• Aucun résultat trouvé

Chronique-Allemagne

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Chronique-Allemagne"

Copied!
24
0
0

Texte intégral

(1)

Article

Reference

Chronique-Allemagne

DAGRON, Stéphanie, FERCOT, Céline, VOLMERANGE, Xavier

DAGRON, Stéphanie, FERCOT, Céline, VOLMERANGE, Xavier. Chronique-Allemagne.

Annuaire international de justice constitutionnelle, 2011, vol. XXVI-2010, p. 489-510

DOI : 10.3406/aijc.2011.2042

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:103695

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

1 / 1

(2)

Allemagne

Stéphanie Dagron

,

Céline Fercot

,

Xavier Volmerange

Citer ce document / Cite this document :

Dagron Stéphanie, Fercot Céline, Volmerange Xavier. Allemagne. In: Annuaire international de justice constitutionnelle, 26- 2010, 2011. Constitutions et droit pénal - Hiérarchie(s) et droits fondamentaux. pp. 489-510;

doi : https://doi.org/10.3406/aijc.2011.2042

https://www.persee.fr/doc/aijc_0995-3817_2011_num_26_2010_2042

Fichier pdf généré le 11/07/2018

(3)

ALLEMAGNE

par Stéphanie DAGRON, Céline FERCOT et Xavier VOLMERANGE *

Statistiques des décisions de la Cour constitutionnelle fédérale — II.-Organisation et activité des pouvoirs publics : A) Intégration européenne : 1) limites du contrôle ultra-vires de la CCF vis-à-vis des actes de l'Union européenne, 2) Inconstitutionnalité des dispositions réglementaires relatives à l'élevage de poules pondeuses ; B) Litige entre organes constitutionnels: l'engagement des forces armées sur le territoire national — III.-Droits fondamentaux : A) Les principes de dignité humaine et d'Etat social : le droit fondamental à des conditions minimales d'existence ; B) Droit de la famille : 1 ) Egalité entre personnes liées par le mariage et personnes liées par un contrat de partenariat, 2) Enfant né hors mariage et autorité parentale ; C) Liberté de l'enseignement : 1) Professeur d'école supérieure spécialisée, 2) Loi du Land de Hambourg sur l'enseignement supérieur ; D) La protection des données personnelles.

* * *

I.-STATISTIQUES DES DÉCISIONS DE LA GOUR CONSTITUTIONNELLE FÉDÉRALE 1

Avec 6422 procédures introduites auprès de la Cour constitutionnelle fédérale, l'année 2010 se situe plutôt dans la moyenne haute de ces cinq dernières années après le pic enregistré en 2009 (avec 6508 procédures introduites). Sur ces 6422 affaires introduites, 6251 relèvent de la procédure du recours constitutionnel c'est-à-dire plus de 97 %.

Le constat fait pour l'année 2009 reste valable en 2010 puisque 6054 affaires ont été traitées en 2010 : le chiffre des affaires introduites reste supérieur au nombre des affaires traitées. Après les élections législatives intervenues en septembre 2009,

* 1 Stéphanie DAGRON, docteur en droit, chercheur à l'Université de Zurich, Institut d'éthique biomédicale ; Céline FERCOT, Maître de conférences à l'Université Paris ouest - Nanterre La Défense ; Xavier VOLMERANGE, Maître de conférences à l'Université de Rennes I. Les statistiques de la CCF ainsi que les décisions sont disponibles sur le site de la CCF à l'adresse suivante : www.bundesverfassungsgericht.de.

Annuaire international de justice constitutionnelle, XXVI-2010

(4)

l'année 2010 est marquée par le nombre relativement élevé (16) de recours au titre du contrôle des élections au Bundestag (art. 41 al. 2 LF).

II.. ORGANISATION ET ACTIVITÉ DES POUVOIRS PUBLICS

Après la décision Lissabon du 30 juin 2009, l'année 2010 est également marquée par une décision importante de la Cour constitutionnelle fédérale à propos du contrôle des actes des organes et institutions de l'Union européenne. La Cour constitutionnelle veille tout particulièrement à éviter des glissements de compétences au profit de l'Union européenne et au détriment des États qui la composent. En effet, seuls les États restent les vecteurs de la démocratie, ce qui ne les empêche pas de transférer des compétences souveraines à l'Union européenne. Ces transferts sont strictement ceux autorisés par les traités, ce qui amène la Cour constitutionnelle fédérale à préciser en quoi consistent ce contrôle et ses limites.

Le rôle prépondérant que la Cour constitutionnelle fédérale accorde au Bundestag par rapport aux institutions de l'Union européenne se manifeste par ailleurs dans une autre décision sur la réglementation relative aux poules pondeuses.

Dans cette décision, il y a également un conflit entre le droit constitutionnel (la protection des animaux garantie à l'article 20 a LF) et une directive européenne. Le juge de Karlsruhe fait prévaloir le respect des dispositions législatives et constitutionnelles même s'il rappelle l'esprit d'ouverture de la Loi fondamentale vis- à-vis du droit européen.

La décision de la Cour constitutionnelle relative à l'emploi de la force à l'occasion des opérations menées dans le cadre du sommet de Heiligendamm lui permet de souligner la distinction entre le déploiement de force à l'étranger ou en Allemagne. Conformément à l'interprétation de la Cour, l'accord du Bundestag est uniquement requis dans le premier cas.

A.-Intégration européenne

1) Les limites du contrôle ultra-vires de la Cour constitutionnelle fédérale vis-à-vis des actes de l'Union européenne.

La décision du 6 juillet 2010 2 de la Cour constitutionnelle fédérale s'inscrit dans la lignée des grandes décisions venant ponctuer les rapports entre le juge constitutionnel allemand et la Cour de Justice (notamment Solange 1 3, Solange II 4, Maastricht 5 et Lissabon 6 ). Dans le rapport entre le droit allemand et le droit européen (droit communautaire et droit de l'Union européenne), la Cour constitutionnelle fait preuve d'une certaine constance puisqu'elle a toujours considéré qu'elle avait pour mission de protéger les éléments structurants de la Loi fondamentale (tout particulièrement les droits fondamentaux et la démocratie). Son rôle de gardienne de la Loi fondamentale l'a conduit à avoir une attitude parfois considérée hostile au droit communautaire (comme dans l'arrêt Solange /) ou au contraire plus conciliante (comme dans l'arrêt Maastricht ) puisque dans cette dernière décision, la Cour constitutionnelle envisage ses relations avec le juge communautaire dans un rapport de coopération.

2 BVerfG, 2 BvR 2661/06.

3 BVerfGE 37, 271.

4 5 BVerfGE 73, 339. BVerfGE 89, 155.

6 BVerfGE 123, 267.

(5)

Il n'en reste pas moins que si la jurisprudence du juge constitutionnel semble parfois moins sévère vis-à-vis de l'Union européenne, ce n'est pas tellement parce que le juge de Karlsruhe a réduit ses exigences mais plutôt parce que le droit de l'Union européenne prend davantage en considération l'identité constitutionnelle des États membres et notamment celle de l'Allemagne.

Après avoir soufflé le froid dans la décision Lissabon en 2009, la Cour constitutionnelle souffle ici le chaud en relevant les conditions dans lesquelles elle pourrait se livrer à un contrôle ultra vires des actes de l'Union européenne.

Le requérant est un équipementier automobile qui avait conclu, en 2003, des contrats de travail à durée déterminée avec des chômeurs, sans pour autant que la durée limitée du contrat ne soit justifiée par des considérations objectives. En principe tout contrat de travail doit être conclu pour une durée indéterminée mais le paragraphe 14 alinéa 3 phrase 4 de la loi sur le travail à temps partiel et à durée limitée, alors en vigueur, permettait de déroger à ce principe : il suffisait que le demandeur d'emploi, lors de l'embauche, ait plus de 52 ans révolus pour qu'un employeur puisse passer un contrat à durée déterminée.

Un employé avait ainsi été recruté sur le fondement de cette loi par l'équipementier automobile mais il avait par la suite contesté la validité de la durée déterminée de son contrat de travail. Il avait ainsi obtenu gain de cause devant la Cour fédérale du travail, qui avait reconnu son droit à poursuivre la relation contractuelle et à disposer d'un emploi permanent.

Dans sa décision, la Cour fédérale du travail avait notamment indiqué que les juges nationaux ne pouvaient pas appliquer le paragraphe 14 alinéa 3 phrase 4 de la loi sur le travail à temps partiel et à durée limitée car cette disposition était contraire à l'arrêt rendu le 22 novembre 2005 par la Cour européenne de Justice dans l'affaire Mangold (Aff. C-144/04). Dans cet arrêt, la Cour de Justice avait considéré qu'une norme interne, telle que celle inscrite dans la loi allemande, était incompatible avec le principe de non-discrimination affirmé par la directive 2000/78/CE et avec le principe général de non-discrimination en fonction de l'âge. La Cour fédérale du travail avait considéré que la jurisprudence de la Cour de Justice était parfaitement claire : l'affaire qui lui était soumise ne nécessitait donc pas un renvoi préjudiciel.

Même si en l'espèce le contrat à durée déterminée avait été conclu avant l'arrêt Mangold, la Cour fédérale du travail avait refusé d'appliquer la disposition législative allemande en raison de la protection de la confiance légitime assurée en droit communautaire ou national.

L'employeur porta donc l'affaire devant la Cour constitutionnelle par la voie d'un recours constitutionnel dirigé contre la décision de la Cour fédérale du travail.

Selon une jurisprudence désormais classique, le juge de Karlsruhe considéra que la requête était recevable : le devoir de la Cour constitutionnelle fédérale de protéger les principes contenus dans la Loi fondamentale s'exerce contre toutes les mesures prises par une autorité allemande, y compris celles qui, dans l'ordre interne, exécutent, transposent ou constituent le fondement du droit communautaire et de l'Union européenne.

Le requérant faisait valoir deux arguments : d'une part la violation de sa liberté contractuelle garantie par l'article 12 alinéa 1 et l'article 2 de la Loi fondamentale et d'autre part l'interdiction d'être soustrait à son juge légal prévue à l'article 101 al. 1 phrase 2 de la Loi fondamentale.

La Cour constitutionnelle fédérale considère que la liberté contractuelle du requérant n'est pas violée par la décision de la Cour fédérale du travail.

L'équipementier automobile faisait ainsi valoir que la décision de la Cour fédérale du travail était inconstitutionnelle car elle s'appuyait sur la jurisprudence Mangold de la Cour de Justice. Or cette jurisprudence serait elle-même

(6)

inconstitutionnelle parce qu'elle conférerait des compétences aux institutions communautaires allant au-delà de ce que prévoit les textes communautaires.

Cette question est particulièrement sensible dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle : dans la décision Maastricht, la Cour constitutionnelle avait déjà souligné que le Gouvernement fédéral n'avait pas seulement le droit mais également le devoir de se retirer de l'Union européenne dans l'hypothèse où celle-ci s'arrogerait des compétences non expressément prévues par les Traités. De la même façon, dans la décision Lissabon, la Cour avait examiné d'une façon très vigilante les clauses passerelles du Traité. Elle avait ainsi notamment distingué les clauses ouvrant un droit d'opposition aux Parlements nationaux et celles qui n'en ouvrent pas 1 . Selon la Cour, le droit d'opposition des Parlements nationaux ne remplace pas la procédure de ratification et ne répond donc pas à la responsabilité d'intégration du Parlement allemand. En exigeant, en principe, l'adoption d'une loi par le Parlement allemand afin de satisfaire l'exigence de légitimité démocratique, la Cour constitutionnelle prenait le risque de bloquer la réalisation des politiques européennes. Ce faisant, la Cour soulignait la distinction fondamentale, déjà soulignée dans la décision Masstricht , entre l'Union européenne et les États membres : celle-ci n'est qu'un

« groupement d'États » (Staatenverbund ) sans légitimité propre alors que ceux-ci sont les véritables vecteurs de la démocratie.

Dans la décision du 6 juillet 2010, la Chambre reconnaît d'un côté qu'elle est compétente pour s'assurer que les actes des organes et institutions de l'Union européenne ne sortent pas du cadre imposé par le droit communautaire primaire mais, d'un autre côté, elle souligne que ce contrôle ultra vires ne doit être exercé que dans un esprit d'ouverture au droit européen. Il ne faut donc l'envisager que dans l'hypothèse où les organes et institutions européens outrepasseraient leur compétence de façon suffisamment caractérisée. Ce serait le cas si la violation des compétences par les autorités de l'Union européenne était manifeste et si l'acte en cause provoquait une modification significative de la répartition des compétences entre l'Union européenne et les États membres, au détriment de ces derniers. La Cour relève qu'elle doit, en principe, se conformer aux arrêts rendus par la Cour de Justice.

Dans l'hypothèse où la Cour de Justice n'a pas encore eu l'occasion de clarifier sa position, il convient donc, avant de considérer un acte ultra vires, de lui donner l'occasion d'interpréter les traités et de statuer sur la validité et l'interprétation des actes en cause.

Le juge de Karlsruhe considère que dans ces conditions, la Cour de justice n'a pas porté atteinte à la liberté contractuelle et pas davantage commis une violation suffisamment caractérisée de ses compétences dans l'arrêt Mangold.

Cela vaut tout particulièrement s'agissant de la définition d'un principe général de non-discrimination en fonction de l'âge. Le juge de Karlsruhe laisse de côté la question de savoir si un tel principe pourrait être inspiré des traditions constitutionnelles communes aux États membres et des accords internationaux. En effet, une interprétation extensive du droit communautaire par la Cour de Justice ne serait constitutive d'une violation caractérisée de ses compétences que dans la mesure où sa compétence aurait pour effet de fonder des compétences nouvelles. Avec la reconnaissance d'un principe général de non-discrimination en fonction de l'âge, le juge constitutionnel constate que ce n'est pas le cas : la directive communautaire avait déjà rendu obligatoire le principe de non-discrimination tout en laissant une marge d'interprétation à la Cour de justice.

7 Voir A1JC XXV-2009, p. 5 10.

(7)

S'agissant du deuxième moyen, le juge constitutionnel considère que l'arrêt contesté de la Cour fédérale du travail ne porte pas atteinte à la liberté contractuelle du requérant en raison de l'absence de protection de la confiance légitime.

La confiance dans le maintien d'une loi peut être remise en cause de deux manières. Il peut s'agir tout d'abord de l'annulation par la Cour constitutionnelle fédérale d'une disposition législative avec effet rétroactif. Il peut aussi s'agir d'une décision de la Cour de justice constatant l'inapplicabilité de la loi avec effet rétroactif. Il n'en reste pas moins que la possibilité pour les juges nationaux de garantir le principe de confiance légitime s'inscrit dans le cadre du droit de l'Union européenne. Ils ne peuvent notamment pas accorder une protection de la confiance légitime en appliquant une disposition nationale pendant la période qui précède la publication de la décision préjudicielle, alors même que l'incompatibilité avec le droit de l'Union européenne aurait déjà été constatée.

En revanche la Cour de Karlsruhe souligne que les juges nationaux sont en mesure d'accorder une indemnisation, tout en restant dans les limites définies par le droit de l'Union, en cas d'atteinte au principe de confiance légitime. Or en l'espèce, le litige dont la Cour constitutionnelle était saisie ne portait pas sur une demande de réparation dirigée contre la République fédérale au titre des pertes subies par l'équipementier automobile du fait de la prolongation du contrat de travail avec son employé.

Enfin la Cour considère que la Cour fédérale du travail n'a pas soustrait le requérant à son juge légal en ne saisissant pas la Cour de Justice selon l'article 267 TFUE. Le juge de Luxembourg est effectivement un juge légal au sens où l'entend l'article 101 de la Loi fondamentale, ce qui oblige en principe le juge national à saisir la Cour de Luxembourg. En revanche l'absence de renvoi ne signifie pas automatiquement une violation de l'article 101 LF. Ce n'est le cas que lorsque l'interprétation et l'application des règles d'attribution des compétences n'apparaissent plus compréhensibles et sont manifestement indéfendables au regard des principes sur lesquels repose la Loi fondamentale.

En définitive, l'arrêt du 6 juillet 2010 marque plutôt une position bienveillante vis-à-vis du droit de l'Union européenne même s'il n'a pas été rendu à l'unanimité (six voix contre deux s'agissant des moyens invoqués et sept voix contre une s'agissant des conclusions). Selon l'opinion dissidente du juge Landau, la majorité de la chambre aurait poussé trop loin les limites permettant de constater un comportement ultra vires des organes communautaires et de l'Union. Selon lui, la Cour de justice de l'Union européenne, dans l'arrêt Mangold , aurait outrepassé ses compétences d'interprétation du droit communautaire, ce qui autorisait la Cour fédérale du travail à ne pas tenir compte de la décision de la Cour de Justice dans sa propre décision.

Depuis la décision Solange I en 1974, la Cour constitutionnelle a souvent été critiquée pour son hostilité envers le droit européen, alors même qu'elle n'a jamais invalidé une norme de droit européen. Il est vrai que la Cour a souvent lancé des avertissements aux institutions européennes en leur précisant la limite à ne pas dépasser pour que soient respectés les éléments essentiels de la Loi fondamentale. Ces avertissements ont souvent été considérés comme des menaces mais il faut également reconnaître qu'ils ont aussi servi l'intégration européenne en permettant notamment le renforcement des mécanismes démocratiques et des droits fondamentaux dans l'Union européenne.

X. V.

(8)

2) Inconstitutionnalité des dispositions réglementaires relatives à l'élevage des poules pondeuses

La décision de la CCF du 12 octobre 2010 8 illustre l'importance du respect des dispositions constitutionnelles et législatives par rapport à la réglementation communautaire.

En 1999, la Cour constitutionnelle avait déjà annulé le règlement du 10 décembre 1987 sur l'élevage des poules pondeuses en raison de son incompatibilité avec les exigences contenues dans la loi relative à la protection des animaux. La Cour avait par ailleurs considéré que le règlement en question portait atteinte à l'article 80 al. 1 phrase 3 de la Loi fondamentale selon lequel tout règlement doit mentionner son fondement juridique (Zitiergebot ) 9. Afin de combler le vide juridique laissé par cette décision de la Cour, le règlement relatif à la protection des animaux fut complété par des dispositions propres aux poules d'élevage.

Le Bundesrat adopta ensuite une nouvelle disposition le 1er août 2006 qui fît l'objet d'un recours devant la Cour constitutionnelle par la voie du contrôle abstrait des normes introduit par le Gouvernement de Rhénanie-Palatinat. Selon l'article 93 al. 1 n°2 de la Loi fondamentale, la Cour constitutionnelle peut notamment se prononcer, en dehors de tout litige concret, sur la compatibilité formelle et matérielle du droit fédéral avec la Loi fondamentale. La norme faisant l'objet du contrôle peut être toute règle existante. Il peut donc s'agir d'une loi mais aussi, comme c'est le cas ici, d'un règlement.

La Cour juge que le règlement est inconstitutionnel car si le gouvernement peut être autorisé par le législateur à prendre un règlement, encore faut-il que ce dernier soit conforme aux exigences législatives. Or, en l'espèce, la loi prévoit que la commission relative à la protection des animaux doit être consultée. Une telle consultation ne peut se résumer à un simple avis formel : cet avis doit éclairer le pouvoir réglementaire et donc être en mesure de l'influencer. Autrement dit, la consultation est illégale si elle intervient à un stade où la décision est déjà prise et qu'il est donc impossible de modifier le texte. En l'espèce, à la date de la consultation de la commission sur la protection des animaux, le cabinet du Bundesrat avait déjà approuvé la nouvelle version du texte dont la notification était déjà parvenue à la Commission européenne.

L'adoption du nouveau texte intervenait dans un contexte particulier puisque l'Allemagne venait d'être condamnée par la Cour européenne de Justice en raison de la non transposition de la directive relative aux élevages porcins 10. C'est donc dans l'urgence que la réglementation relative à l'élevage des poules pondeuses avait été adoptée. En voulant agir vite pour éviter une nouvelle condamnation, le pouvoir réglementaire n'avait pas scrupuleusement respecté la loi, ce qui avait rendu inopérant l'avis de la commission sur la protection des animaux.

La Cour constitutionnelle souligne que les délais imposés par les directives européennes ne permettent pas aux autorités publiques de s'exonérer des obligations prévues dans la loi : il revient donc aux organes chargés de la transposition de prendre les dispositions nécessaires afin que les directives soit transposées dans les délais et dans le respect des exigences du droit allemand.

Selon la Cour, cette violation de la procédure rejaillit sur l'article 20a LF selon lequel : « Assumant sa responsabilité pour les générations futures, l'État protège les fondements naturels de la vie et les animaux par l'exercice du pouvoir

8 BVerfG - 2 BvF 1/07.

9 10 BVerfGE 101, 1. CJCE 8 septembre 2005, Aff. C-278-04.

(9)

législatif, dans le cadre de l'ordre constitutionnel, et par l'exercice des pouvoirs exécutif et judiciaire, dans le respect de la loi et du droit ». Afin de poursuivre cet objectif, les pouvoirs publics disposent d'un certain pouvoir d'appréciation. Le législateur peut toutefois limiter ce pouvoir d'appréciation en imposant au pouvoir réglementaire l'obligation de suivre certaines procédures qui ont justement pour objet de protéger les animaux. Ainsi, le non respect de la procédure prévue par la loi n'a pas seulement pour conséquence une violation du droit ordinaire mais également une violation du droit constitutionnel.

Cette décision de la Cour constitutionnelle peut paraître surprenante pour un lecteur français habitué au principe de la supériorité des traités internationaux en cas de contradiction avec les textes communautaires. Le juge allemand ne se pose pas la question de la compatibilité de la loi et de la directive ; il examine d'abord la conformité du règlement par rapport à la loi pour en déduire ensuite une cause d'inconstitutionnalité. Ce n'est pas seulement la disposition de la loi qui est violée mais également la Loi fondamentale. Par ailleurs, à la différence du droit français, les traités internationaux n'ont qu'une valeur législative en droit allemand.

Tout à la fin de la décision 11 , la Cour constitutionnelle rappelle tout de même l'obligation qu'ont les pouvoirs publics allemands de prendre en considération l'esprit d'ouverture sur l'Europe et sur le droit international inscrit dans la Loi fondamentale. La Cour fait notamment référence à la décision du 6 juillet 2010 à propos des limites au contrôle ultra vires des actes de l'Union européenne. L'objectif du juge constitutionnel est de respecter le droit international public et le droit de l'Union européenne dans la mesure (soweit ) où cela reste conforme à l'interprétation et à l'application du droit national. Le terme employé {soweit) fait davantage penser à la décision Solange (aussi longtemps que) qu'à toute autre décision de la Cour.

Afin de concilier les exigences contradictoires de la légalité en droit interne et en droit externe, la Cour admet que le règlement contesté peut continuer à être appliqué jusqu'au 31 mars 2012.

X. V.

B.-Engagement des forces armées sur le territoire national

En juin 2007, la 33e réunion du G8 s'est déroulée à Heiligendamm dans le Land de Mecklembourg-Poméranie occidentale. Les autorités chargées de la sécurité craignaient que des manifestations violentes ou des attentats puissent se produire.

Lors de la préparation du sommet, les autorités fédérales et celles du Land de Mecklembourg-Poméranie occidentale parvinrent à la conclusion que ce dernier ne serait pas en mesure d'assurer seul la sécurité du sommet.

Dans un premier temps, le ministre fédéral de la défense avait pris l'engagement de principe d'une aide technique et logistique puis il avait donné suite aux mesures de soutien qui lui avaient été demandées. Selon les informations fournies par la police, il fallait notamment s'attendre à ce que les manifestants érigent des barrages et stockent des outils pour rendre les routes impraticables au moment du sommet. Ces activités devaient être détectées grâce à des vols de reconnaissance effectués à bord d'un avion Tornado, capable de prendre des photos des manifestants (sans toutefois pouvoir les identifier). Le dispositif de surveillance comprenait également des véhicules blindés de reconnaissance, des avions AWACS (. Airborne Warning and Control System ) de l'OTAN, ainsi qu'une douzaine d'appareils de la Luftwaffe.

11 Point 133.

(10)

En réaction à ce déploiement de forces armées, le groupe parlementaire Bundnis/Die Griïnen du Bundestag déposa un recours12 dans le cadre d'un litige entre organes de l'Etat au motif que le Gouvernement fédéral aurait violé les droits garantis au Bundestag par l'article 87 a al. 2 LF : « En dehors de la défense, les forces armées ne doivent être engagées que dans la mesure où la présente Loi fondamentale l'autorise expressément ».

La Cour constitutionnelle rejeta le recours au motif qu'il était manifestement dépourvu de fondement. Si l'intervention de la Bundeswehr était en elle-même inconstitutionnelle, ce n'est pas le consentement préalable du Bundestag sous forme d'une résolution ordinaire qui aurait permis de lever cette inconstitutionnalité.

La décision « Heiligendamm » permet à la Cour de préciser d'une part la distinction entre l'engagement des forces armées sur le territoire national ou à l'extérieur de celui-ci et d'autre part la distinction entre un litige entre organes de l'Etat et un recours constitutionnel.

Dans sa jurisprudence antérieure, la Cour constitutionnelle a toujours veillé à ce que le Bundestag soit associé à la décision d'envoyer des troupes armées sur le théâtre d'opérations extérieures. C'était le cas en 1994 à propos de l'ex-Yougoslavie13 ou encore en 2003 avec les opérations de surveillance menées en marge du conflit irakien14 : l'autorisation parlementaire est indispensable lorsque les soldats allemands interviennent à l'étranger et sont susceptibles d'ouvrir le feu. Si le Gouvernement fédéral dispose effectivement d'une certaine marge de manœuvre dans la conduite des affaires étrangères, cette compétence s'arrête à partir du moment où il peut y avoir recours à la force armée. Mais cela ne vaut que lorsque le déploiement des forces armées a lieu à l'étranger.

Lorsque les forces armées sont déployées sur le territoire allemand à l'occasion de la proclamation de l'état de défense ou de l'état de tension (art. 87a al. 3 LF) pour exercer des missions de protection des biens civils ou de contrôle de la circulation, les organes législatifs participent indirectement à ce déploiement puisque cette situation de crise doit être proclamée par le Bundestag , avec l'accord du Bundesrat. La Loi fondamentale ne prévoit pas en revanche une approbation parlementaire préalable à l'intervention des forces militaires. L'article 87a al. 4 LF prévoit tout au plus que le Parlement dispose d'un droit de rappel, c'est-à-dire qu'il peut faire cesser les opérations militaires. On ne saurait déduire de la qualification d'armée parlementaire attribuée à la Bundeswehr, lorsqu'elle est déployée à l'étranger, un droit de participation du Parlement à la décision de déployer des troupes à l'intérieur des frontières.

Par ailleurs, s'agissant du litige entre organes de l'Etat, la Cour, précisant ainsi les droits et les obligations respectifs des organes constitutionnels, le définit comme suit : une procédure contentieuse impliquant des parties et non pas une procédure objective.

Pour que le Bundestag puisse agir dans le cadre du litige entre organes de l'État, encore faut-il qu'il fasse valoir la violation d'un droit. Or en dehors de la réserve constitutionnelle qu'il formule, l'article 87a al. 2 LF ne reconnaît aucun droit propre au Bundestag. Ni le libellé de cette disposition, ni l'historique de sa rédaction ne permettent de déduire l'existence d'une fonction de sauvegarde des libertés attribuée au Bundestag , qui aurait pour fonction de garantir sa compétence en la matière.

12 BVerfG - 2 BvE 5/07.

13 BVerfGE 90, 286.

14 BVerfGE 121, 135.

(11)

Même dans l'hypothèse (qui n'est pas traitée en l'espèce) où les mesures prises pourraient porter atteinte à des droits fondamentaux, le Bundestag ne saurait invoquer devant la Cour constitutionnelle une quelconque violation des droits de la personne par l'intermédiaire d'un litige entre organes de l'État, y compris s'il y avait une violation des limites posées par l'article 87a al. 2 LF à l'engagement des forces armées. Dans une telle situation, seules les personnes victimes d'une violation de leurs droits fondamentaux pourraient déposer un recours dans le cadre d'une procédure constitutionnelle.

X. V.

III.-LES DROITS FONDAMENTAUX

Plusieurs décisions retiennent l'attention en 2010. Elles concernent les conditions minimales d'existence (A), le droit de la famille (B), la liberté de l'enseignement (C) et la protection des données personnelles (D). Un intérêt tout particulier doit être accordé à la décision par laquelle la Cour reconnait l'existence d'un (nouveau) droit fondamental à la garantie de conditions minimales d'existence.

Ce droit découle des principes de la dignité humaine et de l'État social et prend la forme d'une obligation pour l'État de prendre en compte les conditions économiques, sociales et culturelles de subsistance des individus. Ce droit à la garantie de conditions minimales d'existence n'est pas élevé au même rang que la garantie de la dignité humaine, qui revêt, elle, un caractère absolu. Il existe en revanche un lien étroit entre ces deux garanties puisque la CCF considère que la dignité humaine ne peut être remise en cause en raison de conditions économiques d'existence insuffisantes.

A.-Le droit fondamental à des conditions minimales d'existence

La Cour constitutionnelle est intervenue dans un débat politique très important, intéressant la société allemande dans son entier, en se prononçant sur la constitutionnalité des dispositions applicables aux prestations sociales aux personnes les plus démunies telles qu'elles avaient été adoptées en 2003 par le gouvernement Schroder. La réforme entrée en vigueur en janvier 2005 visait la réduction du nombre de chômeurs par l'intermédiaire d'un régime plus contraignant pour les personnes en recherche d'emploi 15 . En durcissant les conditions de perception des prestations sociales, le législateur entendait contraindre les chômeurs de longue durée à accepter des emplois ne correspondant pas forcément à leur niveau de qualification ni à leurs exigences en matière de salaire ou de conditions de travail.

Le 9 février 2010, la Cour a ainsi rendu une décision très attendue du public sur les conditions minimales d'existence des individus au regard du principe de la dignité humaine l6. Décevant les requérants, la Cour n'a pas constaté une violation directe de la Loi fondamentale. Selon la Cour, le montant de l'allocation à taux fixe destinée à couvrir les besoins des plus démunis n'est pas en soi « manifestement insuffisant ». Cependant — et tout l'intérêt de la décision réside ici - le mode de calcul retenu par le législateur pour fixer le montant de cette allocation doit être considéré comme contraire à la Loi fondamentale. Le législateur doit donc revenir sur ce point et prendre en compte dans le calcul des prestations sociales en cause les

15 Pour plus de détails sur cette réforme voir : B. LESTRADE, Les réformes sociales Hartz IV à l'heure de la rigueur en Allemagne, Note du Cerfa 75, IFRI (http://www.france-allemagne.fr/IMG/ pdf/IFRI_ndc751estrade.pdf)- 16 CCF, lère Chambre, 1 BvL 1/09, 1 BvL 3/09, lBvL 4/09-

(12)

éléments fixés par la Cour afin que les principes de dignité humaine (art. 1 al. 1 LF) et d'État social (art. 20 al. 1 LF), garantis par la Loi fondamentale, soient respectés.

À l'origine du contrôle concret de la constitutionnalité des dispositions du code social applicables en l'espèce se trouvaient les requêtes de trois familles. Ces dernières avaient réclamé le versement d'allocations sociales plus importantes, faisant valoir que l'allocation versée en application de la loi était insuffisante pour leur garantir des conditions minimales d'existence. Considérant que la constitutionnalité des dispositions applicables n'était pas démontrée, le tribunal social du Land de la

Hesse et la Cour fédérale sociale avaient sursis à statuer et soumis la question de constitutionnalité à la Cour constitutionnelle fédérale.

Les dispositions en cause étaient celles inscrites aux §§ 20 al. 1 à 3 et 28 al. 1 du second livre du code social (Sozialgesetzbuch II, SGB). Ces dispositions sont issues de la réforme appelée Hartz IV du nom du président de la Commission, chargée en 2002 par le gouvernement Schroder, de faire des propositions pour une modernisation du marché de l'emploi 17 . Elles modifient le système de prestations sociales en remplaçant l'allocation chômage et l'aide sociale aux personnes démunies par une seule allocation attribuable conformément aux dispositions des § 20 à 28 du nouveau livre II inséré dans le code social. Ces dispositions sont applicables aux individus « aptes au travail » (erwerbsfàhig ) et aux membres de leur « communauté de besoins » (Bedarfsgemeinschaft ). L'allocation de prestations sociales aux personnes démunies ne se trouvant pas en recherche d'emploi, en raison de leur âge ou de leur état de santé, est réglée par le livre XII du code social.

Le livre II définit les prestations dont peuvent bénéficier les personnes dans le besoin, résidant en Allemagne, âgées de plus de 15 ans et susceptibles d'exercer une activité rémunérée (§ 7al. 1 SGB II), ainsi que les personnes dont ils ont la charge (§

7 al. 2 SGB II). Ce second groupe est plus large que celui de la famille traditionnelle.

Il regroupe les conjoints habitant sous le même toit, mais aussi les concubins et les enfants de moins de 25 ans qui font partie de cette « communauté », lorsque ces derniers n'exercent pas une activité rémunérée (§§ 7 al. 3 al. 3a SGB II). Les allocations prévues par la loi comprennent deux catégories. D'une part l'allocation chômage II (l'allocation chômage I étant l'allocation versée pendant une première période allant de 12 mois à 24 mois selon l'âge de la personne concernée) pour les personnes aptes au travail et d'autre part l'aide sociale pour les membres de la

« communauté de besoins » (§ 19 al. 1 SGB II).

L'allocation chômage II est destinée à couvrir les besoins essentiels des individus concernés. Une somme forfaitaire est définie par le législateur pour couvrir les frais liés à ces besoins (§ 20 SGB II). Il s'agit des frais de subsistance journalière (incluant une participation à la vie culturelle), de loyer, d'électricité (hors chauffage et eau chaude), de nourriture, de produits d'hygiène, d'habillement et d'éducation.

Cette somme forfaitaire n'est accordée qu'aux plus démunis, c'est-à-dire aux personnes qui ne touchent pas de salaire ni ne possèdent de biens mobiliers ou immobiliers (§ 19 al. 3 SGB II). La prestation de base à laquelle peut prétendre une personne célibataire résidant dans les Lânder de l'ancienne partie ouest de la République fédérale avait été fixée à 345 euros par le législateur au moment de l'adoption de la loi 18. Les prestations accordées aux autres membres de la famille (au titre de l'aide sociale) sont calculées à partir de cette somme : 90 % pour le partenaire marié ou non du bénéficiaire de la prestation, 60% pour les enfants 17 Voir la 4e loi relative au marché du travail adoptée le 24.12.2003 et entrée en vigueur le 01.01.2005.

18 Les chiffres retenus ici sont ceux sur le fondement desquels la Cour a rendu son jugement. Ils ne correspondent plus à l'actuelle version de la loi.

(13)

jusqu'à 14 ans révolus (207 euro) et 80% pour les enfants à partir de 15 ans (276 euros). Une disposition adoptée en 2009 et d'application temporaire (jusqu'au 31.12.2011) avait modifié ces règles pour les enfants entre 6 et 14 ans pour lesquels une prestation représentant 70% de la somme forfaitaire était allouée. Des prestations particulières sont prévues pour couvrir les frais supplémentaires liés au logement et au chauffage (§ 22 SGB II). Des prestations exceptionnelles sont aussi inscrites dans la loi. Elles sont destinées à couvrir les frais liés à l'habillement dans le cas d'une grossesse et de la naissance d'un enfant, à un premier emménagement ou à un voyage scolaire de plusieurs jours (§ 23 SGB II). Une augmentation des prestations de base est exclue.

Le 9 février 2010, la CCF a jugé que ce système n'était pas compatible dans tous ses éléments avec la Loi fondamentale. Plus précisément, la Cour a considéré que le mode de calcul des prestations accordées au titre des §§ 20 al. 2 et 3 et 28 al.

1 SGB II n'était pas compatible avec le droit à une existence digne, tel qu'il est garanti par l'art. 1 al. 1 LF, combiné avec le principe d'Etat social énoncé par l'art.

20 al. 1 LF. La décision est structurée selon la méthode classique : interprétation de la loi fondamentale (a) et analyse des faits au regard de cette interprétation (b).

a) Le droit à des conditions minimales d'existence garanti par la LF

Pour la Cour constitutionnelle, le droit à des conditions minimales d'existence découle de l'art. 1 al. 1 LF en liaison avec le principe d'Etat social. La dignité humaine est absolue et sa garantie implique non seulement une protection contre l'action de l'Etat, mais encore une concrétisation grâce à l'action positive de l'État. En conséquence, et dans l'hypothèse dans laquelle un individu ne peut assurer par son travail ou ses revenus d'une autre nature (biens ou aide familiale) les conditions minimales de son existence, il revient à l'Etat d'intervenir. Cette obligation positive est limitée dans son montant : il s'agit pour l'Etat de fournir uniquement les moyens matériels d'une existence dans la dignité, c'est-à-dire les moyens nécessaires à l'existence physique de l'individu compris dans son environnement social, politique et culturel. La Cour apporte des précisions quant aux prestations sociales à fournir par l'État.

En premier lieu, elle constate que l'instrument définissant ces prestations doit être une loi. Dans un État démocratique, il revient en effet au législateur d'adopter les dispositions essentielles à la réalisation des droits fondamentaux.

L'intervention du législateur est d'autant plus importante et indispensable lorsqu'elle porte sur la protection de la dignité humaine et l'existence des individus.

Le législateur est en outre seul compétent pour décider de questions ayant une influence directe sur le budget de l'État. En deuxième lieu, la Cour précise que même si la Loi fondamentale ne donne aucune indication sur le montant des prestations ou sur les moyens à mettre en œuvre, plusieurs éléments s'imposent au législateur. Ainsi, tout d'abord, le législateur est tenu d'analyser et de préciser les différents facteurs déterminants pour la concrétisation du droit à prestation. Il s'agit de saisir ce que signifie pour la société une « existence dans la dignité ». Il s'agit aussi de bien cerner les conditions de vie concrètes des personnes démunies ainsi que les conditions économiques et techniques de subsistance dans la société. Le législateur doit, en application du principe d'État social, prendre en compte la réalité sociale du moment ainsi que les caractéristiques très techniques de la société moderne dans son analyse. Cette appréciation doit être suivie d'une concrétisation, le législateur disposant d'une marge d'appréciation plus ou moins étroite pour fixer la nature et le montant des prestations à accorder : la marge d'appréciation est plus

(14)

importante pour les prestations destinées à autoriser la participation des individus à la vie sociale que pour celles destinées à assurer leur existence physique.

En second lieu, la Cour exige que le législateur développe un mode de calcul transparent et reflétant la réalité des besoins. Plus précisément, cela signifie que l'analyse des besoins et des coûts doit conduire à l'adoption d'une méthode de calcul applicable à la prestation de base, cette méthode devant toujours être respectée, même si cela n'exclut pas des dérogations qui doivent être justifiées. En outre, cela signifie que la méthode retenue doit être suffisamment flexible pour que soient prises en compte très rapidement les variations économiques et les évolutions dans les besoins élémentaires.

Il est à noter que tout en précisant ces limites, la Cour insiste aussi sur le fait que le contrôle matériel des dispositions qu'elle effectue correspond à un contrôle restreint. En l'absence de précisions dans la Loi fondamentale sur le contenu exact des prestations sociales à la charge de l'Etat, la Cour précise que son rôle se résume à censurer les dispositions manifestement inappropriées ou insuffisantes. La Cour distingue ainsi ici entre le contrôle du résultat — contrôle du montant et de la nature des prestations qu'elle s'interdit de faire au-delà de l'erreur manifeste — et le contrôle de la procédure retenue pour la définition des conditions minimales d'existence, contrôle qui relève de sa compétence.

h) Contrôle de la constitutionnalité du mode de calcul des prestations

Après avoir donné son interprétation des principes applicables et rappelé les limites de sa compétence, la Cour procède dans un second temps à l'analyse des dispositions contestées. Celle-ci est extrêmement nuancée puisque la Cour recherche d'abord la violation manifeste de la Loi fondamentale, avant de censurer les incohérences du législateur. Ainsi, la Cour commence par constater que le système adopté en 2003 n'est pas manifestement contraire aux droits protégés par la LF.

Cette constatation concerne tous les éléments du système.

Il s'agit tout d'abord de l'introduction d'une somme forfaitaire unique destinée à couvrir les besoins essentiels. Pour la Cour, ce système qui permet de verser une seule et unique prestation sociale aux personnes démunies appartenant aux catégories définies par la loi, n'est manifestement pas inapproprié au regard des exigences constitutionnelles. Non seulement le législateur a veillé à ce que les besoins physiques mais aussi culturels et sociaux des individus soient pris en compte dans le calcul de la prestation de base, mais encore, il a prévu la fourniture de prestations complémentaires destinées notamment à couvrir les besoins liés à la santé et aux soins, au logement et au chauffage, ou bien encore à certains besoins particuliers propres aux enfants (voyage scolaire par exemple).

Concernant le montant même de la somme forfaitaire, la Cour considère ensuite que ce montant n'est manifestement pas insuffisant pour assurer les conditions minimales d'une existence dans la dignité. Cette constatation s'applique aussi bien à la prestation versée au titre de l'allocation chômage II qu'aux aides sociales destinées aux conjoints et concubins et aux enfants.

Enfin, la Cour considère que le mode de calcul de la prestation de base, tel que retenu par le législateur, est en principe approprié au regard des exigences de la Loi fondamentale. Ce mode de calcul tient effectivement compte des facteurs considérés déterminants par la Cour : les coûts liés à la vie quotidienne sont analysés au regard de statistiques prenant en compte le montant des salaires ainsi que le comportement des consommateurs appartenant au groupe soumis au taux d'imposition le plus bas.

(15)

Pour autant, la Cour considère que le législateur n'a pas été suffisamment cohérent et conclut que les dispositions analysées sont contraires à la LF. Il s'agit tout d'abord de la somme forfaitaire de base de 345 euro allouée au titre de l'allocation chômage II et par suite de l'allocation accordée au partenaire vivant dans la même communauté, calculée à partir de cette somme (§ 20 al. 2 et 3 SGB II).

Cette somme est le résultat d'une analyse qui ne repose pas, selon la CCF, sur le mode de calcul fixé par la loi et aucune explication n'a été fournie par le législateur pour justifier cette dérogation. La CCF constate différentes difficultés liées au calcul de cette somme. La première est relative à l'utilisation par le législateur des statistiques disponibles concernant les salaires et les dépenses de certains groupes au sein de la société. Ces statistiques étant peu détaillées quant à la nature même des dépenses, le législateur a choisi de soustraire aux chiffres présentés une somme correspondant aux dépenses superflues, établissant ainsi lui-même une distinction entre les dépenses nécessaires pour l'habillement, le mobilier, les activités culturelles et les dépenses superflues. Pour la Cour, le législateur a procédé « à l'aveuglette » sans s'appuyer sur une analyse empirique confortant son raisonnement. La seconde difficulté est relative au calcul des coûts liés au logement ou à l'entretien d'une voiture. À nouveau, la CCF reproche au législateur un calcul trop peu détaillé et insuffisamment justifié. La dernière difficulté relevée touche à la non prise en compte, dans le calcul du montant de l'allocation, de dépenses destinées à

l'éducation ou à des activités culturelles pourtant relevées dans les statistiques.

Concernant l'aide sociale accordée aux enfants, la Cour considère que cette prestation est aussi contraire à la Loi fondamentale. Non seulement elle est calculée à partir de la somme forfaire attribuée au titre de l'allocation chômage II mais encore, le législateur n'a pas défini de méthode d'évaluation appropriée aux besoins particuliers des enfants de moins de 15 ans. Ici, la Cour reproche plus spécialement au législateur l'absence d'analyses empiriques plus précises relatives aux enfants alors qu'il est évident que les enfants en âge d'aller à l'école ont des besoins particuliers, différents de ceux des adultes, devant aussi être considérés comme des besoins essentiels. Il en va ainsi des fournitures scolaires puisque les chances futures d'un enfant de subvenir seul à ses besoins à l'âge adulte dépendent de sa capacité à suivre la formation scolaire. Le calcul proposé par le législateur pour définir l'aide sociale revenant aux enfants (60 ou 80% selon l'âge) est insuffisant pour la Cour au regard des exigences de la Loi fondamentale.

En conclusion, et bien que la Cour ne demande pas explicitement un relèvement du montant des allocations, elle exige du législateur qu'il mette fin aux incohérences de la loi et qu'il tienne mieux compte de la réalité économique et sociale.

S. D.

B.-Le droit de la famille

Le droit de la famille a fait l'objet de décisions intéressantes en 2010. La Cour a été à nouveau saisie de la question de l'égalité entre les personnes liées par le mariage et les personnes liées par un contrat de partenariat (1). Elle est revenue par ailleurs sur la question de la conformité à la Loi fondamentale du droit applicable aux enfants nés hors mariage tel qu'issu de la réforme du droit de la famille adoptée en 1998 (2).

(16)

1) L'égalité entre couples mariés et couples en partenariat

10 ans après la création du partenariat permettant à deux individus de même sexe d'officialiser leur union et de bénéficier des mêmes droits et avantages que les couples mariés 19, des ajustements restent à faire. Alors qu'en 2009, c'est la question de l'égalité entre ces deux groupes au regard de certaines prestations sociales dans le cadre du droit de la fonction publique qui avait occupée la CCF 20 , en 2010, c'est l'adaptation du droit des successions et du droit de mutation à titre gratuit qui est analysée 21 .

Cette adaptation s'est faite progressivement. Le droit des successions et plus précisément le montant de l'impôt sur les successions est dépendant depuis le 19e siècle des relations de mariage ou familiales entre la personne décédée et ses héritiers.

La loi sur les successions et les donations adoptée en 1996 22 n'était absolument pas adaptée à la situation des personnes en partenariat. Conformément à cette loi, les héritiers étaient répartis en différentes tranches selon leurs liens avec la personne décédée (§ 15), les taux d'imposition (§ 19) ainsi que les règles applicables en matière d'abattement ou de donation (§16). Alors que les conjoints mariés faisaient partie de la première tranche d'imposition, les personnes liées par un partenariat relevaient de la troisième et dernière tranche («autres héritiers »). Les différences attachées à ces statuts étaient importantes : alors que la loi prévoyait un abattement sur les droits de succession de 5 200 euro pour la personne en partenariat, cet abattement était de 307 000 euro pour le conjoint survivant (§16). Un abattement supplémentaire « alimentaire » ( Versorgungsfreibetrag) était prévu pour le conjoint survivant et les enfants issus du mariage (§17). Le tarif d'imposition auquel était soumise la part qu'un héritier avait recueillie variait ensuite selon la tranche d'imposition (I, II ou III) dans laquelle se trouvait ce dernier (§19).

La révision de ce régime décidée par le législateur en 2008 a entraîné une modification de ces dispositions en faveur des personnes liées par un partenariat. Ces dernières continuent d'appartenir à la catégorie III, mais les abattements sont équivalents à ceux accordés aux conjoints survivants. Par conséquent, une seule différence (néanmoins essentielle) persiste : le taux d'imposition est plus élevé pour les personnes en partenariat puisqu'elles continuent d'appartenir à la catégorie soumise au plus fort taux d'imposition. Un projet de loi présenté en 2010 par le gouvernement fédéral vise à mettre fin à ces dernières dispositions.

Les requérants devant la CCF, liés par un contrat de partenariat avec la personne décédée depuis respectivement 2001 et 2002, contestaient les sommes réclamées au titre des droits de successions ainsi que le rejet par les juridictions financières de leurs requêtes. Pour la CCF il ne fait pas de doute que les dispositions applicables entre 1997 et 2008 sont contraires au principe d'égalité de tous devant la loi garanti par l'art. 3 al. 1 LF et demande en conséquence au législateur de prendre les dispositions nécessaires afin que les inégalités survenues dans la période allant de 2001 à 2008 soient compensées. La Cour confirme ainsi ici son argumentation développée dans la décision de 2009 selon laquelle la protection particulière de l'institution du mariage (art. 6 al. 1 LF) ne peut justifier une discrimination en

faveur des personnes mariées. S. D.

19 Voir la loi du 16 février 2001 complétée en 2004 par la loi sur l'harmonisation des règles juridiques applicables aux couples mariés et en partenariat.

20 Voir notre commentaire, AIJC XXV-2009, p. 530.

21 CCF, lère Chambre, décision du 21 juillet 2010, 1 BvR 611/07, 1 BvR 2464/07.

22 Loi du 27 février 1997 sur les droits de succession et de donation.

(17)

2) Enfant né hors mariage et autorité parentale : inconstitutionnalité du dispositif adopté en 1 998

La Cour constitutionnelle avait déjà eu l'occasion de se prononcer sur la constitutionalité des dispositions du code civil allemand (Biigerlïches Gesetzbucb , BGB) issues de la loi du 1er juillet 1998 qui réglementent l'autorité parentale pour les enfants nés hors mariage. Conformément au régime en vigueur jusqu'alors, l'autorité parentale était exercée uniquement par la mère (ancien § 1705 BGB). À partir de 1998 et conformément au § 1626a al. 1 BGB, le père et la mère peuvent exercer en commun l'autorité parentale sur leur enfant mineur né hors mariage s'ils font une demande commune en ce sens ou s'ils se marient. Dans le cas d'une déclaration d'exercice conjoint de l'autorité parentale, la mère dispose d'un véritable droit de veto. Sans son accord, l'autorité parentale lui est accordée exclusivement (§

1626a al. 2 BGB). Le code prévoit aussi la possibilité pour le père d'exercer seul l'autorité parentale sur décision du juge aux affaires familiales. Cette hypothèse suppose néanmoins à nouveau l'accord des deux parents et un tel transfert ne sera décidé que lorsqu'il sert l'intérêt de l'enfant (§ 1672 al. 1 BGB). Enfin, le juge aux affaires familiales peut aussi décider dans certains cas exceptionnels de retirer l'autorité parentale à la mère. Conformément au § 1666 BGB, le juge est ainsi compétent pour prendre les mesures de protection nécessaires lorsque le bien-être physique, psychologique ou moral de l'enfant est menacé par la négligence de ses parents et que ces derniers refusent de prendre les mesures nécessaires pour remédier à cette situation.

En 2003, la CCF avait considéré que les dispositions issues de la réforme du droit de la famille ne portaient pas atteinte au respect de la vie familiale des pères d'enfants naturels telle que protégée par l'art. 6 LF (droit naturel des parents à élever et éduquer leurs enfants)23. La Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH)24 avait pour sa part considéré en 2009 que la loi allemande était contraire à l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'Homme (interdiction de traiter de manière différente des personnes placées dans des situations comparables) combiné avec l'article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale, et interdiction d'ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit). Pour la CEDH, le requérant, en raison de son statut de père célibataire, n'était traité ni comme les pères mariés ou divorcés — lesquels peuvent se voir attribuer l'exercice conjoint de l'autorité parentale après un divorce ou une séparation — ni comme la mère de l'enfant. Concernant la question de la discrimination non justifiée entre le père et la mère, la Cour rejetait l'argument du gouvernement allemand selon lequel l'opposition de la mère à une déclaration d'exercice conjoint de l'autorité parentale serait justifiée au regard de l'objectif de réalisation de l'intérêt supérieur de l'enfant.

Pour la CEDH, aucune étude ne démontre de manière convaincante le lien direct entre le rejet par la mère de l'exercice conjoint de l'autorité parentale et l'intérêt exclusif de l'enfant.

Le recours constitutionnel à l'origine de la décision rendue par la première chambre de la CCF le 21 juillet 2010 donne l'occasion à la Cour constitutionnelle fédérale de se prononcer à nouveau sur la constitutionnalité de la loi de 1998 25 . En l'espèce, le requérant, père d'un enfant né hors mariage en 1998, n'exerçait pas l'autorité parentale, accordée exclusivement à la mère en application du § 1626a al. 2

23 Voir notre commentaire in AIJC XIX-2003, p. 551.

24 Voir CEDH affaire Zaunegger c. Allemagne , 3.12.2009, requête 22028/04.

25 CCF, lère chambre, décision du 21 juillet 2010, 1 BvR 420/09-

(18)

BGB. En 2008, apprenant les projets de déménagement de la mère, le requérant avait demandé aux tribunaux de lui reconnaître le droit de décider du lieu de résidence de l'enfant, mais aussi, de lui accorder l'exercice soit, de l'autorité parentale exclusive, soit de l'autorité parentale conjointe, même sans l'accord de la mère. Le juge aux affaires familiales avait rejeté ces demandes en juin 2008 en s'appuyant sur les dispositions de la loi qui exigent l'accord de la mère pour toute décision concernant l'attribution de l'autorité parentale, qu'il s'agisse de l'autorité parentale conjointe (§ 1626a al. 1 BGB), de l'autorité parentale exclusive (§ 1672 al. 1 BGB), ou de certains éléments composant cette autorité parentale. En outre, le juge avait considéré que les conditions du § 1666 BGB qui auraient pu justifier le retrait de l'autorité parentale à la mère n'étaient pas réunies. Le requérant avait alors décidé de saisir la CCF par la voie du recours constitutionnel.

Revenant sur la position adoptée en 2003, la CCF suit ici l'interprétation de la CEDH et déclare les §§ 1626a al. 1 et 1672 al. 1 BGB contraires à l'art. 6 al. 2 LF. L'argumentation du juge s'articule en deux temps. Dans un premier temps, le juge constitutionnel considère que la Loi fondamentale ne peut être interprétée comme s'opposant à l'attribution de l'autorité parentale exclusive à la mère d'un enfant né hors mariage. Au regard de la diversité des situations dans lesquelles les enfants de couples non mariés viennent au monde, le législateur poursuit un but légitime en adoptant cette solution. L'enfant doit disposer dès sa naissance d'un représentant légal et c'est naturellement à la mère que revient ce rôle. En outre, la Cour rejette comme découlant de l'art. 6 al. 2 LF l'obligation pour le législateur de lier automatiquement l'attribution de l'autorité parentale à la reconnaissance de paternité. Pour le juge en effet, un tel lien ne répondrait pas obligatoirement à l'intérêt de l'enfant.

Néanmoins, dans un deuxième temps, la Cour considère que l'exercice de l'autorité parentale est un élément essentiel du droit garanti par l'art. 6 al. 2 LF et que l'atteinte portée par l'application de la loi de 1998 constitue une atteinte disproportionnée au regard notamment des éléments suivants.

Tout d'abord - et il est intéressant de noter ici que la CCF cite expressément la décision de la CEDH de 2009 - la Cour note que le législateur a retenu une solution différente pour les enfants nés hors mariage et les enfants dits légitimes dont les parents auraient finalement décidé de se séparer. Alors que dans le premier cas le législateur considère que le refus de la mère traduit une mésentente entre les parents forcément néfaste pour l'enfant, dans le second cas, il prévoit l'intervention du juge pour décider de la solution à adopter dans l'intérêt de l'enfant, la mésentente entre les parents ne préjugeant pas de l'attribution de l'autorité parentale exclusive à l'un ou l'autre des parents.

Ensuite, le juge reconnaît que la présomption sur laquelle le dispositif législatif repose n'est pas vérifiée par les études empiriques disponibles. En 2003, la Cour avait exigé du législateur que des études soient menées sur les raisons pour lesquelles les mères refusaient un exercice conjoint de l'autorité parentale. Ces études montrent clairement que l'on ne peut plus considérer le refus des mères comme exclusivement inspiré par la réalisation du bien-être de l'enfant. Souvent ce refus traduit la volonté de la mère de s'occuper seule de son enfant, sans contrainte ni obligation de s'entendre avec le père.

En conséquence, le législateur est tenu de modifier les dispositions concernées. La Cour, rappelant l'obligation pour les juridictions allemandes de se conformer à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, précise que le juge des affaires familiales, au cours de la période transitoire nécessaire au législateur pour adopter un nouveau dispositif, pourra s'orienter par rapport à l'objectif du bien-être de l'enfant. L'attribution de l'autorité parentale doit continuer

(19)

à se faire dans cette période intermédiaire conformément au § 1626a BGB, mais sous le contrôle de ce dernier. Les indications données au législateur pour la modification de la loi semblent déjà préjuger de la suite législative. . . S. D.

C.-La liberté de l'enseignement

Au cours de l'année 2010, la Cour constitutionnelle a également été amenée à préciser les contours de la liberté d'enseignement, à la fois dans ses aspects négatifs, en tant que droit défensif (1) et positifs, en tant que droit à participation (2).

1 ) Liberté d'enseignement d'un professeur d'école supérieure spécialisée (Xehrfreiheit eines Fachhochschulprofessors) 26

C'est le 13 avril 2010 que la Cour s'est prononcée une première fois sur la liberté d'enseignement, alors envisagée en tant que droit de défense face à l'État. En l'espèce, le requérant était titulaire d'un diplôme d'ingénieur en génie civil.

Professeur depuis 1996, il était alors en poste à la Hochschule de Wismar, au sein du Département spécialisé en ingénierie du génie civil. En décembre 2005, le Recteur de cet établissement ordonne à l'intéressé de dispenser à partir du semestre d'été de l'année 2006 des cours préparant au diplôme de Bachelor mais dans une autre discipline — la géométrie —, qui ne relève pas de son domaine de formation ou de compétence. Débouté en première et en deuxième instance devant la juridiction administrative, le requérant s'adresse à la Cour de Karlsruhe. Il invoque une violation de l'article 5 alinéa 3 phrase lere de la Loi fondamentale, en vertu duquel

« l'art et la science, la recherche et l'enseignement sont libres » .

Même si la CCF considère, en l'espèce, que les juridictions administratives ont fait une juste appréciation de la protection qui était due au requérant, cette décision lui fournit l'occasion de venir à nouveau préciser le champ d'application de l'article 5 alinéa 3 phrase lere LF, lequel garantit à chaque individu employé dans les domaines de la recherche et de l'enseignement « un droit fondamental à exercer une activité scientifique libre » 27 . Ce droit de défense garantit aux intéressés le droit d'exercer librement leur activité à l'abri des atteintes étatiques. Il crée en leur faveur

« un espace de liberté protégé » qui ne connaît aucune limitation en vertu d'une réserve législative — ce qui ne signifie pas qu'il ne connaisse aucune limite 28. Or, au cœur de cette liberté se trouve le droit pour tout enseignant de « représenter » sa matière, à la fois dans ses activités de recherche et d'enseignement 29 .

Mais la Cour ne se contente pas de rappeler l'existence et la protection d'un tel droit fondamental. Après avoir à maintes reprises laissé cette question ouverte, ou plutôt après avoir systématiquement renvoyé à la compétence du législateur, elle se prononce explicitement sur la question des titulaires de ce droit : les professeurs des écoles supérieures spécialisées (Fachhochschulen) qui, comme le requérant, se sont vus confier la prise en charge d'une matière scientifique à la fois dans ses aspects de recherche et d'enseignement, sont, tout comme les professeurs d'Université, en droit d'invoquer la liberté de la science, de la recherche et de l'enseignement. Pour 26 CCF, décision du 13 avril 2010, 1 BvR 216/07.

27 BVerfGE 15, p. 256 [263 s.], 16 janvier 1963, Universitàre Selhstverwaltung ; 88, p. 129 [136 s.], 3 mars 1993 , Promotionsberechtigung.

28 BVerfGE 35, p. 79 [112 s.], 29 mai 1973, Hochschul-Urteil.

29 BVerfGE 35, p. 79 [147], ibid. ; 122, p. 89 [105], 28 octobre 2008, Wissenschaftsfreiheit in der Theologie.

(20)

justifier le franchissement de cette étape, les juges invoquent les récentes évolutions à la fois du droit fédéral et du droit de Land. Toutes témoignent en effet d'un net rapprochement entre les statuts des enseignants exerçant au sein des universités et ceux des professeurs en poste au sein des Fachhochschulen. Dès lors, le fait que les objectifs des deux formations aient initialement été conçus comme distincts - la formation universitaire mettant au premier plan la recherche théorique, et les cursus proposés au sein des établissements spécialisés insistant en revanche sur la recherche appliquée - ne peut plus, selon la Cour, être considéré comme un facteur déterminant. Tous les enseignants disposent en effet des mêmes compétences et poursuivent les mêmes buts éducatifs. La mission principale des enseignants des Fachhochschule est certes d'enseigner ; elle vient toutefois se juxtaposer, tout comme à l'Université, à une activité de recherche. Ces deux pans sont en effet inextricablement liés, dès lors que les recherches obtenues ont vocation à être transmises aux étudiants.

Aux enseignants des Hochschulen a été confiée la prise en charge « autonome » d'une discipline scientifique, à la fois dans ses aspects de recherche et d'enseignement. Par conséquent, des consignes ou ordres de services concernant leur service d'enseignement peuvent empiéter sur leur liberté d'enseignement. Or, cette dernière est strictement protégée : il ne peut être empiété sur son « noyau dur »

(Kerngehalt) qu'en raison de circonstances très particulières. Des atteintes à cette liberté ne sauraient en effet intervenir qu'en raison d'objectifs liés à l'organisation interne des établissements d'enseignement ou au respect des droits d'autres titulaires

— parmi lesquels figurent les étudiants.

N'est pas en cause ici le « noyau dur » de la liberté d'enseignement, dès lors que le contenu ou la méthode d'enseignement n'a pas été remis en cause.

Néanmoins, les décisions des organes de direction relatifs à la coordination matérielle, temporelle et spatiale des différents enseignements doivent être envisagées dans un cadre particulièrement strict. De telles prérogatives ne peuvent ainsi aller jusqu'à conférer auxdits organes des compétences illimitées leur permettant notamment d'imposer aux professeurs des enseignements totalement étrangers à leur discipline et à leur champ de compétence.

Le principe est donc posé. Pourtant, la Cour considère que les juridictions administratives ont en l'espèce procédé à un juste équilibre entre la liberté du requérant et les contraintes impératives s'imposant au service : des enseignements de géométrie pouvaient donc être considérés comme une matière fondamentale, y compris au sein du cursus de génie civil. L'organe de direction dont la décision était mise en cause n'a donc pas outrepassé ses prérogatives en imposant à l'enseignant concerné de varier ses enseignements. Ceci ressort notamment de son statut de fonctionnaire : s'il détient des droits, il se voit par ailleurs imposer des devoirs. Cela doit être rappelé, d'autant plus que le service d'enseignement de chaque membre du corps professoral doit en outre être concilié avec les besoins exprimés par les étudiants — ce qui découle d'une interprétation extensive de l'article 12 alinéa 1er LF et du droit de choisir librement son établissement de formation. Mais si la Cour conclut dans un tel sens, c'est également en se fondant sur des éléments très concrets : outre le fait que la géométrie faisait partie des matières qui avaient été dispensées à l'intéressé lors de sa formation, ce dernier n'avait pas totalement exclu de prendre en charge ledit enseignement de géométrie, dès lors que cela entraînait une majoration de sa rémunération. Quoi qu'il en soit, au-delà de la solution dégagée en l'espèce, le principal intérêt de cette décision est d'élargir le cercle des titulaires de la liberté d'enseignement, unifiant ainsi le régime des enseignants-chercheurs,

quelle que soit leur institution de rattachement. C. F.

Références

Documents relatifs

La CCF déclare le recours admissible pour permettre au requérant d'obtenir l'application effective de son droit (§93a al. 2b loi sur la Cour constitutionnelle) et juge

Cependant, la Cour rappelle à l'occasion de l'étude de l'admissibilité de la requête, que le recours constitutionnel doit être admis pour décision s'il revêt une importance

Dit de manière plus prosaïque, les cafés du coin (Eckkneipen ) souffrent davantage de l'interdiction de fumer que les autres. Le législateur doit en quelque sorte

Cette affirmation est vivement contestée dans l'opinion dissidente qui reproche à la majorité de se référer à une notion du droit de la police (danger

Celles-ci doivent tenir compte des personnes présentes dans les locaux (membres de la famille, personnes de confiance ou personnes extérieures), du contenu de

est calcule separement selon differentes regies, puis on fait la somme des revenus de toutes categories, pour determiner le revenu global, auquel on applique certains abattements

Un juge-assistant (Rechtspfleger ) formula une demande de placement le 15 mars qui parvint, le 2 avril, au service compétent pour l'organisation des mesures de

% de l'activité, il n' y a aucune différence de place dans la structuration des  salaires.  Quelle  que  soit  la  production  qu'il  assure,  quel  que