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L'usage de la clementia romaine durant les conflits mithridatiques (88-63 a.C.)

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L’usage de la clementia romaine durant les conflits

mithridatiques (88-63 a. C.)

Mémoire

Alexandre Dussault

Maîtrise en histoire

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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L’usage de la clementia romaine durant les conflits

mithridatiques (88-63 a. C.)

Mémoire

Alexandre Dussault

Sous la direction de :

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iii

RÉSUMÉ

En 88 a. C., le roi du Pont Mithridate VI Eupator, en tant qu’instigateur des vêpres éphésiennes qui coûtèrent la vie à des milliers de Romains, déclencha un conflit avec Rome qui dura un quart de siècle. Au cours de ces guerres dites « mithridatiques », les armées républicaines remportèrent de nombreuses victoires au terme desquelles les généraux romains devaient traiter avec les vaincus et décider du sort qui leur serait réservé. Ce mémoire s’intéresse plus particulièrement à cette relation entre les vainqueurs et les vaincus en cherchant à déterminer si les généraux romains firent preuve de

clementia envers les peuples battus. En plus des sources littéraires, un corpus, composé

de six textes épigraphiques, est sollicité. Sylla, Lucullus et Pompée, les trois généraux romains qui dirigèrent les opérations contre les troupes de Mithridate, occupent une place primordiale dans cette étude en vertu des pouvoirs qu’ils possédaient sur leurs propres soldats et sur les ennemis vaincus.

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iv

TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ... iii

LISTE DES ABRÉVIATIONS ... v

INTRODUCTION ... 1

CHAPITRE I : De la guerre à la clémence des généraux romains ... 10

1.1 Les guerres mithridatiques ... 10

1.2 La clementia romaine ... 18

1.3 Les généraux romains ... 23

1.3.1 Sylla, premier vainqueur de Mithridate ... 24

1.3.2 Lucullus ... 27

1.3.3 Pompée ... 30

CHAPITRE II : Corpus épigraphique ... 34

1. Sénatus-consulte de Stratonicée (81 a.C.) ... 36

2. Sénatus-consulte de Tabai (81/0 a.C.) ... 45

3. Lettre de Sylla à Thasos et sénatus-consulte de Thasos (80 a.C.) ... 47

4. Sénatus-consulte d’Oropos (73 a.C.)... 53

5. Sénatus-consulte de Mytilène (55 a.C.) ... 59

6. Lettre du proconsul d’Asie à la cité de Chios (entre 5 et 14 p.C.) ... 61

CHAPITRE III : La clementia durant les conflits mithridatiques ... 66

3.1 Sylla : la réponse de la République aux vêpres éphésiennes ... 66

3.2 Lucullus : le général philhellène ... 82

3.3 Pompée : le vainqueur attendu ... 90

CONCLUSION ... 98

CARTE I ... 101

CARTE II ... 102

BIBLIOGRAPHIE ... 103

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v

LISTE DES ABRÉVIATIONS I. Périodiques

AJA = American Journal of Archeology AJAH = American Journal of Ancient History

ANRW = Aufstieg und Niedergang der römischen Welt ArchEph = Archaiologike Ephemeris

BCH = Bulletin de correspondance hellénique BE = Bulletin épigraphique

CAH = Cambridge Ancient History

CRAI = Comptes-rendus des séances de l’année – Académie des inscriptions et belles-lettres

GRBS = Greek, Roman and Byzantine Studies JS = Journal des savants

REG = Revue des etudes grecques

RFIC = Rivista di Filologia e Istruzione Classica

II. Corpus épigraphique

CIG = Corpus Inscriptionum Graecarum Fontes = Fontes iuris romani antique IG = Inscriptiones Graecae

IGR = Inscriptiones Graecae ad res Romanas pertinentes

I. Oropos = Petrakos, V. C. Les inscriptions d’Oropos. Athènes, Bibliothèque de la

Société Archéologique, 1997

I. v. Stratonikeia = Sahin, M. Ç. Die Inschriften von Stratonikeia. Osterreichische

Akademie der Wissenschaften, Rheinisch-Westdlische Akademie der

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vi

MAMA = Buckler, W. H. et W. M. Calder. Monumenta Asiae Minoris antique, VI, Monuments and Documents from Phrygia and Caria. Manchester, The

Manchester University Press, 1939

OGIS = Dittenberger, W. Orientis Graeci inscriptions selectae. Hildesheim, G. Olms,

1960 (1903-1905). [2 vol.]

RDGE = Sherk, R. K. Documents from the Greek East : Senatus Consulta and Epistulae to the Age of Augustus. Baltimore, John Hopkins Press, 1969

SEG = Supplementum Epigraphicum Graecum

Stiftungen = Laum, B. Stiftungen in der griechischen und römischen Antike. Aalen,

Scientia Verlag, 1964

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1

INTRODUCTION

Le dernier siècle de la République romaine, qui s’ouvre par la révolution gracchienne1, marque une époque trouble dans les affaires intérieures de Rome. Bien qu’elle échouât, l’idée des Gracques fit son chemin, tant et si bien que Saturninus et Glaucia d’abord, puis M. Livius Drusus, reprirent une partie du programme gracchien quelques années plus tard, sans plus de succès2. Ce désir de bouleverser l’ordre établi ne manqua pas de susciter des réactions violentes de la part de la nobilitas qui souhaitait protéger ses privilèges. L’assassinat de ces promoteurs de changement marqua le début d’un climat de violence dans la Ville qui trouva son apogée dans le conflit opposant les factions mariennes et syllaniennes. Cet affrontement, qui éclata en 88, prit fin après la marche victorieuse de Sylla sur Rome avec ses troupes l’année suivante. Le général attaqua la ville sans défense et massacra ou exila ses adversaires avant de partir mener sa campagne asiatique3. À son retour d’Asie, Sylla trouva, malgré le décès de Marius

quelques années auparavant, la faction marienne au pouvoir. Il amorça alors sa reconquête de l’Italie, qui dura deux ans et au cours de laquelle il mena ses troupes pour la seconde fois contre Rome4. Cette guerre civile fit de nombreuses victimes dans les deux camps, mais le vainqueur décida d’aller plus loin encore et, dans le but d’éliminer tous ses opposants, afficha le nom de centaines de citoyens proscrits5.

S’ajoutèrent à ces événements, qui se déroulèrent à Rome même, des périls extérieurs que la République s’attacha à combattre. Elle dut dépêcher des troupes en Afrique contre le roi numide Jugurtha, contre les Cimbres et les Teutons qui attaquaient ses alliés au nord de Rome, contre les alliés italiens qui réclamaient la citoyenneté romaine et pour mater plusieurs révoltes d’esclaves qui éclatèrent entre le dernier tiers du IIe siècle et le

1 La concentration des terres de l’ager publicus entre les mains des citoyens les plus riches fut l’élément déclencheur de cette initiative des frères T. et C. Gracchus qui visait à rendre la terre aux paysans qui avaient dû prendre les armes à l’appel de Rome. Cf. A. Lintott, The Cambridge Ancient History, Vol. 9, p. 53-59; C. Nicolet, Rome et la conquête du monde méditerranéen, Tome I, p. 130-136.

2 A. Lintott, CAH, p. 98-103; C. Nicolet, op. cit., I, p. 136-137.

3 La marche sur Rome fut décidée par Sylla après que le tribun P. Sulpicius eut fait voter plusieurs lois, dont une qui retirait à Sylla la conduite de la guerre en Asie pour la remettre entre les mains de Marius. Cf. R. Seager, CAH, p. 167-172.

4 A. Keaveney, Sulla: The Last Republican, p. 107-119.

5 Les proscriptions de Sylla, qui causèrent la mort de centaines de citoyens romains, ont été décrites par plusieurs auteurs antiques. Cf. Florus, Œuvres, II, 9; Plutarque, Sylla, 31, 5-12; Velleius Paterculus,

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2

premier tiers du Ier siècle6. Même pour une société organisée comme celle des Romains, qui partageait le pouvoir militaire entre plusieurs magistrats et qui disposait d’une importante réserve de soldats, il est manifeste qu’au tournant du premier siècle, le nombre d’événements nécessitant l’intervention des armées républicaines dépassait leur capacité d’action. Dans ce contexte, les dirigeants se devaient de choisir minutieusement les endroits où ils interviendraient et surtout la nature de leur engagement.

En Orient, les cités grecques, après les défaites de Philippe V et de Persée face aux Romains à Cynoscéphales et Pydna, se montrèrent plus prudentes et hésitèrent à s’opposer à la puissance occidentale. Lorsqu’Attale III mourut, en 133, il légua son royaume de Pergame au peuple romain7. Cette décision provoqua la révolte d’un prétendu héritier du nom d’Aristonikos qui refusait le démantèlement du royaume attalide. Bien qu’il soit parvenu à obtenir l’appui de quelques cités de l’intérieur, la plupart des cités asiatiques choisirent de combattre aux côtés des Romains. Après l’élimination du prétendant, Rome procéda à la création de la province d’Asie en 1298. Jusqu’à la fin du

IIe siècle, le climat de paix qui régnait dans la nouvelle province donna l’occasion à la République d’envoyer ses légions dans les régions plus problématiques dont il a été question plus haut. Mais l’accession au trône de Mithridate VI Eupator, en corégence d’abord, puis comme monarque unique en 112, bouleversa la situation et marqua le début d’une longue confrontation entre le royaume du Pont et Rome.

Problématique

Dans ce contexte d’instabilité à Rome, il m’est apparu intéressant d’articuler ma recherche autour des vingt-cinq années de conflit (88-63 a.C.) qui opposèrent Mithridate

6 La guerre de Jugurtha commença en 112 et se termina en 105. Dans les mêmes années, les Cimbres et les Teutons voyaient leurs opérations couronnées de succès non seulement contre les alliés de Rome, mais contre Rome elle-même sans toutefois parvenir à profiter de leur avantage. Ils furent finalement vaincus en 101. La guerre contre les cités italiennes prit fin en 88 après l’adoption d’une série de lois qui montraient une certaine ouverture de Rome envers les cités de la péninsule. Les révoltes serviles de Sicile (134-131 et 103-101) et celle de Campanie (103) mobilisèrent une partie des forces romaines, mais celle de Spartacus (73-71) fut la plus dangereuse tant par sa durée, par sa proximité avec la Ville et par les succès remportés par les esclaves. Cf. C. Nicolet, op. cit., I, p. 290-295 et II, p. 631-634, 690; A. Lintott,

CAH, p. 92-95.

7 É. Will, Histoire politique du monde hellénistique, Tome II, p. 416-417. 8 Ibid., p. 419-422.

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3

et la République romaine. Il semblait important d’étudier le traitement des vaincus par les Romains lors d’un conflit avec une puissance extérieure alors qu’un climat de violence régnait à l’intérieur de la Ville. Cette étude apparaît d’autant plus intéressante qu’elle permet de juger des assertions de certains auteurs antiques, comme Diodore et Appien, qui virent, dans la destruction de Carthage et de Numance par les Romains, un retournement de leur politique de clementia en faveur d’une politique de terreur9. Afin d’évaluer le traitement des vaincus par Rome, le concept de clementia, qui sera approfondi au chapitre I, paraissait tout désigné particulièrement à cette époque. En effet, après les guerres puniques, cette vertu devint de plus en plus importante et répandue dans l’Empire romain jusqu’à être associée étroitement à César vers le milieu du Ier siècle a.C.10.

À Rome, bien que le pouvoir soit partagé entre les magistrats11 et le Sénat, ce sont les membres de ce dernier qui prenaient les décisions importantes et donc qui détenaient le réel pouvoir sur les affaires de la cité12. Les sénateurs étaient constamment consultés puisque leur aval était nécessaire dans toutes les sphères de la société (religion publique, relations extérieures, finances, administration intérieure, etc.). Après le règlement d’un conflit, le général victorieux devait faire ratifier ses actes par le Sénat afin que ceux-ci deviennent effectifs. Lorsque le processus était complété, la ratification prenait la forme d’un sénatus-consulte13. À cet effet, le rôle de ce Conseil est considérable pour cette

étude, mais celui des généraux responsables de mener les opérations sur le terrain l’est encore plus pour une raison évidente. La guerre que mena la République contre Mithridate en Asie se déroula à une distance de Rome qui rendait difficiles et lentes les

9 Diodore, XXXII, 4, 4-5; Appien, VI, 15, 95-98. Cf. J. de Romilly, La douceur dans la pensée grecque, p. 248-249.

10 J. de Romilly, op. cit., p. 257.

11 Les magistratures sont exercées collégialement, pour éviter que le pouvoir ne se concentre entre les mains d’un seul, la plupart du temps pour un an et sont électives. Il existe une hiérarchie et des préalables à respecter avant de proposer sa candidature pour certains postes. Les magistrats principaux sont : les consuls, les préteurs, les maîtres de la cavalerie, les censeurs, les édiles, les tribuns de la plèbe et les questeurs. Cf. C. Nicolet, op. cit., I, p. 397-402.

12 « Nos ancêtres firent du Sénat le tuteur, le défenseur, le protecteur de l’État; ils ont voulu que les magistrats soient en quelque sorte les ministres de ce Conseil imposant. » Cicéron, Discours. Pour

Sestius, 137.

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communications entre le Sénat et le champ de bataille14. Ce faisant, les imperatores désignés eurent à prendre des décisions qui avaient d’énormes répercussions sans demander l’avis sénatorial. Pour les aider dans ce processus, ils pouvaient consulter leur conseil de guerre qui était composé de certains officiers et de quelques sénateurs qui accompagnaient les troupes15.

Il apparaît donc essentiel, pour déceler la présence ou non de clementia dans les rapports entre les Romains et les peuples vaincus pendant les guerres mithridatiques, de s’intéresser aux généraux qui furent choisis pour commander les troupes en Orient. Pour ce faire, l’utilisation des sources littéraires devient indispensable et s’ajoute à celle des sources épigraphiques qui ont un caractère plus officiel et fournissent des renseignements plus précis sur les conséquences du conflit pour une cité en particulier. Alors que chaque document épigraphique est unique et rend compte des décisions prises par les dirigeants, les textes littéraires permettent de connaître les événements selon le point de vue de différents auteurs, qui écrivent à diverses époques et avec des buts propres à chacun. Il est évident que ces sources, en raison de leur caractère subjectif, appellent à la prudence lorsque vient le temps de traiter de leur contenu. Le défi majeur de cette étude réside dans le fait qu’elle s’oriente autour d’un concept, la clementia, qui doit être étudié de la manière la plus objective possible tout en tentant d’évaluer, avec nos yeux de modernes, les buts recherchés par les vainqueurs après un conflit. Pour y parvenir, il faut juger, entre autres, de l’historique des relations entre les deux peuples, de la participation de la cité vaincue au conflit et du moment où la cité en question entra en guerre. Il sera possible de constater, dans le cœur de cette recherche, que les auteurs antiques et les chercheurs modernes ne s’entendent pas toujours pour juger du traitement réservé à une cité vaincue lors de ce long conflit.

Cette étude cherchera donc à déterminer si les généraux qui commandèrent les armées romaines lors des guerres mithridatiques (88-63 a.C.), firent preuve de clementia dans leur traitement des cités, peuples et royaumes vaincus. Cette recherche, qui utilise des sources essentiellement grecques pour analyser une vertu romaine peut sembler

14 L’expansion de l’Empire romain eut pour conséquence une modification importante dans la façon de mener la guerre dans des endroits éloignés de l’Italie. Après Sylla, la plupart des généraux qui furent envoyés avec des troupes étaient des promagistrats qui recevaient d’importants pouvoirs décisionnels. Cf. C. Nicolet, op. cit., I, p. 376.

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paradoxale, mais je crois qu’il s’agit plutôt de son intérêt principal puisque ce sont les Grecs qui eurent à subir les conséquences de leur décision de combattre les Romains aux côtés de Mithridate. Ainsi, les sources qui furent rédigées par des Grecs permettent de connaître leur propre compréhension d’un processus de traitement des vaincus différent de celui auquel ils furent habitués entre Hellènes. En effet, comme il sera possible de le constater tout au long de cette étude, les façons romaines et grecques de faire la guerre, mais aussi de régler le conflit une fois celui-ci terminé, différaient passablement. Il demeure, néanmoins, que cet usage des sources grecques pour évaluer un concept romain place certains écueils dont je suis conscient et qui seront traités au chapitre I.

En terminant, il me semble important de souligner qu’en utilisant les sources romaines autant que grecques, cette recherche s’inscrit véritablement dans l’époque à laquelle elle s’intéresse. En effet, au Ier siècle a.C., l’histoire des royaumes hellénistiques

est intrinsèquement liée à la présence romaine en Orient qui se fait de plus en plus persistante et comme l’affirme É. Will : « bien qu’elle [la période représentant le dernier siècle de l’histoire hellénistique] tende désormais à perdre, qu’elle ait en fait déjà perdu son autonomie, c’est d’histoire hellénistique qu’il s’agit ici et non d’histoire romaine. »16.

Il est évident que la place des Romains dans cette étude est importante puisqu’ils sortirent vainqueurs de cette longue guerre et par conséquent, purent raconter leurs exploits et leur version des événements. Malgré cela, bien que le concept approfondi soit romain, que ce soit les généraux de Rome qui eurent à l’appliquer, ce sont les cités grecques vaincues qui sont au centre de cette étude.

État de la question

Malgré l’importance accordée par les auteurs anciens au conflit entre Rome et Mithridate17, relativement peu d’études en français ou en anglais se sont intéressées

précisément à ces affrontements. Il faut dire que la première étude d’importance écrite sur

16 É. Will, op. cit., p. 461.

17 Sans énumérer tous les auteurs anciens qui ont parlé de ces événements et dont il sera abondamment question dans cette étude, mentionnons qu’Appien d’Alexandrie consacra à ce conflit un livre entier de son Histoire romaine.

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Mithridate, celle de T. Reinach, était exhaustive18. Non seulement l’auteur s’est intéressé au conflit entre Rome et le royaume du Pont, mais aussi à la personnalité du roi de même qu’à la géographie de ce royaume. Bien que cet ouvrage date de la fin du XIXe siècle, il

demeure essentiel pour quiconque s’intéresse aux conflits mithridatiques19. La qualité de

cette œuvre explique peut-être pourquoi il faut patienter près d’un siècle avant qu’un nouvel ouvrage entièrement consacré au roi pontique ne soit entrepris. L’étude de B. C. McGing, publiée en 1986, couvre beaucoup plus que la politique étrangère comme son titre le laisse d’abord penser20. Suivant le modèle adopté précédemment par

T. Reinach, l’historien réserve un chapitre à la géographie, à la description du royaume et aux prédécesseurs d’Eupator avant de s’intéresser plus en détail au début du règne de Mithridate VI et aux conflits mithridatiques. Ces chapitres sont évidemment étoffés de nouveaux éléments, grâce à la découverte de textes épigraphiques et de sources numismatiques, qui étaient inconnus de T. Reinach. La section sur la propagande de Mithridate pour rallier les cités grecques à sa cause (p. 109-121) est particulièrement intéressante pour la présente étude. Quelques années plus tard, F. de Callataÿ aborda le sujet sous un autre angle en étudiant la monnaie à l’époque du règne de Mithridate21. Il s’agit d’un ouvrage très technique et difficile à utiliser pour en connaître davantage sur le traitement des vaincus par les Romains pendant ces conflits. Néanmoins, cette étude permet de constater qu’il y eut des périodes d’émission de monnaies plus intenses dans le royaume pontique. Ces frappes monétaires sont ensuite liées par l’auteur à certains épisodes des conflits ce qui apporte un éclairage nouveau sur les possibles intentions et la préparation en vue d’un conflit de la part de Mithridate.

En ce qui concerne Rome, il est impensable de faire un recensement de tous les ouvrages écrits sur sa politique extérieure tant la chose fut discutée et étudiée. Néanmoins, pour la présente étude, l’ouvrage de 1984 de A. N. Sherwin-White fut très important22. Au-delà de l’épineuse question de l’existence ou non d’un impérialisme

18 T. Reinach, Mithridate Eupator, 471 p.

19 Certains éléments chronologiques établis par T. Reinach ont été discutés et remis en question depuis la parution de son ouvrage. Cf. B. C. McGing, The Foreign Policy of Mithridates; F. de Callataÿ, L'histoire

des guerres mithridatiques vue par les monnaies; D. G. Glew, « Between the Wars: Mithridate Eupator

and Rome, 85-73 B. C. », Chiron, 11 (1981). 20 B. C. McGing, op. cit.

21 F. de Callataÿ, op. cit.

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romain et du moment de son apparition qui n’est pas l’objet de mon travail, les relations entre Rome et les cités ou royaumes en Orient occupent une place importante dans la discussion. A. N. Sherwin-White aborde cette question de façon à montrer l’évolution et les changements dans l’attitude de Rome envers les cités et royaumes hellénistiques notamment. Dans cette optique, il est possible de constater une intervention croissante de la République dans les affaires orientales tout au long de la période étudiée (168 a.C.-1 p.C.). Toutefois, l’auteur tente de démontrer que l’accroissement du contrôle qu’exerce Rome sur les cités et royaumes orientaux n’est que la résultante des événements qui se déroulent dans cette partie du monde. Cette vision des choses revêt un intérêt indéniable pour ce travail puisque les raisons ayant motivé l’armée romaine à entrer en guerre eurent possiblement des répercussions sur la façon dont les vaincus furent traités une fois le conflit terminé. Publié dix ans plus tard, l’ouvrage de R. M. Kallet-Marx couvre une période beaucoup moins étendue (148-62 a.C.) et adopte une approche différente23. Tout en s’intéressant aux événements militaires, l’auteur cherche à comprendre l’évolution des structures en ayant recours, notamment, aux textes épigraphiques. Il en arrive à la conclusion que les conflits mithridatiques représentent une rupture importante dans l’histoire des relations de Rome avec l’Orient. En raison du danger que représentait Mithridate, la République n’avait d’autre choix que d’intervenir directement et fermement pour contrer les visées expansionnistes du roi pontique. Par conséquent, l’attitude de Rome par rapport à l’Orient évolue de l’hégémonie à l’impérialisme. Comme les conflits mithridatiques représentent un moment déterminant dans le changement d’attitude de Rome, il faudra porter attention aux agissements des généraux et à leur façon de régler les conflits par rapport aux affrontements précédents pour tenter de déceler la présence ou non de modifications dans les façons de faire typiquement romaines.

Concernant des sujets plus précis, le livre de J. de Romilly décrit l’évolution de l’idée et de l’application de la douceur chez les Grecs depuis Homère jusqu’au début de la période chrétienne24. Les chapitres XIV et XV furent indispensables pour mon étude

puisqu’ils font le lien entre la clementia romaine et la douceur grecque. Il y est

23 R. M. Kallet-Marx, Hegemony to Empire. 24 J. de Romilly, op. cit.

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notamment question des équivalences entre le concept romain et les termes grecs, ce qui est essentiel puisque la plupart des textes littéraires qui parlent des conflits mithridatiques furent rédigés en grec. Les recherches de M. Bonnefond-Coudry sur le Sénat romain fournissent également des enseignements primordiaux25. Le Sénat de la République

romaine est divisé en deux parties dont la seconde est la plus utile pour mon propos

puisqu’il y est question des séances mêmes du Sénat et de leur déroulement. Cet ouvrage fournit donc un éclairage intéressant sur les procédures sénatoriales et le processus menant à l’adoption d’un sénatus-consulte. Il faut finalement mentionner le livre d’A. H. M. Jones consacré aux cités d’Asie Mineure26. L’auteur a privilégié l’approche

chronologique plutôt que l’approche thématique, ce qui permet difficilement de suivre l’évolution d’une cité donnée dans le temps. Néanmoins, à l’aide de l’index, il est possible de trouver des informations précises sur plusieurs cités et ainsi connaître leurs relations avec Rome de même que leur sort à la fin des grands conflits qui marquent l’époque hellénistique.

Dans le contexte de cette recherche où les généraux romains qui œuvraient sur le champ de bataille avaient d’importants pouvoirs, le genre biographique fut d’un grand secours. Pour la présente étude, les travaux de J. Carcopino, A. Keaveney, J. Leach, R. Seager et J. Van Ooteghem furent retenus. Ces biographies des généraux (Sylla, Lucullus et Pompée) qui dirigèrent les troupes romaines face à Mithridate sont essentielles pour bien comprendre le caractère de ces hommes. La clementia est une vertu, une prédisposition de la personne à annuler ou réduire un châtiment mérité par une autre personne à la suite de ses agissements. Il est donc important de connaître le tempérament de ces généraux et de pouvoir comparer leurs pratiques durant les conflits mithridatiques avec leurs comportements dans d’autres circonstances semblables. En terminant, il est impossible de passer sous silence l’article de P. Grimal qui fut à l’origine de ce mémoire. Dans son article de 1984, l’auteur décrit l’évolution progressive du concept de clementia et son importance au cours des diverses périodes de l’histoire romaine. Il est également question des diverses facettes de ce concept et de ses différences avec la philanthrôpia grecque.

25 M. Bonnefond-Coudry, Le Sénat de la République romaine. 26 A. H. M. Jones, The Cities of the Eastern Roman Provinces.

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Plan

Afin de bien saisir le contexte de cette recherche, le chapitre I débutera par une synthèse des conflits mithridatiques entre Rome et le royaume du Pont entre 88 et 63 a.C. Il sera ensuite question du concept de clementia. Son évolution, depuis sa première mention dans les textes, sera dressée, le terme sera défini et les limites de son analyse seront mentionnées. Pour conclure cette première partie, le caractère et la personnalité des trois imperatores (Sylla, Lucullus et Pompée) qui combattirent Mithridate en Orient seront étudiés. Le chapitre II, quant à lui, sera réservé à la présentation du corpus de sources épigraphiques. Les six textes retenus seront présentés, reproduits en grec avec leur lemme et traduits. Finalement, le chapitre III présentera les résultats de l’analyse de ces textes et des textes littéraires dans le but de déceler la présence ou non de clementia dans le traitement des vaincus par la puissance romaine. L’approche chronologique sera privilégiée dans ce chapitre puisqu’elle permettra de mieux comprendre les décisions prises par chacun des généraux et de les replacer dans leur contexte.

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CHAPITRE I

De la guerre à la clémence des généraux romains

Avant de s’attarder plus en détail aux origines de la clementia, à sa définition ainsi qu’à son évolution, il est important de relater les grands événements des guerres mithridatiques qui fournissent le cadre chronologique au présent mémoire. Ces affrontements, qui s’échelonnèrent sur une période de plus d’un quart de siècle27 et qui

opposèrent Rome au roi du Pont Mithridate VI Eupator, marquèrent les esprits des contemporains et des auteurs qui écrivirent sur ces événements28. Ce conflit important, mais peu connu, fut le dernier sursaut du monde hellénistique pour s’émanciper de la domination romaine croissante sur le monde méditerranéen.

1.1 Les guerres mithridatiques29

À la mort de son père Mithridate V, le jeune Eupator30 dut partager le pouvoir conjointement avec son frère et sa mère. C’est d’ailleurs à ce moment que Rome révoqua la donation de la Grande-Phrygie, révocation qui choqua Eupator31. Après s’être débarrassé de sa mère et de son frère, Mithridate occupa seul le pouvoir vers 112. Il tenta alors d’agrandir les frontières de son royaume à l’est et au nord du Pont-Euxin. Après une campagne (110-108) menée par son général Diophante, la Crimée passa sous son pouvoir

27 Cette étude portera essentiellement sur les années 88 à 63, bien que des événements préparant les premiers affrontements se déroulèrent avant cette date, puisque l’escalade du conflit s’opéra nettement à partir de 88 avec la seconde invasion du Pont par Nicomède IV de Bithynie et la réponse sanglante de Mithridate qui mena aux vêpres éphésiennes et qui déclencha la riposte de Rome.

28 Velleius Paterculus, Histoire romaine, II, 18, 23-25, 33-37; Plutarque, Sylla, 10-25; Plutarque, Lucullus, 2-35; Plutarque, Pompée, 24-41; Florus, Œuvres, I, 40-41; Appien, Histoire romaine, XII; Dion Cassius,

Roman History, XXXVI-XXXVII; Justin, Abrégé des Histoires philippiques, XXXVII, 4; XXXVIII;

XL, 2; Orose, Histoires, VI. Bien que les récits des auteurs anciens demeurent primordiaux pour notre connaissance des événements de l’époque, il convient de toujours lire ces textes avec circonspection. Les buts visés par les auteurs lors de l’écriture de leurs œuvres peut parfois les avoir mené à exagérer ou à atténuer certains détails.

29 Seules les grandes lignes de ces conflits seront ici évoquées. Pour plus de détails: É. Will, op. cit., p. 461-512; A. N. Sherwin-White, Roman Policy, p. 132-206; D. Magie, Roman Rule in Asia Minor, I, p. 199-231 et 302-363; T. Reinach, op. cit., p. 123-397.

30 Il avait environ 12 ans à la mort de son père en 120. É. Will, op. cit., p. 469.

31 La Grande-Phrygie avait été donnée au royaume du Pont comme récompense de l’aide apportée par les armées pontiques aux Romains lors de la guerre contre Aristonikos. É. Will, op. cit., p. 463.

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de même que la Petite-Arménie et la Colchide32. Bien qu’il ne soit pas possible d’affirmer que ces campagnes avaient pour but de préparer une éventuelle confrontation avec Rome, elles permirent au roi pontique de remplir les coffres de son trésor, notamment grâce à la Crimée qui était très riche en ressources, mais surtout de se doter d’une impressionnante réserve en hommes qui allait lui servir lors des affrontements contre les armées romaines33.

À la suite de ces succès, Mithridate chercha à étendre son territoire en Asie. Si ses premières victoires avaient été acquises aux dépens de peuplades mal organisées, ses projets futurs nécessitaient un mélange adroit de diplomatie et de succès militaires pour être menés à bien. Comme il convoitait la Paphlagonie, mais redoutait que son invasion complète n’inquiète la Bithynie, dont il deviendrait alors le voisin immédiat, il chercha l’alliance de son roi, Nicomède, avec qui il partagea le territoire une fois conquis34. Cette

alliance fut toutefois rompue lorsque Nicomède envahit la Cappadoce en 10235. Mithridate parvint à chasser le Bithynien et assassina Ariarathe VII afin de lui substituer un de ses fils. Ces événements forcèrent l’intervention de Rome qui ordonna, par l’entremise du Sénat, la liberté de la Cappadoce de même que l’évacuation complète de la Paphlagonie par les anciens alliés devenus ennemis36. Craignant maintenant un affrontement prématuré avec la République, le roi pontique compta sur l’intervention de son gendre Tigrane, roi d’Arménie, dont les récentes conquêtes avaient permis d’agrandir son territoire et d’avoir une frontière commune avec la Cappadoce qu’il attaqua. Tigrane chassa Ariobarzane et rétablit le fils de Mithridate sur le trône déclenchant une réponse

32 T. Reinach, op. cit., p. 65-72.

33 T. Reinach décrit très bien les résultats de ces guerres : « Ainsi se fermait le cycle des conquêtes, les unes sanglantes, les autres pacifiques, par lesquelles Mithridate avait triplé l’étendue de ses États et les ressources de son trésor, assuré le recrutement de ses flottes et de ses armées, procuré à son royaume un grenier à blé : la Chersonèse Taurique, un arsenal : la Colchide, une citadelle : la Petite-Arménie. ». T. Reinach, op. cit., p. 80. Pour le contrôle sur le commerce s’exerçant en mer Noire par Mithridate grâce à ses possessions littorales, voir également D. B. Shelov, « Le royaume pontique de Mithridate Eupator »,

JS, 3-4 (1982), p. 263-264.

34 Cette campagne est à situer vers 107. É. Will, op. cit., p. 473.

35 Afin de s’assurer la loyauté de la Cappadoce, Mithridate avait placé sur le trône son neveu Ariarathe VII après avoir assassiné son propre beau-frère. Eupator croyait pouvoir compter sur sa sœur Laodice, mère d’Ariarathe VII, mais celle-ci accueillit Nicomède et accepta même de l’épouser. É. Will, op. cit., p. 473. 36 Peu après, les Cappadociens réclamèrent un roi aux Romains. Ariobarzane, un souverain étranger à la

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immédiate du Sénat qui envoya Sylla pour rétablir le roi déchu37. Eupator chercha également à profiter de la mort du roi bithynien, qui laissait le royaume à son fils Nicomède IV, en appuyant le demi-frère de ce dernier, Socrate. Après que le roi légitime se fut rendu devant le Sénat pour protester, une nouvelle ambassade romaine fut envoyée sur-le-champ et rétablit sans peine les deux rois sur leurs trônes respectifs38.

Cette commission sénatoriale exigea des indemnités à Mithridate qui refusa d’obtempérer. Manius Aquilius, le chef de la mission, convainquit alors Nicomède d’envahir le Pont ce à quoi le roi pontique préféra répondre par la diplomatie plutôt que par la force39. Feignant d’ignorer qu’Aquilius lui-même était l’initiateur de l’attaque, Mithridate demanda aux Romains soit d’intervenir auprès du roi bithynien pour qu’il retire ses troupes soit de lui permettre de se défendre contre cette violation de son territoire40. À la suite de la réponse romaine, Ariobarzane fut encore une fois expulsé du trône de la Cappadoce par les armées pontiques et l’affrontement armé avec la Bithynie fut déclenché à l’hiver 89-88.

L’armée de Nicomède fut vaincue lors de son entrée en Paphlagonie, au printemps de 88, et les hommes restants fuirent auprès de M’ Aquilius et de L. Cassius Longinus, le gouverneur romain de la province d’Asie41. Mithridate poursuivit sa marche vers l’Égée

et parvint à se débarrasser rapidement des trois chefs romains lui barrant la route. Il vainquit d’abord Aquilius, qui dut se réfugier dans Pergame, puis força L. Cassius à se retirer sur le haut Méandre et Q. Oppius, à la tête d’une troisième force romaine, dans Laodicée du Lykos42. Après que ce dernier eut été livré par les habitants, Aquilius et L. Cassius préférèrent quitter le continent par la mer. Alors que le chef de la mission

37 Sylla compléta sa tâche avec succès, mais ce règlement ne fut pas durable puisque dès l’année suivante, Ariobarzane parut à Rome, alors aux prises avec la guerre sociale en Italie, pour protester contre un nouveau renversement de son pouvoir par Mithridate en faveur de son fils. É. Will, op. cit., p. 473-474. 38 Rome avait à ce moment maté la révolte en Italie et avait la possibilité d’intervenir avec plus de

ressources en Asie si la situation le requérait. É. Will, op. cit., p. 474.

39 La même demande d’invasion du territoire pontique avait été faite à Ariobarzane qui préféra s’abstenir. Nicomède avait contracté de nombreuses dettes envers les publicains romains et y vit probablement une chance de les rembourser en pillant les villes ennemies. É. Will, op. cit., p. 474.

40 Les Romains, en répondant qu’ils ne pouvaient permettre à Mithridate de s’en prendre à leur allié Nicomède, montrèrent clairement leurs intentions aux yeux du roi pontique.

41 D. Magie, op. cit., I, p. 212. 42 É. Will, op. cit., p. 212-213.

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sénatoriale partit vers Mytilène, le gouverneur d’Asie s’embarqua pour l’île de Rhodes43. Les cités d’Asie, libérées des troupes romaines, ouvrirent leurs portes aux armées pontiques de façon presque systématique. Le roi fut accueilli en libérateur dans pratiquement toutes les cités qu’il rencontra44. Il semble que les cités étaient épuisées par

des années d’exactions financières des publicains romains qui affluèrent en grand nombre après la création de la province d’Asie, en 129, dans le but de s’enrichir aux dépens de la population asiatique45. Comme le dit É. Will : « La province d’Asie n’était qu’un champ

ouvert aux rapines des financiers romains. »46. Mithridate sut se servir de cette haine de la

population envers les Romains et prit soin de s’assurer que le destin de l’Asie soit lié au sien par un massacre qui ébranla l’Italie tout entière.

Le roi organisa, depuis Éphèse, où il installa son quartier général, le massacre des Romains se trouvant toujours dans les différentes cités d’Asie47. Parmi les nombreuses

victimes du massacre se trouvaient les riches financiers romains dont les biens, une fois confisqués, permirent à Mithridate de déclarer une exemption fiscale de cinq ans pour les habitants d’Asie. S’étant assuré de la loyauté d’une grande partie des cités asiatiques par ses actions, Mithridate décida d’étendre son champ d’opérations. Il tourna donc ses yeux vers l’Europe, mais pas avant d’avoir tenté de prendre l’île de Rhodes qui résista pendant une grande partie de l’année 88 au siège des armées pontiques qui durent rebrousser

43 Si L. Cassius fut protégé par les Rhodiens, il n’en fut pas de même pour M’. Aquilius qui fut livré par les Mytiléniens lors de la capitulation de la cité. Mithridate l’exécuta pour en faire un exemple. É. Will,

op. cit., p. 477.

44 Parmi les cités qui s’opposèrent à Mithridate et qui furent durement châtiées par la suite se trouve Stratonicée de Carie. É. Will, op. cit., p. 478; S. Bélanger, Le sort des cités hellénistiques au cœur des

conflits entre Mithridate et Rome : le cas de Stratonicée de Carie, p. 22.

45 Sur les actions des publicains et la tentative d’un proconsul d’Asie pour rétablir l’équilibre entre ceux-ci et les provinciaux, cf. E. Badian, « Q. Mucius Scaevola and the Province of Asia », Athenaeum, 34 (1956), p. 104-123.

46 É. Will, op. cit., p. 463.

47 Mithridate envoya une lettre aux cités leur demandant de mettre à mort tous les citoyens romains, y compris les femmes et les enfants, résidant sur leur territoire à une date fixée à trente jours après la rédaction de la lettre. É. Will, op. cit., p. 478. Le nombre de victimes que firent les « vêpres éphésiennes » varie selon les sources. Valère Maxime, IX, 2, ext. 3 et Memnon, 231a (= Photius, IV, 224) parlent de 80 000 morts alors que Plutarque (Sylla, 24, 4), en se fondant sur les Mémoires de Sylla, une source donc biaisée, estime que le nombre de victimes fut de 150 000. Néanmoins, ces chiffres restent critiqués. Cf. R. M. Kallet-Marx, op. cit., p. 155, qui pose une question judicieuse : « Who counted? ». A. J. N. Wilson, Emigration from Italy in the Republican Age of Rome, p. 125-126, tout en soulignant que la grande majorité des Romains qui se trouvaient en Asie au moment du massacre a dû périr, doute que 80 000 Romains se trouvaient dans la province en 88. P. A. Brunt, Italian Manpower, p. 224-227, considère également le nombre de 80 000 exagéré en raison de la propension des auteurs anciens à gonfler les chiffres. Contra, J. Hatzfeld, Les trafiquants italiens dans l’Orient hellénistique, p. 45-46.

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chemin sans avoir accompli leur mission. Pendant qu’une partie de ses troupes faisait route par la terre en passant par la Thrace et la Macédoine avant de descendre en Thessalie et d’atteindre la Grèce centrale, sa flotte se dirigeait vers Athènes par la mer Égée en prenant les îles au passage48. Les cités et les îles tombèrent les unes après les autres aux mains des troupes pontiques, soit par la force ou par ralliement et même Athènes, après de longs débats entre les partis favorisant Rome ou Mithridate, pencha du côté d’Eupator49. Voyant leurs appuis s’effriter peu à peu en Orient, les Romains

réagirent par l’envoi de L. Cornelius Sylla, celui-là même qui avait paru quelques années auparavant le temps de rétablir une première fois Ariobarzane sur le trône de la Cappadoce.

Sylla débarqua avec ses cinq légions en Épire, au printemps de 8750. Après une première rencontre victorieuse contre le stratège pontique Archélaos, Sylla entreprit le siège d’Athènes et de son port, le Pirée. Athènes fut finalement prise, le 1er mars 86, dans

ce que la tradition a décrit comme un bain de sang, quelque temps avant que le Pirée ne tombe également entre les mains des troupes romaines et ne soit détruit51. Archélaos était néanmoins parvenu à s’échapper vers le nord et à prendre le commandement d’une armée pontique. Il rencontra Sylla en bataille rangée deux autres fois et l’issue de ces batailles, qui se déroulèrent à Chéronée et Orchomène, fut encore favorable aux Romains52. La situation en Europe devenant soudainement favorable la République, Sylla amorça sa marche vers l’Asie, dont les cités commençaient à se repentir des actes commis et à ressentir le poids de l’autorité pontique qui réclamait toujours plus d’hommes et d’argent53. Peu à peu, les cités d’Asie se révoltèrent contre Mithridate en apprenant les

victoires romaines sans équivoque en Europe. Éphèse fut la première à secouer le joug et

48 Délos fut particulièrement touchée par les affrontements en raison du nombre important d’Italiens résidant dans l’île qui furent massacrés comme leurs compatriotes en Asie. É. Will, op. cit., p. 478. 49 Concernant les échanges entre le parti pro-romain et le parti pro-pontique à Athènes avant la guerre et

l’évolution de la situation à l’intérieur de la cité cf. E. Badian, « Rome, Athens and Mithridates », AJAH, 1 (1976), p. 105-128.

50 D. Magie, op. cit., I, p. 220. 51 É. Will, op. cit., p. 481.

52 A. N. Sherwin-White, Roman Policy, p. 139-140.

53 É. Will, op. cit., p. 482. T. Reinach, op. cit., p. 179 : « Le peuple murmurait contre la longue durée de la guerre, en voyant partir tous les jours des levées de conscrits, qui pour l’Attique, qui pour l’Eubée, qui pour la Macédoine, s’engouffrant les unes après les autres dans la fournaise insatiable. Si Mithridate n’exigeait pas, comme Rome, la dîme des terres, jamais, en revanche, la dîme du sang n’avait pesé aussi lourdement sur l’Asie grecque. ».

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d’autres emboîtèrent le pas, faisant comprendre au roi pontique que les événements jouaient maintenant contre lui. Il envoya aussitôt Archélaos pour traiter de la paix avec Sylla.

Après que Mithridate eut refusé certains termes de la paix imposée par le vainqueur, le général romain menaça de passer en Asie54. Au même moment, le consul de l’année

86, L. Valerius Flaccus, débarqua en Épire avec la mission de reprendre à Sylla le commandement de la guerre contre Mithridate, si bien qu’Eupator choisit de traiter avec Sylla pour terminer cette guerre qui menaçait l’Asie et s’approchait dangereusement de son propre royaume55. Sylla réorganisa rapidement la province d’Asie et repartit pour Rome où des affaires pressantes requéraient son attention56. L. Licinius Muréna fut nommé nouveau gouverneur d’Asie et reçut également la tâche d’assurer la police des mers contre les pirates qui sévissaient maintenant sur toute la mer Égée57. Muréna parut toutefois plus intéressé par les affrontements terrestres contre Mithridate lui-même et laissa la guerre contre les pirates à un légat qui ne parvint pas à arrêter leur expansion. Alléguant de préparatifs militaires pontiques et d’une évacuation seulement partielle de la Cappadoce par Mithridate, Muréna viola la paix de Dardanos, contractée entre le roi du Pont et Sylla, mais jamais signée en bonne et due forme, en procédant à un raid sur le territoire du Pont, en 83. Eupator, comme lors des attaques bithyniennes de 89, se contenta d’envoyer des ambassades à Rome58. Bien que le Sénat lui ait ordonné de

respecter la paix conclue par Sylla, Muréna recommença une troisième fois ce qui conduisit cette fois à une riposte victorieuse du roi pontique qui en profita également pour

54 D. Magie, op. cit., I, p. 229-230.

55 A. N. Sherwin-White, Roman Policy, p. 142.

56 Pour obtenir le commandement de la guerre contre Mithridate, Sylla avait dû écarter Marius, qui convoitait la même charge. Bien que Sylla ait eu gain de cause et ait forcé Marius à s’enfuir en Afrique, celui-ci profita du départ de son adversaire pour la Grèce afin d’effectuer un retour à Rome et briguer le consulat. Si Marius mourut quelques jours après son entrée en fonction, ses partisans, les marianistes, en profitèrent pour installer un climat de terreur dans la Ville avec pour cible principale les amis et la famille de Sylla. Ce dernier désirait donc en finir au plus vite avec Mithridate, ce qui pourrait expliquer que le règlement du conflit ne fut pas totalement achevé et permit au roi pontique de revenir à la charge et de tenir tête à Rome pendant vingt autres années. É. Will, op. cit., p. 485; D. Magie, op. cit., I, p. 230-231. 57 La piraterie était devenue un phénomène endémique dans la mer Égée depuis la disparition du royaume

de Pergame mais surtout l’affaiblissement de Rhodes au milieu du IIe siècle, l’île étant jusque-là parvenue à assurer la police des mers forte de sa puissante flotte et de l’appui indéfectible des Lagides. Malgré quelques tentatives romaines au début du Ier siècle, les pirates, qui s’organisaient depuis les côtes de la Cilicie, gagnaient du terrain. É. Will, op. cit., p. 464-465.

58 Procédé qu’il renouvela lors d’une seconde attaque de Muréna l’année suivante. É. Will, op. cit., p. 490; D. G. Glew, op. cit., p. 122.

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reparaître en Cappadoce et en chasser Ariobarzane de nouveau. Ce fut l’intervention de Sylla qui mit fin au conflit en rappelant Muréna et en arrangeant la paix entre Mithridate et Ariobarzane59.

Après cette altercation, qui est parfois appelée seconde guerre mithridatique, il y eut une accalmie de plusieurs années dans le conflit entre les armées pontiques et romaines. Mithridate cherchait à se refaire des forces et à contracter des alliances pendant que les Romains devaient composer avec le rebelle Sertorius en Espagne60. La mort de

Nicomède IV, en 74, eut toutefois des répercussions sur le royaume du Pont puisque le Bithynien légua son royaume à Rome qui transforma aussitôt le territoire en province61. Mithridate profita de l’occasion pour envahir la nouvelle province et fut accueilli à bras ouverts par la population qui subissait à nouveau les exactions financières des publicains. La riposte romaine fut menée par L. Lucullus, un des consuls de 73, qui rassembla plusieurs légions dispersées en Asie. Alors que Mithridate maintenait Cyzique en état de siège, Lucullus parvint à occuper une position favorable lui permettant de couper les ravitaillements de l’armée ennemie qui devint par le fait même assiégée plutôt qu’assiégeante. Le roi entreprit une retraite par mer qui le ramena dans ses États pendant que le général romain écrasait les restes de l’armée pontique laissée derrière et reprenait le contrôle de la Bithynie62.

Lucullus lança alors une attaque directement contre le Pont en assiégeant Amisos et accepta d’affronter Mithridate sur le Lykos. Ce dernier ayant eu le dessus grâce à sa cavalerie, l’armée romaine parvint difficilement à se retrancher dans les montagnes laissant penser que l’avantage basculait du côté pontique. Pourtant, le roi décida alors de se retirer en Arménie auprès de son gendre Tigrane63. Plutôt que de poursuivre l’armée

ennemie, Lucullus resta dans le Pont et réduisit les dernières résistances, si bien que Mithridate ne possédait alors même plus son royaume ancestral64. Malgré tout cela, le

59 É. Will, op. cit., p. 491.

60 Le Romain Q. Sertorius, ancien général de Marius, tenta d’établir un État rival à celui de Rome en Espagne avec son propre Sénat. Il remporta des victoires importantes sur des armées romaines, tint tête à la République pendant cinq ans et contracta même une alliance avec Mithridate avant d’être assassiné par ses proches en 72 alors qu’il combattait Pompée. D. Magie, op. cit., I, p. 322-326.

61 A. N. Sherwin-White, Roman Policy, p. 161-162. 62 É. Will, op. cit., p. 492.

63 Ibid., p. 492.

64 La Crimée lui échappait également depuis que le vice-roi, son fils Macharès, avait accepté de traiter avec Lucullus. É. Will, op. cit., p. 493.

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général romain demeurait conscient du danger que représentait Eupator tant qu’il était en vie et envoya son beau-frère Appius Claudius Pulcher en Arménie pour réclamer que Tigrane livrât le fugitif65. Pulcher revenant avec une réponse négative, Lucullus amorça sa marche vers l’Arménie avec ses légions, en 69. Après avoir obtenu quelques succès sur le territoire de Tigrane, les soldats romains refusèrent de suivre plus longtemps leur général qui apprit au même moment que son commandement sur la Cilicie, l’Asie, la Bithynie et le Pont lui avait été retiré66. Ce revirement de situation permit à Mithridate de

revenir dans le Pont au début de 67, où il fut accueilli en libérateur en forçant les garnisons romaines à abandonner leurs positions67. Vingt ans après les vêpres éphésiennes, l’ennemi de la République, que représentait le roi pontique, était non seulement toujours vivant, mais en possession de son territoire ancestral et capable de se refaire des forces en vue d’une nouvelle offensive.

Face à cet ennemi redoutable, Rome dépêcha Cn. Pompée qui était parvenu, parce que pourvu de pouvoirs extraordinaires, à éradiquer les pirates de la Méditerranée en six mois seulement68. Ce fut pour remettre les pouvoirs à cet homme que Lucullus vit tous ses commandements de même que la conduite de la guerre contre Mithridate lui être retirés. Eupator tenta bien de négocier dès le départ avec son nouvel adversaire, mais celui-ci resta de marbre, forçant le roi à se retirer vers ses anciennes possessions au nord du Pont-Euxin pour tenter de reconquérir la Crimée qui lui avait fait défection. Pompée se rendit donc maître du Pont avant la fin de l’été 66 et décida de ne pas suivre Mithridate dans sa dangereuse expédition. Il préféra tourner son attention vers l’Arménie où il reçut la soumission de Tigrane69. Un an seulement après être revenu en possession de son royaume grâce à la défection des hommes de Lucullus, le roi pontique se trouvait en retraite obligée par un nouvel adversaire qui avait déjà réussi à reprendre le Pont et à obtenir la soumission de Tigrane, privant ainsi Eupator de son allié le plus important en Asie.

65 A. N. Sherwin-White, Roman Policy, p. 173. 66 É. Will, op. cit., p. 496.

67 Ibid., p. 496.

68 La lex Gabinia conférait à Pompée le pouvoir sur toutes les mers jusqu’aux Colonnes d’Hercule et sur 400 stades (75 km) à l’intérieur des terres. Ce dernier aspect de la loi lui permit d’entrer dans les terres en Cilicie afin d’éradiquer le problème à la source après avoir quadrillé la Méditerranée et séparé les secteurs entre ses vingt-quatre légats. Plutarque, Pompée, 25, 1-5.

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Mithridate parvint néanmoins à atteindre la Crimée, en 65, et à reprendre le territoire des mains de son fils70. Il semblerait que le vieux roi ait échafaudé un dernier plan d’attaque contre les Romains, mais la population et son armée étaient lasses de ses projets et des guerres incessantes qui duraient depuis un quart de siècle avec plus de défaites que de victoires71. En 63, son fils Pharnace parvint à se faire acclamer roi par l’armée et

Mithridate, contraint au suicide, demanda à un guerrier gaulois de mettre fin à ses jours72. Ainsi mourrait cet ennemi de Rome en Orient, qui combattit pendant vingt-cinq ans plusieurs généraux de la République.

C’est dans ce contexte que je m’intéresserai au traitement des vaincus par les Romains pendant ce conflit qui s’était ouvert avec le massacre violent d’hommes, de femmes et d’enfants romains. Plus précisément, je tenterai d’évaluer dans quelle mesure la clementia est intervenue dans ce traitement après les actes cruels qui se déroulèrent pendant les vêpres éphésiennes de 88. Pour ce faire, il convient d’abord de définir la

clementia et de s’intéresser à ses origines et son évolution.

1.2 La clementia romaine

La clementia fit l’objet d’un traité de Sénèque à l’attention de l’empereur Néron73. Le philosophe souhaitait ainsi que son jeune protégé, dont il était le conseiller, agisse selon la raison bien plus que selon ses passions contrairement aux empereurs précédents74. Néanmoins, Sénèque ne fut pas le premier à utiliser ce terme, attesté dans la langue latine plusieurs siècles auparavant. Chez Plaute, il désigne une personne « qui se laisse fléchir » et donc qui n’est pas intransigeante alors que, plus tard, à l’époque de Catulle, le mot

clemens est utilisé pour qualifier une pente douce, un vent léger : c’est donc dire que des

70 T. Reinach, op. cit., p. 397.

71 Il semble que Mithridate nourrit alors l’ambition d’une invasion de l’Italie, censée être sans défense en raison de la présence de Pompée en Asie, par l’Europe. Il caressait le projet de suivre le cours du Danube pour entrer en Italie par le nord avec l’aide d’alliés notamment les Gaulois. Cf. D. Magie, op. cit., I, p. 364. A. N. Sherwin-White, Roman Policy, p. 203-206, doute de la véracité de ces projets en raison de la chronologie et du caractère de Mithridate qui préférait se préparer longuement avant un conflit de cette importance comme le montrent ses préparatifs avant le premier et le troisième conflit avec Rome.

72 Eupator essaya bien de s’empoisonner mais en raison d’une vie entière à s’immuniser contre les poisons de toutes sortes par l’ingestion d’antidotes, le poison ne fut pas suffisant et il dut périr par l’épée d’un de ses hommes pour ne pas être pris vivant par les Romains. Appien, XII, 111, 537-538.

73 Sénèque, De Clementia.

74 Caligula surtout, mais également Tibère et Claude. P. Grimal, « La clémence et la douceur dans la vie politique romaine », CRAI, 128: 3 (1984), p. 466.

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réalités matérielles ou immatérielles s’ajoutent à sa valeur morale75. Un des emplois de la

clementia était de revenir sur une punition infligée à un particulier pour l’atténuer sans

toutefois que la punition en elle-même soit réputée illégitime76. On trouve dans la mythologie romaine un exemple frappant de cette utilisation de la clémence envers un individu ayant commis un geste répréhensible dans l’épisode des Horaces combattant contre les Curiaces77. Bien qu’un des Horaces ait été condamné à mort pour le meurtre de sa sœur, il fut décidé par le roi qu’il serait jugé par les citoyens qui devaient alors prendre en compte les circonstances du geste et non pas seulement le geste lui-même. Au terme du procès, il fut acquitté. Ce récit, dont la réalité historique est loin d’être assurée, est néanmoins très intéressant puisqu’il suggère que, dès les origines de Rome, on faisait appel à la clementia et que le ius prouocationis, qui permet d’en appeler au peuple et ainsi prévenir l’arbitraire d’une décision prise par un seul homme, était utilisé78.

En plus de cette application dans le domaine juridique, la clementia était appliquée pendant la guerre elle-même. Cet aspect est essentiel pour la présente étude puisqu’il se rattache au traitement des vaincus après un conflit entre Rome et un adversaire. Or, à ce sujet, les lois romaines interdisaient une violence inutile; il était nécessaire de se montrer dur et audacieux pendant la guerre, mais de montrer de l’équité et du jugement lorsque survenait la paix. De plus, lorsque les hostilités étaient déclenchées, un acte solennel invoquait Jupiter qui remettait en quelque sorte le pouvoir décisionnel pendant le conflit entre les mains de l’imperator, qui seul décidait du droit de vie et de mort de même que de la fin du conflit79. Il est aisé de comprendre l’intérêt de cet aspect de la clementia pour la présente étude qui cherchera à évaluer cette vertu pendant un conflit où plusieurs généraux romains, qui possédaient donc l’imperium, se succédèrent contre Mithridate. Sylla, Lucullus et Pompée détinrent tour à tour le pouvoir de vie et de mort aussi bien sur

75 Il n’est pas possible de déterminer avec certitude si l’évolution du terme se fit du sens moral au sens matériel ou bien l’inverse. Pour une discussion à ce sujet cf. P. Grimal, op. cit., p. 466-467.

76 P. Grimal, op. cit., p. 468.

77 Ce combat, qui passe pour avoir eu lieu au VIIe siècle a.C., opposa trois Horaces à trois Curiaces durant le conflit entre Rome et Albe-la-Longue. Il fut décidé de régler le conflit entre les deux cités par un combat de trois héros choisis de chaque côté. Après que deux Horaces eurent été tués, le troisième prit la fuite poursuivi par ses adversaires qu’il parvint à affronter et à tuer un par un pour remporter la victoire. À son retour à Rome, il tua sa propre sœur qu’il trouva pleurant son fiancé, qui était un des Curiaces qu’il avait vaincu, en déclarant « qu'ainsi périsse toute Romaine pleurant un ennemi ». Tite-Live, Histoire

romaine, I, 26.

78 P. Grimal, op. cit., p. 469-470. 79 Ibid., p. 470-471.

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leurs soldats que sur ceux de l’ennemi. C’est donc l’application de la clementia en temps de guerre qui retiendra particulièrement l’attention dans ce mémoire.

Comme il a déjà été mentionné, les Romains se consacrèrent réellement à la menace présentée par Mithridate après les vêpres éphésiennes. Cet événement fut marquant pour la République, dont des milliers de citoyens périrent en une seule journée dans de nombreuses cités d’Asie Mineure. Les généraux romains eurent donc, possiblement, à user de clementia dans un contexte bien précis envers des cités vaincues qui avaient participé au massacre de leurs compatriotes. Cette situation n’est pas sans rappeler celle dans laquelle se trouva Scipion l’Africain lors de la guerre qu’il avait dirigée contre Carthage et Hannibal. Les auteurs anciens montrent à quel point la douceur et la clémence de Scipion lui avaient permis de se gagner les populations vaincues. D’abord en Espagne, il avait fait preuve de suggnomè envers Indibilis (Diodore, XXVI, 21-22) puis, en Afrique, il avait montré de la philanthrôpia envers Syphax après sa capture (Diodore, XXVII, 6, 1) et fait de Massinissa un allié de la République et un rouage important lors de la victoire finale à Zama (Diodore, XXVII, 8, 1)80. Ce qu’il avait fait envers ces populations vaincues, sur lesquelles il prévoyait encore compter, il l’avait fait également envers les envoyés carthaginois qu’il avait reçus et auxquels il n’avait pas infligé de mauvais traitements pour venger le sort réservé aux envoyés romains par les Carthaginois81. Ce faisant, Scipion évita de se laisser entraîner par ses passions et le désir de vengeance qui habitait la population romaine après plus de quinze ans de conflits avec Carthage et fit preuve de clementia avec les adversaires de Rome. Bien que cette attitude le servît personnellement, notamment en Espagne où il fut salué du titre de roi, Scipion n’agissait que selon les principes moraux qui régissaient les actes d’un imperator romain82.

80 J. de Romilly, op. cit., p. 251.

81 Les envoyés de Rome furent presque massacrés par une partie de la population carthaginoise, mais parvinrent néanmoins à s’échapper par la mer avec l’aide de quelques habitants. Le monarque carthaginois se laissa alors convaincre par ses conseillers de poursuivre les ambassadeurs pour les mettre à mort mais le plan échoua. Polybe, XV, 4, 10; Diodore, XXVII, 12, 2.

82 « Les sentiments qu’il [l’imperator] peut éprouver personnellement, ici pitié, sens de l’honneur, ailleurs ressentiment ou colère, ne sont que secondaires. L’acte de clementia est l’application d’une morale; son utilité politique, gagner la bienveillance, ne vient qu’après; son retentissement dans l’âme du chef est seulement accessoire. ». P. Grimal, op. cit., p. 474-475.

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Mis à part ce parallèle entre le conflit avec Carthage et celui avec Mithridate pour ce qui est des sentiments de haine et de colère envers l’ennemi83, les différences sont

importantes. En effet, plus d’un siècle sépare les deux conflits, Rome et le Pont n’avaient pas d’antécédents conflictuels et la menace mithridatique ne se fit jamais sentir sur l’Italie à proprement parler. Néanmoins, la différence la plus importante pour cette étude réside dans le climat général qui régnait alors à Rome. L’épisode des Gracques, à la fin du IIe siècle, opéra un changement à Rome où la douceur et la clémence firent place aux

massacres et aux violences84. Dans le demi-siècle qui suivit, Rome vécut la guerre

sociale, des guerres civiles, les proscriptions de Sylla et la révolte de Spartacus. Tous ces épisodes, qui opposèrent soit les Romains entre eux, à leurs esclaves ou aux Italiens, laissent entrevoir une situation instable à l’interne. C’est bien l’intérêt de ce mémoire que d’étudier la clementia des généraux romains dans cette époque violente de l’histoire de la République contre un ennemi extérieur qui chercha à profiter de ses dissensions internes pour agrandir son influence en Asie aux dépens de Rome.

Les sources utilisées pour parvenir à cette fin requièrent toutefois de la prudence. En effet, les documents étudiés furent parfois écrits en latin, parfois en grec, ce qui nécessite de dire quelques mots sur le vocabulaire de la douceur et de la clémence dans la langue grecque85. Le vocabulaire diversifié de la langue grecque fit en sorte que plusieurs mots pouvaient correspondre à la clementia romaine notamment l’epieikeia, la philanthrôpia, et même la praotès86. Mais, ces termes, qui étaient utilisés avant tout pour décrire différents aspects de la douceur, n’ont pas la même définition pour un Grec et aucun ne correspond à la traduction exacte de ce que signifiait la clementia pour un Romain87.

83 Alors que Mithridate avait été l’instigateur du massacre qui aurait coûté la vie à 80 000 Romains, Hannibal était débarqué dans la péninsule italienne avec son armée et y était resté pendant plus de dix ans parvenant à vaincre plusieurs armées, des consuls et des légats de la République. Polybe, III, 47-118; Tite-Live, XXII, XXIII, XXV, XXVI, XXVIII, XXIX.

84 J. de Romilly, op. cit., p. 257; P. Grimal, op. cit., p. 476.

85 Tous les documents épigraphiques étudiés sont écrits en grec, ce qui ne signifie pas pour autant qu’ils n’ont pas été traduits depuis la langue latine. En ce qui concerne les sources littéraires, les œuvres furent rédigées en latin (Cicéron, Velleius Paterculus, Valère Maxime, Florus, Justin, Orose) ou en grec (Polybe, Diodore, Plutarque, Appien). Cf. infra.

86 En effet, même si la clémence romaine ne correspondait pas tout à fait à la douceur grecque, les premiers historiens de Rome étaient grecs et utilisaient des mots comme philanthôpia, epieikeia et parfois même

praotès pour décrire certaines attitudes des chefs envers leurs troupes ou des Romains envers les vaincus.

J. de Romilly, op. cit., p. 235.

87 J. de Romilly, op. cit., p. 235 : « Tous ces mots (philanthrôpia, epieikeia et praotès) peuvent correspondre à l’occasion au latin clementia. Ils s’emploient pour la clémence des chefs envers leurs

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