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CHAPITRE III : La clementia durant les conflits mithridatiques

3.3 Pompée : le vainqueur attendu

Avant de recevoir le commandement de la guerre contre Mithridate, Cn. Pompée avait déjà savouré deux triomphes à Rome. Ses succès en Afrique et en Asie en faisaient un candidat logique pour recevoir les pouvoirs exceptionnels accordés par la lex Gabinia. Cette loi lui conférait la tâche d’éradiquer la piraterie qui était devenu un mal endémique touchant toute la Méditerranée. En séparant la mer entre ses différents légats, il organisa une frappe d’envergure qui mena à l’éradication de ce phénomène, nuisible au commerce maritime, en quelques mois seulement. Dès ses premières victoires, il reçut la soumission de plusieurs pirates qui se rendirent à lui avec femme et enfants dans le but d’être traités avec bonté255. En échange, Pompée leur demanda de dévoiler les cachettes de leurs compagnons en Cilicie qu’il prit d’assaut avec ses soldats. Il s’attaqua ainsi aux repaires mêmes des corsaires, mais continua de leur offrir la possibilité, que plusieurs saisirent, de

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se rendre aux Romains. Par contre, ceux qui résistèrent furent plus durement traités puisqu’ils avaient eu l’opportunité d’éviter les affrontements mais avaient décidé de maintenir leur opposition256. Lorsqu’il parvint à réduire les dernières résistances, il installa les pirates sur des terres favorables à l’agriculture qui se trouvaient à l’intérieur du continent ce qui, par conséquent, les éloignait de la mer257. Par cette mesure, Pompée

s’assurait de donner une chance à ces hommes de profiter d’une nouvelle vie tout en leur signifiant que cela représentait leur dernière chance de se détourner de leurs activités de brigandage.

Ce n’est qu’après ces succès qu’on annonça à Pompée que, par l’adoption de la

lex Manilia, ses pouvoirs étaient accrus et qu’il recevait le commandement de la guerre

contre Mithridate. Il débarqua aussitôt en Asie pour affronter les troupes pontiques et en finir avec le vieux roi. Après quelques affrontements défavorables, Mithridate tenta de fuir en Arménie pour retrouver son gendre mais il apprit que celui-ci avait mis sa tête à prix et qu’il n’était plus le bienvenu dans son royaume. Il ne resta à Eupator que la possibilité de contourner le Pont-Euxin par la dangereuse route orientale dans le but de reprendre à son fils le royaume du Bosphore258. Les Romains le suivirent d’abord mais le voyage s’avéra si dangereux que Pompée décida à un certain moment de rebrousser chemin et se dirigea plutôt vers l’Arménie pour punir Tigrane d’être venu en aide à son beau-père contre Lucullus. Pendant que le roi du Pont reprenait le contrôle du royaume bosporan, les troupes romaines pénétraient en Arménie et marchaient vers Artaxata pour assiéger la ville. Toutefois, avant même d’arriver à destination, le général romain reçut la soumission de Tigrane en personne qui se prosterna devant lui en présentant sa couronne259.

Pompée s’était attiré une réputation de bonté au fil de ses campagnes menées sur différents continents et Tigrane se laissa convaincre que le Romain pourrait se montrer indulgent s’il se soumettait par lui-même. Le général fit honneur à sa réputation en

256 Appien, XII, 96, 441; Dion Cassius, XXXVI, 37; Plutarque, Pompée, 27, 6-7.

257 Florus, I, 41, 14; Velleius Paterculus, II, 32; B. Forte, op. cit., p. 133; A. H. M. Jones, op. cit., p. 203; R. M. Kallet-Marx, op. cit., p. 318-319; R. Seager, Pompey, p. 47-48.

258 Après le premier conflit, une révolte éclata dans les cités du royaume bosporan. Mithridate envoya des troupes qui parvinrent à vaincre l’opposition et plaça son fils Macharès sur le trône pour régner en son nom. Toutefois, ce dernier conclut une entente avec Lucullus pendant le troisième conflit, trahissant par le fait même son père qui était en fuite vers l’Arménie. Cf. Appien, XII, 83, 375.

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laissant le roi maître de ses territoires ancestraux et en le reconnaissant comme allié et ami du peuple romain. Il devait toutefois remettre ses conquêtes faites en Cappadoce, en Cilicie, en Syrie et en Phénicie en plus de payer une indemnité de 6 000 talents260. Il dut également remettre la Sophène à son fils, Tigrane le Jeune, qui avait offert son aide aux Romains contre son père dès leur arrivée en Arménie261. En laissant le roi en possession

de son royaume, Pompée manifesta réellement de la clementia. Il est plus que probable que ce geste était intéressé de la part du vainqueur. En retirant à Tigrane ses conquêtes récentes, il affaiblissait l’Arménie tout en maintenant un royaume assez fort pour contrebalancer la puissance parthe grandissante et protéger les intérêts de Rome dans cette région262. Pompée aurait pu remettre le royaume au jeune Tigrane, mais il jugea probablement que l’expérience et l’influence du roi serviraient mieux les desseins de la République263. Quelles qu’aient pu être les réelles motivations de l’imperator au moment de décider du sort de l’Arménien, le fait qu’un roi, allié et parent de Mithridate ayant dirigé une armée contre des Romains reçoive un traitement aussi clément mérite ici d’être souligné.

À la suite de la soumission du roi, plusieurs peuples d’Arménie ouvrirent leurs portes aux Romains264. À ce moment, Pompée décida de poursuivre son avancée vers la Syrie. Sa campagne, qui traversa la Judée et atteignit presque la mer Rouge, fut interrompue par la nouvelle, tant attendue à Rome, de l’annonce de la mort de Mithridate dans son royaume bosporan à la suite de la rébellion initiée par son fils Pharnace. Le général amorça dès lors son retour vers l’Asie afin d’organiser les territoires nouvellement dépendants de la volonté romaine. D’abord, il prit soin d’enterrer le corps du vieux roi pontique parmi ses ancêtres à Sinope et renvoya dans leurs familles toutes les concubines du roi qui étaient toujours vivantes265. Il donna ensuite, pour avoir mené la révolte contre Mithridate, le titre d’ami et allié du peuple romain à Pharnace en plus de le nommer roi

260 Dion Cassius, XXXVI, 52-53; Plutarque, Pompée, 33, 2-7; R. M. Kallet-Marx, op. cit., p. 323-324; J. Leach, Pompey the Great, p. 83; É. Will, op. cit., p. 504.

261 Plutarque, Pompée, 33, 2-7; T. Liebmann-Frankfort, op. cit., p. 270; D. Magie, op. cit., I, p. 357-358. 262 T. Liebmann-Frankfort, op. cit., p. 271.

263 Les événements subséquents devaient donner raison à Pompée. Tigrane le Jeune, mécontent de ne pas recevoir plus que la Sophène, se plaignit à répétition au général romain dans le but de changer sa décision. Il finit par être emprisonné et conduit à Rome pour figurer dans le triomphe de Pompée. Cf. D. Magie,

op. cit., I, p. 358; T. Reinach, op. cit., p. 392-393. 264 Plutarque, Pompée, 33, 2.

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du Bosphore266. Seule la cité de Phanagoria fut déclarée libre par le vainqueur puisqu’elle fut la première à se soulever contre la domination mithridatique267.

Pompée récompensa également les dynastes et les individus qui s’étaient montrés loyaux envers Rome depuis le début du conflit en 88. Ainsi, Ariobarzane, qui avait été expulsé à de nombreuses reprises de son royaume de Cappadoce par les troupes pontiques et arméniennes, fut confirmé comme roi et reçut le titre d’ami et allié du peuple romain ainsi que des agrandissements de territoires. Tomisa, le district de Cybistra, quelques villes de Cilicie et la Sophène passèrent également sous sa dépendance268. Pour sa part,

Deiotaros, l’un des tétrarques galates ayant résisté à Mithridate, fut nommé roi des Galates et reçut de nouveaux territoires dont la Petite-Arménie269. Finalement, Archélaos, le fils du général qui avait mené les troupes pontiques contre Sylla en Grèce, fut nommé grand-prêtre du temple de Comana270. Pompée déclara en même temps libre le sanctuaire dédié à la déesse-mère et l’agrandit de soixante stades. Par cette mesure, le général romain montra du respect envers les populations indigènes de l’intérieur qui étaient moins hellénisées que les habitants de la côte et qui accordaient une grande importance au culte de cette déesse271.

S’il laissa quelques dynastes en possession de leur royaume272, Pompée assujettit

également de nouveaux territoires au système provincial républicain. Il créa la province de Bithynie-Pont en rassemblant les anciens royaumes de Nicomède et de Mithridate273. La création, par le vainqueur, de onze cités-États facilita le contrôle de cette immense

266 Appien, XII, 113, 554-555; J. Leach, op. cit., p. 96; D. Magie, op. cit., I, p. 365; A. N. Sherwin-White, CAH, p. 265.

267 Appien, XII, 113, 554-555; R. M. Kallet-Marx, op. cit., p. 326; D. Magie, op. cit., I, p. 365.

268 Appien, XII, 105, 495-496; R. M. Kallet-Marx, op. cit., p. 326; D. Magie, op. cit., I, p. 375; A. N. Sherwin-White, CAH, p. 265.

269 Auparavant, les Galates étaient divisés en trois tribus et chacune d’elles était gouvernée par quatre tétrarques. Pompée nomma un seul tétrarque par tribu, dont Deiotaros qui reçut en plus le titre de roi des Galates et fut inscrit parmi les amis et alliés du peuple romain pour son aide depuis le début du conflit. Cf. R. M. Kallet-Marx, op. cit., p. 326; D. Magie, op. cit., I, p. 373-374; A. N. Sherwin-White, Roman

Policy, p. 226-228.

270 Appien, XII, 114, 559-560; A. H. M. Jones, op. cit., p. 158-159; R. M. Kallet-Marx, op. cit., p. 326; J. Leach, op. cit., p. 99.

271 D. Magie, op. cit., I, p. 371; A. N. Sherwin-White, CAH, p. 267.

272 En plus des exemples qui viennent d’être donnés, la Commagène fut remise à un certain Antiochos, qui reçut également des extensions de territoires en Séleucie et en Mésopotamie. Cf. Appien, XII, 114, 559-560; A. N. Sherwin-White, CAH, p. 265.

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province, hellénisée sur la côte et indigène à l’intérieur des terres274. Ces onze agglomérations, distinctes et organisées selon le modèle hellénistique, gouvernaient chacune sur un territoire étendu ce qui facilitait la collecte du tribut275. La provincialisation était une façon bien romaine d’organiser les nouvelles conquêtes. Le degré de l’intervention administrative romaine dans chacune des provinces dépendait de plusieurs facteurs, mais puisque le principe même était de placer les nouveaux territoires sous la dépendance d’un gouverneur, il est difficile d’imaginer que cette perte d’autonomie était bien vue chez les populations même pour celles du Pont qui se trouvaient auparavant sous la gouverne d’un roi. Le déclenchement de la première guerre mithridatique a bien montré les conséquences fâcheuses que pouvait avoir la présence de riches financiers romains lorsqu’ils s’installaient dans une province. Même si la province de Bithynie-Pont ne possédait pas autant de richesses que celle d’Asie, sa création favorisa l’arrivée de publicains comme en Bithynie après le décès de Nicomède.

Pompée prit donc le temps d’évaluer la situation lors de son séjour en Asie afin de déterminer la meilleure façon d’organiser les nouveaux domaines qui s’ouvraient à la puissance républicaine à la suite de ce long conflit de vingt-cinq ans. En Paphlagonie, qu’il eût pu transformer en province, il privilégia le partage du territoire entre deux dynastes locaux, Attale et Pylaemenès276. Ainsi, il bouclait l’arrangement des conquêtes romaines faites en Orient grâce à sa victoire sur Mithridate. Il décida également de s’attarder au cas de quelques cités de manière individuelle. Il fit ainsi don de cinquante talents à Athènes pour favoriser sa restauration277. La nécessité de ce don confirme, comme le laissaient déjà penser les fouilles archéologiques récentes, que la cité ne s’était toujours pas remise des destructions entraînées par le siège et l’entrée dans la ville des troupes romaines alors dirigées par Sylla. Lorsqu’il passa par la Colchide en 65, Pompée en profita, après avoir soumis les diverses tribus du Caucase278, pour nommer Aristarque

274 R. M. Kallet-Marx, op. cit., p. 328; A. N. Sherwin-White, Roman Policy, p. 229.

275 Les onze cités-États étaient probablement : Amisos, Sinope, Abonuteichus et Amastris sur la côte, Amaseia, Cabeira (qui fut renommée Diospolis), Zéla, Magnopolis (l’ancienne Eupatoria de Mithridate), Pompeiopolis, Neapolis et Megalopolis à l’intérieur des terres. Cf. A. H. M. Jones, op. cit., p. 159-160; A. N. Sherwin-White, CAH, p. 267.

276 D. Magie, op. cit., I, p. 372. 277 Plutarque, Pompée, 42, 11.

278 Lorsque Mithridate prit la fuite vers son royaume bosporan, Pompée le poursuivit quelque temps avant de rebrousser chemin et faire campagne vers l’Arménie. Au cours de sa poursuite, il dut soumettre les

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prince de la Colchide279. Ces nouveaux dynastes n’avaient pas rendu de services particuliers aux troupes romaines pendant leur affrontement contre Mithridate mais Pompée jugea qu’il était préférable de les laisser gouverner pour Rome plutôt que d’avoir à nommer des magistrats romains pour cette tâche.

Finalement, alors qu’il s’en retournait à Rome pour célébrer son triomphe sur les pirates et les rois du Pont et d’Arménie, Pompée s’arrêta à Mytilène, dans l’île de Lesbos, à la demande de son biographe et ami Théophane, qui était natif de l’endroit280. La cité,

lors du premier conflit, avait pris le parti de Mithridate et lui avait remis M’ Aquilius avant d’offrir une résistance opiniâtre de plusieurs années au siège romain après le traité de Dardanos. Pour toutes ses raisons, Mytilène avait été privée de sa liberté par les vainqueurs romains à l’époque. Les publicains profitèrent de cette occasion pour faire leur apparition dans l’île et s’enrichir aux dépens de la population. Cette situation était bien sûr connue de Théophane qui intervint auprès de Pompée qui décida, en 62, de libérer les Mytiléniens tout en les exemptant de tribut et de l’ingérence des magistrats dans les affaires de la cité281. Un sénatus-consulte datant de 55 a.C. et répondant à une ambassade envoyée à Rome par les Mytiléniens, qui alléguèrent souffrir encore des exactions des publicains malgré la liberté accordée plusieurs années auparavant, rappelle cette décision du général romain282.

Ce traitement de Mytilène, qui avait privilégié le parti pontique dès le début du conflit et participé au massacre des citoyens romains présents dans l’île après avoir livré M’ Aquilius est surprenant. Caunos, Cnide, Éphèse, Pergame et Tralles ne jouirent pas de ce traitement clément de Pompée. Il est vrai que ces cités étaient déjà incorporées dans le système provincial romain, mais cela n’explique pas la liberté accordée aux Mytiléniens. Pompée aurait pu tout simplement maintenir la cité sous la dépendance romaine en laissant les publicains s’enrichir, surtout que ses troupes n’avaient mené aucun combat Albans, les Ibères et les Colchidiens qui s’opposèrent aux forces romaines. Cf. Dion Cassius, XXXVI, 5; Florus, I, 40, 28; Plutarque, Pompée, 34, 5-8.

279 Appien, XII, 114, 559-560; A. H. M. Jones, op. cit., p. 158; R. M. Kallet-Marx, op. cit., p. 326; A. N. Sherwin-White, Roman Policy, p. 226-227.

280 D. Magie, op. cit., I, p. 365; J. Van Ooteghem, Pompée, p. 268.

281 Velleius Paterculus, II, 18; A. H. M. Jones, op. cit., p. 63; R. M. Kallet-Marx, op. cit., p. 327; J. Leach, op. cit., p. 101. Pour son intercession auprès de Pompée en faveur de Mytilène, les habitants de l’île

honorèrent Théophane. Cf. Syll3 752-754. 282 Voir texte #5.

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dans les environs et que les Mytiléniens ne fournirent pas leur aide aux troupes romaines lors du troisième conflit pour se faire pardonner les actions qu’ils commirent lors du premier. Par conséquent, les privilèges qui leur furent accordés par cet homme leur parurent exceptionnels et ils lui votèrent de grands honneurs283. Dans ces circonstances, même si elle répondait à la demande d’un ami intime, l’attitude de Pompée envers Mytilène est empreinte de clementia puisque par cette décision, Rome lui accordait son pardon pour les actes commis par la cité lors du premier conflit. À Rome, Pompée célébra un triomphe imposant qui s’étala sur deux jours et dans lequel défilèrent plus de 300 prisonniers qu’il avait amenés à Rome dans ce but. À la fin de la célébration, il renvoya chez eux, aux frais de l’État, tous les captifs à l’exception de Tigrane le Jeune et d’Aristobule le roi de la Judée284.

Pompée montra donc de la clementia dans le traitement qu’il réserva à Tigrane et Mytilène et ne fit jamais preuve de cruauté envers les populations. Bien entendu, le fait qu’il n’a subi aucune défaite lors de son commandement et qu’il parvint à obtenir la victoire qui était recherchée depuis plus de vingt-ans déjà à Rome peut expliquer qu’il afficha une certaine douceur envers les vaincus maintenant que le conflit était définitivement terminé. En ce qui concerne son organisation des territoires, je ne pense pas que Pompée, dans les circonstances où il se trouva, ait pu faire preuve de clementia sans être critiqué par ses concitoyens. Il avait été désigné par le Sénat pour prendre le commandement d’une guerre qui perdurait depuis plus de vingt ans contre un des ennemis les plus acharnés que Rome ait connu jusque-là. Après la mort de Mithridate, il était normal que Pompée cherchât à accroître le contrôle romain en Orient par la provincialisation d’une part mais également par le maintien de quelques dynasties alliées capables de balancer la puissance de certains peuples sur lesquels Rome n’avait pas encore de pouvoir comme les Parthes. Donc, s’il est vrai que le général romain ne fit pas preuve de clementia lorsqu’il procéda à l’organisation des territoires vaincus, il me semble que la situation générale ne le permettait pas. Il s’agissait du meilleur compromis possible pour la République entre une intervention, qu’elle ne désirait pas totale encore,

283 B. Forte, op. cit., p. 134.

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et un laisser-faire qu’elle ne pouvait se permettre en raison des risques que le retour d’un nouveau Mithridate comportait.

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CONCLUSION

La clementia est un concept romain « qui appartient aux instincts primordiaux de ce peuple »285. Alors qu’il revêtait essentiellement, au départ, une valeur morale, le terme évolua jusqu’à devenir l’une des quatre vertus fondamentales que devait posséder le prince à l’époque d’Octave. Au siècle suivant, Sénèque, conseiller de l’empereur Néron, s’en servit pour enseigner à son protégé à privilégier la raison aux dépens des émotions. En accord avec la clementia, en temps de guerre, l’imperator, qui détenait le pouvoir de vie ou de mort sur ses soldats et les ennemis, devait faire preuve de dureté et d’audace pendant le conflit, mais de jugement et d’équité lorsque survenait la paix. Durant les conflits mithridatiques, l’imperium fut possédé par trois généraux à la personnalité bien différente. Sylla, qui reconnaissait une place importante aux dieux dans ses succès, était ambitieux, colérique et entretenait des rapports étroits avec ses soldats. Lucullus, pour sa part, était reconnu comme un philhellène. Très loyal, ce général attendait la même loyauté de ses soldats qu’il considérait comme des subalternes tenus de lui obéir en toute circonstance. Finalement, Pompée avait, tout comme Sylla, une grande ambition, il n’acceptait pas qu’un autre fût son égal et il faisait preuve de mansuétude et de modération. Ces trois hommes, qui commandèrent tour à tour les armées romaines contre Mithridate, remportèrent tous des succès qui leur permirent de décider du sort des ennemis vaincus.

Il ressort de cette étude que chaque général romain chargé de la guerre contre Mithridate fit preuve, à un certain moment, de clementia. Le fait que Sylla semble moins enclin à la clémence que ses deux successeurs mérite également d’être souligné. Néanmoins, il faut garder à l’esprit que les trois hommes œuvrèrent dans des contextes fort différents. D’une part Sylla, après un an de combat en Grèce, venait d’obtenir la soumission de Mithridate sans avoir mis le pied en Asie. Il devait être conscient que le roi, qui s’était lancé dans une invasion de la province romaine d’Asie et qui avait ordonné le massacre de milliers de citoyens romains, représentait toujours une menace pour la République. Pour que cela ne soit plus le cas, il aurait fallu se lancer dans une longue campagne jusque dans le royaume pontique contre une armée largement supérieure en