• Aucun résultat trouvé

L'ordre des mots dans les productions orales en français et en serbe

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "L'ordre des mots dans les productions orales en français et en serbe"

Copied!
206
0
0

Texte intégral

(1)

Master

Reference

L'ordre des mots dans les productions orales en français et en serbe

VUKSANOVIC, Ivana

Abstract

Ce travail étudie l'ordre des mots en français et en serbe parlés, à savoir le statut de la phrase SV(O) dans les deux langues. Le corpus est constitué de productions orales en français et en serbe de migrants de la deuxième génération d'origine serbe qui vivent en Suisse, âgés de sept à quatorze ans. L'hypothèse de laquelle l'on est parti était que la structure SVO n'est pas une unité informative de base en français parlé et qu'elle n'est pas une structure canonique du français parlé quand le sujet a la forme d'un SN plein (Lambrecht, 1987). En revanche, notre hypothèse concernant les productions orales en serbe était que le statut dominant de la structure SVO ne serait aucunement mis en question. Les résultats ont confirmé les deux hypothèses. Cette étude ouvre des questions pertinentes pour les domaines du bilinguisme des migrants et de l'acquisition, mais elle ne les approfondit pas.

VUKSANOVIC, Ivana. L'ordre des mots dans les productions orales en français et en serbe. Master : Univ. Genève, 2011

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:33931

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

1 / 1

(2)

L’ordre des mots dans les

productions orales en français et en serbe

Mémoire de Master en FLE

Ivana Vuksanović

Sous la direction de :

Dr. Anne Grobet, Chargée d’enseignement à l’ELCF Prof. Laurent Gajo, Directeur de l’ELCF

Genève, le 15 septembre 2011

(3)

Remerciements

Je tiens en tout premier lieu à remercier Anne Grobet, qui a dirigé ce mémoire, pour sa disponibilité, sa patience et ses précieux conseils. Je voudrais exprimer ma gratitude à Laurent Gajo, qui a aussi dirigé le mémoire, pour tout le soutien et l’encouragement qu’il m’a apportés et pour m’avoir fait confiance tout au long de ce travail. Mes remerciements s’adressent également à Mirjana Mandić pour ses suggestions et ses remarques concernant la partie du corpus en serbe. Je remercie également Bojana Stankić, enseignante à l’École serbe où j’ai recueilli les données pour la recherche, pour son enthousiasme et son grand intérêt pour mon travail. Finalement, ce travail n’aurait pas été réalisé sans la participation des élèves de l’École serbe à Genève, Romont et Lausanne. Je leur suis infiniment reconnaissante.

(4)

plus précisément le statut de la phrase SV(O) dans les deux langues. Notre corpus est constitué de productions orales en français et en serbe de migrants de la deuxième génération d’origine serbe qui vivent en Suisse, âgés de sept à quatorze ans. Trente deux enfants ont participé à la recherche qui a été conduite au cours d’une période de trois semaines et pendant laquelle les enfants ont été interviewés en français et en serbe sur leur vie quotidienne, leurs habitudes, leurs loisirs, leurs vacances, etc. Les productions orales dont la durée totale est d’environ six heures ont été ensuite transcrites et analysées à l’aide de deux méthodologies différentes. Les productions orales en français ont été examinées selon le modèle que l’on avait emprunté de Lambrecht (1987) et qui consiste à repérer des sujets lexicaux et des sujets pronominaux ainsi qu’à repérer des constructions pragmatiquement motivées dont la structure n’est pas SV(O) et dont la fonction générale est d’empêcher que les sujets lexicaux, à savoir les SN pleins, apparaissent en position initiale de la phrase. Le statut de la structure SVO en serbe parlé a été examiné de la manière suivante : l’on a dégagé du corpus toutes les phrases assertives simples avec un verbe transitif et l’on a suivi dans quel ordre des constituants majeurs (sujet, verbe et complément d’objet direct ou indirect) y apparaissent.

L’hypothèse de laquelle l’on est parti avant l’analyse de la partie du corpus en français était que la structure SVO n’est pas une unité informative de base en français parlé et qu’elle n’était pas une structure canonique du français parlé quand le sujet a la forme d’un SN plein. En revanche, notre hypothèse concernant les productions orales en serbe était que le statut dominant de la structure SVO ne serait aucunement mis en question.

Les résultats ont confirmé les deux hypothèses. Cette étude ouvre des questions pertinentes pour les domaines du bilinguisme des migrants et de l’acquisition, mais elle ne les approfondit pas.

(5)

Chapitre 1 ... 7

1.1. Ordre des mots en français ... 7

1.1.1. Ordre des mots en français parlé ... 8

1.1.1.1. Claire Blanche-Benveniste sur l’étude de l’ordre des mots du français parlé .. 8

1.1.1.2. Hypothèse de Lambrecht sur l’ordre SVO en français parlé ... 11

1.1.1.2.1. The preffered clause du français parlé... 11

1.1.1.2.1.1. Construction clivée en c’est ... 13

1.1.1.2.1.2. Constructions présentatives ... 16

1.1.1.2.1.3. Structures segmentées à gauche et à droite ... 19

1.1.1.2.2. Sujets lexicaux en français parlé ... 25

1.2. Ordre des mots en serbe ... 25

1.2.1. Ordre des mots libre de la langue serbe ... 26

1.2.2. Deux types d’ordre des mots en serbe ... 28

1.2.3. Fonctions de l’ordre des mots en serbe ... 29

1.2.4. Facteurs qui influencent l’ordre des mots en serbe ... 29

1.2.5. Gestion de l’information en serbe : le thème, le rhème et le focus ... 30

1.2.5.1. Quelques spécificités du thème ... 31

1.2.5.2. Caractéristiques grammaticales et informatives du rhème ... 32

1.2.5.3. Position du focus ... 33

1.2.5.4. Perspective communicative de la phrase ... 34

1.3. Bilan sur l’ordre des mots en serbe et en français ... 35

Chapitre 2 ... 37

2.1. Objectif de la recherche ... 37

2.2. Méthodologie de recueil des données ... 38

2.3. Bilinguisme des participants de la recherche ... 40

Chapitre 3 ... 42

3.1. Méthodologie de traitement des données ... 42

3.2. Analyse des productions orales en français ... 43

3.2.1. Présentation globale des résultats ... 43

3.2.2. « The preferred clauses » repérés dans le corpus ... 45

3.2.2.1. Structures segmentées ... 47

3.2.2.1.1. Segmentées à gauche ... 47

3.2.2.1.2. Segmentées à droite ... 53

3.2.2.2. Clivées en c’est ... 55

3.2.2.3. Constructions présentatives ... 56

3.2.3. Sujets lexicaux ... 57

3.3. Analyse des productions orales en serbe ... 59

3.3.1. Présentation globale des résultats ... 60

3.3.2. Ordre SVO ... 62

3.3.3. Ordre SOV et positionnement des clitiques ... 64

(6)

3.3.7. Marques transcodiques ... 71

Conclusions ... 73

Références bibliographiques... 76

Annexe 1 : Transcriptions des entretiens en français ... 80

Annexe 2 : Transcriptions des entretiens en serbe ... 147

(7)

6 Introduction

Dans les travaux sur la typologie des langues, le français aussi bien que le serbe, sont traités comme langues de type SVO. Cependant, alors que l’ordre SVO en français est considéré comme canonique, l’ordre des mots en serbe peut être défini comme libre.

Étant une langue à cas, le serbe permet des permutations des constituants, toutefois l’ordre typique est SVO. Nous nous proposons d’examiner dans ce travail si ces généralisations sur l’ordre des mots dans les deux langues se maintiennent dans la langue parlée, à savoir dans quelle mesure le modèle SVO se retrouve en français et en serbe parlé. Afin d’examiner le problème en question, nous nous appuyons sur les cadres théoriques qui combinent l’approche formelle et l’approche fonctionnelle à l’analyse grammaticale.

Le premier chapitre donne un survol autour des travaux existants qui abordent le problème de l’ordre des mots en français et en serbe. En ce qui concerne le français, nous mettons l’accent sur le problème de l’ordre des mots dans la langue parlée. Deux optiques sont présentées : la première est celle de Blanche-Benveniste (section 1.1.1.1) et l’autre est celle de Lambrecht (section 1.1.1.2), que nous adoptons pour le cadre théorique de notre recherche. Dans cette optique est donnée une analyse détaillée des structures de type preferred dont l’ordre n’est pas SVO (de la section 1.1.1.2.1. à la section 1.1.1.2.1.3), ainsi que l’examen des sujets lexicaux (section 1.1.1.2.2). La présentation des travaux existants sur l’ordre des mots en serbe est divisée en deux parties : nous abordons les questions liées à la structure grammaticale de la phrase serbe dans les sections 1.2.1, 1.2.2, 1.2.3 et 1.2.4, tandis que les questions concernant la structure informationnelle de la phrase serbe figurent dans les sections 1.2.5, 1.2.5.1, 1.2.5.2, 1.2.5.3 et 1.2.5.4.

Le deuxième chapitre est consacré à la présentation de l’objectif et des hypothèses qui sont à la base de notre recherche (section 2.1), ainsi qu’à la présentation de la méthodologie de recueil des données utilisée (section 2.2) et à la description des compétences langagières des participants de la recherche (section 2.3).

La méthodologie de traitement des données, l’analyse et la discussion des résultats et des exemples pertinents pour certains points que nous abordons dans la recherche se trouvent dans le troisième chapitre.

(8)

7

Chapitre 1

1.1. Ordre des mots en français

L’ordre des mots en français moderne est relativement fixe, surtout si l’on prend en considération le français écrit standard. Cet ordre est géré par les règles syntaxiques et il « joue un rôle essentiel dans la reconnaissance des fonctions » (Riegel, Pellet &

Rioul 1994 : 107). L’ordre des constituants canonique en français est sujet-verbe-objet.

Le modèle SVO est la phrase typique de la langue française, l’objet principal de toute description grammaticale et linguistique. Cela implique que le français fait partie des langues de type SVO, ce qui le différencie par exemple des langues comme l’allemand (type SOV) ou l’hébreu (type VSO).

Cependant, si l’on essaye d’aller plus loin, en s’écartant de ce modèle de base et en examinant une grande variété d’autres structures possibles, l’on s’aperçoit très vite que le problème de l’ordre des mots en français s’avère beaucoup plus complexe que la tradition linguistique nous laisse à penser. Selon Blanche-Benveniste (1987 : 33),

« traiter de l’ordre des mots en français exige qu’on se situe à un très haut niveau de généralité, en négligeant de nombreuses données, jugées secondaires ». Elle explique que les fonctions syntaxiques représentent la base de calcul pour l’ordre SVO, ce qui n’est pas une bonne base pour un certain nombre de cas. D’après Blanche-Benveniste (1987), il est nécessaire de prendre en compte les catégories grammaticales.

« L’existence de ces diverses catégories grammaticales est un obstacle à la généralisation de la règle SVO ; l’ordre des mots peut être SVO quand il s’agit de groupes nominaux, mais doit être SOV quand il s’agit de clitiques et doit être OVS quand il s’agit d’un interrogatif1 » (Blanche-Benveniste 1987 : 33). Nous n’allons pas entrer dans les détails de l’approche que Blanche-Benveniste propose, nous nous contentons de juste signaler le problème du statut (non) canonique de l’ordre sujet- verbe-objet en français.

1 Par exemple : Les touristes écoutent l’audioguide (SVO) ; Les touristes l’écoutent (SOV) ; Qui écoutent les touristes ? (OVS)

(9)

8 Un autre obstacle à la généralisation de la règle SVO est l’existence des structures grammaticales, comme par exemple la construction clivée c’est … qui/que, les constructions présentatives ou les constructions disloquées à gauche et à droite, dont il sera question dans les chapitres suivants. Il ne faut pas négliger le fait que ces constructions ne sont pas du tout rares en français, surtout en français parlé.

Il est bien évident qu’une étude sur l’ordre des mots peut concerner plusieurs domaines : la syntaxe, la pragmatique, la sémantique, la prosodie, aussi bien que les figures de style. La raison pour laquelle la phrase de type SV(O) sе prête bien à la description linguistique est son statut neutre du point de vue de la structure informationnelle et sa fonction pragmatique très restreinte dans le discours.

1.1.1. Ordre des mots en français parlé

Le point qui va nous intéresser maintenant est de voir s’il existe des particularités dans l’ordre des mots du français parlé par rapport au français écrit. Les questions que nous posons sont : L’observation de la langue parlée peut-elle jeter une autre lumière sur l’étude de l’ordre des mots en général ? Quelle est la structure phrastique la plus fréquente du français parlé ? La structure SV(O) maintient-elle son statut canonique à l’oral ou existe-t-il plutôt une autre structure qui est plus fréquente et plus spécifique à la langue parlée ? Afin d’examiner tous ces points, nous allons nous appuyer principalement sur les travaux de Blanche-Benveniste (1996) et de Lambrecht (1987, 1994).

1.1.1.1. Claire Blanche-Benveniste sur l’étude de l’ordre des mots du français parlé Dans l’article Trois remarques sur l’ordre des mots dans la langue parlée, Claire Blanche-Benveniste (1996) présente trois problèmes qu’elle considère comme préliminaires à une étude sur l’ordre des mots dans la langue parlée.

Le premier concerne les phénomènes propres à la prise de parole orale non préparée, comme les hésitations, les reprises, les corrections, les constructions

(10)

9 incidentes ou les inachèvements. Selon Blanche-Benveniste (1996 : 109), il faut d’abord se prononcer sur le statut de ces phénomènes dans l’analyse de l’ordre des mots de la langue parlée : soit on les considère comme des obstacles à toute analyse syntaxique fiable, soit on les intègre dans le système des règles grammaticales. Elle pense que les phénomènes propres à la prise de parole (par exemple, certaines formes de répétition des pronoms, des prépositions ou des articles) ne peuvent pas faire l’objet d’une description grammaticale proprement dite, mais que cela ne veut pas dire qu’ils doivent être placés hors analyse. « Une méthode simple est de considérer que les suites comme je je je ou de de de ne forment pas des syntagmes, à disposer selon un ordre de successivité, mais que ce sont des réitérations d’éléments à situer sur une même place syntaxique. Cela implique que des éléments produits côte à côte dans le déroulement du discours, peuvent être interprétés soit comme des séquences syntagmatiques, soumises à des règles d’ordre des mots grammatical, soit comme des énumérations paradigmatiques, qu’on ne doit pas décrire avec les mêmes règles » (Blanche- Benveniste 1996 : 110). Autrement dit, quand l’on fait une étude sur l’ordre des mots dans la langue parlée, il faut faire une nette séparation entre l’ordre discursif des mots et l’ordre grammatical des syntagmes. La même méthode peut être appliquée dans le cas des commentaires sur l’énonciation, des parenthèses ou du vocatif.

Le deuxième problème relève de la comparaison entre français parlé et français écrit. La question est de savoir s’il existe certains ordres des mots en français parlé que l’on ne trouve pas à l’écrit. Les données de la langue parlée montrent qu’il y a certains types de phrase, plus fréquents à l’oral qu’à l’écrit, avec l’ordre des mots qui n’est pas SVO. Pour Blanche-Benveniste (1996 : 112), ce sont :

1. la construction clivée en c’est...que... : C’est surtout son père qu’il n’a jamais revu2

2. la construction disloquée à gauche : Ces progrès, Monsieur DM les a indiqués brièvement

3. une antéposition du complément, sans reprise terminale, portée par une intonation ouvrante, caractéristique des éléments thématiques (pour les verbes comme

2 Les exemples sont pris de Blanche-Benveniste (1996).

(11)

10 connaître, savoir, aimer, adorer, détester) : La politique-fiction, vous connaissez : l’art de frémir

4. une antéposition du complément, disponible pour tous les verbes, portée par une intonation terminale : Dix-sept ans il a

L’on remarque que tous ces compléments sont focalisés. Cependant, cette focalisation n’est pas obtenue seulement au moyen de changement de l’ordre des mots. L’intonation et les expressions focalisantes y jouent aussi un rôle important.

Pourquoi ce type de phrase est-il rare à l’écrit ? Pour Blanche-Benveniste, une explication possible serait la difficulté de choisir une ponctuation adéquate à l’écrit3.

Finalement, le dernier problème concerne le niveau d’analyse sur lequel l’on se situe en examinant l’ordre des mots du français parlé. En d’autres termes, il est clair que l’approche phrastique ne se prête pas bien à l’étude de la langue parlée et qu’il faut prendre pour base des unités plus larges. Cela permet des phénomènes de jeux sur l’ordre des mots, dont le chiasme est un des exemples de figures de style les plus simples. « Ce qui favorise cette figure, ce sont toutes les occasions de faire contraster, pour un même élément, des possibilités différentes dans l’ordre des mots : couples de questions et de réponses, compléments antéposés et postposés, dislocations à droite et à gauche, ou constructions concurrentes dues aux hésitations des locuteurs » (Blanche- Benveniste 1996 : 116).

Après avoir observé ces trois aspects du problème de l’ordre des mots en français parlé, Blanche-Benveniste arrive à trois conclusions. Premièrement, il n’y a pas de grandes différences entre grammaire de l’oral et grammaire de l’écrit. Les constructions spécifiques à la langue parlée existent à l’écrit aussi, mais elles y apparaissent avec une fréquence remarquablement plus petite. Deuxièmement, il faut faire la distinction entre l’ordre discursif des mots et l’ordre grammatical des syntagmes afin de trouver la cohérence des productions orales. Il s’agit ici d’une sorte de reconstruction de l’ordre grammatical à partir du désordre apparent des discours.

Somme toute, pour traiter amplement de l’ordre des mots dans la langue parlée, il est indispensable de ne pas séparer nettement la syntaxe, la sémantique et l’intonation, mais de profiter de leur travail conjoint.

3 Par exemple, s’il faut ou s’il ne faut pas séparer le sujet focalisé de son verbe par une virgule.

(12)

11 1.1.1.2. Hypothèse de Lambrecht sur l’ordre SVO en français parlé

Contrairement à la position de Blanche-Benveniste, Lambrecht pense que la grammaire de la langue parlée diffère de la grammaire de la langue écrite, remettant en question le statut dominant du modèle SVO en français parlé. Selon Lambrecht (1987), la fonction pragmatique de ce modèle dans la langue parlée est très restreinte, à tel point que l’on peut dire que la phrase de type SVO pratiquement n’a pas de fonction pragmatique en français parlé. Le type de phrase canonique en français parlé, surtout dans le discours oral spontané, a la structure clitique + verbe (X). Lambrecht appelle cette structure the preferred clause.

Nous allons essayer dans la suite de présenter avec plus de détails les principaux arguments de Lambrecht sur l’ordre des mots en français parlé. Nous allons également essayer de décrire toutes les constructions où l’ordre des mots diffère de l’ordre canonique, en insistant sur le lien entre structure informationnelle et marques syntaxiques. Le point avec lequel nous pensons terminer ce chapitre va traiter le problème du statut des sujets lexicaux dans la langue parlée, à savoir le statut des sujets sous forme de SN pleins, parce qu’il semble être lié au problème de l’ordre des mots.

1.1.1.2.1. The preffered clause du français parlé

Lambrecht (1987 : 219) définit la structure qu’il appelle the preferred clause comme unité informative de base du français parlé dont le schéma peut être représenté de la manière suivante : [clitique + verbe (X)]. Le clitique pronominal qui se trouve en position initiale de la structure peut être:

- un des pronoms personnels atones : je, tu, il, elle, on4, vous, ils, elles - le pronom démonstratif ou impersonnel de la 3ème personne ça ou c’

- le pronom il impersonnel - le pronom y

Selon Lambrecht (1981 : 45), ces clitiques initiaux ont subi un processus de grammaticalisation, dans lequel ils ont perdu leur statut indépendant comme mots et la

4 À l’oral, le pronom personnel nous est remplacé par le pronom on.

(13)

12 liberté de la permutalibilité syntaxique. Cela veut dire qu’ils sont devenus marqueurs grammaticaux morphologiquement déterminés par le verbe. Ce lien morphologique entre pronom et verbe relève du processus de cliticalisation qui, selon Givón (cité par Lambrecht 1987 : 45), peut être mis en relation avec le fait que ces pronoms ne sont jamais toniques et que leur degré informatif est très faible. Bien que Lambrecht ne réponde pas clairement à la question s’ils doivent être traités comme pronoms ou comme morphèmes grammaticaux, il pense que l’accord verbal et la pronominalisation partagent les mêmes principes de base et qu’il s’agit en réalité du même processus.

C’est la raison pour laquelle l’on remarque dans Lambrecht (1981) une apparente inconsistance terminologique quand il décrit cette position initiale dans preferred clause. Il utilise les termes comme bound pronoun, clitic, agreement marker, inflectional morpheme. Quoi qu’il en soit, il nous semble important de souligner que pour Lambrecht la structure clitique + verbe (X) est verb-initial5. En ce qui concerne l’élément postverbal, il s’agit de focus de la phrase, qui a la forme d’un SN plein ou de pronom tonique moi, toi, lui, etc.

Certaines constructions grammaticales servent à maintenir la structure clitique + verbe (X) en français parlé. Leur forme syntaxique est liée à leur fonction pragmatique dans le discours. Selon Lambrecht (1987), leur fonction pragmatique peut être:

1. l’identification et le marquage du focus

2. l’introduction d’un nouveau référent dans le discours (fonction présentative) 3. le marquage du topique

Nous allons décrire par la suite toutes les constructions grammaticales ayant une de ces trois fonctions pragmatiques dans le discours.

5 The perferred clause peut servir d’argument pour supporter l’hypothèse de Harris (1978) selon laquelle le français est en train de subir le changement typologique du type SVO vers le type VSO ou VOS. Le même argument peut être utilisé pour les constructions disloquées à droite, dont il sera question plus loin.

Cependant, nous n’allons pas aborder le problème de l’ordre des mots en français parlé dans l’optique diachronique.

(14)

13 1.1.1.2.1.1. Construction clivée en c’est

Une des possibilités de mettre en relief un constituant de la phrase en français est de le faire extraire au moyen de structure c’est... qui/que. « L’extraction met en œuvre le procédé emphatique qui associe une locution identifiante et une relative pour extraire un constituant de la phrase et qui permet d’obtenir ainsi une phrase clivée » (Riegel, Pellat

& Rioul 1994 : 430). L’élément mis en relief par la clivée représente le focus de la phrase. L’on peut dire que la clivée est le procédé syntaxique le plus utilisé pour le processus de focalisation, surtout à l’oral. En français parlé, le focus n’apparaît presque jamais en position sujet : soit il se trouve en position de prédicat (predicate-focus structure6), soit le focus correspond à l’argument omis dans la phrase présupposée (argument-focus structure7) ou bien le focus s’étend sur le sujet et le prédicat (event- reporting sentence type ou sentence-focus structure). La construction clivée (argument- focus structure) permet l’extraction du focus, en le disloquant en même temps de la position sujet de la phrase. Regardons l’exemple (1) :

(1) Ivana : Qui a volé mon écharpe préférée ? Nada : ?? Maya l’a prise.

C’est Maya qui l’a prise.

Dans (1), la première réponse à la question d’Ivana serait difficilement acceptable du point de vue pragmatique. La réponse avec la clivée est en revanche très courante à l’oral.

La construction clivée est un exemple de preferred clause. D’après Lambrecht (1987 : 224-225), il s’agit « de procédé syntaxique par lequel un constituant, dont le référent a le rôle pragmatique de focus dans une phrase mais dont la position normale n’est pas focalisée, peut apparaître en position postverbale préférable pour le focus, par la création d’une autre phrase auxiliaire de type preferred clause qui contient la copule être et dans laquelle la position focus est libre, ce qui permet que le constituant en question remplisse cette position ». La clivée est alors une construction complexe, constituée de deux propositions – la principale (focus phrase) contenant le clitique c’, la

6 Les termes predicate-focus structure, argument-focus structure et sentence-focus structure sont utilisés dans Lambrecht (1994).

7 C’est la structure qui va nous intéresser ici, à savoir la structure clivée.

(15)

14 copule être et le complément du verbe être qui est pragmatiquement le focus de toute la construction; et la relative dont le sujet (le pronom qui ou que) renvoie au focus. Tandis que la première proposition contient une information nouvelle, la proposition relative peut être considérée comme présupposée, c’est-à-dire qu’au moment de l’énonciation le locuteur considère son contenu comme donné ou pragmatiquement récupérable dans l’esprit de l’auditeur. Il serait peut-être utile de faire ici la distinction entre prédicat pragmatique et prédicat sémantique. Lambrecht (1994 : 233) souligne que le prédicat pragmatique est introduit par le pronom démonstratif, tandis que le prédicat sémantique est exprimé syntaxiquement au moyen de proposition relative. L’on note que cette structure est inverse à la structure predicate-focus parce que c’est le prédicat qui est présupposé dans la clivée, ce qui veut dire qu’il ne contient pas le focus. Selon Lambrecht (1987), la fonction pragmatique de la clivée est d’identifier et de marquer le focus. L’élément focalisé correspond dans la version non-marquée de la même construction8 au sujet ou à une phrase adverbiale et non à l’objet (Lambrecht 1987 : 225). Si l’on prend en compte le fait que les sujets sont le plus souvent des topiques et que les topiques généralement ne sont pas focalisés, il n’est pas surprenant qu’il doive exister un fort marquage syntaxique quand le focus tombe sur ces constituants.

Nous avons vu que Lambrecht insiste sur la fonction pragmatique d’identification et de marquage du focus (focus marking device) de la clivée. Cependant, Grobet (2002 : 210) pense qu’ « elle est susceptible de marquer le topique à travers la partie de la proposition présentée comme présupposée ». Grobet montre d’abord comment cette structure contribue au marquage des référents actifs qui fonctionnent comme points d’ancrage dans un contexte discursif. Les points d’ancrage peuvent être les expressions référentielles faisant partie de la structure. Voici un exemple :

(2) B173 : alors on a vu madame Poirier C174 : oui

B175 : et on a vu . le . madame Poirier avait l’air de dire bon ben c’est c’est c’est

C176 : alors c’est elle qui détermine vous savez on suit beaucoup ses ses trucs elle elle note des points

8 Comparez : C’est Maya qui l’a prise et Maya l’a prise dans l’exemple (1).

(16)

15 B177 : euh ouais alors euh

C178 : c’est elle qui détermine beaucoup hein (Grobet 2002 : 216)

En (2), l’expression référentielle elle renvoie au référent madame Poirier, actif et identifiable, parce qu’il est introduit dans le contexte immédiatement précédent.

Cependant, le pronom elle est focalisé par la clivée, ce qui montre qu’il y a un conflit de relations de topique et de focus dans cet exemple.

Les points d’ancrage peuvent aussi être marqués par la structure même de la clivée, à savoir par le prédicat sémantique qui est présupposé. Grobet (2002 : 219) explique ensuite comment le marquage des points d’ancrage s’articule avec le marquage des topiques. Les topiques peuvent également être marqués par les expressions référentielles ou par la phrase relative de la clivée. Ce marquage relève de la relation que le focus entretient avec le topique correspondant. Cette relation produit différents effets de sens, le plus souvent le contraste ou la correction. « Dans un grand nombre d’exemples, le référent clivé s’oppose à un autre référent évoqué dans le cotexte immédiat à propos d’un topique donné » (Grobet 2002 : 221). La clivée peut aussi amener une transition topicale, à savoir introduire un nouveau référent, susceptible de devenir topique pour la suite du discours.

Encore deux points à propos de la clivée seront abordés ici. Le premier concerne l’état d’activation des référents focalisés. Le référent focalisé par la clivée peut être nouveau, accessible ou donné dans le discours. Cela s’explique par le fait que « pour entrer dans une relation de focus, une information n’a pas besoin d’être nouvelle en tant que telle, mais qu’elle tire sa nouveauté de la relation avec un topique spécifique dans un contexte donné » (Grobet 2002 : 220).

À la fin de l’analyse de la construction clivée en c’est, nous présentons quelques constructions ayant la même structure à la surface que la clivée. Cependant, il ne faut pas les confondre avec la clivée, parce qu’elles possèdent différentes propriétés prosodiques et informatives. Voici quelques exemples :

(3) ce que je n’aime pas c’est que je dois ramener ma petite sœur de l’école (notre corpus : enregistrement 1, El1 ;voir Annexe 1)

Nous avons ici un exemple de pseudo-clivée. Elle est similaire à la clivée, mais certaines différences existent. D’abord, la clivée et la pseudo-clivée diffèrent au niveau prosodique. La pseudo-clivée a deux contours intonatifs, tandis que la clivée en a un. Il

(17)

16 semble aussi que deux parties de la pseudo-clivée sont plus inter-indépendantes que celles de la clivée.

(4) C’est un article, que Sophie m’a proposé de lire.

Cette phrase diffère clairement aux niveaux informationnel et prosodique de la phrase : (4’) C’est un article que Sophie m’a proposé de lire (et pas un livre).

Dans (4), l’on remarque deux unités intonatives. La relative apporte une information nouvelle et non présupposée.

1.1.1.2.1.2. Constructions présentatives

Nous avons vu que les référents nouveaux ne peuvent pas apparaître en position initiale de sujet dans le discours. Cela vaut aussi pour les référents non-utilisés, qui sont identifiables par le locuteur et l’auditeur mais pas encore pragmatiquement accessibles dans le discours. Ces référents nouveaux et non-utilisés, susceptibles de devenir topiques par la suite du discours, sont introduits en français parlé au moyen de constructions présentatives (Lambrecht 1987 : 226). Ces constructions présentatives ont la structure clitique + verbe (X). Nous proposons l’analyse des constructions présentatives suivantes :

a. les propositions contenant le verbe avoir (avoir y apparaît comme verbe sémantiquement intransitif)

b. les propositions contenant les verbes de mouvement (venir, arriver, descendre, etc.) ou les verbes existentiels (naître, mourir, etc.)

c. les propositions contenant les verbes de perception (voir, etc.)

Toutes ces propositions ont comme fonction la localisation ou la présentation des référents dans le discours. Par exemple, le verbe avoir perd dans la construction présentative ses propriétés sémantiques habituelles. Il n’exprime pas la possession, mais la présence ou l’existence d’un référant dans le discours. C’est pour cela que Lambrecht (1987) le considère comme verbe intransitif.

La construction présentative la plus fréquente à l’oral est la clivée en y a9. Regardons l’exemple (5) :

9 Ya-cleft construction en termes de Lambrecht (1987).

(18)

17 (5) (…) on était en train de jouer au foot et puis y a un copain qui s’est fait mal (notre corpus : enregistrement 8, El9 ; voir Annexe 1)

D’abord, l’on remarque qu’en français parlé la locution verbale impersonnelle il y a apparaît plutôt sous la forme plus courte – y a, ce qui veut dire que le clitique initial de la construction est le pronom y. La construction clivée en y a est constituée, comme d’ailleurs la clivée en c’est, de deux parties, à savoir de deux preferred clauses. La première contient la locution verbale impersonnelle y a10 et un référent nouveau qui joue le rôle du focus. Dans la deuxième partie de la clivée, ce même référent prend le rôle du topique et il est représenté par le pronom relatif qui. Le pronom relatif qui est en même temps le sujet de la phrase relative et il renvoie au référent introduit dans la première partie de la construction. Nous voyons encore une fois mis en œuvre le principe de la séparation entre référence et relation11 et la maxime pragmatique Do not introduce a referent and talk about it in the same clause12. Le SN nouveau est introduit dans le discours dans la première partie de la clivée, mais pas dans la position initiale de sujet. Ce référent devient de cette manière disponible par la suite, d’abord dans la deuxième partie de la clivée où il obtient le statut donné ou connu, mais également dans le discours entier. Si le discours va ou ne va pas continuer à être à propos de ce topique dépend exclusivement de l’intention des interlocuteurs.

Le clitique initial dans les constructions présentatives contenant le verbe avoir peut aussi être un pronom personnel atone. Voici quelques exemples :

(6) j’ai un coéquipier qui est albanais (notre corpus : enregistrement 1, El1 ; voir Annexe 1)

(7) on a le boulanger qui vient à l’école (notre corpus : enregistrement 8, El9 ; voir Annexe 1)

Notons encore une fois que le verbe avoir perd ici ses propriétés sémantiques – il n’exprime pas la possession, mais sert à localiser un référent dans le discours.

10 Si l’on suit la terminologie de Lambrecht, l’on peut dire que la première partie de la construction contient le pronom clitique y, le verbe avoir qui est ici sémantiquement intransitif et un referent nouveau qui joue le rôle du focus.

11 En anglais, Principle of the Separation of Reference and Relation (Lambrecht 1994).

12 Lambrecht (1987, 1994).

(19)

18 La principale de la construction présentative peut aussi contenir un verbe de perception :

(8) je m’rappelle, étant gosse, on voyait les avions passer… (Lambrecht 1987 : 230) ou un verbe existentiel :

(9) après il meurt son fils, il meurt sa belle-fille (Lambrecht 1987 : 230)

En (8) et (9), la structure de type preferred semble être conservée. Cette structure est préférée à la structure canonique SVO et les sujets lexicaux (les avions, son fils, sa belle-fille) ne se trouvent pas en position initiale. La phrase les avions passaient (SVO modèle) serait pragmatiquement inacceptable dans le contexte en (8). En ce qui concerne l’exemple (9), il diffère des autres constructions présentatives parce qu’il s’agit d’une construction avec l’inversion sujet-verbe et que le SN son fils et le SN sa belle-fille restent sujets (psychologiques) du verbe mourir. Cependant, Lambrecht (1987 : 231) pense que le principe fondamental ne change pas ici : le pattern clitique + verbe (X) est préférable au modèle SVO.

Une analyse plus détaillée des constructions présentatives dans le cadre de la grammaire constructionnelle est présentée dans Lambrecht (2000, 2002). Selon Lambrecht (2000 : 49), « la fonction discursive de cette construction est à la fois de présenter une entité nouvelle dans un discours donné et d’exprimer une information nouvelle au sujet de cette entité ». Il l’appelle construction relative présentative (CRP).

La première partie de la CRP contient un référent nouveau, tandis que la fonction de la deuxième partie de la construction est d’exprimer quelque chose sur ce référent. La fonction de la phrase relative est alors prédicative. Elle est à la fois prédicat du sujet antécédent et le complément de la principale. Tout pris en considération, l’on conclut que la CRP est une construction à la fois présentative et prédicative. Il existe une grande dépendance syntaxique mutuelle entre phrases principale et subordonnée de la CRP.

Regardons un exemple emprunté de Lambrecht (2000 : 49) : (10) j’ai eu mon beau-frère qui a fait Paris-Nice

Il est clair que la phrase relative est syntaxiquement subordonnée à la principale.

Cependant, il paraît que la principale ne peut pas non plus subsister sans la relative.

Bien que l’énoncé J’ai eu mon beau-frère soit bien formé du point de vue syntaxique, il est difficilement acceptable dans un contexte discursif. Selon Lambrecht (2000 : 51),

« c’est un trait typologique particulier en français moderne que la structure bi-

(20)

19 propositionnelle de la CRP a tendance à se condenser sémantiquement et syntaxiquement et à se grammaticaliser en construction clivée, donc en une structure syntaxiquement complexe mais sémantiquement simple ».

Dans les mêmes ouvrages (Lambrecht 2000, 2002), l’auteur distingue plusieurs sous-catégories des CRP. Pour des raisons de brièveté, nous n’allons pas nous attarder là-dessus. Nous allons juste remarquer que dans toutes ces sous-catégories le contenu des relatives apporte une information nouvelle et non présupposée13.

Nous avons dit au début de ce chapitre que les référents non-utilisés, à savoir les référents pragmatiquement récupérables pour les interlocuteurs mais pas encore actifs dans le discours, peuvent aussi être introduits au moyen de présentatives. Voici un exemple, emprunté de Lambrecht (1987 : 228) :

(11) A : ça sera l’été un jour

B : c’est pas du tout normal cette année

A : ya mon frère qui vient dans trois semaines, et j’espère bien qu’i’ va faire plus beau quand i’ sera là

1.1.1.2.1.3. Structures segmentées à gauche et à droite

Nous allons terminer notre présentation des structures de preferred type par l’analyse des constructions pour lesquelles l’on trouve pléthore de termes dans la littérature linguistique : left/right dislocation (Ashby 1988), éléments détachés (Fradin 1990), structures segmentées (Bally 1965), constructions topiques et antitopiques (Lambrecht 1981, 1987, 1994), etc. Il s’agit de constructions « dans lesquelles un (ou plusieurs) constituant se trouve extra-posé par rapport au noyau propositionnel » (Grobet 2002 : 188). Ce constituant peut se trouver à gauche (left-dislocation, topic NP, etc.) ou à droite (right-dislocation, antitopic NP, etc.) du noyau propositionnel. Nous allons d’abord décrire les propriétés formelles de ces structures segmentées, ensuite l’on va traiter le statut discursif des référents auxquels les constituants extra-posés renvoient

13 Rappelons-nous que dans les constructions clivées en c’est le cas est bien contraire : le contenu de la phrase relative n’est pas nouveau du point de vue informationnel.

(21)

20 et l’on va finir par la présentation de leurs fonctions pragmatiques dans le discours.

Étant donné qu’une structure segmentée à gauche se différencie dans plusieurs aspects (prosodique, sémantique, syntaxique, pragmatique) d’une structure segmentée à droite, une analyse unique pour les deux phénomènes ne sera pas possible.

Regardons d’abord les exemples suivants :

(12) l’école elle finit à quatre heures (notre corpus : enregistrement 2, El2 ; voir Annexe 1)

(13) et puis si elle avait pas de bonnes notes ses parents ils la tapaient (notre corpus : enregistrement 5, El5 ; voir Annexe 1)

(14) Ch : bon c’est pas important tu dois pas raconter toute l’histoire. qu’est-ce qui s’est passé à la fin/

El8 : mais elle est très courte l’histoire (notre corpus : enregistrement 7, El8 ; voir Annexe 1)

En (12) et (13), nous voyons les exemples de structure segmentée à gauche, tandis que dans l’exemple (14), la structure en cursive est une segmentée à droite. Bien qu’il y ait des différences syntaxiques entre ces deux types de structure, ils ont en commun la position non-relationnelle de l’élément détaché. L’élément détaché à gauche ou à droite se trouve hors du réseau syntaxique et sémantique de la proposition qui contient l’information à propos de l’élément détaché. L’élément détaché à gauche ou à droite peut être omis sans que cela diminue l’informativité de la phrase. Regardons l’exemple (14’) :

(14’) Ch : bon c’est pas important tu dois pas raconter toute l’histoire. qu’est-ce qui s’est passé à la fin14/

El8 : mais elle est très courte

Cependant, le fait que le test d’omission est applicable dans le cas des éléments détachés ne signifie pas qu’ils sont redondants du point de vue informatif. Cela veut simplement dire qu’ils ne sont pas arguments dans la proposition.

Lambrecht (1981) donne une liste des propriétés formelles de ce qu’il appelle topic et antitopic15. Voici cette liste pour le topique :

14 Remarquons qu'ici l'ambiguïté n’est pas exclue : le pronom elle dans la réponse de l’élève pourrait renvoyer aussi au référent la fin.

15 Ces termes correspondent aux éléments détachés à gauche et à droite respectivement.

(22)

21 a. En général, le topique n’est pas marqué casuellement.

(15) A : J’ai essayé d’aller à la plage hier, mais il faisait trop froid.

B : La plage, i-faut y aller quand i-fait chaud. (Lambrecht 1981 : 53)

b. Le topique n’est pas déterminé par le verbe, c’est-à-dire que le rôle sémantique du topique n’est pas prévisible à partir de la forme du verbe. C’est pour cela que les phrases suivantes sont toutes grammaticales :

(16) Mon frère i-s-y-intéresse-pas, aux livres Les livres i-s-y intéresse-pas, mon frère

Mon frère, les livres i-s-y-intéresse pas (Lambrecht 1981 : 54)

c. La position de topique est fixe. La position initiale de topique est acceptée dans la plupart des travaux comme principe universel. Cependant, Lambrecht (1994 : 201-202) note que topic-first principle n’est pas valable pour les langues de type VOS et VSO ou pour les langues qui n’ont pas d’ordre basique, et que dans les langues comme l’anglais ou l’allemand le focus peut apparaître en position initiale au moyen de marquage prosodique.

d. La distance entre topique et verbe théoriquement n’a pas de limites.

e. Le topique ne peut pas se trouver dans une phrase enchâssée et ne peut pas faire partie d’une subordonnée. Ainsi, un exemple comme (17) n’est pas acceptable du point de vue grammatical :

(17) *Le livre que Pierre j-ui-ai donné c-était la Bible (Lambrecht 1981 : 59) En ce qui concerne l’antitopique, la liste contient les propriétés suivantes : a. L’antitopique est plus étroitement lié à la proposition que le topique. L’on peut dire qu’il est intégré dans la structure syntaxique de la proposition16.

b. L’antitopique est obligatoirement marqué casuellement, à savoir il est déterminé par la structure argumentative du verbe.

(18) Je lui ai donné le livre, à Paul.

La phrase en (18’) est agrammaticale : (18’) *Je lui ai donné le livre, Paul.

16 Lambrecht (1981 : 77) explique que l’antitopique n’est pas lié à la structure syntaxique de la proposition de la même manière que les sujets et les objets (rappelons qu’il peut être omis sans que l’informativité de la phrase diminue), mais que ce lien est plus étroit que dans le cas du topique.

(23)

22 c. L’antitopique peut apparaître à la fin d’une phrase enchâssée qui fait partie d’un SN complexe.

(19) I-me-semble que j-ui-ai-donné le livre hier, à Pierre (Lambrecht 1981 : 82) d. Comme dans le cas du topique, l’antitopique n’est pas sémantiquement déterminé par le verbe, ce qui veut dire que le choix de l’antitopique ne dépend pas du verbe (voir l’exemple 16).

Après avoir donné leurs caractéristiques syntaxiques, examinons maintenant les propriétés pragmatiques des éléments détachés à gauche et à droite du noyau propositionnel. Selon Lambrecht (1981), les référents auxquels les topiques et les antitopiques renvoient doivent satisfaire les conditions suivantes : ils doivent être donnés ou connus dans le discours ; ils ne peuvent pas être indéfinis ; il doit exister la relation d’à propos entre topique/antitopique et proposition. Dans Lambrecht (1987 : 233), l’auteur dit que l’autonomie syntaxique des T et AT constituants correspond à leur statut discursif qui est d’être récupérables, c’est-à-dire pragmatiquement accessibles dans le discours. Leur fonction générale est alors, dans les termes de Lambrecht (1987 : 233), une naming function – ils donnent une forme lexicale aux référents qui sont récupérables mais pas encore actifs dans le discours. Autrement dit, pour pouvoir entretenir la relation d’à propos avec la proposition où se trouve ou ne trouve pas le pronom anaphorique, les constituants détachés à gauche ou à droite doivent être connus dans le discours.

Cependant, le statut discursif du topique et de l’antitopique n’est pas identique.

Ashby (1988) explique que les antitopiques sont plus accessibles et plus continus dans le discours que les topiques17. En se basant sur l’analyse de son corpus18, il remarque d’abord que les topiques sont plus fréquents en français parlé que les antitopiques19. Il note également que les antitopiques sont plus fréquemment utilisés pour renvoyer aux référents évoqués en situation que les topiques et qu’ils ont tendance à correspondre aux référents qui restent saillants dans plus qu’une phrase dans le discours.

Quelles sont les fonctions pragmatiques des topiques et des antitopiques dans le discours ? Nous avons vu que, selon Lambrecht (1987), la fonction générale des

17 Ashby utilise les termes left (LD) et right (RD) dislocation.

18 Pour plus de détails sur la structure de ce corpus, voir Ashby (1988).

19 Notre corpus qui est présenté dans les Annexes révèle le même résultat.

(24)

23 topiques et des antitopiques est référentielle – ils donnent une forme lexicale aux référents qui sont récupérables, mais pas encore donnés dans le discours. Pourtant, le topique ne peut pas être remplacé par l’antitopique dans n’importe quel contexte discursif et vice versa. Cela implique que leurs fonctions discursives quand même se différencient. D’après Ashby (1988 : 220), une des fonctions les plus importantes des SN segmentés à droite est la clarification de l’identité du référent à propos duquel l’information est donnée :

(22) A : Claire a trouvé un appartement. Justement, elle voulait, parce qu’elle travaille rue de Toulon. Elle a trouvé un appartement, une maison, où a vécu Gambetta. C’est récent, quand même. Il est bien.

B : C’est certainement mieux que moderne, parce que…

A : C’est un appartement du dix-neuvième siècle. Il est rénové. Oh, elle n’est pas vielle la maison. (Ashby 1988 : 220)

En (22), l’expression référentielle elle dans le dernier tour de parole pourrait correspondre à deux référents – Claire et la maison. En utilisant une structure segmentée à droite, le locuteur A enlève le doute sur l’identité du référent auquel l’expression référentielle elle renvoie.

Pour Lambrecht (1981 : 88), la fonction du constituant AT est plus stylistique que pragmatique. « En effet, cela semble naturel. Si le référent est supposé être présent dans la conscience de l’auditeur, l’évocation de ce référent par le mot autre que le pronom ne peut avoir comme fonction que de le modifier en quelque sorte, pas de changer son statut pragmatique » (Lambrecht 1981 : 88). Voici un exemple qui illustre cette fonction expressive ou stylistique, où l’antitopique peut être considéré comme épithète :

(23) J-ai-vu mon frère hier. Il a voté pour Giscard, cet imbécile (Lambrecht 1981 : 88)

Le SN segmenté à droite apparaît souvent en fin de tour de parole dans le discours, ce qui pourrait être interprété comme la stratégie du locuteur par laquelle il donnerait un signal à son interlocuteur qui n’a plus à dire sur le référent de ce SN. Ashby (1988) appelle cette fonction turn closing. Dans le même article, Ashby (1988 : 222) mentionne une autre stratégie dont le locuteur peut se servir en détachant un SN à droite – c’est le

(25)

24 remplissage des moments vides dans le discours20, par exemple quand le pronom tonique moi détaché à droite est ajouté aux commentaires de type je sais pas ou comment je vais vous dire.

De l’autre côte, la fonction principale d’un SN segmenté à gauche est la topic- shifting ou topic-creating fonction, c’est-à-dire qu’il sert à introduire ou à annoncer un nouveau topique dont il sera question par la suite du discours. Grobet remarque que la segmentée à gauche a son rôle dans l’alternance des tours de parole – « elle permet au locuteur de marquer qu’il s’approprie un référent pour en faire le topique de son intervention de réponse » (Grobet 2002 : 241).

Nous voyons donc que la position syntaxique des SN segmentés à gauche et à droite n’est pas sans lien avec leur fonction pragmatique. La segmentée à gauche se trouve en position initiale et elle annonce un nouveau topique, tandis que la segmentée à droite se trouve en fin de tour en signalant souvent la clôture d’un segment thématique du discours. Il faut quand même noter que cela est plutôt une question de fréquence et qu’il est possible qu’une segmentée à gauche marque la clôture thématique, ainsi qu’une segmentée à droite signale un nouveau topique.

À la fin de ce chapitre, nous montrons certaines constructions qui ressemblent aux segmentées, mais qui ne doivent pas être traitées comme telles. D’abord, il faut distinguer le SN détaché à droite de la structure appelée afterthought qui implique une correction ou qui est le signe d’une mauvaise planification du discours. Selon Lambrecht (1987 : 234), le pronom clitique dans le noyau propositionnel est le signal que le référent auquel il renvoie obtiendra vite sa forme lexicale. C’est pour cela qu’il n’est pas acceptable de traiter la segmentée à droite comme une sorte d’anomalie communicative, mais comme un phénomène légitime et courant de la langue parlée. En ce qui concerne la structure segmentée à gauche, il faut la distinguer de la structure topicalisée ou de l’inversion focalisante, où les éléments détachés à gauche gardent leur statut syntaxique et sémantique du complément du verbe, à savoir ils gardent leur rôle intra-propositionnel21.

20 Il appelle cette stratégie filler function.

21 Voici l’exemple pour la topicalisée et pour l’inversion focalisante respectivement : Les devoirs j’ai pour mardi (notre corpus : enregistrement 3, El3) ; L’amour elle appelle ça (Stempel cité par Grobet 2002).

(26)

25 1.1.1.2.2. Sujets lexicaux en français parlé

Selon Lambrecht (1987 : 235), les sujets lexicaux, à savoir les SN pleins en fonction de sujet, n’apparaissent presque jamais en position initiale de la phrase en français parlé. Les sujets lexicaux renvoient aux référents qui ont tendance à être non spécifiques, non agentifs et non anaphoriques. Cela signifie que leur degré de topicalité ou de saillance est faible. C’est pour cela que : 1. l’on les trouve plutôt dans les phrases faisant partie de l’arrière-plan discursif (souvent dans les phrases subordonnées) ; 2. les sujets lexicaux ne sont présentés anaphoriquement que dans une seule phrase ; 3. les sujets lexicaux apparaissent majoritairement dans les propositions intransitives, dont plus que la moitié contient le verbe être ; 4. les sujets lexicaux sont souvent SN génériques. Cependant, il paraît que cette caractérisation des sujets lexicaux ne s’applique pas aux noms propres. Ils ne font pas partie du pattern preferred clause, à savoir il n’est pas nécessaire d’utiliser des procédés spéciaux pour les introduire dans les discours, parce qu’ils se comportent presque comme des pronoms déictiques ou anaphoriques en signalant directement leurs référents.

1.2. Ordre des mots en serbe

Nous nous proposons de commencer cette partie du chapitre par l’analyse de l’ordre des mots en serbe dans l’optique typologique. Cela nous aidera à montrer quelles fonctions l’ordre des mots a dans la langue serbe. L’on terminera ce chapitre par l’analyse du phénomène en question dans la perspective de l’organisation informationnelle. Il faut noter que nous n’avons réussi à trouver dans la littérature linguistique serbe aucune étude qui traite essentiellement le problème de l’ordre des mots dans la langue parlée.

(27)

26 1.2.1. Ordre des mots libre de la langue serbe

Du point de vue de la typologie des langues, le serbe aussi bien que le français peut être groupé parmi les langues de type SVO. Cependant, cet ordre souvent considéré comme canonique n’est pas le seul possible, mais il est le plus fréquent. L’on peut aussi l’appeler l’ordre principal ou l’ordre de base de la phrase serbe. Autrement dit, la phrase SVO est en serbe, comme en français, une phrase typique. Le fait que le serbe permet d’autres ordres des constituants de la phrase est dû à la nature flexionnelle de la langue serbe. Le serbe est une langue synthétique, langue avec une grande proéminence morphologique. Cela veut dire que les relations syntaxiques entre constituants de la phrase sont d’abord exprimées dans la morphologie, à savoir dans les suffixes grammaticaux, marqueurs des cas, du genre et du nombre. La proéminence morphologique du serbe met alors au second plan l’importance de l’ordre des mots dans la détection de leurs fonctions syntaxiques. En d’autres termes, l’ordre des mots est une catégorie syntaxique d’une importance mineure en serbe. La nature flexionnelle du serbe implique aussi que les mots peuvent changer de place dans la phrase d’une manière relativement libre. C’est pour cela que l’on rencontre dans la littérature (des courants traditionnels jusqu’aux travaux les plus récents) la généralisation que le serbe a un ordre des mots libre. Bien entendu, il ne s’agit pas d’une liberté absolue. Selon Поповић (2004 : 14), cette liberté relative de la mobilité des constituants de la phrase implique une limite des permutations positionnelles possibles, ainsi que les variations stylistiques entre elles.

Voici les réalisations possibles de l’ordre des mots d’une phrase déclarative simple constituée de trois éléments canoniques, à savoir de sujet, de verbe et d’objet direct.

(24)

1) Maja čita knjigu. (SVO) Maya lit un livre.

2) Maja knjigu čita. (SOV)

*Maya un livre lit.

3) Čita Maja knjigu. (VSO)

(28)

27

*Lit Maya un livre.

4) Čita knjigu Maja. (VOS)

*Lit un livre Maya.

5) Knjigu Maja čita. (OSV)

*Un livre Maya lit.

6) Knjigu čita Maja. (OVS)

*Un livre lit Maya.

Plus le nombre d'éléments dans la phrase augmente, plus il y a des possibilités de combinaisons. Le nombre de mots dans la phrase est proportionnel au nombre de leurs combinaisons et au nombre d'ordres acceptables du point de vue de la grammaticalité de la phrase, surtout si l'on prend en compte le fait que la mobilité des compléments circonstanciels est plus grande que celle des constituants majeurs de la phrase. Par exemple, une phrase déclarative simple constituée de cinq éléments (sujet, verbe, objet direct et circonstanciels de temps et de manière) a 120 combinaisons d'ordre possible22, dont nous présentons ici quelques unes.

(25)

1) On uvek strastveno brani svoja uverenja. (STMVO)23 Il défend toujours passionnément ces convictions.

2) On strastveno uvek brani svoja uverenja. (SMTVO) 3) On brani svoja uverenja uvek strastveno. (SVOTM) 4) On brani svoja uverenja strastveno uvek. (SVOMT) 5) Uvek strastveno on brani svoja uverenja. (TMSVO) 6) Strastveno uvek on brani svoja uverenja. (MTSVO) 7) On uvek brani strastveno svoja uverenja. (STVMO) 8) On strastveno brani uvek svoja uverenja. (SMVTO) 9) On svoja uverenja uvek strastveno brani. (SOTMV) 10) On svoja uverenja strastveno uvek brani. (SOMTV) 11) Uvek strastveno on svoja uverenja brani. (TMSOV)

22 Ce nombre correspond pratiquement au nombre de combinaisons mathématiquement possibles : 5!=120.

23 Le premier exemple est mis en cursive, parce qu’il illustre l’ordre le plus fréquent en serbe.

(29)

28 12) Strastveno uvek on svoja uverenja brani. (MTSOV)

13) Uvek on strastveno svoja uverenja brani. (TSMOV) 14) Strastveno on uvek svoja uverenja brani. (MSTOV) 15) Svoja uverenja on brani uvek strastveno. (OSVTM) 16) Svoja uverenja on brani strastveno uvek. (OSVMT), etc.

1.2.2. Deux types d’ordre des mots en serbe

Bien que le nombre d’ordres possibles soit remarquablement plus grand en serbe qu’en français, cela ne signifie pas que toutes ces possibilités vont être réalisées dans un contexte discursif oral ou écrit. Поповић (2004 : 14-15) nous donne un survol terminologique autour de l’ordre des mots en expliquant qu’à partir des travaux du 19ème siècle jusqu’aux travaux plus récents, il y avait toujours la répartition en deux types d’ordre des mots en serbe. « À vrai dire, les critères à la base desquels cette répartition est faite ne sont pas toujours explicitement donnés et la répartition n’est pas toujours cohérente. Toutefois, l’on peut remarquer trois manières principales de confronter ces deux types d’ordre » (Поповић 2004 : 15) : a) l’ordre de base vs l’ordre inverse ou modifié (l’ordre correct24 ou régulier vs l’ordre changé ou inverse) ; b) l’ordre neutre du point de vue stylistique vs l’ordre marqué (l’ordre grammatical vs l’ordre logique ou rhétorique) ; c) l’ordre fréquent vs l’ordre particulier ou inhabituel (l’ordre habituel ou traditionnel vs l’ordre occasionnel ou particulier).

Selon Kitić (2002b), il y a deux types d'ordre des mots : l'ordre grammatical et l'ordre pragmatique. La langue protypique ayant l'ordre grammatical est l'anglais. Cela veut dire dans ces langues, l'ordre des mots est une catégorie syntaxique à part entière, servant à montrer les relations syntaxiques entre constituants. Autrement dit, la fonction syntaxique des mots est déterminée par leur position dans la phrase. Cet ordre est fixé – son changement entraîne l’agrammaticalité de la phrase. Nous avons déjà montré que cela n’est pas le cas en serbe. C’est la raison pour laquelle Kitić (2002b : 52) parle de la proéminence pragmatique et stylistique de l'ordre des mots en serbe. Si dans une phrase

24 Поповић trouve les termes mis en italiques dans les travaux qui datent du 19ème siècle, mais aussi dans les travaux les plus récents.

(30)

29 serbe l'ordre des mots n'est pas typique, c'est-à-dire s'il se différencie de l'ordre grammatical, cet ordre sert alors à exprimer d'autres fonctions, à produire par exemple des effets stylistiques particuliers ou à mettre en relief certains éléments de la phrase.

Pour désigner la nature de l'ordre des mots en serbe, Kitić utilise parfois le terme ordre contextuel.

1.2.3. Fonctions de l’ordre des mots en serbe

L’ordre des mots en serbe ne sert pas principalement à déterminer les fonctions syntaxiques des constituants. Le rôle que l’ordre des mots joue en serbe est plutôt autre – l’on trouve dans la littérature linguistique que l’ordre des mots en serbe peut avoir différentes fonctions : pragmatique, informative ou stylistique.

Les fonctions de l’ordre des mots en serbe doivent être envisagées dans l’optique de ce que Поповић (2004) appelle l’actualisation informative de la phrase. « À part leur fonction grammaticale, les constituants de la phrase ont également une fonction informative, à savoir une valeur informative concrète, qui relève de leur rôle par rapport au but communicatif que le locuteur veut obtenir. Ces valeurs concrètes et actualisées des constituants constituent la structure informationnelle de la phrase » (Поповић 2004 : 11-12). La structure grammaticale et la structure informationnelle déterminent l’ordre des mots.

1.2.4. Facteurs qui influencent l’ordre des mots en serbe

Selon Поповић (2004 : 12), la structure grammaticale et la structure informationnelle sont deux facteurs principaux qui influencent la réalisation linéaire de la phrase. Les effets de ces deux structures se combinent avec les effets prosodiques, qui sont très importants pour l’actualisation informative de la phrase à l’oral. D’autres facteurs qui influencent l’ordre des mots sont : les interactions sémantiques et informatives entre les parties de la phrase ou par rapport au contexte, la structure phonétique des mots, la nécessité d’éviter l’ambiguïté, les effets stylistiques (l’emploi

(31)

30 de certaines figures de style positionnelles, comme le parallélisme ou le chiasme ; l’emploi des figures de style phonétiques, comme la rime ou l’allitération), etc.

Cependant, ces facteurs sont moins importants que les structures grammaticale et informative et la prosodie.

1.2.5. Gestion de l’information en serbe : le thème25, le rhème et le focus

Du point du vue de la gestion des informations en serbe, la perspective de base dans laquelle le contenu phrastique est présenté peut être décrite comme une perspective progressive thématique-rhématique. Le thème a la forme d’un SN et c’est l’élément à propos duquel le locuteur ajoute des informations. Le contenu du noyau prédicatif est lié au thème. Ce noyau prédicatif progressif contenant les informations sur le thème est le rhème. Le rhème peut être considéré comme élément central portant l’information saillante. L’accent phrastique (le focus) fait partie du rhème. Il peut englober tout le rhème ou une partie du rhème. Dans le premier cas, tout le rhème est informativement pertinent, tandis que dans le second l’information essentielle est le focus de la phrase.

En termes de Поповић (2004 : 367), typologiquement il s’agit de l’ordre thématique- rhématique libre, où le sujet est le thème typique, le rhème typique a la forme d’un SV et le focus est rhématisé de manière typique au moyen de la prosodie, mais sa position n’est pas fixe. Les autres présentations du contenu phrastique servent à mettre en relief soit certains éléments thématiques, soit la partie rhématique de la phrase soit les éléments informativement libres.

25 Bien que nous ayons utilisé le terme topique dans le chapitre sur l’ordre des mots en français, nous avons décider de ne pas garder ce terme dans le chapitre sur l’ordre des mots en serbe et d’employer le terme thème (et le terme rhème aussi) que l’on trouve plus souvent dans la littérature linguistique serbe.

Références

Documents relatifs

(action ou état) Il varie en fonction du temps et de la personne.. On peut mettre un

Il y a donc une relation temporelle entre les deux parties de l’EC, et dans cette relation q fournit un cadre temporel à quand-p dans le sens où quand anaphorise la temporalité de

Cet article retrace une expérience de constitution d’un corpus arboré pour le serbe, conçu dans le but de doter cette langue des instruments nécessaires à l’analyse syntaxique

Comme le montrent les textes ci-dessus, les limites ou bornes entre phrases « syntaxiques » peuvent correspondre à des signes de ponctuation, forte ou faible, et/ou des connecteurs

Mˆeme si le QU- relatif n’est pas un pronom et n’occupe pas de position pronominale, il joue un rˆole autre que son rˆole translatif : il exige que, dans la proposition

Document 3 : Les îles du Pacifique, de très faible altitude, sont menacées par la montée des eaux liée au réchauffement climatique EX « Certains États du Pacifique et de l’Océan

, i n les intersections des rayons ; prenant quatre rayons dans le premier faisceau et quatre correspondants dans le second, il faut donc que le rapport anharmonique des sinus soit

Cet article retrace une expérience de constitution d’un corpus arboré pour le serbe, conçu dans le but de doter cette langue des instruments nécessaires à l’analyse syntaxique