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Chronique-Allemagne

BIEN, Florian, et al.

BIEN, Florian, et al. Chronique-Allemagne. Annuaire international de justice constitutionnelle, 2005, vol. XX-2004, p. 461-503

DOI : 10.3406/aijc.2005.1775

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:103697

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Allemagne

Florian Bien

,

Stéphanie Dagron

,

Constance Grewe

,

Francis Limbach

,

Xavier Volmerange

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Bien Florian, Dagron Stéphanie, Grewe Constance, Limbach Francis, Volmerange Xavier. Allemagne. In: Annuaire international de justice constitutionnelle, 20-2004, 2005. Justice constitutionnelle, justice ordinaire, justice supranationale : à qui revient la protection des droits fondamentaux en Europe ? - La révision de la Constitution. pp. 461-503;

doi : https://doi.org/10.3406/aijc.2005.1775

https://www.persee.fr/doc/aijc_0995-3817_2005_num_20_2004_1775

Fichier pdf généré le 15/06/2018

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ALLEMAGNE

par Florian BIEN, Stéphanie DAGRON, Constance G RE WE, Francis LIMBACH et Xavier VOLMERANGE *

I - Statistique des décisions de la Cour fédérale — II - Organisation et activité des pouvoirs publics ; A - Partis politiques ; 1 ) Répartition des sièges des partis à la commission de conciliation ("VermittlungsausschussJ ; 2) Loi sur les partis politiques : quorum des trois Lander ; 3 ) Présentation des comptes ; B - Répartition des compétences entre le Bund et les Lander ; 1) Le placement des détenus ; 2) Les horaires d'ouverture des magasins ; 3 ) Loi portant principes généraux de l'enseignement supérieur et créant la catégorie des professeurs junior ; C - État de droit et démocratie ; D - Procédure devant la Cour constitutionnelle : recours constitutionnel pour non respect de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme ; 1) La première décision en date du 1 4 octobre 2004 ; 2) La seconde décision du 28 décembre 2004 — III - Droits fondamentaux ; A - Vie privée, dignité humaine ; 1) Espionnage de domicile et écoutes; 2) Surveillance des liaisons postales et des télécommunications par les autorités douanières ; B - Le contentieux des droits fondamentaux en matière pénale ; 1) Le régime des mesures de sûreté ; 2) Menaces de mauvais traitement par les services de police contre un individu soupçonné d' enlèvement ; 3) Conduite d'un véhicule après consommation de cannabis ; C - Les droits fondamentaux de procédure ; 1 ) Devoir des juridictions de prendre en compte les moyens des parties et de procéder aux mesures d'instructions nécessaires ; 2) Droit à être relevé de forclusion suite à une erreur du tribunal ; D - Le contentieux des étrangers ; 1 ) L'expulsion vers la Turquie; 2) L' extradition vers l'Italie; E - Les libertés d'expression et de manifestation;

1) Rétention dune brochure d information adressée à un détenu; 2) Manifestation du NPD contre le financement de la construction d'une synagogue ; F - La liberté professionnelle ; 1 ) La

Florian BIEN, Maître de Conférences associé à l'Université de Paris I ; Stéphanie DAGRON, Docteur en droit, chargée de recherches à l'Institut fiir deutsches und europàisches Verwaltungsrecht ; Constance GREWE, Professeur à l'Université Robert Schuman, Strasbourg, Directrice de

l'Institut de recherche Carré de Malberg ; Frédéric LiMBACH, Docteur en droit, Assistant à la Faculté de droit de l'Université de Kiel ; Xavier VOLMERANGE, Maître de Conférences à l'Université de Rennes I.

Annuaire international de justice constitutionnelle, XX-2004

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condamnation dun avocat pour blanchiment d argent ; 2) La lutte contre les chiens dangereux;

3 ) La loi sur les horaires d'ouverture des magasins ; G - Le droit de la famille ; 1 ) Nom marital, liberté de choisir le nom dun précédent mariage; 2) Droit à la suspension dun procès pénal pour inaptitude médicale.

* * *

I - STATISTIQUE DES DÉCISIONS DE LA COUR FÉDÉRALE

La tendance vers un nouvel accroissement du contentieux, perceptible en 2003, continue en 2004. 5589 affaires sont entrées au cours de cette année contre 5200 en 2003. Les recours individuels s'élèvent en 2004 à 5434 contre 5055 en 2003. Parmi ceux-ci, ce sont toujours les procédures dirigées contre les jugements qui dominent largement. Les autres voies de recours, y compris d'ailleurs les recours individuels dirigés contre des lois ou des actes administratifs, occupent une place fort modeste.

La Cour a jugé 5612 affaires dont 5468 recours constitutionnels en 2004 contre 4735 en 2003 dont 4578 recours constitutionnels. Toutefois, 2686 affaires restent en stock au 3 1 décembre 2004 contre 2709 en 2003.

II - ORGANISATION ET ACTIVITÉ DES POUVOIRS PUBLICS A - Les partis politiques

1 ) Répartition des sièges au sein de la commission de conciliation (V ermittlungsausschuss)

C'est dans le cadre d'un conflit entre organes que le groupe politique CDU-CSU au Bundestag a saisi la Cour pour déclarer inconstitutionnelle la décision prise par le Bundestag de choisir une méthode de calcul pour déterminer la répartition des sièges au sein de la commission de conciliation. La réunion de cette commission composée de membres du Bundestag et du Bundesrat peut être demandée par le Bundesrat en vue de la discussion commune des textes, comme le prévoit l'article 77 al. 2 de la Loi fondamentale.

Cette commission est composée de 32 membres. Chaque Land dispose d'une voix et les 16 autres voix doivent être attribuées aux représentants du Bundestag en tenant compte de la représentativité des différents groupes politiques.

Le mode de calcul retenu pour l'attribution des sièges des représentants du Bundestag aboutissait au résultat suivant : ayant obtenu 41,63 % des suffrages exprimés, le SPD dispose de 251 sièges au Bundestag et 8 sièges à la commission de conciliation (c'est-à-dire 50 %). En revanche, la CDU-CSU avec 41,13 % des voix et 248 sièges n'en obtenait que 6 (c'est-à-dire 37,5 %), les deux autres sièges restants étant attribués aux Verts et au FDP. Cela signifie qu'un siège à la commission de conciliation représente

3 1 sièges au Bundestag pour le SPD, 41 pour la CDU-CSU.

La Cour constitutionnelle est donc confrontée à deux principes qui peuvent se révéler contradictoires en présence d'une très faible majorité. Faut-il faire prévaloir le principe de l'exacte représentativité des différents groupes politiques (ou du moins s'en approcher puisqu'il s'agit de commissions restreintes) ou faut-il faire prévaloir le principe de la logique parlementaire majoritaire ? Dans les autres commissions parlementaires, le problème se pose avec moins d'acuité puisqu'il est possible de

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modifier légèrement le nombre de représentants au sein des commissions pour concilier ces deux principes et éviter une situation de blocage. Ce n'est pas le cas pour cette commission, composée à parité de membres du Bundestag et du Bundesrat.

La Cour souligne que le reflet le plus fidèle possible des différents groupes politiques au sein des commissions permet de respecter l'article 38 de la Loi fondamentale qui pose les principes de la liberté et de l'égalité du suffrage. Ces principes ne doivent pas seulement jouer au moment de l'élection mais également tout au long du mandat de député. Le rapport de force entre les différents groupes politiques au Bundestag doit donc se refléter dans les 16 sièges représentant le Bundestag dans la commission de conciliation. Celle-ci bénéficie d'une certaine indépendance dans la procédure parlementaire puisqu'elle limite l'autonomie du Bundestag et Bundesrat dans la procédure législative : ainsi par exemple selon l'article 77 al. 2 phrase 5 LF, si la commission propose une modification du texte de loi adopté, le Bundestag doit se prononcer à nouveau.

Cependant le principe de la représentation la plus fidèle possible pour les sièges du Bundestag au sein de la commission ne s'applique pas de manière illimitée : la Cour constate que la Loi fondamentale organise un système dans lequel est recherché une majorité stable afin d'éviter les errements de la Constitution de Weimar. C'est par exemple le cas de la motion de défiance constructive prévu à l'article 67 de la Loi fondamentale.

En se penchant sur le rôle et la fonction de la commission de conciliation, la Cour estime qu'il n'est pas indispensable que la logique de la majorité parlementaire soit strictement respectée s 'agissant des sièges attribués aux représentants du Bundestag au sein de commission. En effet, celle-ci a simplement pour mission de rapprocher des opinions différentes entre le Bundesrat et le Bundestag. Par ailleurs, le fait que la moitié des membres de la commission soit composée de représentants du Bundesrat peut même aboutir à une situation dans laquelle un gouvernement majoritaire au Bundestag est minoritaire dans cette commission.

Si la solution retenue dans la décision contestée consistant à attribuer 8 sièges au SPD n'est pas compatible avec le principe de la représentativité la plus fidèle possible, la Cour considère que cette décision peut toutefois être provisoirement justifiée compte tenu de la nécessité d'assurer la continuité du travail législatif. Au moment où cette décision a été prise, il était en effet impossible de trouver à court terme une solution plus équitable sans risquer de retarder les travaux parlementaires.

La Cour adresse cependant une injonction au Bundestag afin que celui-ci modifie son règlement intérieur afin d'assurer une représentativité plus équitable des différents groupes politiques au sein de la commission de conciliation.

Cette décision en demi-teinte explique les deux opinions divergentes exprimées

par trois juges de la Cour constitutionnelle. X.V.

2) Loi sur les partis politiques : quorum des trois Lânder 1

Deux petites formations politiques contestaient devant la Cour constitutionnelle les nouvelles dispositions de la loi sur les partis politiques qui devaient entrer en vigueur le 1er janvier 2005. Selon la nouvelle mouture de la loi, un parti politique ayant obtenu moins de 0,5 % des voix aux dernières élections législatives et européennes n'aurait pu obtenir une partie de la subvention publique 1 BverfG, 2 BvE 1/02, Jugement de la seconde Chambre du 26 oct. 2004,

http ://www.bverfg.de/entscheidungen/es2004l026 2bve000102.html

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qu'à la condition d'avoir obtenu au moins 1 % des voix aux dernières élections du Landtag dans au moins trois Lander ou 5 % dans un seul Land.

Selon la Cour, le droit des partis politiques à l'égalité des chances (article 3 et 21 LF) est étroitement lié au principe d'universalité et d'égalité des suffrages. Il interdit d'opérer une différenciation et trace une limite stricte au législateur car l'Etat ne doit pas fausser la compétition politique. La Cour donne donc raison aux requérants en constatant que les plus petits partis subiraient, du fait de cette disposition législative, une aggravation de leur situation financière par rapport aux autres partis qui parviendraient à se hisser au dessus du seuil du quorum de trois Lànder : cette différence de traitement, n'est constitutionnellement pas fondée.

Le législateur fédéral avait fait valoir que le 1 % des voix était facile à obtenir dans les villes-Etats (Brème, Hambourg et Berlin). La Cour constate que les résultats des élections entre ces trois villes au statut particulier et le reste des Lander ne se différencient pas de manière substantielle.

La Cour relève par ailleurs que l'introduction de cette disposition conduit au

« tout ou rien » pour les partis politiques alors même que les subventions publiques sont calculées en fonction de deux critères : d'une part le nombre de voix obtenues lors des élections et d'autre part les revenus propres du parti politique. Le croisement de ces deux critères est un bon indicateur de l'enracinement d'un parti politique dans la population. Or le fait pour un parti politique de ne pas atteindre le pourcentage de voix requis dans la loi reviendrait à lui supprimer la part de la subvention publique calculée sur les revenus propres de la formation politique (§18 al. 3 phrase 1 n° 3 de la loi).

Cette disposition viendrait en outre restreindre, de manière inconstitutionnelle, le caractère ouvert du jeu politique. La démocratie de la Loi fondamentale est une démocratie pluraliste. Elle se manifeste notamment par la possibilité de créer à tout moment un parti politique. Le « marché politique » doit donc rester ouvert et les petites formations ont également un rôle à jouer dans le paysage politique. La compétition politique entre les partis ne peut s'inscrire dans la durée qu'à la condition de ne pas être limitée uniquement aux forces politiques en présence mais de permettre également à de nouvelles formations de voir le jour. Or une telle disposition rendrait beaucoup plus difficile l'apparition de nouveaux partis, ce qui risquerait de conduire à un appauvrissement de la diversité politique. Avec un tel quorum, tout parti serait pratiquement dans l'obligation d'être actif politiquement dans trois Lander à la fois et de percer immédiatement aux élections.

Cette disposition législative est justifiée, dans l'exposé des motifs, par le souci de financer les partis ayant une signification à l'échelle de la Fédération, ce qui apparaît contraire à la structure fédérale de l'État. Les droits et les garanties des partis politiques posées dans la Loi fondamentale s'appliquent à tous les partis politiques qu'ils aient une assise locale ou fédérale. Peu importe qu'ils soient représentés au Bundestag ou seulement dans un Landtag : un parti politique peut légitimement défendre des intérêts strictement locaux.

Enfin, souligne la Cour, ce n'est pas de cette façon qu'il est possible de lutter contre des petites formations extrémistes puisque seule la Cour constitutionnelle peut interdire un parti politique selon l'article 2 1 al. 2 de la Loi fondamentale.

X.V.

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3) Présentation des comptes des partis politiques 2

Après avoir déposé le 30 septembre 1999 les comptes pour l'année 1998, la CDU les a modifiés le 30 décembre 1999, c'est-à-dire toujours dans les délais légaux : le § 23 alinéa 4 de la loi sur les partis politiques du 31 janvier 1994 prévoit que les partis politiques ont jusqu'au 31 décembre pour déposer leurs comptes de l'année précédente au Président du Bundestag. Cette modification de dernière minute concernait des rentrées d'origine indéterminée entre 1993 et 1998 qui n'avaient pas été pris en compte.

Une affaire est alors révélée en janvier 2000 : en 1983, la fédération de la CDU du Land de Hesse avait placé 20,8 millions de DM en Suisse puis au Liechtenstein. Or ce capital représente encore 18 millions de DM en 1998 qui n'apparaissent ni dans le dépôt initial du compte du 30 septembre 1999, ni dans sa version corrigée du 30 décembre 1999. Ce n'est que fin janvier 2000 que la CDU présenta les comptes exactes du parti pour l'année 1998 en y incluant ces 18 millions de DM.

Ces revenus ne sont pas sans incidence sur le calcul de la subvention accordée à la CDU. Le § 18 de la loi sur les partis politiques prévoit tout d'abord que la subvention publique accordée à l'ensemble des partis politiques ne peut pas être supérieure à 230 Millions de DM. Pour la subvention qui est accordée annuellement à chacun des partis politiques, deux éléments doivent être pris en considération. D'une part, le nombre de voix obtenues (1 DM par voix) et, d'autre part, les revenus des partis politiques (0,50 DM pour chaque Mark obtenu grâce aux cotisations des adhérents ou à des dons), sachant que le montant de la subvention accordée à un parti politique ne peut pas être supérieur à son revenu propre.

À la suite de cette révélation, le Président du Bundestag recalcule le montant annuel de la subvention publique accordée à la CDU à 35.246.225 DM alors que ce montant avait été précédemment fixé et partiellement versé à 76.594.1 12 DM, ce qui conduisait la CDU à rembourser la somme de 35.848.036 DM. Le président du Bundestag avait pris cette décision en se fondant sur le § 19 alinéa 4 de la loi selon lequel lorsqu'un parti politique n'a pas déposé au 3 1 décembre ses comptes définitifs et sincères, la subvention est calculée sans tenir compte des revenus du parti politique. La somme qui n'a pas été attribuée à ce parti politique est répartie entre les autres formations politiques.

N'ayant pas obtenu gain de cause devant la justice administrative, la CDU se tourne alors vers la Cour de Karlsruhe en se fondant notamment sur l'article 2 1 alinéa 1 de la Loi fondamentale : « Les partis politiques concourent à la formation de la volonté politique du peuple. Leur fondation est libre. Leur organisation interne doit être conforme aux principes démocratiques. Ils doivent rendre compte publiquement de la provenance et de l'emploi de leurs ressources ainsi que de leurs biens ».

Le juge de Karlsruhe rappelle que cette exigence constitutionnelle de publicité et de transparence des comptes vise à identifier les soutiens que peut avoir un parti politique. Il ne suffit pas qu'un parti ait déposé ses comptes dans les délais ; encore faut- il que ces comptes soient sincères. Ce n'est que dans l'hypothèse où les comptes présentés par un parti politique sont complets et sincères que celui-ci remplit les

exigences constitutionnelles contenues à l'article 2 1 de la Loi fondamentale.

Le fait que le parti perde le droit de toucher la subvention publique doit s'analyser comme la conséquence juridique du manque de coopération d'un parti à la procédure de fixation des aides publiques. Or l'électeur doit être en mesure de savoir 2 BverfG, 2 BvR 383/03, décision de la seconde chambre du 17 juin 2004,

http ://www. bverfg.de/entscheidungen/rs200406l7 2bvr038303.html

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quels intérêts il soutient en donnant sa voix à un parti politique. Lorsqu'un parti politique ne remplit pas ses obligations, l'État n'est pas dans l'obligation de lui verser une subvention car il n'existe pas un droit constitutionnel à obtenir un financement public pour un parti politique.

Le fait que les fonds qui n'ont pas été attribués au parti fautif soient ensuite répartis entre les autres partis politiques ne porte pas atteinte au principe d 'égalité entre les partis politiques dans la mesure où la même règle s'applique à eux : tous les partis sont à égalité pour répondre aux exigences posées par la loi et bénéficier du système de financement public.

Cette décision a fait l'objet d'une opinion dissidente de deux juges de la Cour constitutionnelle (Di Fabio et Mellinghoff) qui ne suivent que partiellement le raisonnement suivi par les juges majoritaires. Ils leur reprochent notamment de ne pas examiner strictement les arguments de nature constitutionnelle : les conditions dans lesquelles des sanctions peuvent être prononcées à l'encontre d'un parti qui ne respecte pas ses obligations relèvent uniquement de la loi car la Constitution reste muette sur ce point. Ils constatent en outre que les moyens publics alloués aux partis politiques ont des incidences sur les campagnes électorales et le fait qu'un parti ne reçoive pas les fonds escomptés vient considérablement limiter son pouvoir d'action. X.V.

B - Répartition des compétences entre le Bund et les Lander

Trois affaires retiennent particulièrement l'attention à cet égard : c'est d'abord l'articulation des compétences de législation concurrente, problème posé par les lois de Bavière et de Sachsen-Anhalt en matière de mesures de sûreté, ensuite la situation transitoire entre l'ancien art. 72 al. 2 et le nouveau en matière d'horaires d'ouverture des magasins et enfin la loi-cadre fédérale portant principes généraux de l'enseignement supérieur.

1) La nouvelle réglementation de la législation concurrente : le placement des détenus 3

Dans cette décision, la Cour constitutionnelle fédérale était saisie par la voie de recours individuels de la constitutionnalité des lois de Bavière et de Saxe-Anhalt relatives à la prolongation des peines de prison des détenus récidivistes particulièrement dangereux. Après avoir tenté sans succès de renforcer la législation fédérale par l'intermédiaire du Bundesrat, la Bavière (loi du 24 décembre 2001) et la Saxe-Anhalt (loi du 6 mars 2002) avaient adopté deux lois qui permettaient de prendre des mesures de placement à l'encontre de prisonniers dont la libération était

imminente mais le comportement en prison avait révélé la dangerosité.

La Cour déclare que les lois contestées portent atteinte à la répartition des compétences opérées par la Loi fondamentale mais restent cependant applicables jusqu'au 30 septembre 2004.

En effet, selon l'article 30 de la Loi fondamentale, l'exercice des pouvoirs étatiques et l'accomplissement des missions de l'Etat relèvent des Lander à moins que la Loi fondamentale n'en dispose autrement ou admette un autre règlement. L'article 74 énonce la liste des matières qui relèvent de la compétence législative concurrente de la Fédération parmi lesquelles on trouve le droit pénal. Les principes qui régissent cette compétence sont posés à l'article 72 : les Lander ont le pouvoir de légiférer aussi 3 Jugement de la seconde Chambre du 10 février 2004, 2 BvR 834/02, EuGRZ 2004, 89 ss.

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longtemps et pour autant que la Fédération n'a pas fait par une loi usage de sa compétence législative.

La première question que devait résoudre la Cour était donc celle de savoir si les mesures législatives prises par les Lander entraient bien dans le champ du droit pénal que la LF ne définit pas plus précisément. Le doute était en effet permis puisque les dispositions législatives avaient a priori un caractère essentiellement préventif (éviter de remettre en liberté des détenus particulièrement dangereux ayant purgé leur peine) et non répressif. La Cour se livre alors à une interprétation littérale, historique, systématique et téléologique du droit pénal et en conclut que celui-ci a une double dimension : répressive et préventive dès lors qu'il existe un lien avec une infraction. Or les mesures de placement inscrites dans les lois des Lander ne peuvent s'appliquer qu'à des condamnés qui purgent une peine privative de liberté : le fait constitutif de l'infraction qui a donné lieu à la peine de prison est donc la condition sine qua non de la mesure de placement prise par la chambre d'application des peines en vertu des lois fédérées. Le fait que cette mesure intervienne au cours de la détention et après le

jugement n ote pas à celle-ci son caractère pénal.

Se posait dès lors la question de savoir si, s'agissant d'une matière relevant de la législation concurrente, les Lander étaient habilités à intervenir. Il était en effet possible de considérer que la législation contestée venait compléter la législation fédérale et par conséquent ne portait pas atteinte à la répartition des compétences de l'article 72 de la Constitution. La Cour insiste sur l'effet suspensif d'une intervention de la Fédération dans le domaine de la législation concurrente. L'interdiction pour les Lander d'agir en la matière ne dépend pas du caractère incomplet de la législation fédérale. En d'autres termes, peu importe que la législation d'un Land améliore ou contredise la Loi fédérale : celui-ci ne dispose de toute façon pas de la compétence l'autorisant à intervenir. Par ailleurs, la loi fédérale du 26 janvier 1998 sur la lutte conte les délits sexuels et infractions dangereuses manifeste, aux yeux du juge constitutionnel, la volonté du législateur d'user de la plénitude de ses compétences en la matière. On était ici dans une configuration originale puisque, si le législateur fédéral n'avait rien prévu s'agissant du maintien en détention des prisonniers dont la dangerosité avait été révélée lors de la peine de prison, c'est parce le Bundestag et le Bundesrat étaient d'avis que cette question relevait de la compétence des Lander. La Cour souligne que l'erreur ainsi commise par le législateur fédéral n'ouvre pas un titre de compétence au profit des Lander en l'absence d'une base législative fédérale.

Enfin le juge constitutionnel décide que les lois pourtant déclarées inconstitutionnelles resteront en vigueur jusqu'au 30 septembre 2004 : il procède à une mise en balance des intérêts entre la nécessaire protection de la société considérée comme l'une des missions de l'État et l'atteinte aux droits fondamentaux des détenus concernés par ces dispositions législatives. Une solution inverse conduirait en effet à remettre immédiatement en liberté des détenus récidivistes alors même que les juges décidant de la prolongation de la peine les avaient considérés comme potentiellement très dangereux.

Trois juges de la Cour constitutionnelle ont exprimé une opinion dissidente en estimant que le maintien d'une loi jugée inconstitutionnelle ne pouvait être admise qu'à des conditions très strictes qui, selon eux, n'étaient pas constituées. Selon eux, l'obligation de l'Etat de protéger les personnes contre de dangereux criminels n'a pas été prise en considération dans cette décision alors même que les Lander disposent des moyens nécessaires pour surveiller ces anciens détenus. Ils considèrent en outre que l'annulation différée de la loi porte atteinte à l'article 104 al. 1 phrase 1 de la Loi fondamentale selon lequel la liberté de la personne ne peut être restreinte qu'en vertu d'une loi formelle et dans le respect des formes qui y sont prescrites. X.V.

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2) La législation concurrente : les horaires d'ouverture des magasins

Le jugement du 9 juin 2004 4 relatif à la loi fédérale sur les horaires d'ouverture des magasins n'intéresse pas seulement les droits fondamentaux {infra) mais également

la répartition des compétences.

C'est en effet la première fois que la CCF se prononce sur la portée de l'article 125a al. 2 LF. En sa qualité de norme de transition, cette disposition fixe le destin d'une loi fédérale édictée en vertu de l'article 72 al. 2 LF dans sa version en vigueur jusqu'à la révision constitutionnelle du 15 novembre 1994. Une telle norme de transition s'était avérée nécessaire dans la mesure où le nouveau texte de l'article 72 al. 2 LF a limité les conditions dans lesquelles la Fédération peut légiférer dans le domaine des compétences législatives dites concurrentes, énumérées aux articles 74, 74a et 105 al. 2 LF. Ainsi l'article 125a al. 2 LF dispose qu'une loi fédérale antérieure au 15 novembre

1994 ne répondant plus aux exigences renforcées de l'article 72 al. 2 LF nouveau reste en vigueur en tant que droit fédéral. Néanmoins, le législateur fédéral peut autoriser les Lànder à remplacer cette loi par du droit fédéré.

La CCF constate d'abord que la loi sur les horaires d'ouverture des magasins ne satisfait pas aux exigences posées par l'article 72 al. 2 LF nouveau. Selon la Cour, ni l'objectif relatif à la réalisation de conditions de vie équivalentes sur le territoire fédéral, ni la sauvegarde de l'unité juridique ou économique dans l'intérêt de l'ensemble de l'Etat ne rendent nécessaire une loi fédérale dans le domaine des horaires d'ouverture des magasins. Néanmoins, en bénéficiant de l'article 125a LF, la loi fédérale ne reste pas seulement en vigueur après le 15 novembre 1994, mais - et là réside l'apport principal de la décision - la Cour accorde au Bund le droit de modifier la réglementation fédérale toujours en vigueur. D'après l'interprétation de la norme donnée par la Cour, les Lander , en revanche, ne disposent d'une compétence pour modifier une telle loi que si la Fédération les y autorise expressément.

Le juge de Karlsruhe donne ensuite quelques précisions sur un autre problème, étroitement lié à la compétence de principe qu'il attribue à la Fédération pour modifier une loi entrant dans le champ d'application de l'art. 125a al. 2 LF. Il s'agit de savoir si la Fédération est entièrement libre d'accorder ou non aux Lander une autorisation de modification d'une telle loi. La réponse donnée par la Cour constitue une sorte de compromis entre d'une part l'objectif de sauvegarde des compétences législatives des Lander telles qu'elles leur sont accordées par l'art. 72 al. 2 LF nouveau, et d'autre part le danger d'un immobilisme législatif engendré par la crainte du Bund de perdre sa compétence, ce qui l'empêcherait de modifier la loi. Ainsi la CCF juge que la compétence d'appréciation du législateur pour autoriser de remplacer une loi fédérale par une norme de droit fédéré n'est pas a priori illimitée. La Fédération ne dispose de ce pouvoir discrétionnaire que lorsque et pour autant qu'il s'agit de modifications de détail. Mais lorsque la réglementation fédérale ne satisfait plus aux exigences de l'art.

72 al. 2 LF et qu'une réforme fondamentale s'avère nécessaire, les Lander ont la compétence exclusive. Dans ce cas, la compétence fédérale d'appréciation se limiterait à autoriser les Lander à modifier la loi par une réglementation fédérée. En l'espèce, la Cour considère cependant les modifications subies par la loi sur les horaires d'ouverture des magasins après le 15 novembre 1994 comme trop mineures pour rentrer dans cette

4 BVerfG 1 BvR 636/02, jugement de la première chambre du 9 juin 2004, WRP 2004, 869-884 ; WM 2004, 1298-1306 ; GewArch 2004, 289-296 ; DB 2004, 1504-1505 ; DVBl 2004, 889- 898 ; NJW 2004, 2363-2371 ; VR 2004, 387-395 ; ZevKR 49, 781-785 (2004); AP Nr 135 zu Art 12 GG ; BayVBl 2005, 142-143.

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catégorie. Elle estime donc que la loi est conforme aux exigences constitutionnelles formelles.

A l'avenir, il reviendra à la Cour de préciser quels sont les éléments qui rendent la modification d'une loi à laquelle s'applique l'art. 125a al. 2 LF suffisamment importante pour que le Bund soit contraint de déléguer sa compétence législative de

principe aux Lander. F.B.

3) La législation-cadre : les professeurs junior 5

La loi du 16 février 2002 6 avait suscité l'émoi de la communauté universitaire d'outre-Rhin, car, sous couvert d'améliorer le sort des enseignants-chercheurs allemands dans la compétition internationale, elle instituait une nouvelle catégorie de professeurs contractuels, les professeurs junior destinés à remplacer ou à refouler le mode de recrutement traditionnel de l'habilitation. Les gouvernements des Lander de Bavière, de Saxe et de Thuringe se sont fait les porte-parole de l'opposition à cette nouvelle structure universitaire en introduisant devant la CCF une procédure en contrôle abstrait des normes contre la loi-cadre. Les requérants mettent en cause la compétence du Bund d edicter une loi-cadre aussi complète, aussi détaillée, une loi d'application directe qui prive les lois fédérées à venir de toute substance politique propre.

Outre ce moyen, principalement examiné par la Cour, les requérants invoquent le vice de procédure de l'absence d'approbation (Zustimmung ) du Bundesrat alors que la loi comporte des aspects d'organisation administrative. Sur le fond, ils critiquent surtout une atteinte à la liberté de la science et au principe d'égalité.

Dans son jugement du 27 juillet 2004, la Cour donne droit à cette contestation et annule la loi dans son intégralité. Une minorité de trois juges 7 y joint une opinion dissidente prenant l'exact contre-pied de la majorité en estimant que la loi-cadre entrait dans les compétences du Bund.

La Cour construit sa motivation sur un schéma classique : elle dégage d'abord les principes qui s'appliquent à la matière avant d'examiner la loi in concreto. Les principes sont régis par quatre limitations inhérentes à la loi-cadre. Il s'agit d'abord de l'idée que la législation fédérale ne saurait dépasser en l'occurrence qu'un simple encadrement. Evoquant les traits traditionnels de la législation-cadre, la Cour rappelle que celle-ci doit laisser à la réglementation législative des Lander une marge substantielle traduisant leur pouvoir politique propre. Elle insiste ensuite sur la réforme constitutionnelle de 1994 dont l'objectif a été d'endiguer la centralisation législative et de renforcer le caractère « coopératif » de la législation-cadre. La Cour se voit alors incitée à renforcer son contrôle sur les lois-cadre pour que ces dernières se bornent à indiquer une orientation et éventuellement des limites mais préservent l'existence possible de solutions fédérées diversifiées. Ce rappel s'avère d'autant plus important que, dans le domaine de l'enseignement supérieur (art. 75, al. 1, n° la), la limitation de la loi-cadre est renforcée par l'indication expresse que seuls les principes généraux peuvent être édictés par le Bund. La troisième limite de la loi-cadre résulte du principe selon lequel les règles détaillées et les dispositions directement applicables sont exclues et admises seulement à titre exceptionnel (art. 75, al. 2). La Cour précise qu'elle est appelée à vérifier la relation entre le principe et l'exception et que, dans cette optique, les dispositions détaillées ou directement applicables doivent demeurer, sur le plan 5 Jugement de la seconde Chambre du 27 juillet 2004, 2BvF 2/02, EuGRZ 2004, 503-520.

6 BGBl. I, 693

7 Mmes Osterloh et Liibbe-Wolff et M. Gerhardt

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quantitatif et qualitatif, des éléments mineurs. La quatrième limitation est constituée par les conditions d'intervention d'une réglementation fédérale identiques à celles de la législation concurrente (art. 72, al. 2 LF). Ainsi une réglementation fédérale doit être nécessaire, soit afin d'établir des conditions de vie équivalentes, soit pour préserver l'uniformité juridique ou économique.

Les principes étant ainsi fixés, la Cour examine ensuite la loi en cause qui, selon elle, ne satisfait nullement à ces exigences. Tout d'abord, si les dispositions relatives aux professeurs junior s'inscrivent dans la compétence fédérale pour déterminer « le statut des personnes au service des Lander , des communes et d'autres collectivités de droit public » (art. 75, al. 1, n° 1 LF), elles dépassent cependant très largement cet objet pour restructurer complètement l'organisation et les principes de gestion de l'enseignement supérieur. De ce fait, elles doivent être appréciées sous l'angle de la compétence fédérale en matière de « principes généraux de l'enseignement supérieur » (art. 75, al. 1, n° la LF), car autrement le Bund pourrait se servir de l'instrument du droit de la fonction publique pour ignorer les conditions plus restrictives de sa compétence en matière de principes généraux de l'enseignement supérieur. Or, la loi crée une nouvelle catégorie de professeurs, elle modifie profondément l'accès au professorat ainsi que les qualifications nécessaires des jeunes chercheurs.

La Cour déclare ainsi que la substance de la nouvelle législation concernant la qualification et le recrutement des professeurs dépasse le cadre admissible pour une législation fédérale en matière d'enseignement supérieur. La densité normative de ces dispositions empêche les Lander d'organiser ce domaine central de manière autonome.

Le législateur fédéral a déterminé les conditions d'accès au statut de professeur de manière exhaustive en érigeant en règle la modalité d'accès du professeur junior et en stipulant que les autres travaux scientifiques ne doivent pas faire l'objet d'un examen séparé. Ces dispositions sont dirigées contre l'habilitation en tant qu'examen de l'enseignement supérieur. Dans l'avenir, le professeur junior doit donc remplacer l'habilitation celle-ci n'étant même pas prévue à titre d'exception à la règle du professeur junior. La liberté normative des Lander est en outre limitée par les dispositions relatives à la qualification des jeunes chercheurs. Cette qualification est désormais réservée à la seule compétence de l'Université qui recrute le professeur junior au détriment de celle dont le chercheur est issu.

Or, les conditions nécessaires pour adopter à titre d'exception en vertu de l'art.

7 5 al. 2 LF une réglementation détaillée ne sont pas remplies. Le Bund n'a pas démontré que cette réglementation est la seule solution possible pour abaisser l'âge de recrutement des professeurs et pour diminuer la dépendance personnelle et disciplinaire des jeunes chercheurs.

L'institution du professeur junior n'est pas davantage nécessaire pour l'établissement de conditions de vie équivalentes ou pour la sauvegarde de l'unité juridique ou économique. Ce ne serait le cas que si des législations différentes des Lander engendraient un danger, ce que les auditions d'experts n'ont pas démontré.

Comme les dispositions centrales dépassent les limites de la législation-cadre, il en résulte la nullité de la loi entière, ces dispositions centrales commandant tout le dispositif. Cela n'empêche pas toutefois le Bund de poursuivre ses objectifs de réforme à travers l'instrument de la loi-cadre à condition alors de ne prescrire aux Lander que des orientations que ceux-ci devraient mettre en œuvre.

Les opinions dissidentes sont certes admises en Allemagne mais elles sont rares.

C'est dans ce contexte qu'il convient d'apprécier l'opinion délivrée par les juges Osterloh, Liibbe-Wolff et Gerhardt dans cette affaire. Les juges minoritaires se déclarent attachés à l'idée selon laquelle la législation est l'instrument de la créativité

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politique. Dans cette optique, ils dénoncent l'interprétation des compétences législatives fédérales par la majorité des juges comme un obstacle à cette créativité qui dégraderait la législation fédérale à un simple instrument de coordination de la législation fédérée et finalement comme une censure politique. Ils considèrent que la Cour aurait dû s'en tenir à examiner la question de savoir si le Bund était compétent pour édicter une nouvelle structure de l'enseignement supérieur et non pas selon quelles modalités il pouvait concevoir de telles structures. Ce faisant, la majorité se serait servie du droit substantiel pour en faire un critère de compétence.

Au-delà de l'opposition politique sous-jacente entre la majorité et la minorité des juges, la juxtaposition de l'arrêt et de l'opinion dissidente met en relief le conflit latent entre fédéralisme et démocratie majoritaire : cette dernière conduit inéluctablement à la centralisation des compétences 8 ainsi que l'évolution de la plupart des fédéralismes européens tend à la montrer alors que l'accent mis sur une répartition stricte des compétences et sur la diversité fédérative freine l'initiative politique de la majorité en place et contraint à des compromis qui ressemblent parfois à une grande coalition cachée. La CCF joue un rôle actif dans cette partie d'équilibre et si, dans le passé, elle a plutôt joué la carte de la démocratie majoritaire en favorisant le mouvement de centralisation législative, elle a, depuis peu, changé de cap et pris le parti de la compétence des Lander , orientation qui vient pourtant d'échouer sur le plan

législatif9. C.G.

C - État de droit et principe démocratique

Le principe démocratique fait partie des principes constitutionnels fondamentaux de l'ordre juridique allemand. Dans une première décision rendue en 1990 10 , la Cour constitutionnelle a reconnu valeur normative à l'art. 20 al. 2 LF selon lequel : « Tout pouvoir d'Etat émane du peuple. Le peuple l'exerce au moyen d'élections et de votations et par des organes spéciaux investis des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire ». Conformément à l'interprétation donnée par la Cour, tous les actes de la puissance publique doivent pouvoir être analysés comme ayant en définitive le peuple pour auteur.

La question de la légitimité démocratique de l'administration s'est posée en 1990 pour les actes des administrations fédérales et fédérées. Elle s'est aussi posée pour les actes adoptés par des institutions spécialisées disposant du droit « d'auto- administration » ifunktionnelle Selbsverwaltung).

Dans sa décision en date du 13 juillet 2004 11 , la première chambre de la Cour s'est ainsi interrogée sur la constitutionnalité de règlements adoptés par les chambres de notaire de Munich et de Leipzig. La Cour était saisie par trois requérants de recours dirigés contre les contributions financières exigées par ces chambres de la part de leurs membres. Les deux premiers requérants étant décédés et aucun héritier n'ayant repris la procédure, la Cour a rejeté leurs requêtes. Concernant le troisième recours, la Cour a conclu à l'inconstitutionnalité des règlements sur lesquels reposait l'avis de contribution. Elle a néanmoins décidé, d'une part, que le requérant devait se conformer à cet avis, les dispositions contestées restant en vigueur et, d'autre part, que le législateur 8 Cf. C. GREWE, Le fédéralisme coopératif en République fédérale d'Allemagne, Economica 1981.

9 Echec réforme du fédéralisme.

10 BverfG, 2 BvF 3/89 du 31 oct. 1998, NJW 1991, p. 159.

11 BVerfG, 1 BvR 1298/94, 1 BvR 1299/95, 1 BvR 1322/95, 1 BvR 613/97, www.

Bundesverfassungsgericht .de

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devait adopter, dans le délai par elle défini, des dispositions législatives conformes à la Constitution pour mettre fin à la situation constatée.

Cette décision confirme la jurisprudence développée en 2002 12 , tout en apportant une certaine souplesse destinée à alléger les contraintes pesant sur les particuliers désireux de s'organiser en dehors de la sphère d'influence de l'État. Pour la Cour, le principe de l'auto-administration fonctionnelle trouve sa source dans le principe démocratique qu'il renforce en autorisant des membres de la société à prendre en charge, au sein d'institutions spécialisées, des activités les concernant directement.

Pour autant, elle précise que le législateur ne peut se décharger totalement de ses responsabilités : lorsqu'il choisit de confier la gestion de certaines activités à des groupements ou institutions spécialisés, il doit définir le cadre législatif à l'intérieur duquel s'inscrit cette activité. Ainsi, les institutions concernées bénéficient d'une légitimation autonome ayant pour source leurs ressortissants et d'une légitimation démocratique découlant du cadre législatif dans lequel elles évoluent.

Ce cadre législatif est plus ou moins étroit selon les intérêts en cause. La Cour distingue ainsi entre, d'une part, les institutions dont l'objet est la mise en œuvre d'un droit fondamental, à l'instar des universités chargées de l'exercice de la liberté d'enseignement (art. 5 al. 3 LF) et, d'autre part, les institutions chargées d'intérêts plus généraux telles les caisses d'assurance sociale mais aussi les chambres professionnelles.

Dans le premier cas, l'autonomie des institutions concernées est particulièrement importante pour l'accomplissement de leur tâche et le cadre législatif doit en conséquence rester le plus souple possible. Dans le second, les institutions en cause représentent un intérêt plus large parfois difficile à distinguer de l'intérêt général. Le cadre imposé par le législateur doit ici être plus précis et contraignant.

En l'espèce, la Cour considère que la protection de la liberté professionnelle (art.

12. al. 1 LF) exige une intervention plus importante du législateur. Celui-ci doit s'assurer que les décisions qui s'imposent aux membres des chambres de notaires sont adoptées de manière démocratique. En d'autres termes, il doit adopter des dispositions législatives déterminant l'organisation interne des institutions, leurs missions et leurs compétences de telle sorte que les décisions adoptées prennent en compte les intérêts des membres dans leur ensemble. Les dispositions législatives contestées sont à cet égard insuffisantes et par conséquent contraires à la Constitution.

D - État de droit et procédure devant la CCF : le respect

de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme par les juridictions allemandes

La CCF s'est prononcée à deux reprises en 2004, à l'occasion de l'affaire Gorgillii touchant à l'interprétation de l'art. 6 LF (exercice de la vie familiale), sur la question de l'effet de la jurisprudence de la CEDH sur les juridictions internes. Une troisième décision devrait être adoptée dans le courant de l'année 2005.

12 BverfG, 2 BvL 5/98 du 5 déc. 2002, NVwZ 2003, p. 974. Il s'agissait d'une requête dirigée contre les activités de deux groupements chargés de la gestion de l'eau. La Cour considère que la gestion administrative de certaines activités par des institutions spécialisées jouissant du droit d'«auto-administration » n'est pas en soi incompatible avec le principe démocratique.

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1) La première décision en date du 14 octobre 2004 13

Dans cette décision, la CCF précise une jurisprudence dont les contours généraux avaient été dessinés dans deux affaires jugées par la Cour en 1985 et 1987 14 et portant sur l'influence de la Convention européenne des Droits de l'Homme et de la jurisprudence de la CEDH sur l'ordre juridique allemand et sur les organes étatiques dans leur ensemble.

Cette décision doit être replacée dans le cadre du « dialogue » qui s'est instauré entre les cours de Karlsruhe et de Strasbourg depuis la décision rendue par la Cour européenne le 24 juin 2004 dans l'affaire Caroline de Hanovre 15 . Dans cette affaire, la Cour européenne avait en effet adopté une position différente de celle de la Cour constitutionnelle fédérale : la requérante avait saisi les juridictions allemandes en vue de faire interdire la publication d'une série de photos au motif qu'elles portaient atteinte à son droit à la protection de sa vie privée et de sa propre image. La Cour constitutionnelle avait fait droit en partie seulement à cette requête : la publication des photos où la requérante apparaissait en compagnie de ses enfants devait être interdite ; en revanche, et en raison de la liberté de la presse et de l'intérêt légitime du public à savoir comment une personnalité « absolue » se comporte d'une manière générale, elle devait tolérer la publication de photos prises dans un lieu public 16 . La CEDH retient une autre interprétation : elle rejette la distinction établie par les juridictions allemandes entre les personnalités « absolues » de l'histoire contemporaine, condamnées à tolérer la publication de photos de scènes de sa vie quotidienne, et les personnalités « relatives » ; elle conclut à l'unanimité à la violation de l'art. 8 de la Convention.

La première décision Gorgiilu de la CCF a engendré de larges critiques de la part de la CEDH. Elle conduit à une relativisation de l'influence de la jurisprudence européenne sur les juridictions internes allemandes, d'un côté, et, de l'autre côté, sur les juridictions de nombreux pays de l'Europe de l'est 17 en raison notamment de l'importance du système allemand de justice constitutionnelle en tant que modèle de référence pour ces États. La presse allemande 18 s'est aussi fait l'écho de cette décision : elle l'interprète comme faisant triompher une vision classique de la « souveraineté » de l'Etat et comme établissant la supériorité, dans certaines circonstances, du droit interne sur le droit international. La réalité n'est cependant pas aussi tranchée.

Tout d'abord, les faits de l'espèce. Le requérant, ressortissant turc, est le père d'un enfant né hors mariage le 25 août 1999-La mère de l'enfant a abandonné son enfant à la naissance en vue d'une adoption sans le consentement du père. Le requérant, qui n'avait plus de contact avec la mère depuis le mois de juillet 1999, a été informé de la naissance de l'enfant et de son adoption en octobre 1999-Il a alors présenté une demande en vue d'obtenir l'autorité parentale sur son fils. Par une décision du 9 mars 2001, le tribunal d'instance (Amtsgericht ) de Wittenberg lui a conféré l'autorité parentale exclusive. Cette décision a été infirmée par le tribunal régional supérieur 0 Oberlandesgericht ) de Naumburg le 20 juin 2001 qui a considéré que confier l'autorité 13 BVerfG, 2 BvR 1482/04 du 14 oct. 2004, EuGRZ 2004, p. 741.

14 Voir l'analyse de ces décisions dans : H.-J. CREMER, Zur Bindungswirkung von EGMR- Urteilen, Anmerkungen zum Gôrgiilii-Beschluss des BverfG vom 14.10.2004, EuGRZ 2004, p. 683 (685).

15 CEDH, Caroline de Hanovre contre Allemagne, décision du 24 juin 2004, EuGRZ 200 4, p. 404.

16 BVerfG, 1 BvR 653/96 du 15 déc. 1999, www.bundesverfassungsgericht.de 17 Voir notamment l'analyse critique de H.-J. CREMER, op. cit., p. 699-

18 Voir par exemple : NZZ du 20 oct. 2004. p. 1, « Karlsruher Urteil gegen StraBburg » ; PAZ du 20 oct. 2004, p. 1, « Karlsruhe : Vôlkerrechtsfreundlichkeit hat Grenzen ».

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parentale au père naturel netait pas dans l'intérêt de l'enfant. Dans la logique de cette décision, le tribunal a aussi décidé la suspension du droit de visite du requérant jusqu'au 30 juin 2002.

Le requérant, suite au rejet de son recours constitutionnel dirigé contre cette décision, a saisi la CEDH en invoquant une violation de ses doits au respect de la vie familiale (art. 8 CEDH) et à un procès équitable (art. 6 § 1 CEDH). La Cour a décidé par un arrêt en date du 26 février 2004 que le refus d'accorder l'autorité parentale et un droit de visite constituait une violation de l'art. 8 de la Convention. Selon cet arrêt, il incombe à l'Allemagne de tenter de réunir les parents naturels et leurs enfants.

L'interdiction des rencontres entre le père biologique et son enfant est une mesure à rejeter car elle conduit à une dangereuse diminution des possibilités de reconstitution de la famille. Le requérant devrait par conséquent se voir au minimum accorder un droit de visite 19 .

Le 19 mars 2004, le tribunal d'instance de Wittenberg a conféré à nouveau au père naturel l'autorité parentale exclusive et a adopté des mesures provisoires afin d'autoriser le droit de visite. À partir du 3 avril 2004 et jusqu'à ce que la procédure judiciaire sur la question de l'attribution définitive de l'autorité parentale soit réglée au fond, le père naturel doit être autorisé à voir son fils pendant deux heures tous les soirs.

Le 30 juin 2004, le tribunal régional supérieur a rejeté cette solution et a annulé le droit de visite au motif qu'une telle décision, si elle prend effectivement en compte les intérêts du père naturel, ne tient pas compte des intérêts de l'enfant. Pour le tribunal, la décision de la CEDH en l'espèce ne change rien à cet état des choses. Son argumentation repose sur les éléments suivants : seule la République fédérale en tant que sujet de droit international, et non les juridictions dont l'indépendance est garantie par l'art. 97 al. 1 LF 20 , est liée directement par les arrêts de la CEDH. La Convention européenne des Droits de l'Homme est placée au même niveau dans la hiérarchie des normes que les lois parlementaires ; la Cour européenne n'est pas une juridiction supérieure aux juridictions nationales qui ne sont pas liées par ses arrêts.

Le recours constitutionnel dirigé contre cette décision repose sur la violation alléguée des art. 1 (dignité humaine), 3 (égalité devant la loi) et 6 (droit à l'exercice de la vie familiale) de la Loi fondamentale ainsi que sur la violation du droit à un procès équitable et plus généralement, sur la violation du droit international entraînée par le non-respect de l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme. Le requérant réclame aussi des mesures provisoires afin qu'un droit de visite soit à nouveau autorisé.

La décision rendue par la Cour constitutionnelle est extrêmement intéressante : au-delà des faits de l'espèce, la Cour précise sa position quant à la question de la

hiérarchie des juridictions nationales et internationales compétentes en matière de droits de l'Homme. Ainsi, avant de se prononcer sur la constitutionnalité de la décision contestée (ii), la Cour fédérale explique le sens à donner à l'art. 46 al. 1 de la Convention européenne des Droits de l'Homme en application duquel les Hautes Parties contractantes se sont engagées à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les arrêts auxquels elles sont parties (i).

(i)-Concernant l'influence en droit interne de la Convention européenne des Droits de l'Homme, le raisonnement de la Cour peut être suivi point par point :

• La Convention européenne des Droits de l'Homme et ses Protocoles additionnels sont des traités internationaux qui ont valeur législative dans l'ordre 19 CEDH, Gorgulu contre Allemagne, décision n° 74969/01 du 26 février 2004, EuGRZ 2004,

p. 700, point 64.

20 Voir l'arrêt du tribunal régional supérieur (OLG Naumburg) du 30 juin 2004, EuGRZ 2004, p. 749.

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juridique interne 21 . Aussi, et bien que les droits protégés par la Convention et ses Protocoles ne soient pas d'application directe en droit interne (art. 93 al. 1 n° 4a LF), cela a pour conséquence que le texte de la Convention et la jurisprudence de la Cour sont incontestablement des éléments à prendre en compte dans le cadre de l'interprétation des droits fondamentaux et principes constitutionnels protégés par la Loi fondamentale.

• Selon la CCF, l'effet ainsi reconnu aux traités internationaux régulièrement incorporés au droit allemand démontre l'ouverture de la Loi fondamentale aux normes du droit international public. Dans le même sens, les art. 23 et 24 LF soulignent l'ouverture de la norme fondamentale allemande, respectivement, à l'intégration européenne et à la coopération internationale. Néanmoins, la Cour précise aussi que cette ouverture n'est pas illimitée : dans le cadre de l'application des traités internationaux, l'interprétation visant à concilier les obligations internationales acceptées par l'Etat allemand d'un côté, et le droit interne, de l'autre, trouve ses limites dans la norme constitutionnelle et dans le cadre imposé par les principes de l'État de droit et de la démocratie22 .

• Conformément à l'art. 46 de la Convention et dans l'hypothèse où la CEDH constate une violation de la Convention, l'État concerné est dans l'obligation d'adopter des mesures générales afin que la partie lésée se retrouve, dans la mesure du possible, dans la situation dans laquelle elle était avant la violation de la Convention.

• La force obligatoire des arrêts de la CEDH s'impose donc directement aux Etats, mais aussi à toutes les autorités de la puissance publique. Les services administratifs internes comme les juridictions sont dans l'obligation de prendre en considération ces arrêts. Néanmoins, cette obligation n'est pas d'application stricte : en effet, les juridictions ne peuvent se défaire, par simple référence à un arrêt de la CEDH, de leur obligation de respecter la loi et le droit (art. 20 al. 3 LF). Leur marge de manoeuvre est la suivante : pour s'acquitter de leur obligation de respecter la loi et le droit, les juridictions doivent prendre en compte les droits protégés par la Convention et l'interprétation qui en est donnée par la CEDH ; plus précisément, dans l'hypothèse où la CEDH aura constaté une violation de la Convention, les juridictions doivent reprendre les arguments de la Cour et les intégrer dans l'opération de mise en balance des intérêts qu'elles effectuent. Elles ne pourront refuser d'appliquer la solution européenne qu'en s'appuyant sur une argumentation précise justifiant l'incompatibilité de cette solution avec une norme de droit interne de rang supérieur.

• Pour la Cour constitutionnelle, cette interprétation de l'effet des décisions de la CEDH s'impose au regard de la multitude et de la sensibilité des intérêts en présence. L'idée est que tous les intérêts en présence dans un conflit d'ordre privé ne sont pas forcément représentés lors de la procédure devant les organes strasbourgeois et qu'il revient par conséquent aux services administratifs ou aux juridictions de rétablir un certain équilibre. Cette interprétation est très subtile : elle n'a pas pour objectif d'autoriser les juridictions à ignorer la jurisprudence de la CEDH pour appliquer une 21 Le législateur allemand doit incorporer ces textes en droit interne conformément à l'art. 59 al. 2 LF qui prévoit : « Les traités réglant les relations politiques de la Fédération, ou relatifs à des matières qui relèvent de la compétence législative fédérale, requièrent l'approbation ou le concours des organes respectivement compétents en matière de législation fédérale, sous la forme d'une loi fédérale ».

22 L'opposition entre l'ouverture internationale de la Loi fondamentale et la volonté de défendre la souveraineté est rappelée à plusieurs reprises (point C.I.l.b de la décision). La Cour précise notamment : « Das Grundgesetz erstrebt die Einfiigung Deutschlands in die Rechtsgemeinschaft friedlicher und freiheitlicher Staaten, verzichtet aber nicht auf die in dem letzten Wort der deutschen

Verfassung liegende Souverànitàt ».

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solution différente. Au contraire, et ainsi que le démontre la loi adoptée en 1998 autorisant la réouverture de certaines affaires au niveau interne suite aux arrêts de la CEDH 23 , les efforts des juridictions doivent être tournés vers une coopération renforcée avec la CEDH, coopération parfois rendue impossible par les circonstances de l'espèce comme cela peut notamment être le cas dans les domaines du droit de la famille ou du droit des étrangers.

(ii)-Application en l'espèce

En l'espèce, la Cour constitutionnelle constate la violation de l'art. 6 LF en relation avec le principe de l'Etat de droit et reproche au tribunal régional supérieur de ne pas avoir suffisamment pris en compte l'arrêt de la CEDH du 26 février 2004. Le tribunal régional aurait dû chercher à adopter une interprétation de l'art. 6 LF conforme aux obligations internationales de l'Allemagne. En l'espèce, il aurait dû s'interroger sur la possibilité d'autoriser un droit de visite ainsi qu'il était exigé par la CEDH.

En outre, la position du tribunal selon laquelle les arrêts de la Cour européenne n'ont de force obligatoire que vis-à-vis des Etats en tant que sujets de droit international et non vis-à-vis des juridictions internes n'est pas acceptable : tous les organes publics de la République fédérale sont liés par la Convention et ses Protocoles et doivent prendre en compte les droits protégés par la Convention dans le sens qui leur est donné par la CEDH. Néanmoins, et ainsi que le précise la CCF, cette obligation est d'application limitée. Elle n'a pas de conséquence en effet sur l'indépendance protégée constitutionnellement du juge allemand qui n'a pas pour rôle d'assurer l'exécution automatique des décisions de Strasbourg.

La Cour constitutionnelle infirme en conséquence la décision contestée du 30 juin 2004 et renvoie l'affaire pour jugement devant le tribunal régional supérieur. Les décisions du tribunal conduisent à la seconde décision de la Cour constitutionnelle dans

cette affaire adoptée en 2004.

2) La seconde décision du 28 décembre 2004 24

Dans cette seconde décision, il était demandé à la Cour constitutionnelle de se prononcer sur la constitutionnalité de la décision adoptée en procédure d'urgence par le tribunal régional supérieur le 20 décembre 2004. Cette décision provisoire suspendait le droit de visite accordé — aussi de manière provisoire et dans l'attente d'un règlement au fond du litige — au père biologique de l'enfant par le tribunal d'instance le 2 décembre 2004. Pour le tribunal régional supérieur et contrairement à la position de la CEDH, les faits de l'espèce justifient de nouvelles investigations et la question du bien- être de l'enfant impose la suspension du droit de visite jusqu'à ce que le litige soit définitivement résolu au fond.

La constitutionnalité de cette décision était contestée sur le fondement de la violation des art. 3, 6 et 101 al. 1 deuxième phrase LF ainsi qu'en raison du non-respect de la décision de la CEDH. La Cour constitutionnelle reconnaît sa compétence pour régler provisoirement le litige en conformité avec l'art. 32 al. 1 de la loi sur la Cour constitutionnelle 25 . En l'espèce, elle admet le recours constitutionnel non seulement parce qu'il est conforme aux exigences procédurales, mais aussi parce qu'il semble

23 Voir : Gesetz zur Reform des strafrechtlichen Wiederaufnahmerechts du 9 juillet 1998, BGBl I, p. 1802.

24 BVerfG, 1 BvR 2790/04 du 28 déc. 2004, EuGRZ 2004, p. 809.

25 Cet art. précise que la Cour « [...] peut provisoirement régler une situation par une ordonnance provisoire si cela s'impose en vue de la mise en garde contre de graves préjudices, de l'empêchement d'une contrainte imminente ou pour toute autre raison importante dans l'intérêt général ».

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reposer sur la violation effective par le tribunal régional supérieur des droits fondamentaux du requérant.

Ainsi, et en premier lieu, la Cour constate que le tribunal n'a pas respecté les dispositions du Code de procédure civile applicables en matière de procédure d'urgence 26 , violant par là même le droit à un juge légal protégé par l'art. 101 al. 1 deuxième phrase LF.

En deuxième lieu, elle vérifie que le tribunal s'est bien conformé aux principes qu'elle avait définis dans sa décision d'octobre 2004 quant à la prise en compte, par les juridictions allemandes, de la jurisprudence de la CEDH. Pour la Cour, il apparaît clairement que le tribunal n'a pas suivi sa décision adoptant un jugement contraire à l'art. 6 al. 2 en combinaison avec l'art. 20 al. 3 LF : le tribunal ne s'est pas interrogé sur les arguments retenus par la CEDH pour fonder sa décision. Notamment, il n'a pas précisé comment pouvait être envisagé le développement d'une vie familiale si aucun contact n'était autorisé entre le père biologique et l'enfant. Il ne s'est pas non plus interrogé sur la théorie soutenue par la Cour européenne selon laquelle il est très important que l'enfant ne soit pas coupé de ses origines biologiques. En outre, le tribunal n'a pas suffisamment justifié son appréciation des conséquences d'un droit de visite tel qu'il était organisé par le tribunal d'instance.

La CCF adopte par conséquent des mesures provisoires autorisant les relations entre le père et le fils — consistant en la reprise de la décision du tribunal d'instance du 2 décembre 2004 -, en mettant en balance les effets de ces mesures dans le cas où le litige au fond serait réglé en faveur ou en défaveur du père biologique. Elle rappelle à cette occasion que la décision de la CEDH favorable au droit de visite joue ici un rôle important et, conformément à sa décision du 4 octobre, qu'il est en principe

(grundsàtzlich ) nécessaire de la prendre en compte. S.D.

III - DROITS FONDAMENTAUX

A - Vie privée, dignité humaine : espionnage de domicile et écoutes En 2004, la CCF a rendu deux décisions dans ce domaine dont celle sur l'espionnage de domicile ou « l'attaque des grandes oreilles » (grosser Lauschangriff) du

3 mars 2004 surtout est importante.

1 ) L'espionnage de domicile ou « l'attaque des grandes oreilles » 27

La révision constitutionnelle de 1998 portant sur l'art. 13 al. 3 LF et autorisant la pose de microphones dans les appartements pour les besoins de la répression d'infractions graves n'est pas contraire à l'art. 79 al. 3 LF : c'est ce que déclare la CCF d'abord dans cet arrêt important à plusieurs titres. Cependant la mise en œuvre de cette révision par le législateur ne remplit pas toutes les exigences constitutionnelles et doit donc être revue pour partie. La CCF accorde au législateur un délai allant jusqu'au 30

juin 2005 pour remédier aux inconstitutionnalités relevées dans ce jugement.

Tout d'abord — et comme on pouvait s'y attendre 28 — la Cour accepte d'examiner la constitutionnalité de la révision constitutionnelle mais refuse de

26 Voir les art. 620 et 621 ZPO (ZivilProzefiordnung ).

27 Jugement de la première chambre du 3-3-2004, 1 BvR 2378/98, EuGRZ 2004, 163-195

28 Voir AIJC, XVI-2000, Table ronde : Constitution et secret de la vie privée, Allemagne, p. 140 ss.

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considérer celle-ci comme portant atteinte aux intangibilités constitutionnelles établies à l'art. 79 al. 3 LF. On sait 29 que la jurisprudence de la CCF est fluctuante sur ce point ; en 1970, elle a défendu une conception minimaliste de l'art. 79 al. 3 pour en donner en 1991 une vision plus large. En 1996, elle s'est référée aux deux conceptions à la fois. C'est aussi pour cette raison que ce jugement de 2004 était fort attendu.

Le juge constitutionnel se réfère explicitement à la décision de 1991, donc à une vision plus étendue des intangibilités. Il précise en effet que sont protégés par l'art.

79 al. 3 les « principes établis » aux articles 1 et 20 dans lesquels il englobe tant l'alinéa 1 (la dignité humaine) que l'alinéa 2 (la reconnaissance de droits de l'homme inviolables et inaliénables comme base de toute communauté humaine, de la paix et de la justice) et 1' alinéa 3 (les droits fondamentaux énumérés à la suite de l'art. 1). Mais il ajoute que l'art. 79 al. 3, étant une exception, doit être interprété de manière restrictive et que toute limitation des droits fondamentaux doit être appréciée concrètement au regard des exigences de l'art. 79 al. 3.

En conséquence, la CCF s'interroge sur les rapports entre le principe de la dignité humaine et celui de l'inviolabilité du domicile pour constater que l'art. 13 al. 3 n'autorise d'édicter des normes restrictives que dans la mesure où ces normes garantissent le respect de la dignité humaine. Principe philosophique, celle-ci requiert une concrétisation pour être accessible au droit. La Cour revient alors à la formule de l'objet, souvent utilisée pour essayer de marquer la limite au-delà de laquelle la dignité humaine est atteinte mais pour souligner aussitôt les limites de cette formule. Il est clair en effet que des mesures de surveillance font des personnes observées des objets.

Mais cette observation ne méconnaît pas forcément la valeur humaine. La Cour fixe ce seuil au noyau intangible du projet de vie personnel (unantastbarer Kernbereich privater Lebensgestaltung). Ce noyau fait l'objet d'une protection absolue même contre des intérêts supérieurs de la collectivité. Cette protection se manifeste dans le champ d'application de l'art. 13 al. 1 (inviolabilité du domicile) en ce sens que c'est au domicile que chacun peut épanouir sa personnalité et a un droit à la tranquillité. Le domicile est en somme le dernier refuge et à ce titre un moyen pour préserver la dignité humaine. « Cela n'exige certes pas une protection absolue des locaux du domicile privé mais une protection absolue du comportement dans ce lieu dès lors que le comportement se présente comme un épanouissement individuel dans le noyau du projet de vie personnel ». Du caractère absolu de la protection il découle que, dans ce domaine, aucune mise en balance ne saurait avoir lieu et que donc le principe de proportionnalité n'y joue pas. La Cour s'efforce ensuite de définir plus précisément ce noyau du projet de vie personnel par le caractère hautement personnel de son contenu, notamment l'expression de certaines émotions très personnelles ou de la sexualité.

L'autorisation d'apporter des limitations à l'inviolabilité du domicile contenue dans l'art. 13 al. 3 est conforme à l'art. 79 al. 3, car elle n'est donnée que sous la réserve de respecter les limites évoquées. Ainsi il résulte de l'art. 13 al. 3 qu'une surveillance acoustique est admissible seulement pour les besoins de la répression d'infractions particulièrement graves, si le recours à d'autres méthodes rendrait excessivement difficile voire vaine la découverte des faits, si et tant que le suspect se trouve vraisemblablement dans les locaux surveillés et enfin uniquement sur la base d'une ordonnance judiciaire précise et limitée dans le temps.

D'autres exigences constitutionnelles que celles expressément formulées à l'art.

13 al. 3 s'imposent cependant pour préserver le noyau intangible du projet de vie personnel. Les restrictions aux droits fondamentaux apportées par une révision 29 C. GREWE, Table ronde : Constitution et secret de la vie privée, Allemagne, AIJC, XVI-2000, p. 140 ss.

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