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Alain GILLE

Dans le document Actes du colloque (Page 86-91)

Conseil national des transports

Nous faisons face à des défis importants qui risquent de susciter des évolutions brutales, voire des ruptures. N’y a-t-il pas un risque de défaut d’adhésion des salariés pour mettre en œuvre ces mutations ?

Gilles SAVARY

Nous avons mis en œuvre un certain nombre de mutations rapides, mais, si les Français souhaitent abolir les frontières, cela supposera d’accueillir des étrangers chez nous. La construction européenne suppose de passer d’un jeu monopolistique à une régulation à plusieurs. Il faut créer de la culture européenne

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chez tous les partenaires sociaux. Aujourd’hui, elle se crée chez les chefs d’entreprise et, dans une moindre mesure, parmi les responsables politiques.

Mais nul n’a songé à instiller la dimension européenne parmi les salariés. Il y a donc effectivement un risque de réticence de ce point de vue. Nos concitoyens ont fait l’Europe pour que nous soyons, ensemble, plus forts vis-à-vis de l’extérieur. Or, on leur donne à voir un système dans lequel ils sont en compétition, fiscale et sociale, avec les autres pays européens. C’est pourquoi la Commission européenne devrait s’assurer que chaque mouvement de libéralisation donne lieu à la recherche d’accords de dialogue social sectoriels, visant un ajustement progressif, par le haut, afin de montrer que la construction européenne ne se fait pas au détriment du progrès social. Depuis peu de temps, nous considérons que nous pourrons nous adapter, face à la concurrence de l’Inde et de la Chine, par une amélioration de la compétitivité externe, au moyen d’une compétition interne. C’est ce qui fait dire à certains que nous sommes des agents de la mondialisation. Je ne suis pas pour le protectionnisme, mais je pense qu’on ne pourra pas susciter l’adhésion des Européens en menant une guerre froide économique.

Marc PAOLONI

Le manque de pédagogie est si patent qu’il est dramatique que nous en soyons encore là aujourd’hui.

Par ailleurs, avec l’élargissement, on a voulu mettre sur le même plan des pays qui ne présentaient pas le même degré de développement. On n’a sans doute pas assez investi pour permettre à ces pays de rattraper leur retard, mais nous savons qu’il se posait aussi un problème de capacité d’absorption des évolutions qui leur étaient demandées. Enfin l’harmonisation revient à priver ces pays d’un certain nombre d’avantages qu’ils ont au départ, par exemple sur le plan fiscal. Cela constitue d’autres obstacles que la construction européenne doit surmonter.

Csaba ÖRY

La dernière phase d’élargissement a été réalisée à un coût bien moindre que l’élargissement qui avait permis l’entrée de l’Espagne et du Portugal dans l’Union européenne. Cette tendance s’accentuera sans doute pour les prochains États qui feront leur entrée dans l’Union.

Plus largement, le système européen repose sur la concurrence des ressources et nous avons toujours l’impression que les décisions prises sont guidées par l’intérêt du plus fort ou du plus influent. Pendant longtemps, si la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne se mettaient d’accord, les autres pays n’avaient pas leur mot à dire : l’affaire était conclue. Aujourd’hui, à 27, des majorités étranges

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Le bien commun

ou l’intérêt général communautaire

se forment parfois, ce qui modifie les règles du jeu, en particulier pour ces trois grands pays. Nous sommes en train d’apprendre à définir ces nouvelles règles.

Sorin IONI Ă

Les principaux bienfaits que les nouveaux pays membres peuvent tirer de l’élargissement et de leur entrée dans l’Europe ne résident pas tant dans les fonds structurels, lesquels bien sûr sont d’un grand secours – et les nouveaux membres devraient remercier les contribuables occidentaux qui les financent –, que dans la paix, la stabilité et l’état de droit que l’Union européenne a apportés ainsi que l’incroyable rayonnement qu’elle suscite. Seul un observateur extérieur à l’UE peut le ressentir.

La force d’attraction et la stabilité de l’UE irradient jusque dans le Sud-Est européen et la région des Balkans, au même titre qu’une forte volonté d’adhésion. L’Union européenne génère de nombreuses retombées économiques, qu’il s’agisse d’investissements encourageants ou de la liberté de mouvement permettant à quiconque de travailler dans un autre pays pour renvoyer l’argent ainsi gagné. Tout cela l’emporte largement sur les fonds structurels dans un pays comme la Roumanie.

Mais, une fois entrés dans l’UE, les nouveaux membres sont prompts à oublier de tels bienfaits, tant il est facile d’oublier ce que veulent dire paix et stabilité quand on les a, un peu comme la santé, regrettée une fois perdue. Toutefois, le principal avantage qu’apporte l’Europe tient essentiellement dans l’ancrage d’un État de droit dans les sociétés et un environnement compétitif. C’est ce dont la majorité des Européens profite. Le problème est de savoir comment mieux leur faire comprendre.

Les fonds sont aussi fondamentaux que ne l’est leur absorption. Or, la plupart des pays, principalement la Roumanie, la Bulgarie et la Pologne, ont des difficultés à exploiter de tels financements. Mais il s’agit là d’un problème assez technique.

Gilles SAVARY

Nous mesurons le décalage historique entre des pays comme les nôtres, repus de paix, d’État de droit, de démocratie, et d’autres qui voient là une avancée absolument considérable. Pour nous, la grande peur est celle du déclassement.

Pour les nouveaux entrants, la construction de l’Europe n’est pas toujours rose non plus : des fonds structurels leur sont alloués mais ils sont versés principalement aux entreprises. Par ailleurs, les élites de ces pays sont fortement attirées par les pays de l’Ouest. Nous avons donc intérêt, les uns et les autres, à la convergence.

Pour réaliser cette dernière, la politique lancée, à l’époque, par Jacques Delors, constitue un exemple unique au monde. La vitesse des rattrapages espagnol, irlandais et portugais en témoigne. Il est évidemment difficile de savoir si ces exemples pourront se transposer. Toujours est-il que déjà le textile, en

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Roumanie, se délocalise : ses principaux concurrents ne sont pas dans l’Union mais dans le reste du monde. Nous devons veiller, de ce point de vue, à ne pas alimenter des fantasmes.

Csaba ÖRY

Je n’aime guère l’expression d’élargissement : je lui préfère le terme de réunification de l’Union.

Un participant

Si l’on en croit les indicateurs de Laeken, 10 à 15 % des citoyens, dans l’ensemble de l’Union européenne à quinze, « décrochent » et sont menacés par le risque d’exclusion, faute notamment d’un emploi à temps plein, ou en raison d’un âge avancé qui fragilise leur situation, suite aux réformes des régimes de retraite.

Comment concilier le rééquilibrage des niveaux de vie et la lutte contre l’exclusion ? Cette part de citoyens « oubliés » par l’opulence européenne est-elle une variable d’ajustement que nous ne pouvons réduire ?

Jean-Baptiste de FOUCAULD

Un des problèmes globaux de nos sociétés tient au fait que la productivité augmente de 1,5 % à 2 % par an aujourd’hui, contre 5 à 6 % au cours des années 1960. Nous n’avons pas encore compris que le surplus à distribuer chaque année s’était réduit de moitié, voire davantage. Les moyens de distribuer sont plus faibles qu’avant. Dans les années 1960, au contraire, on pouvait à la fois distribuer du pouvoir d’achat individuel et renforcer les systèmes collectifs de protection. Dans le même temps, le processus de légitimation des besoins est activé de tous côtés, notamment sous l’effet de l’offre politique, de la publicité, etc.

Une autre inversion s’est produite par rapport à la situation des années 1960 : l’actionnaire et le consommateur sont aujourd’hui en position de force par rapport au manager et au salarié.

Si nous ne travaillons pas sur le désir, nous risquons de saper les bases de la solidarité. Nous devons donc envisager cette question et plaider pour le retour au plein emploi de qualité, c’est-à-dire un plein emploi à temps choisi, à plein temps pour tous ceux qui le souhaitent, à temps partiel pour les autres.

La question de l’exclusion n’a pas encore été suffisamment pensée en profondeur. Philippe d’Iribarne explique très bien que tout développement crée un risque d’exclusion, ce qui suppose de mettre en place, en même temps qu’une nouvelle technique, un dispositif qui soit capable de lutter contre ses effets iatrogènes. Tel est le type de réflexion que nous devons systématiser et généraliser dans notre commune Europe.

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Conclusion et

Dans le document Actes du colloque (Page 86-91)