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Gilles SAVARY

Dans le document Actes du colloque (Page 73-78)

Député européen (France)

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Le bien commun ou l’intérêt général communautaire

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Résumé

Gilles SAVARY, député européen, constate d’abord un décalage dans la représentation que l’on a de la construction européenne : l’Union jouit d’un excès d’amour à l’extérieur, alors qu’elle est frappée par un profond désenchantement à l’intérieur. Nulle part ailleurs, en un demi-siècle, on a résolu des problèmes aussi considérables dans l’Histoire européenne que la paix, la démocratisation et la prospérité. Cela fascine le monde, de même que notre modèle inédit, reposant sur deux institutions hybrides : la coopération inter-gouvernementale et la construction communautaire. Ces biens communs du cycle de Rome ne suffisent plus, pourtant, à faire adhérer les peuples à l’Union européenne. Gilles SAVARY l’explique de façon simple : on a fait l’Europe des diplomates, non l’Europe des régions. L’inspiration de quelques grands-pères fondateurs a contribué au bien de millions d’Européens, mais les peuples ont été laissés de côté.

L’intérêt général représente la capacité légitime, pour un État, de dépasser la somme des intérêts particuliers. Cela constitue une difficulté majeure pour l’Union européenne, qui n’est pas un État. C’est pourquoi l’intérêt général devient, au plan communautaire, un bien hybride, à forte composante subsidiaire mais avec un certain nombre d’empiètements européens. Gilles SAVARY s’inquiète surtout, de ce fait, d’une incontestable colonisation de la sphère décisionnelle démocratique par la jurisprudence de la concurrence et du marché.

Jean-Baptiste de FOUCAULD, président de Solidarités Nouvelles face au chômage, observe que le modèle de fabrication de l’intérêt commun européen a progressivement évolué. La jurisprudence a d’abord joué un rôle important : le juge est devenu le fabricant d’un intérêt commun relativement contraignant, selon une tradition anglo-saxonne. Les domaines les plus politiques et les moins techniques, eux, ont été plutôt confiés à la méthode inter-gouvernementale, beaucoup moins efficace. Ainsi, le modèle s’est complexifié, d’autant plus que, parallèlement, un fédéralisme se construisait dans le domaine monétaire. Nous sommes ainsi parvenus à un système hétéroclite, peu lisible et mal compris par les citoyens.

La question est donc celle d’un deuxième souffle que nous peinons à trouver, malgré plusieurs tentatives. La méthode ouverte de coordination, intéressante dans son principe, a produit peu d’effets. Lui a succédé la Convention, qui a

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proposé un traité rejeté par plusieurs pays, dont la France, avec un paradoxe : le « non », qui se fondait largement sur un déficit de démocratie, a redonné la main aux gouvernements. Nous devons aussi jeter les bases culturelles du développement durable. Cela revient à adopter un mode de développement qui mette sur le même plan les besoins matériels, les besoins relationnels et les besoins spirituels. Or, la course à la productivité exerce une pression trop forte sur les personnes, en conséquence de quoi la légitimation des désirs est beaucoup plus forte que les moyens de les satisfaire. L’opulence doit donc être compensée par un principe de sobriété. Cela conduit Jean-Baptiste de FOUCAULD à plaider pour un modèle d’ « abondance frugale ».

Soulignant la multiplicité des définitions du « modèle social européen » et le flou de ces notions, Csaba ÖRY, député européen (Hongrie), constate que l’Asie supplante les États-Unis dans de nombreux domaines de la compétition internationale. D’autres facteurs menacent nos habitudes. C’est le cas, par exemple, du vieillissement de la population, qui implique donc de plus grands investissements en soins, en santé et en prestations sociales.

Le financement durable de nos systèmes sociaux traverse d’ailleurs une crise majeure. Le marché du travail est également confronté à des évolutions structurelles. Nous avons besoin d’accroître le taux d’emploi pour gagner en compétitivité et assurer la pérennité des systèmes sociaux. Cela suppose une hausse du nombre de créations d’emplois et un appel à l’immigration, car les pays européens manquent de main-d’œuvre. Parallèlement, des efforts doivent être déployés en matière de formation tout au long de la vie afin de réduire le chômage des salariés les moins qualifiés.

Sorin IONIǍ, directeur de la Société académique roumaine, fait remarquer que les concepts permettant de définir des valeurs communes peuvent diverger en termes d’interprétation entre les pays de l’Ouest et des pays de la périphérie.

Un intérêt commun européen pour préserver la cohésion européenne ne se limite pas à l’application mécanique et uniforme d’un agenda politique identique pour tous. Il consiste à comprendre et à progresser sur la voie d’une diversité nécessaire mais encadrée par un ensemble de règles communautaires et équitables.

Les contradictions inhérentes à l’Europe, partagée entre innovation et désir de stabilité, peuvent être dépassées, en trouvant un juste équilibre entre stabilité et flexibilité pour chaque dimension des politiques comme la politique agricole commune, ou celles en faveur du textile, de l’acier ou encore de l’énergie.

Le bien commun ou l’intérêt général communautaire

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Marc PAOLONI

Cette quatrième table ronde fait appel à des notions ayant des résonances particulières pour chacun d’entre nous : le bien commun, l’intérêt général et en particulier l’intérêt général communautaire.

Monsieur SAVARY, vous êtes député européen et vous connaissez parfaitement les milieux européens. Vous êtes très souvent présent à Bruxelles ou à Strasbourg et votre nom est attaché à celui de grands dossiers, notamment la défense des services publics. Une grande curiosité intellectuelle vous anime, de même qu’une certaine gourmandise d’intervention politique.

Quelle est, aujourd’hui, votre vision de l’intérêt public européen ? S’agit-il de notre histoire, de notre culture, de notre façon de vivre, voire d’une échelle de valeurs ? Suffit-il de recevoir tout cela en héritage pour créer un intérêt commun européen ? S’il existe, pourrait-on créer, sur la base de ce dernier, une citoyenneté européenne ?

Gilles SAVARY

Ma réflexion sera guidée par un constat singulier : l’excès d’amour dont jouit l’Union européenne à l’extérieur et le désenchantement qui la frappe à l’intérieur. Nulle part ailleurs, en un demi-siècle, on a résolu des problèmes aussi considérables dans l’histoire européenne que la paix, la démocratisation et la prospérité. Cela fascine le monde, de même que notre modèle inédit qui repose sur deux institutions hybrides : la coopération intergouvernementale et la construction communautaire (allant vers l’intégration politique supranationale sans que les États abandonnent tout à fait leur souveraineté).

Ce modèle fascine aussi parce que des barbaries existent, non loin de nous, et donnent lieu à des révolutions libératrices au nom de l’Europe. Ma génération a le privilège de ne jamais avoir connu la guerre sur le sol européen. Il en résulte une « routine de la paix » qui est presque banalisée.

C’est sans doute une illusion car nous savons combien la paix est toujours en danger et combien ce sentiment existait aussi dans les années 1920. Ces biens communs du cycle de Rome ne suffisent plus, aujourd’hui, à faire adhérer les peuples à l’Union européenne.

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Nous le voyons à travers les exercices malheureux de ratification du traité constitutionnel par référendum. On se défie de nos opinions publiques, ce qui montre que la santé de nos institutions n’est guère excellente. La raison en est simple : on a fait l’Europe des diplomates et il s’agit même d’une Europe de la raison d’État supérieure, non d’une Europe des citoyens.

L’inspiration de quelques grands pères fondateurs a contribué au bien de millions d’Européens, mais les peuples ont été laissés de côté. Entre-temps, les États membres ont joué de l’Europe comme d’un levier réformiste : lorsque la réforme est difficile à mettre en œuvre à l’intérieur ou impopulaire, les gouvernements se défaussent sur l’Europe.

Lorsqu’elle est couronnée de succès ou perçue comme un progrès, comme en matière de développement durable, les États expliquent au contraire, sans craindre de nier l’évidence, qu’ils sont en avance sur le monde. Il existe donc une grande responsabilité politique dans le déficit démocratique et civique de l’Europe.

L’élargissement n’est pas, à mes yeux, un problème aussi important qu’on le dit en France. Les grands fronts de conflit que nous avons connus ces dernières années, concernant l’Irak, les services publics, le Pacte de stabilité, le budget européen ou même la conception de l’Europe, traversent d’abord les quinze États membres.

On n’a pas attendu l’élargissement pour connaître au cœur de l’Europe une crise irakienne qui posait notamment la question de nos rapports avec les États-Unis.

L’élargissement a néanmoins constitué un choc, à d’autres égards.

S’il est un bien commun à l’Europe, c’est la sécurité. Mais celle-ci n’a pas la même signification partout en Europe. Nous en sommes à proposer, à l’Ouest, une sécurité sociale ou fiscale, là où les pays de l’Est aspirent à la sécurité civile, pour avoir connu de nombreuses guerres. Il en résulte un lien différent avec les États-Unis d’Amérique et des appréciations divergentes de la problématique du bouclier antimissiles, par exemple. Pour les États entrants, la construction de l’Europe est souvent synonyme de libération nationale, ces pays ayant vécu sous le joug d’oppressions permanentes. C’est pourquoi ces pays hésitent à abandonner immédiatement des pans entiers de souveraineté comme nous le leur demandons, nous qui, à l’Ouest, souhaitons évoluer vers une Europe fédérale.

L’Union européenne n’avance pas à la française : les Français n’ont jamais autant aimé l’Europe que lorsqu’ils en assuraient la suprématie diplomatique, alors que l’Allemagne était un nain politique. L’Europe ne se fera pas par l’extension du seul modèle français : l’Union compte vingt-sept États et nous devons discuter avec tout le monde. Elle ne se fera pas non plus par un projet global théorisé.

C’est bien ce qui nous fait défaut.

L’Europe avance aujourd’hui, malgré tout. Elle crée des biens communs par la dynamique des tensions. Ce sont les crises (crises de la sécurité maritime, de la

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