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TITRE I : LES FACTEURS DU RAPPROCHEMENT INDIRECT

LES COMPOSANTES EXTRA-PÉNALES DE LA QUALIFICATION

A. L’harmonisation des normes commerciales

104. Droit dérivé. Le droit pénal des affaires est emblématique à cet égard.

Dans la préface de l’ouvrage Le droit pénal spécial des sociétés anonymes, le doyen J. HAMEL affirmait que « les délits commis par les administrateurs des sociétés anonymes, sont essentiellement des délits commerciaux, c’est-à-dire des délits qui sanctionnent des règles de droit commercial ; à ce titre, ils ne sont intelligibles que pour ceux qui connaissent le détail de ces règles et sont capables d’en comprendre la portée »348. D’autres auteurs ont défini le droit pénal des affaires comme un droit dérivé349

car la plupart de ses composantes sont étrangères à la réglementation criminelle traditionnelle.

Si nous prenons comme exemple l’infraction de présentation ou de publication de comptes infidèles, les notions de présentation, de publication ou d’assemblée générale trouvent leur propre définition dans le Code de commerce. Il en va de même pour la notion de comptes et bien entendu pour le concept d’infidélité, dont

348 J. HAMEL (dir.) Le droit pénal spécial des sociétés anonymes, Dalloz, 1955, préface.

349 Voir L. CONSTANTIN, Droit pénal des sociétés par actions, op. cit., p. 22. D’autres auteurs définissent le droit pénal des affaires comme accessoire et technique, cf. G. GIUDICELLI-DELAGE, Droit pénal des affaires en Europe, op. cit., p. 368

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l'origine est encore plus complexe (réellement étrangère). Parmi les éléments précités, certains expriment des règles prescriptives : les comptes sont ceux prévus et réglementés par la loi commerciale. D’autres éléments, comme l’image fidèle, sont à proprement parler des notions élastiques, leur contenu devant être saisi par une opération interprétative complexe.

105. Des définitions partagées. Le mécanisme décrit ci-dessus arrive parfois à

se dédoubler ; tel est notre cas de figure. Lorsque l’Union européenne harmonise des règles commerciales qui sont à leur tour intégrées dans une infraction pénale en qualité de composantes extra-pénales de l’infraction, le choix normatif accompli au niveau supranational, sub specie de donnée harmonisatrice, rentre dans la définition d’une infraction pénale, en principe soustraite à la compétence européenne.

L’accès par la porte principale étant nié, il se ferait par la porte secondaire, sans devoir s’assujettir aux diverses déclinaisons du principe de légalité. En effet, l’intégration en France de la directive européenne n° 78/660/CEE par la loi du 30 avril 1983 a entraîné la substitution de la notion de « bilan inexact » par celle de « comptes annuels ne donnant pas une image fidèle », d’où son appellation actuelle350. De la même façon, en Italie, ladite directive a été transposée par le décret législatif351 n° 127/1991 qui a profondément influencé l’appréhension du délit de false comunicazioni sociali, par le biais des modifications apportées au Codice civile. La même dynamique s’est répétée à l’occasion de la transposition de la nouvelle directive n° 2013/34/UE352. Or, l’infidélité s’entend d’irrégularités ou

350 En cette occasion, le législateur a procédé à une modification des règles comptables, du fait de la quatrième directive du Conseil des Communautés européennes du 25 juillet 1978 sur la réglementation des comptes annuels (directive n° 78/660 du Conseil, 25 juill. 1978), pour rendre comparables les informations contenues dans ces documents.

351 En droit constitutionnel italien le décret législatif est l’homologue de l’ordonnance en droit constitutionnel français.

352 En opérant une petite simplification, nous pourrions dire que la réaction des deux systèmes pénaux face à la transposition des directives n° 78/660 et n° 2013/34 a été, en ces deux moments, égale et contraire. En 1983 la France a modifié son Code de commerce et, contextuellement, a inséré dans la qualification pénale l’élément principal de l’action harmonisatrice, c’est-à-dire le concept d’image fidèle. Au contraire, la réforme des règles contenues dans le Code civil italien n’a pas eu de retombées visibles sur la qualification pénale, même si l’interprétation du délit a changé. En 2015, lors de la transposition française de la nouvelle directive, aucune modification d’envergure n’a été opérée sur le plan pénal. Par contre, la nouvelle modification du Code civil italien a aussi comporté l’insertion de l’attribut de signification (materiality), véritable nouveauté de la directive n° 2013/34, dans la définition du délit comptable.

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d’insincérités, au sens de l’article L. 123-14 du Code de commerce. Cet article représente comme nous le savons la transposition précise du principe d’image fidèle imposé par l’harmonisation européenne. De ce fait, à chaque fois que des problèmes applicatifs surgissent, le juge national devrait également interpréter le concept d’infidélité à la lumière du droit communautaire et de l’exégèse fournie à ce titre par la Cour de Justice. Étant en mesure et en pouvoir de donner un contenu déterminé à une telle notion élastique, la Cour de Justice pourra influencer la délimitation pénale du concept d’infidélité.

La transmission des données harmonisatrices européennes dans le domaine pénal obéit à ces mécanismes que nous venons de décrire. Une action de rapprochement direct du droit commercial peut exercer une force contraignante sur le droit pénal, par truchement du texte de la loi nationale harmonisée et intégrée par ce dernier. Le même effet peut aussi se produire à travers des interprétations jurisprudentielles. Celles-ci sont désormais influencées par des facteurs qui échappent aux hiérarchies traditionnelles qui encadrent la matière pénale353.

106. À cet égard, il est utile de rappeler les observations de F. DESPORTES et

F. LE GUNEHEC selon qui « … l’influence de la norme internationale se manifeste de manière beaucoup plus nette lorsqu’elle impose au législateur national d’organiser la répression de tel ou tel comportement. Certes, en ce cas, la répression est assurée par la médiation du droit interne et nul ne peut se substituer au législateur national en cas de carence de celui-ci. Mais il n’en demeure pas moins que la norme internationale apparaît alors comme le véritable fondement de la répression car la loi lui est subordonnée et doit normalement se conformer à ses prévisions »354.

353 À ce propos, cf. G. ROUJOU de BOUBÉE, B. BOULOC, J. FRANCILLON, Y. MAYAUD, Code Pénal Commenté, Dalloz, 1996 spéc. p. 5 : « L’art. 111-3 ne tient pas compte des sources communautaires. Certes, ni une directive, ni même un règlement communautaires, ne peuvent créer directement une infraction ; mais lorsqu’un texte de droit interne assortit un règlement de sanctions pénales, on ne peut pas dire que ce texte « définit » les éléments de l’infraction qu’il crée ».

354 F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, Economica, 2008, quinzième édition, p. 182 e s. Ces deux auteurs rappellent en outre que « … le législateur peut tout d’abord procéder par intégration complète de la règle internationale dans une disposition interne qu’il assortit d’une peine L’origine internationale de la répression est alors invisible … Le législateur peut également utiliser la technique de l’intégration par référence. La disposition renvoie alors purement et simplement aux dispositions supranationales pour la définition des incriminations ou de certains de leurs éléments ». Notre sujet s’encadre plutôt dans le premier cas de figure.

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Cette interpénétration de sources hétérogènes ne serait pas hostile au principe de légalité, du moins d’un point de vue du principe de réserve de loi parlementaire355. Le discrimen entre le respect et la violation potentielle du principe de légalité résiderait plutôt dans le degré de précision que les éléments structurels de l’infraction inoculés par l’Union, grâce à l’intermédiation du législateur national, sont capables d’atteindre. Néanmoins, à qui revient cette tâche ?