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Géographie Économie Société: Article pp.55-62 of Vol.11 n°1 (2009)

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Géographie, économie, Société 11 (2009) 55-62

doi:10.3166/ges.11.55-62 © 2009 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

GÏOGRAPHIE ÏCONOMIE SOCIÏTÏ GÏOGRAPHIE ÏCONOMIE SOCIÏTÏ

De l’exténuation à la sublimation : la notion de territoire est-elle encore utile ?

Bernard Pecqueur

UMR PACTE-Territoire

Université Joseph Fourier, Grenoble (France)

Résumé

Ce texte cherche à évaluer deux positions contradictoires vis-à-vis de la notion de territoire et de celle de territorialisation comme processus. Dans un premier temps, les géographes se sont saisis de la notion depuis déjà longtemps et s’interrogent sur la validité des termes et leur pertinence aujourd’hui.

Comme si le territoire, trop utilisé, était victime d’un « éreintement » du sens. Dans un second temps, le texte évoque le rebond de la notion dont les économistes commencent à s’emparer. Il y aurait une sublimation du concept qui lui redonne signification et opérationnalité.

© 2009 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Summary

From extenuation to sublimation: is the concept of territory still useful? This article attempts to evaluate two contradictory positions vis-‡-vis the notion of territory and the territorialization as a process. In a first time, geographers have taken the concept for a long time and questioned the validity of terms and their relevance today. As if the land, used too, was a victim of «exhaustion» of meaning. In a second step, the text refers to the rebound of the notion that economists are beginning to seize. There would be a sublimation of the concept which gives meaning and operability.

© 2009 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Mots clés : territoire, développement économique, économie « apprenante ».

Keywords: territory, economic development, learning economies.

*Adresse email : bernard.pecqueur@ujf-grenoble.fr

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La Science Régionale a considérablement évolué au cours de ces quarante derniè- res années. Elle a fait émerger de nouvelles notions comme autant d’outils d’analyse des formes changeantes de l’organisation des hommes sur la terre. L’apparition des notions nouvelles et leur retombée en désuétude obéissent à des lois obscures et com- plexes qui tiennent à la fois d’effets cycliques de mode et de la nécessité de renouve- ler l’outil sémantique.

Plus précisément, ce qui guide le destin des notions en vogue ou au rebut dans les sciences sociales, c’est, probablement le contexte régulatoire, celui des mouvements braudéliens. Ainsi, les plus célèbres de ces notions peuvent-elles vivre un cycle long.

On pense, par exemple, au bouclage de la parenthèse industrialiste commencée avec la

« Révolution Industrielle » anglaise de 1750, en entrant dans un post industrialisme incer- tain mais avéré ou encore aux « Kondratiev » (cycles économiques d’environ 70 ans, résultats des lois empiriques dont l’économie a le secret et scandant les moments de crise et de croissance).

Avant de parvenir à l’idée de « territoire », les économistes ont tout d’abord parlé de développement endogène ou « bottom up »1 puis de développement local. Les géographes ce sont, pour leur part, saisis de la notion plus franchement, en lui donnant de façon claire une dimension proxémique (au sens défini par E.T. Hall2) qui installe ou « situe » l’acteur dans son espace et dans son milieu.

Aujourd’hui, La notion de territoire est admise dans la littérature européenne mais encore ambiguë dans son statut dans les travaux anglo-saxons où « Territory » est plutôt considéré comme un territoire politique, constitué et institutionnalisé (ce que j’appellerais un territoire « donné » ou « institué »)3 lui préférant la notion de « Place » pour les terri- toires élaborés par les acteurs à l’occasion de la recherche de solutions à des problèmes productifs communs (que j’appellerais des territoires construits)4.

Il semble bien cependant que la notion et toutes les représentations qui sont sous jacentes au mot lui-même cheminent avec des avancées et des doutes et que le territoire tende à s’imposer comme une unité cruciale d’analyse des stratégies d’acteurs dans l’es- pace géographique. On se propose donc pour le mot « territoire » comme pour ses décli- naisons « territorialité » et « territorialisation », une réflexion en deux mouvements.

Tout d’abord, l’exténuation de la notion tant sollicitée, si sûre d’elle-même comme une monade de Leibniz ou une brique basique d’un structuralisme un peu simple.

L’appropriation par les acteurs devient le certificat de naissance du territoire. Effectivement, la perspective phénoménologique pèse de son poids. L’espace territorial est vécu et perçu.

La notion de territoire a travaillé l’imaginaire géographique mais on en a multiplié le sens au point où l’on peut imaginer une « surchauffe » du concept.

1 On fait ici référence à l’opposition bottom up (par en bas) versus top down (depuis le haut) et à la préoccu- pation de la montée de prise de parole (la « Voice » d’A.O. Hirshman) par les citoyens eux-mêmes, notamment dans l’ouvrage fondateur de J. Friedmann et C. Weaver, Territory and Function, the Evolution of Regional Planning Edward Arnold publication, Londres, 1979. On lira aussi la récente conférence de John Friedmann au colloque ASRDLF de Rimouski en août 2008 (disponible sur le site de l’Association : asrdlf.u-bordeaux4.fr)

2 E.T. Hall, The Hidden Dimension, Doubleday, New York, 1966.

3 C’est aussi cette signification qu’utilise B. Badie dans son ouvrage au titre provocateur : La fin des terri- toires, Fayard, 1995.

4 Pour comprendre la distinction, on lira les deux ouvrages suivants : T. Cresswell, Place, a short introduc- tion Blackwell Publishing, 2004 et, D. Delaney, Territory, a short introduction, Blackwell Publishing, 2005

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Vient ensuite l’hypothèse de la sublimation, c’est-à-dire le rebond du territoire (et ses notions épigones, la territorialité et la territorialisation) parce qu’il trouve dans le moment contemporain et notamment pour la géographie économique, un sens nouveau.

1. L’exténuation

Les prémisses de la crise du fordisme, ressentie dès 1974 avec la crise pétrolière mais sous jacente depuis la fin des années soixante, laisse ouverte la porte par laquelle s’en- gouffre le territoire. En 1973, on apprend que « le petit est beau »5. Dès lors, le court- circuit entre le local et le territorial s’opère. La différence entre les deux termes s’es- tompe voire se confond. Cela prend la forme d’un malentendu que l’on retrouve dans les pratiques de terrain. Vous demandiez à un maire en France, dans les années 80 (mais pour beaucoup encore aujourd’hui) : « que faites-vous pour le développement local ? », ils vous répondaient invariablement : « à mon échelle (locale), je fais du développement (global) ». Autrement dit, faire venir un établissement d’un grand groupe dans sa propre

« campagne » constituait un acte de développement local.

Aujourd’hui, on peut dire que le local renvoie à l’échelle tandis que le territorial ren- voie au mode de construction par les acteurs, quelle que soit l’échelle. Il n’empêche, la vogue du « petit » a fait des ravages dans les modes de représentation des territoires.

Au plan de l’économie, l’apport des sociologues et économistes italiens (A. Bagnasco, G. Becattini) dans le débat international avec la configuration particulière des « districts industriels », n’a pas peu contribué à renforcer l’idée de l’émergence du petit contre le grand. C’est le syndrome David face à Goliath en quelque sorte, afin de répondre en pre- mière analyse, à l’angoisse générée par le processus de globalisation.

Pourtant, l’analyse territoriale reste pour les géographes une perspective analytique fondamentale. G. Benko6 s’appuyant sur les travaux de R. Brunet rappelle : « On appelle en général territoire ce genre d’espace qu’un groupe s’est approprié et qu’il a approprié à ses besoins, à sa structure : l’état-nation n’en est qu’un exemple. L’apparence fait le paysage, l’appartenance fait le territoire (p.109) ».

De tous ces états, le territoire ne sort pas vraiment renforcé. L’effet d’exténuation joue fortement pour une notion trop sollicitée ou pour le dire autrement, « mise à toutes les sauces ». On trouve dans le dictionnaire édité récemment par J. Lévy et M. Lussault 7, un paroxysme de crise de la notion de territoire. Les auteurs suggèrent (malicieusement ?) que l’on peut retenir au moins huit définitions. Or, pour tuer un concept ou une notion, il suffit de les définir de multiples façons c’est-à-dire de nulle façon.

La réémergence, à la fin des années soixante-dix, les Districts Industriels comme formes originales d’organisation de la production profondément ancrées dans une réa- lité culturelle située et dans une histoire longue tout comme les travaux des géographes de l’Université de Los Angeles (UCLA) comme A. Scott ou M. Storper ou encore des économistes ou sociologue comme M. Piore et Ch. Sabel, a joué un rôle fondamen-

5 E. F. Schumacher, Small is Beautiful, Harper and Row publishers, New York, 1972, 295 pages.

6 G. Benko : Territoires et sciences sociales, in Régimes territoriaux et développement économique, X. Itçaina, J. Palard et S. Segas, Presses Universitaires de Rennes, 2007, pp. 105-112, 2007.

7 J. Lévy et M. Lussault : Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, éditions Belin, 2003, 1034 pages.

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tal dans la compréhension de la résurgence du phénomène territorial. Ces travaux ont montré ainsi que la proximité géographique réintroduisait l’économie dans la société et produisait des externalités propres à permettre des performances économiques nou- velles. La géographie économique anglo-saxonne8, bien que n’employant pas le terme de territoire mais utilisant la notion de région, va inventer autour de l’école danoise des Bengt Lundvall, Marc Lorenzen ou encore Peter Maskell, les notions d’ « économie cognitive » (Learning Economies), d’ « apprentissage local » (Localised Learning) et de « région apprenante » (Learning Region)9, autant de termes qui permettent d’appro- cher concrètement les stratégies territorialisées d’acteurs concernant l’innovation. C’est ainsi que l’on peut également situer les travaux du Groupe européen de Recherche sur les milieux Innovateurs (GREMI).

Ces découvertes vont impulser pendant trente ans toute une gamme de politiques publi- ques dites de « développement local » notamment en Europe, mais elle va aussi mettre en évidence les premières illusions sur leur efficacité. Le territoire n’est plus systématique- ment « beautiful » car la proximité enferme, « communautarise » et génère des conflits10. Et si le développement local était un frein au développement économique ? C’est en tout cas le résultat d’une étude récente menée par G. Duranton11 exprimant au moins un fort scepticisme sur l’efficacité des pôles de compétitivité français.

Le désenchantement gagne aussi la figure du District Industriel marshallien au moins dans sa déclinaison française. En effet, Bruno Courault, infatigable investigateur du cas du Choletais comme modèle productif original s’interrogeait-il y a peu12 sur « le glas des écono- mies locales ». Pour lui le modèle du district ne serait pas la préfiguration d’une forme à venir mais plutôt, une autre hypothèse, selon laquelle le District a constitué « une forme de résist- ance à l’inéluctable modernisation par érosion des petites structures du système productif français. [Le Choletais ] représenterait un contre-modèle de la modernisation économique du Capitalisme français. Mais c’est aussi un modèle de développement économique his- toriquement daté, car ancré dans la tradition, ayant survécu selon des modalités largement à rebours des formes dominantes ailleurs. Comme tel, ce modèle est dépassé, même si his- toriquement parlant, son histoire est riche de sens et d’enseignements ».

Il y a là une désillusion quant au caractère normatif de la forme d’organisation « ter- ritorialisée » de la production et à sa capacité à former un ensemble explicatif aux divers avatars de la globalisation.

Ces questions et ces doutes associés au foisonnement des formations et des discours sur le développement territorial qui encombre toutes les brochures présentant tel ou tel

« pays », constitue à l’évidence le syndrome de l’éreintement de la notion de territoire.

Enfin, le rapport vitesse/distance évoluant rapidement, on s’interroge sur le sens de la

8 On trouvera une synthèse dans G.L. Clark, M. Feldman et M. Gertler, The Oxford Handbook of Economic Geography, Oxford University Press, 2003, 742 pages.

9 Voir, par exemple, M. Lorensen, Specialisation and Localised Learning, Copenhagen Business School Press, 1998, 171 pages.

10 Voir par exemple : A. Torre et A. Caron, 2002, Conflits d’usage et de voisinage dans les espaces ruraux, Sciences de la Société, N°57, 95-113.

11 G. Duranton et alii, Les pôles de compétitivité : que peut-on en attendre ? CEPREMAP, éditions de l’ENS rue d’Ulm, Paris, 2008, 84 pages.

12 B. Courault, PME et industrialisation : que sont devenues les PME du miracle choletais (1945-2004) ?, Working Paper, n°53, Centre d’Etudes pour l’Emploi, décembre 2005, 42 pages.

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territorialisation quand les acteurs peuvent se situer ici ou là dans des temps très courts.

Sédentarité et ancrage sont à la base des constructions territoriales. Les économistes de la proximité ont montré que les entreprises ne sont pas une catégorie homogène dans leur rapport au territoire. Elles se situent dans un gradient qui va de l’ancrage au nomadisme13. L’espace devient « mobile » comme le conjecture Denis Retaillé14. Dès lors, ancrage et mouvement s’articulent de façon nouvelle et pousse à repenser la catégorie « terri- toire » qui fonde les sociétés. Les géographes gros consommateurs des termes de territoire comme de territorialité et de territorialisation, se sont interrogés lors d’un colloque tenu à Grenoble pour les cent ans de l’Institut de Géographie Alpine15, sur la possible obsoles- cence du terme et sur son nécessaire dépassement.

2. La sublimation

Comme les mots répétés à l’envie perdent leur sens, ce qui peut ranimer le désir de territoire comme opérateur méthodologique de ce que nous observons, ne peut être qu’un rebond, un nouveau sens, une « sublimation ».

La sublimation est une opération chimique qui fait passer un corps gazeux à l’état solide sans passer par l’étape de l’état liquide. Il y a rupture, saut qualitatif et mutation radicale d’état. C’est aussi pour la psychanalyse, le passage d’une pulsion à un état supérieur.

On serait donc ici tenté de pousser la métaphore avec le « territoire » dont se lassent les géographes mais qui éveille intérêt chez les économistes16.

En effet, la science économique qui est la science des coordinations d’acteurs dans leur visée de produire puis d’absorber cette production, a toujours eu un problème avec le cadre spatial de ces coordinations. Alors qu’on pourrait concevoir que le contexte historico-spa- tial prédétermine fortement la nature de la coordination, la littérature économique depuis A. Smith n’a eu de cesse d’écarter la question spatiale. Le projet de la théorie économique dominante (« mainstream » néo-classique) est donc de décrire un mécanisme intangible et stable fondé sur des lois simples de comportement psychologique d’acteurs réduits à la fonction d’agents. Ce mécanisme, c’est le marché et pour que celui-ci garde sa portée générale, il est absolument nécessaire que le contexte historico-spatial soit parfaitement inopérant sur le fonctionnement du marché. L’ordre règne dans les coordinations entre deux dimensions non combinables. La microéconomie traite du comportement de l’indi- vidu dans sa relation au monde et la macroéconomie est le tout qui globalise et agrège les comportements de chacun. Dans une dimension comme dans l’autre, pas de trace d’élé- ments proprement géographiques. Entre la micro et la macro, il n’y a pas de médiations géographiques où s’élaboreraient des territoires faits d’agrégations incomplètes.

13 J.-B. Zimmermann et alii, Construction territoriale et dynamiques productives, convention d’étude n° 18- 1997, rapport final au Commissariat Général du plan, 1998, 64 pages.

14 D. Retaillé, l’espace mobile, in B. Antheaume et F. Giraut, Le territoire est mort, vive les territoires !, Paris IRD, pp. 175-201, 2005.

15 Le colloque date de mai 2007 et est publié : M. Vanier (éditeur), Territoires, territorialités, territoriali- sation, controverses et perspectives, Presses Universitaires de Rennes, 2009, 228 pages. L’ouvrage se présente comme un vaste panorama sur la notion de territoire dans tous ses états.

16 Voir notamment le récent plaidoyer de C. Courlet : l’économie territoriale, Presses Universitaires de Grenoble, 2008, 136 pages.

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La notion de territoire propose alors une solution au dilemme « mic-mac » en introdui- sant l’idée d’une agrégation « méso économique » des individus, c’est-à-dire l’apparition de coordinations qui ne concernent que certains individus qui partagent une unité de préoccupations et une identification partagée visée de problèmes jugés communs. Le ter- ritoire n’est plus alors un simple entre deux qui chercherait à ponter l’individu et le tout.

Il s’agit d’un « ailleurs » qui déborde le marché jusqu’alors considéré comme seul moyen de communication et qui remet en question les échelles habituelles de la réflexion écono- mique quand elle cherche à prendre en compte l’espace. L’idée de système productif est dominante dans ce cas. La macro économie est le cadre d’un tout. Il y a le tout mondial constitué de « touts » nationaux dont on étudie les relations mutuelles complexes. Puis ces « touts » se déclinent en « touts » régionaux de façon homothétiques à la manière des poupées russes. L’équilibre général ne peut admettre ni morcellement ni incomplétudes.

Or c’est justement l’incomplet et le circonstanciel voire le provisoire dans ses lignes et ses frontières que vient proposer l’apparition des territoires ou du moins des mouvements de territorialisation.

Ce qui mérite attention ici, c’est que le critère de constitution de la relation entre les acteurs concernés soit une construction spatiale, c’est-à-dire un contexte ancré dans une réalité de géographie physique même si le référent commun peut aussi être immatériel (On pense à l’approche des coordinations par les réseaux).

Autrement dit, les circulations de biens et services comme de monnaie n’obéissent pas seulement à une physique des échanges dans une vaste tuyauterie où, à l’inflation près, ce qui est produit est absorbé et qui laisse bien sûr d’inévitables fuites que l’on imputera alors aux disfonctionnements du marché (les pudiques « market failures »). Ces circula- tions dépendent des sociétés et de l’historicité qui en découle. Elles sont contraintes par les particularismes d’ici ou de là. L’hypothèse la plus forte que l’on en tire est bien que les productions sont liées de plus en plus à des ressources culturelles et de moins en moins à des atouts objectifs de type pétrole ou matière première. Ces ressources se construisent selon des processus éminemment territorialisés et les acteurs des territoires sont en pre- mière ligne des mouvements à venir.

Le rebond des notions autour de la question territoriale17passe donc par de nouvelles conceptions et de nouveaux regards sur les modes de coordinations situées des acteurs entre eux. Ainsi le géographe David Harvey a-t-il montré dans un texte récent18 que l’on pouvait lire les accommodements du capitalisme avec la mondialisation à travers les pra- tiques de spécification territoriale de produits de consommation (l’auteur prend notam- ment l’exemple de la consommation des bières locales à travers une esquisse de géogra- phie historique des brasseries) ou encore la création de rente de monopole dans le cas de la musique comme produit culturel. « Par exemple, l’industrie américaine de la musique a merveilleusement réussi à s’approprier l’incroyable créativité localisée des musiciens de tous les bords. [La recherche de rente de monopole] entraîne également une valorisa-

17 Ainsi peut-on considérer le territoire lui-même comme objet résultant d’un construit d’acteurs, la ter- ritorialisation comme mouvement de mise en territoire et la territorialité comme état consécutif à la mise en territoire.

18 « L’art de la rente », texte inséré dans : D. Harvey, Géographie de la domination, éditions Les Prairies ordinaires, 2008 (ouvrage lui-même extrait traduit en Français de D. Harvey, Spaces of capital : Towards a critical Geography, Routledge 2001).

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tion de l’unique, du particulier, de l’original, et de toutes les dimensions de la vie sociale incompatibles avec l’homogénéité présupposée par la production de marchandises ».

Depuis quelques années de nouvelles réflexions notamment dans la littérature fran- çaise se sont ouvertes aux questions territoriales. Citons tout d’abord les travaux autour de l’économie des proximités19. Celle-ci distingue notamment la proximité géographique et la proximité organisée. L’idée simple à l’origine est d’affirmer que les externalités sup- posées issues de la proximité ne saurait provenir d’une simple juxtaposition des acteurs fussent ils dans un contexte de forte densité. En ce sens, l’économie de proximité est fon- datrice d’une théorie de l’économie territoriale en ce qu’elle intègre les spécificités des lieux et les liens des acteurs non seulement entre eux mais avec leur milieu géographique.

Bien sûr, il faut pour cela ne pas séparer les deux types de proximité et envisager d’em- blée leur combinaison et les liens qui les renforcent mutuellement20.

Un autre ensemble de réflexion se renforce dans une problématique de territoire c’est la théorie de la régulation qui envisage, comme en rend compte un récent ouvrage col- lectif21, Des régulations partielles caractérisées dans un secteur mais aussi comme des émanations de processus d’organisation territorialisée d’acteurs qui peuvent peser sur le renouvellement des régimes d’accumulation du capitalisme dans son état actuel.

Last but not least, les réflexions autour du « présentiel » que développe notamment L. Davezies22 démontrent l’articulation qui existe entre flux invisibles de revenus et pré- sence effective dans des lieux géographiques. Le cadre physique du territoire est un élé- ment central de l’analyse puisqu’il permet de formuler l’hypothèse d’une offre territoriale (voir son article dans ce numéro).

3. Perspectives

Ainsi, le processus de territorialisation des coordinations, fabriquant du territoire et instaurant des rapports de territorialité entre les hommes pourrait servir de clé pour une lecture des dynamiques contemporaines de la globalisation des échanges.

Il présiderait à une élaboration d’une nouvelle géographie du capitalisme qui mêle le global et le local, le dialectise et l’instaure en méthode d’analyse des mutations du monde contemporain. Lorsque Paul Krugman évoquait les « externalités locales » (local externalities)23 il ne parlait pas explicitement de territorialité mais il décrivait de fait un processus de territorialisation.

19 Voir l’ouvrage collectif représentatif du courant, le plus récent : B. Pecqueur et J.-B. Zimmermann (coor- dinateurs), L’économie de proximités, Hermès-Lavoisier, Paris, 2004.

20 Il y a en effet quelque ambiguïté à prétendre possible d’analyser séparément les deux proximités voire de pouvoir se passer de la proximité géographique pour analyser la proximité organisée (voir : O. Bouba Olga et M. Grossetti, socio économie de la proximité, Revue d’économie Régionale et Urbaine, n° 3, 2008). En tout cas, les processus de territorialisation ne peuvent s’analyser qu’avec le couple indissocié des deux proximités.

21 C. Laurent et Ch. Du Tertre, Secteurs et territoires dans les régulations émergentes, éditions l’Harmattan, 2008 et notamment le chapitre rédigé par J.-P. Gilly et Y. Lung, proximités, secteurs et territoires, pp. 161-180.

22 L. Davezies, La république et ses territoires : la circulation invisible des richesses, La République des idées, Le Seuil, 2008, 109 pages et aussi M. Talandier, la ressource territoriale, un avantage comparatif pour les territoires, Revue Montagnes Méditerranéennes, janvier 2005, pp. 119 -132.

23 P. Krugman, Development, Geography and Economic Theory, MIT Press, Cambridge (Massachusset), 1995, 164 pages.

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Ces perspectives laissent à penser que ces notions territoriales relues et redéfinies ont encore une utilité méthodologique réelle. En tout état de cause une véritable « économie territoriale »24 constituée en corpus cohérent et en programme de recherche semble trou- ver sa pertinence dans un monde où la globalisation et la nécessaire adaptation qui y est attachée, appellent un besoin de territorialité.

24 On lira à ce propos un texte collectif esquissant un tel projet : K. Colletis-Wahl, J. Corpataux, O. Crevois- ier, L. Kebir, B. Pecqueur, V. Peyrache Gadeau, The territorial Economy : a general approach in order to understand and deal with globalization, pp 21-29, dans l’ouvrage collectif coordonné par M.J. Aranguren, C. Iturrioz et J. Wilson, Networks, Governance and Economic Development, bridging disciplinary Frontiers, Edgar Elgar 2008, 270 pages.

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