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La protection pénale de l'information financière, enjeu de l'harmonisation européenne : analyse comparative des systèmes juridiques français et italien

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Academic year: 2021

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Submitted on 27 May 2021

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La protection pénale de l’information financière, enjeu

de l’harmonisation européenne : analyse comparative des

systèmes juridiques français et italien

Andrea Fabrizi

To cite this version:

Andrea Fabrizi. La protection pénale de l’information financière, enjeu de l’harmonisation européenne : analyse comparative des systèmes juridiques français et italien. Droit. Université Panthéon-Sorbonne - Paris I; Università degli studi della Campania ”Luigi Vanvitelli” (Aversa, Italie), 2020. Français. �NNT : 2020PA01D034�. �tel-03239978�

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ÉCOLE DE DROIT DE LA SORBONNE

Università della Campania Luigi Vanvitelli

La protection pénale de l’information financière

enjeu de l’harmonisation européenne

Analyse comparative des systèmes juridiques français et italien THÈSE EN COTUTELLE

Pour l’obtention du titre de Docteur en Droit

Présentée et soutenue publiquement le 11 décembre 2020 par

Andrea FABRIZI

Sous la direction de Madame Raphaële Parizot

Monsieur Stefano Manacorda

Membres du Jury

Mme. Yvonne Muller (Rapporteure), Maître de conférences à l’Université Paris Nanterre

M. Federico Consulich (Rapporteur), Professeur à l’Università di Genova

Mme. Geneviève Giudicelli-Delage (Président), Professeure émerite à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Mme. Raphaële Parizot, Professeure à l’Université Paris Nanterre M. Stefano Manacorda, Professeur à l’Università della Campania M. Donato Castronuovo, Professeur à l’Università di Ferrara

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L’Université Paris I Panthéon-Sorbonne n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans les thèses ; ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs.

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REMERCIEMENTS

À l’heure de conclure ce parcours, il est inévitable de remémorer ses moments les plus marquants. Ainsi, ma première pensée est pour ma directrice de recherche, Madame Raphaële Parizot, envers qui je souhaiterais tout d’abord exprimer ma gratitude. Elle a guidé ma recherche avec bienveillance et m’a accordé une liberté tissée à la fois de confiance et de responsabilité. Ses encouragements et ses critiques ont été infiniment précieux. Je tiens également à exprimer ma reconnaissance envers mon co-directeur de recherche, Monsieur Stefano Manacorda qui a énormément contribué à l’élaboration et à l’affinement de cet humble travail. Grazie.

Je tiens également à remercier Madame Yvonne Muller-Lagarde, Monsieur Federico Consulich, Madame Geneviève Giudicelli-Delage, et Monsieur Donato Castronuovo d’avoir bien voulu accepter de siéger dans le jury.

Un grand merci aussi aux personnes qui, plus que toutes autres, m’ont soutenu. Je pense à Chiara, chez qui j’ai souvent trouvé refuge, et en qui j’ai trouvé une amitié pure. Je pense à Elke qui m’accueilli à Freiburg et dont l’enthousiasme m’a aidé à persévérer. Je pense à mon cher ami Milan qui a représenté un soutien constant et irremplaçable. Un merci aussi à Laura, qui a travaillé à mes côtés pour la révision de ce manuscrit.

Mes derniers remerciements sont destinés à mes proches : mes parents, ma sœur Gloria, mes potes de toujours et de partout, les amis du projet Iusmart. Je vous aime tous, à ma manière. Soyez toutes et tous assuré.es par ces quelques mots de ma gratitude et de ma plus profonde affection.

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RÉSUMÉ ET MOTS-CLÉS

Résumé. Centrée sur la relation entre l’établissement progressif du marché intérieur

européen et le droit pénal, cette recherche s’occupe de la protection pénale de l’information financière diffusée par les sociétés cotées en France et en Italie.

Ladite protection, traditionnellement organisée par les États nationaux, est devenue un enjeu européen. À partir des années 1960, le législateur supranational a adopté une série de directives qui ont rapproché le droit des affaires des États membres, notamment en matière de comptes annuels des sociétés. Le rapprochement juridique dans ce domaine a également été considéré comme une garantie de protection des tiers au sein du marché européen. Dès lors, la protection de l’information financière, longtemps demeurée une prérogative purement nationale, s’est progressivement européanisée. Cette protection, assurée par des sanctions de nature pénale, a été impliquée dans un phénomène de rapprochement purement indirect.

Or, les phénomènes de la financiarisation de l’économie et de la mondialisation ont accru l’importance des marchés boursiers. Au sein desdits marchés, la qualité de l’information financière acquiert une importance cruciale. C’est pourquoi, l’Union a finalement exercé en ce domaine sa compétence d’harmonisation pénale accessoire, prévue par l’article 83, paragraphe 2 du TFUE. Ainsi, la protection pénale de l’information financière fait désormais l’objet d’un rapprochement, voire d’une harmonisation directe.

La complexité de la relation entre le marché intérieur européen et le droit pénal fonde les questions principales de la présente étude. Grâce à la méthode comparatiste, il s’agira de vérifier si les interactions remarquées entre l’harmonisation des législations concernant l’information financière et le droit pénal national, assurent un système de protection homogène, efficace et légitime. Il s’agira également d’établir si le passage d’un rapprochement pénal indirect à l’harmonisation pénale demeure une avancée positive et s’il reste encore des problématiques à résoudre.

Mots-clés : abus de marché – CJUE – comptes annuels – cumul de poursuites –

diffusion d’informations fausses ou trompeuses – directive n° 2014/57/UE – directive n° 2013/34/UE – droit pénal de l’Union européenne – harmonisation – image fidèle – information financière – marché intérieur – marchés financiers – matière pénale – non bis in idem – présentation de comptes infidèles – principe de légalité pénale – rapprochement indirect – Union européenne.

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ABSTRACT AND KEYWORDS

This study will analyse the relationship between the progressive establishment of the European internal market and criminal law, mainly focusing on the criminal protection over financial information provided by listed companies in France and Italy.

Such protection, traditionally organized by national states, has become a European issue. From the 1960s, the supranational legislator adopted a series of directives, which harmonized the business law of the Member States. In particular, the European Union sought to harmonize accounting principles. Indeed, legal approximation in this area was also seen as a guarantee for the protection of third parties within the European market. Since then, the protection of financial information, always considered as a purely national prerogative, has gradually become Europeanized. Accordingly, the criminal protection of financial information has been implicated in a phenomenon of indirect harmonization.

However, economic globalization has increased the importance of stock markets. Within these markets, the quality of financial information becomes of crucial importance. This is why the European Union finally exerted in this area its criminal harmonization competence, provided for in Article 83 (2) of the TFEU. Thus, the criminal protection of financial information has now been directly harmonized.

The complexity of the relationship between the European internal market and criminal law is the main questions of this study. The legal comparison method will be used to verify whether the interactions noted between the harmonization of legislation concerning financial information and national criminal law ensure a homogeneous, effective and legitimate protection system. It will also be a question of establishing whether the transition from an indirect criminal approximation to criminal harmonization remains a positive step and if there are still problems to be solved.

Keywords: balance sheet – directive n° 2014/57/EU – directive n° 2013/34/EU –

European criminal law – ECJ – European Union – falsification of balance sheet – financial information – indirect approximation – internal market – harmonization – legal harmonization – legality principle – market abuse – market manipulation – matière pénale – ne bis in idem – true and fair view – stock markets.

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Principales abréviations

Revues et encyclopédies en langue française

AJ Pénal Actualité juridique pénal

Arch. pol. crim. Archives de politique criminelle

Bull. crim. Bulletin des arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation

D. Recueil Dalloz

Dr. pén. Droit pénal

Gaz. Pal. Gazette du Palais

J.-Cl. Pénal Juris-Classeur Pénal code

JCP éd. G. Juris-Classeur périodique édition générale

JCP éd. E. Juris-Classeur périodique édition entreprise et affaires

LPA Les Petites Affiches

Rev. int. dr. comp., Revue internationale de droit comparé RDPC Revue de droit pénal et de criminologie RDUE Revue de droit de l’Union européenne

Rép. pén. Répertoire de droit pénal et de procédure pénale Dalloz RPDP Revue pénitentiaire et de droit pénal

RSC Revue de science criminelle et de droit pénal comparé

Revues et encyclopédies en langue italienne

Cass. pen. Cassazione penale

Dig. Digesto delle discipline penalistiche

DPC Diritto penale contemporaneo

Dir. pen. proc. Diritto penale e processo Enc. dir. Enciclopedia del diritto

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Foro it. Foro italiano

Giur. Comm. Giurisprudenza commerciale Giur. merito Giurisprudenza di merito Giust. pen. Giustizia penale

Ind. pen. Indice penale

Riv. it. dir. proc. pen. Rivista italiana di diritto e procedura penale Riv. trim. dir. pen ec. Rivista trimestrale di diritto penale dell’economia

Institutions et juridictions

AG Avocat général de la Cour de justice de l’Union européenne AMF Autorité des marchés financiers

CE Conseil d’État

Cass. pen. Chambres criminelles de la Cour de cassation italienne

CEDH Cour européenne des droits de l’homme

CJCE Cour de justice des Communautés européenne CJUE Cour de justice de l’Union européenne

COB Commission des opérations de bourse

COM Communication de la Commission européenne

Comm. Champre commerciale de la Cour de cassation Crim. Chambre criminelle de la Cour de cassation IASB International Accounting Standards Board JAI Justice et affaires intérieures

OCDE Organisation de coopération et de développement économiques

SEC Securities and Exchange Commission

TGI Tribunal de grande instance

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11

C. comm. Code de commerce français

C.m.f. Code monétaire et financier français Cod. civ. Code civil italien

CESDH Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales

CPF Code pénal français

CPI Code pénal italien

CPP Code de procédure pénale (français)

DDHC Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen

IAS International Accounting Standards

IFRS International Financial Reporting Standards JORF Journal officiel de la République française JOCE Journal officiel des communautés européennes JOUE Journal officiel de l’Union européenne

TFUE Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

TUE Traité de l’Union européenne

T.u.f. Testo unico della finanza

Abréviations générales Chron. Chronique Comm. Commentaire Coord. Coordination Dir. Direction Fasc. Fascicule

Ibid. Même référence que ci-dessus

Infra Voir ci-dessous

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op. cit. Ouvrage cité

p. Page

pp. Pages

prél. préliminaire

QPC Question prioritaire de constitutionnalité

Supra Voir ci-dessus

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13 SOMMAIRE

PREMIÈRE PARTIE. LA PROTECTION PÉNALE DE L’INFORMATION FINANCIÈRE SOUS L’INFLUENCE DU DROIT EUROPÉEN : LE DÉLIT DE PRÉSENTATION DE COMPTES INFIDÈLES

TITRE I. Les facteurs du rapprochement indirect

Chapitre 1. Les textes européens, outils de rapprochement pénal indirect Section 1. Les directives comptables

Section 2. Les autres instruments de rapprochement

Chapitre 2. L’introduction des données européennes dans la législation pénale nationale Section 1. Les mécanismes européens de transmission

Section 2. Les mécanismes nationaux de réception

TITRE II. L’objet du rapprochement indirect : le délit de présentation de comptes annuels infidèles

Chapitre 1. Étude comparative du délit de présentation ou de publication de comptes infidèles en France et en Italie

Section 1. Le contexte de la comparaison

Section 2. Les comportements prohibés par la loi pénale nationale Section 3. Les éléments purement nationaux

Chapitre 2. Le délit de présentation ou de publication de comptes annuels infidèles : problèmes de conformité et problèmes de légalité

Section 1. Les éléments controversés issus de l’influence européenne Section 2. Analyse critique de l’influence européenne

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DEUXIÈME PARTIE. LA PROTECTION PÉNALE DE L’INFORMATION FINANCIÈRE HARMONISÉE PAR LE DROIT EUROPÉEN : LE DÉLIT DE DIFFUSION D’INFORMATIONS FAUSSES OU TROMPEUSES

TITRE I. La protection de l’information financière dans le cadre de l’harmonisation pénale de l’Union européenne

Chapitre 1. Le cadre de l’harmonisation pénale : la directive n° 2014/57/UE sur les abus de marché

Section 1. L’information financière périodique dans le système des abus de marché Section 2. Les éléments controversés de la directive n° 2014/57/UE

Chapitre 2. L’infraction de diffusion d’informations fausses ou trompeuses, objet d’harmonisation pénale

Section 1. L’élément matériel de l’infraction étudiée Section 2. La valeur ajoutée de l’harmonisation pénale

TITRE II. La protection pénale de l’information financière périodique entre nouvelles opportunités et vieux problèmes

Chapitre 1. Une harmonisation pénale en apparence réussie Section 1. Une harmonisation partiellement réussie

Section 2. Des systèmes de poursuite extrêmement différents

Chapitre 2. La protection de l’information financière, un défi pour le droit pénal de l’Union européenne

Section 1. De l’influence à l’harmonisation Section 2. Un sujet en quête de rationalisation

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À la mémoire de Valeria Solesin, doctorante de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonnne dont le parcours a été tragiquement interrompu le 13 novembre 2015, à Paris

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

1. Les grands « scandales financiers » d’origine criminelle ont toujours attiré

l’attention de l’opinion publique1 et, par ricochet, celle des législateurs. Les

raisons de cet intérêt sont nombreuses. Elles dérivent, sans doute, des préjudices ainsi provoqués aux petits actionnaires et aux épargnants. L’intérêt est parfois renforcé par d’autres éléments d’ordre psychologique ou culturel : la fascination de l’argent, la stupéfaction suscitée par la chute de personnages puissants, l’impunité qui a souvent caractérisé ces événements en dépit du principe d’égalité face à la loi2. Cependant, l’importance desdits scandales, notamment lorsqu’ils comportent le krach3 d’une grande entreprise, s’appuie principalement

sur les retombées concrètes que les fraudes de grande ampleur sont en mesure

1 À cet égard, l’ouvrage d’Emile ZOLA L’Argent (1890) est emblématique. Ce roman s’est inspiré

de l’affaire de l’Union Générale qui a secoué la société française à la fin du dix-neuvième siècle. Une autre oeuvre qui mérite d’être mentionnée est le film d’Alain RESNAIS Stavisky (1974), inspiré d’un autre krach célèbre. En langue italienne, nous pouvons citer le beau roman de Sebastiano VASSALLI Il Cigno (1993). Plus récemment, c’est le monde de Wall Street qui inspire les artistes, le film d’Oliver STONE n’étant que l’exemple le plus célèbre. L’on peut également mentionner le film documentaire Inside Job, écrit et réalisé par Charles H. FERGUSON, sorti en 2010. Il analyse les causes de la crise financière mondiale débutant en 2007.

2 La formule foucaldienne est célèbre : « contrôle différentiel des illégalismes », dans M. FOUCAULT,

Surveiller et punir, Gallimard, 1975, p. 91. L’idée qui nourrit cette définition vient de loin. En 1939, le sociologue nord-américain E. H. SUTHERLAND pointait du doigt le double standard, c’est-à-dire la différence de traitement entre la déviance commune et la déviance du monde des affaires. En procédant à rebours, l’ouvrage du sociologue E. DURKHEIM, De la division du travail social, PUF, 8ème édition, 1967, mérite une mention particulière. L’auteur dénonçait l’état d’anomie

juridique et morale de la vie économique à son époque et affirmait que « … la plupart de ces prescriptions sont dénuées de tout caractère juridique ; elles ne sont sanctionnées que par l’opinion, non par la loi. Les actes les plus blâmables sont si souvent absous par le succès que la limite entre ce qui est permis et ce qui est prohibé, ce qui est juste et ce qui ne l’est pas, n’a plus rien de fixe, […] Il en résulte que toute cette sphère de la vie collective est, en grande partie, soustraite à l’action modératrice de la règle ».

3 Pour une définition de « scandale financier » voir D. DE BLIC, « La comptabilité à l’épreuve du

scandale financier », Comptabilité - Contrôle – Audit, 2004/3 Tome 10 pp. 7-27, spéc. p. 12. Selon cet auteur, « seront de fait désignés préférentiellement comme des scandales financiers des situations dévoilant un décalage très important entre la situation financière affichée d’une société et sa situation financière réelle, autrement dit lorsqu’une manipulation de chiffres et de comptes est dénonçable. Il est dès lors possible d'affirmer que le scandale financier est presque toujours fondé sur une absence, délibérée ou accidentelle, d’information financière et/ou comptable aussi bien vis-à-vis des actionnaires que des souscripteurs ou des déposants ». Cf. également « Quand peut-on parler d’un krach boursier ? », article disponible sur LeMonde.fr, 8 août 2011. Le krach boursier peut se définir comme une chute brutale et importante des cours de la bourse en une ou plusieurs séances de bourse du fait de ventes massives d'actions qui entraînent les cours à la baisse.

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17

de diffuser dans l’Économie publique. L’histoire est parsemée d’affaires célèbres qui ont souvent eu une portée transnationale.

2. Le sociologue nord-américain E. SUTHERLAND, qui avait élaboré

l’expression white-collar crimes (crimes en col blanc) pour définir la catégorie de la criminalité d’affaires en opposition à la criminalité commune, observait en 1940 que cette criminalité en col blanc se manifeste généralement dans les domaines de la manipulation des comptes annuels des sociétés commerciales, de l’agiotage, de l’abus de biens sociaux et de la corruption4.

L’auteur soulignait que la caractéristique principale de ce genre d’infractions était la violation de la confiance5 accordée implicitement ou explicitement aux

responsables. Cette confiance pouvait donc être enfreinte par une gestion opaque de l’entreprise, en dissimulant sa véritable situation patrimoniale et financière, ou en tirant profit de l’asymétrie informative entre les dirigeants (insiders) et les tiers (outsiders). Ladite confiance pouvait être autrement ébranlée par une gestion frauduleuse des ressources financières de l’entreprise et par le détournement des fonds en faveur des dirigeants ou en faveur d’autres personnes influentes6.

De ce fait, dans ses déclinaisons diverses, la criminalité d’affaires n’a eu de cesse de révéler un lien strict avec l’insuffisance, l’infidélité ou l’exploitation illicite de l’information financière divulguée à l’extérieur. En réalité, à l’époque étudiée par E. SUTHERLAND la constitution et la présentation des bilans ne remplissaient point, aux États-Unis comme en Europe, de critères de transparence à cause d’une réglementation encore incomplète7. L’activité

industrielle et commerciale développée dans la deuxième moitié du

4 Voir E. H. SUTHERLAND, «White collar criminality», American Sociological Review, V, 1940, pp.

1-12. V. également P. LASCOUMES, « Approche historique des processus de criminalisation des illégalismes liés à la vie des affaires », Revue Internationale de Droit Pénal, 1-2/1982, p. 39 et s.

5 La confiance du public est une valeur très ressentie par l’Union européenne. La directive n°

2013/34/UE sur les comptes des sociétés en fait mention au considérant n° 55. La directive n° 2014/57/UE sur la répression pénale des abus de marché la cite au considérant n° 1. Ici le législateur européen parle également de confiance des investisseurs.

6 L’importance de la confiance en tant que ciment de la société civile et du marché a été très

récemment soulignée par le Pape François Ier. Dans son encyclique « Tous frères », l’évêque de

Rome a affirmé que « la spéculation financière, qui poursuit comme objectif principal le gain facile, continue de faire des ravages […] sans formes internes de solidarité et de confiance réciproque, le marché ne peut pleinement remplir sa fonction économique. Aujourd’hui, c’est cette confiance qui fait défaut. » (spéc. n° 168).

7 Cf. M. HASCHKE-DOURNAUX, Réflexion critique sur la répression pénale en Droit des sociétés,

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18

neuvième siècle et au début du vingtième siècle jouissait alors de faibles contraintes réglementaires et commençait, en parallèle, à expérimenter les nouveautés provenant des marchés8. La prévention de la criminalité d’affaires ne

représentait ainsi qu’un simulacre ; sa répression ponctuelle s’inspirait de la logique du bouc émissaire9.

La clameur qui a constamment suivi ces épisodes de confiance violée, accordée sur la base d’une carence de connaissance, a mis en exergue l’importance de l’information financière. Toutefois, la nécessité de sa protection a tardé à s’imposer.

§ 1. Du scandale à la crise.

Relation entre information, scandales financiers et répression pénale

3. Les scandales financiers ont alimenté les chroniques européennes au

travers de plusieurs affaires célèbres. Le cas de la banque française Union Générale (1878-1882), qui inspira le romancier Émile ZOLA, est souvent évoqué10. En effet,

ce cas présente tous les éléments classiques du grand scandale : dirigeants ambitieux, relations politiques ambiguës, spéculation intense, dommages économiques énormes, dimension transnationale. Bien que l’Union Générale fût fondée à Lyon, le développement extraordinaire qui caractérisa l’histoire de cet

8 Cf. à ce propos Y. LEMARCHAND, N. PRAQUIN, « Falsifications et manipulations comptables.

La mesure du profit, un enjeu social (1856-1914) », Comptabilité - Contrôle – Audit, 2005/3 Tome 11, pp. 15-33. Les auteurs soulignent que le développement de la bourse a apporté des changements profonds dans les modes de financement des entreprises et, de ce fait, a conféré à la comptabilité une « dimension nouvelle ».

9 En guise d’exemple, la loi française sur les sociétés du 24 juillet 1867 ne comptait que huit

incriminations. La falsification des comptes annuels n’était pas réprimée. Un siècle plus tard, la loi du 24 juillet 1966 comptait bien plus d’une centaine d’incriminations. Cf. A. VIANDIER, « Les infractions comptables commises par les dirigeants des sociétés », Revue Internationale de Droit Pénal, 1-2/1987, p. 127 et s.

10 Pour un regard rétrospectif J.-M. THIVEAUD, « Crises et scandales financiers en France sous la

Troisième République », Revue d’économie financière, n° 41, 1997, pp. 25-53. Ce travail offre un regard historique sur les principaux « scandales » de l’histoire française : Union Générale, Canal de Panama, Banque Industrielle de Chine, affaire Hanau, affaire Oustric, affaire Stavisky. Cet article confirme le strict lien entre les krachs financiers et l’information : l’affaire de Panama, l’affaire Oustric et, à certains égards, l’affaire Hanau, se révèlent comme « autant de nuages de fumée savamment déployés sur les données financières et les comptes de ces différentes structures aux fins de duper les investisseurs ».

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19

établissement lui avait permis de financer plusieurs activités dans d’autres pays européens11 ; les conséquences de son écroulement, causé par une spéculation

débridée, retombèrent bien au-delà des frontières françaises.

La célébrité de l’affaire de la Banca Romana (1889-1893) demeure d’une portée similaire. Cet établissement bancaire italien fut impliqué dans une affaire de financement illicite impliquant des personnages politiques de premier rang qui se termina par la découverte d’une perte de neuf millions de lires savamment occultée par la comptabilité 12.

Dans les deux affaires précitées, ainsi que dans les autres scandales majeurs de l’époque, l’information financière périodique, c’est-à-dire le renseignement sur la situation économique, patrimoniale et financière que les entreprises-sociétés rendaient à ses actionnaires et au public, était souvent insuffisante, voire fausse13. L’insuffisance de la réglementation financière, commerciale et pénale

qui a accompagné le développement du capitalisme occidental entre la fin du dix-neuvième et le début du vingtième siècle n’est pas restée sans conséquence. C’est cette insuffisance qui a contribué à la Grande Crise de 192914.

La réponse des États à cette Crise fut bien sûr complexe ; le recours à l’instrument pénal pour réprimer les débordements du monde des affaires fit partie des réponses choisies. En France, alors que la loi sur les sociétés anonymes

11 Ibid. p. 30 : « … l’Europe entière bénéficie des investissements de la banque lyonnaise. Bontoux [le

patron, ndr] contribue ainsi à la constitution de la Compagnie de gaz de Bucarest, crée une Banque des Pays Autrichiens qui fonde à son tour la Banque des Pays Hongrois, en association avec l’Union Générale et le Bank-Verein de Vienne. Il favorise également l’émission de titres français et étrangers, comme ceux de la Compagnie financière de télégraphe de Paris à New-York. La Compagnie italienne des eaux et la Compagnie des chemins de fer espagnols des Asturies, Galice et Léon ».

12 Pour un regard rétrospectif sur le contexte italien v. A. ALESSANDRI, Diritto penale e attività

economiche, Il Mulino, 2010 p. 93 et s.

13 Ainsi J.-M. THIVEAUD, « Crises et scandales financiers en France sous la Troisième

République », op. cit : « La comptabilité des sociétés incriminées apparaissait à chaque fois au premier plan du scandale, qu’elle soit truquée (Rochette, Stavisky, Oustric) ou tout simplement inexistante (Hanau) ». On retrouve le même constat dans A. ALESSANDRI, Diritto penale e attività economiche, op. cit.

14 Voir à ce sujet C. DUCOULOUX-FAVARD « L’histoire des grandes sociétés en Allemagne, en

France et en Italie », Rev. int. dr. comp., Vol. 44 N° 4, Octobre-décembre 1992. pp. 849-881. À la page 864, l’autrice rappelle que « la crise des années 29-30, fit mieux comprendre que le champ d’action des grandes sociétés dépassait les intérêts particuliers. Sous prétexte d’organiser la société anonyme dans un esprit moins “ égoïste ”, son régime juridique devint moins libéral […] Sous-jacente à cette façon de voir, une autre idée se faisait jour : si la Nation entière se trouvait engagée par la vie des grandes entreprises, le pays avait, par voie de conséquence, droit à l'information ».

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du 24 juillet 186715 envisageait uniquement la répression de la distribution d’un

dividende fictif obtenu par la manipulation des postes du bilan, le décret-loi du 8 aout 193516 prévoyait désormais de sanctionner la publication et la présentation

d’un bilan inexact, indépendamment de tout résultat dommageable pour la société, les associés ou les tiers17. De l’autre côté des Alpes, le législateur italien

approuva la loi n° 660/193118 qui prévoyait l’infraction de false comunicazioni

sociali (pendant du délit français), infraction punie d’un emprisonnement allant jusqu’à dix ans. Selon le Ministre de la Justice italien de l’époque, cette intervention avait surtout une valeur morale et son objectif était celui de protéger l’Économie nationale19.

Or, l’expérience tirée des faits synthétisés ci-dessus ne semblent nullement avoir aménagé les interactions entre économie, politique et réglementation qui ont été constatées par la suite.

§ 2. Du scandale à la crise. L’histoire se répète

4. Le nouveau millénaire a débuté avec l’une des plus grandes banqueroutes

de l’histoire mondiale, celle de l’entreprise américaine Enron. Jusqu’à la fin de l’année 2000, elle était la septième corporation américaine en termes de capitalisation. Cette société texane, surnommée « la chérie de Wall Street », avait poursuivi une politique de développement agressive, basée sur la création d’une myriade de sociétés offshore qui étaient utilisées pour acquérir d’autres

15 Loi du 24 juillet 1867 sur les sociétés commerciales.

16 Décret-loi du 8 août 1935 modifiant la loi du 24 juillet 1867 sur les societés en ce qui concerne la

responsabilité pénale des administrateurs et le choix et les attributions des commissaires.

17 Pour un encadrement général v. L. CONSTANTIN, A. GAUTRAT, Traité de Droit pénal en matière

de Sociétés, Société d’éditions juridiques, 1937, p. 1 et s. Cf. également D. DE BLIC, « La comptabilité à l’épreuve du scandale financier » op. cit., p. 17. Ici on souligne que « non seulement cette loi témoigne de l’importance attachée par le législateur à l’information comptable, mais elle constitue surtout la première tentative d’une réduction des incertitudes pesant sur les choix des investisseurs, d’organiser une protection de l’épargne ».

18 Legge 4 giugno 1931, n° 660, Disposizioni penali in materia di società commerciali.

19 Voir G. D. PISAPIA, « False comunicazioni sociali e bancarotta fraudolenta », dans Studi di

Diritto penale, Cedam, 1956, p. 313 et s. En langue française v. L. CONSTANTIN, A. GAUTRAT, Traité de Droit pénal en matière de Sociétés, op. cit., p. 32.

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entreprises, effectuer des spéculations sur le marché de l’énergie gazière et nettoyer les pertes et les dettes accumulées des comptes du groupe.

À la suite d’un remaniement des comptes annuels, le gendarme boursier américain, la Securities and Exchange Commission (« SEC »), demanda des éclaircissements qui dévoilèrent une perte d’environ 10 milliards de dollars. La comptabilité de la société n’avait révélé aucune indication permettant de supposer une situation financière aussi gravement compromise et était apparu complètement fausse20. Nonobstant la clameur suscitée par cette affaire, peu de

temps après, un autre krach d’envergure secoua l’Amérique du Nord : la faillite de Worldcom. Cette fois-ci, une entreprise de télécommunications était concernée. En réponse à cette faillite, le législateur américain adopta la célèbre loi Sarbanes-Oxley (2002). Cette loi prévoyait de nouvelles contraintes réglementaires, des sanctions pénales très sévères et incombait de nouveaux pouvoirs à la SEC21.

En Europe, la casuistique se montre également riche. Le passage du vingtième au vingt-et-unième siècle présente plusieurs similitudes avec le contexte nord-américain22. Les années 1990 ont été caractérisées par la survenue de plusieurs

scandales dont l’information comptable et financière a également joué un rôle

20 Sur cette période v. J. C. COFFEE, Gatekeepers. The professions and corporate governance, Oxford

University Press, 2006. V. aussi D. MCBARNET,«After enron will ‘whiter than white collar crime’ still wash? », British Journal of Criminolology (2006) 46, pp. 1091–1109. L’autrice souligne l’importance des manœuvres comptables dans l’accomplissement de la fraude perpétrée par la corporation américaine. À la page 1091, elle affirme (en langue anglaise) : « Enron’s notoriety rests on its accounting, and at the heart of its accounting was the practice of ‘off balance sheet (OBS) financing’, through the use of ‘special purpose entities’(SPEs). With SPEs, a company can set up a separate company or partnership—the SPE—which it controls but which does not need to be included in its accounts ». En langue française C.-R. BAKER, « La curieuse histoire de l’affaire Enron », dans D. BENSADON, N. PRAQUIN, B. TOUCHELAY (dir.), Dictionnaire historique de comptabilité des entreprises, Presses universitaires du Septentrion, 2016, pp. 327-328.

21 A ce sujet N. NORBERG, « Entreprises multinationales et lois extra-territoriales : l'interaction

entre le droit américain et le droit international », RSC, 2005, p. 739. V. également D. HURSTEL, J. MOUGEL, « La loi Sarbanes- Oxley doit-elle inspirer une réforme du gouvernement d'entreprise en France ? », Rev. soc., 1/2003 p. 13 et s. : « … la loi Sarbanes-Oxley institue de nouveaux délits pénaux réprimant sévèrement les comportements faisant obstacle à la transparence financière. Ainsi, la destruction, l'altération ou la falsification de documents dans le but de faire obstacle à une enquête fédérale devient un délit soumis à une peine d'emprisonnement de 20 ans maximum. De même, la destruction en connaissance de cause de documents d'audit ». Sur l’influence de la loi Sarbanes-Oxley en France v. P. H. CONAC, « L’influence de la loi Sarbanes- Oxley en France », Rev. soc. 1/2003 p. 83 et s.

22 Cette période rappelle également celle des grands scandales survenus au cours du passage

(23)

22

important. En France, les affaires Crédit Lyonnais23 et Vivendi ou encore le cas de

la Société Générale24 illustrent ce propos. En Italie, les années 1990 ont été marquées

par le scandale de Tangentopoli25, un phénomène de corruption massive occultée

par la comptabilité souvent altérée des sociétés impliquées. Par la suite, en 2003, la société italienne Parmalat, multinationale dans le secteur de l’alimentation, devenait la protagoniste du redressement judiciaire le plus important de l’histoire continentale. Les comptes de la société, rigoureusement faux, une fois reconstitués faisaient apparaître une perte de 14 milliards d’euros26. Cette affaire

donna lieu à plusieurs poursuites pénales qui ont impliqué, d’une part, les dirigeants de la société et, d’autre part, les banques et les commissaires aux comptes qui avaient participé à l’activité de Parmalat27.

5. Cette progression néfaste a connu un rebond en 2008, année de la survenue

d’une grave crise financière qui s’est rapidement transformée en crise économique et institutionnelle dont l’ampleur est encore difficile à mesurer28.

Cette Grande Crise est constamment comparée à la Grande Crise de 1929 du fait des similarités entre ces deux événements en ce qui concerne leurs conséquences politiques et sociales.

Ce raz-de-marée a eu plusieurs causes génératrices. Il a été néanmoins déclenché par le krach de la banque américaine Lehman Brothers, l’une des

23 Cf. encore D. DE BLIC, « La comptabilité à l’épreuve du scandale financier », op. cit., p. 12 et s.

L’auteur remarque que l’affaire Crédit lyonnais représente le point culminant d’une série d’affaires dans lesquelles la comptabilité apparaît comme l’appareil de dévoilement des fraudes par excellence.

24 Pour un aperçu de cette affaire v. S. LEFRANCQ, « La comptabilité, la communication

financière et la fraude : quelques éléments d'analyse du cas de la Société Générale », Comptabilité - Contrôle – Audit, 2009/2 Tome 15, pp. 37-59.

25 Cf. à ce propos I. CARACCIOLI, « Les actions judiciaires à l’encontre d’un faux bilan », LPA, n. 187,

2001, p. 4 et s.

26 Voir l’article de P. BIONDANI, «Associazione per delinquere nel crac Parmalat», Corriere della

Sera, 5 novembre 2004, p. 18.

27 Pour un aperçu v. L. FOFFANI, D. CASTRONUOVO, Casi di Diritto penale dell’economia. I.

Impresa e mercato (Cirio, Parmalat, Antonveneta, Bnl-Unipol), Il Mulino, 2015.

28 La bibliographie sur la Grande Crise de 2008 est vaste. En anglais v. R. A. POSNER, A failure of

capitalism : The crisis of ’08 and the descent into depression, Cambridge, Mass., Harvard University Press. En français v. la chronique de P. MARCHAT, « Réflexions sur plusieurs crises étroitement liées », Revue du Marché commun et de l'Union européenne, 2010 p. 8 et s. En outre, sur la relation entre crise économique et droit pénal, v. I. RODOPOULOS, « La crise financière est-elle (aussi) une crise du droit pénal ? Esquisse d’une dialectique entre une crise factuelle et une crise normative », RSC, 2013 p.1.

(24)

23

banques d’investissement les plus importantes au monde, et a été suivi par une série d’autres chutes impressionnantes29. Les comptes de la banque, clos en 2007

sous le signe de gains de plusieurs milliards de dollars, affichaient tout d’un coup une autre réalité, à savoir des milliards de dollars de pertes30.

Une fois encore, la relation entre comptabilité, information et scandales financiers s’est imposée à l’attention de la collectivité31 et fait l’objet de plusieurs

interrogations : de telles catastrophes financières sont-elles prévisibles ? Les ordres juridiques nationaux ainsi que les organismes internationaux concernés disposent-ils des outils juridiques, y compris répressifs, en mesure de prévenir de tels événements ? Apporter une réponse exhaustive serait utopique puisque les domaines impliqués demeurent trop nombreux : les faits rapidement synthétisés ci-dessus sont à la croisée de l’économie, la sociologie, la science politique ou le droit. Même en délimitant l’analyse au seul domaine juridique, les épisodes que nous venons de relater peuvent être abordés au sein de plusieurs matières : le droit public, le droit civil, le droit commercial, le droit financier, le droit international, le droit de l’Union européenne, le droit pénal.

Notre volonté de recherche se limite au domaine pénal. Nous souhaitons approfondir les mécanismes de protection dont les États disposent afin de prévenir et éventuellement réprimer de tels événements. En effet, les affaires citées précédemment présentent des ressemblances entre elles nonobstant le fait que plus d’un siècle soit passé entre le krach de l’Union Générale (1882) et la Grande Crise de 2008. L’information concernant la situation économique, patrimoniale et financière de l’entreprise demeure encore un bien fondamental, qui se trouve souvent au coeur desdits scandales.

29 Aux États-Unis les géants bancaires Bear Sterns, Merril Lynch, Morgan Stanley, Fannie Mae, Freddie

Mac ainsi que la plus grande société d’assurance au monde, AIG, ont rencontré de grandes difficultés. En Europe, il en fut de même pour la banque belge Fortis et l’assureur allemand Allianz, entre autres.

30 Pour une vision d’ensemble voir J. STIGLITZ, Le triomphe de la cupidité, éditions Les liens qui

libèrent, 2010.

31 Sur ce point cf. Y. MULLER, « Les enjeux de la révision du cadre conceptuel du normalisateur

comptable international » Droit des sociétés, n° 1, Janvier 2015, étude 1. Voir également M. TELLER, « Les normes comptables internationales : la transparence en question », Revue Trimestrielle de Droit commercial, 2010 p. 671 : « Pourtant, au lendemain d’une crise financière dont l’ampleur et la gravité auront déjoué toutes les prévisions, la pertinence et la légitimité de ces normes comptables se trouvent remises en cause. Les normes IFRS sont-elles un instrument au service de la transparence ou un facteur d’opacité ? »

(25)

24

Afin de préserver une certaine cohérence, nous laisserons de côté les délits de corruption et d’abus de biens sociaux, même s’ils représentent les infractions traditionnelles en col blanc du droit pénal et nonobstant le fait qu’ils impliquent souvent le détournement de l’information financière. Nous nous concentrerons exclusivement sur les deux infractions qui punissent directement l’altération de l’information financière, c’est-à-dire le délit de présentation ou de publication de comptes infidèles et le délit de diffusion d’informations fausses ou trompeuses32.

Ce choix se justifie parce que ces deux délits « se fondent essentiellement sur la critique de l’information financière et comptable diffusée par les sociétés »33.

Cela dit, afin de mieux encadrer notre recherche, il sera nécessaire de préciser le rapport entre l’information financière et le droit pénal. L’information qui fera l’objet de cette étude est l’information financière périodique, dont nous fournirons une définition détaillée (Section I). Pourtant, les différences entre l’époque actuelle et la période des premiers scandales financiers modernes sont nombreuses puisque nos sociétés évoluent à l’ère de la mondialisation, phénomène qui influence tant le droit des affaires que le droit pénal. La mondialisation impulse une circulation de modèles juridiques étrangers qui sont les plus conformes possibles aux exigences des acteurs économiques internationaux. Souvent, ces modèles de régulation ne proviennent plus de l’État mais du secteur privé34. L’Union européenne se trouve au milieu de ces

dynamiques et par son action, elle influence les législations nationales en cette matière : il est donc nécessaire de fournir quelques éclaircissements sur la relation entre l’intégration européenne et la protection pénale de l’information financière (Section II).

En tout cas, le sujet demeure démesurément vaste, d’où le besoin de le délimiter. Cette délimitation sera accompagnée de la définition des termes principaux qui composeront la structure de ce travail (Section III). Un travail qui se veut comparatiste : bien que le cadre disciplinaire concerne le droit de l’Union, le sujet proposé sera envisagé en recourant à la comparaison entre deux États

32 Voir infra, Section III. En droit italien, ces deux infractions sont dénommées respectivement false

comunicazioni sociali et manipolazione di mercato.

33 Ainsi M. DELMAS-MARTY, G. GIUDICELLI-DELAGE, Droit pénal des affaires, PUF, 2000, 4ème

édition, p. 485.

34 Pour un encadrement de ce sujet v. K. PISTOR, The Code of capital. How the Law creates wealth and

(26)

25

membres de l’Union, à savoir la France et l’Italie (Section IV). Enfin, il sera possible d’énoncer la problématique proposée par cette recherche (Section V).

SECTION I

Information financière et droit pénal

6. Il a été souligné précédemment qu’il existe un lien évident entre

les scandales financiers et l’information comptable-financière35. Une mauvaise

information sur la condition réelle d’une entreprise peut retarder la résolution de ses problèmes internes. Elle peut également pousser les tiers à entretenir une relation avec l’entreprise sur la base d’une connaissance biaisée. Parfois, un défaut de transparence ex ante peut créer ou accroître les difficultés de l’entreprise concernée et produire ex post un dommage à la collectivité. C’est pourquoi tout système juridique prévoit des mécanismes de protection, souvent pénale, pour prévenir et réprimer ce genre de faits. Après avoir encadré le concept d’« information » (§ 1), nous introduirons la catégorie d’informations pertinentes pour cette recherche (§ 2) et, enfin, nous aborderons le régime de traitement de cette information par le droit pénal (§ 3).

§ 1. L’information dans l’ordre juridique. Remarques générales

7. Le mot « information » est de nature polysémique. Derrière la simplicité

apparente de ce terme, l’on retrouve plusieurs significations. L’« information » désigne toujours plus des éléments, phénomènes et fonctions qui sont fondamentaux dans nos vies. La société actuelle a été définie par certains auteurs

35 J.-H. ROBERT, H. MATSOPOULOU, Traité de droit pénal des affaires, PUF, 2004, 1ère édition. À la

page 16, ces auteurs nous rappellent que la première apparition du droit pénal des affaires eut lieu de manière spectaculaire pendant les crises économiques et sous l’effet des scandales de l’entre-deux guerres.

(27)

26

comme une « société de l’information et de la communication »36 dans le but de

souligner que ce bien constitue l’un des piliers de la modernité.

Le mot information désigne « toute indication, tout renseignement, toute précision que l’on donne ou que l’on obtient sur quelqu’un ou quelque chose ; tout événement, tout fait, tout jugement porté à la connaissance d’un public plus ou moins large, sous forme d’images, de textes, de discours, de sons »37. Par conséquent, l’information possède

deux caractéristiques. Elle concerne tout d’abord un fait ou un jugement. Ensuite, elle fait l’objet d’une action de nature relationnelle : il y a toujours un destinataire. En raison de son importance dans la société moderne, le droit s’occupe largement des questions qui ont trait à l’information. Plusieurs études se sont dédiées à l’importance de l’information comme acte de diligence ou comme bien ayant une valeur économique. Selon le Professeur P. CATALA, l’information est effectivement « un bien susceptible d’appropriation. Sa vocation naturelle est de posséder, sauf exception, une valeur patrimoniale [...] Plus que jamais, dans une société dominée par la technique, le savoir est un ressort convoité de la puissance ; cette réalité donne sa valeur à l’information, véhicule du savoir »38.

8. L’information alimente la connaissance de l’objet dont elle exprime les

traits. La connaissance permet quant à elle d’adopter des choix conformes à sa propre volonté39. Il existe donc une asymétrie de pouvoir entre ceux qui

détiennent une information et ceux qui en sont exclus. Pour cette raison, le droit

36 Ainsi A. SUPIOT, Homo juridicus. Essai sur la fonction anthropologique du Droit, Seuil, 2005, spéc.

p. 187. L’auteur soutient que « le droit contemporain […] a pleinement participé à l’avènement de la “ société de l’information et de la communication ”. Cela s’exprime par la triple promotion de l’information, de la procédure et de la négociation. La promotion de l’information est un phénomène juridique général qui s’est traduit de deux manières. Tout d’abord par une montée des obligations d’information et de “ transparence ” […] Ensuite par une patrimonialisation de l’information, qui est de plus en plus souvent traitée comme un bien immatériel appropriable ».

37 Dictionnaire de français Larousse, version en ligne.

38 P. CATALA, « Ebauche d’une théorie juridique de l’information », D. 1984. Chron. 97. Les réflexions

prémonitoires de cet auteur gardent leur validité. Il suffit de penser à la valeur considérable des informations recueillies par les réseaux sociaux, ou à celle de l’information qui peut fonder une opération d’initié.

39 En droit de la consommation, la relation entre connaissance, décision et responsabilité a été

posée à la base du régime de protection des consommateurs. Sur cet aspect. Cf. N. IRTI, L’ordine giuridico del mercato, Laterza, 2003, spéc. p. 13, en langue italienne: « la tutela va costruita come regime dell’informazione, la quale, avendo reso consapevoli i consumatori, dirige la decisione e così determina la responsabilità (o, meglio, la auto-responsabiltà) della scelta […] il Diritto dei consumatori si delinea come una disciplina di informazioni, cioè di conoscenze utilizzabili nella scelta della merce ». Ces réflexions sont contenues dans l’ouvrage du même auteur Le Nihilisme juridique, 2017, Dalloz.

(28)

27

pose des obligations de divulgation à la charge de ses détenteurs. Le champ contractuel en est parsemé. Ce constat peut toutefois être aisément appliqué à d’autres domaines tels que le droit commercial et le droit financier40. En outre, le

droit réglemente l’élaboration et la circulation de l’information au moyen de principes et de standards ou de règles de forme, contenu, temps et lieu.

Enfin, la valeur économique de l’information est en mesure d’engendrer des comportements illicites ayant pour but de la détourner, de l’altérer ou de l’exploiter au détriment des tiers41. Dès lors, le droit pénal s’occupe de

l’information afin de garantir que cette dernière possède tous les critères imposés par d’autres branches de l’ordre juridique. Le droit pénal s’en occupe également afin de prévenir et sanctionner la diffusion d’informations fausses qui pourraient nuire à tous ceux qui s’y fient.

Cela dit, l’information s’accompagne d’un attribut en fonction de son objet : elle peut être de nature personnelle, confidentielle, politique, militaire, privilégiée, financière. L’attribut codifie la typologie d’objets dont on fournit le renseignement. Il codifie également le régime juridique de l’information. La réglementation pénale spécifique à chaque type d’information est modelée sur la base de ces caractéristiques.

§ 2. L’information financière périodique

9. Les entreprises doivent fournir une grande quantité d’informations sur

leur activité, notamment lorsqu’elles adoptent comme forme juridique la société

40 Ainsi J. CHACORNAC, Essai sur les fonctions de l’information en droit des instruments financiers,

2014, Dalloz, p. 6 et s. « … L’information ne saurait être envisagée comme une notion ou un concept juridique à part entière parce qu’elle est susceptible de recevoir des qualifications juridiques multiples répondant à des régimes différents. Elle ne relève ainsi d’aucune catégorie juridique particulière dans laquelle elle aurait vocation à être inscrite pour en faciliter l’analyse ». En droit des marchés financiers, qui est, somme toute, une branche du droit qui appréhende un échange massif de contrats, le rôle de l’information est le véritable objectif de toute la réglementation.

41 De cet avis E. DARAGON, Etude sur le statut juridique de l'information, D. 1998 p. 63 : « les activités

humaines forment et transforment l’information et, souvent, la créativité et l’inventivité de l’homme s’emploient à la production d’une information dont la valeur économique ne cesse de croître. Ces deux évolutions ont des répercussions sociales, entraînant des modifications de l’ordre juridique. En effet, l’information est de plus en plus l’objet d’obligations. Convoitée, elle devient aussi la cible des malfaiteurs ».

(29)

28

anonyme 42. Le public a besoin d’être mis au courant : dans l’objectif de le

protéger, la loi impose une obligation constante de publicité concernant la création, l’activité et la dissolution de toute société. Cependant, selon les méthodes utilisées, la publicité peut servir à tromper. Il s’agit d’une publicité non plus protectrice du public mais dangereuse pour celui-ci et que la loi doit contrôler car « de la publicité-information à la publicité-déformation la pente est dangereuse »43.

Dans les pages qui précèdent, nous avons employé les expressions « information comptable », « information financière » et « information financière périodique » de manière alternative, à l’instar de synonymes. En réalité, des différences subtiles existent entre ces expressions.

L’information comptable porte sur le bilan, le compte de résultats et l’annexe, id est sur les comptes annuels (ou consolidés). Elle est communiquée dans le respect des normes du Code de commerce et à des rythmes de parution légaux. L’information financière (périodique) s’entend quant à elle de l’ensemble des communications officielles et obligatoires (bilan, compte de résultats, perspectives, etc.) auxquelles sont soumises les sociétés cotées auprès des marchés financiers. D’une manière plus spécifique, les sociétés cotées en bourse doivent respecter un rythme de parution semestrielle des informations financières les concernant44.

42 Cf. encore J. CHACORNAC, Essai sur les fonctions de l’information en droit des instruments

financiers, op. cit. Depuis quelques années, les sociétés doivent également fournir des informations extra-financières, v. N. CUZACQ, « La directive du 22 octobre 2014, nouvel horizon de la transparence extra-financière au sein de l’UE », Rev. soc., 2015 p.707.

43 Ainsi J. LARGUIER, Ph. CONTE, Droit pénal des affaires, Armand Collin, 2004, 11ème éd., p. 327

e ss.

44 Voir, par exemple, AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS, position – recommandation,

DOC-2016-05 guide de l’information périodique des sociétés cotées. À la page 1, l’Autorité fournit la définition suivante : « l’information périodique regroupe les informations fournies par les sociétés à échéances régulières, c’est-à-dire selon une périodicité annuelle, semestrielle ou trimestrielle, qui trouvent leurs sources notamment dans la directive n° 2004/109/CE du 15 décembre 2004 ». En droit français, les articles L. 451-1-2 du Code monétaire et financier et 222-3 du règlement général de l’AMF prévoient que les sociétés cotées, ayant l’AMF comme autorité compétente pour le contrôle de leur information périodique, publient un rapport financier annuel dans les quatre mois qui suivent la clôture de leur exercice. Le rapport financier annuel comprend nécessairement : les comptes annuels ; les comptes consolidés, le cas échéant ; un rapport de gestion ; une déclaration des personnes physiques qui assument la responsabilité de ce rapport ; et le rapport des contrôleurs légaux sur les comptes précités. En droit italien, le contenu de l’information financière

(30)

29

En conséquence, la notion d’information financière périodique sera le plus souvent retenue puisqu’elle inclut la notion d’information comptable.

Cela dit, une telle information est habituellement la seule source de connaissance disponible pour les tiers (actionnaires potentiels, obligataires, banques), d’où l’importance qu’elle soit détaillée et qu’elle reflète la réalité économique de l’entreprise. En France et en Italie, comme dans la plupart des systèmes juridiques modernes, il existe une obligation légale d’établir des comptes annuels, réguliers et sincères donnant une image fidèle du patrimoine, de la situation financière ainsi que du résultat de l’entreprise45.

10. La discipline qui s’occupe de l’élaboration de cette information est la

comptabilité. Selon A. VIANDIER, « satellite du droit, la comptabilité est l’expression chiffrée du droit civil ou commercial ; satellite de l’économie, la comptabilité est un instrument de mesure, de gestion et de prévision. Une telle richesse de rôle ne peut qu’attirer les regards du pénaliste. Tantôt ce dernier voit dans la comptabilité le révélateur des turpitudes des dirigeants [...] Tantôt, en revanche, la comptabilité est au cœur de la répression, l’élément comptable constituant l’un des éléments d’une infraction particulière, l’infraction comptable »46.

Or, l’information comptable est principalement contenue dans les comptes annuels, qui revêtent plusieurs fonctions. Ils sont avant tout un instrument nécessaire aux dirigeants pour orienter leur activité. Ils sont également un moyen pour faire connaître aux souscripteurs éventuels d’actions ou d’obligations la situation sociale et de déterminer leur consentement. Ils jouent enfin un rôle décisif pour la fixation des bénéfices et la distribution de dividendes.

périodique est équivalent, il est réglementé par les articles 114 et s. du décret législatif n° 58/1998, dénommé Testo Unico sulla Finanza (« Tuf »).

45 La doctrine italienne appelle cette catégorie informazione societaria (information sociétaire).

Au-delà des nuances terminologiques, cette catégorie est l’homologue de la notion française d’information comptable et financière. Pour un aperçu général, v. F. MANTOVANI, «Sul Diritto penale della informazione societaria e della impresa», Indice penale 1985, p. 11 et s. et A. ALESSANDRI (dir.), Il nuovo Diritto penale delle Società, Ipsoa, 2002, p. 26 et s.

46 A. VIANDIER, « Les infractions comptables commises par les dirigeants des sociétés », Revue

internationale de droit pénal, 1-2/1987, p. 127 et s. L’auteur souligne qu’il est rare que l’abus de biens sociaux ne s’accompagne d’aucune traduction comptable ; de même, la distribution de dividendes fictifs aux actionnaires ou l’octroi de pots-de-vin sont souvent décelés par un examen de la comptabilité.

(31)

30

En raison de ce rôle primordial, les comptes annuels peuvent constituer un instrument particulièrement efficace de tromperie et permettre aux dirigeants de sociétés peu scrupuleux d’obtenir frauduleusement des crédits, des prestations ou des souscriptions47.

§ 3. Information financière périodique et droit pénal

11. La répression des manipulations comptables peut apparaître nécessaire

dès lors qu’une information financière altérée pourrait nuire à plusieurs catégories d’acteurs sociaux que l’ordre juridique veut protéger48. Ainsi, le droit

pénal intervient pour préserver de manière générale les qualités attendues de l’information comptable délivrée par les entreprises49 dans le but de protéger

l’épargne publique qui nourrit les exigences de toute entité économique.

À ce propos, le Professeur L. CONSTANTIN affirmait que « le premier impératif du législateur est donc de maintenir un corps de mesures qui jouent un rôle de garde-fou, de principe régulateur et d’instrument de sécurité. C’est dans cette construction des protections favorables à l’investissement de l’épargne, assurant mieux par la mise en place d’un système répressif que par la perspective de sanctions civiles, insuffisantes ou inefficaces, le respect des règles posées, que le législateur va jouer un rôle particulièrement inhibiteur »50.

47 Les observations faites dans les pages de L. CONSTANTIN, A. GAUTRAT, Traité de Droit pénal

en matière de Sociétés, op. cit., p. 460 et s. restent d’actualité.

48 En matière de sociétés, les associés et les créanciers sont les deux catégories principales qui sont

pénalement protégées. Cette affirmation est largement partagée en doctrine. V., par exemple, M. CHAUVIN, L’élément comptable dans le Droit pénal spécial des sociétés anonymes, Dalloz, 1963, p. 9 : « les documents comptables sont, en effet, le lien entre les administrateurs qui les établissent et les actionnaires et les tiers dont le comportement se fonde dans une large mesure sur les éléments d’appréciation qui leur sont ainsi données. Ils constituent pour ces derniers, le moyen le plus direct de juger la gestion du patrimoine social ».

49 À ce propos cf. Rapport au garde de Sceaux, ministre de la Justice, La dépénalisation de la vie des

affaires, Groupe de travail présidé par M. Jean-Marie Coulon. Ce rapport est très explicite sur la fonction du droit pénal des affaires : « le législateur veut également utiliser la sanction pénale pour que les obligations essentielles du droit des sociétés soient respectées. La peine placée à côté de l’obligation donne à celle-ci une autorité renouvelée et en garantit l’application. Sont donc créées des infractions formelles, moins pour punir que pour obliger à faire ».

(32)

31

La justification de la répression pénale spéciale en ce domaine se trouve enfin dans la protection de l’épargne51. S’il est vrai que les sociétés de petite taille

recourent habituellement au financement bancaire, le financement des sociétés anonymes de grande dimension se fait désormais par un recours croissant à l’appel à l’épargne. Par conséquent, le développement économique desdites entités se fondera également sur la capacité d’attraction des capitaux privés et en parallèle sur la confiance que la société en quête de financement saura susciter (ou berner) auprès du public52.

12. Ceci dit, l’arsenal répressif en matière de falsifications comptables est

construit autour d’une infraction qui est depuis un certain temps l’instrument de protection pénale de la véridicité de l’information périodique : le délit de présentation ou de publication de comptes infidèles53.

Cette infraction, qui fera l’objet d’une analyse approfondie dans la première partie de cette recherche, est assurément un délit majeur en ce qu’il constitue un véritable mensonge destiné à tromper les associés et les tiers sur la réalité de la situation de la société. Avec l’abus de biens sociaux, ce comportement est sans doute l’infraction la plus importante du droit pénal des sociétés 54. Le rapport

51 L’observation contenue dans le Traité de Droit pénal en matière de Sociétés de L. CONSTANTIN

et A. GAUTRAT déjà mentionné demeure actuelle : « de tels agissements ont une répercussion trop profonde dans le monde de l’épargne pour que le législateur n’en ait été préoccupé et n’ait songé à renforcer la loi pénale traditionnelle pas assez intimidante pour les prévenir, ni assez sévère pour les réprimer ». Ce constat est partagé. Cf. A. LEPAGE, P. MAISTRE DU CHAMBON, R. SALOMON, Droit pénal des affaires, Lexis Nexis, 4ème édition, 2015, p. 355 et s. La protection de l’épargne représente l’objectif

final de la pénalisation des falsifications comptables même en droit italien. Sur ce point v. C. PEDRAZZI, «Profili penali dell’informazione societaria», dans AA.VV. L’informazione societaria, Atti del convegno, Giuffrè, 1981. L’ouvrage complet de cet auteur est aujourd’hui contenu dans C. PEDRAZZI, Diritto penale, vol. III, Giuffrè, 2003. L’auteur affirme que les communications réglementées par le Code civil sont prédisposées à la protection des intérêts privés des associées, des créanciers et des tiers. Intérêts non pas reconnus uti singuli mais propres à une catégorie : parfois circonscrite et définie (les associés) ; autrefois indéfinie (les tiers) et en mesure de coïncider avec le public. La protection de l’épargne passe au travers de la défense d’une multitude d’épargnants. Ainsi, l’intérêt public subjacent à cette protection se réfère au public même s’il n’est pas de nature publique.

52 Sur ce point v. M. CHAUVIN, L’élément comptable dans le Droit pénal spécial des sociétés anonymes,

op. cit. p. 8 et s.: « La répression de leurs agissements, parallèlement à son aspect moralisateur se présentait, par surcroît, comme une condition indispensable à l’essor des entreprises importantes. Cet essor dépendait, en effet, de la confiance de l’épargne et la confiance de l’épargne supposait qu’elle se sente protégée ».

53 En droit italien delitto di false comunicazioni sociali.

54 A. VIANDIER, « Le droit des sociétés, demain », JCP 2000, éd. E, p. 3 n. 12 : « … l’arme pénale est

inappropriée en droit de sociétés […] si l’on excepte les infractions de présentation de bilan inexact, de répartition de dividendes fictifs, de majoration frauduleuse d’apport en nature et d’abus de biens ou de

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