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Chronique-Allemagne

DAGRON, Stéphanie, VOLMERANGE, Xavier

DAGRON, Stéphanie, VOLMERANGE, Xavier. Chronique-Allemagne. Annuaire international de justice constitutionnelle, 2010, vol. XXV-2009, p. 507-542

DOI : 10.3406/aijc.2010.1994

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:103693

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Allemagne

Stéphanie Dagron

,

Xavier Volmerange

,

Constance Grewe

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Dagron Stéphanie, Volmerange Xavier, Grewe Constance. Allemagne. In: Annuaire international de justice constitutionnelle, 25-2009, 2010. Le juge constitutionnel et la proportionnalité - Juge constitutionnel et droit pénal. pp. 507-542;

doi : https://doi.org/10.3406/aijc.2010.1994

https://www.persee.fr/doc/aijc_0995-3817_2010_num_25_2009_1994

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ALLEMAGNE

par Stéphanie DAGRON et Xavier VOLMERANGE avec la collaboration de Constance GREWE *

I - Statistiques des décisions de la Cour constitutionnelle fédérale — 11 - Organisation et activité des pouvoirs publics; A) Intégration européenne: le Traité de Lisbonne ; B) Compétences du Bundestag : Fonds de soutien à l'agriculture et à l'industrie agro-alimentaire et Fonds de soutien à la filière bois ; C) Droit électoral : L'inconstitutionnalité de l'utilisation du vote électronique; D) Contrôle parlementaire 1) L'inconstitutionnalité partielle du refus d'informer une commission d'enquête ; 2) Réponse aux « petites questions » par le Gouvernement non conforme à la Constitution — III - Droits fondamentaux; A) L'Etat social ; 1) La réforme de l'assurance maladie ; 2) Le principe d'égalité des droits entre époux et partenaires déclarés au sein de la fonction publique 3) L'exercice de la liberté religieuse et le travail dominical ; B) Le principe démocratique : 1) Liberté d'expression et interdiction des rassemblements néo-nazis; 2) Les limites de l'interprétation du droit par les juridictions.

* * *

I - STATISTIQUES DES DÉCISIONS DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE FÉDÉRALE 1

Le nombre des procédures introduites auprès de la Cour constitutionnelle fédérale (CCF) a continué d'augmenter en 2009. La barre des 6500 affaires pendantes (avec le report des 2646 affaires non traitées en 2008) est atteinte en 2009 avec toujours une très forte majorité de recours constitutionnels (6308 sur 6508 en tout).

Deux choses sont à noter. La première est la nette augmentation des recours en référé en application du § 32 de la loi sur la Cour constitutionnelle (de 85 en 2008 à 128 en 2009). La seconde confirme une tendance déjà enregistrée en 2008 : alors que de 2004 à 2008, le nombre d'affaires traitées était très proche voire

* Stéphanie Dagron, docteur en droit, chercheur à l'Université de Zurich, Institut d'éthique biomédicale ; Constance Grewe, Professeure agrégée de droit public à l'Université Robert Schuman ; Xavier Volmerange, Maître de conférences à l'Université de Rennes I.

1 L'ensemble des statistiques et des décisions sont accessibles sur le site de la Cour constitutionnelle à l'adresse suivante : http://www.bundesverfassungsgericht.de.

Annuaire international de justice constitutionnelle, XXV-2009

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supérieur à celui des affaires introduites, ce rapport s'est inversée en 2009 avec 6249 affaires traitées contre 6508 introduites.

II - ORGANISATION ET ACTIVITÉ DES POUVOIRS PUBLICS

L'année 2009 a été particulièrement marquée par la décision très attendue de tous les partenaires européens de l'Allemagne relative à la constitutionnalité du Traité de Lisbonne. La Cour a déclaré en juin le Traité conforme à la Loi fondamentale (LF) à la condition que soit renforcé le rôle du Bundestag dans le processus d'intégration. La Cour constitutionnelle a en outre rendu deux décisions d'inconstitutionnalité relatives à certains fonds créés par le législateur. De tels prélèvements spéciaux ne sont constitutionnels que s'ils rentrent dans les conditions très étroites posées par la Cour car ils peuvent non seulement remettre en question les principes qui régissent le droit fiscal mais aussi porter atteinte à la liberté de profession garantie à l'article 12 LF.

Par ailleurs même si la Cour reconnaît que le législateur peut instaurer un vote électronique, les exigences que devrait remplir le règlement d'application de la loi pour être constitutionnel retirent pratiquement tout intérêt à cette technique. La régularité des élections doit rester facilement contrôlable par l'électeur lui-même, ce qui semble difficilement conciliable avec des machines à voter se substituant aux urnes.

La Cour a également eu l'occasion de se pencher sur les droits d'information et de contrôle dont dispose le Bundestag vis-à-vis du Gouvernement fédéral. Ces décisions sont particulièrement sévères puisque la Cour souligne que l'intérêt de l'État ne saurait être confondu avec l'intérêt du Gouvernement. Autrement dit le Gouvernement ne peut pas se retrancher derrière l'intérêt de l'Etat pour refuser de répondre aux questions du Bundestag.

A - Intégration européenne

L' après-Maastricht ou la fin de la politique ? L'arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale du 30 juin 2009 sur le traité de Lisbonne

L'arrêt du 30 juin 2009 de la deuxième chambre de la CCF 2 déclare sans surprise le traité de Lisbonne à travers la loi d'approbation 3 ainsi que la révision constitutionnelle 4 nécessaire à cette fin conformes à la Loi fondamentale : manifestement, la Cour n'a pas voulu défaire ce que tant de négociations et de péripéties politiques ont rendu difficile à mettre sur pied. Les réserves émises à cette occasion ainsi que la nécessité de revoir la loi d'extension et de renforcement des droits de participation du Bundestag et du Bundesrat aux questions européennes 5 traduisent cependant bien plus fidèlement le ton général de l'arrêt que la déclaration de conformité.

La CCF était saisie de plusieurs recours, deux litiges inter-organiques et quatre recours constitutionnels, dirigés contre la loi d'approbation et à travers elle le traité lui-même, la loi de révision constitutionnelle (art. 23, 45 et 93) ainsi que la loi

2 3 BVerfG, 2 BvE 2/08 du 30-6-2009, Points n° (1 - 421), On trouve également une version anglaise et française sur le site de la Cour. Loi du 8 octobre 2008, BGBl. II, 1038.

4 Loi constitutionnelle du 8 octobre 2008, BGBl. I, 1926

5 La version soumise à la CCF a été publiée in Bundestagsdrucksache 16/8489. La version en vigueur est la loi du 22 septembre 2009, BGBl I, 3022.

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étendant et renforçant les droits du Bundestag et du Bundesrat dans le domaine des affaires européennes.

Les litiges inter-organiques émanaient d'abord d'un député isolé alléguant que la loi d'approbation et la loi de révision constitutionnelle affectaient son statut de parlementaire et son droit de participer aux décisions relatives aux affaires publiques. La Cour a rejeté ce recours pour le motif que le député ne prouvait pas suffisamment en quoi ses droits de participation étaient réduits, qu'il ne saurait faire valoir individuellement une violation des droits du Bundestag et enfin qu'il disposait d'une voie de droit par le moyen du recours constitutionnel qu'il a d'ailleurs également utilisée. Le second litige inter-organique était dirigé par le groupe parlementaire « Die Linke » contre la loi d'approbation en tant qu'elle portait atteinte aux droits du Bundestag comme organe législatif. Il est déclaré recevable dans la mesure où il voit une violation des droits du Bundestag dans le fait que les forces militaires allemandes pourraient être appelées à une intervention sans autorisation parlementaire ; en revanche, s'agissant des griefs relatifs au principe démocratique, ils ne portent pas atteinte aux droits du Bundestag et ne peuvent donc être attaqués par la voie du litige inter-organique.

Quant aux recours constitutionnels, les allégations avancées sont déclarées recevables dès lors qu'elles s'appuient sur l'article 38 LF et concernent les exigences du principe démocratique. Conformément à ce qu'elle avait déjà admis pour le traité de Maastricht, la CCF accueille donc les recours constitutionnels fondés sur la violation de l'article 38 LF. Le droit de vote est ainsi assimilé à un droit fondamental et son contenu défini comme le droit à être représenté par un parlement qui décide des questions essentielles pour la communauté nationale. La Cour rejette les autres arguments comme inadmissibles et décide de joindre l'ensemble de ces affaires pour y être statué par une seule décision.

La longueur exceptionnelle de cette décision mérite que soient consacrés quelques mots à sa structure. Conformément à l'usage, elle débute par les considérations principales de la Cour (Leitsàtze ), l'énoncé des recours et des moyens invoqués à cet effet qui débouchent sur le dispositif. Les motifs comportent un historique détaillé de la construction européenne (points 4 à 30), une analyse fouillée du traité de Lisbonne (points 31 à 77), une présentation de la procédure allemande de ratification (points 78 à 98), des recours introduits contre les lois approuvant et accompagnant le traité avec l'exposé des arguments avancés par les requérants (points 99 à 135), les prises de position du Bundestag, du gouvernement fédéral, du Bundesrat , du Landtag de Bade-Wurtemberg sur les recours constitutionnels et les litiges inter-organiques (points 136 à 166) et enfin la partie consacrée au raisonnement juridique suivi par la Cour (points 167 à 421). L'arrêt ayant été rendu à l'unanimité quant à son dispositif et avec sept voix contre une quant aux motifs, on comprend qu'il n'a pas dû être facile de rallier les huit juges à une décision unique ; les compromis nécessaires à cet effet expliquent peut-être les raisonnements parfois inutilement longs, souvent laborieux, tortueux ou pédants6, empruntant volontiers le registre du « double langage » fait d'ouvertures et de fermetures à la fois. Comme il s'avère impossible de retracer, dans le cadre de cette chronique, l'ensemble de ce jugement dans ses détails et que, au surplus, ce dernier a fait l'objet d'une traduction en français 7, on se bornera ici à relater et à commenter quelques points parmi les plus significatifs et les plus importants. À ce titre, il convient

6 Voir les qualificatifs employés par C. SCHÔNBERGER, « Lisbon in Karlsruhe : Maastricht's Epigones at Sea », German Law Journal vol. 10 n° 8, 2009, p. 1201-1218 (1201) ou de D. HALBERSTAM et C. MÔLLERS, « The German Constitutional Court says "J a zu Deutschland !" », German Law Journal, vol. 10 n° 8 (2009) p. 1241-1258 (1257).

7 Cette initiative encore rare en Allemagne doit être saluée ainsi que la qualité de la traduction.

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d'abord de rendre compte du résultat : ce que la Cour a décidé relativement aux textes qui lui sont soumis (I). Ensuite il importe de mettre en relief les développements que la Cour consacre aux principes de la démocratie et de l'identité constitutionnelle qui deviennent le paramètre général de constitutionnalité (II). Les conséquences qui en résultent pour sa conception de l'UE et des rapports de cette dernière avec les États membres (III) sont importantes.

1) Ce que la Cour a décidé

Le dispositif de l'arrêt déclare d'abord l'irrecevabilité des litiges inter¬

organiques ainsi que des recours constitutionnels tant qu'ils ne sont pas fondés sur l'article 38 LF. Au fond, il n'évoque que la loi portant extension et renforcement des droits de participation du Bundestag et du Bundesrat aux questions relatives à l'UE pour la déclarer partiellement inconstitutionnelle et pour préciser que les instruments de ratification allemands ne sauraient être déposés avant l'adoption d'une nouvelle loi. L'inconstitutionnalité relevée fait l'objet d'un renvoi aux motifs, précisant ainsi exactement l'étendue de l'annulation.

En revanche, la loi d'approbation du traité ainsi que la révision constitutionnelle — les deux autres textes visés - ne figurent pas dans le dispositif, même pas pour affirmer leur constitutionnalité que les motifs relèvent cependant de manière explicite. Le dispositif ne mentionne pas davantage les réserves d'interprétation auxquelles la Cour subordonne l'application de la loi d'approbation et qui, une fois encore, ressortent clairement des motifs. Cette omission s'explique sans doute par le fait que ces réserves sont identiques aux motifs d'inconstitutionnalité de la loi portant extension et renforcement des droits du Bundestag et du Bundesrat.

Ces réserves ont trait aux conditions de modification du droit primaire, plus précisément aux révisions simplifiées, aux clauses passerelles générales ou spécifiques, aux clauses de flexibilité et aux mesures de sauvegarde.

a) Sur le premier point, la Cour rappelle que la révision, même si elle se déroule selon une procédure simplifiée, exige le consentement des États dans la forme constitutionnellement prévue. Cette procédure requiert par conséquent l'application de l'article 23 al. 1 LF et permet en conséquence d'assurer la légitimité démocratique d'une telle révision 8.

b) Si les clauses passerelles ne conduisent pas à une modification du contenu du droit primaire, elles affectent la procédure. Elles permettent de passer de l'unanimité à la majorité qualifiée au sein du Conseil et d'une procédure spéciale à la procédure législative ordinaire au Parlement. Intervenant dans des domaines plus ou moins étendus qui sont plus ou moins précisément définis par le traité de Lisbonne et selon des procédures variables, les clauses passerelles et les modifications de procédure qu'elles génèrent apparaissent plus ou moins prévisibles pour le législateur allemand quant à leur utilisation et à leur impact. C'est pourquoi la Cour différencie à cet égard entre les clauses ouvrant un droit d'opposition aux Parlements nationaux, comme par exemple les clauses passerelles concernant la coopération judiciaire en matière pénale, et celles qui n'en ouvrent pas. Selon la Cour, le droit d'opposition des Parlements nationaux ne remplace pas la procédure de ratification et ne satisfait pas à la responsabilité d'intégration du Parlement allemand. Les exigences de légitimité démocratique requièrent en conséquence l'adoption d'une loi au sens de l'article 23 8 Points 312 et 412.

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al. 1 LF 9. Il en va de même pour la coopération dans le domaine pénal 10. C'est seulement dans l'hypothèse où les modifications portent sur des domaines matériels déjà suffisamment déterminés par le traité de Lisbonne et que les Parlements nationaux ne disposent pas d'un droit de rejet qu'une loi n'est pas nécessaire. Dans ce cas, toutefois, le représentant allemand au sein du Conseil ne peut prendre une décision qu'après l'approbation donnée par le Bundestag et, le cas échéant, par le Bundesrat 11 .

c) Les clauses de flexibilité inscrites dans l'article 352 du traité consacrent la théorie des compétences implicites en permettant à l'Union européenne d'intervenir dans toutes ses politiques dans la mesure nécessaire. La Cour considère qu'il convient d'apprécier cette disposition sous un angle nouveau dès lors que les politiques visées ne concernent plus seulement la Communauté mais toute l'Union à l'exception de la défense et de la sécurité commune. Elle estime en particulier que le champ d'application potentiel des clauses de flexibilité s'est étendu au point qu'il revient à accorder un chèque en blanc à l'Union. Dans ces conditions, elle y oppose une réserve de constitutionnalité sous la forme d'une ratification allemande, plus précisément l'adoption d'une loi au sens de l'article 23, al. 1 LF préalablement au vote du représentant allemand au sein du Conseil 12 .

d) S'agissant enfin des mesures de sauvegarde 13 , elles ne peuvent être décidées que sur instruction du représentant gouvernemental par le Bundestag.

D'un point de vue pratique, l'ensemble de ces réserves devrait considérablement alourdir voire bloquer le fonctionnement des politiques européennes. Sur le plan juridique, il traduit une nouvelle lecture de l'article 23 qui, au nom du principe démocratique, privilégie très nettement l'alinéa 1 au détriment des suivants et conduit à une multiplication des réserves dont le régime juridique ne paraît pas toujours clairement déterminé.

2) Le principe démocratique et l'identité constitutionnelle allemande : paramètre général de constitutionnalité

La jurisprudence traditionnelle de la CCF relative à la construction européenne a conféré aux droits fondamentaux le rôle principal. L'arrêt Maastricht apparaît à cet égard comme une étape de transition caractérisée par l'équilibre entre les droits fondamentaux et le principe démocratique. Dans l'arrêt Lisbonne, c'est ce dernier qui l'emporte très nettement. Fondement du recours constitutionnel déjà depuis l'arrêt Maastricht, il devient également une réserve de constitutionnalité pour être promu en bref au paramètre général de constitutionnalité des engagements européens. Les répercussions substantielles et institutionnelles sont considérables 14 .

Comme en vertu de l'article 20 LF, tout pouvoir émane du peuple, le droit de vote conféré par l'article 38 LF se voit assigné dans cet arrêt une portée qui dépasse encore celle que la Cour avait déjà définie dans l'arrêt Maastricht. L'élection des députés devient ainsi « la source du pouvoir d'État » 15 et le droit de vote réalise

9 10 11 12 13 14 15 Points 317 à 321, 366, 413 à 415. Point 419. Points 320 et 416. Points 322 à 328 et 417. Point 418. Supra, I. Point 209.

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« l'autodétermination démocratique » 16 dans ses dimensions tant institutionnelles que substantielles.

a) Sur le plan institutionnel, en effet, un rapport direct relie l'électeur au député, le député à la majorité, la majorité au gouvernement et au chancelier. C'est donc le schéma classique du principe majoritaire et du gouvernement directement issu des élections qui est ici sous-jacent au raisonnement de la Cour 17 ou, comme l'exprime malicieusement un auteur, une sorte de « Westminster jacobin » 18, un système en somme fort éloigné de la République fédérale où le règne de la majorité à la « Westminster » est menacé par le multipartisme émergeant et l'imprévisibilité des coalitions gouvernementales, où l'égalité « jacobine » de représentation des électeurs et leur influence directe sur la politique est médiatisée par le fédéralisme et par le rôle d'opposition que joue parfois le Bundesrat. La CCF érige même le jeu de la compétition et de l'alternance entre la majorité et l'opposition en « point commun à toutes les démocratie représentatives » 19 ou en modèle à observer. Plus loin, elle se livre à une variation sur le mode « one man, one vote » 20 pour pouvoir mieux rejeter l'Union européenne dans le monde « non-démocratique ». Qualifier cette image d'Epinal « d'exigence démocratique centrale » 21 , « constitutive pour l'ordre constitutionnel régi par la Loi fondamentale » 22 paraît non seulement irréaliste mais surtout surprenant et, pour tout dire, décevant de la part d'une juridiction réputée pour la qualité de son raisonnement. Mais sans doute, cette présentation quelque peu caricaturale des institutions a-t-elle paru nécessaire pour justifier l'exigence de la chaîne des rattachements successifs, allant de l'électeur en passant par le Parlement jusqu'au gouvernement. Or c'est cette chaîne qui établit la légitimité démocratique et qui expliquera que la légitimité ne peut exister que dans et par l'État.

b) La Cour prend soin de connecter cette analyse très formelle et classique de la démocratie à des éléments substantiels. Elle souligne d'abord que le droit de vote est un droit subjectif de participation indispensable à la liberté personnelle23 et ancré dans la dignité humaine 24 . De là, elle peut passer aisément aux intangibilités de la Loi fondamentale inscrites à l'article 79 al. 3, en affirmant que le principe démocratique tel qu'elle vient de le définir en fait partie 23 . Il était certes acquis jusque là que les principes protégés par les articles 1 et 20 LF ne pouvaient faire l'objet d'une révision. Mais dans le passé, cette disposition a en général reçu une interprétation restrictive tirée du but de l'institution : empêcher l'avènement d'une dictature par des voies « légales ». Dans l'arrêt Lisbonne, la Cour assigne clairement une nouvelle fonction à la clause d'éternité : « la Constitution des Allemands possède un fondement universel en accord avec l'évolution internationale y compris et surtout depuis

qu'existent les Nations Unies et que ce fondement ne doit pouvoir être modifié par le droit positif » 26. Très significativement, cette nouvelle fonction mobilise un discours

16 Point 210.

17 Points 210 à 215.

18 C. SCHÔNBERGER, supra, p. 1212.

19 Point 215.

20 Points 279 à 289.

21 Point 214.

22 Point 213.

23 Point 210.

24 Point 211.

25 Points 216 à 218.

26 Point 218.

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justificatif d'ouverture alors qu'elle revient à fermer des options importantes au pouvoir politique.

Non seulement la Cour rappelle qu'elle veille au respect de cette intangibilité mais encore elle en tire les conséquences. Ainsi le principe démocratique devient absolu, c'est-à-dire insusceptible de se voir appliquer le contrôle de proportionnalité et indisponible au pouvoir de révision de telle sorte qu'une transformation de l'UE en État fédéral ne peut s'opérer sous le régime de la Loi fondamentale ; une telle transformation requiert au moins — la question reste ouverte — l'adoption d'une nouvelle Constitution. La fonction européenne de l'intangibilité constitutionnelle est en somme de traduire l'identité constitutionnelle. Des conséquences importantes découlent de cette conception quant aux transferts de compétence autorisés. La Cour les résume de la manière suivante : « mais cette habilitation est liée à la condition que soit d'une part, respectée la qualité d'État constitutionnel souverain sur le fondement d'un programme d'intégration régi par le principe d'attribution et respectant l'identité

constitutionnelle des Etats membres et d'autre part, conservée la capacité des États membres d'aménager politiquement et socialement et sous leur propre responsabilité les conditions de vie » 27 .

Reste au juge constitutionnel d'établir le lien entre les articles 79-3 et 20 avec l'article 23 habilitant l'Allemagne à participer à l'UE. Ce lien se noue à partir de la légitimité démocratique dans l'Etat. Cette légitimité est à la base tant de la construction européenne que de ses conditions structurelles ancrées dans l'article 23 et de ses limites auxquelles renvoie cette même disposition 28. De cette manière, l'article 23, que précédemment déjà on pouvait comprendre comme une réserve écrite, est clairement attiré dans le champ de l'indisponibilité constitutionnelle. S'il conserve sa fonction d'autorisation, celle-ci apparaît dans cet arrêt souvent plus rhétorique que substantielle, car les conséquences concrètes que le juge en tire sont surtout des exigences d'interventions répétées du législateur allemand au nom de sa responsabilité d'intégration. Cette responsabilité implique notamment l'établissement d'un programme d'intégration clairement prévisible par le législateur allemand et autorisé par ce dernier que la Cour se réserve le droit de contrôler, le cas échéant par une voie de droit nouvelle 29 .

Cette analyse certainement plus élaborée que celle de la démocratie formelle ne semble pourtant pas s'imposer comme la plus fidèle aux textes, loin s'en faut. Le pouvoir normatif du juge est certes de plus en plus admis et, dans le cas de la CCF, ce pouvoir a souvent pris des allures impressionnantes voire excessives. Aussi la tentation est-elle grande de prêter à la Cour des intentions ou des inspirations principalement politiques. En tout cas, il résulte de cette construction compliquée que l'Union européenne se trouve considérablement bloquée dans ses potentialités d'évolution et privée pratiquement de toute dynamique possible.

27 Point 226.

28 Très clairement au point 175 : « Le vote n'aurait plus grand sens si l'organe de l'Etat ainsi élu ne disposait pas suffisamment de fonctions et de compétences propres au sein desquelles le pouvoir légitimé par le vote peut s'exercer. En d'autres termes, le Parlement n'est pas seulement investi d'une "responsabilité abstraite cautionnant" les actes de souveraineté d'autres entités exerçant un pouvoir politique, mais de la responsabilité concrète pour les actions de l'État. Par les dispositions de l'article 23 alinéa 1 phrase 3 combiné à l'article 79 alinéa 3 et à l'article 20 alinéas 1 et 2 GG, la Loi fondamentale a déclaré intangible ce rapport de légitimation entre l'électeur et la puissance étatique. Dans le champ d'application de l'article 23 GG, l'article 38 alinéa 1 phrase 1 GG interdit que la légitimité conférée par le vote à la puissance étatique et l'influence sur l'exercice de cette dernière ne soient vidées par le transfert de compétences du Bundestag au niveau européen de manière telle que le principe de démocratie se trouverait violé (...).» Voir également Points 230 et 232.

29 Points 236, 240.

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3) L'Union européenne, regroupement d'États sans légitimité propre

Sur ce point, l'arrêt Lisbonne paraît moins novateur pour se situer surtout dans la ligne de la jurisprudence Maastricht. Cela accentue cependant la rupture intervenue à ce moment que l'arrêt sur le marché des bananes 30 semblait vouloir réduire. Le ton de l'arrêt Lisbonne est certes nettement moins polémique que celui de l'arrêt Maastricht ; il est agrémenté de quelques ouvertures 31, comme par exemple l'insistance sur une conception « moderne » et modérée de la souveraineté.

Il n'en demeure pas moins que, sur le fond, la CCF s'emploie à freiner puissamment toute évolution importante de l'Union et à encadrer fortement les pouvoirs dont celle-ci dispose déjà.

a ) Les débuts de la jurisprudence constitutionnelle en matière européenne ont été marqués par l'ouverture internationale et européenne de l'Allemagne favorisant une vision modérée de la souveraineté ainsi que l'acceptation d'une évolution de l'Union européenne vers le fédéralisme 32. C'est cette conception-là qui a été inscrite à l'article 23 en 1992. Cette disposition décrit en effet l'Union européenne comme étant tenue par les principes tant de l'État de droit démocratique et social que par ceux du fédéralisme. L'article 23 apparaissait alors principalement comme une clause européenne générale, ne nécessitant pas de révision constitutionnelle à chaque modification des bases conventionnelles de l'Union 33.

Mais paradoxalement, au moment même où le droit écrit se montre généreux, la jurisprudence referme cette porte. Ainsi, appelée à contrôler et à interpréter l'article 23 dans l'arrêt Maastricht 34, la Cour constitutionnelle se garde bien d'épouser cette vision généreuse de l'Union européenne. Celle-ci est au contraire analysée comme un regroupement d'États (Staatenverbund) et la Cour préfère à cet égard citer l'article 88-1 français plutôt que l'article 23 LF.

Dans son arrêt sur le traité de Lisbonne, elle reprend cette analyse en la poussant plus loin. L'Union reste qualifiée de regroupement d'États, la Cour soulignant qu'il s'agit d'États souverains et égaux. Le traité de Lisbonne demeure un traité du droit international et l'Union, même dotée de la personnalité juridique, reste régie par le principe d'attribution des compétences. La Cour s'emploie à faire respecter ce principe et donc à écarter d'abord toute évolution fédéraliste vers un peuple européen ou une légitimité proprement européenne. Le raisonnement prend ici une posture à la fois normative et descriptive. Sur le plan normatif, la légitimité démocratique interne et donc l'identité constitutionnelle s'opposent à une telle évolution — ce sont les passages sur la perte de la qualité étatique 35 et sur les États, maîtres des traités 36 — et, dans les faits, l'Union n'est pas démocratique - ce sont les

30 CCF, 2e Chambre, décision du 7 juin 2000, 2 BvL 1/97, EuGRZ 2000, p. 328 ss. Voir aussi C. GREWE, « Le "traité de paix" avec la Cour de Luxembourg : l'arrêt de la Cour constitutionnelle allemande du 7 juin 2000 relatif au règlement du marché de la banane », RTDE 2001, p. 1-17.

31 Points 220 à 225.

32 Cf. Le discours de Joschka Fischer, à l'époque ministre des affaires étrangères, du 12 mai 2000 à l'Université Humboldt, in Walter Hallstein-Institut fiir europàisches Verfassungsrecht, FCE 12/00 Integration », http://whi-berlin.de/documents/fischer.pdf. Voir aussi J. KOKOTT, « The Basic Law at 60 — From 1949 to 2009, The Basic Law and Supranational Integration », in German Law Journal vol. 11 n° 1 (2010), p. 99-114. « Vom Staatenverbund zur Fôderation - Gedanken liber die Finalitat der europaischen 33 C. GREWE, « Constitutions nationales et droit de l'Union européenne », Répertoire communautaire Dalloz, janvier 2009, 30 p.

34 BVer/G, 12 octobre 1993, BVerfGE 89, p. 155.

35 Points 224 à 228.

36 Point 231.

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développements consacrés au fonctionnement de l'Union 37. En somme, ce qu'elle devrait devenir, légitime et démocratique, elle n'en a pas le droit au nom de la préservation de la souveraineté et de l'identité étatiques 38.

Le principe d'attribution des compétences conduit ensuite, comme dans l'arrêt Maastricht, à limiter rigoureusement les transferts de compétence afin qu'une démocratie vivante soit préservée dans les Etats. La Cour développe bien plus amplement encore cet argument en indiquant toutes les compétences et les domaines essentiels à la sauvegarde d'une vie politique propre des États membres.

L'énumération va du droit pénal, en passant par le droit de la famille jusqu'à la culture, l'histoire et la langue 39. Quelques commentaires soulignent que ces compétences correspondent à peu près à la répartition qui prévaut aujourd'hui à cet égard 4o. Si cette analyse est juste, plus aucun transfert ne pourrait être autorisé.

C'est également dans cette vision générale que s'insère la nouvelle lecture de l'article 23 qui oublie ou occulte le devenir éventuellement fédéral de l'Union pour mettre l'accent sur les conditions de la participation allemande. Ainsi il devient difficile d'y voir encore une clause européenne générale ; force est au contraire d'observer les rapprochements vers une autorisation ponctuelle à la française.

La responsabilité première de l'intégration est donc entre les mains des organes constitutionnels nationaux agissant au nom des peuples. Cette responsabilité est d'autant plus grande que l'intégration progresse, qu'il faut en conséquence surveiller le respect du principe d'attribution des compétences et maintenir l'intégrité constitutionnelle, obligations qui s'imposent à l'Union.

b) La Cour accentue également l'encadrement des attributions déjà existantes de l'Union. À ce titre, on relèvera d'abord les développements qu'elle consacre à la primauté du droit de l'Union. Celle-ci, on le sait, ne figure pas dans le traité lui- même mais fait simplement l'objet d'une déclaration (n° 17) annexée au traité. Le juge constitutionnel souligne avec force que cette primauté n'est que celle reconnue par sa propre jurisprudence 41 et qu'elle constitue une question d'applicabilité et nullement de validité.

La primauté ne s'oppose donc pas davantage à ce que les juridictions allemandes exercent un contrôle du programme d'intégration et de l'exercice des compétences. Le contrôle ultra vires est ainsi évoqué à nouveau et la Cour y ajoute celui portant sur l'identité constitutionnelle 42.

L'arrêt Lisbonne prête certainement à la critique, d'autant qu'il peut apparaître comme une leçon de démocratie qui s'adresse peut-être moins à la Cour de justice de l'Union européenne - contrairement à l'arrêt Maastricht - qu'aux autres Cours constitutionnelles, et plus particulièrement celles de l'Europe centrale et orientale qui suivent très attentivement la jurisprudence allemande 43 . Il comporte cependant également d'amples références à la doctrine tant allemande qu'étrangère ainsi qu'à la jurisprudence. En cela, il anime incontestablement le dialogue des juges et de la doctrine et fait le bonheur des comparatistes. C. G.

37 Points 278 à 297.

38 Voir aussi les commentaires de D. HALBERSTAM et C. MOLLERS, supra, p. 1247.

39 Points 299 à 305 ; 352 à 366 ; 392 à 400.

40 C. SCHÔNBERGER, supra, p. 1209; D. HALBERSTAM et C. MÔLLERS, supra, p. 1250; C.

TOMUSCHAT, « The Ruling of the German Constitutional Court on the Treaty of Lisbon », in German Law Journal , vol. 10 n° 8 (2009), p. 1259-1261 (1260).

41 Points 331 s. et 343.

42 Points 338 à 340.

43 À ce titre, la comparaison avec le second arrêt de la Cour constitutionnelle tchèque sur le traité de Lisbonne est intéressante : Pl. US 26/09.

(12)

B - Compétences du Bundestag

Décision du 3 février 2009 Fonds de soutien à l'agriculture et à l'industrie agro-alimentaire 44 et décision du 12 mai 2009 Fonds de soutien à la filière bois 45

Deux lois autorisant la création de fonds pour la promotion de certains secteurs économiques ont été déclarées inconstitutionnelles par le juge de Karlsruhe.

L'une date du 3 février 2009 et concerne le fonds de soutien à l'agriculture et à l'industrie agro-alimentaire. L'autre a été rendue le 12 mai 2009 à propos du fonds de soutien à la filière bois.

a) Dans la première décision, le fonds visé par la loi du 26 juin 1969 a notamment pour objet de promouvoir, au niveau central, la commercialisation et la valorisation des produits de l'agriculture et de l'industrie agro-alimentaire en prospectant et en développant des marchés à l'intérieur et à l'extérieur du pays.

Institution de droit public, ce fonds accomplit ses missions par l'intermédiaire d'organismes centraux (la Centrale Marketingsgesellschaft der deutschen Agrarwirtsckaft -CMA et la Preisberichtstelle fiir Erzeugnisse des Land-, Forst- und E rnàhrungswirtschaft GmbH). Le financement de ces organismes est essentiellement assuré par les contributions prélevées sur certaines entreprises du secteur agricole et agro-alimentaire.

Ces dispositions législatives, destinées à promouvoir les produits fabriqués en Allemagne et répondant à certains critères, ne posent d'ailleurs pas seulement des problèmes constitutionnels mais également communautaires. La Cour de Justice avait en effet jugé, dans une décision du 5 novembre 2002 46, que l'Allemagne avait manqué à ses obligations communautaires : l'octroi par le CMA d'un label de qualité

« Markenqualitàt aus deutschen Landen » (qualité de marque du terroir allemand) avait été considéré comme une atteinte à l'ancien article 30 CE visant à interdire toute réglementation ou toute mesure des États membres susceptible d'entraver le commerce intracommunautaire.

Dans la décision du 3 février 2009, la Cour estime que ces dispositions législatives sont incompatibles avec l'article 12 (liberté de la profession), l'article 105 (répartition des compétences législatives entre la Fédération et les Lander en matière fiscale) et 110 (règles budgétaires) LF et doivent donc être annulées à compter du 1er juillet 2002.

La Cour constitutionnelle fédérale considère que les dispositions mettent en place un prélèvement spécial à des fins de financement et doivent donc répondre aux conditions strictes posées par la Loi fondamentale. Ces prélèvements ne peuvent pas être assimilés à un impôt puisqu'ils ne constituent pas une charge commune. Ils ne peuvent pas non plus être considérés comme une taxe puisqu'ils ne sont pas destinés à financer une institution publique ou une prestation sociale. Même si la Loi fondamentale prévoit l'instauration de prélèvements qui ne sont pas de nature fiscale, ceux-ci ne peuvent intervenir que dans un cadre très limité. Ils doivent notamment respecter les règles de répartition du système fiscal car dans le cas contraire, celles-ci ne serviraient à rien : il suffirait en effet pour le législateur de déclarer qu'un prélèvement n'est pas de nature fiscale pour s'en affranchir. Or l'ensemble du système fiscal est aussi une garantie pour le citoyen.

44 CCF, 2e Chambre, décision du 3 février 2009, 2 BvL 54/06.

45 CCF, 2e Chambre, décision du 12 mai 2009, 2 BvR 743/01.

46 Aff. C 325/000 Commission c. Allemagne, JO C 323 du 21.12.2002, p. 16.

(13)

La loi organise un système de prélèvement selon lequel certaines entreprises sont obligées de contribuer au fonds en raison d'une certaine proximité avec l'objet du financement, ce qui implique que la loi prévoit un contrôle de l'utilisation des fonds par les contributeurs eux mêmes.

Selon une jurisprudence constante de la Cour constitutionnelle, les prélèvements spéciaux s'inscrivent dans d'étroites limites et doivent constituer une exception par rapport aux impôts car ils sont de nature à porter atteinte à la répartition des compétences entre la Fédération et les Lànder, aux principes de l'égalité des citoyens devant les charges publique et aux principes budgétaires. Ces prélèvements spéciaux ne peuvent être prévus par le législateur que dans la mesure où ils s'inscrivent dans un but précis, qui ne peut pas simplement se résumer à une collecte de moyens. Les prélèvements ne peuvent donc être levés qu'auprès de contributeurs constituant un groupe suffisamment homogène et ayant une certaine proximité matérielle avec le but poursuivi par le prélèvement puisque celui-ci doit ensuite servir les intérêts de l'ensemble du groupe ainsi défini. Par ailleurs, dans un souci de légitimation démocratique et parlementaire, le législateur doit disposer de tous les documents lui permettant d'exercer son contrôle budgétaire.

À l'aune de ces critères, la loi instituant un fonds pour la promotion des produits agricoles et des industries agro-alimentaires est déclarée inconstitutionnelle pour deux raisons. D'une part, les contributeurs visés par la loi manquent d'homogénéité et d'autre part ceux-ci ne sont pas en mesure de s'assurer que les missions du fonds sont effectivement remplies. Ils ne sont donc pas en mesure d'exercer leur responsabilité financière.

Cette promotion des produits est organisée grâce aux prélèvements prévus par le législateur et constitue une intervention de l'Etat dans la sphère des acteurs économiques. Cette intervention est donc soumise à une double limite. La création de tels prélèvements spéciaux doit être justifiée non seulement par elle-même mais également au regard de l'atteinte qu'elle porte à la liberté d'entreprendre prévue à l'article 12 LF. En étant obligées de contribuer au fonds pour la promotion des produits agricoles, les entreprises concernées sont restreintes dans leurs possibilités d'organiser elles-mêmes leur promotion. En d'autres termes, chaque euro versé par les entreprises au fonds prévu par la loi est un euro qui n'est pas investi par l'entreprise dans sa propre politique de promotion.

Or il ne suffit pas que l'intervention de l'État dans une branche de l'économie produise des effets positifs pour qu'elle soit conforme à la Constitution. A priori rien ne permet de dire que la promotion institutionnelle assurée par l'Etat est plus efficace que celle des entreprises. Même si cela peut être le cas dans certaines circonstances, l'intérêt pour le secteur d'activité doit alors être évident. Il peut s'agir par exemple d'éviter ou de compenser certains inconvénients que l'on peut rencontrer dans le commerce international. Si on pouvait encore admettre cet argument par le passé, une telle circonstance n'existe plus pour les produits agricoles et agro-alimentaires, ce qui confère à la loi un caractère inconstitutionnel.

b) La décision du 12 mai concerne les prélèvements organisés par la loi instituant un fonds de soutien à la filière bois. Dans une précédente décision du 31 mai 1990 47 , la Cour constitutionnelle fédérale avait déjà jugé que les prélèvements prévus par la loi étaient inconstitutionnels dans la mesure où les entreprises de la filière bois étaient inclues dans le cercle des contributeurs. À l'époque, la loi incluait en effet les entreprises de la filière bois dans le cercle des contributeurs au fonds de promotion des produits agricoles et agroalimentaires. La Cour constitutionnelle avait 47 BVerfG E 82, 159.

(14)

alors jugé que les acteurs économiques visés par la loi manquaient d'homogénéité. Le législateur avait donc réagi à cette décision en votant une loi spécifique, propre à la filière bois (Forstabsatzfondsgesetz du 13 décembre 1990). La Cour constitutionnelle, suivant le même raisonnement que dans la décision du 3 février 2009, arrive à la même conclusion et déclare la loi inconstitutionnelle.

X. V.

C - Droit électoral

Décision du 3 mars 2009 : Inconstitutionnalité de l'utilisation du vote électronique lors des élections législatives de 2005 48

Après avoir été déclaré dans la décision du 3 juillet 2008 l'inconstitutionnalité de la loi relative à l'élection des députés en 2005 en raison de la pondération négative des voix 49, la Cour constitutionnelle a déclaré dans la décision du 3 mars 2009 l'inconstitutionnalité du règlement précisant les modalités du vote électronique. Lors des élections législatives de 2005, environ deux millions d'électeurs avaient en effet eu la possibilité de voter par voie électronique.

De la même façon que dans la décision du 3 juillet 2008, la Cour constitutionnelle précise que cette inconstitutionnalité ne doit conduire ni à revoter dans les circonscriptions concernées, ni à la dissolution du Bundestag. L'intérêt de la stabilité politique du Bundestag ainsi élu prévaut sur l'inconstitutionnalité du vote électronique, d'autant plus que rien n'indique que les machines aient été défectueuses ou encore que les votes aient été falsifiés.

Comme elle a eu maintes fois l'occasion de le souligner, la Cour constitutionnelle est particulièrement vigilante quant aux conditions d'exercice du droit de vote dans cette démocratie représentative qu'est l'Allemagne. La voix exprimée par l'électeur constitue l'élément essentiel de la formation de la volonté. Il existe une chaîne de légitimité ininterrompue qui va du peuple aux organes de l'Etat et dont chaque maillon doit pouvoir être contrôlé.

Les recours étaient dirigés à la fois contre la loi relative aux élections législatives et contre son règlement d'application. Les § 1 3 et 48 de la loi relative à la Cour constitutionnelle fédérale 50 n'ont pas seulement pour objet de garantir le respect des dispositions relatives au droit fédéral électoral par les organes électoraux ainsi que par le Bundestag. Ils donnent aussi compétence à la Cour pour examiner si les dispositions de la loi électorale sont conformes aux dispositions de la Constitution. Cet examen s'étend également à la validité des règlements.

La Cour doit donc examiner la constitutionnalité de la loi organisant l'élection du Bundestag à l'aune de l'article 38 LF. L'alinéa 1 prévoit que les députés du Bundestag sont élus au suffrage universel, direct, libre, égal et secret et l'alinéa 3 précise que les modalités sont réglées par une loi.

La Cour rappelle tout d'abord que le législateur dispose d'une certaine latitude dans la mise en œuvre concrète du droit de vote. Il peut ainsi décider si et dans quelles mesures des dérogations aux principes régissant le droit de vote peuvent être admises. On se souvient, par exemple, que lors des premières élections législatives après la réunification, la clause des 5% (c'est-à-dire le seuil que les partis politiques doivent franchir pour être représentés au Bundestag ) avait été calculée de

48 CCF, 2e Chambre, décision du 3 mars 2009, 2 BvC 3/07.

49 Voir : Chronique Allemagne AIJC 2008, p. 484.

50 Gesetz iïber das Bundesverfassungsgericht (BVerfGG ).

(15)

manière séparée pour les anciens et les nouveaux Lander sans que le juge n'y voit un motif d'inconstitutionnalité 51 .

Le rôle de la Cour constitutionnelle consiste ainsi à s'assurer que le législateur n'a pas été en deçà de son devoir de légiférer de manière suffisamment précise : le principe de la réserve du Parlement implique que dans les domaines essentiels, comme peut l'être l'exercice des droits fondamentaux, les décisions principales relèvent du législateur. Cette jurisprudence correspond à celle de l'incompétence négative du Conseil constitutionnel français. Cette garantie trouve son origine dans le principe démocratique et l'État de droit. Le devoir de poser une norme ne se résume pas simplement à la question de savoir si un domaine mérite de faire l'objet d'une loi mais inclut également la question de savoir jusqu'à quel degré de précision doit aller le législateur.

La Cour constitutionnelle devait donc tout d'abord apprécier la constitutionnalité du § 35 de la loi relative aux élections législatives. C'est l'occasion pour le juge de Karlsruhe de rappeler quelles sont les obligations qui incombent au législateur. Il examine ainsi si le législateur a fait preuve d'une précision suffisante vis-à-vis du pouvoir réglementaire. L'article 80 alinéa 1 phrase 1 et 2 de la Loi fondamentale dispose en effet que le gouvernement fédéral, un ministre fédéral ou les gouvernements des Lànder peuvent être autorisés par la loi à édicter des règlements.

Cette loi doit déterminer le contenu, le but et l'étendue de l'autorisation accordée.

Cette exigence de précision, qui incombe au législateur, dépend de l'intensité de l'atteinte susceptible d'être portée à des droits protégés. Ainsi, seul le législateur peut autoriser l'utilisation de machines à voter et rien dans l'article 38 de la Loi fondamentale n'interdit d'avoir recours au vote électronique. La décision d'utiliser des machines à voter et la détermination des conditions de leur utilisation ne peuvent en revanche être laissées à l'autorité réglementaire.

Si les détails quant à l'utilisation des machines à voter n'ont pas besoin d'être fixés dans la loi elle-même, les exigences constitutionnelles doivent se retrouver dans le règlement d'application. Les exigences techniques sont ainsi très différentes pour des appareils simplement mécaniques ou électroniques. Pour ces derniers, les progrès techniques rapides exigent une adaptation juridique constante : si les principes essentiels sont bel et bien posés dans la loi, la voie réglementaire apparaît donc la plus appropriée pour définir les précisions indispensables. Le législateur n'est donc pas constitutionnellement obligé de prévoir tous les détails techniques relatifs à l'utilisation d'appareils à voter électronique et considère que lâ loi relative aux élections législatives n'est pas inconstitutionnelle.

En revanche le règlement d'application est, quant à lui, déclaré non conforme à la Loi fondamentale. Le caractère public de l'élection, qui découle de l'article 38 et de l'article 20 LF, implique que toutes les étapes essentielles de la procédure électorale puissent être contrôlées par l'électeur. Celui-ci doit être en mesure de s'assurer, sans connaissances techniques particulières, que la comptabilisation des bulletins de vote et la communication des résultats sont conformes aux exigences posées par la Loi fondamentale. Or le risque de manipulation et de falsification des bulletins de vote traditionnels est limité. D'autant plus que ces fraudes ont toutes les chances d'être découvertes. Il en va tout autrement avec les bulletins électroniques : le risque d'erreurs à grande échelle et de fraude massive entraîne l'obligation de prendre toutes les précautions pour préserver le caractère public du scrutin. Chaque électeur doit pouvoir s'assurer que son vote a bien été pris en compte et que sa voix n'a pas été ensuite falsifiée. Ainsi, la possibilité d'imprimer la preuve que le vote a

51 BVerfGE 82, 322.

(16)

bien été traité informatiquement n'est pas suffisante. Elle permet simplement de vérifier le nombre de voix exprimées et non l'opinion exprimée par le vote.

Les précautions prises et les contrôles effectués lors de l'homologation des machines ou lors de leur mise en service ne sont pas susceptibles de remplacer le contrôle de traçabilité du vote par le citoyen lui-même, même si le recours à des procédures automatisées permet d'éviter certaines erreurs dans le comptage des voix.

L'élection doit être l'affaire de chaque citoyen et la procédure électorale ne doit pas lui échapper en raison du recours à des moyens techniques.

Ces exigences constitutionnelles n'interdisent nullement l'utilisation du vote électronique à condition que le caractère public du scrutin soit respecté, ce qui implique la possibilité de contrôler l'exactitude des votes exprimés tout en préservant le principe du vote à bulletin secret puisqu'il s'agit de la protection institutionnelle la plus importante de la liberté du vote 52. (Pour être déclaré constitutionnel, un règlement doit donc prévoir ces garanties, ce qui n'était pas le cas en l'espèce.

La Cour souligne le vote électronique pourrait être conforme à la Loi fondamentale s'il était organisé d'une manière qui permettrait de s'assurer de l'intégrité de l'ensemble des opérations électorales. Le choix exprimé par ordinateur pourrait donner lieu à l'impression d'un bulletin à glisser dans l'urne. Il s'agirait en fait de doubler le vote électronique par un vote manuel. D'autres solutions sont sans doute envisageables mais la Cour rappelle que l'objet de sa décision ne consister pas à les explorer.

Avec de telles exigences, autant dire que la Cour constitutionnelle vient de porter un coup d'arrêt au vote électronique en Allemagne : l'intérêt de pouvoir disposer rapidement du résultat des élections grâce à un vote électronique ne justifie pas l'atteinte au caractère public du scrutin. La Loi fondamentale n'exige pas que les résultats du vote soient connus dans les minutes qui suivent la fermeture des bureaux de vote. L'expérience montre d'ailleurs que les résultats ont toujours été rapidement connus, même sans vote électronique.

X.V. D - Contrôle parlementaire

1 ) Décision du 11 juin 2009 : Inconstitutionnalité partielle du refus d'informer une commission d'enquête 53

Depuis 2004 et particulièrement en 2005, les médias avaient révélé certaines activités menées conjointement par les services de renseignement américains et allemands concernant des personnes suspectées d'activités terroristes et transitant dans les aéroports allemands. Des reportages avaient notamment fait état de l'activité des services secrets allemands à Bagdad pendant la guerre d'Irak, de l'enlèvement de ressortissants allemands ou de personnes vivant en Allemagne par les autorités américaines ainsi que de la surveillance de journalistes par les services de renseignement allemands.

Le rapport déposé par le Gouvernement en février 2006 devant l'organe de contrôle parlementaire des services de renseignement (Parlamentariscbes Kontrollgremium) fût partiellement publié. Cet organe de contrôle a été par la suite constitutionnalisé à l'article 45d LF lors de la 55ème révision du 17 juillet 2009-

52 BVerfGE 99,1 [13).

53 CCF, 2e Chambre, décision du 17 juin 2009, 2 BvE 3/07.

(17)

Afin d'éclaircir certaines questions restées en suspens, les groupes parlementaires FDP, « Die Linke », Alliance 90/Les Verts et certains parlementaires demandèrent la mise en place d'une commission d'enquête. Cette commission, créée lors de la séance plénière du 7 avril 2006, reçu pour mission du Bundestag de faire toute la lumière sur certains dossiers et de rechercher quelles avaient été les instructions reçues par les différents services de renseignement allemands. Elle avait également pour mission de déterminer de quelle façon ceux-ci avaient été suivis et encadrés politiquement.

Le chef de la Chancellerie informa le président de la commission que le Gouvernement fédéral, compte tenu de sa responsabilité en matière de sécurité intérieure et extérieure, veillerait à la préservation des intérêts de l'État. Dans le même temps, il se déclarait prêt à collaborer avec la commission.

La commission d'enquête se pencha tout d'abord sur l'enlèvement de deux personnes et auditionna à cette fin des fonctionnaires du gouvernement fédéral en tant que témoins. Ceux-ci ne donnèrent que des renseignements limités ou ne répondirent pas aux questions des membres de la commission d'enquête. Ils invoquèrent l'impossibilité d'en dire plus, faute d'en avoir reçu l'autorisation. Le Gouvernement refusa par ailleurs à plusieurs reprises de communiquer des pièces à la commission.

Un recours entre organes de l'État fût donc introduit par les requérants devant la Cour constitutionnelle fédérale. Ils contestaient l'interdiction faite aux fonctionnaires de s'exprimer devant la commission ainsi que le refus de communiquer les pièces demandées. Ils considéraient que les raisons invoquées par le Gouvernement pour ne pas divulguer ces informations n'étaient pas constitutionnellement fondées.

Dans sa décision, la deuxième chambre de la Cour constitutionnelle estima que le Gouvernement avait porté atteinte aux droits de mener une enquête et d'être informé du Bundestag garanti à l'article 44 LF. Ce droit, souligne la Cour, est le droit le plus ancien et le plus important du Parlement.

En aucun cas, le droit du Bundestag de mener une enquête ne peut trouver ses limites dans l'une des raisons constitutionnelles invoquées par le Gouvernement, comme la préservation de la responsabilité intrinsèque de l'exécutif et l'intérêt de l'État.

La Cour souligne que ce ne sont pas seulement les droits de la commission d'enquête qui sont atteints mais également les droits du Bundestag , la commission n'étant qu'un organe auxiliaire du parlement. Le « maître » de la procédure d'enquête reste le Bundestag dans son ensemble. La commission d'enquête est donc en droit de demander les documents qu'elle estime nécessaires à l'accomplissement de la mission qu'elle a reçue du Bundestag : les preuves doivent en principe être fournies si un quart des membres de la commission les réclament.

S'agissant de la collecte des preuves, les dispositions relatives à la procédure pénale sont applicables mutatis mutandis même si la commission poursuit un autre but que celui de la procédure pénale. C'est une responsabilité pénale individuelle qui va être recherchée dans le cadre d'une procédure pénale alors que dans le cadre d'une procédure d'enquête parlementaire, il s'agit de permettre au Bundestag de contrôler le Gouvernement. Dans ce dernier cas, il ne s'agit pas de rechercher une responsabilité individuelle mais de percer le brouillard qui peut entourer certaines affaires dans le cadre de la responsabilité gouvernementale.

En principe, toutes les personnes entendues par la commission d'enquête ont l'obligation de s'exprimer sauf lorsqu'elles sont soumises à une obligation particulière de confidentialité. Dans ce cas, les témoins ne peuvent effectivement s'exprimer que s'ils en ont reçu l'autorisation. Le gouvernement est certes tenu par

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des limites constitutionnelles pour accorder de telles autorisations. Le mandat de la commission doit s'inscrire dans le cadre de la compétence du Parlement et être suffisamment précis. En l'occurrence, l'autorisation de s'exprimer est beaucoup trop restrictive puisque les personnels auditionnés par la commission ne sont pas habilités à s'exprimer sur la façon dont les décisions gouvernementales ont été prises.

Ni la commission d'enquête ni le Gouvernement ne disposent d'un pouvoir discrétionnaire ou d'un pouvoir d'appréciation quant à l'interprétation de la mission confiée à la commission. Le Gouvernement fédéral a donc manqué à ses obligations en considérant que certaines informations demandées ne relevaient pas du mandat de la commission.

Des raisons qui tiennent à la séparation des pouvoirs peuvent toutefois justifier que des informations ne soient pas communiquées à la commission d'enquête. Il n'en reste pas moins que le contrôle de la commission doit rester efficace. Ce n'est pas le cas si celle-ci ne peut pas obtenir d'informations sur le processus décisionnel au sein du Gouvernement même si l'enquête porte sur des dossiers déjà clos. Le gouvernement ne peut pas refuser par principe à la commission de communiquer des informations sur la façon dont le gouvernement a agi pour la simple raison que l'affaire est close.

Il y a donc un équilibre à trouver entre d'une part, l'information du Parlement et d'autre part, le risque de paralysie du gouvernement. Celui-ci doit ne doit pas être empêché d'agir par crainte que certaines informations puissent ensuite être révélées. La nécessité de mettre en balance ces deux intérêts correspond à la double fonction du principe de séparation des pouvoirs : c'est-à-dire fondement et raison du contrôle parlementaire. Ainsi plus le Parlement souhaite remonter la chaîne de la responsabilité administrative et plus le devoir de confidentialité invoqué par le Gouvernement doit être pris en compte. La commission d'enquête doit être en mesure d'apprécier si les arguments avancés par le Gouvernement pour ne pas révéler certaines informations sont pertinents.

Le Gouvernement avait par ailleurs invoqué l'intérêt de l'Etat pour ne pas communiquer certaines informations à la Commission. La Cour constitutionnelle souligne que pour répondre à la question de savoir si des déclarations de témoins ou la production de certains documents sont de nature à porter atteinte à l'intérêt de l'État, il faut que ces éléments de preuve soient fournis à la commission d'enquête, elle-même soumise à un certain devoir de confidentialité. La loi impose en effet aux commissions d'enquête parlementaire l'obligation de ne pas divulguer les informations dont elles auraient pu avoir connaissance en cas de risque pour les intérêts de la Fédération ou d'un Land. C'est également le cas lorsque la divulgation d'informations peut porter atteinte aux relations avec un autre État.

Or l'intérêt de l'État n'est nullement incarné exclusivement par le Gouvernement mais également par le Bundestag. Ce ne sont donc que des circonstances exceptionnelles qui peuvent éventuellement justifier la rétention d'informations par le Gouvernement. Par principe, des informations relatives à des contacts avec les services secrets étrangers ne constituent pas, en elles-mêmes, des informations qui devraient rester inaccessibles à une commission d'enquête. Cela ne peut être le cas que grâce à une solide argumentation venant démontrer que de telles révélations seraient de nature à porter atteinte à des collaborations futures avec des services secrets étrangers. Le fait que le Gouvernement puisse être mis dans une situation délicate suite à la révélation de certaines informations ne constitue pas en soi une atteinte à l'intérêt de l'État mais est tout simplement une conséquence constitutionnellement prévue de l'exercice du contrôle parlementaire.

Avant de refuser de communiquer des informations sensibles, le gouvernement doit avoir demandé à la commission de siéger dans des conditions

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permettant de renforcer la confidentialité des documents et des témoignages examinés. Un refus pur et simple, non justifié, ne peut pas être admis.

Le Gouvernement ne peut donc pas refuser de communiquer des informations sous prétexte que le Parlement n'aurait pas à connaître de certaines affaires au motif qu'elles relèveraient uniquement de la responsabilité du Gouvernement. On peut effectivement admettre que la préparation des sessions parlementaires par le Gouvernement relève bien de sa responsabilité exclusive. Le Parlement n'a effectivement pas à connaître ce travail réalisé en amont. Mais cela ne vaut que pour les affaires en cours et non pour les affaires qui ont déjà été traitées.

La commission d'enquête est tenue au respect du droit au secret de la correspondance, de la poste et des télécommunications selon les articles 10 et 44 II 2 de la Loi fondamentale. Si le Gouvernement fait valoir que ce droit au secret est susceptible d'être violé par la communication de certains documents à la commission d'enquête, il ne doit pas simplement de contenter de mentionner le danger pour refuser de fournir les renseignements demandés. Il doit également expliquer pourquoi de telles informations ne peuvent pas être portées à la connaissance de la commission.

X.V.

2) Décision du 1er juillet 2009 : réponse aux « petites questions » par le Gouvernement non conforme à la Constitution 54

L'article 104 du règlement intérieur du Bundestag prévoit que des renseignements sur certains domaines déterminés peuvent être demandés au gouvernement fédéral sous formes de "petites questions". Selon l'article 76 du même règlement, ces petites questions peuvent être signées par un groupe parlementaire ou par au moins 5% des membres du Bundestag. Elles sont adressées au président du Bundestag et celui-ci invite le gouvernement fédéral à y répondre par écrit dans un délai de quinze jours.

La décision de la Cour européenne du 6 juin 2006 dans l'affaire Segersted- Wiberg et autres c. Suède 55 a donné l'idée à quatre députés du Bundestag et groupe parlementaire Alliance 90/Les Verts d'adresser au gouvernement des « petites questions » sur les informations relatives aux députés du Bundestag dont les services de sécurité allemands pourraient disposer. Dans l'affaire portée devant la Cour européenne des droits de l'Homme, les requérants se plaignaient de la conservation de certaines informations à leur sujet dans les dossiers de la Sûreté suédoise et du refus de les informer de l'intégralité des renseignements consignés. La Cour de Strasbourg avait conclu à l'unanimité à la violation de l'article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale), à la violation de l'article 10 (liberté d'expression), à la violation de l'article 11 (liberté de réunion et d'association) et à la violation de l'article 13 (droit à un recours effectif) de la Convention européenne des droits de l'Homme.

Le Gouvernement refusa de répondre à ces « petites questions » en indiquant son obligation de s'exprimer uniquement devant les organes compétents du Bundestag. Le Gouvernement faisait reposer ce refus sur le souci de préserver certaines informations relatives aux services de renseignement, notamment leurs techniques d'investigation ou leur degré de connaissances. Le gouvernement indiqua par ailleurs qu'il avait déjà fait un rapport sur la question destiné à l'organe de contrôle parlementaire des services de renseignement (Parlamentarisches Kontrollgremïuni). Il

54 CCF, 2e Chambre, décision du 1er juillet 2009, 2 BvE 5/06.

55 Requête n° 62332/00.

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précisa qu'il avait également pris position sur les conditions juridiques et les limites de la surveillance des députés par les services de renseignement devant le comité des doyens du Bundestag.

S 'agissant des demandes relatives aux informations détenues par les services de renseignement antérieures à la neuvième législature (1980), le Gouvernement répondit que la loi l'obligeait à détruire ces informations anciennes et par conséquent que les données n'étaient plus disponibles.

Les requérants formèrent donc un recours entre organes de l'Etat devant la Cour constitutionnelle pour faire reconnaître la violation par le Gouvernement des droits du Bundestag.

Dans sa décision, la Cour constitutionnelle constate que le Gouvernement, en refusant de répondre aux "petites questions" a porté atteinte aux droits des requérants garantis par l'article 38 al. 1 phrase 2 LF (les députés sont les représentants de l'ensemble du peuple) ainsi qu'à ceux du Bundestag garantis par l'article 20 al. 2 phrase 2 LF (Le peuple exerce le pouvoir au moyen d'élections et de votations et par des organes spéciaux investis des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire).

La Cour souligne notamment que le Gouvernement ne peut se délier de ses obligations vis-à-vis du Bundestag en remettant un rapport à une autre instance parlementaire. Par ailleurs le refus général du Gouvernement d'informer le Bundestag est inconstitutionnel. Certaines requêtes sont cependant considérées comme non recevables dans la mesure où elles avaient pour objet d'obliger le Gouvernement à fournir les renseignements demandés.

Il ressort clairement de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale, que la conjugaison de l'article 38 al. 1 phrase 2 et de l'article 20 al. 2, phrase 2 LF fonde une obligation pour le Gouvernement d'informer le Bundestag et de répondre à ses questions. Il est également clair que le devoir d'information du Gouvernement comprend un certain nombre de limites mais celles-ci ne peuvent être précisées qu'au cas pas cas. Par exemple, lorsque des informations touchent des points tenus secrets pour des raisons qui tiennent à l'intérêt de la Fédération ou d'un Land. Il faut dans ce cas savoir si la demande de renseignement est compatible avec le droit à l'information parlementaire.

Cette décision est l'occasion pour la Cour constitutionnelle de souligner le rôle de l'organe de contrôle parlementaire des services de renseignement {Parlamentarisches Kontrollgremium). Celui-ci n'a qu'un rôle complémentaire par rapport aux autres moyens de contrôle du Bundestag. Cela signifie que le Gouvernement ne doit pas considérer qu'il a rempli ses obligations constitutionnelles d'information en s'adressant uniquement à cet organe de contrôle.

Dans le cas contraire, les droits d'information du Bundestag quant aux activités des services secrets auraient été fortement réduits par la création de cet organe alors que l'objectif du législateur était bien l'inverse. Cela vaut également pour les autres organes du Parlement. D'une façon générale, la mise en place d'une commission d'enquête ou la saisine du comité des doyens ne retire pas au Bundestag le droit de poser des questions au Gouvernement et d'obtenir une réponse.

De la même façon que dans sa décision du 17 juin 2009, la Cour constitutionnelle souligne que le Gouvernement ne peut refuser de répondre aux questions qui lui sont posées que dans la mesure où il apporte une justification suffisamment détaillée. Le Gouvernement doit en effet permettre au Bundestag d'assurer sa mission de contrôle de manière effective : les organes constitutionnels sont tenus d'avoir une certaine considération les uns envers les autres.

Ce n'est que s'il est suffisamment informé, grâce une justification détaillée des problèmes posés par ses questions, que le Bundestag est en mesure de choisir entre

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