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TITRE I : LES FACTEURS DU RAPPROCHEMENT INDIRECT

LE DEVOIR D’INTERPRÉTATION CONFORME

110. Un principe directeur. Les arguments développés dans ce chapitre nous

ont permis de constater que l’asymétrie entre l’harmonisation du droit des sociétés et le droit pénal national est moins profonde de ce que l’on dirait. L’obligation de prévoir des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives, adressées par l’Union aux États membres, pourrait cacher une véritable obligation de pénalisation. En outre, les règles communes élaborées à Bruxelles pénètrent les incriminations nationales, étant donné que ces dernières se nourrissent de plusieurs éléments définitoires harmonisés. Enfin, le phénomène de l’harmonisation, rectius de l’influence pénale indirecte que l’on entrevoit dans le domaine de l’information financière des sociétés peut également se produire grâce à l’activité des juges nationaux, soumis au devoir d’interprétation conforme358.

En effet, dans le but d’éviter un conflit de normes entre le droit de l’Union et le droit national, toutes les institutions étatiques qui appliquent ou disent le droit peuvent recourir à l’interprétation conforme au droit de l’Union du droit

358 Certains auteurs encadrent l’interprétation conforme dans l’ensemble d’éléments qui fondent l’influence indirecte positive du droit de l’Union sur le droit pénal national. Ainsi L. ARROYO ZAPATERO, M. MUÑOZ DE MORALES ROMERO, « Le contrôle des choix de pénalisation : effets directs et indirects », op. cit.

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national359. C’est relativement tard que le concept d’interprétation conforme au droit de l’Union a été reconnu par la CJUE et a été introduit dans l’ordre juridique de l’Union. Ce n’est, dans un premier temps, qu’à la demande de juridictions nationales que la Cour de justice a jugé utile de garantir une interprétation uniforme des dispositions nationales dans le champ d’application d’une directive. Il a fallu attendre 1984 pour que soit déterminée, dans l’affaire Von Colson et Kamann360, une obligation d’interprétation conforme aux directives. La base juridique de l’interprétation conforme au droit de l’Union demeure pour la CJUE le principe de coopération loyale (article 4, paragraphe 3, du traité sur l’U.E.)361. Selon ce principe, les États membres sont tenus de prendre toute mesure générale ou particulière propre à assurer l’exécution des obligations découlant des traités ou résultant des actes des institutions de l’Union.

111. Un principe pluriel. L’obligation d’interprétation conforme encadre

également l’opération de transposition des directives, imposant au législateur national le respect scrupuleux de la portée des concepts juridiques utilisés dans le texte communautaire. Les directives doivent en effet faire l’objet d’une interprétation et d’une application uniforme dans l’ensemble des droits nationaux. Cela suppose que les termes utilisés se voient reconnaître une signification identique sur l’ensemble du territoire communautaire.

Malheureusement, le plus souvent ce n’est pas le cas. Selon le Professeur R. SACCO, dans la standardisation terminologique du langage communautaire plurilingue, la nécessité de rendre compréhensible un texte aux juristes nationaux est parfois méconnue. Il s’agit d’un aspect problématque. En effet, les juristes nationaux possèdent un lexique spécifique à chaque système national qui peut être différent du vocabulaire communautaire.Ils possèdent également une

359 Voir D. SIMON, « Les directives », Répertoire de Droit Européen, Dalloz, point 71 et s.

360 CJUE, arrêt du 10 avr. 1984, rendu dans l’affaire 14/83, Von Colson et Kamann c/Land Nordrhein-Westfalen. Cf. encore, D. SIMON, « Les directives », op. cit. L’auteur observe que successivement, dans l’affaire Marleasing « cette obligation d’interprétation conforme a fait l’objet d'une pratique systématique qui en a renforcé la portée et précisé les limites. La Cour a en effet souligné que l’obligation pesant sur le tribunal national valait naturellement pour le droit national adopté postérieurement à la directive, c’est-à-dire l’ensemble des mesures de transposition et/ou d’application, mais également, ce qui était moins évident, pour l’interprétation du droit interne antérieur à la directive (CJCE, 13 nov. 1990, Marleasing SA, aff. C-106/89, Rec. I. 4135) ».

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représentation conceptuelle des catégories, des principes et des leurs relations, qui ne correspondent guère à celles du droit communautaire362.

En tout cas, les instances nationales doivent orienter l’application et l’interprétation du droit national, auquel se superposent les dispositions de l’Union, selon les termes et la finalité du droit de l’Union (obligation de fidélité à l’Union). Pour les juridictions nationales, cela reflète également leur rôle de juridictions européennes au sens de garants de l’application correcte et du respect du droit de l’Union. Une forme particulière de l’interprétation conforme au droit de l’Union est représentée par l’interprétation conforme à la directive. Selon ce principe, les États membres sont tenus de transposer les directives de manière conforme à leur ésprit. Les praticiens du droit et les juridictions doivent, à travers l’interprétation conforme aux directives, contribuer à ce que cet engagement soit pleinement respecté par l’État membre en question.

112. Dès lors, l’interprétation conforme à la directive pourrait dans certains cas

donner lieu à l’incrimination de certains comportements ou, en tout cas, à la préférence d’une certaine interprétation à la place d’une autre, sans pour autant « obtenir un résultat contraire aux normes internes, de sorte que l’interprétation ne peut jamais être manifestement incompatible avec la lettre et le sens du droit national ou avec la finalité poursuivie par lui »363.

Ce sujet demeure d’une particulière importance en ce qui concerne nos fins. Le principe d’interprétation conforme semble avoir trouvé une application dans une affaire fondamentale en matière de protection pénale de l’information financière en droit italien. Il s’agit d’une affaire tranchée en 2016 par la Cour de cassation transalpine364. Dans cette affaire, le juge interne a fait recours au droit

362 R. SACCO, Introduzione al Diritto comparato, VII éd., 2015, Utet, p. 30. Texte original en langue italienne: « Nella standardizzazione terminologica del linguaggio comunitario plurilingue, non si è curata a sufficienza la necessità di rendere comprensibile il testo ai giuristi nazionali che possiedono non solo un vocabolario loro proprio (spesso non coincidente con quello comunitario), ma anche una rappresentazione concettuale delle categorie, dei principii e delle loro relazioni, non corrispondenti con quelle del diritto comunitario il quale, spesso, nei vari suoi settori di intervento, cerca di essere una sintesi innovativa delle diverse tradizioni nazionali». Voir également V. MITSILEGAS, «Autonomous concepts, diversity management and mutual trust in europe’s area of criminal justice», op. cit., spec. p. 47.

363 V. encore L. ARROYO ZAPATERO, M. MUÑOZ DE MORALES ROMERO, « Le contrôle des choix de pénalisation : effets directs et indirects », op. cit., p. 46 et s.

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de l’Union pour justifier une solution interprétative in malam partem en matière pénale365.