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Lettre du proconsul d’Asie à la cité de Chios (entre 5 et 14 p.C.)

CHAPITRE II : Corpus épigraphique

6. Lettre du proconsul d’Asie à la cité de Chios (entre 5 et 14 p.C.)

Lors du premier conflit, l’île de Chios choisit le camp de Mithridate en participant, aux côtés des armées pontiques, au siège de Rhodes. Il semble néanmoins que les Chiotes aient été très divisés sur le parti à prendre au cours de cet affrontement entre le Pont et les Romains puisque plusieurs d’entre eux désertèrent pour le camp de Sylla lorsque celui-ci gagnait du terrain en Europe. Mithridate, qui restait méfiant envers les Chiotes, se servit de cette désertion et accusa de plus les soldats de Chios de trahison pendant le siège de

146 Le terme sunezeugmšnwj qui est ici traduit par hectares serait en fait la traduction du mot latin iugera. Ainsi il réfèrerait de manière plus précise à « that amount of land which could be plowed by one yoke of oxen in one day » (R. K. Sherk, « Senatus Consultum de Agris Mytilenaeorum », GRBS, 4 (1963), p. 224).

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Rhodes pour punir l’île en y envoyant son officier Zénobios147. Avec ses troupes, il confisqua les biens des Chiotes qui avaient fui auprès de Sylla, fit de nombreux otages parmi ceux qui restaient et imposa une amende de 2 000 talents à l’île. N’étant pas parvenus à s’acquitter de la totalité de la somme même après avoir emprunté aux temples les offrandes destinées aux dieux, les habitants furent déportés en mer Noire et leurs terres réparties entre des colons pontiques qui s’y installèrent148. Lorsque la paix de

Dardanos fut conclue, les Chiotes exilés purent revenir sur leurs terres et leur indépendance fut assurée par un décret du sénat romain. Le document reproduit plus bas n’est pas le sénatus-consulte de 80 a.C. mais une lettre du proconsul d’Asie, datée du début du 1er siècle p.C., qui a consulté le sénatus-consulte dans le but de rendre le meilleur jugement possible dans un différend pour lequel il avait été nommé arbitre.

Les dernières lignes de la lettre sont particulièrement éclairantes pour cette étude puisqu’elles mentionnent certaines récompenses octroyées par le sénat aux Chiotes. Ainsi, il leur fut possible de jouir de leurs propres lois et de conserver les droits qu’ils possédaient lors de leur entrée dans l’amitié romaine, de ne pas subir d’ingérence de la part des magistrats romains dans ce domaine et semblent même être parvenus à obtenir que les Romains habitant à Chios soient assujettis aux lois de la cité. Comme le début de la lettre est manquant, il est impossible de connaître le sujet du différend qui nécessite l’intervention du proconsul comme arbitre, mais il est envisageable qu’une ou plusieurs de ces récompenses accordées par le sénat aient été bafouées par des citoyens romains résidant dans l’île149. Nous nous retrouvons donc en présence d’un autre document

illustrant une cité recevant des privilèges de Rome. Cependant, cette lettre offre des différences notables avec les deux documents précédents. En effet, il a déjà été mentionné que Chios avait pris le parti de Mithridate en participant au siège de Rhodes et même si une partie des habitants avait fui auprès de Sylla, l’île n’avait pas pris officiellement les armes contre les Pontiques. Il est permis de penser que les Romains pardonnèrent aux Chiotes en raison des malheurs qu’ils endurèrent aux mains de

147 D. Magie, op. cit., I, p. 224. Appien décrit un événement, dans son récit du siège de Rhodes, où un navire chiote aurait éperonné, accidentellement ou non, le navire sur lequel Mithridate lui-même se trouvait alors qu’il faisait le tour de sa flotte. Selon l’auteur, c’est à partir de ce moment que le roi garda une rancœur envers l’île de Chios et qu’il commença à se méfier de ses habitants (Appien, XII, 25, 101). 148 B. C. McGing, op. cit., p. 127-128.

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Mithridate et de son officier Zénobios150. Il sera donc intéressant de voir la réaction romaine et le traitement qui fut réservé aux cités asiatiques qui changèrent de camp seulement après les victoires de Sylla en Grèce sur les généraux du Pont.

Lemme :

Texte trouvé à Chios en 1821, maintenant conservé au musée de Chios (Inv. 164). Les lettres ont une hauteur de 0.017 m. et l’intervalle entre chaque ligne est de 0.009 m.

Éd. :

C. Vidua, Inscriptiones Antiquae, 1826, 39; (J. A. Letronne, JS, 1827, p. 476-479; A. Boeckh, CIG, 2, 1843, 2222; E. L. Hicks, A Manual of Greek Historical Inscriptions, 1882, 206); P. Viereck, Sermo Graecus, 1888, 27 (W. Dittenberger, Syll2 355; W. Dittenberger, Syll3 785; F. F. Abbott et A. C. Johnson, Municipal Administration in

the Roman Empire, 1926, 40; IGR, 4, 1927, 943; V. Ehrenberg et A. H. M. Jones, Documents Illustrating the Reigns of Augustus and Tiberius, 2e éd., 1955, 317; A. C. Johnson, P. R. Coleman-Norton et F. C. Bourne, Ancient Roman Statutes, 1961, 153; H. Malcovati, Imperatoris Caesaris Augusti Operum Fragmenta, 1962, 69); SEG, 22, 507 (W. G. Forrest) (R. K. Sherk, RDGE, 1969, 70; H. Freis, Historische Inschriften, 1984, 29; R. K. Sherk, Rome and the Greek East, 1984, 108; F. Canali de Rossi, Le

ambascerie dal mondo greco a Roma, 1997, 351).

Cf. :

V. Chapot, La province romaine proconsulaire d’Asie, 1904, p. 114 et 125 sq.; S. Accame, Il dominio romano, 1946, p. 59 et 75; D. Magie, Roman Rule, II, 1950, p. 1052, n. 9; A. J. Marshall, GRBS, 10, 1969, p. 254-271; R. M. Kallet-Marx, Hegemony

to Empire, 1995, p. 268-272.

Texte :

(D’après R. K. Sherk, RDGE, 1969, 70)

METAME . . .KL[ . . . ™nt]eucqeˆj Øp' 'A[ . . . . . . ]KW[--] StafÚlou ØparcÒntwn prÕj toÝj Ce…wn pršsbeij, ¢nageinws[kÒn]-

twn ™pistol¾n 'Antist…ou OÙšteroj toà prÕ ™moà ¢nqup£[tou]

4 ¢ndrÕj ™pifanest£tou: katakolouqîn tÍ kaqolikÍ mou [pro]- qšsei toà th[r]e‹n t¦ ØpÕ tîn prÕ ™moà ¢nqup£twn grafšnta [fu]- l£ttein kaˆ t¾n Øpὲr toÚtwn feromšnhn ™pistol¾n OÙšte[roj] eÜlogon ¹ghs£mhn: Ûsteron dὲ ˜katšrou mšrouj ™x ¢ntika[ta]-

8 st£sewj perˆ tîn kat¦ mšroj zhthm£twn ™ntucÒntoj di»k[ou]-

150 D. Magie, op. cit., I, p. 234.

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sa kaˆ kat¦ t¾n ™m¾n sunhqe…an par' ˜katšrou mšrouj ™pimel[šs]- tera gegrammšna Éthsa Øpomn»mata: [§ l]abën kaˆ kat¦ tÕ

™pib[£l]-

lon ™pist»saj eáron to‹j mὲn crÒnoij ¢rcaiÒtaton dÒgma[toj]

12 sunkl»tou ¢ntisfr£gisma gegonÒtoj Louk…ῳ SÚllv tÕ de[Úte]-

ron Øp£tῳ, ™n ú marturhqe‹si to‹j Ce…oij Ósa Øpὲr `Rwma…wn diš[qh]- k£n te Miqrid£thn ¢ndragaqoàntej kaˆ Øp' aÙtoà œpaqon ¹

sÚnk[lh]-

toj e„dikîj ™beba…wsen Ópwj nÒmoij te kaˆ œqesin kaˆ dika…oij c[rîn]-

16 tai § œscon Óte tÍ `Rwma…wn fil…v prosÁlqon, †na te ØpÕ m»q' ñtini[oàn]

tÚpῳ ðsin ¢rcÒntwn À ¢ntarcÒntwn, o† te par' aÙto‹j Ôntej `Rwm[a‹]-

oi to‹j Ce…wn ØpakoÚwsin nÒmoij: AÙtokr£toroj dὲ qeoà uƒoà S[e]- bastoà tÕ Ôgdoon Øp£tou ™pistol¾ prÕj Ce…ouj grafont[- - - -]

20 [ . . . ]R[ . ]EIN ¢mfi[ . . . ] tÁj perˆ t¾n pÒlin ™leuq[er…aj]

[- - - -] Traduction :

(Traduction personnelle)

Ayant été envoyé par A[…]KO[…] de Staphylos aux envoyés chiotes (et) ayant lu à haute voix une lettre de Antistius Vetus, mon prédécesseur comme proconsul, un homme des plus distingués; en accord avec ma procédure habituelle de conserver les documents écrits de mes prédécesseurs au proconsulat, j’ai jugé important de garder la lettre de Vetus qui avait été produite en lien avec cette cause; par la suite, les parties en opposition m’ont rencontré séparément afin de me faire part de leurs demandes, que j’ai écoutées, et en accord avec ma pratique habituelle, j’ai demandé à chaque partie de me fournir des mémoires écrits; après (les) avoir reçus, j’ai fixé mon attention sur ceux-ci et sur le plus ancien (document) que j’ai trouvé, à ce moment, et qui était une copie scellée d’un décret du Sénat passé alors que Lucius Sylla était consul pour la seconde fois (80 a.C.) et dans lequel les Chiotes, après avoir témoigné des actions qu’ils prirent courageusement au nom des Romains contre Mithridate et des souffrances qu’ils endurèrent, reçurent une confirmation sénatoriale qui leur permettait de jouir des

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lois, des coutumes et des droits qu’ils possédaient au moment de leur entrée dans l’amitié romaine, de ne pas être assujettis aux décisions prises par des magistrats ou promagistrats (romains) et de placer les Romains habitant à Chios sous les lois de la cité; et une lettre de l’empereur, fils des dieux, Auguste, consul pour la huitième fois (26 a.C.), écrite aux Chiotes [--] la liberté pour la cité [--]

Je suis conscient, comme il a déjà été mentionné à quelques reprises, que ce corpus épigraphique met en lumière surtout des cas où les vainqueurs romains récompensèrent les cités qui leur furent alliées au cours des conflits mithridatiques151. Il s’agit d’une réalité avec laquelle les textes me forcent à composer. Néanmoins, les récits des auteurs anciens fournissent de nombreux renseignements sur les cas inverses c’est-à-dire le sort qui fut réservé aux cités qui prirent le parti de Mithridate et qui se virent imposer des sanctions. Ces sources littéraires ont alimenté la recherche et ont permis de tirer des conclusions sur la présence ou l’absence de clementia romaine pendant les conflits mithridatiques. Utilisées avec les documents épigraphiques, qui viennent d’être présentés, elles servent de point d’ancrage au chapitre III qui traitera essentiellement de la clementia romaine dans ces conflits à travers les trois principaux généraux qui dirigèrent les opérations contre les armées ennemies : Sylla, Lucullus et Pompée.

151 La présentation des textes #5 et #6 a tout de même montré que ces cas sont particuliers. En ce qui concerne Mytilène, l’île s’afficha clairement contre Rome en remettant M’ Aquilius aux Pontiques et en soutenant le siège des soldats romains pendant plusieurs mois. Il ne semble pas que l’île ait rendu quelque service que ce soit à Rome dans les années subséquentes ce qui n’empêcha toutefois pas Pompée de lui rendre sa liberté. Les habitants de l’île de Chios, de leur côté, avaient d’abord pris le parti de Mithridate avant d’être punis par le roi qui évoqua un acte de trahison. Ce sont donc des cas qu’il sera intéressant d’approfondir et de tenter d’expliquer dans le prochain chapitre.

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CHAPITRE III