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Les conditions d’une sortie effective de l’impasse

Dans le document Actes du colloque (Page 93-98)

Claude MARTINAND

2. Les conditions d’une sortie effective de l’impasse

• Sortir des contradictions

L’Europe peut répondre aux défis du XXIesiècle à deux conditions : qu’elle sorte de la contradiction dans laquelle elle s’est installée et qu’elle fasse des choix. Il y a d’abord un déphasage entre ce que j’appellerais la « bonne volonté » générale et la réalité de l’action politique des Européens. La bonne volonté est à peu près générale : chacun souhaite une Europe plus efficace, plus démocratique, qui protège ses citoyens et leur permet de tirer le meilleur parti de la mondialisation, en relevant les défis de l’énergie et du changement climatique,

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pour ne citer que ceux-là. Seule l’Europe pourra nous aider à relever le formidable défi des migrations, des inégalités Nord-Sud, ou à créer davantage d’infrastructures entre les pays européens. Il s’agit donc bel et bien, comme l’a affirmé Jean-Louis BORLOO, de notre nouvelle frontière. Or, si le consensus semble se faire sur les objectifs, les moyens ne suivent pas. J’en donnerai trois exemples.

En matière de protection civile, chacun s’est réveillé, en quelque sorte, à l’occasion du tsunami de 2004. L’envoi désordonné et spontané d’aide humanitaire ou financière a mis en évidence une grande dispersion des initiatives et Michel Barnier a été chargé d’un programme permettant à l’Europe de se doter d’une capacité de réponse aux crises. Ce travail a été engagé fin 2005.

Michel Barnier a remis son rapport en 2006 -travail excellent, modéré, raisonnable – et cette contribution a été saluée. Parmi les priorités de la future présidence française, en 2008, figure ce sujet sur lequel chacun convient qu’il faut enfin agir…

Le deuxième exemple est celui de Frontex. À la faveur de la discussion sur les perspectives budgétaires, il a été décidé de doubler les moyens de cette agence, qui devrait ainsi voir ses effectifs portés à trente-quatre agents. Cela ne suffira évidemment pas à créer l’embryon d’une police européenne des frontières.

Le dernier exemple est celui de l’énergie. L’enjeu est évident et les Européens ont décidé de se doter progressivement d’une politique énergétique afin, par exemple, de négocier d’une seule voix avec la Russie. Le Conseil européen du mois de mars a salué les conclusions des réflexions menées, auxquelles la France a contribué, et il a entériné une conclusion simple : il ne reste plus qu’à agir. En attendant, la Russie, (comme d’autres pays) peut continuer à négocier séparément avec vingt-sept États.

Ce décalage entre le discours et les actes existe également dans chacun de nos pays, y compris en France. Là aussi, j’en citerai trois exemples : l’euro, la coordination des politiques économiques et l’environnement.

Nous avons su faire l’euro, ce qui n’était pas donné d’avance. Cela constitue une chance, qui nous permet d’échanger nos biens dans des conditions favorables, élément que nous avons parfois tendance à oublier. Cela nous protège aussi des chocs en cas de crise financière internationale ou de désinflation compétitive, comme nous en avons connu de nombreuses en Europe.

Pourtant, nous entendons dans notre pays un discours trop négatif sur l’euro, au regard de la réalité dont de vastes pans sont occultés. Sans doute faudrait-il d’ailleurs parler autant du dollar, voire d’autres devises pesant dans les échanges internationaux. Mais les questions monétaires requièrent un doigté particulier et je n’en dirai pas davantage.

La France plaide, année après année, pour une plus grande coordination des politiques économiques et elle a raison de le faire. Il serait faux, toutefois, d’affirmer que nous donnons l’exemple lorsqu’il s’agit, notamment, de la

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maîtrise des déficits. Là aussi, il ne me semble pas nécessaire de m’attarder davantage.

Enfin il est bon que nous ayons décidé d’agir en matière d’environnement. Il n’est que temps. Mais la vérité nous oblige à reconnaître que, dans ce domaine, l’Europe a agi plus rapidement que les États et a eu du mal à obtenir de ces derniers qu’ils appliquent les décisions.

• Faire des choix

Il nous faut aussi faire des choix. On use et on abuse, depuis longtemps, des expressions imagées selon lesquelles l’Europe est à la croisée des chemins ou au pied du mur. Je crois qu’elles sont adaptées à la situation dans laquelle nous sommes actuellement.

Or, les États européens et les citoyens n’ont pas (encore) su opérer le basculement du modèle européen « classique » (celui des origines) vers le modèle nouveau qu’imposent la mondialisation et l’apparition de défis globaux.

Je vois au moins trois grands choix que nous devons faire collectivement.

Le projet

Que voulons-nous faire ensemble ? Aujourd’hui, il n’existe pas de réponse commune à cette question. Chacun des pays sait à peu près ce qu’il veut faire de l’Europe. Mais il s’agit de sa réponse. Quelle est la finalité de la construction européenne ? Il existe autant de réponses que d’États membres. Voulons-nous une vaste zone de libre échange, une Europe élargie (si oui, jusqu’où ?), une Europe comprenant un noyau dur, une Europe formée autour de cercles concentriques ? Allons-nous poursuivre l’intégration européenne dans tous les domaines, ou dans certains domaines seulement ? Nous pourrions multiplier les modèles presque à l’infini. Parmi la multitude des réponses possibles, l’important n’est pas de savoir qui est le meilleur européen ni qui a tort ou a raison ; la difficulté consiste à définir ensemble une réponse commune.

L’identité

C’est une autre question sur laquelle l’Europe ne peut pas se permettre de faire l’impasse. Il n’est guère aisé d’y répondre, d’autant plus que l’élargissement a, là aussi, changé la donne. Pourtant il est évident que le besoin d’identité demeure.

Il est fort, peut-être même davantage que par le passé, compte tenu de l’effacement des repères que favorise la mondialisation. Or, il s’agit d’un débat difficile et souvent mal engagé car il est souvent introduit à partir de la question de l’élargissement.

D’aucuns jugent indispensable d’élargir les frontières de l’Union. Pour d’autres, l’Europe désigne essentiellement des valeurs et ne se résume pas à un espace

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Conclusion

géographique. Le débat est, ainsi, mal posé, car l’Europe constitue une géographie, des valeurs, une histoire, des intérêts à hiérarchiser et défendre, etc. Le débat sur l’identité pose donc, peu ou prou, la même question que le sujet précédent : que décide-t-on de faire ensemble ? Je ne pense pas, en tout cas, que l’Europe menace nos identités de nations. Une Europe forte a besoin d’États forts. Elle est indispensable pour que nos nations continuent d’exister, dans le monde globalisé tel qu’il se profile. L’Europe est indispensable.

La gouvernance

Il faudra, à l’évidence, faire plus et mieux car, même avec les améliorations récentes, l’Europe reste un ensemble qui décide lentement, dans un monde qui va vite. Elle décide même de plus en plus lentement, faute de mécanismes appropriés : il lui faut souvent plusieurs années pour arrêter ses arbitrages.

Il faudra surtout décider ce dont l’Europe doit s’occuper et ce dont elle ne doit pas s’occuper. C’est bien sûr le sujet récurrent de la subsidiarité que j’évoque ici.

Mais il faudra aussi changer de braquet, pour faire moins de petites choses et davantage de « grandes », y compris dans des domaines traditionnels de souveraineté des États auxquels ils sont attachés.

Peut-être faudra-t-il négocier moins sur le niveau sonore des tondeuses à gazon et davantage parler de défense, d’immigration, de politique étrangère, de fiscalité et d’infrastructures. Ce n’est pas si facile car cela suppose de passer d’une démarche dans laquelle nous créions, à partir de projets concrets, des solidarités politiques, à une démarche consistant à faire l’Europe « par le haut ».

Les réponses sont, en réalité, évidentes : nous devons faire un saut qualitatif, opérer la refondation. Hubert VÉDRINE s’est prononcé pour une « Europe-puissance » plutôt que pour une grande « Suisse riche ». L’un des derniers documents de la Commission européenne, publié juste avant la réunion de la Commission du mois d’octobre, affirme que l’Union est le meilleur moyen, pour les Européens, d’imprimer leur marque sur la mondialisation.

Il est évident que l’Europe est nécessaire pour que les Européens tirent le meilleur parti de leurs atouts dans la compétition mondiale, et pour contribuer à réguler cette dernière. Nous devons nous donner les moyens de ce saut qualitatif.

J’ai entendu une inexactitude tout à l’heure : deux intervenants ont indiqué que les nouveaux élargissements n’étaient pas financés à hauteur des élargissements précédents. C’est inexact : les dix pays entrés dernièrement dans l’Union européenne bénéficient d’environ 3 % de PIB, pour la période budgétaire qui vient, contre moins de 1 %, en moyenne, pour l’Espagne au cours des vingt dernières années.

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Conclusion

Nous avons une stratégie, celle de Lisbonne, qui est pertinente, même si elle souffre d’un manque de méthode. Il nous faudrait aussi accroître considérablement nos investissements dans la R&D, dans les infrastructures, poursuivre les réformes structurelles, aider davantage les PME (en obtenant un Small Business Act devant l’OMC), définir une politique industrielle qui ne soit pas seulement une politique de concurrence…

Il nous faudrait une politique démographique, une politique étrangère et une politique de défense car dans l’Histoire, aucune structure pérenne n’a survécu, sans politique de défense. Or les États européens consacrent aujourd’hui une très faible part de leur PIB à leur défense.

Jacques BARROT a cité un chiffre qui résume le message que je souhaite délivrer : les Européens consacrent aujourd’hui à l’Europe environ 1 % de leur PIB. Il va de soi que jamais l’Europe ne relèvera, avec de tels moyens, l’ensemble des nouveaux défis qui se font jour. Or il n’est pas question d’accroître le poids des prélèvements obligatoires. Il faudra donc envisager des transferts.

Au cours des années qui viennent, des choix majeurs seront à effectuer. Je ne connais personne, en France ou ailleurs, qui soit aujourd’hui prêt à construire l’Europe en y consacrant 5 % du PIB national. Or, peut-être une telle Europe nous permettrait-elle de gérer les défis globaux. Il ne m’appartient pas de dire quels choix devront être faits. Mais faisons des choix, au lieu de rester au milieu du gué.

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Claude MARTINAND

Je voudrais remercier madame Catherine COLONNA pour sa conclusion, monsieur PAOLINI et tous les intervenants, tous les participants, ainsi que les organisateurs du colloque, Alexandra SUBREMON, Marie-Ghislaine DELACOURT et Maud CLOUËT.

Je vous donne rendez-vous l’année prochaine au colloque 2008, qui sera consacré à l’expertise et aux risques.

Dans le document Actes du colloque (Page 93-98)