin et de l'hôpital est également admis. Certes, les juridictions ordinaires ne semblent pas considérer qu'il s'agit là d'un droit d'accès autonome qui ne pourrait être limité que par la loi mais plutôt d'un droit à la prise en compte, à la mise en balance entre l'intérêt de l'information pour le patient et des intérêts contraires. Lorsque des intérêts contraires au moins équivalents ne s'opposent pas à l'information, alors l'accès à cette information devient un droit. S'agissant plus particulièrement du domaine médical et plus encore de la psychiatrie, la CCF souligne l'importance de principe de cette information qui permet au malade de savoir comment on traite sa santé.

Appliquant ces principes à l'affaire en cause, la Cour conclut que les décisions attaquées ne satisfont pas à ces exigences. Tout d'abord les juridictions ordinaires n'ont pas tenu compte du fait qu'il ne s'agit pas en l'espèce de rapports privés entre un malade et son médecin mais que le requérant se voyait appliquer une mesure de sûreté ; que, par conséquent, il ne pouvait choisir librement son thérapeute et établir avec lui une relation de confiance. Les appréciations subjectives du médecin pèsent beaucoup plus lourdement dans ces rapports et sont de nature à toucher bien plus sensiblement le droit d'autodétermination du malade, ne serait-ce que parce que des décisions aussi graves que celles de la libération ou de l'étendue de la privation de liberté dépendent de ces appréciations. De surcroît, sans accès à ces informations, le malade ne peut exercer son droit à l'effacement ou à la rectification des informations le concernant.

Inversement, les juridictions ordinaires ont surévalué les intérêts opposés des médecins traitants. Ceux-ci ne peuvent prétendre établir ou utiliser ce type de document uniquement pour leur usage personnel. De tels documents ont pour fonction d'être portés à la connaissance de tiers. On peut même se demander si des agents publics sont protégés contre la révélation de données personnelles, dès lors que ces données sont issues de l'exercice de leur fonction. Les décisions attaquées ne se sont pas interrogées sur la nécessité ou l'existence d'une base légale aux restrictions des droits de la personnalité du médecin.

La Cour critique également le fait que les décisions attaquées n'ont pas suffisamment précisé les objectifs spécifiques du dossier médical, puisque d'un côté elles soutiennent que le médecin n'est pas obligé d'inclure dans le dossier des éléments subjectifs et que de l'autre elles estiment que la présence de tels éléments est indispensable pour le médecin et utile pour le patient. Seule une réflexion plus approfondie permettrait de se prononcer sur l'étendue du droit d'accès.

Enfin, les juridictions en cause auraient dû examiner de manière plus fouillée et de façon plus concrète si et dans quelle mesure l'accès au dossier permet au malade d'accorder son comportement aux analyses faites par le médecin et de simuler ainsi une

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guérison qui ne s'est pas produite au lieu de se fonder sur des craintes ou des spéculations générales.

Si la Cour constitutionnelle a pu rendre son verdict sans aborder de front la question du droit d'accès à l'information et celle du statut des rapports entre malades et médecins dans un rapport de droit public et plus particulièrement d'un placement en hôpital psychiatrique à titre de mesure de sûreté, il est possible que cette décision prépare le terrain et incite les plaideurs à soulever plus explicitement ces problèmes. Le régime du droit de l'autodétermination informationnelle n'est donc pas encore complètement défini.

C. G.

c) Nécessité d'une base légale pour l'application des peines aux mineurs 19 La Cour constitutionnelle était saisie dans cette affaire par un mineur délinquant purgeant une peine de prison. Celui-ci contestait le contrôle de son courrier et les sanctions disciplinaires qui lui avaient été infligées par l'administration pénitentiaire. Même si le juge rejette son recours notamment parce que les mesures prises à l'encontre de ce mineur pouvaient se justifier, il souligne l'absence de dispositions législatives spécifiques relatives à l'exécution des peines pour les mineurs délinquants. La Cour constitutionnelle donne donc au législateur jusqu'à la fin de l'année 2007 pour adopter les dispositions permettant de mettre la loi en conformité avec la Loi fondamentale.

Dans une précédente décision du 14 mars 1972, la Cour constitutionnelle avait déjà souligné que les atteintes aux droits fondamentaux des détenus ne peuvent intervenir que sur le fondement d'une loi ; puisque les détenus mineurs sont également titulaires de droits fondamentaux, il n'y a aucune raison pour qu'il en aille autrement pour eux.

Or en matière d'exécution des peines de prison prononcées contre les délinquants mineurs, le législateur n'est pas intervenu de manière spécifique.

S'agissant de cette catégorie de la population, on trouve çà et là quelques dispositions particulières, notamment dans la loi relative à la juridiction pour les mineurs et celle relative à l'exécution des peines. Mais il n'y a pas une législation propre applicable aux peines prononcées contre les mineurs alors même que les dispositions générales contenues dans la loi sur l'exécution des peines ne peuvent pas être appliquées par analogie.

Les prémisses et les conséquences d'une responsabilité pénale ne sont pas les mêmes chez les mineurs et chez les adultes. Les mineurs se trouvent sur le plan biologique, psychique et social dans une période transitoire qui se caractérise par des tensions, une insécurité et des difficultés d'adaptation. Leur jeune âge fait qu'ils ne sont pas encore autonomes mais qu'ils ont besoin d'autrui pour leur développement.

L'expérience de la prison est pour eux particulièrement marquante et l'État a donc une responsabilité particulière à assumer.

Le respect de la dignité de l'être humain et la prise en considération du principe de proportionnalité des sanctions pénales oblige à prendre en considération ces particularités. Il en va ainsi par exemple des droits de visite des mineurs, qui doivent être aménagés en conséquence. De la même façon, le législateur doit prévoir qu'un jeune emprisonné ait facilement accès à un juge. Une telle demande ne devrait pas seulement être exprimée par écrit — comme c'est actuellement le cas de manière trop

19 CCF, jugement de la 2nde Chambre du 31-5-2006, 2 BvR 1673/04, EuGRZ 2006, 465.

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formelle et donc souvent inaccessible pour les jeunes prisonniers— mais également par oral.

Les nouvelles dispositions législatives à prendre doivent avoir pour objectif une réinsertion sociale : c'est le but qui doit guider le législateur. Celui-ci dispose en la matière d'une marge d'appréciation pour l'atteindre mais il doit également veiller à ce que les moyens financiers et en personnel soient assurés. C'est particulièrement le cas en ce qui concerne la formation, l'accompagnement et le suivi des détenus mineurs.

La Cour constitutionnelle va encore plus loin dans ses recommandations adressées au législateur puisqu'elle ne se contente pas de prévoir ce que doit contenir la loi mais également les modifications futures de la loi. En effet, la Cour précise que le législateur doit être suffisamment réactif pour adapter rapidement le dispositif législatif en fonction des expériences observées afin de l'améliorer.

X. V.

3 - Liberté de conscience, liberté de religion, liberté d'association a) L'interdiction d'entrer en Allemagne des époux Mun 20

La jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale est très complète concernant l'interprétation à donner à l'article 4, al. 1 et 2 LF 21 . Selon cet article : « (1) La liberté de croyance et de conscience et la liberté de professer des croyances religieuses et philosophiques sont inviolables. (2) Le libre exercice du culte est garanti ».

Néanmoins, la question de savoir si une association religieuse peut se référer à l'article 4 al. 1 LF pour contester la décision de refus d'entrée sur le territoire touchant un ressortissant étranger lié à cette association, n'avait encore jamais été posée 22 . La Cour, dans une décision adoptée le 24 octobre 2006, répond par l'affirmative.

Les faits de l'espèce étaient les suivants : fin 1995, le ministère fédéral de l'intérieur décidait de refuser à M. Sun Myung Mun (connu aussi sous le nom de M. Moon), fondateur de l'«Église de l'unification », et à sa femme, l'entrée sur le territoire de la République fédérale et ce pour une durée de trois années. M. Mun projetait de se rendre en Allemagne pour participer à une manifestation organisée par une association regroupant ses partisans et, plus spécialement, pour donner une conférence et rencontrer directement les membres de cette organisation. L'interdiction d'entrée sur le territoire allemand, fondée sur l'article 96 al. 2 de la Convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985, conduisait à une interdiction générale d'entrée sur le territoire de tous les États membres du réseau Schengen.

Le tribunal administratif saisi par l'association d'une requête dirigée contre cette interdiction considéra que le recours était irrecevable, l'association ne pouvant faire valoir qu'elle était lésée dans ses droits par l'acte en cause. En appel, le tribunal administratif supérieur décida au contraire que le recours était recevable — la garantie de la liberté de religion étant très large — mais rejeta la requête sur le fond, considérant que l'intervention des époux Mun n'était pas indispensable à l'exercice de la religion par les membres de cette association. Enfin, la Cour fédérale administrative, considérant comme non absolue l'obligation pesant sur l'État de prendre en compte les

20 CCF, 2 BvR 1908/03, décision de la seconde chambre du 24 octobre 2006, consultable en ligne sur le site de la CCF : http://www.bundesverfassungsgericht.de/entscheidungen/rk2006l024 _2bvrl90803.html.

21 Voir notamment le commentaire de C. STARCK, « Artikel 4 », in : v. Mangoldt, Klein, Starck, GG Kommentar, Band 1, 2005, plus particulièrement p. 478 et s.

22 En ce sens voir : M. SACHS, « Reichweite der Religionsfreiheit — Grundrechtliche Ansprûche auf Einreise von Auslândern »,JuS 2007, p. 373 (374).

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