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Étude du test en trois étapes à la lumière des traditions juridiques du droit d'auteur

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Étude du test en trois étapes à la lumière des

traditions juridiques du droit d’auteur

Mémoire

Maîtrise en droit

Alice Baréty

Université Laval

Québec, Canada

Maître en droit (LL.M.)

et

Université de Paris-Sud

Orsay, France

Master (M.)

© Alice Baréty, 2017

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Résumé

Le test en trois étapes est né d’une volonté de protection minimale et transfrontière des auteurs, en réaction à l’accord qui a été fait aux États, par la Convention de Berne, de la faculté de prendre des exceptions au droit d’auteur. Étudier le test en trois étapes à la lumière des traditions juridiques en la matière, opposant les États dits de droit civil, auteur-centrés, et les États dits de common law, société-centrés, permet de saisir les contours de ce mécanisme international complexe. Son adoption, et les termes de celle-ci, ont en effet été dictés par une nécessité de compromis entre les traditions juridiques. Sa réception, aussi hétérogène que les traditions juridiques, s’est faite de façon particulièrement antagoniste, opposant les régimes nord-américains, silencieux, au régime européen, mettant en œuvre le test plutôt deux fois qu’une et ne manquant pas de déclencher ainsi de nombreuses oppositions doctrinales. Celles-ci, dans un premier temps centrées sur le destinataire du test, se sont finalement cristallisées autour de l’interprétation du test. Ce dernier, érigé en condition supplémentaire du bénéfice des exceptions au sein de l’Union européenne, a déclenché les foudres d’une partie de la doctrine, y voyant moult dangers. Il a alors fait l’objet de nombreuses propositions de réinterprétation, une partie d’entre elles voyant en lui un moyen d’instaurer une exception ouverte dans le régime européen, et donc de mâtiner celui-ci de traditions de common

law. Pourtant, une interprétation raisonnable du test, préservant son esprit et son effet

utile, ainsi que les différentes traditions juridiques, est plus que souhaitable. Enfin, son objectif de protection minimale des auteurs ne pourra, quoi qu’il en soit, être atteint que par une application du test par tous les États parties aux textes le consacrant.

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Table des matières

Résumé ... iii

Table des matières ... iv

Remerciements ... vi

Introduction ... 1

I. L’adoption et la réception du test en trois étapes dictées par la diversité des ordres juridiques ... 11

A. L’adoption du test en trois étapes dans un souci de compromis et de protection des auteurs ... 11

1. Le choix d’une formule de compromis dans la Convention de Stockholm ... 11

a. Une première condition dit de « cas spécial » controversée mais adaptée aux systèmes de chaque tradition ... 12

b. Un duo d’étapes à connotation économique adaptées aux régimes ouverts comme fermés ... 16

2. L’adoption d’un test garantissant une protection minimale des auteurs ... 22

a. Un test adopté dans une volonté de protection des auteurs ... 22

b. Un objectif de protection poursuivi par les instances nationales et internationales ... 27

B. La réception hétérogène du test en trois étapes dans les différents ordres juridiques ... 33

1. L’absence presque totale du test au Canada et aux États-Unis révélatrice de controverses ... 33

a. Un régime étasunien quasi-muet et potentiellement remis en cause ... 33

b. Un régime canadien silencieux mais potentiellement compatible ... 37

2. La consécration européenne du test en trois étapes catalyseur d’une première scission doctrinale ... 43

a. Une implémentation supranationale voire nationale du test en trois étapes ... 43

b. Une controverse doctrinale quant au destinataire du test ... 47

II. La dualité des traditions à l’épreuve des interprétations doctrinales du test en trois étapes ... 54

A. Une mutation du test en trois étapes en faisant un cheval de Troie au sein du régime européen de droit d’auteur ... 54

1. Une approche européenne du test vivement critiquée ... 54

a. L’interprétation stricte devenue restrictive au sein de l’Union européenne ... 55

b. Les craintes doctrinales relatives à l’interprétation restrictive ... 59

2. Une doctrine prônant la transformation du triple test en exception ouverte au sein du régime européen ... 64

a. La dissidence néerlandaise revendiquant explicitement une transformation du test en fair use européen ... 64

b. Les propositions alternatives en faveur d’une exception ouverte du régime européen des exceptions ... 69

B. Une profusion d’interprétations nouvelles du test à considérer sans perdre de vue la nécessité de préserver les différentes traditions ... 74

1. Une approche globale à appréhender avec vigilance ... 74

a. La proposition collective d’une approche dite « globale » ... 74

b. Les risques de dénaturation du test en trois étapes et des traditions juridiques européennes ... 78

2. Une approche raisonnable susceptible de préserver le test et les traditions juridiques devant être privilégiée ... 82

a. La nécessité d’adopter une approche préservant l’utilité du test ... 82 b. La nécessité d’adopter une approche préservant les traditions juridiques et l’esprit du test 86

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Conclusion ... 91 Bibliographie ... 93

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Remerciements

Je tiens bien évidemment à remercier Messieurs les Professeurs Georges Azzaria et Pierre Sirinelli, d’avoir accepté de diriger mon mémoire, de m’avoir accordé de leur temps et de m’avoir prodigué de précieux conseils.

Mes remerciements vont également à Madame le Professeur Bensamoun, qui m’a donné la chance d’intégrer ce programme.

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Introduction

« Il est préférable que le fair use reste au droit d’auteur ce que le gratin de patates douces à la guimauve, incontournable de Thanksgiving, est à la gastronomie : une spécialité locale… »1, préconisait le Professeur Lucas. Cela démontre bien le clivage qui existe en matière de droit d’auteur à une échelle mondiale, et l’hostilité avec laquelle les régimes anglo-saxons, et notamment celui du fair use, sont envisagés en France.

En effet, sont traditionnellement opposés les pays de tradition « civiliste » et ceux de tradition « common law », les systèmes dits de droit d’auteur à ceux dits de copyright, « la preuve en est qu’aujourd’hui encore, on se souvient avec admiration de Victor Hugo et de Charles Baudelaire en France, et d’Henry Ford aux États-Unis »2. Cela démontre bien que ces différences sont souvent exemplifiées par le régime français de droit d’auteur, et le régime étasunien de copyright.

Dès l’origine, le droit d’auteur des pays civilistes, comme la France et l’Allemagne, est profondément teinté de personnalisme. Ils sont souvent considérés comme ayant été influencés par la théorie hégélienne3 de la personne, faisant du droit d’auteur un droit naturel, dont les créateurs sont titulaires ab initio car ils sont à l’origine de l’œuvre. Les droits exclusifs sont dès lors intrinsèquement liés au créateur, et font figure d’« aménagement législatif du droit naturel »4. Les intérêts du créateur, premier titulaire, sont au cœur du régime, et si la recherche d’un équilibre entre ceux-ci et ceux du public n’est pas totalement inconnue de cette conception, la balance semble largement pencher en faveur des intérêts du créateur5.

1 André Lucas, « Note sous U.S. Court of Appeals for the Second Circuit, 16 octobre 2015, The Authors

Guild et autres contre Google Inc » (2016) 58 Propriétés Intellectuelles 59 à la p 61 [Méthode de citation du Guide McGill utilisée].

2 Maxence Rivoire et E. Richard Gold, « Propriété intellectuelle, Cour suprême du Canada et droit civil »

(2015) 60:3 McGill LJ 381.

3 Georg W F Hegel, Elements of the Philosophy of Right, Cambridge, Cambridge University Press, 2006,

aux para 41 à 45.

4 Id., à la p 387.

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À l’inverse, la conception des pays de common law est plus familière des notions de travail, ou de « sweat of the brow », et d’utilitarisme. En effet, elle est fréquemment rattachée à la philosophie « libertarienne » de John Locke6. Selon cette dernière, il faut à tout prix défendre les droits, accordés en échange d’un dur labeur, et libertés de chacun. La propriété privée y a une place centrale. L’utilitarisme, dont John Stuart Mill est un précurseur7, est également au cœur de la conception privilégiée par les pays dits de

common law. Selon cette théorie, le droit d’auteur, et les droits de propriété intellectuelle

en général, et donc nécessairement le droit d’auteur, n’ont qu’une fonction utilitaire. Le monopole n’est accordé que pour encourager l’innovation et la création, le développement des sciences et de la culture. Le principe est donc le libre usage, et les droits de propriété intellectuelle ne sont accordés qu’à titre d’exception, « dans la limite de leur utilité socio-économique »8. Dès lors, les intérêts divergents doivent être pris en considération, et un équilibre doit être trouvé, sans cette fois que certains intérêts pèsent plus lourd dans la balance.

Dans les États de tradition common law, le droit d’auteur semble donc être concédé moins volontiers que dans les États de tradition civiliste, comme « un moyen de maximiser la production de créations intellectuelles et l’accès à celles-ci »9, « un moyen d’encourager la diffusion des œuvres socialement utiles »10. Cette idée, selon laquelle « le droit d’auteur est un encouragement des auteurs à créer afin que le public puisse avoir accès à leurs œuvres et s’enrichir de celles-ci »11 se retrouve dans le Statute of Anne de 1710 et dans la Constitution des États-Unis de 1787. En effet, le Statute of Anne a pour titre « An Act

for the Encouragement of learning, by vesting the Copies of printed Books in the Authors or Purchasers of such copies, during the Times therein mentioned » et « son préambule

déclare que cet acte a pour objectif de décourager la contrefaçon et d’« Encourager les

6 John Locke, Second Treatise of Government, Indianapolis, Hackett, 1980, au para 27. 7 John Stuart Mill, Utilitarism, Indianapolis, Hackett, 1979.

8 Maxence Rivoire et E. Richard Gold, op. cit., note 2, à la p 386.

9 Jane C. Ginsburg, « A Tale of Two Copyrights: Literary Property in Revolutionary France and America »

(1990) 64:5 Tulane Law Review 991, à la p 992 : « a means to maximize production of and access to

intellectual creations » (sauf précision, toutes les traductions sont personnelles).

10 Thomas B. Macaulay, « Speech to House of Common, Feb. 5, 1841 » dans Thomas B. Macaulay, The

Works of Lord Macaulay : Speeches, poems and miscellaneous writings, London, Longman, Green and Co,

1898, à la p 661 : « means to promote the dissemination of socially useful works ».

11 Jane C. Ginsburg, op. cit., note 9, à la p 998 : « copyright is an incentive to authors to create so that the

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Hommes instruits à composer et écrire des Livres utiles » »12. La Constitution des États-Unis, quant à elle, dispose que « le Congrès aura le Pouvoir (…) de favoriser le Progrès de la Science et des Arts utiles, en assurant, pour un Temps limité, aux Auteurs et Inventions un Droit exclusif sur leurs Écrits et Découvertes respectives »13. Les États de tradition common law ont donc un régime « society-oriented »14, soit centré sur la société.

À l’inverse, dans les États de tradition civiliste, et spécifiquement en France, le régime de droit d’auteur est « author-oriented »15, « auteur-centré ». La particulière ampleur du droit d’auteur est expliquée, dans ces États, par « l’existence d’un lien intime et presque sacré entre les auteurs et leurs œuvres »16. À propos de la propriété littéraire et artistique, les théoriciens français postrévolutionnaires parlent de « propriété (…) toute personnelle, toute morale, toute indivisible dans la pensée »17, de « propriété par nature, par essence, par indivision, par indivisibilité de l’objet et du sujet »18. Cela démontre bien combien le droit d’auteur est perçu comme personnaliste, centré sur la personne de l’auteur, dans les États civilistes. Pourtant, lors de l’adoption des textes révolutionnaires, le public avait un rôle important, et le régime français n’est devenu éminemment personnaliste qu’à la fin du XIXème et au début du XXème siècle, en raison de l’approche retenue par la doctrine et les juridictions, consacrée dans la loi de 195719. Aujourd’hui, la France est généralement perçue comme le pays le plus fidèle à la théorie du droit naturel, et son droit d’auteur, depuis la loi de 1957 notamment, est souvent considéré comme la concrétisation la plus pure de cette théorie.

Au carrefour de ces traditions, malgré un fort penchant pour celles propres aux États de

common law qui guident le droit fédéral, se trouve le Canada. Cela s’explique par

l’histoire, et notamment par la colonisation de ce territoire par la France et l’Angleterre.

12 Ibid. : « Its preambule states that the Act is to discouraged piracy and is « for the Encouragement of

learned Men to compose and write useful Books ».

13 US Const art 1, §8, cl 8.

14 Jane C. Ginsburg, op. cit., note 9, à la p 993. 15 Ibid.

16 Id., à la p 992 : « the existence of an intimate and almost sacred bond between authors and their works ». 17 Alphonse de Lamartine, « De la propriété littéraire, Rapport fait à la Chambre des Députés par M. de

Lamartine » dans Alphonse de Lamartine, Œuvres complètes, t 8, Paris, C. Gosselin, Furne et Cie, à la p 405.

18 Jean-Étienne-Marie Portalis, dans Annales du parlement français, vol 1, Paris, Firmin Didot Frères, 1839,

à la p 146.

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Ce « bijuridisme » a été entretenu par l’Acte de l’Amérique du Nord Britannique20 de 1867, qui a donné aux provinces compétence en matière de propriété et de droits civils, permettant au Québec de conserver son droit civil dans ces matières et aux autres provinces d’y préférer la common law. La propriété intellectuelle est de compétence fédérale, et donc d’influence common law, mais la tradition civiliste du Québec et la composition de la Cour suprême, mêlant juges québécois et juges provenant des autres provinces, laissent une place à certains principes personnalistes. L’affaire Théberge21 illustre bien cette scission entre les juges québécois et les juges des autres provinces de la Cour suprême, mais également celle qui existe entre le régime dit de droit d’auteur et celui dit de copyright. Théberge est un peintre ayant cédé par contrat à un éditeur « le droit de publier des reproductions [de] certaines de ses œuvres. » Des galeries d’art achètent des reproductions et procèdent à l’entoilage de celles-ci, procédé qui permet de transférer la reproduction de l’œuvre d’une affiche à une toile, n’augmentant donc pas le nombre de reproductions. Les juges de la Cour suprême s’opposent. Les juges de tradition

common law adoptent une position propre à cette conception, en estimant qu’il n’y a pas

de contrefaçon, puisqu’il n’y a pas de nouvelle copie et dès lors pas de reproduction. A

contrario, les juges québécois préfèrent un raisonnement civiliste, et soutiennent que

reproduire signifie « « produire de nouveau », ou encore « répéter », « copier », « rendre fidèlement » ou « donner l’équivalent » »22. En ce sens, pour qu’une œuvre soit

reproduite, il n’est absolument pas nécessaire de démontrer une augmentation du nombre total de copies de celle-ci. » L’opposition des conceptions, au sein de la Cour suprême dans cette décision comme à l’échelle mondiale, est particulièrement bien expliquée par Alain Strowel, comme cité au paragraphe 20 de l’arrêt Théberge :

Les expressions « droit d’auteur » et « copyright » sont déjà par elles-mêmes révélatrices. N’a-t-on pas souligné que la distinction entre la tradition du copyright et celle du droit d’auteur « repose sur une question de terminologie : là où les adeptes de la première, les Britanniques et leurs héritiers spirituels, parlent de « copyright » pour désigner un droit qui naît de l’existence d’une « copy », un objet en soi, les adeptes de la seconde parlent d’« author’s right » (droit d’auteur), indiquant qu’un droit découle de l’effort intellectuel ou de l’activité déployée par un auteur, un créateur ». Telle est l’opposition fondamentale : un droit qui se pense, d’un côté, par référence à l’auteur, à

20 Acte de l’Amérique du Nord Britannique, 1867 (R.-U.), 30 & 31 Vict., c 3.

21 Théberge c Galerie d’Art du Petit Champlain inc, [2002] 2 RCS 336, 2002 CSC 34. 22 Le Nouveau Petit Robert, Paris, LR Presse, 2000, supra verbo « reproduire ».

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la personne créatrice, de l’autre, par référence à l’exemplaire de l’œuvre, au produit de la création que l’on préserve contre la copie.23

La dualité des régimes de droit d’auteur se reflète dans la force du droit moral, la nécessité d’effectuer des formalités afin d’être titulaire d’un droit d’auteur sur ses œuvres ou de pouvoir s’en prévaloir, mais prend également tout son sens lors de l’étude des régimes d’exceptions.

Les exceptions, ou limitations au droit d’auteur, permettent d’exploiter l’œuvre sans avoir à obtenir l’autorisation du titulaire des droits24. De nombreuses expressions sont, parfois

indifféremment, utilisées pour désigner les cas dans lesquels il n’y a pas besoin d’avoir une autorisation de la part du titulaire des droits : limites, limitations, dérogations, restrictions, ou, le plus souvent et le plus simplement, exceptions. Certains auteurs font tout de même une distinction, nécessaire, entre les limitations, et surtout les limites, et les exceptions au droit d’auteur. C’est notamment le cas d’André et Henri-Jacques Lucas et Agnès Lucas-Schloetter, qui les différencient ainsi : « (…) la situation dans laquelle le droit exclusif cède par dérogation aux principes gouvernant la matière (…) renvoie au sens propre à la notion d’exception, et celle dans laquelle l’exclusivité est bornée par l’objet et la nature du droit (…) renvoie plutôt à la notion de limite. »25 Les limites font elles-mêmes souvent l’objet d’une distinction supplémentaire, pouvant être de deux natures : internes ou externes. La limite interne est « celle qui découle de la définition même du droit »26, et est même parfois qualifiée de naturelle27. La situation est tout simplement hors de l’emprise du droit d’auteur; il s’agit de « l’appartenance de l’œuvre au domaine public à l’expiration du délai de protection, ou la libre circulation des idées, ou encore l’exclusion des actes officiels du champ de la protection du droit d’auteur »28. La limite externe est celle qui est constituée par « un droit concurrent au droit d’auteur (le droit de la concurrence, le droit de la personnalité, le droit des contrats…) [qui] exerce

23 Alain Strowel, Droit d’auteur et copyright : Divergences et convergences : Étude de droit comparé,

Bruxelles, Bruylant, 1993, aux p 19 et 20.

24 Hugo Wistrand, Les exceptions apportées aux droits de l’auteur sur ses œuvres, Paris, Editions

Montchrestien, 1968.

25 André Lucas, Henri-Jacques Lucas et Anne Lucas-Schloetter, Traité de la propriété littéraire et

artistique, 4e éd, Paris, LexisNexis, 2012, au para 352.

26 Michel Vivant et Jean-Michel Bruguière, Droit d’auteur et droits voisins, 3e éd, Paris, Dalloz, 2015, au

para 590.

27 André Lucas, Henri-Jacques Lucas et Anne Lucas-Schloetter, op. cit., note 25, au para 336. 28 Ibid.

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une influence sur l’exclusivité du droit. »29 Si les termes exceptions et limitations pourront indifféremment être utilisés dans cette étude, il faudra les entendre au sens de dérogations au principe d’exclusivité, et non pas au sens des limites internes et externes.

Sur le plan des exceptions, les régimes dits de droit d’auteur et ceux dits de copyright s’opposent tout d’abord d’un point de vue légistique.

En effet, les législateurs français et européen ont adopté une conception analytique, imposant une liste exhaustive et fermée d’exceptions. Les législateurs nationaux peuvent choisir dans cette liste les exceptions qu’ils implémenteront dans leur droit national, mais ne peuvent en aucun cas en créer d’autres. Il en va de même pour le juge, qui est de plus tenu d’interpréter strictement les exceptions. Ce régime est qualifié de « fermé ». A contrario, le législateur étasunien, qui est donc « ouvert » a préféré une conception synthétique, instaurant, au-delà de quelques exceptions spécifiques, une exception dite de

fair use, qui autorise tous les « usages équitables » d’œuvres protégées. Le juge pourra

donc admettre tout usage d’une œuvre protégée, s’il considère celui-ci équitable compte tenu des facteurs jurisprudentiels : le but et caractère de l’usage, la nature de l’œuvre protégée, le volume et l’importance de la partie utilisée et l’incidence de l’usage sur le marché potentiel et la valeur de l’œuvre protégée30. A l’inverse, les législateurs français et européens ont fait le choix de retenir une conception synthétique pour les droits patrimoniaux, puisque l’accord de deux prérogatives, le droit de reproduction et le droit de représentation, permet de couvrir tous les actes d’exploitation de l’œuvre, tandis que le législateur des États-Unis a privilégié une conception analytique, chaque acte d’exploitation devant être légalement prévu par la loi afin d’entrer dans le patrimoine des auteurs. Le régime canadien, pour sa part, semble presque intégrer la dualité à son ordre juridique, puisqu’il est composé à la fois d’exceptions spécifiques et d’un « fair dealing », ou « utilisation équitable », exception ouverte qui est toutefois beaucoup plus encadrée que le fair use.

Quoi qu’il en soit, cette opposition légistique entre les systèmes dits ouverts et ceux dits fermés, et plus particulièrement encore entre le régime français et le régime étasunien, est logique. En effet, du point de vue des États de common law, le copyright est une exception à la liberté, il est donc nécessaire qu’il soit réduit au strict nécessaire. En revanche, selon

29 Michel Vivant et Jean-Michel Bruguière, op. cit., note 26.

30 Folsom v March, US 1st Cir (1841) 9 Federal Cases 342 ; US Copyright Act of 1976, Pub L No 94-553,

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les civilistes, le droit d’auteur est un droit naturel et toute limite est une exception à celui-ci, ce qui justifie que les exceptions soient les plus restreintes possible.

Les choix légistiques ont nécessairement des conséquences.

Ils ont tout d’abord des retentissements sur le fond, sur l’étendue, le périmètre, de la protection. Il est souvent dit que le monopole est défini en négatif par les exceptions. En effet, plus les exceptions sont importantes, plus celui-ci sera réduit ; a contrario, plus les exceptions sont minimes, plus le monopole est important. Un parallèle est à faire ici avec la théorie du droit naturel d’Hobbes31, selon laquelle la sécurité individuelle est un droit naturel et les individus réduisent librement leurs libertés pour la préserver. Les droits des auteurs seraient des droits naturels, volontairement restreints afin de pouvoir les conserver. Ces restrictions permettent de dessiner les contours du droit naturel des auteurs, de leur monopole.

Au-delà de l’étendue du monopole, le choix d’un régime d’exceptions ouvert, comme aux États-Unis, ou fermé, comme en Europe, va déterminer si le système sera plus flexible ou plus prévisible. Un régime à l’européenne permettra aux utilisateurs de savoir à l’avance s’ils pourront bénéficier d’une exception, et est donc favorable à la sécurité juridique. En revanche, un régime à l’américaine aura l’avantage de la souplesse, et notamment de l’adaptabilité aux évolutions technologiques.

Les exceptions sont donc un mécanisme fondamental afin de garantir une balance des intérêts qui soit équilibrée, adaptée aux besoins de chaque État, et de ne pas étouffer le droit d’auteur. Elles sont également le reflet des traditions juridiques de droit d’auteur des États.

Lors de la consécration au sein de la Convention de Berne32 d’un droit de reproduction et de la faculté pour les États de prendre des exceptions, est apparue la nécessité d’encadrer ces dernières afin qu’elles ne prennent pas le dessus sur le droit d’auteur. La Conférence de Stockholm, révisant la Convention de Berne, y a donc intégré le « test en trois étapes », également appelé « triple test » ou « test des trois étapes » dans un article 9(2). Ce dernier a été repris, presque à l’identique, dans de nombreux autres textes internationaux et régionaux, en particulier l’Accord sur les aspects des droits de

31 Thomas Hobbes, Léviathan, 1651, au chapitre 13.

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propriété intellectuelle qui touchent au commerce33 (ci-après « Accord sur les ADPIC »), le Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur34, le Traité de l’OMPI sur les droits sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes35, ou encore dans la Directive Droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information de l’Union Européenne36 (ci-après « Directive DADVSI »), cette liste n’étant pas exhaustive.

Comme son nom l’indique, il s’agit d’un test, cela suppose donc que les exceptions soient mises à son épreuve, et celui-ci est composé de trois étapes. Les exceptions ne doivent concerner que certains cas spéciaux, ne pas porter pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre, et ne pas causer de préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur ou de détenteurs de droit, l’expression variant selon le texte. Le principe veut que chaque exception soit confrontée à ce test, dont les conditions sont évidemment cumulatives37, pour pouvoir être applicable. En effet, initialement réservé au droit de reproduction par la Convention de Berne, il a été étendu à l’ensemble des prérogatives patrimoniales par l’Accord sur les ADPIC et le WCT.

Adopté en 1967, le test en trois étapes est donc contemporain de l’apparition des exceptions en droit d’auteur français, du droit de reproduction et des exceptions à celui-ci dans la Convention de Berne. Il apparaît au moment où se pose la question de la concession d’espaces de libertés, face aux droits reconnus aux auteurs, devant permettre de trouver un juste équilibre, ou juste déséquilibre, entre les deux. Le test en trois étapes a vocation à encadrer la concession d’espaces de libertés, à une époque où les textes internationaux laissaient une liberté totale aux États membres concernant la question délicate des exceptions. Le triple test a depuis quelques années un regain d’intérêt, notamment doctrinal mais également jurisprudentiel, tout du moins en Europe, puisque face à la multiplication des nouvelles technologies les moyens de créer, de transmettre et

33 OMC, Accord de Marrakech instituant l’Organisation Mondiale du Commerce, Annexe C1 « Accord

sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce », 15 avril 1994, art 13 [Accord sur les ADPIC].

34 Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur, 20 décembre 1996, art 10 (entrée en vigueur : 6 mars 2002)

[WCT].

35 Traité de l’OMPI sur les droits sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes, 20 décembre

1996, art 16(2) (entrée en vigueur : 20 mai 2002) [WPPT].

36 Directive CE, Directive 2001/29/CE sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des

droits voisins dans la société de l’information, [2001] JO, L 167/10, art 5(5) [Directive DADVSI].

37 Rapport OMC, Groupe spécial, États-Unis – Article 110 5) de la Loi sur le droit d'auteur, OMC Doc

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de stocker des œuvres se renouvellent. Les utilisateurs voient leurs envies de liberté grandir, faisant du test en trois étapes une garantie plus forte et plus nécessaire encore de la protection des auteurs.

Le test en trois étapes est un mécanisme international de droit d’auteur. Il est donc applicable aux systèmes de droit d’auteur de tous les États parties aux conventions au sein desquelles il est proclamé. Il concerne dès lors aussi bien des systèmes de tradition civiliste que ceux de tradition common law, la France ou l’Allemagne que les États-Unis ou le Canada. Les régimes nationaux de droit d’auteur doivent tenir compte du test en trois étapes lorsqu’ils élaborent des règles relatives aux exceptions aux droits exclusifs. Ils sont pourtant diamétralement opposés, aussi bien dans leur conception du droit d’auteur, de ses raisons d’être et de ses finalités, comme vu précédemment, que dans leur régime, comme cela transparaîtra grandement dans les propos à venir.

Comment le test en trois étapes révèle-t-il le dualisme caractéristique des traditions juridiques en matière de droit d’auteur ?

Le test en trois étapes est révélateur de ce dualisme non seulement parce qu’il y trouve ses origines, mais également car il peut constituer un cheval de Troie pour ceux qui souhaiteraient voir l’une des traditions mondialement triompher.

Il s’agira d’envisager le test en trois étapes comme un mécanisme de droit international devant être appliqué dans l’ordre national de chaque État partie à une convention à laquelle il est inscrit, les raisons de son adoption, les objectifs qu’il poursuit, les interprétations et applications qui en sont faites, qui devraient être faites, ou que certains mouvements doctrinaux tentent d’imposer. Il faudra par moment garder une vision supranationale de la question, et parfois préférer, quand cela semblera opportun, une approche comparatiste, en étudiant la législation, la jurisprudence et la doctrine de divers États, et notamment de la France, du Canada et des États-Unis.

Dans un premier temps, il faudra souligner que l’adoption et la réception du test en trois étapes dans les différents ordres juridiques ont été dictées par la diversité de ces derniers (I). L’adoption de la formule du test en trois étapes est le fruit d’un compromis, puisqu’il permet a priori d’accueillir les régimes ouverts comme fermés d’exceptions, lui

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permettant de poursuivre son objectif de garantie d’une protection minimale des auteurs, quel que soit le régime en vigueur. Cependant, l’hétérogénéité de la réception du test dans les différents ordres juridiques démontre bien la diversité de ces derniers et la difficulté à appliquer un mécanisme international commun.

Dans un second temps, le test en trois étapes se révèlera être parfois manipulé par la doctrine, une partie souhaitant l’utiliser afin de faire triompher mondialement la tradition dite de common law en matière d’exceptions au droit d’auteur (II). Seront alors étudiées les propositions doctrinales de réinterprétation du test en trois étapes, qui pour la plupart souhaitent le voir permettre l’adoption d’exceptions ouvertes dans le système fermé qu’est le régime européen. L’Europe fait donc face à une intrusion des traditions dites de « copyright ». Il semble pourtant plus que nécessaire de conserver les différences de régimes, sous peine de les déséquilibrer totalement.

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I.

L’adoption et la réception du test en trois étapes dictées

par la diversité des ordres juridiques

Le test en trois étapes a initialement été adopté dans un souci de compromis et de protection des auteurs à l’échelle mondiale (A). Sa mise en œuvre est cependant mise à l’épreuve de la diversité des ordres juridiques et l’hétérogénéité de la réception du triple test par ces derniers (B).

A. L’adoption du test en trois étapes dans un souci de compromis

et de protection des auteurs

La Convention de Stockholm a fait le choix d’une formule de compromis, permettant aux systèmes ouverts comme fermés de se conformer au test en trois étapes (1), ce qui est particulièrement important puisque l’objectif premier de ce dernier est, peu importe le texte le consacrant, la garantie d’une protection minimale des auteurs (2).

1. Le choix d’une formule de compromis dans la Convention de Stockholm Lors de la naissance du test en trois étapes, au sein de la Convention de Stockholm révisant la Convention de Berne, le choix a été fait de parvenir à une formule de compromis afin de satisfaire tous les États parties à cette Convention, malgré leurs différences de tradition. A donc été adopté un test composé de trois étapes ; la première, celle de cas spécial, est la plus controversée, mais semble finalement adaptée aux systèmes de chaque tradition (a), tandis que les deuxième et troisième, l’absence d’atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre et l’absence de préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur, permettent également d’accueillir les régimes ouverts comme fermés (b). La démonstration de la recherche d’un compromis passera par la définition de ces conditions, sur la base de celle dégagée par le Groupe spécial de l’Organisation Mondiale du Commerce (ci-après « OMC ») dans son rapport38 visant à juger de la compatibilité de l’article 110(5) de la Loi sur le droit d’auteur des États-Unis39,

telle que modifiée par la Loi sur les pratiques loyales dans le domaine des licences

38 Rapport du Groupe spécial de l’OMC, op. cit., note 37, au para 6(74). 39 US Copyright Act of 1976, op. cit., note 30.

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relatives aux œuvres musicales40, avec l’Accord sur les ADPIC. Ces définitions constitueront un acquis auquel certains ajouts ou certaines objections seront faits.

a. Une première condition dit de « cas spécial » controversée mais adaptée aux systèmes de chaque tradition

La première condition à vérifier est celle de « cas spécial ». Il faut l’entendre comme imposant que les exceptions prévues dans les législations nationales soient « clairement définie[s] et [aient] une portée et [une] étendue restreintes »41. Il faut donc

comprendre que la portée des exceptions doit être restreinte aussi bien d’un point de vue qualitatif que quantitatif, et que celles-ci poursuivent un but « exceptionnel » ou tout du moins « reconnaissable »42. Au titre de facteurs quantitatifs, entreront en compte le

nombre de bénéficiaires potentiels de la limitation, ou encore le volume de production rendu possible par cette dernière43. Les facteurs qualitatifs impliquent pour leur part que la limitation concerne par exemple une forme spécifique d’usage, un moyen technique spécifique44. L’existence d’un but spécial ou d’une « politique générale publique légitime »45 uniquement ne suffisent pas. En effet, une telle conception ne serait pas assez restrictive et contreviendrait aux principes d’interprétation des règles l’OMC. L’Organe d’appel de cette dernière a ainsi rejeté les interprétations « fondé[e]s sur l'objectif ou le but subjectif que la législation nationale visait à atteindre »46, estimant que ceux-ci ne pouvaient que servir d’outils permettant de déterminer la portée et la définition de l’exception. Il s’agit en réalité d’éviter que l’exception devienne la règle.

Cette première condition peut sembler la plus sujette à controverse. En effet, si les régimes d’exceptions fermés ne posent aucun souci, les régimes dits ouverts ont tendance à voir leur conformité à cette condition remise en question.

40 Fairness in Music Licensing Act, Pub L No 105–298, 112 Stat 2827 (1998). 41 Rapport du Groupe spécial de l’OMC, op. cit., note 37, au para 6(112). 42 Id., au para 6(109).

43 Id., aux para 6(108), 6(127) et 6(143).

44 Rapport OMC, Groupe spécial, Canada – Patent Protection of Pharmaceutical Products, OMC Doc

WT/DS114/R, aux para 7(34) et 7(37).

45 Id., au para 6(111).

46 Ibid.; Rapport OMC, Organe d’appel, Japon – Taxes sur les boissons alcooliques, OMC Doc

WT/DS8/AB/R WT/DS10/AB/R WT/DS11/AB/R, aux p 21-25; Rapport OMC, Organe d’appel, Communautés européennes – Régime applicable à l’importation, à la vente et à la distribution des bananes, OMC Doc WT/DS27/AB/R, aux para 241, 243 et 246 [CE – Bananes III].

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Les régimes d’exceptions fermés ont des exceptions prévues et précisément définies, auxquelles il faut se conformer pour être exempté d’une autorisation de l’ayant-droit pour exploiter l’œuvre protégée. Le régime européen, par exemple, comprend pour le moment vingt-et-une exceptions, dont une seule obligatoire, toutes consacrées par l’article 5 de la Directive DADVSI. Leurs contours sont précisément définis, puisque des conditions relatives à la personne ou au nombre de personnes pouvant bénéficier de l’exception, à la façon dont l’œuvre protégée peut être exploitée, notamment aux moyens techniques utilisés, ou encore aux objectifs poursuivis par l’utilisation, sont posées. Les États-membres de l’Union Européenne ont la faculté de transposer les exceptions facultatives dans leur législation, et logiquement l’obligation de transposer la seule exception obligatoire. S’ils font le choix d’une telle transposition, ils doivent cependant veiller à respecter les conditions, précises, prévues à l’échelle de l’Union Européenne47. Cela s’explique par l’objectif d’harmonisation du marché intérieur européen, mais permet également de garantir que la condition de cas spécial est également respectée au niveau national. La France a transposé certaines de ces exceptions à l’article L. 122-5 de son Code de la Propriété Intellectuelle48 (ci-après « CPI »), et ses juges privilégient d’ailleurs

une interprétation parfois même jugée trop restrictive par le juge européen49. Dès lors, il est aisé de présumer que les systèmes européen et français respectent a priori la condition de cas spécial sans trop de difficulté. En supposant que les autres régimes fermés fonctionnent d’une façon similaire, et tant que les conditions permettant d’accéder au bénéfice de l’exception sont assez précisément déterminées, il y a peu de doute sur le fait que les cas sont « quantitativement et qualitativement » restreints et que la première étape du test en trois étapes est franchie.

En revanche, les régimes d’exceptions dits ouverts ont tendance à avoir des exceptions dont les contours sont plus difficiles à délimiter. La question se pose d’autant plus lorsqu’il s’agit d’examiner le fair use américain. En effet, celui-ci repose sur la disposition suivante :

47 CJUE 10 avril 2014, ACI Adam BV e.a. c Stichting de Thuiskopie et autres, aff C-435/12, au point 34

[ACI Adam].

48 Code de la propriété intellectuelle, JO, 3 juillet 1992, 8801.

49 CJUE 1er décembre 2011, Eva Maria Painer c Standard VerlagsGmbH et autres, aff C-145/10, au para

133 ; CJUE 3 septembre 2014, Johan Deckmyn et Vrijheidsfonds c Helena Vandersteen, aff C-201/13, dite « Bob et Bobette », au para 21.

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Nonobstant les dispositions des articles 106 et 106A, l’usage loyal d’une œuvre protégée, y compris par reproduction sous forme d’exemplaires ou de phonogrammes ou par tous autres moyens prévus aux termes de ces dispositions, à des fins telles que de critique, de commentaire, de compte rendu d’actualité, d’enseignement (y compris la reproduction en de multiples exemplaires pour l’utilisation en classe), de formation ou de recherche, ne constitue pas une atteinte au droit d’auteur. Afin de déterminer si l’usage d’une œuvre dans un cas déterminé est loyal, les facteurs suivants doivent notamment être pris en considération :

1) le but et le caractère de l’usage, et notamment la nature commerciale ou non de celui-ci ou sa destination à des fins éducatives et non lucratives;

2) la nature de l’œuvre protégée;

3) le volume et l’importance de la partie utilisée par rapport à l’ensemble de l’œuvre protégée;

et 4) l’incidence de l’usage sur le marché potentiel de l’œuvre protégée ou sur sa valeur. Le fait qu’une œuvre ne soit pas publiée n’interdit pas en soi de conclure à un usage loyal si cette conclusion repose sur la prise en compte de tous les facteurs susmentionnés.50

Le régime est donc particulièrement ouvert, puisque cette disposition ne donne que des exemples de types d’actes d’exploitation, de fins auxquelles ils pourraient être autorisés, et une liste de facteurs à l’énoncé particulièrement abstrait. Il est donc légitime d’avoir quelques doutes quant au respect de la condition de cas spécial par ce régime, les exceptions ne semblant pas vraiment être « clairement définie[s] et [avoir] une portée et [une] étendue restreintes »51. Il faut cependant pour le moment laisser le bénéfice du doute

aux États-Unis, qui n’ont jamais été inquiétés quant à leur exception de fair use.

Pourtant, la conformité des régimes ouverts, en général, à la condition de cas spécial ne peut être remise en cause sur le seul fondement de l’exception étasunienne. Il s’avère même qu’une telle condition est tout à fait adaptée aux régimes ouverts en général, il n’y a pour confirmer cela qu’à étudier, même en surface, le régime canadien d’exceptions au Celui-ci est constitué de plusieurs exceptions qui pourraient être qualifiées de spécifiques, et une exception de type ouvert, le fair dealing ou l’utilisation équitable. L’utilisation équitable fait l’objet de l’article 29 de la Loi sur le droit d’auteur canadienne52. Il existe

l’utilisation équitable aux fins d’étude privée, de recherche, d’éducation, de parodie ou

50 US Copyright Act of 1976, op. cit., note 30, art 107, traduction de l’anglais tirée de la Base de données

de l’OMPI sur les textes législatifs de propriété intellectuelle

(http://www.wipo.int/edocs/lexdocs/laws/fr/us/us001fr.pdf).

51 Rapport du Groupe spécial de l’OMC, op. cit., note 37, au para 6(112). 52 Loi sur le droit d'auteur, LRC 1985, c C-42, [LDA].

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de satire, l’utilisation équitable aux fins de critique ou de compte-rendu, et enfin l’utilisation équitable pour la communication des nouvelles. Elle s’analyse en deux étapes. Il faut tout d’abord se demander si l’utilisation a pour but une des fins mentionnées ci-dessus (la recherche, la critique, etc.), puis si elle est équitable53. La jurisprudence fédérale a dégagé six facteurs « susceptibles d'influencer l'appréciation de l'équité, dont aucun n'est déterminant ou contraignant » 54 : « (1) le but de l’utilisation; (2) la nature de l’utilisation; (3) l’ampleur de l’utilisation; (4) les solutions de rechange à l’utilisation; (5) la nature de l’œuvre; (6) l’effet de l’utilisation sur l’œuvre »55. Cette fois, les exceptions semblent être aussi bien quantitativement que qualitativement restreintes. Elles sont restreintes d’un point de vue qualitatif puisqu’elles sont réservées à des usages spécifiques, les fins permettant d’y déroger étant particulièrement précises et limitées, et d’un point quantitatif puisque cette restriction quant au but, associée à l’exigence d’utilisation équitable, réduit considérablement le nombre de potentiels bénéficiaires et le volume de production qui pourrait être engendré.

Les exceptions sont considérées, en droit canadien, comme des droits des utilisateurs. L’arrêt dit CCH56 consolide l’idée selon laquelle l’utilisation équitable est « un droit à

une protection, et non pas seulement une exception »57. Cela implique notamment une

interprétation dite libérale, soit non restrictive, des facteurs de l’utilisation équitable, et dès lors une « plus grande latitude »58 des tribunaux lorsqu’il s’agira d’apprécier l’équité de l’utilisation. Cela pourrait inquiéter quant à la compatibilité de l’utilisation équitable à la condition de cas spécial en particulier. Une partie de la doctrine canadienne s’est d’ailleurs opposée à cette conception, qualifiant le droit des utilisateurs de « faux droit »59, et soulignant que cela contrevenait à la Loi sur le droit d’auteur canadienne et à des traités internationaux, notamment la Convention de Berne60. Quoi qu’il en soit, dans les faits, cette reconnaissance d’un droit des utilisateurs n’a eu que peu d’échos. En raison de la

53 Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c Bell Canada, 2012 CSC 36,

[2012] 2 RCS 326, [2012] 2 SCR 326, [2012] ACS 36, [2012] SCJ 36, au para 13.

54 CCH Canadienne Ltée c Barreau du Haut-Canada (CA), 2002 CAF 187, [2002] 4 CF 213, [2002] ACF

no 690.

55 CCH Canadienne Ltée c Barreau du Haut-Canada, 2004 CSC 13, [2004] 1 RCS 339, [2004] 1 SCR 339,

[2004] ACS 12, [2004] SCJ 12, au para 53 [CCH].

56 Id., au para 48.

57 JurisClasseur Québec Propriété Intellectuelle, « Exceptions et droits des utilisateurs », par David

Lametti, au n°20.

58 Id., au n°21.

59 Pierre-Emmanuel Moyse, « L'abus de droit : l'anténorme -- Partie II » (2012) 58:1 RD McGill 1, au para

60.

60 Ysolde Gendreau, « Canada and the Three-Step Test: A Step in which Direction ? » (2011) 15:2

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faible accessibilité des droits et obligations induits par le droit d’auteur et d’une forte crainte de litiges, les utilisateurs ont peu faire valoir leurs droits. La doctrine canadienne parle même d’un « déni des droits des utilisateurs » « restés un concept abstrait »61.

Cela démontre bien que la condition de cas spécial n’est discriminante pour aucun des deux régimes d’exceptions. L’étude des législations de l’Union Européenne, de la France, des États-Unis et du Canada, permet de conclure que tant les systèmes fermés que les systèmes ouverts peuvent passer l’étape du cas spécial semble pouvoir être avancée. En revanche, cela met également en lumière l’éventualité d’une incompatibilité entre une législation et cette condition, et dès lors l’importance de cette exigence de « cas spécial ».

Une fois la première étape franchie, il faut vérifier que l’exception ne porte pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre et, si cela est avéré, il faut s’assurer qu’elle ne cause pas un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur. Ces deux conditions, largement moins controversées que la première quant à leur compatibilité avec les deux systèmes d’exceptions, s’avèrent également adaptées à chaque système d’exceptions, et même parfois particulièrement proches des régimes ouverts et des « facteurs » qu’ils mettent en œuvre.

b. Un duo d’étapes à connotation économique adaptées aux régimes ouverts comme fermés

Si la condition de cas spécial est remplie, il faut examiner la deuxième condition, selon laquelle l’exception ne doit pas porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre. L’exploitation est définie par le Groupe spécial de l’OMC comme « l'activité par laquelle les titulaires du droit d'auteur » « tire[nt] une valeur économique des droits sur l'œuvre »

62. Les droits exclusifs sont le moyen juridique permettant d’exploiter l’œuvre.

L’exploitation est considérée comme normale lorsqu’elle « constitu[e] un type ou une norme ou s'y conformant; courant, habituel, classique, ordinaire, usuel... »63. Selon le

61 JurisClasseur Québec Propriété Intellectuelle, op. cit., note 57 ; Samuel E. Trosow, « Bill C-32 and the

Educational Sector: Overcoming Impediments to Fair Dealing » dans Michael Geist, dir, From « Radical

Extremism » to « Balanced Copyright »: Canadian Copyright and the Digital Agenda, Toronto, Irwin Law,

2010, à la page 542.

62 Rapport du Groupe spécial de l’OMC, op. cit., note 37, aux para 6(165) et 6(171).

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Groupe spécial, la première partie de la définition a une connotation plus normative, tandis que la seconde est plus empirique.

Afin de déterminer si une utilisation constitue une atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre, il faudrait avoir deux analyses, une correspondant à chaque définition dégagée précédemment. Dans le cadre de la définition à connotation normative, il faudrait se demander si les exploitations autorisées par l’exception constituent une « concurrence à l’utilisation économique [de l’œuvre] »64 du détenteur de droits, « le priv[ant] de ce fait

de gains commerciaux significatifs ou tangibles. »65 Dans le cadre de la définition à connotation empirique, la question à se poser est celle de savoir « s'il y a des segments du marché où le titulaire du droit d'auteur s'attendrait d'ordinaire à exploiter l'œuvre, mais ne peut pas le faire à cause de cette exception »66. En combinant ces deux conceptions, il faudrait finalement se demander si, en cas de mise en œuvre de l’exception, l’ayant-droit serait privé de bénéfices économiques, réels ou potentiels, compte tenu « [des] manières dont on pourrait raisonnablement s'attendre qu'un auteur exploite son œuvre en temps normal »67.

Il est à noter qu’il faut, pour apprécier le caractère normal de l’exploitation, tenir compte de tous les droits afférents à l’œuvre, sans en avoir une approche globale mais en étudiant chaque droit au cas par cas. En effet, l’absence d’atteinte à certains droits ne peut en aucun cas contrebalancer une atteinte à d’autres. Cette interprétation est conforme à la méthode de règlement des différends adoptée par l’OMC, en vertu des clauses de non-discrimination du General Agreement on Tariffs and Trade (ci-après « GATT »).

Si cette deuxième condition est remplie, il faudra alors examiner la troisième, selon laquelle il ne faut pas que l’exception cause de préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur ou du détenteur de droits.

Le Groupe spécial de l’OMC définit tout d’abord le terme « intérêt », qu’il entend largement, estimant qu’aucune signification de ce terme ne doit être écartée. Il y aurait alors principalement trois conceptions des « intérêts ». Il pourrait tout d’abord désigner

64 « Convention internationale pour la protection des œuvres littéraires et artistiques : propositions de

révision des dispositions relatives au droit d'auteur (articles 1 à 20) / préparées par le Gouvernement de la Suède avec le concours des BIRPI » dans Actes de la Conférence de Stockholm de la Propriété Intellectuelle

(1967), vol 1, Genève, OMPI, 1971, à la p 112.

65 Rapport du Groupe spécial de l’OMC, op. cit., note 37, au para 6(183). 66 Id., au para 6(177).

67 Sam Ricketson, The Berne Convention for the Protection of Literary and Artistic Works: 1886-1896,

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un droit ou un titre relatif à une propriété, mais également une « préoccupation concernant un avantage ou un détriment potentiel »68 ou encore, de façon plus générale, quelque chose qui revêt une certaine importance. Le Groupe spécial souligne que « la notion d'« intérêts » ne se limite pas nécessairement à un avantage ou à un détriment économique réel ou potentiel »69. La définition retenue du terme « légitime » est duale : ce qui est licite du point de vue du droit positif, mais également, d’un point de vue plus normatif, ce qui est justifiable au regard des objectifs poursuivis par la protection par les droits exclusifs. La notion de « préjudice » est pour sa part explicitée sur la base de la définition donnée par l’Oxford English Dictionary, selon laquelle il s’agit d’un « tort ou dommage (…) »70. Le Groupe spécial, pour déterminer ce que signifie le terme « injustifié », se fonde sur la signification de la traduction du terme « justifié » en anglais, soit « reasonable », qui serait entendu comme « proportionné », « dans les limites du raisonnable, (…) approprié » ou « d'un montant ou d'une ampleur juste, moyenne ou appréciable »71.

Le Groupe spécial insiste sur le fait qu’un intérêt légitime n’est pas nécessairement celui qui a trait à la valeur économique des droits exclusifs72. Bien que l’article 9.1 de l’Accord

sur les ADPIC exclue le droit moral, ce dernier peut tout à fait être considéré comme pouvant constituer un intérêt légitime au sens de la troisième condition du test73. La

question principale est celle de savoir à partir de quand le préjudice est considéré comme injustifié. Selon le Groupe spécial, il s’agirait du préjudice qui « une exception ou limitation engendre ou risque d'engendrer un manque à gagner injustifié pour le titulaire du droit d'auteur »74. Selon cette définition, le manque à gagner, et donc l’aspect économique, semble être le seul critère pertinent afin de déterminer si le préjudice est injustifié ou non. Une telle définition, aussi bien de l’intérêt légitime que du préjudice injustifié, peut en partie s’expliquer par le fait que le texte de l’Accord sur les ADPIC, qui intéresse le Groupe spécial, évoque les intérêts du détenteur des droits. Pour autant, la Convention de Berne et le WCT visent l’auteur. Or, un principe général d’interprétation signifie qu’il faut favoriser un sens qui permet de concilier les différents textes et d’éviter qu’ils entrent en conflit. Dans un souci de respect de ce principe général d’interprétation,

68 Rapport du Groupe spécial de l’OMC, op. cit., note 37, au para 6(223). 69 Ibid.

70 Oxford English Dictionary, op. cit., note 46, sub verbo « préjudice ». 71 Id., sub verbo « justifié ».

72 Rapport du Groupe spécial de l’OMC, op. cit., note 37, au para 6(227).

73 André Lucas, « Pour une interprétation raisonnable du triple test, ou pourquoi il faut éviter d’ajouter du

flou au flou » (2009) 3 Auteurs & Média 227, à la p 228.

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et afin de ne pas mettre de côté la première expression du test en trois étapes qui est celle de la Convention de Berne, il conviendrait donc d’ajouter à cette définition les intérêts non-économiques, notamment moraux, et les préjudices pouvant en découler.

Ces deux conditions ont donc une consonance particulièrement économique. Il a même pu être dit que le test en trois étapes constituait dès lors un renouveau de l’analyse économique des exceptions au droit d’auteur en droit français75. En effet, il s’agit d’une approche laissant « une place primordiale à la logique de l’investissement et de l’entreprise »76, qui est donc tout à fait familière aux régimes ouverts77, mais qui de prime abord peut sembler plutôt étrangère aux régimes fermés.

Au sein des systèmes ouverts, l’analyse économique, lorsqu’il s’agit d’exceptions, est fréquente78 ; il n’y a qu’à s’intéresser aux facteurs utilisés par le fair use et listés, de façon non exhaustive, à l’article 107 du Copyright Act américain79, pour s’en convaincre. Le quatrième facteur, l’incidence de l’usage sur le marché potentiel et la valeur de l’œuvre protégée, revient à se demander si l’utilisation en cause, devant déroger aux droits exclusifs, prive le titulaire de ces derniers de revenus ou d’une hausse de revenus qui aurait eu lieu en l’absence d’une telle utilisation. Le parallèle avec la deuxième et la troisième étape du test en trois étapes est aisée. En effet, l’appréciation de l’atteinte à l’exploitation normale peut être considérée comme l’analyse économique du degré d'« éviction du marché »80, et l’exploitation de la valeur économique de l’œuvre peut constituer un intérêt légitime auquel il ne doit pas y avoir d’atteinte injustifiée. Les logiques de marché et de gains sont donc particulièrement présentes.

Cette logique dite économique se retrouve également dans le premier facteur du fair use, qui tient au but et au caractère de l’usage. En effet, se pose alors, entre autres, la question de savoir si l’usage a été « transformatif »81. Il faudra alors se demander si la reprise de l’œuvre première a été effectuée dans le but de créer une œuvre seconde susceptible d’être protégée par le copyright, si l’œuvre seconde « ajoute quelque chose de nouveau, un autre

75 Benoît Galopin, Les exceptions à usage public en droit d’auteur, Paris, IRPI, 2012, à la p 407. 76 Id., à la p 411.

77 Richard A. Posner et William M. Landes, « An Economic Analysis of Copyright Law » (1989) 18:2 The

Journal of Legal Studies 325.

78 Ibid.

79 US Copyright Act of 1976, op. cit., note 30, à l’art 107.

80 Rapport du Groupe spécial de l’OMC, op. cit., note 37, au para 6(177) et 6(178).

81 Luther R Campbell aka Luke Skyywalker et al Petitioners v Acuff-Rose Music Inc, 510 US 569 (1994) :

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but ou un caractère différent, donnant à la première une nouvelle expression, un nouveau sens, un nouveau message »82. Les exceptions sont alors un moyen de créer de la valeur, et s’inscrivent dans une « approche qui tend considérer que l’intérêt général justifiant les exceptions ne prend pas uniquement en compte les intérêts des utilisateurs, mais de tous les acteurs, et que les considérations économiques n’en sont pas exemptes »83, ce qui traduit bien, encore une fois, l’omniprésence de la logique économique au sein du régime étasunien d’exceptions au droit d’auteur.

Au sein des systèmes fermés, l’idée selon laquelle ces derniers sont strictement personnalistes et auteur-centrés peut fausser l’analyse. En effet, s’il est aisé de croire que les exceptions sont détachées de toute approche économique, ce n’est en réalité pas le cas.

Tout d’abord, il est indéniable que les intérêts économiques sont pris en compte lors de l’adoption d’exceptions, aussi bien à l’échelle européenne que nationale. Il ne faut pas oublier que l’Union Européenne a pour objectif l’établissement d’un marché intérieur, qu’elle a adopté la Directive DADVSI afin de développer la société de l’information, et souhaite, en assurant un niveau de protection élevé du droit d’auteur, « [encourager] des investissements importants dans des activités créatrices et novatrices, notamment dans les infrastructures de réseaux, et [favoriser] ainsi la croissance et une compétitivité accrue de l'industrie européenne »84. De plus, les termes dans lesquels sont adoptées les exceptions, les conditions permettant à celle-ci d’être mises en œuvre, ont forcément comme objectif sous-jacent de limiter les préjudices économiques infligés aux auteurs par des utilisations n’impliquant pas d’autorisation préalable. Le mécanisme de compensation équitable, qui se retrouve dans le régime de diverses exceptions, comme celui de la copie privée85, traduit également ces préoccupations d’ordre économiques. Par ailleurs, cette appréciation économique des exceptions n’est finalement pas si étrangère au juge français. Elle rappelle les conditions de l’ancien régime d’exceptions français, qui était fondé sur les notions de faute et de préjudice. Les juges de la Cour de cassation n’ont ainsi pas hésité, lors de leur premier arrêt mettant en œuvre le test en trois étapes, avant même la transposition de celui-ci en droit français, à fonder leur

82 Ibid. : « adds something new, with a further purpose or different character, altering the first with new

expression, meaning, or message. »

83 Benoit Galopin, op. cit., note 75, à la p 409.

84 Directive DADVSI, op. cit., note 36, au considérant 4. 85 Id., art 5(2)b.

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raisonnement sur « l’importance économique que l’exploitation de l’œuvre (…) représente pour l’amortissement des coûts de production »86.

L’analyse économique a donc, incontestablement, une place en droit français, aussi bien dans la législation que dans la jurisprudence, et dans les systèmes d’exceptions fermés en général, bien ce que soit dans une moindre mesure que dans les régimes ouverts. En revanche, le choix des mots « injustifiée » et « légitime » dans l’énoncé de la troisième étape démontre bien que celle-ci induit une certaine balance des intérêts. Séverine Dusollier a d’ailleurs pu qualifier cette étape d’« outil visant à apprécier la proportionnalité entre l’octroi de l’exception et la préservation des intérêts de l’auteur »87. Or, ce système de balance des intérêts est inhérent aux exceptions ouvertes telles que le

fair use, et étranger aux régimes fermés. En effet, comme a pu le soutenir M. Gaubiac,

« en principe, le critère en droit français n’est pas le préjudice subi par l’auteur, puisque même en l’absence de préjudice, si l’utilisation n’est pas prévue comme exception, une telle utilisation est soumise à l’autorisation de l’auteur »88. C’est alors plus de ce point de vue, que de celui du caractère économique des deuxième et troisième étapes, que celles-ci sont moins accueillantes pour les régimes fermés.

Il s’agit donc en somme d’un test composé de trois étapes aux formules abstraites et permettant aux États de tradition civiliste et de tradition common law, aux régimes d’exceptions fermés comme ouverts, de le respecter. La nécessité de ce compromis était imposée par le caractère international de ce mécanisme, comme l’a rappelé le Président de la Conférence pour la protection des droits de l’auteur de 1984 : « Si, d’une part, certaines délégations eussent désiré une protection des droits d’auteur plus étendue et plus uniforme, il a fallu tenir compte, d’autre part, que les principes idéaux dont nous poursuivons le triomphe ne peuvent faire le chemin que graduellement dans les pays si divers que nous désirons voir dans l’Union. »89 Un tel compromis est également une concession nécessaire pour garantir un seuil minimal de protection des auteurs à l’échelle internationale.

86 Cass civ 1re, 28 février 2006, Bull Civ 2006 I 115 n°126.

87 Séverine Dusollier, « L’encadrement des exceptions au droit d’auteur par le test des trois étapes » (2005)

3 Intellectuele Rechten Droits intellectuels 212, à la p 227.

88 Yves Gaubiac, « Rapport national France » dans Les frontières du droit d’auteur : ses limites et

exceptions, Australian Copyright Council, 1999, à la p 229.

89 Numa Droz, « Procès-verbal de la sixième séance de la Conférence pour la protection des droits de

l’auteur » dans La Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques de 1886 à

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2. L’adoption d’un test garantissant une protection minimale des auteurs L’adoption du test en trois étapes, aussi bien dans la Convention de Stockholm de 1967 que dans les consécrations suivantes de ce test, a été guidée par la volonté d’encadrer les exceptions afin de protéger, a minima, les auteurs (a). Cet objectif de protection se retrouve dans différentes décisions qui ont pu être rendues, aussi bien à une échelle internationale que nationale, concernant tant des régimes ouverts que fermés d’exceptions au droit d’auteur (b).

a. Un test adopté dans une volonté de protection des auteurs

Le test en trois étapes a indéniablement vocation à garantir une protection minimale des auteurs, face à l’hétérogénéité des régimes de protection offerts aux auteurs à travers le monde. Cela se confirme lors de la lecture du test à la lumière de différents outils et méthodes d’interprétation.

L’interprétation a un rôle capital concernant ce test, puisqu’elle permet de mettre en lumière les objectifs qu’il poursuit, et dès lors la façon dont il doit être appliqué dans les différents ordres juridiques. Elle a une « fonction essentielle de réalisation de la norme qui, sinon, se réduirait à un simple énoncé vide de sens et donc de force », comme l’a exposé M. Dubout90, reprenant la thèse de l’école de la théorie réaliste de l’interprétation91. En effet, le mécanisme international qu’est le test en trois étapes a particulièrement besoin de ces diverses interprétations qui, bien qu’elles ne soient pas toujours précisément objectivées dans les développements le concernant, lui permettent de se réaliser, guidant les juges et la doctrine s’y intéressant.

La première méthode d’interprétation permettant d’affirmer que le triple test a vocation à garantir une protection minimale des auteurs est l’interprétation téléologique. Cette interprétation est « constructive », « centrée sur la recherche de l’objet et de la réalisation des buts »92 du texte.

90 Edouard Dubout, « Interprétation téléologique et politique jurisprudentielle de la Cour Européenne des

Droits de l’Homme » (2008) 74 Revue Trimestrielle des Droits de l’Homme 383, à la p 384.

91 Michel Troper, La théorie du droit, le droit, l’État, Paris, PUF, 2001. 92 Edouard Dubout, op. cit., note 90, à la p 385.

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Or, la Convention de Berne a justement comme objectif premier la protection des auteurs et, comme l’indique son titre, « la protection des œuvres littéraires et artistiques »93. Elle a en effet été adoptée sous la pression des auteurs, dans le contexte particulier du développement du marché du livre, et de la recrudescence de la contrefaçon, qui nécessitaient l’adoption de solutions internationales uniformisées. Première convention internationale en la matière, il s’agissait alors d’instaurer une protection fondée, dans les différents ordres juridiques, sur des concepts similaires, afin de permettre une protection la plus large possible. Cela ressort particulièrement bien des propos liminaires de la Convention de Berne, selon lesquels à l’origine de celle-ci se trouve le « désir [des États parties] de protéger d’une manière aussi efficace et aussi uniforme que possible les droits des auteurs sur leurs œuvres littéraires et artistiques »94. En somme, cette Convention a permis d’atténuer les grandes différences entre les deux principales conceptions, garantissant ainsi une protection minimale des auteurs à l’échelle internationale, tout en permettant aux traditions juridiques de coexister.

La Convention de Stockholm, ayant révisé la Convention de Berne en 1967 en y ayant notamment intégré le test en trois étapes, poursuit nécessairement un objectif semblable. Il ressort des travaux préparatoires de cette Convention que l’une des principales tâches de la Conférence était alors d’introduire un droit général de reproduction, et notamment « des dispositions constituant le jus conventionis », qui est qualifié de « minimum de protection »95. Il ressort de cette adoption d’un « minimum de protection » un effort de compromis, afin de laisser aux États parties la marge de manœuvre nécessaire pour conserver ses diverses approches de la matière, mais également toujours le même souhait de garantir un seuil minimal de protection des auteurs.

L’apparition soudaine du test en trois étapes s’explique alors simplement. En effet, la reconnaissance d’un droit de reproduction s’est accompagnée de la faculté, pour les États parties, d’adopter des exceptions. Or, il fallait à la fois respecter leurs traditions et régimes juridiques, ce qui interdisait de dresser une liste des exceptions admises, et encadrer cette faculté. L’absence totale de garde-fou n’aurait qu’incité certains États à prendre des

93 Convention de Berne, op. cit., note 30. 94 Ibid.

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