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Grand Prix 2016 - 3e lauréat - J'hallucine… Je passe à la radio !

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Academic year: 2022

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La Lettre du Psychiatre • Vol. XII - n° 6 - novembre-décembre 2016 | 153

EXPÉRIENCE DE SECTEUR

Schizophrénie en population générale • Stigmatisation • Cognition sociale • Rétablis- sement

Schizophrenia • General popu- lation • Stigmatisation • Social cognition • Recovery

J’hallucine… Je passe à la radio !

I hallucinate… I’m on the radio!

P.F. Bazziconi*,** M. Le Bihan**, M. Bazzaz**, N. Moy**, P. Bialec**, G. Masson-Pelle**, M. Schmouchkovitch**

A

lors que les neurosciences contribuent depuis plusieurs années à améliorer la compréhension et la prise en charge de la schizophrénie, ce trouble reste stigmatisé.

Cette pathologie, qui affecte globalement 1 % de la population mondiale, est souvent le lit de croyances erronées. Elle est fréquemment assimilée par l’opinion publique à des termes négatifs comme “folie” ou “dangerosité”. Les médias viennent renforcer et véhiculer cette image, probablement par méconnaissance plus que par réel désir de nuire.

Les victimes sont les “usagers” dont l’isolement social se voit renforcé.

C’est pour essayer de modifier ces schémas de pensée et leurs conséquences que nous allons exposer dans l’article qui suit un projet pluridisciplinaire et innovant mis en place au secteur 3 du centre hospitalier régional universitaire de Brest.

Genèse du projet

Lors d’une réunion d’équipe du service Kelenn (secteur 3, hôpital de Bohars, CHU de Brest), un soignant a rapporté les propos d’un patient tenus lors d’une séance du programme d’éducation thérapeutique sur la conscience des troubles et la qualité de vie chez le patient souffrant d’un trouble psychotique chronique : “Certains pensent que nous sommes des tueurs alors que c’est une réelle souffrance et que ça se soigne !”

Cette réflexion renvoie à plusieurs paradigmes qui s’entre choquent .

D’un côté, on retrouve le passage d’un statut de “dément inéluctablement déficitaire”

à celui de “patient-acteur de sa prise en charge”. Il s’agit du concept de rétablissement développé ces dernières années, selon l’idée qu’un devenir favorable est possible, autrement dit que “ça se soigne !”.

De l’autre côté, “nous sommes des tueurs” renvoie à la représenta- tion sociale de la santé mentale avec, pour exemple, une étude sur 36 000 personnes interrogées dans l’enquête “Santé mentale en popu- lation générale en France”, dans laquelle plus de 75 % des interrogés associaient les termes de “fou” et de “malade mental” à des compor- tements violents et dangereux (1) . C’est la notion de stigmatisation issue des sciences sociales. E. Goffman la définit comme un processus d’attribution, à des individus, de caractéristiques qui les rendent “cultu- rellement inacceptables” ou “ jugés inférieurs” (2). L’individu stigmatisé est perçu comme une personne défiant plus ou moins volontairement l’ordre moral ou social et violant les règles et les normes. Il induit ainsi peur et, par conséquent, rejet. Ces caractéristiques attribuées entraînent honte, culpabilité et sentiment d’infériorité chez les personnes qui en font l’objet. C’est dans ce sens que, dès 2007, le plan Santé mentale pré-

voyait la mise en place de campagnes d’information et de déstigmatisation à destination du grand public. Les résultats des différentes études semblent aujourd’hui hétérogènes.

“Certains pensent que nous sommes des tueurs alors que c’est une réelle souffrance et que ça se soigne !” : c’est à partir de ce constat qu’un processus de réflexion s’est engagé en équipe pluridisciplinaire. Outre la volonté de poursuivre l’amélioration de la connaissance de la schizophrénie auprès de la population générale, il s’agissait également d’amener le patient “usager-citoyen expert de son vécu” à réfléchir sur le regard qu’avait la société sur sa pathologie. Cela se réfère à la théorie de la cognition sociale définie comme faculté

* Internat, diplôme d’études spécialisées, Brest.

** Secteur 3, Brest.

Illustr ation réalisée par le groupe pour la cam- pagne d’affi chage “J’hallucine… Je passe à la radio !”

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154 | La Lettre du Psychiatre • Vol. XII - n° 6 - novembre-décembre 2016

EXPÉRIENCE DE SECTEUR

de comprendre soi-même et autrui dans le monde social (3) . Cette composante qui a un rôle central dans le fonctionnement social, professionnel et interpersonnel est régulièrement altérée dans la schizophrénie.

Comme support de notre réflexion, s’est développée l’idée d’un

“micro-trottoir”. Les patients iraient, accompagnés d’un journaliste de radio et de soignants du secteur, à la rencontre de la population pour l’interroger sur la schizophrénie. À l’issue de ces interviews, l’objectif pour les patients serait de construire une émission de radio diffusée à l’antenne d’une station locale.

La participation d’un journaliste s’est imposée rapidement comme une évidence, avec, pour objectif, un enrichissement mutuel. Nous pensons que les médias sont une des principales sources d’information du grand public et permettent à tout un chacun de se forger sa propre opinion. Or ils semblent, en règle générale, dépourvus face à la ques- tion de la maladie psychique, en particulier face à la schizophrénie.

La radio s’est imposée face aux autres dispositifs de communication parce qu’il s’agit d’un média accessible qui permet toutefois de garder un certain anonymat, contrairement à la télévision. Il était important de préserver ce dernier aspect dans cette démarche inédite.

Nous avions comme référence le “dispositif radiophonique groupal”

issu de l’hôpital Borda de Buenos Aires en Argentine (4) . Dans la cour même de cet établissement emblématique, se tient tous les samedi une antenne libre qui regroupe jusqu’à 50 patients, audi- teurs ou visiteurs. Ce projet considère la radio comme vecteur de dialogue, permettant de “développer des ressources symboliques et de créer du lien social en aidant à produire et à maintenir une vie en communauté”. Nous nous sommes également intéressés au projet mené par l’hôpital d’Armentières. L’équipe soignante a réalisé un micro-trottoir en ville intitulé “La parole est à vous”. Les questions destinées aux passants concernaient l’histoire de la psychiatrie, la représentation qu’a la population de la santé mentale et son évo- lution. L’ensemble de ce travail a abouti à une exposition.

Méthodes et objectifs

Modalité de réalisation et d’application du projet

Pour être inclus, les patients devaient être pris en charge en hôpital de jour ou au centre d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP) du secteur 3 du CHRU de Brest. Ils devaient être informés du diag- nostic de schizophrénie et présenter une stabilité clinique. Enfin, ils devaient tous être volontaires pour participer au projet. Une dizaine de patients qui répondaient à ces critères ont été sélectionnés et vus en entretien individuel en présence du médecin et des infirmiers porteurs du projet. Ils recevaient alors une information éclairée sur le concept du “micro-trottoir” et son déroulé futur.

Parallèlement, nous avons fait appel au réseau de connaissances des soignants de l’équipe du service Kelenn, qui nous a permis de prendre contact avec un journaliste de la Radio chrétienne franco- phone (RCF) , Nicolas Butreau. Il s’est dit d’emblée intéressé par le projet, peut-être, dans une certaine mesure, en écho à son propre handicap moteur .

Le groupe, qui se composait donc des patients, d’un médecin, de 2 infirmiers et du journaliste, s’est réuni à plusieurs reprises afin de décider du procédé à adopter pour la mise en application du projet. De manière pluridisciplinaire, il a été décidé de réa- liser 3 séances de “micro-trottoir” dans des lieux différents de la ville de Brest. La première séance aurait pour but de cibler une population aléatoire. Le choix s’est donc porté sur la place de la Liberté, haut lieu Brestois, située au cœur même de la cité. Les 2 dernières sessions devraient permettre d’aller à la rencontre de 2 générations d’âges différents pour étudier notamment l’évolu- tion de la représentation sociétale. Elles se dérouleraient donc à la faculté de lettres de l’université de Bretagne-Occidentale pour se terminer dans une maison de retraite. La faculté de médecine a été volontairement écartée car il était inutile de rencontrer un public, a priori, sensibilisé à la schizophrénie.

Puis est venu le temps d’élaborer les questions qui seraient posées à la population, séquence au cours de laquelle la participation des patients était prépondérante. Le choix s’est ainsi porté sur des ques- tions volontairement ouvertes, puisque l’objectif premier était de faire parler les personnes interviewées sur leur perception de ce trouble. Les principaux items retenus étaient les suivants :

➤ Que savez-vous de la schizophrénie ?

➤Pouvez-vous me donner des signes de la schizophrénie ?

➤Connaissez-vous quelqu’un qui est atteint de cette maladie ?

➤Si oui, quel est votre ressenti vis-à-vis de cette personne ?

➤Pensez-vous que la schizophrénie se soigne ?

➤Connaissez-vous un hôpital psychiatrique dans le Finistère ?

➤Comment l’imaginez-vous ?

Avant de se rendre sur le terrain, le journaliste, grâce à des jeux de rôles, a travaillé avec les membres du groupe la manière d’aborder les passants.

Attentes partagées

Il a été demandé aux patients de définir ce qu’ils attendaient de cette initiative inédite sur le secteur. Pour certains, le but était d’informer le public, de faire tomber les idées fausses pour permettre une meilleure acceptation de la maladie. Pour d’autres, le micro-trottoir a joué un rôle de dédramatisation et leur a également permis de devenir, le temps de quelques instants, des journalistes en herbe.

Du côté des soignants, il s’agissait de penser et de construire le soin autrement, en dehors des murs de l’hôpital. Cette expérience avait aussi pour objectif de travailler sur les fonctions cognitives. Cela permettait d’amorcer une remédiation des fonctions exécutives en aidant les patients à s’adapter à des situations nouvelles pour lesquelles il n’y avait pas de solution toute faite.

En effet, le projet de micro-trottoir nécessite une planification de tâches ou bien encore une flexibilité et une inhibition cognitive sur des situations non routinières. Il y avait également la volonté d’améliorer la cognition sociale en travaillant sur la reconnaissance des émotions, ou sur la gestion du stress face à une situation inédite.

Enfin, l’un des résultats escomptés était aussi de diminuer le senti- ment d’incapacité en travaillant l’affirmation de soi.

0154_PSY 154 15/12/2016 09:31:58

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La Lettre du Psychiatre • Vol. XII - n° 6 - novembre-décembre 2016 | 155 Premiers résultats

Silence… Ça tourne !

La première session s’est donc déroulée fin mai 2016 au niveau de la place de la Liberté à Brest. Le groupe se composait finalement de 3 patients (2 femmes et 1 homme) âgés de 30 à 45 ans, du journaliste de radio et de 2 infirmiers. Le point de rendez-vous était fixé à la terrasse d’un bistrot afin de “débriefer” une dernière fois. L’appréhension pouvait se deviner sur le visage des protagonistes : “Est-ce que les personnes vont s’arrêter ?”, “Vais-je réussir à leur parler ?”, “Est-ce que cela est finale- ment vraiment utile ?” Une seule manière de le savoir : aller en scène ! Malgré l’angoisse, chaque patient a pu réaliser 3 voire 4 interviews au cours desquelles il était accompagné d’un infirmier. Ce dernier se tenait en retrait mais assurait une présence bienveillante.

En plus de l’anxiété tout à fait rationnelle, quelques difficultés étaient observées chez nos patients en lien avec les troubles des fonctions exécutives ou de la cognition sociale. Ils pouvaient être facilement distraits par les stimuli extérieurs, avoir des difficultés à commencer l’interview, ou bien encore être déstabilisés par une réaction ou une réponse non travaillée au cours des sessions de préparation.

Cependant ils ont pu mettre en place des stratégies d’adaptation en s’appuyant par exemple sur le support écrit de questions qui leur servait de fil conducteur. Ils pouvaient aussi compter sur une véritable cohésion de groupe : notamment, une patiente s’est avérée, malgré ses doutes initiaux, être un véritable élément moteur.

Côté interviewés, les réponses étaient hétérogènes, mais tous se sont montrés sensibles et intéressés par la démarche. Beaucoup n’avaient jamais entendu parler de cette maladie, ou bien avaient des croyances erronées et parlaient de “dédoublement de la person- nalité”. Une minorité était au fait et évoquait avoir un membre de leur famille ou une connaissance qui présentait ce trouble.

À l’issue de cette première session, les patients ont commencé à élaborer la future affiche illustrant ce dispositif, après une étape de recherche d’images et de modélisation à l’aide de logiciels informa- tiques (figure, p. 153) .

Principaux retours

La “satisfaction” est le maître mot et tous les patients attendent avec impatience de pouvoir poursuivre l’expérience.

Tous se sont sentis “valorisés” par cette initiative et diront “je ne pensais jamais être capable de le faire”. Même si, selon eux, la schizo- phrénie reste mal connue par la population générale, ils ont eu la conviction d’être reconnus comme des personnes méritant de recevoir des soins. Ce n’était pas leur sentiment avant et cela semble faciliter leur acceptation de la maladie. Une patiente dira “ne plus vivre avec honte et devoir se cacher” car elle présente une schizophrénie. Elle explique en effet que, avant la première session, elle pensait que la population la jugeait “comme une folle qui devait rester enfermée”

alors que les personnes interrogées lui ont certifié qu’elle avait sa place dans la société. Un autre a pu faire part de son étonnement quant au regard plutôt positif des personnes interrogées : “Cela m’a fait réfléchir sur mon propre regard sur ma maladie”.

Les soignants ont eu la sensation de “soigner autrement” en étant des partenaires qui apportaient un soutien individualisé à chaque patient. Ils ont aujourd’hui un autre regard sur ces patients qui les ont surpris par les ressources mises en œuvre. Ils pourront dire que le patient était dans ce projet véritablement acteur de ses soins et passait ainsi d’une position “passive” à une position “active”.

Conclusion

“Micro-trottoir” nous a permis d’observer, d’apprendre et de nous questionner sur la schizophrénie “hors des murs”. Cette aventure a également donné l’occasion de découvrir ou de redécouvrir des capa- cités insoupçonnées par les intéressés eux-mêmes et de s’exposer différemment au regard des autres. Il paraît essentiel de poursuivre le travail de prise en charge des besoins dans la cité. La meilleure réponse aux craintes, aux idées reçues ou aux représentations néga- tives des troubles mentaux relève de la possibilité d’accompagner les sujets en détresse sur un temps suffisant pour qu’ils se reconstruisent dans un lien à l’autre plutôt qu’en rupture.

Les séances de ce projet vont se poursuivre dans les mois à venir, avec, toujours, l’idée de travailler sur la notion de rétablissement et d’améliorer les fonctions cognitives des patients.

À l’issue de ces rencontres, commencera la construction de l’émis- sion qui sera diffusée sur la RCF. Nous prévoyons une campagne d’affichage aussi bien dans la ville de Brest qu’au sein même du CHRU pour en informer le grand public.

Il y a aujourd’hui la volonté de développer notre projet et de le proposer à l’intersecteur dans l’idée que chaque patient et chaque équipe soignante puissent bénéficier de ce qui est aujourd’hui pour nous une expérience concluante.

P.F. Bazziconi et les coauteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts..

1. Castillo MC, Lannoy V, Seznec JC, Janueld D, Petitjeane F. Étude des représentations sociales de la schizophrénie dans la population générale et dans une population de patients schizophrènes. L’Évolution psychiatrique 2008;73(4):615-28.

2. Kihm A, Goffman E. Stigmate. Paris : Éditions de Minuit, 1975.

3. Peyroux E, Gaudelus B, Franck N. Remédiation cognitive des troubles de la cognition sociale dans la schizophrénie. L’Évolution psychiatrique 2013;78(1):71-95.

4. Tilli N. Les médias de communication audiovisuelle au service de la santé mentale.

Communication 2015;33/2. http://communication.revues.org/5783.

Références bibliographiques

Franck N. Remédiation cognitive en psychiatrie. Journal de thérapie comporte- mentale et cognitive 2012;22(3):81-5.

Koenig M, Castillo MC, Plagnol A, Marsili M, Miraglia S, Bouleau JH. De la dété- rioration au rétablissement dans la schizophrénie : histoire d’un changement de paradigme. PSN 2015;12(4):7-27.

• Lamboy B, Saïas T. Réduire la stigmatisation des personnes souffrant de troubles psychiques par une campagne de communication ? Une synthèse de la littérature.

Annales Médico-psychologiques, revue psychiatrique 2013;171(2): 77-82.

Nouvelles du Monde. Perspectives Psy 49(1)[s. d.]:69-70.

Roelandt JL, Caria A, Defromont L, Vandeborre A, Daumerie N. Représentations sociales du “fou”, du “malade mental” et du “dépressif” en population générale en France. Encephale 36(3):7-13.

Pour en savoir plus…

0155_PSY 155 15/12/2016 09:31:59

Références

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