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Actes du colloque

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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L’Europe

dans tous ses États

Quelles réponses aux défis du XXI

e

siècle ?

Actes

du colloque

du vendredi 9 novembre 2007

Conseil général

des Ponts et Chaussées

Actes du colloque

Conseil général des Ponts et Chaussées L’Europe dans tous ses États - Quelles réponses aux défis du XX

CGPC

www.cgpc.developpement-durable.gouv.fr

Service communication :

Tél. : 33 (0) 1 40 81 68 11 Fax : 33 (0) 1 40 81 68 86

Pour le colloque :

E-mail : colloquecgpc@equipement.gouv.fr

www.colloque2007.cgpc.equipement.gouv.fr

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Directeur de publication : Claude Martinand

Rédactrice en chef et coordination : Maud Clouët de Crépy

Secrétariat et recherche iconographique : Bureau de la communication du CGPC

Conception graphique et

réalisation des Actes du colloque : Temps Réel

Imprimé par IJL sur du papier issu de forêts certifiées PEFC, à pâte ECF.

Crédits photos :

MEEDDAT / DICOM / Gérard Crossay

Retranscription écrite du colloque : UBIQUS

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L’Europe

dans tous ses États

Quelles réponses aux défis du XXI

e

siècle ?

Actes

du colloque

du vendredi 9 novembre 2007

Conseil général

des Ponts et Chaussées

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Sommaire

Accueil 4

Ouverture du colloque 6

Message de Jean-Pierre JOUYET 12

1 - Cinquante ans après le traité de Rome :

quelle ambition pour l’Europe ? 16 2 - Les transports confrontés

aux défis du changement climatique

et du développement durable 34

3 - La société de la connaissance 52 4 - Le bien commun ou l’intérêt général

communautaire 70

Conclusion 88

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Accueil

Claude MARTINAND

Vice-président du conseil général des Ponts et Chaussées

Monsieur le ministre d’État, mesdames et messieurs, chers amis, c’est un grand plaisir et un honneur pour moi de vous accueillir pour le colloque annuel du conseil général des Ponts et Chaussées.

Cette autorité technique, économique et morale conseille les pouvoirs publics, contrôle ou audite les services et évalue les politiques publiques, en s’efforçant de conjuguer la sagesse liée à l’âge, l’esprit de responsabilité et la modernité.

Pour nous, le développement durable devient une seconde nature, ou plutôt une culture vers laquelle nous nous efforçons de tendre.

C’est pourquoi, monsieur le ministre d’État, nous vous proposerons prochainement de changer le nom de cette institution afin de mieux signifier notre champ d’intérêt.

Depuis son bicentenaire, en 2004, le Conseil organise chaque année un colloque s’inscrivant dans l’actualité et contribuant à ouvrir une réflexion sur les grandes questions d’avenir, en relation avec nos missions.

L’an dernier, « les territoires dans tous leurs états » nous avait mobilisés sur les nouvelles dynamiques de l’action publique.

Cette année, cinquante ans après le traité de Rome, au moment de la signature du traité modificatif de l’Union européenne qui sort la construction européenne de l’ornière, nous avons souhaité contribuer à la préparation de la présidence française au second semestre 2008, donc à l’élaboration des réponses aux défis du XXIesiècle – mondialisation, changement climatique, immigration, cohésion sociale et territoriale, citoyenneté et démocratie – et plus particulièrement à ceux qui concernent le grand ministère de l’Écologie, du Développement et de l’Aménagement durables et celui, voisin, de la Ville et du Logement.

Monsieur le ministre d’État, monsieur le président du conseil général des Ponts et Chaussées, nous nous réjouissons de votre présence pour ouvrir notre colloque malgré l’imminence du débat budgétaire qui va vous occuper dès le milieu de la matinée au Parlement.

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Fait sans précédent, vous allez présider l’an prochain trois conseils européens : le Conseil dédié au climat et à l’énergie, le Conseil des transports et le Conseil de l’environnement. C’est dire l’étendue de vos responsabilités, qui portent sur deux des trois grandes priorités de la présidence française.

Nous savons que vous souhaitez porter au niveau européen les priorités dégagées lors du Grenelle de l’Environnement dont chacun s’accorde à reconnaître le succès.

Le moment est venu, monsieur le ministre d’État, de vous demander de bien vouloir nous exposer vos préoccupations, vos orientations et vos priorités pour la présidence française.

Claude MARTINAND

Vice-président du conseil général des Ponts et Chaussées

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Ouverture du colloque

Jean-Louis BORLOO

Ministre d’État, ministre de l’Écologie, du Développement et de l’Aménagement durables

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Introduction

Monsieur le ministre, madame la ministre, Excellence, monsieur le vice-président, je voudrais tout d’abord vous remercier de m’avoir invité à cette journée de radiographie en profondeur de notre pays et de nos voisins, puisque les problématiques sont largement communes aux différents pays européens.

Le conseil général des Ponts et Chaussées est l’une des plus anciennes institutions françaises. Néanmoins, fort de ses capacités d’expertise, il se situe toujours dans

« l’après ».

1. La fin d’un modèle de développement

Rarement votre rôle a été aussi décisif qu’aujourd’hui pour deux raisons.

En premier lieu, nous vivons sur un modèle économique et industriel dont on peut raisonnablement affirmer, sans aucun catastrophisme, qu’il arrive à son terme. NIXON, lorsqu’il était encore vice-président, disait : « Le socialisme est mort de ne pas avoir laissé les prix dire la vérité économique. »

On peut affirmer de la même façon, aujourd’hui, que l’économie de marché va mourir, faute d’avoir laissé les prix dire la vérité écologique. Tout le débat sur le développement durable se résume à cette phrase.

Le prix des produits occulte complètement l’empreinte écologique et le coût écologique de leur conception, de leur transport et de leur distribution.

Si cette part de prix occultée était éternelle, ce serait simplement une faiblesse de l’appréciation. Mais elle n’est pas éternelle. Elle a même une durée de vie extrêmement courte.

Certes, on peut discuter du jour et de l’heure. Mais il ne fait pas de doute qu’avec les émissions de CO2la raréfaction des produits fossiles, la disparition d’un certain nombre d’espèces sur la planète et l’accumulation des rejets difficilement destructibles nous conduisent au terme d’un modèle qui ne survivra pas au siècle qui vient.

Nos organisations d’État n’ont pas encore pris la mesure de ce constat. Cependant, le débat qui a eu lieu dans notre pays, pendant la campagne présidentielle, autour

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du pacte écologique (un des rares sujets ayant donné lieu à une communion de pensée des candidats en présence) a conduit à prendre trois décisions :

• La création d’un ministère qui s’efforce de déployer une stratégie de développement durable

Ce ministère a été constitué en regroupant un certain nombre de fonctions qui étaient jusqu’à présent remplies de façon séparée, comme si chacune d’entre elles avait sa vérité propre.

Je souhaite donner toute leur place aux risques industriels, à l’écologie, à la préservation de la nature, en donnant à l’ancien ministère de l’Équipement une cohérence, afin que nous cessions de bâtir des infrastructures pour elles- mêmes, sans intégrer leur empreinte écologique.

• L’organisation du Grenelle de l’Environnement

Le président de la République a décidé de réunir le Grenelle de l’Environnement sur la base d’une idée simple, passer du modèle qui occulte l’empreinte écologique à un modèle de développement durable qui exige une association étroite de tous les acteurs de la société.

Le Grenelle de l’Environnement était de ce point de vue un moment exemplaire de démocratie sociétale dont les objets, la méthode, la procédure, l’ordre du jour et les comptes rendus ont été établis de façon équitable, chacun ayant la même place dans le dispositif (collectivités territoriales, État, entreprises, organisations syndicales, ONG…).

Les conséquences les plus encourageantes ne se sont pas fait attendre.

Alors que tout était réuni pour que des tensions surgissent, par exemple sur la question des OGM, cette méthode de travail a permis de déboucher sur des décisions partagées et portées par les différents acteurs, pour la quasi- intégralité d’entre elles.

C’est dire qu’il se passe quelque chose dans nos économies occidentales qui nous transcende et qui constitue une impérieuse nécessité. Car c’est bien de l’avenir de la démocratie, sur le modèle actuel et dans sa forme actuelle, qu’il est question.

Si nous tenons compte de la croissance du PIB, en effet, ce n’est pas par un facteur 4 que nous devrons réduire nos émissions de gaz à effet de serre, mais par un facteur 10.

Je suis convaincu que nos marges de manœuvre sont réelles et que des ajustements qui ne sont pas d’une ampleur considérable peuvent nous permettre de réussir.

Nous sommes entrés dans un processus à l’issue duquel nous souhaitons dire la vérité des prix écologiques. Le Grenelle de l’Environnement a abouti à la décision de

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Ouverture du colloque

mettre en place des étiquettes de prix écologiques (qui pourraient prendre la forme de catégories A, B, C ou D) afin que chaque citoyen puisse, chaque jour, arbitrer en parfaite connaissance de cause parmi les produits et services qu’il est susceptible d’acquérir. Par ailleurs, nous allons tester, sur un certain nombre de produits de grande consommation, l’intégration, dans le prix final, du prix écologique, par un système de bonus/malus, pour chaque grande famille de produits.

• Modifier nos stratégies de mobilité et de transport

Nous devons modifier nos stratégies générales, notamment nos stratégies de mobilité et de transport, au profit de modes plus collectifs, en milieu urbain sur le plan national et même continental (transport collectif, ferroviaire, voies d’eau).

À titre d’exemple, des autoroutes ferroviaires permettraient sans doute de transporter sur longue distance des camions à un coût qui serait inférieur, pour les transporteurs routiers, à l’amortissement des pneus, du fioul et du temps de conduite.

Dans le domaine aérien, une stratégie a été définie avec les différents acteurs.

Dans le domaine de l’habitat, le climat tempéré de notre pays, sa richesse en ressources naturelles et une électricité peu chère, bien entretenue et bien maintenue offrent des opportunités que nous avons tardé à saisir : nous avons laissé des « passoires » écologiques perdurer dans notre parc de logements.

En témoigne la consommation annuelle moyenne de nos logements, qui avoisine 250 kWh/m2.

Il s’agira de chantiers importants qui ne pourront être mis en œuvre qu’avec tous les partenaires (collectivités territoriales, organisations syndicales, associations et citoyens).

2. Le rôle que peut jouer la France

L’action menée par la France ne peut s’inscrire que dans un cadre plus large.

Nous devons d’abord commencer par agir chez nous avant d’inspirer l’action européenne.

La présidence française de l’Union européenne, qui se traduira par la présidence de quatre conseils européens, constitue une formidable opportunité. La question à laquelle nous sommes certains de devoir répondre vise à savoir comment développer un mode de vie agréable en prélevant beaucoup moins sur la planète. Tel est le grand projet de développement du XXIesiècle.

Le président de la République était avant-hier à Washington. Il a dit au Congrès américain : « Nous avons besoin de vous dans ce grand combat pour la planète ».

Comme vous le savez, les États-Unis d’Amérique avaient signé le protocole de Kyoto mais ne l’avaient pas ratifié. Le président de la République les a invités à prendre la tête de cette croisade.

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Que croyez-vous qu’il se passa ? Une standing ovationa eu lieu, réunissant élus républicains et démocrates. Nous allons en Chine dans quelques jours avec le président. Pour préparer ce voyage, l’ambassadeur de Chine en France nous disait hier que la Chine était d’accord sur des objectifs, même si elle considère ne pas avoir la même part de responsabilité.

Dans les semaines et les mois qui viennent, nous devrons préparer l’après- Kyoto, c’est-à-dire la réunion de Bali, prévue dans quelques semaines, et faire en sorte que des objectifs quantifiés soient adoptés, avec des modes opératoires et surtout par le plus grand nombre de pays sur la planète.

Pendant la présidence française de l’Union européenne, nous aurons un certain nombre de chantiers à mener, parmi lesquels le chantier « bâtiments et habitat », l’ERTMS ou encore la taxe carbone générale.

Il faudra également travailler au chantier « CO2 automobile », dans le cadre duquel nous sommes parvenus, en Conseil européen, à un objectif de taux maximum d’émission de 130 g/km.

Cela supposera d’engager des discussions avec nos partenaires allemands, qui souhaitent que cet objectif s’applique avec une « pente » autorisant un niveau d’émission plus élevé pour les voitures les plus puissantes. Nous pouvons comprendre les préoccupations économiques et sociales de nos amis allemands.

Nous allons cependant rencontrer là un point « dur » : comment concevoir que les voitures les plus puissantes et les plus chères aient un droit d’émission sensiblement supérieur à celui de voitures moins chères et moins puissantes ? Comment imaginer qu’il puisse exister une prime à la construction de voitures si puissantes et si chères ?

3. Redistribuer les « chances » de vie

Les débats qui se dessinent devant nous sont importants. Je suis absolument convaincu qu’un nouvel acteur fera la différence et va nous permettre de remporter cette bataille : la génération 2015.

Je veux parler de celle qui est née en 2000, avec l’Internet, qui dispose d’une capacité de communication révolutionnaire, qu’aucune génération n’a eue avant elle. Cette génération est née avec l’idée que la Terre est toute petite et très fragile : il n’y a que quinze kilomètres au-dessus de nous pour nous protéger.

Nous ne pouvons continuer à maltraiter cette petite balle, orange ou bleue selon la façon dont on préfère la voir. On ne peut plus considérer qu’il existe la biodiversité d’un côté et l’homme de l’autre, ou que nous serions détachés de ce grand arbre de la vie dont nous pourrions modifier ou breveter une partie. Ce qui se passe relève à la fois des modes opératoires et de la transversalité. Le défi que nous devons relever constitue peut-être une grande chance de réconcilier l’homme avec lui-même et de redonner un sens au collectif.

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Ouverture du colloque

La perte de sens est fortement alimentée par l’idée, longtemps très répandue, selon laquelle les ressources dont nous disposons sont éternelles, qu’on peut les gâcher et donc, d’une certaine manière, ne pas respecter la nature et les êtres vivant sur cette planète. Nous allons être confrontés à une nécessaire redistribution des chances de la vie entre les territoires, les latitudes et entre les générations.

Le président de la République Jacques Chirac avait proposé, face à la multitude des organismes internationaux, la mise en place d’une gouvernance commune au travers de Nations-unies de l’environnement.

Au cours des différentes réunions tentant de faire avancer cette idée, j’ai souvent été frappé par le désarroi de mes collègues. Il m’a pourtant semblé que les peuples avaient perçu l’essentiel, et les gouvernements également. Ceux-ci sont manifestement de plus en plus désemparés devant ce qu’ils jugent inéluctable : la confrontation entre les restrictions et les problèmes sociaux, à l’échelle de la planète.

En réalité, nulle part au monde il n’a été démontré, sur un bassin suffisamment significatif, que le développement durable était possible, alors qu’il l’était il y a vingt ou trente ans.

C’est la raison pour laquelle vous devez nous aider à démontrer que cela est possible. Nous vivons dans une Europe magnifique. Notre pays bénéficie d’un climat incroyablement tempéré et de richesses naturelles exceptionnelles dans tous les domaines.

Si nous n’étions pas en situation, au cours de la décennie qui vient, de le démontrer (alors que nous ne sommes pas aussi éloignés de l’objectif que certains le disent), les restrictions s’imposeront sans doute de façon beaucoup plus brutale, violente et dramatique.

Nous devons passer à un mode opératoire, sans revenir en arrière mais en saisissant cela comme une opportunité. Nous savons ce qu’il faut faire.

La question consiste à définir des modes d’organisation.

Je vous remercie.

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Message de Jean-Pierre JOUYET

Secrétaire d’État auprès du ministre des Affaires étrangères, chargé des Affaires européennes

Lu par Claude MARTINAND, vice-président du conseil général des Ponts et Chaussées

1. La construction européenne à un tournant

« Bientôt dotée d’un traité qui doit lui donner la capacité de décider et met fin à quinze ans de débat institutionnel, et cinquante ans après le traité de Rome, l’Europe doit affronter les défis du XXIe siècle. Mondialisation, changement climatique, développement durable, vieillissement, immigration, cohésion sociale, territoriale, citoyenneté, démocratie : nous entendons ne pas éluder ces questions sous la présidence française du Conseil de l’Union européenne.

Elle intervient à un tournant : l’Europe se remet en marche après une longue phase de doute. Les priorités que nous avons choisies pour cette présidence répondent à trois défis : elles portent sur le développement durable, l’énergie et la gestion durable et concertée des migrations.

Nous avons également la volonté très forte de faire progresser l’Europe de la défense et de renforcer la compétitivité et la croissance en Europe.

Notre ambition est bien de faire de l’Europe un acteur global de la mondialisation, tant au plan économique et commercial que politique.

Dans ce contexte, nous souhaitons véritablement poursuivre le processus de réforme et avancer hardiment, sans tabous. Une bonne présidence, ce sont des projets concrets, visibles, ainsi que quelques initiatives fortes.

Je pense à l’éducation, à la culture ou à l’accès des populations des pays pauvres aux soins de santé. Je pense aussi, avec les événements dramatiques qui se sont déroulés en Grèce au cours de l’été, à la nécessaire coordination des moyens de gestion civile des crises.

Il faut qu’il existe, au niveau européen, un véritable appareil de sécurité civile pour lutter contre les inondations, les incendies et toutes sortes de catastrophes naturelles dont nous sommes de plus en plus victimes, peut-être à cause des changements climatiques.

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2. Quelles priorités pour la présidence française de l’Union européenne en 2008 ?

Permettez-moi de revenir sur certains axes qui vont structurer notre présidence.

• La croissance et l’emploi

Nous devons soutenir les politiques de recherche et d’innovation qui conditionnent le futur de l’Europe et le développement des entreprises.

Notre ambition est d’autant plus grande que nous avons collectivement du « pain sur la planche » : l’Europe est encore loin d’être la zone la plus compétitive du monde, comme les États membres s’en étaient donné l’objectif en 2000 à Lisbonne pour l’horizon 2010.

La croissance est inférieure, sur le long terme, à celle de ses concurrents, ses investissements de recherche et développement trop modestes. Sa population est vieillissante. Autant d’indicateurs d’une certaine faiblesse de notre continent, à laquelle il convient de répondre très rapidement, en construisant l’Europe du futur.

La stratégie de Lisbonne est plus pertinente que jamais. Nous devons lui donner un nouveau souffle et sans doute être plus fermes dans nos objectifs et plus contraignants dans les instruments à utiliser.

• La sécurité et la protection des citoyens

Je le répète inlassablement : la protection des citoyens n’est pas le protectionnisme.

C’est le pendant indispensable de l’ouverture de l’Europe au monde et de la France à l’Europe.

En matière sociale, une sécurité accrue doit accompagner la flexibilité qu’exige l’adaptation de nos entreprises. La coopération en matière juridique et policière participe bien entendu à la protection des citoyens, pour ce qui relève de la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme. Elle leur assure aussi les garanties de droits qu’ils demandent dans leur vie quotidienne.

• L’immigration

Une politique commune en matière d’immigration sera une de nos grandes priorités. Elle devra être efficace, globale et bien sûr équilibrée.

Depuis que je suis en fonctions, je suis frappé de constater que tous les États membres, y compris le Royaume-Uni avec ses spécificités, ont conscience de la nécessité de trouver des réponses communes à des enjeux liés à des mouvements démographiques mondiaux extrêmement profonds et durables.

Dans ce domaine, l’Europe peut apporter beaucoup, notamment par une

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Message de Jean-Pierre JOUYET

meilleure coordination des politiques nationales. Si nous ne faisons rien, c’est l’ensemble de l’Europe qui sera affecté par des mouvements désordonnés.

• L’Europe du futur

Nous devons faire en sorte que les décisions politiques qui sont prises en matière d’énergie et de changement climatique soient rapidement traduites et que les grands projets de recherche sur les nouvelles technologies voient le jour.

Je pense à la politique énergétique ou spatiale, et à Galileo, naturellement.

Préparer l’avenir, c’est aussi, pour l’éducation et la formation, enrichir le capital humain, grâce aux échanges organisés par nos universités et nos centres de recherche.

Enfin, l’Europe doit porter nos ambitions dans le monde. Les relations avec les pays émergents, en particulier avec la Chine- qui sera très visible en 2008 compte tenu de l’organisation des Jeux olympiques -ou celles avec la Russie, devraient être l’occasion de renforcer et de rationaliser les instruments européens de politique extérieure et de coopération, aujourd’hui trop dispersés.

La relation transatlantique devra être plus dense.

Nous sommes très attachés à la qualité de nos relations avec les États-Unis d’Amérique. Nous confirmons la vocation européenne des pays des Balkans. La réponse apportée par les pays d’Europe à la situation du Kosovo sera un test sans précédent de l’unité de l’Europe et de la crédibilité de sa politique extérieure.

La politique européenne de voisinage devra aussi être modernisée dans ses deux dimensions indissociables que sont l’Est et le Sud. Au Sud, l’Union méditerranéenne que nous proposons pourra nous mettre en situation de traiter des questions concrètes d’intérêt commun pour les pays riverains, comme l’environnement, la sécurité maritime ou les migrations.

Je pense aussi au dialogue interculturel que nous devons nouer. L’Union méditerranéenne n’est pas tant importante de ce côté-ci de la mer que de l’autre côté, où elle permet de réunir et de construire des politiques communes.

L’alternative est simple : soit nous ne faisons rien, soit nous essayons d’inventer un processus qui fasse en sorte que la seule région au monde qui n’est pas intégrée et ne possède pas d’instances de coopération, une région source de conflits et de danger pour la stabilité mondiale, puisse susciter, au travers de projets concrets, des solidarités de fait.

Cela doit bien sûr se bâtir en coordination avec nos partenaires, en dépassant, sans le dénaturer, le cadre de coopération actuel (le processus de Barcelone).

Nous travaillons évidemment sur l’Afrique, le développement et les droits de l’homme, dimensions essentielles de l’action européenne, en marquant

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notamment du sceau européen le 60eanniversaire de la Déclaration des droits de l’homme, que nous fêterons en décembre 2008 à Paris.

Mesdames et messieurs, je souhaite que la dynamique qui anime ce colloque soit amplifiée et que nous puissions ensemble faire naître une génération européenne, une « génération Europe », qui repose sur une expérience partagée de notre Europe. Elle sera seule à même de répondre aux défis du XXIesiècle. »

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Cinquante ans après le traité de Rome, quelle ambition pour l’Europe ?

Participent à la table ronde :

Jean-Luc DEHAENE

Député européen, ancien Premier ministre du royaume de Belgique, ancien vice-président de la Convention européenne

Philippe HERZOG

Président de Confrontations Europe et professeur à l’ENSAE

Jeremy RIFKIN

President of the Foundation on Economic Trends

Hubert VÉDRINE

Ancien ministre des Affaires étrangères

L’ensemble des débats de la journée est animé par

Marc PAOLONI, correspondant à Bruxelles du journal La Tribune

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Cinquante ans après le traité de Rome, quelle ambition

pour l’Europe ?

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Résumé

Au cours de ce débat introductif, Jean-Luc DEHAENE, député européen, ancien Premier ministre du royaume de Belgique, ancien vice-président de la Convention européenne, rappelle que l’essence de la démarche menée par la Convention consiste à doter l’Europe de moyens permettant d’affronter les nouveaux défis auxquels elle est confrontée. Cela supposait d’abord d’adapter les méthodes de décision et les institutions à l’élargissement quantitatif de l’Europe. D’autres éléments avancent mais deux priorités existent aujourd’hui :

• la révision du mode de financement de l’Union européenne ;

• la revalorisation du rôle de la Commission européenne, en tant que moteur et gardien de la cohésion européenne.

Philippe HERZOG, président de Confrontations Europe et professeur à l’ENSAE, observe que c’est faute de projets que la construction européenne a été stoppée dans son élan. Il plaide pour la ratification rapide du traité réformateur qui, en améliorant les institutions, permet d’éviter une crise politique. Le réseau Confrontations Europe considère cependant qu’une deuxième étape sera tout aussi essentielle : la définition de la stratégie de l’Union pour les années 2010-2020.

Ce chantier mérite, pour Philippe HERZOG, de faire l’objet d’un nouvel Acte unique européen, qui pourrait être proposé à la signature des États membres après le renouvellement du Parlement et de la Commission en 2009.

Le nouvel Acte unique doit être un engagement politique collectif, axé sur la coopération et la participation des Européens. Il doit permettre de réconcilier les sociétés civiles avec leurs élites. En substance, il s’agit du renouvellement et de la refondation en profondeur de la stratégie de Lisbonne lancée en 2000. Enfin, après cet « Acte unique II », une troisième étape pourrait être, d’ici à une quinzaine d’années, la consolidation de l’Europe politique, avec peut-être une nouvelle tentative constitutionnelle, avant d’éventuels nouveaux élargissements.

Hubert VÉDRINE, ancien ministre des Affaires étrangères, juge illusoire l’approche selon laquelle il existerait dans la construction européenne un sens de l’Histoire inéluctable, qui ferait des États-nations des constructions obsolètes et archaïques. Il considère en effet que l’intégration politique, qu’il distingue de la construction, va trouver son point d’équilibre autour du traité simplifié.

Celui-ci devrait libérer les énergies pour mener de nombreux projets ambitieux

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et concrets. Cependant, la construction n’avancera qu’à la faveur de projets communs, qui pourraient prendre la forme d’une politique commune de l’énergie ou d’une politique transversale de développement durable ou de recherche, par exemple.

Il demeure toutefois deux désaccords importants entre Européens. Le premier porte sur la géographie. Sur ce point, l’ancien ministre des Affaires étrangères considère que l’Union européenne doit fixer des limites géographiques à son extension car, « dans une logique politique, plus on est gros, plus on se dilue ».

Le second désaccord porte sur l’ambition à donner à l’Europe.

À cet égard, Hubert VÉDRINE estime que l’Europe ne sera rien si elle n’est pas une puissance, dans le monde multipolaire, chaotique et compétitif dans lequel nous sommes. Or une prise de conscience est nécessaire car, jusqu’à présent, l’opinion publique européenne vit dans une sorte de rêve éveillé, qui risque de faire de l’Europe « l’idiot du village international ».

Jeremy RIFKIN pense que l’Union européenne guidera le monde vers une troisième révolution industrielle et l’avènement d’une société durable.

Trois facteurs sont nécessaires à cette impulsion : tout d’abord, les énergies renouvelables déjà ciblées par l’Union européenne, deuxièmement l’hydrogène ainsi que d’autres techniques de stockage capables d’entreposer ce type d’énergie, et enfin des réseaux électriques intelligents pour en assurer la distribution.

Ainsi, la révolution énergétique va converger avec l’émergence de nouveaux modes de communication (Internet, réseaux de télécommunications).

Nous pourrons alors être des millions à produire notre propre énergie et à la stocker, et éventuellement à distribuer le surplus vers le réseau.

L’Europe pourra dès lors retrouver un rôle prépondérant à l’international.

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Cinquante ans après le traité de Rome, quelle ambition

pour l’Europe ?

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Marc PAOLONI

Monsieur DEHAENE est belge mais il est né à Montpellier. Néanmoins ce n’est pas cela qui fait de lui un Européen. Outre ses participations, au cours des vingt dernières années, au cheminement de l’Europe, monsieur DEHAENE reste surtout l’un des grands architectes de la Constitution qui prend aujourd’hui un nouveau visage avec le traité modificatif.

Monsieur DEHAENE, nous sommes à un moment particulier, après cinquante ans de vie du traité de Rome, qui a évolué jusqu’au traité de Nice en 2000.

Six années de négociations plus ou moins feutrées ont abouti à la Convention puis à la signature de la Constitution et à son abandon, avant la signature probable, le 13 décembre prochain, à Lisbonne, du « traité modificatif » qui prendra certainement le nom de traité de Lisbonne. Les institutions européennes vont-elles effectivement permettre à l’Europe de réaliser ses ambitions et l’Europe nouvelle pourra-t-elle avancer d’un même pas, avec l’adhésion de tous les citoyens européens ?

Jean-Luc DEHAENE

Le traité de Lisbonne diffère peu, en termes de contenu, de ce qu’était la proposition de traité constitutionnel. Il constitue un pas important, et probablement pas le dernier, vers ce dont l’Europe a besoin au XXIe siècle : un saut qualitatif. Jacques DELORS a appelé cela une « refondation de l’Europe ».

Celle-ci est en effet confrontée à des défis nouveaux, au regard de ceux auxquels la construction de l’intégration européenne a dû faire face. L’Europe, née d’une coopération structurée entre États et complétée par l’Union économique et monétaire, a largement atteint ses objectifs. Aujourd’hui, il semble moins évident, aux yeux de l’opinion publique, de répondre aux défis résultant de la fin de la guerre froide et à ceux de la construction d’un monde globalisé.

L’essence de la démarche menée par la Convention a consisté à doter l’Europe de moyens permettant d’affronter ces nouveaux défis. Cela supposait d’abord l’adaptation des méthodes de décision et des institutions à l’élargissement quantitatif de l’Europe, notamment en généralisant la décision majoritaire, afin

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que l’unanimité et le droit de veto ne constituent pas des obstacles majeurs à la poursuite de la construction européenne.

Si d’autres éléments avancent, deux choses font néanmoins défaut à mes yeux : en premier lieu le mode de financement de l’Union européenne, qui ne peut se poursuivre de mon point de vue selon les règles actuelles, c’est-à-dire une dotation des États membres proportionnelle à leur budget, et en second lieu la revalorisation du rôle de la Commission, en tant que moteur et gardienne de la cohésion européenne.

Par ailleurs, nous devons nous préparer à relever de nouveaux défis liés à la mondialisation. Le premier est le changement climatique. Le traité modificatif confère à l’Europe des compétences nouvelles en matière de lutte contre le changement climatique. De telles initiatives peuvent rencontrer l’adhésion du citoyen qui a aujourd’hui une conscience aiguë de ces enjeux. Un autre a trait à la sécurité intérieure et extérieure : nous avons besoin, dans ce domaine, d’une approche réellement européenne, en nous inspirant de la méthode adoptée avec tant de succès sur le plan économique. Le traité de Maastricht a introduit une plus grande coordination en matière de police, de justice et d’affaires étrangères, de façon plus « classique » que ce qui avait été fait dans le domaine économique. Reste aujourd’hui à franchir un pas important pour une meilleure coordination de la politique étrangère de l’Union.

Enfin, le traité de Lisbonne nous donne les moyens de faire de l’Europe une puissance politique au niveau mondial, et pas seulement une puissance économique. L’Europe pourrait ainsi devenir un acteur global, capable de contribuer à l’organisation de la globalisation et de peser sur les décisions de gouvernance internationale. Cela suppose évidemment que l’Europe parle d’une seule voix, comme elle le fait, par exemple, au sein de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Marc PAOLONI

Le parcours de monsieur HERZOG dans la vie politique et universitaire française est très riche. Entré au Parlement européen en 1989, il y a siégé assez longtemps pour « attraper le virus » de l’Europe. Il préside aujourd’hui Confrontations Europe, instance de débats et d’échanges sur les questions européennes.

Monsieur HERZOG, vous avez expliqué que le traité modificatif n’avait peut-être pas toutes les vertus, mais qu’il devrait permettre de donner une impulsion nouvelle à la construction européenne, grâce au rassemblement des politiques européennes. Vous avez ainsi lancé l’idée d’un « Acte unique II », après celui initié par Jacques Delors en 1985, fixant pour objectif, à l’horizon 1992, la construction du Marché unique. En quoi cet Acte unique II pourrait-il être plus mobilisateur que le premier ?

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Cinquante ans après le traité de Rome, quelle ambition pour l’Europe ?

Philippe HERZOG

Une Constitution ne peut mobiliser les Européens que si elle s’inscrit dans un projet. Faute de projet, elle a échoué. Le traité modificatif, en améliorant les institutions, permet d’éviter une crise politique. Il faut maintenant le ratifier dès que possible afin de passer à la deuxième étape, plus ardue encore que la première mais aussi plus essentielle : elle vise à donner à l’Union européenne une perspective susceptible de réunir les Européens. Si nous ne parvenons pas à faire de cette deuxième étape une refondation, un engagement politique véritable, les préférences collectives des différents États membres risquent alors de diverger et la Communauté de se déliter.

Une perspective en trois étapes

Avec Confrontations Europe, devenu un réseau européen, nous proposons une perspective en trois étapes :

• à très court terme, le traité modificatif, en faisant l’hypothèse qu’il sera signé à Lisbonne puis ratifié par les États dans des délais assez courts ;

• la conclusion d’un nouvel Acte unique européen (après le renouvellement du Parlement et de la Commission en 2009), consacré à la stratégie de l’Union dans les années 2010-2020 ;

• la consolidation, d’ici à une quinzaine d’années, de l’Europe politique, avec peut-être une nouvelle tentative constitutionnelle, avant d’éventuels nouveaux élargissements.

Pour un nouvel Acte unique

Il y a un peu plus de vingt ans, l’Acte unique énonçait trois objectifs clairs, assortis de moyens et d’un agenda précis : créer un marché unique, lancer une politique sociale, en particulier avec les fonds structurels, et entreprendre une coopération dans le domaine de la politique extérieure.

Le nouvel Acte unique doit être un nouvel engagement politique collectif, au service de la cohésion de l’Union, du développement durable et de la capacité d’action de l’Europe dans la mondialisation là encore avec des objectifs et des moyens. Ce ne sera pas un nouveau traité, à la différence du premier Acte unique, mais un engagement politique, un plan d’action collectif, axé sur la coopération et la participation des Européens. En substance, il s’agira du renouvellement et de la refondation en profondeur de la stratégie de Lisbonne lancée en 2000. En effet, celle-ci, axée sur la société de la connaissance et le marché intérieur, n’a pas atteint ses buts, et le monde a beaucoup changé.

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La méthode doit changer radicalement. Nous voulons une méthode interactive. Chaque État membre devra définir trois à quatre objectifs prioritaires le concernant, traduisant ce qu’il attend de l’Union, en fonction de ses besoins, et ce qu’il va lui apporter.

D’autre part, l’Union devra définir des objectifs plus clairs sur lesquels les autorités s’engageront, dans un processus de consultation et de finalisation mobilisant les différents niveaux. Il faudra donc une préparation interactive, qui doit commencer maintenant, pour laquelle Confrontations Europe a démarré un véritable lobbying politique, avec l’appui de Jacques BARROT, Michel BARNIER et quelques autres.

L’effort de prospective est fondamental. De tous côtés, nous souhaitons un effort de projection vers l’avenir, précédant l’élaboration de projets : non plus une approche top-downmais une approche bottom-up, non plus une approche segmentée et sectorielle mais une approche transversale.

Je reviens de Bulgarie. C’est un pays pauvre, mais responsable, qui demande que l’Europe continue de faire pression sur lui afin qu’il poursuive ses réformes.

Cela dit, les Bulgares souhaitent que cette pression soit exercée de façon plus intelligente et assortie d’appuis effectifs. On peut citer plusieurs domaines dans lesquels ces principes doivent se concrétiser. Ainsi, l’éducation est un enjeu dont l’Europe communautaire ne s’occupe guère. Or, en Bulgarie, c’est un problème aujourd’hui central. D’autres sujets de préoccupation majeure pour ce pays sont la réforme de l’administration publique, la soutenabilité des investissements étrangers et la mise en place d’une coopération régionale dans la mer Noire.

De tels objectifs mobiliseraient la Bulgarie s’ils se trouvaient au cœur d’une action de l’Europe. La France, par contraste, est riche et attend surtout de l’Union une protection. Mais nous avons aussi des atouts remarquables, susceptibles d’intéresser nos partenaires, dans le domaine des politiques énergétiques et industrielles, ainsi que pour les infrastructures d’intérêt communautaire.

Les priorités d’un nouvel Acte unique

Nous voulons un agenda politique visible, assorti d’un mandat et d’objectifs propres à chaque État et à l’Union. Actuellement, selon la stratégie de Lisbonne, chaque État est évalué à la même toise, 3 % de R&D pour tous, 3 % de déficit, etc. Cela est absurde. En Bulgarie, l’indicateur de R&D se situe à 0,5 % du PIB.

Les problèmes ne peuvent se poser de cette façon. Par ailleurs, le moteur collectif est invisible : l’apport propre de l’Union n’a rien d’évident, même si Jacques BARROT a su faire avancer des projets concrets. Pour l’avenir, l’Union devra assumer davantage. Elle doit se doter de moteurs collectifs de croissance.

L’énergie en constitue un exemple évident, mais l’éducation doit aussi entrer

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dans l’agenda, de même que l’industrie du développement durable, qui ne pourra voir le jour de façon efficace que par un effort commun.

Il faut également parachever le Marché unique, mais cela suppose de résoudre le problème du modèle de marché : le modèle actuel n’inclut pas de biens publics, il ne tient pas compte du fait qu’il n’existera pas de marché intégré sans infrastructures communes et sans cohésion sociale et territoriale. Enfin, il faut définir l’intérêt européen dans la mondialisation et doter l’Union d’une capacité politique extérieure dont elle est actuellement dépourvue. Dans les contenus, il faudra différencier court terme et long terme. Nous faisons face à une grave carence d’investissements matériels et immatériels en Europe. L’Union doit être responsable d’investissements structurants. Dans la mise en oeuvre, des règles sont nécessaires, mais nous devrons aussi nous appuyer sur des coopérations qui restent aujourd’hui très difficiles à mettre en place, à l’image de la coopération transfrontalière, de la coopération régionale et même des coopérations (renforcées ou non) entre États. Il va falloir les bâtir, en particulier à travers des partenariats public-privé pour lesquels les fonds structurels pourraient être profondément renouvelés.

L’action extérieure doit figurer dans l’agenda européen. Nous voulons définir les intérêts européens et la façon dont nous allons les servir. L’Europe veut projeter ses règles, mais d’autres les réfutent et le principe de réciprocité reste aujourd’hui un argument de peu de poids pour des pays tels que la Chine et la Russie. À défaut de coopération et d’intérêts mutuels, les préférences communautaires ne sont pas à laisser en déshérence ; elles doivent au contraire être renouvelées de façon plus intelligente.

Conclusion

Vous m’avez interrogé sur la capacité politique d’une refondation. Cette capacité naîtra d’abord de la méthode. Les citoyens sont démobilisés et risquent de nous lâcher si nous n’adoptons pas une méthode collective et interactive, capable de relancer leur adhésion. Un Acte unique constituerait un engagement collectif des différents responsables. Assez de la fragmentation, de la langue de bois et de la rhétorique ! Vous aurez un mandat et des objectifs. Il faut aussi former les acteurs : les institutions elles-mêmes ne peuvent pas, seules, susciter des projets. Des entreprises, des services publics sont indispensables, de même que des investisseurs financiers européens, publics et privés. C’est au travers d’une telle mobilisation que nous pourrons nous en sortir. Tout cela appelle une nouvelle éthique de responsabilité et de coresponsabilité à laquelle nous souhaitons faire appel, au nom des dirigeants et des sociétés civiles. Nous n’opposons pas les élites et les sociétés civiles. Nous allons, au contraire, nous efforcer de les réunir.

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Marc PAOLONI

Merci monsieur HERZOG.

Monsieur VÉDRINE, ancien ministre des Affaires étrangères du président François MITTERRAND, est l’auteur du rapport au président SARKOZY sur la France et la mondialisation, publié en 2007, dans lequel l’Europe a toute sa place. Alors que le traité modificatif donne le sentiment que nous sommes à l’aube du renouvellement d’un projet commun, monsieur VÉDRINE a écrit que le nouveau traité constitue l’acte de décès du « néofédéralisme». Il semble donc que l’heure de vérité ait sonné pour l’Europe : nous devons avancer ensemble, mais les rêves de dépassement de l’État-nation ne se sont pas tous concrétisés.

Monsieur le ministre, comment articuler leur persistance avec la poursuite de la construction européenne ?

Hubert VÉDRINE

Mes réflexions relèveront à la fois du pronostic et des préconisations suivant les sujets.

Tout d’abord, l’approche selon laquelle il existe un sens de l’Histoire inéluctable dans la construction européenne, qui ferait des États-nations des constructions obsolètes et archaïques, me paraît illusoire, même si elle a pu, par l’effet de la psychologie, être efficace contre les nationalismes imbéciles d’autrefois.

En effet, contrairement à ce qui me paraît être l’un des mythes récurrents de l’Histoire européenne, je ne pense pas que nous pourrons aller plus loin : l’intégration politique, que je distingue de la construction, va trouver son point d’équilibre autour du traité modificatif. Je pense que celui-ci sera ratifié et je m’en réjouis, car il nous sortira de l’impasse institutionnelle dans laquelle nous nous trouvons depuis plusieurs années. Il va libérer les énergies pour mener de nombreux projets ambitieux et concrets.

Je ne crois pas, pour autant, que les États membres iront plus loin que le traité modificatif, quelles que soient les évolutions sur l’échiquier politique international. La construction européenne n’a jamais ressemblé à ce qui s’était passé dans le cas de la construction des États-Unis d’Amérique, à partir de treize colonies à la population relativement homogène, parlant la même langue.

Je pense que le Vieux Continent va une nouvelle fois marquer sa différence de ce point de vue. Cela résoudra un désaccord récurrent entre Européens quant au niveau auquel placer le curseur de l’intégration politique.

La ratification du traité pourrait donc relancer la construction, mais celle-ci ne se fera qu’à la faveur de projets communs. Les exemples sont nombreux.

Il peut s’agir de politiques nouvelles à vingt-sept : nous voyons, par exemple, la nécessité d’une politique commune de l’énergie. Cela pourrait aussi consister en une politique transversale de développement durable ou de recherche.

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Cela pourrait concerner la zone euro, tant il est vrai que nous n’avons pas atteint le degré requis de cohérence. Cela pourrait concerner les coopérations renforcées, dont le mécanisme n’a pas été suffisamment exploité.

Il demeure toutefois deux désaccords importants entre Européens. Le premier porte sur la géographie : faut-il que l’Union européenne ait des limites géographiques ? Je le crois car, si nous sommes dans un système gazeux qui s’étend à l’infini, le citoyen s’appropriera difficilement cette construction. Même les États-Unis se sont arrêtés quelque part, après avoir annexé une partie du Mexique.

Cela peut paraître une mauvaise idée si l’on n’a qu’une vision économique ou commerciale de l’Europe : dans une telle logique, plus on est gros, plus on est puissant. Dans une logique politique, plus on est gros, plus on se dilue.

Le président SARKOZY avait proposé qu’un comité réfléchisse sur les frontières ; si j’ai bien compris, on continue de parler d’un comité mais on ne sait pas encore quelles seraient ses attributions. Cela sera donc à préciser.

Le second désaccord, de façon schématique, porte sur l’ambition à donner à l’Europe : tous les Européens ne considèrent pas que celle-ci doit être une puissance. À mes yeux, l’Europe ne sera rien si elle n’est pas une puissance, dans le monde multipolaire, chaotique et compétitif dans lequel nous vivons : elle se contenterait alors de compter les points dans le match que se livrent les Chinois, les Américains et les autres.

Or, jusqu’à présent, l’opinion publique européenne vit dans une sorte de rêve éveillé, selon lequel nous évoluerions dans un monde postnational, post- traumatique, au sein duquel nous formerions une partie de la gentille communauté internationale. Ce rêve risque surtout de faire de l’Europe l’idiot du village international. Les élites sont plus conscientes de la nécessité de construire une Europe-puissance. Une partie d’entre elles entendait y parvenir par le fédéralisme et se rend compte que cela ne fonctionnera pas. Une autre partie des élites entend y parvenir par des convergences de projets, mais toutes les Nations n’ont pas la même conception des relations avec les États-Unis ou avec la Russie, par exemple, sans que ces divergences aient été fusionnées.

Certains considèrent que l’on peut résoudre de telles difficultés par des traités, mais ce n’est pas aussi simple.

On ne pourra, en tout état de cause, avancer que si l’on reconnaît l’existence d’un problème. Si nous croyons qu’il sera traité par des textes ou par des déclarations, nous n’avancerons pas d’un millimètre. Je suis donc convaincu que ce point doit constituer un sujet majeur de discussion, dans les différents pays et au plan européen. Il me paraît probable que nous serons, in fine, plus proches d’une fédération d’États-nations.

Si nous souhaitons continuer à avancer avec l’énergie nécessaire, nous devons cesser de délégitimer ce qui se passe dans chaque État-nation, car cela a

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déresponsabilisé les États et les citoyens. Cela a alimenté une crise de la démocratie et un sentiment de dépossession démocratique, qui se retourne contre l’objectif fixé au départ : lutter contre les nationalismes. Je crois beaucoup plus à une Europe forte qui s’appuie sur des composantes fortes. L’Allemagne n’aurait pas investi tant d’énergie pour accroître son poids au sein du Parlement européen si elle doutait d’elle-même. Plus les Nations seront confiantes en elles, plus elles apporteront une énergie constructive à l’Europe. Dans de telles conditions, je me définis comme un Européen ardent.

Marc PAOLONI

Monsieur RIFKIN, notre invité américain, est à la fois philosophe, prospectiviste, écrivain et professeur.

Dans votre livre Le rêve européen publié en 2004, vous regrettiez, monsieur RIFKIN, l’enlisement du rêve européen et expliquiez que l’Europe est en train de construire quelque chose d’original, « ... un monde inclusif, durable et fondé sur les ponts de la paix...». Referiez-vous ce constat aujourd’hui ?

Jeremy RIFKIN

Là où le rêve américain ne permet aucune équivoque possible tant il encense la seule réussite individuelle, le rêve européen s’avère plus complexe en opposant opportunité personnelle et qualité de vie. Or, pour les Européens, le besoin d’une société durable est bel et bien motivé par le niveau de qualité de la vie.

Je souhaiterais vous faire part ici de ma profonde conviction selon laquelle l’Union européenne guidera le monde vers une troisième révolution industrielle et l’avènement d’une société durable.

Lors de son accession à la tête de l’Allemagne, la chancelière Angela MERKEL m’a prié de me rendre à Berlin afin de débattre sur les moyens de dynamiser l’économie allemande en ce XXIesiècle. Ma première réaction fut de demander comment stimuler les économies allemande, européenne et mondiale alors que l’ère de l’énergie vit ses dernières heures. Notre grand modèle énergétique fondé sur le charbon, le pétrole, le gaz naturel et l’uranium arrive à son terme.

Certes, quelques décennies s’écouleront avant l’épuisement de ces ressources que nous continuerons à consommer pendant une période assez longue encore.

Il n’en demeure pas moins que nous abordons la fin d’un cycle et, alors que notre modèle énergétique amorce son déclin, nous sommes confrontés à quatre enjeux majeurs et essentiels à notre survie : le changement climatique, la progression de la dette des pays du tiers-monde, aggravée par la hausse des prix du pétrole sur les marchés mondiaux, l’instabilité politique de plus en plus perceptible dans les pays producteurs de pétrole du golfe Persique, et la perspective d’une flambée du pétrole.

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Parce que je travaille avec les milieux économiques, le message que je leur adresse consiste à dire que seuls deux facteurs sont susceptibles d’influencer les prises de décision concernant le reste de ce siècle : le changement climatique en temps réel et la hausse des cours du pétrole, alors que la production planétaire atteint son niveau le plus haut. Tout le reste demeure secondaire au vu de l’orientation que prend l’économie du XXIesiècle.

L’histoire montre que la manifestation des deux phénomènes engendre de grandes révolutions économiques. Or on observe tout d’abord un changement fondamental dans l’organisation des ressources énergétiques planétaires, puis dans notre façon de communiquer sur l’organisation de nouveaux modèles énergétiques.

C’est de la convergence entre ces nouveaux modèles énergétiques et les nouveaux moyens de communication que naissent les tournants historiques susceptibles de transformer de manière définitive l’équation humaine. À ce titre, la civilisation sumérienne fut la première à introduire l’agriculture hydraulique, en transformant les stocks de céréales en énergie. La tâche fut difficile, il a fallu bâtir des digues et des canaux, réunir des artisans et des ouvriers spécialisés.

À cette fin, les moyens de communication ont dû évoluer pour donner naissance à l’écriture cunéiforme. Cette adéquation entre l’écriture et les stocks de céréales, ou, dit en d’autres termes, entre la communication et l’énergie, a donné lieu à un effet de levier vieux de dix mille ans, à l’origine de notre révolution agricole.

À l’ère contemporaine, la première presse à imprimer de Gutenberg et l’alphabétisation de masse ont contribué à révolutionner la communication, à l’heure du charbon, des chemins de fer et des machines à vapeur pour aboutir à la première révolution industrielle, laquelle n’aurait pu voir le jour dans le cadre d’une communication orale ou par codex. Au XXesiècle, l’électricité de première génération a coïncidé avec l’apparition du télégraphe et du téléphone, alors que ces nouveaux moyens de communication ont permis, avec le pétrole et le moteur à combustion interne, la seconde révolution industrielle, dont on connaît les effets sur le XXIesiècle.

Les moyens de communication se sont profondément transformés au cours des quinze dernières années avec l’arrivée des ordinateurs personnels, l’accès à Internet et la communication par satellite, sans fil et wi-fi. Voici révélé le système nerveux central de près d’un milliard de personnes. Nous sommes connectés car la communication est désormais distribuée, et c’est bien là que réside la révolution en question. Finis, les anciens moyens de communication centralisés de type descendant, l’heure est à la communication interactive et ascendante, grâce à laquelle près d’un milliard d’individus communiquent entre eux à la vitesse de la lumière, pour ainsi dire, puisque les réseaux sont décentralisés.

De telles avancées ont permis d’accroître la productivité des technologies de l’information tout en transformant les systèmes éducatifs. Je persiste pour ma

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part à défendre l’idée d’un second chapitre préfigurant la convergence imminente de ces nouveaux moyens de communication distribués avec la mise en place d’un nouveau modèle énergétique, censée annoncer une troisième révolution industrielle. Nos sociétés se tournent vers les énergies dites

« décentralisées » dont l’organisation et l’acheminement passent par des moyens distribués.

On peut aisément opposer les sources d’énergie décentralisées aux énergies dites « d’élite», par lesquelles on désigne le charbon, le pétrole, le gaz et l’uranium. Ces sources d’énergie ne gisent qu’à certains endroits – d’où leur nom – et nécessitent des engagements géopolitiques et militaires, des capitaux, ainsi qu’un traitement et une distribution centralisés. À l’inverse, les énergies décentralisées se trouvent partout : le soleil, le vent, l’énergie hydraulique, les déchets domestiques, les déchets issus de l’exploitation forestière et agricole, les vagues océaniques et les nappes géothermiques. Ces sources d’énergie sont toutes, sans exception, décentralisées.

Or l’émergence de nouveaux modes de communication distribués converge avec l’exploitation des énergies renouvelables décentralisées, lesquelles peuvent être stockées sous forme d’hydrogène, en guise de vecteur. Il s’agit d’un facteur d’autant plus fondamental que le soleil ne brille pas tous les jours et que le vent ne souffle pas indéfiniment. L’hydrogène est un vecteur universel capable de stocker les énergies renouvelables, au même titre que le format numérique permet de véhiculer et de stocker les sources d’information et de communication dans le monde entier.

Trois facteurs sont nécessaires à l’impulsion d’une troisième révolution industrielle :

• tout d’abord, les énergies renouvelables, déjà ciblées par l’Union européenne.

• deuxièmement, l’hydrogène, ainsi que d’autres techniques de stockage capables d’entreposer ce type d’énergie.

• et enfin des réseaux électriques intelligents pour en assurer la distribution.

C’est sur ce dernier point que les nouveaux moyens de communication convergent avec les énergies renouvelables. Grâce à la technologie mise au point par la Silicon Valley pour créer Internet associée au réseau électrique de la France, de l’Union européenne, puis du monde entier, nous pourrons créer un interréseau intelligent et totalement décentralisé.

D’ici trente ans, chaque immeuble disposera de ses propres installations électriques pour intercepter les sources d’énergies renouvelables locales, les stocker sous forme d’hydrogène, et les exploiter pour le transport ou la production d’électricité ou les réacheminer vers le réseau. Dans la même logique, chaque véhicule sera doté de sa propre génératrice d’énergie autonome.

Si j’avais dit il y a vingt ans, à l’époque des gigantesques réseaux de télévision centralisés, que dans vingt ans nous pourrions échanger des vidéos, des

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messages audio et écrits avec près d’un milliard de personnes, à l’aide d’appareils d’à peine 8 pouces qui tiennent dans la main et plus puissants que les réseaux télévisuels, l’on m’aurait traité de fou.

Alors imaginez que dans vingt ans, nous serons des millions à pouvoir générer notre propre énergie viade nouvelles infrastructures et de nouveaux modes de transport, et envoyer le surplus inutilisé vers le réseau.

Nous partagerons cette énergie avec un réseau intelligent et sophistiqué, au même titre que nous échangeons de l’information sur nos réseaux internet avancés. Des sociétés comme IBM commencent déjà à tester des réseaux intelligents aux États-Unis.

Nous sommes à l’aube, selon moi, d’une incroyable révolution industrielle. Il faut toutefois, pour cela, aborder les problèmes non plus en termes géopolitiques mais sous l’angle de politiques de la biosphère, et ce à l’échelle mondiale.

La question qui se pose aux Français et aux Européens est de savoir dans quel monde ils souhaitent vivre dans une vingtaine d’années. Dans un monde où les ressources énergétiques et les industries traditionnelles héritées de la seconde révolution industrielle sont à l’agonie ? Ou dans une société fondée sur de nouvelles sources d’énergie et les industries émergentes d’une troisième révolution ? La réponse ne fait aucun doute, et la France a un rôle fondamental à jouer dès à présent dans la transformation de l’Europe et du monde en une société durable.

Débats

Un participant

Ne voit-on pas actuellement en Europe une tendance marquée par la volonté de séparatisme de certaines régions, comme c’est le cas en Espagne ? S’agit-il d’un phénomène strictement local ou est-il lié, d’une certaine façon, à la construction européenne et aux chemins qu’elle prend, aux frustrations qu’elle peut engendrer ?

Hubert VÉDRINE

L’idée de vivre dans un cadre européen protecteur permet en effet à un certain nombre de séparatismes de se développer dans l’impunité, d’une certaine façon.

Cela concerne quatre ou cinq États membres. Si ces mouvements devaient avoir gain de cause, autant cesser tout de suite de discuter de ces sujets. Mais il est vrai qu’il existe une relation perverse et paradoxale entre la construction européenne et l’émergence de telles aspirations. Certains discours,

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historiquement bien intentionnés, ont fini par produire des effets secondaires nuisibles, in fine, au projet européen.

Un autre participant

L’Europe-puissance ne devra-t-elle pas être dotée d’un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations-unies et un tel projet serait-il acceptable par les membres permanents actuels de cette instance ?

Hubert VÉDRINE

On ne fait pas avancer l’Europe-puissance par des décisions artificielles : c’est l’esprit de puissance qui fait actuellement défaut aux Européens. Ceux-ci croient pouvoir s’en passer car ils pensent que cela conduit à des drames. Si on l’anticipe artificiellement par des traités ou par un mécanisme selon lequel un représentant des 27 remplacerait la France et la Grande-Bretagne au Conseil de sécurité des Nations-unies, il s’abstiendrait neuf fois sur dix et nous n’y gagnerions rien. La situation serait différente si nous parvenions à un degré élevé de cohésion, dans les opinions, les analyses et les objectifs (et pas seulement dans le texte des traités) : nous pourrions alors envisager la traduction de cette homogénéité politique par la désignation d’un représentant unique des États membres au sein d’instances telles que le Conseil de sécurité.

Jean-Luc DEHAENE

La globalisation mène à une plus grande unité (qui n’a pas nécessairement pour aboutissement une construction comparable aux « États-Unis d’Europe »). Par ailleurs, les technologies de l’information, notamment, poussent l’Europe dans le sens d’une décentralisation, alors qu’elle s’est construite dans une logique fortement centralisatrice. L’Europe a déjà commencé à reconnaître le phénomène régional et cet effort devra certainement être accentué.

Plus largement, je crois que nous devrons parvenir à une plus grande cohérence de l’action européenne extérieure. Il faudra aussi prendre conscience du fait que les institutions de gouvernance mondiale (dont les Nations-unies) reposent sur les équilibres nés au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, et en tirer les conclusions. Si l’Europe souhaite réellement avoir une influence sur la mondialisation, elle peut constituer un instrument formidable. Encore faut-il qu’elle dispose d’un poids significatif, notamment au sein d’instances telles que le FMI.

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Cinquante ans après le traité de Rome, quelle ambition pour l’Europe ?

Philippe HERZOG

Je crains moins l’affirmation des régions dans l’Union que les divergences d’intérêts des États-nations, qui menacent la construction européenne. Il faut maintenant consolider le niveau communautaire et ses politiques, faute de quoi nous irons vers un délitement de nos sociétés. De ce point de vue, les coopérations renforcées ne peuvent pas se substituer aux politiques communes : ces deux méthodes d’intervention sont indispensables et doivent se conjuguer.

Il faut commencer par créer l’esprit et poser les vrais problèmes. Il faut définir les intérêts de l’Europe dans la globalisation et fournir les méthodes et outils, régionaux et multilatéraux, pour les faire avancer. Il est évident que, si la Chine et l’Inde ne siègent pas au FMI, ces deux pays préfèrent des discussions bilatérales. Nous devons donc nous entendre pour faire place à ces pays dans les institutions internationales. Il existe, pour ce faire, plusieurs hypothèses, nous devons en tout cas aller vite dans cette direction.

Jeremy RIFKIN

Le concept d’État-nation post-westphalien s’est naturellement imposé face à deux révolutions industrielles fondées sur des modèles énergétiques d’élite. Or, l’échec de la globalisation est en partie dû à de tels modèles qui se sont révélés trop élitistes. Il est question ici d’un monde globalement connecté, mais il convient de préciser que la moitié de la population mondiale n’a jamais utilisé un téléphone et qu’un tiers ne dispose pas d’électricité, alors que 20 % profitent d’électricité produite en surplus.

Des populations entières vivent sans énergie car elles n’en ont littéralement aucune. À mesure que nos sociétés adoptent des modes de communication décentralisés, le véritable enjeu consiste à exploiter les énergies décentralisées pour une meilleure répartition globale.

La nouvelle génération qui a grandi avec Wikipedia, YouTube, MySpace, Google et Linux ne peut pas comprendre cette ancienne organisation centralisée des énergies et des cadres politiques, à l’heure des réseaux, de l’interactivité et des accès libres.

L’Europe a dès lors un rôle majeur à jouer dans ce nouveau défi, le principal enjeu étant toujours d’atteindre les objectifs inscrits au programme de Lisbonne. Forte du marché interne le plus large au monde avec 500 millions d’individus répartis sur 27 pays, auquel s’ajoutent de nombreux accords de partenariats, l’Europe ne manque certainement pas de capitaux ni de main-d’œuvre, mais bien d’une infrastructure logistique intégrée pour stimuler le commerce et les échanges.

L’Europe doit réellement se doter d’un réseau d’énergie électrique, de communication et de transport aussi puissant et intégré que distribué, ainsi que

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d’un nouveau modèle énergétique décentralisé, afin de faciliter le commerce et les échanges sur un marché de près de 500 millions d’individus.

Si l’Union européenne parvient à instaurer la première société durable par le biais d’une troisième révolution industrielle, elle pourra exporter cette technologie dans le monde entier. Reste à connaître la réponse de cette institution face à ce défi de taille. Nous avons besoin d’institutions de portée mondiale, de même que des espaces transnationaux, nationaux et régionaux.

Supposons, par exemple, que l’Italie produise de l’électricité grâce au soleil, la stocke sous forme d’hydrogène et la partage avec la Grande-Bretagne.

Imaginons maintenant que la Grande-Bretagne puisse stocker le vent en provenance de l’océan grâce à l’hydrogène, le transforme en électricité et partage celle-ci avec la Slovénie.

De même, la Slovénie stockerait ses déchets forestiers grâce à l’hydrogène pour les partager sur des réseaux intelligents avec la Pologne, qui partagerait sa biomasse avec la Norvège, qui, à son tour, exploiterait et partagerait son énergie hydraulique, et ainsi de suite.

Mon propos est dès lors simple : tous ces niveaux institutionnels, à savoir transnational, national, régional et local, vous sont indispensables. Avec des sources d’énergie et des moyens de communication décentralisés, l’Europe dispose de tout le potentiel nécessaire à une autonomie locale mais interdépendante.

L’Europe a fait le pari de l’énergie dès les cinquante premières années qui ont suivi sa création grâce au charbon, à l’acier et à l’énergie atomique.

Je reste persuadé que la prochaine étape du processus d’intégration européenne s’inscrira une fois de plus dans une optique énergétique, dont l’ultime objectif sera d’offrir au monde entier un accès à des réseaux de communication et d’énergie décentralisés, sous l’impulsion d’une troisième révolution industrielle, pour une vie plus équitable sur cette planète , et d’aborder ce problème majeur que reste le changement climatique.

Si la France peut mener de front cette révolution, elle s’assurera de léguer aux futures générations l’héritage le plus précieux qui soit.

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Les transports confrontés aux défis du changement climatique et du développement durable

Intervention de Jacques BARROT

Vice-président de la Commission, commissaire en charge des Transports

Participent à la table ronde :

Michael CRAMER

Député européen (Allemagne)

Michèle PAPPALARDO

Présidente de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME)

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