Résistances bactériennes : que doit savoir l'urologue ?
Bacterial resistances: What should the urologist know?
M.Valléea E.Beyb C.LeGouxc V.Cattoird B.J.Gaborite,f
aServiced'urologieetdetransplantationsrénales, CHRUdeNantesHôtel-Dieu,1,placeAlexis- Ricordeau,44093Nantescedex1,France
bServiced'urologieetdelatransplantationrénale, CHUdeGrenoble,boulevarddelaChantourne, 38700LaTronche,France
cServiced'urologie,CHUdeBicêtre,78,ruedu Général-Leclerc,94270LeKremlin-Bicêtre,France
dServicedebactériologie-hygiènehospitalière,hôpital Pontchaillou,CHUdeRennes,2,rueHenri-Le- Guilloux,35033Rennescedex9,France
eServicedesmaladiesinfectieusesettropicales, CHRUdeNantesHôtel-Dieu,1,placeAlexis- Ricordeau,44093Nantescedex1,France
fCIC1413,Inserm,maisondelarecherche,CHRU deNantes,63,quaiMagellan,44021Nantescedex 1,France
INTRODUCTION
L'apprentissagedesbasesmicrobiologiquesde l'infectiologie urinairenefait passtrictosensu partiedel'enseignementdelachirurgieurolo- giqueàladifférencedesinfectiologues.Néan- moins, à l'heure de l'augmentation des
résistances[1]etdelaconsommationdesanti- biotiquesdanslemonde[2],lesurologuesse doiventdedésormaisconnaîtrequelquesrudi- mentsdemicrobiologie.Eneffet,l'infectiologie urinairedevientunaspectdenotrespécialitéde plusenpluscompliquéauquelnous sommes désormaisquotidiennementconfrontés.
MOTSCLÉS
Résistancebactérienne b-Lactamine
Entérobactéries BLSE
KEYWORDS
Bacterialresistance Beta-Lactam Enterobacteriaceae ESBL
Auteurcorrespondant: M.Vallée,
Serviced'urologieetde transplantationsrénales,CHRUde NantesHôtel-Dieu,1,place Alexis-Ricordeau,44093Nantes cedex1,France.
Adressee-mail: maxime.vallee1786@gmail.com
RÉSUMÉ
Àl'heuredel'augmentationdesrésistancesetdelaconsommationdesantibiotiquesdansle monde,lamaîtriseetlacompréhensiondesprincipauxmécanismesderésistancesbactériennes paraissentaujourd'huiessentiellespourlesurologues.L'objectifdecetarticleestdepermettre auxurologuesdemieuxappréhenderlesmécanismesderésistancesbactériennesdesentéro- bactériesauxquellesilssontconfrontésdansunedémarched'améliorationetderationalisationde laprescriptionantibiotique.Nousdévelopponsicilesmécanismesderésistancesenzymatiques desentérobactériesvis-à-visdelagrandefamilledesb-Lactamines.
©2018ElsevierMassonSAS.Tousdroitsréservés.
SUMMARY
Atatimeofincreasingantibioticresistanceandconsumptionworldwide,understandingofthe mainmechanismsofbacterialresistanceseemsessentialforurologists.Theaimofthisarticleis toallowurologiststobetterunderstandthemechanismsofbacterialresistanceofenterobacte- riaceaethattheyface ina processofimprovementandrationalizationof theantibiotic pres- cription. Herewe developthe enzymatic resistancemechanismsof enterobacteriaceaewith respecttothelargefamilyofbeta-Lactams.
©2018ElsevierMassonSAS.Allrightsreserved.
M.Vallée
ProgrèsenUrologie–FMC2018;28:F103–F106
Truc et astuce
https://doi.org/10.1016/j.fpurol.2018.08.006
©2018ElsevierMassonSAS.Tousdroitsréservés.
F103
L'objectif de cet article est de permettre auxurologues de mieuxappréhenderlesmécanismesderésistancesbactérien- nesdesentérobactériesauxquellesilssontconfrontésdans unedémarched'améliorationetderationalisationdelapres- criptionantibiotique.
MÉCANISMESDERÉSISTANCESET ENTÉROBACTÉRIES
Afindeclarifieretsimplifierleproposdecetarticle,nousnous arrêteronsauxmécanismesderésistancesdéveloppésparles entérobactériesvis-à-visdelagrande familledesb-lactami- nes,puisquecesont celles-ciquel'onrencontreleplusfré- quemmentenurologie[3–7].
Lesentérobactériespeuventdévelopperquatregrandsméca- nismesdedéfensepourrésistercontrelesantibiotiques: la membraneexterne desentérobactériesformeune bar-
rièrehydrophilecompacteexpliquantlarésistancenaturelle detouteslesentérobactériesauxantibiotiqueshydrophobes et de haut poids moléculaire (ex. pénicillines G, Vet M, macrolidesetapparentés,rifampicine,glycopeptides); l'effluxactifdûàdessystèmesde«pompes»quipermettent
d'expulseractivementlesantibiotiquesversl'extérieurdela bactérie. Cemécanisme expliquedesrésistancesde bas niveaucroiséesàdifférentesclassesd'antibiotiques(ex.b- lactamines, quinolones, chloramphénicol,tétracyclines).À noterquel'effluxactifestsouventcombinéàl'imperméabilité chezlesentérobactéries,cesdeuxmécanismesdiminuant laconcentrationintracellulairedesantibiotiques;
lamodificationdesciblesmoléculairesdesb-lactamines(c'est- à-direlesprotéinesliantlespénicillinesouPLP)cequientraîne unediminutiond'affinitédel'antibiotiquepoursacible.Cetype derésistanceesttrèsrarechezlesentérobactéries; laproductiond'enzymesinactivatricesappeléesb-lactama-
ses. Ceci est le principal mécanisme de résistance des entérobactéries vis-à-vis des b-lactamines. À noter qu'il existe de nombreuses b-lactamases avec des structures etdesspectresd'hydrolysedifférents.
CommelaplupartdesbacillesàGramnégatif,lesentérobac- tériessontnaturellementrésistantesàplusieursb-lactamines,
commelespénicillinesG,VetM.Deplus,certainesb-lacta- mases sont naturellement produites par certains genres et espècesd'entérobactéries,quisontainsiclasséesen6grou- pes, seuls les quatre premiers retiennent notre attention (TableauI):
lesdeuxpremiersgroupessont àconsidérer dela même manière:
entérobactéries dugroupe 0 (Proteus mirabilis, Salmo- nellaspp.)«phénotypesensibled'espècesdépourvues degènedeb-lactamase» :ellesneprésententpasde résistancenaturelleàl'ensembledesb-lactamines,elles sontdoncmulti-sensibles,
entérobactéries dugroupe 1 (Escherichia coli,Shigella spp.)«phénotypesensibled'espècespossédantnaturel- lement ungène codant pourune céphalosporinase » : elles ne présentent pas de résistance naturelle à l'en- sembledesb-lactaminescarlaproductiondecettecépha- losporinase(répriméeàl'étatsauvage)esttellementfaible qu'ellen'apasengénéraldeconséquenceclinique.Ces bactériesontdoncunphénotypemulti-sensible; entérobactériesdugroupe2(Klebsiellapneumoniae,Kleb-
siellaoxytoca,Citrobacterkoseri)«phénotypedepénicilli- nasedebasniveau»:ellesproduisentnaturellementàbas niveau une pénicillinase du fait de l'existence d'un gène chromosomique(doncsystématiquementproduiteparces espèces)codantpourunepénicillinase.Cesespècessont doncnaturellementrésistantesauxpénicillines(ex.amoxi- cilline,ticarcilline,pipéracilline)dontl'activitéestrestaurée en présence d'un inhibiteur de b-lactamases (ex. acide clavulanique,tazobactam);
entérobactéries dugroupe 3(Enterobactercloacae,Entero- bacteraerogenes,Serratiamarcescens,Morganellamorganii, Providenciastuartii,Citrobacterfreundii,Hafniaalvei)«phé- notypedecéphalosporinasedebasniveau»:ellesproduisent naturellementà l'étatsauvage unecéphalosporinaseà bas niveaudufaitdel'existenced'ungènechromosomique.Ces espècessontdonc naturellementrésistantesauxcéphalos- porinesde1regénération(C1G)etpourcertainesauxcépha- losporinesde2egénération(C2G).Cesespèces sontaussi naturellement résistantes à l'amoxicilline associé ou non àl'acideclavulanique.
TableauI.Phénotypesderésistancenaturellechezlesentérobactéries.
Antibiotiques Grouped'entérobactéries
0–1 (E.coli, P.mirabilis)
2
(Klebsiellaspp., C.koseri)
3
(Enterobacterspp., C.freundii,M.morgani...)
Aminopénicillines(amoxicilline) S R R
Aminopénicillines(amoxicilline)+inhibiteurdeb-lactamases (acideclavulanique)
S S R
Carboxypénicillines(ticarcilline) S R S
Uréidopénicillines(pipéracilline) S I/R S
C1G(céfalotine) S S R
C2G(céfoxitine) S S S/I/R
C3G(ceftriaxone) S S S
C4G(céfépime) S S S
Monobactames(aztréonam)
Carbapénèmes(imipénème) S S S
M.Valléeetal.
Truc et astuce
F104
Lacompréhensiondecesmécanismesderésistances« de base» estessentiellepourla compréhensiondesmécanis- mesenzymatiquesacquisquipeuventsesurajouteràceux-ci.
Lesentérobactériespeuventacquérirdeux grandstypes de résistance(TableauII):
l'hyperproduction de leur enzyme chromosomique (par mutations);
l'acquisitiond'ungènederésistancetransférable(souvent portépardesplasmides).
Pour le premier mécanisme, la céphalosporinase (AmpC) d'Enterobacterspp.peut-êtrehyperproduitegrâceàdesmuta- tionschromosomiques,notammentsouspressiondesélection antibiotique.Ainsi,cessoucheshyperproductrices(appelées aussi mutants déréprimés)pourront devenirrésistantes aux céphalosporinesde3egénération(C3G).
Pourlesecondmécanisme,denombreuxgènesencodantdes b-lactamasessontportéspardesplasmidesettransmissibles entre entérobactéries. C'est le cas des pénicillinases qui confèrentunphénotypedepénicillinasedehautniveau(avec unerésistanceàl'amoxicilline-acideclavulanique),desb-lac- tamasesàspectreétendu(BLSE)quihydrolysentlesC3G,ou descarbapénémasesquiinactivent,outrelescarbapénèmes, laquasi-totalitédesb-lactamines.
UTILITÉENPRATIQUE
Lacompréhensiondecesmécanismesessentielsvousper- mettrad'enretirerunbénéficedansvotrepratiquequotidienne.
Voiciquelquessubtilitésquipourrontvousêtreutiles: unepénicillinasedehautniveauauneactivitéinhibitricesur
lesC1Gmaisn'aaucuneffetsurlesC2GetlesC3G; unecéphalosporinaseexpliqueunerésistanceauxC1Get
auxinhibiteursdepénicillinasessurl'antibiogramme.Lors- qu'elleesthyperproduitechezlesentérobactériesdugroupe 3, les C2G et C3G deviennent inactives tandis que les céphalosporinesde4egénération(C4G),commele céfé- pime,restentquantàellesleplussouventefficaces,expli- quantleurutilisationsurlesentérobactériesdugroupe3.Il faut donc se souvenir que les C3G ne doivent pas être
utiliséespourtraiteruneinfectiondueàuneentérobactérie de groupe 3 du fait du risque de sélection de mutants hyperproducteursdecéphalosporinase;
une BLSE confère une résistanceauxC3G et C4G mais certaines C2G, commela céfoxitine, nesontpashydroly- sées.Lacéfoxitinepeutdoncêtreutiliséepourletraitement desinfectionsurinairesàBLSE.Parailleurs,lesinhibiteurs deb-lactamases(commel'acideclavulaniqueetletazobac- tam)inhibentpartiellementlesBLSEetainsi,danscertaines conditions(CMIacceptables,infectionsnongraves,absence d'abcès...),certainesassociationspénicillines-inhibiteurde b-lactamases pourront être utilisées après avis infectiolo- gique et mesure dela CMI. D'autres alternatives existent aussi pourle traitementdesinfectionsàBLSE,comme la témocilline[8].Encasd'infectiongrave,lescarbapénèmeset lesaminosidesserontàenvisager[1,9].
Enfin,lacompréhensiondecesmécanismesestégalement unebase fondamentaleafin depouvoirdiscuteretélaborer une stratégiethérapeutique avec l'infectiologueet le micro- biologistepourlespatientsprésentantdesinfectionscompli- quéesparfoisétroitementliéesàl'actechirurgicalenlui-même etoùl'expertisedel'urologueestégalementessentielle.
TableauII.Phénotypesderésistanceacquisechezlesentérobactéries.
Antibiotique Phénotypederésistance
Pénicillinase dehautniveau
Céphalosporinase hyperproduite
BLSE Carbapénémase
Aminopénicillines(amoxicilline) R R R R
Aminopénicillines(amoxicilline)+inhibiteurdeb-lactamases (acideclavulanique)
I/R R R R
Carboxypénicillines(ticarcilline) R R R R
Uréidopénicillines(pipéracilline) R R R R
C1G(céfalotine) R R R R
C2G(céfoxitine) S R S R
C3G(ceftriaxone) S I/R I/R R
C4G(céfépime) S S I/R R
Monobactames(aztréonam) S I/R I/R R
Carbapénèmes(imipénème) S S S R
Pointsessentielsà retenir
Leprincipalmécanismederésistancedesentérobac- tériesvis-à-visdesb-lactaminesestenzymatique.
Cesrésistances peuvent être chromosomiquesou acquises.
LesC3Gnedoiventpasêtreutiliséessurlesentér- obactériesdugroupe3(E.cloacae,M.morganii...) mêmelorsquecelles-ci apparaissent commeétant sensibleauxC3Gsurl'antibiogramme.
Lesentérobactériesproduisantune BLSEn'hydro- lysentpas certainesC2G commela céfoxitine qui peutêtreutiliséecommetraitementantibiotiquedans lecasdesinfectionsurinaires.
Résistancesbactériennes:quedoitsavoirl'urologue?
Truc et astuce
F105
Remerciements
MaximeValléeeffectueactuellementuneannéerechercheavecle soutienfinancierdel'AssociationFrançaised'Urologie(AFU)etl'Asso- ciationEuropéenned'urologie(EAU).
Déclarationdeliensd'intérêts
Lesauteursdéclarentnepasavoirdeliensd'intérêts.
RÉFÉRENCES
[1]Diagnosticetantibiothérapiedesinfectionurinairesbactériennes communautaires de l'adulte; 2014 [Internet]http://www.
infectiologie.com/UserFiles/File/spilf/recos/infections-urinaires- spilf-argumentaire.pdf.
[2]KleinEY, VanBoeckelTP, MartinezEM, etal.Globalincrease andgeographicconvergenceinantibioticconsumptionbetween 2000and2015.ProcNatlAcadSci2018;115:E3463–70.
[3]JehlF, etal.Comitédel'antibiogrammedelasociétéfrançaisede microbiologie [Internet]. Société Française de Microbiologie.
CASFM/EUCAST : Société Française de Microbiologie Ed;
2018 [131 p.]http://www.sfm-microbiologie.org/UserFiles/files/
casfm/CASFM%20V1_0%20FEVRIER%202018.pdf.
[4]Neu HC. Current mechanisms of resistance to antimicrobial agentsinmicroorganismscausinginfectioninthepatientatrisk forinfection.AmJMed1984;76(5A):11–27.
[5]MurrayBE,MoelleringRC.Patternsandmechanismsofantibiotic resistance.MedClinNorthAm1978;62(5):899–923.
[6]CourvalinP, LeclercqR. Antibiogramme.EditionsEska;2006 [693p.].
[7]CollègedesuniversitairesdeMaladiesInfectieusesetTropicales (CMIT),PillyE. Maladiesinfectieusesettropicales.Alinéaplus;
2018[720p.].
[8]ValleeM, BruyereF,RoblotF, BrureauL.Placedelatémocilline dans le traitement desinfections urinaires.Prog Urol2017;27 (12):609–17.
[9]Révisiondesrecommandationsdebonnepratiquepourlapriseen chargeetlapréventiondesInfectionsUrinairesAssociéesaux Soins(IUAS)de l'adulte;2015[Internet]http://www.infectiologie.
com/UserFiles/File/medias/Recos/2015-RPC-infections_
urinaires_associees_aux_soins.pdf.
M.Valléeetal.
Truc et astuce
F106