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Réconcilier contrats publics et intérêt public : pour un nouveau modèle du pouvoir contractuel de l'État

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Réconcilier contrats publics et intérêt public : Pour un

nouveau modèle du pouvoir contractuel de l'État

Thèse

Antoine Pellerin

Doctorat en droit

Docteur en droit (LL. D.)

(2)

Réconcilier contrats publics et intérêt public :

Pour un nouveau modèle du pouvoir contractuel de l’État

Thèse

Antoine Pellerin

Sous la direction de :

Pierre Lemieux, directeur de recherche

Sophie Brière, codirectrice de recherche

(3)

Résumé

Les contrats publics ont pour finalité l’intérêt public. Les auteurs s’entendent sur ce principe et les tribunaux ne cessent de le rappeler. Pourtant, aucun texte de loi ayant pour vocation de régir l’exercice du pouvoir contractuel de l’État ne nous renseigne sur ce que signifie l’intérêt public. C’est ce silence de la loi, conjugué au contexte social des dernières années - qui a ébranlé toute certitude vis-à-vis du fonctionnement adéquat de notre système d’attribution des contrats publics - qui est à l’origine de cette thèse.

Nous avons donc entrepris d’examiner le cadre normatif qui régit l’exercice du pouvoir contractuel de l’État pour voir si une conception particulière de l’intérêt public s’en dégageait. Nous avons alors découvert que les règles qui gouvernent les contrats publics sont influencées par une variable qui compte plus que toutes les autres : le coût. Cette variable occupe une place si importante dans l’encadrement normatif des contrats publics qu’il ne nous paraît pas exagéré d’avancer que la notion même d’intérêt public se confond désormais avec l’exigence budgétaire du projet public. Les contrats publics sont dominés par des règles comptables auxquelles est subordonnée la véritable question de l’intérêt public.

Cette conclusion commande de réfléchir à une façon de refonder l’intérêt public. Pourquoi ? Parce que l’aspect budgétaire ne constitue que l’une des dimensions de l’intérêt public et non pas

l’intérêt public en tant que tel. Il est même possible d’envisager que dans certains cas, l’aspect

budgétaire n’ait aucune valeur en regard de l’intérêt public. C’est le caractère polymorphe de l’intérêt public, le fait qu’il s’agit d’une notion perméable capable de baliser l’exercice des pouvoirs publics en fonction de ce qui est légitime dans chaque cas d’espèce qui en fait toute la valeur. Réduire l’intérêt public à une seule de ses dimensions, qu’il s’agisse du budget, de l’esthétique, de la durabilité ou de l’échéancier, n’est pas souhaitable, car c’est faire fi de l’ensemble des besoins et aspirations qui peuvent être pertinentes aux yeux du public dans un contexte donné.

Alors que le pouvoir contractuel de l’État est censé servir l’intérêt public, les citoyens – qui sont dans les faits les principaux bénéficiaires des projets et ceux à qui appartient en principe la définition du contenu de l’intérêt public – sont complètement exclus du processus qui mène à la réalisation d’un projet public. Le cadre normatif présume que leur intérêt sera satisfait grâce à la

(4)

concurrence que se livrent des entrepreneurs désireux de participer aux projets publics et qui sont par le fait même appelés à donner le meilleur de ce qu’ils ont à offrir. L’on présume également que l’Administration publique est en mesure de s’assurer que les projets, au stade de leur conception, de leur exécution et de leur évaluation, répondent aux attentes de la communauté qui en a besoin. Or, la rationalité budgétaire qui anime le droit des contrats publics est loin de garantir que les projets qui en font l’objet répondront aux attentes complexes, contextuelles et plurielles du public.

La refondation à envisager implique de recentrer l’exercice du pouvoir contractuel sur la satisfaction de l’intérêt public conçu comme cadre de légitimité capable d’intégrer les points de vue de tous les acteurs sociaux concernés. Cette refondation implique également de faire réapparaitre le public dans un processus qui vise précisément à satisfaire son intérêt. Le concept de démocratie administrative, tel qu’il est envisagé en droit administratif, vise à revoir la relation entre les citoyens et l’Administration publique à l’aune de l’idéal démocratique. Les principes qui sous-tendent le concept de démocratie administrative et les dispositifs démocratiques qu’il suppose, sont particulièrement propices pour répondre aux lacunes qui caractérisent le modèle actuel. D’une part, il remet le citoyen au cœur des projets publics qui lui sont destinés. Ensuite, il permet de repenser l’intérêt public au cas par cas, en fonction de ce qui est légitime dans chaque contexte donné. Il extirpe ainsi le pouvoir contractuel de l’État de l’emprise de toute conception unidimensionnelle.

(5)

Table des matières

RÉSUMÉ

... III

TABLE DES MATIÈRES

... V

PLAN DE THÈSE SOMMAIRE

... VIII

REMERCIEMENTS

... X

INTRODUCTION GÉNÉRALE

... 1

Problématique et enjeux contemporains des contrats publics ... 1

Question de recherche ... 11

Hypothèse ... 12

Cadre théorique et méthodologie ... 13

PARTIE I – L’INTÉRÊT PUBLIC EN MATIÈRE DE CONTRATS PUBLICS : UNE

CONCEPTION ESSENTIELLEMENT BUDGÉTAIRE

... 19

Chapitre 1 – La relation entre contrat public et intérêt public ... 20

Section I – Le contrat public : un cadre spécifique justifié par une finalité d’intérêt public ... 20

Paragraphe I – Le particularisme du contrat public en droit québécois ... 28

A - La nature des projets publics visés ... 28

B – Le type d’entités publiques visées ... 31

C – Les influences des traditions française et anglo-saxonne ... 34

Paragraphe II – Les spécificités de la gestion de projets en contexte public ... 38

A – La dynamique organisationnelle des entités publiques ... 39

B – Le cycle de vie d’un projet public ... 41

Section II – L’intérêt public : une notion fonctionnelle liée au pouvoir contractuel de l’État ... 52

Paragraphe I - Les fonctions de l’intérêt public ... 56

A - Fondement du pouvoir ... 57

B - But du pouvoir ... 58

C - Limite du pouvoir ... 59

Paragraphe II - Les principales conceptions de l’intérêt public ... 59

A - La conception utilitariste ... 60

B - La conception volontariste ... 71

C - Le rôle de l’État selon les différentes conceptions de l’intérêt public ... 74

Paragraphe III – L’influence du contexte économique, social et politique sur la conception de l’intérêt public ... 79

(6)

A – La libéralisation des marchés et la libre concurrence ... 79

B - La culture de l’efficacité issue de la nouvelle gestion publique ... 86

C - L’émergence de certains critères sociaux et environnementaux visant à promouvoir la responsabilité sociale des cocontractants de l’État ... 93

Chapitre 2 – L’analyse de la conception dominante de l’intérêt public telle qu’elle se dégage du cadre normatif applicable aux contrats publics ... 99

Section I – Les exigences contractuelles usuelles et ce qu’elles révèlent à l’égard de la notion d’intérêt public ... 99

Paragraphe I – Les clauses impératives ... 100

Paragraphe II – Les éléments laissés à la discrétion des parties ... 103

Section II – Les éléments du cadre normatif faisant nommément référence à la notion d’intérêt public .... 105

Paragraphe I – Les avis publiés au Service électronique des appels d’offres en application de la LCOP ... 107

Paragraphe II – La possibilité pour une entreprise inadmissible aux contrats publics de poursuivre l’exécution d’un contrat public en vertu de la LCOP ... 111

Paragraphe III – Les politiques internes de gestion contractuelle adoptées par certains organismes publics ... 117

Section III – Un cadre juridique dédié presque entièrement aux modes de sollicitation et d’attribution des contrats: l’accent sur les moyens plutôt que sur les finalités ... 119

Paragraphe I - L’appel d’offres public comme principal mode de sollicitation des contrats publics québécois ... 120

Paragraphe II – L’importance du plus bas prix dans les modes d’attribution prévus dans les textes de loi ... 125

Section IV - Le règne du plus bas prix et de l’équité entre les soumissionnaires dans la jurisprudence portant sur les contrats publics ... 129

Paragraphe I - Une lecture axée sur le prix des soumissions et sur l’équité entre les soumissionnaires 133 Paragraphe II – Le principe de la libre concurrence comme garant de l’intérêt public ... 137

Paragraphe III – La réticence des tribunaux à suspendre un processus d’appel d’offres lorsque le contrat a été octroyé au plus bas soumissionnaire ... 158

Paragraphe IV - L’incidence sur le prix comme critère de qualification des irrégularités ... 169

Paragraphe V - Les cas d’exception ... 179

Paragraphe VI - Les autres interprétations possibles : exemples tirés du droit comparé ... 185

Conclusion de la première partie ... 190

PARTIE II - LA NÉCESSITÉ DE REFONDER L’INTÉRÊT PUBLIC EN

MATIÈRE DE CONTRATS PUBLICS

... 195

Chapitre 1 – Le problème avec une conception budgétaire de l’intérêt public ... 198

Section I - La primauté de la rationalité budgétaire sur les considérations sociales, politiques et environnementales : un problème de légitimité ... 200

Section II – L’effacement progressif de la chose publique au profit de l’utilité privée : une compréhension erronée du contexte de l’action publique ... 203

Section III - Un cadre qui exclut d’emblée l’intervention du citoyen dans le processus décisionnel entourant la formation des contrats publics ... 207

(7)

Section IV - Des critères d’octroi qui exposent l’activité contractuelle publique à la corruption et à la

collusion ... 210

Section V - Des règles favorisant la judiciarisation des conflits ... 216

Chapitre 2 - La refondation à envisager ... 221

Section I – Relégitimer l’exercice du pouvoir contractuel de l’État par la démocratie administrative ... 222

Paragraphe I - Les anciennes figures de la démocratie administrative ... 223

Paragraphe II - La vision contemporaine de la démocratie administrative ... 227

Paragraphe III - La démocratie administrative comme synthèse des conceptions utilitariste et volontariste de l’intérêt public ... 231

Section II – Faire coopérer les parties prenantes à chacune des étapes du cycle de vie d’un projet public 234 Paragraphe I - La mise en place d’espaces de délibération permettant l’arrimage du point de vue expert et du point de vue citoyen ... 236

Paragraphe II – Des pistes de réflexion pour développer une meilleure relation entre les organismes publics et leurs cocontractants ... 245

Paragraphe III - Les risques associés à une marchandisation des techniques participatives et au formatage de celles-ci ... 249

Section III – Exercer le pouvoir contractuel de l’État de façon lisible, responsable et interactive ... 251

Paragraphe I - Des contrats publics lisibles ... 254

Paragraphe II – Des organismes adjudicateurs responsables ... 258

A – Diffuser la comptabilité ... 258

B – Justifier les actes ... 259

C – Évaluer les actes ... 260

Paragraphe III – Faire preuve de réactivité et d’interactivité ... 264

Section IV - Exiger certaines qualités de la part des agents publics et de la part des cocontractants de l’État ... 269

Paragraphe I – Du côté de l’Administration publique ... 270

Paragraphe II - Du côté des cocontractants de l’État ... 274

Section V - Inscrire la réforme envisagée à l’intérieur du droit légiféré ... 282

CONCLUSION GÉNÉRALE

... 295

TABLE DE LA LÉGISLATION

... 311

TABLE DE LA JURISPRUDENCE

... 314

BIBLIOGRAPHIE

... 318

ANNEXE I

... 338

ANNEXE II

... 340

ANNEXE III

... 342

(8)

Plan de thèse sommaire

PREMIÈRE PARTIE :

L’intérêt public en matière de contrats publics : une conception

essentiellement budgétaire

Chapitre 1 – La relation entre contrat public et intérêt public

Chapitre 2 – L’analyse de la conception dominante de l’intérêt public telle qu’elle se dégage du cadre normatif applicable contrats publics

DEUXIÈME PARTIE :

La nécessité de refonder l’intérêt public en matière de contrats publics

Chapitre 1 – Le problème avec la conception budgétaire de l’intérêt public

(9)

À la mémoire de Gérard Marier

(10)

Remerciements

Je tiens d’abord à exprimer ma profonde gratitude à mon directeur de thèse, le professeur Pierre Lemieux, et à ma codirectrice, la professeure Sophie Brière, pour leur précieux accompagnement tout au long de mes études doctorales. Je les remercie pour leur disponibilité, leur générosité et pour la liberté qu’ils m’ont accordée. Chacun à leur façon, ils ont contribué à forger ma pensée et inspirent, encore aujourd’hui, l’enseignant et le chercheur que je souhaite devenir. J’aimerais également remercier la prélectrice de cette thèse, la professeure Geneviève Cartier, pour ses précieux commentaires, ainsi que les autres membres du jury, les professeurs Pierre-André Hudon et Derek McKee, pour leurs judicieux conseils.

Sur le plan personnel, cette thèse n’aurait pas été possible sans le soutien et la bienveillance de plusieurs personnes envers qui je m’estime redevable. Ma femme, Marie-Pier, pour son soutien indéfectible et pour sa complicité de tous les instants. Mes fils, Clément, Philémon et Lévi, qui m’ont donné le courage d’entamer et de mener à terme ce projet. Mes parents, Jeannine et Marc-André, ainsi que mes sœurs, Anick, Bianca et Virginie, qui ont toujours valorisé et stimulé le goût d’apprendre. Mes beaux-parents, Marie et Marco, pour leur présence inestimable. Mon ami et mentor, le juge Charles Taschereau, qui y est pour beaucoup dans le chemin parcouru jusqu’ici. Mes comparses de la compagnie ExLibris, Nicolas au premier chef, qui incarnent cette idée que tout part des mots.

Je remercie également la Faculté de droit de l’Université Laval et la doyenne Anne-Marie Laflamme pour leur confiance. Un merci spécial à Sylvain Lavoie et à l’ancien vice-doyen aux études supérieures et à la recherche, le juge Dominic Roux. Tous deux ont cru en mon projet d’études et m’ont encouragé à faire le « grand saut » vers le milieu universitaire. Merci au professeur Pierre Issalys pour les propositions formulées lors de l’examen prospectif de mon projet de thèse. Il en trouvera des traces dans cette version définitive. Merci à la professeure Monica Popescu d’avoir accepté d’interpréter les rôles du public et du jury à l’occasion d’une générale de la soutenance.

En terminant, je veux souligner le soutien financier de la Fondation Pierre Elliott Trudeau et du Fonds de recherche du Québec – Société et culture (FRQSC). Cette thèse a été réalisée dans des conditions idéales grâce à leur appui. J’ai été on ne peut plus privilégié de bénéficier des perspectives variées et éclairantes des membres de la grande communauté de la Fondation Pierre Elliott Trudeau. Je leur en suis spécialement reconnaissant.

(11)

Introduction générale

PROBLÉMATIQUE ET ENJEUX CONTEMPORAINS DES CONTRATS

PUBLICS

1

Le directeur du journal Le Devoir, Brian Myles, écrivait dans son éditorial du 13 août 2018, que « [l]’octroi des contrats publics au meilleur coût possible n’est malheureusement pas une science exacte »2. L’éditorial donnait suite au débat suscité par un projet de règlement3 présenté plus tôt par

le gouvernement du Québec qui visait à modifier le mode d’octroi de certains contrats de services professionnels4 de manière à ce que ceux-ci puissent dorénavant être attribués aux plus bas

soumissionnaires conformes plutôt qu’aux soumissionnaires ayant présenté la proposition de meilleure qualité. Concrètement, par ce projet de règlement, le gouvernement proposait d’obliger les

plus importants donneurs d’ouvrage québécois à choisir leurs firmes d’ingénieurs et d’architectes en fonction du prix de leurs soumissions plutôt qu’en fonction de la qualité de celles-ci.

Le mécontentement au sein des différentes associations professionnelles concernées par la réforme a été vif suite à l’annonce du projet de règlement. Dans une lettre ouverte publiée dans différents médias, les représentants de plusieurs associations et organismes ont dénoncé les risques associés aux amendements proposés tout en affirmant que « l’octroi de contrats sur le plus bas prix ne devrait jamais être utilisé pour les services professionnels d’architecture et de génie-conseil qui

1 Par « contrat public » nous entendons toute entente contractuelle conclue entre un organisme public et une partie privée pour combler les besoins de l’État en termes de biens et de services. Certains réfèrent à d’autres expressions telles que « achats publics », « contrats d’approvisionnement », « contrats de services », « contrats de travaux de construction », « commande publique » ou « marchés publics ». Nous avons quant à nous choisi de parler de « contrats publics », car il s’agit de l’expression la plus couramment utilisée en pratique pour désigner l’achat, par l’État, de biens ou de services en provenance du privé. Mentionnons également tout de suite qu’il n’est pas question ici des partenariats public-privé auxquels sont parfois partie certains organismes publics. Pour une définition plus détaillée de l’expression « contrat public » telle qu’employée tout au long de cette thèse, voir infra Partie I, Chapitre 1, Section I.

2 Brian MYLES, « Les recettes magiques n’existent pas », Le Devoir (13 août 2018), en ligne : <https://www.ledevoir.com/opinion/editoriaux/534386/contrats-publics-les-recettes-magiques-n-existent-pas> (consulté le 6 septembre 2018).

3 Règlement modifiant le Règlement sur certains contrats de services des organismes publics (projet), (2018) G.O. II, 4231.

4 Les contrats visés sont tous les contrats de services professionnels à être conclus avec le ministère des Transports, de la Mobilité durable et de l’Électrification des transports (ci-après : le « MTMDET ») et la Société québécoise des infrastructures (ci-après la « SQI »), lesquels figurent parmi les plus importants donneurs d’ouvrage au Québec. Sur le volume de contrats attribués par chaque organisme public, voir les données colligées sur le site web « Espace DATA - Données ouvertes des contrats publics québécois », Espace DATA, en ligne : <http://www.espacedata.ca/> (consulté le 6 septembre 2018).

(12)

visent à identifier la meilleure solution pour chaque projet »5. Le 9 août 2018, dans une longue lettre

adressée au président du Conseil du trésor ainsi qu’au ministre délégué à l’Intégrité des marchés publics et aux Ressources informationnelles, l’Ordre des architectes du Québec ajoutait que le fait d’ « [o]uvrir la voie à une sélection des professionnels basée — en tout ou partie — sur le prix constituerait [...] un recul majeur par rapport à la réglementation en place et mettrait inutilement à risque la qualité architecturale des édifices gouvernementaux »6.

Dans un mémoire transmis au gouvernement suite à la publication du projet de règlement, l’Association des firmes de génie-conseil du Québec a elle aussi souligné les conséquences négatives que la réforme proposée pourrait entraîner si elle devait être adoptée : « Détérioration des relations clients-consultants, dépassements de coûts et d’échéanciers, augmentation des coûts de construction, diminution de la concurrence en raison du désintéressement de certaines firmes pour ce marché et augmentation des litiges sont à prévoir »7. Rarement avait-on vu les acteurs du milieu parler ainsi à

l’unisson8. Leurs revendications ont finalement porté fruit, le projet de règlement ayant été retiré par

le gouvernement peu de temps après9.

5 Anne CARRIER et André RAINVILLE, « Faudra-t-il un autre viaduc de la Concorde ? », La Presse+ (8 août 2018), en ligne : <http://plus.lapresse.ca/screens/37184e12-1cff-4523-bb22-7c7241455655__7C___0.html> (consulté le 6 septembre 2018).

6 Nathalie DION, Projets de règlements modifiant les contrats en matière d’approvisionnement, de services, de

travaux de construction et de technologie de l’information des organismes publics, 9 août 2018, en ligne :

<https://www.oaq.com/fileadmin/Fichiers/Publications_OAQ/Memoires_Prises_position/LET-commentaires_bas-soumissionnaire-20180809.pdf> (consulté le 6 septembre 2018).

7 ASSOCIATION DES FIRMES DE GÉNIE-CONSEIL -QUÉBEC, Mémoire sur le Règlement modifiant le Règlement sur

certains contrats de services des organismes publics, Montréal, 2018, en ligne :

<http://afg.quebec/genie-conseil/profil-du-secteur> (consulté le 4 septembre 2018).

8 La lettre ouverte ayant reçu les signatures d’acteurs aussi variés que la Présidente du conseil d’administration de l’Association des architectes en pratique privée du Québec, le président de l’Association des estimateurs et des économistes de la construction du Québec, les présidents des sections québécoise et canadienne de l’Association des firmes de génie-conseil, la directrice générale de l’ Association Québécoise des Entrepreneurs en Infrastructure, le président-directeur général du Réseau Environnement, le président-directeur général du Conseil du patronat du Québec, le directeur général d’Équiterre, le vice-président exécutif de la Corporation des entrepreneurs généraux du Québec, le Directeur général pour le Québec et l’Atlantique de la Fondation David Suzuki, les présidentes de l’Ordre des architectes du Québec et de l’Ordre des ingénieurs du Québec, le directeur général de Vivre en ville, le doyen de la faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal et le directeur de l’École d’architecture de l’Université Laval.

9 « CNW | Retrait du projet de règlement modifiant les modes d’octroi de contrats publics - Une opportunité d’optimiser l’octroi des contrats publics en matière de services professionnels », en ligne : <https://www.newswire.ca/fr/news-releases/retrait-du-projet-de-reglement-modifiant-les-modes-doctroi-de-

(13)

La question du meilleur mode d’attribution des contrats publics a fait couler beaucoup d’encre au cours des dernières années. Comme le soulignait Brian Myles dans l’éditorial précité, il s’avère que « la réponse à cette question [sélectionner un cocontractant en fonction du prix ou de la qualité de sa soumission] est aussi difficile à trancher que le sempiternel débat sur les origines de l’espèce. Aussi bien s’interroger sur qui, de l’œuf ou la poule, est venu en premier. » La plupart des auteurs qui se sont intéressés à la question de façon approfondie en sont venus à la conclusion que le prix ne devrait pas, dans tous les cas, être le seul critère d’octroi d’un contrat public, mais qu’il peut être utile d’y recourir en certaines circonstances10.

Paradoxalement, parmi les raisons invoquées par le gouvernement pour justifier la modification des règles applicables en matière d’octroi de certains contrats de services professionnels, il y avait l’objectif de donner suite à l’une des recommandations de la Commission sur l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction (ci-après la « Commission

10 Jacques PICTET et Dominique BOLLINGER, Adjuger un marché au mieux-disant : analyse multicritère,

pratique et droit des marchés publics, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2003;

Benjamin David GROSS et Gérard MOUNIER, « Appels d’offres publics : peut-on s’affranchir de la règle du plus bas soumissionnaire ? », L’observateur infra no5 (2017); Paul SANDORI et William M PIGOTT, Bidding and

tendering : what is the law?, 5e éd., Markham, Lexisnexis Canada, 2015; Nicholas JOBIDON, Contrats des

organismes publics inférieurs au seuil d’appel d’offres : comment choisir le bon mode d’adjudication, Brossard,

Québec, Publications CCH, 2012; Johan STAKE, « Evaluating quality or lowest price: consequences for small

and medium-sized enterprises in public procurement », (2017) 42-5 The Journal of Technology Transfer 1143‑1169; André LANGLOIS, L’adjudication des contrats municipaux par voie de soumissions, 2e éd.,

Cowansville, Québec, Éditions Yvon Blais, 1994; Marc LAPERRIÈRE, « Le système de pondération et

d’évaluation des offres et ses embuches ; retour sur l’affaire de “L’Immobilière” », dans Développements

récents en droit municipal, 317, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2010, p. 51; Agustí CERRILL-I-MARTÍNEZ

et Julie PONCE (dir.), Preventing Corruption and Promoting good Government and Public Integrity, coll. Droit

administratif, n°24, Bruxelles, Bruylant, 2017; Stéphane SAUSSIER et Jean TIROLE, « Renforcer l’efficacité de

la commande publique », (2015) 22-3 Notes du conseil d’analyse économique 1; Gian Luigi ALBANO et Caroline NICHOLAS, The law and economics of framework agreements : designing flexible solutions for public

procurement, Cambridge, United Kingdom, Cambridge University Press, 2016; Yuhua QIAO et Glenn

CUMMINGS, « The use of qualifications-based selection in public procurement: A survey research », (2003)

3-2 Journal of Public Procurement 3-215‑3-249; Kevin MCGUINNESS et Stephen BAULD, « Value for money »,

Summit 9-1 (2006), p. 20; Jean-Benoît POULIOT, L’évaluation qualitative des offres. Vers une meilleure gestion

des deniers publics ?, Québec, mémoire de maîtrise, Québec, Faculté des études supérieures, Université Laval,

(14)

Charbonneau »)11, à savoir de diversifier les modes de sélection des cocontractants de l’État12. Or,

l’un des principaux reproches formulés à l’endroit du projet de règlement était qu’il allait à précisément l’encontre des recommandations de la Commission Charbonneau13. S’il est vrai qu’au

terme de son enquête, la Commission Charbonneau a recommandé au gouvernement d’adopter des règles d’attribution adaptées à la nature de chaque projet, elle a également remis en cause l’hégémonie de la règle du plus bas soumissionnaire conforme en soulignant que « le choix d’une entreprise pour concevoir, surveiller et réaliser des projets complexes de construction publics devrait faire appel à des critères de qualité pertinents »14. En dépit de ce constat on ne peut plus clair, le projet de règlement

proposait de faire exactement le contraire.

Il faut dire que l’octroi de contrats publics est l’activité de l’Administration la plus exposée aux risques de corruption et que celle-ci pose de nombreux défis sur le plan de l’éthique du service public15. Les témoignages entendus dans le cadre de la Commission Charbonneau ont révélé que les

méthodes traditionnelles d’adjudication des contrats publics, par la procédure d’appels d’offres publics notamment, sont loin de garantir l’intégrité des processus et les impératifs de transparence et de traitement équitable des soumissionnaires. Ses travaux ont également mis en lumière l’importance d’opérer un changement de culture dans la façon d’administrer l’activité contractuelle de l’État québécois.

11 La Commission Charbonneau a été mise sur pied en novembre 2009 dans la foulée des nombreux problèmes de collusion et de corruption sévissant dans l’industrie de la construction et qui ont été révélés par les médias et certains lanceurs d’alerte. La Commission Charbonneau avait notamment pour mission « d’examiner des pistes de solution et de faire des recommandations en vue d’établir des mesures permettant d’identifier, d’enrayer et de prévenir la collusion et la corruption dans l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction ainsi que l’infiltration de celle-ci par le crime organisé ». Pour consulter le mandat complet de la Commission Charbonneau, voir le Décret 1119-2011 concernant la constitution de la

Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction, (2011)

44 G.O. II, 4767.

12 Anabelle CAILLOU, « La règle du plus bas soumissionnaire inquiète les architectes et ingénieurs », Le Devoir (11 août 2018), en ligne : <https://www.ledevoir.com/politique/quebec/534311/la-regle-du-plus-bas-soumissionnaire-inquietent-les-architectes-et-ingenieurs> (consulté le 6 septembre 2018).

13 La présidente du conseil d’administration de l’Association des architectes en pratique privée du Québec, le PDG de l’Association des firmes de génie-conseil du Québec ainsi que 24 autres acteurs du milieu ont même invoqué que les nouvelles règles seraient pires que celles dénoncées lors de la Commission Charbonneau : « Il est incompréhensible que le gouvernement propose un projet de règlement qui reprend les erreurs du mode d’octroi des contrats qui était imposé dans le monde municipal en proposant des options qui sont pires que celles dénoncées par la Commission Charbonneau » A. CARRIER et A. RAINVILLE, préc., note 5.

14 France CHARBONNEAU et Renaud LACHANCE, Rapport final de la Commission d’enquête sur l’octroi et la

gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction, Québec, 2015, p. 98 (tome 3).

15 ORGANISATION DE COOPÉRATION ET DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUES, L’intégrité dans les marchés publics

les bonnes pratiques de A à Z, Paris, 2007, en ligne : <www.oecd.org/gov/ethique/marchespublics/az> (consulté

(15)

Le Québec n’est pas seul à faire face à ce défi. Ailleurs dans le monde, les administrations publiques multiplient les efforts afin de juguler la collusion et la corruption dans le cadre de leurs activités contractuelles. La littérature sur le sujet est abondante et les moyens proposés pour y parvenir sont variés. Qu’il s’agisse d’empêcher les entreprises ayant contrevenu à la loi d’avoir accès aux contrats publics16, d’augmenter la transparence de chacune des étapes du cycle de vie des projets

publics17, de favoriser la responsabilité sociale des entreprises18, de former les titulaires de charges

publiques à l’éthique du service public19, de renforcer l’intégration et la coordination des institutions

16 Christopher YUKINS, « Cross-Debarment: A Stakeholder Analysis », (2013) 45-2 The George Washington

International Law Review 219‑234; Emmanuelle AURIOL et Tina SØREIDE, « An economic analysis of

debarment », (2017) 50-C International Review of Law & Economics 36. Pour une analyse des aspects plus controversés de ce type de mécanismes, voir Marie-Hélène DUFOUR, « La Loi sur l’intégrité en matière de

contrats publics : précipitation, confusion et imprécision », (2013) 72 Revue du Barreau 213‑285; Tina SØREIDE, Linda GRÖNING et Rasmus WANDALL, « An Efficient Anticorruption Sanctions Regime? The Case

of the World Bank », (2016) 16-2 Chicago Journal of International Law 523‑552.

17 Stéphane PAQUIN et Jean-Patrick BRADY, « Lutter efficacement contre la corruption : la Suède comme exemple », (2018) 20-1 Éthique publique, en ligne : <http://journals.openedition.org/ethiquepublique/3279> (consulté le 7 septembre 2018); Agustí CERRILLO-I-MARTÍNEZ, « Public transparency as a tool to prevent

corruption », dans Agustí CERRILLO-I-MARTÍNEZ et Juli PONCE (dir.), Preventing Corruption and Promoting

good Government and Public Integrity, coll. Droit administratif, n°24, Bruxelles, Bruylant, 2017, p. 1‑24;

Philippe G. NELL, « Transparence dans les marchés publics : Options après la cinquième conférence

ministérielle de l’OMC à cancún », (2004) t. XVIII, 3-3 Revue internationale de droit économique 355, DOI :

10.3917/ride.183.0355.

18 Susan ROSE-ACKERMAN, « ‘‘Grand’’ corruption and the ethics of global business », (2002) 26 Journal of

Banking & Finance 1889–1918; François LÉPINEUX, Jean-Jacques ROSÉ, Carole BONAMI et Sarah HUDSON, La

RSE: la responsabilité sociale des entreprises - théories et pratiques, Paris, Dunod, 2010; Michel DION,

« Uncertainties and presumptions about corruption », (2013) 9-3 Social Responsibility Journal 412‑426. 19 Georges A.LEGAULT, « Prévenir la corruption par la formation en éthique: mission impossible ? », dans André LACROIX et Yves BOISVERT (dir.), Marchés publics à vendre: éthique et corruption, Montréal, Liber,

2015, p. 187‑200; Terry L. COOPER, « Hierarchy, Virtue, and the Practice of Public Administration: A

Perspective for Normative Ethics », (1987) 47-4 Public Administration Review 320; Anthony D.MOLINA,

« Public Ethics and the Prevention of Corruption », dans Agustí CERRILL-I-MARTÍNEZ et Julie PONCE (dir.),

Preventing Corruption and Promoting good Government and Public Integrity, coll. Droit administratif, n°24,

Bruxelles, Bruylant, 2017, p. 153‑172; Fabrice LARAT, « Quelle place pour les vertus dans l’administration

publique ?: Le rôle de la formation dans le développement d’une culture éthique chez les hauts fonctionnaires », (2013) 15-2 Éthique publique, en ligne : <http://journals.openedition.org/ethiquepublique/1301> (consulté le 7 septembre 2018); Robert C. SOLOMON, « Rôles professionnels, vertus personnelles: une approche

aristotélicienne de l’éthique des affaires », dans Ethique des affaires: marché, règle, responsabilité, Paris, J. Vrin, 2011, p. 197‑242.

(16)

en place20, de mieux baliser le financement politique21, de protéger les lanceurs d’alerte22, d’abolir les

obstacles à la libre concurrence23, de libéraliser les marchés24 ou encore de favoriser

l’interdisciplinarité dans la recherche et dans la pratique entourant la prévention de la corruption et de la collusion25, les idées proposées pour permettre d’assainir l’activité contractuelle étatique ne

manquent pas.

Si les problèmes de corruption et de collusion que nous venons d’évoquer peuvent expliquer en partie l’abondance des recherches menées sur les contrats publics depuis un certain temps, il faut également ajouter que l’expansion et la complexification de l’activité contractuelle étatique a également engendré son lot de questions et de défis. L’État vit une période de contractualisation sans précédent, phénomène que les professeures Jody Freeman et Martha Minow nomment « Government

by contract » dans leur ouvrage du même nom26. La montée en flèche de l’interventionnisme étatique

20 Luc BÉGIN, « Les défaillances des gardiens institutionnels », (2016) 18-2 Éthique publique; Luc BÉGIN, Yves BOISVERT, Pierre BERNIER et André LACROIX, « Quand l’éthique a besoin d’institutions. Pour une infrastructure de régulation des agents publics plus efficaces. », dans André LACROIX et Yves BOISVERT (dir.), Marchés

publics à vendre: éthique et corruption, Montréal, Liber, 2015, p. 231‑248; Michael WALZER, Raison et

passion: pour une critique du libéralisme, Belval, Circé, 2003.

21 Timothy K.KUHNER, « Plutocracy and Partyocracy: The Corruption of Liberal and Social Democracies », dans Agustí CERRILL-I-MARTÍNEZ et Julie PONCE (dir.), Preventing Corruption and Promoting good

Government and Public Integrity, coll. Droit administratif, n°24, Bruxelles, Bruylant, 2017, p. 173‑200;

Lawrence LESSIG, Republic, lost: how money corrupts Congress--and a plan to stop it, 1re éd., New York,

Twelve, 2011.

22 Myriam LEVESQUE, Sarah-Mary DOYON et Vicky POIRIER, « Défis liés à la mise en place des recommandations de la Commission Charbonneau », (2016) 18-2 Éthique publique, en ligne : <http://journals.openedition.org/ethiquepublique/2833> (consulté le 7 septembre 2018).

23 Lauren BRINKER, « Introducing New Weapons in the Fight Against Bid Rigging to Achieve a More Competitive U.S. Procurement Market », (2014) 43-3 Public Contract Law Journal 547; Christian BORDELEAU,

« Le renforcement des critères de sélection permet-il d’augmenter l’intégrité ou les risques de corruption ? », dans André LACROIX et Yves BOISVERT (dir.), Marchés publics à vendre : éthique et corruption, 2015, p. 107.

24 ORGANISATION DE COOPÉRATION ET DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUES, Reccomandation du conseil de

l’OCDE sur la luttre contre les soumissions concertées dans les marchés publics, 2012, en ligne :

<http://www.oecd.org/daf/competition/RecommendationOnFightingBidRigging2012FR.pdf> (consulté le 4 août 2018); Dionisios A. LALOUNTAS, George A. MANOLAS et Ioannis S. VAVOURAS, « Corruption,

globalization and development: How are these three phenomena related? », (2011) 33-4 Journal of Policy

Modeling 636‑648. Mentionnons que selon les recherches menées par ces derniers auteurs, il y aurait une

corrélation entre la libéralisation des marchés et la diminution de la corruption dans les pays développés économiquement alors que ce ne serait pas nécessairement le cas dans les pays en voie de développement. Les auteurs avancent que le meilleur moyen de lutter contre la corruption dans ces pays consiste à lutter d’abord contre la pauvreté.

25 Agustí CERRILL-I-MARTÍNEZ, « What can a transdisciplinary approach to corruption contribute to administrative law », dans Agustí CERRILL-I-MARTÍNEZ et Julie PONCE (dir.), Preventing Corruption and

Promoting good Government and Public Integrity, coll. Droit administratif, n°24, Bruxelles, Bruylant, 2017,

p. 211‑223.

26 Jody FREEMAN et Martha MINOW (dir.), Government by contract: outsourcing and American democracy, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 2009.

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s’est accompagnée d’une croissance de son activité contractuelle27. Le Québec dépense annuellement

quelque 28 milliards de dollars de ses fonds publics par l’entremise de son pouvoir contractuel28. Pour

la plupart des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (ci-après : l’« OCDE »), c’est plus de 15 % du produit intérieur brut qui est consacré aux contrats publics29.

Au Québec comme ailleurs, l’importance d’encadrer adéquatement cette activité ne fait aucun doute. Pourtant, il s’avère que le cadre juridique en vigueur dans plusieurs pays, ainsi qu’au Québec, fait en sorte que les cocontractants de l’État sont généralement sélectionnés en fonction du prix ou de la qualité de leur prestation et non en fonction de leur propension à servir l’intérêt public ou à incarner les valeurs démocratiques généralement attendues de la part de ceux qui les mandatent. Or, des auteurs ont bien montré l’importance pour les agents publics de cultiver certaines valeurs démocratiques : « puisque le Québec jouit d’une démocratie parlementaire, les principes du gouvernement responsable constituent l’assise des valeurs de la Fonction publique. La reddition de comptes aux ministres – et, par leur intermédiaire, à la population du Québec –, les règles de droit et la loyauté envers l’intérêt public sont autant de valeurs démocratiques clés qui sous-tendent la mission de la fonction publique et servent d’assises à toutes ses autres valeurs »30. La réalisation de services

publics par des tiers soulève par conséquent de nombreuses inquiétudes : les comportements attendus de la part des administrations publiques, tels que l’imputabilité, la transparence et l’intégrité, peuvent-ils être exigés de la part des acteurs privés ?

À ces craintes s’ajoute l’hypothèse avancée par certains auteurs suivant laquelle le pouvoir contractuel de l’État souffrirait d’un certain déficit démocratique qui s’expliquerait par sa nature

27 Patrice GARANT, Droit administratif, 7e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2017, p. 367.

28 CHANTIER DE LÉCONOMIE SOCIALE, Marchés publics et économie sociale, un tandem au service des

collectivités, en ligne :

<http://www.chantier.qc.ca/userImgs/documents/rymlamrani/marches_public_brochure.pdf> (consulté le 20 novembre 2014).

29 Dans un rapport portant sur l’intégrité dans les marchés publics, l’OCDE rapporte que « La passation des marchés publics est une activité économique essentielle des administrations, qui a un impact majeur sur la manière dont l’argent des contribuables est dépensé. Les statistiques disponibles permettent de penser que les marchés publics représentent en moyenne 15 % du produit intérieur brut dans le monde, et qu’ils dépassent même ce chiffre dans les pays de l’OCDE. » : ORGANISATION DE COOPÉRATION ET DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUES, Liste de vérification pour renforcer l’intégrité dans les marchés publics, 2008, en ligne :

<http://www.oecd.org/fr/gov/41761420.pdf> (consulté le 20 avril 2016).

30 Louis SORMANY, « Les valeurs contemporaines de la fonction publique québécoise », (2002) 4-1 Éthique

publique, 3, en ligne : <http://journals.openedition.org/ethiquepublique/2495> (consulté le 29 décembre 2018).

Voir aussi : Pierre BERNIER, « L’éthique au sein du service public : un aspect de la gestion à moderniser »,

(2002) 4-1 Éthique publique, en ligne : <http://journals.openedition.org/ethiquepublique/2497> (consulté le 29 décembre 2018).

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intrinsèquement contractuelle, laquelle échappe bien souvent à tout contrôle public31. La relation

entre l’État et l’entreprise privée est gouvernée par des termes contractuels plutôt que par un cadre supralégislatif comme celui qui, par exemple, impose au gouvernement de ne pas violer les droits et libertés énoncées à la Charte canadienne des droits et libertés32 (ci-après : la « Charte canadienne »).

Rappelons, à ce sujet, que pour déterminer si un acteur non gouvernemental est assujetti à la Charte

canadienne, il faut vérifier si celui-ci exerce une compétence déléguée33 ou une fonction

« gouvernementale »34. Le test repose essentiellement sur la recherche d’un contrôle gouvernemental

de l’entité privée. Plus l’entité est autonome, moins elle risque de faire l’objet d’un contrôle constitutionnel. Qu’un acteur privé réalise un contrat public n’est pas en soi un facteur déterminant. Or, cela peut sembler « contre-productif »35 vis-à-vis de l’objectif d’exercer un plus grand contrôle

démocratique sur des entités privées qui se trouvent momentanément investies d’une charge publique : « it is when contractors have more discretion to exercise governmental power that the need

for supervision is most essential »36.

Des appréhensions se font également sentir lorsque les gouvernements décident de recourir aux contrats publics pour confier à des acteurs privés le mandat de réaliser des services très sensibles dont la nature voudrait qu’ils soient pris en charge par des entités imputables envers la population37.

Cette « délégation de pouvoirs » peut en effet choquer lorsqu’il s’agit d’activités qui sont difficilement dissociables de la mission d’intérêt public confiée à l’Administration38. Les inquiétudes

31 Martha MINOW, « Public and Private Partnerships: Accounting for the New Religion », (2003) 116-5 Harvard

Law Review 1229‑1270; Kimberly N. BROWN, « Government by contract and the structural constitution », (2011) 87-2 Notre Dame Law Review 491.

32 Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R.-U.)].

33 Un décideur qui tire ses pouvoirs de la loi doit les exercer conformément à la Charte canadienne des droits

et libertés: voir par exemple Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038.

34 Lorsqu’une entité pose un acte qui découle d’une politique gouvernementale, elle doit se conformer à la

Charte canadienne des droits et libertés. En revanche, si cet acte est le fruit d’une décision administrative qui

n’est pas dictée par une politique gouvernementale, alors la Charte ne trouve pas application : McKinney c.

Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229.

35 Nous empruntons ici l’expression de Kimberly N. Brown au sujet de la « State Action Doctrine » aux États-Unis : « Because the state action doctrine turns on a finding of government coercion or involvement in a private

act, its practical effect is counterintuitive » : K. N. BROWN, préc., note 31, 505. 36 Id., p. 507.

37 Terence KIM, « Let the rookies up to bat: re-evaluating legislation and agency practices in the procurement of private prison management services. », (2016) 49-3 Columbia Journal of Law and Social Problems 343‑386. 38 Kimberly N. Brown utilise l’expression « sensitive government functions »: K. N. BROWN, préc., note 31, 500.. Elle donne entre autres l’exemple d’une entreprise privée qui gère la majorité des services publics municipaux de la ville de Sandy Springs aux États-Unis. Le contexte québécois est évidemment fort différent, bien que la place du privé dans le réseau de la santé soulève des inquiétudes similaires. Voir les articles suivants qui résument bien les principaux enjeux liés à la délégation de certaines missions traditionnellement dévolues

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devant de telles délégations peuvent se faire d’autant plus vives lorsqu’elles sont jumelées à des craintes vis-à-vis d’un manque de robustesse des institutions en place39. La population s’attend en

effet de la part des pouvoirs publics qu’ils fassent en sorte que les deniers publics soient consacrés à des projets de qualité, payés à un prix raisonnable, selon un processus transparent et compétitif au terme duquel un cocontractant intègre aura idéalement été sélectionné.

Dans son Livre blanc pour une politique québécoise de l’architecture40, l’Ordre des

architectes du Québec a présenté les résultats de l’importante consultation publique qu’elle a menée en 2017 avec l’Institut du Nouveau Monde au sujet des différents enjeux ayant trait à la qualité architecturale du cadre bâti au Québec. Parmi les sujets abordés, il fut question des contrats publics et plus particulièrement des obstacles que pose le cadre juridique actuel en ce qui a trait à la promotion de la qualité architecturale dans la commande publique. Malgré le caractère très technique des enjeux abordés et bien que les contrats publics soient sujets à un cadre réglementaire pour le moins complexe, les citoyens se sont montrés très volubiles sur le sujet41. Ils se sont d’ailleurs mis d’accord pour pointer

la règle du plus bas soumissionnaire comme l’un des éléments susceptibles de compromettre la qualité architecturale des infrastructures québécoises. Les citoyens se sentent concernés par les contrats publics et souhaitent se prononcer sur ceux-ci42. Ce n’est pourtant pas le postulat qui est véhiculé par

ceux qui sont responsables d’édicter les règles applicables aux contrats publics. En témoigne de façon éloquente le préambule du projet de Règlement modifiant le Règlement sur certains contrats de

à l’Administration : David FLACHER, « Ouverture à la concurrence et service universel : avancées ou reculs du

service public ? », (2007) 2-2 Regards croisés sur l’économie 76; Frédéric MARTY, « La privatisation des

services publics : fondements et enjeux », (2007) 2-2 Regards croisés sur l’économie 90.

39 Alfred C. AMAN JR., « Privatization and the Democracy Problem in Globalization: Making Markets More Accountable through Administrative Law », (2001) 28 Fordham Urban Law Journal 1477; Calogero GUCCIO,

Domenico LISI et Ilde RIZZO, « Institutional and Social Quality of Local Environment and Efficiency in Public

Works Execution », dans Khi V. THAI (dir.), Global Public Procurement Theories and Practices, Cham,

Springer International Publishing, 2017, p. 199‑212, en ligne : <http://link.springer.com/10.1007/978-3-319-49280-3_11> (consulté le 7 septembre 2018).

40 ORDRE DES ARCHITECTES DU QUÉBEC, Livre blanc pour une politique québécoise de l’architecture: Appuis,

vision, jalons, Montréal, 2018.

41 C’est d’ailleurs ce que rapporte la présidente de l’ordre dans la lettre qu’elle adressait au gouvernement en lien avec les modifications annoncées au cadre règlementaire régissant les contrats de services professionnels : « Bien que les citoyens soient dans l’ensemble peu familiarisés avec les processus d’octroi des contrats publics, ceux qui ont participé à notre campagne étaient bien au fait du risque que ce mode de sélection fait courir à la qualité en construction » N. DION, préc., note 6, p. 5.

42 L’Annexe III du Livre blanc pour une politique québécoise de l’architecture contient une déclaration commune qui souligne d’entrée de jeu, à propos de l’architecture, que celle-ci « influe sur nos habitudes, nos déplacements, notre santé, notre économie, nos rapports sociaux, notre impact sur l’environnement. Elle marque nos paysages naturels et urbains pour des décennies, voire des siècles. Témoin de nos valeurs et de nos ambitions comme société, elle est une composante essentielle de notre identité culturelle. Elle constitue un patrimoine dont nous héritons et que nous léguons aux générations futures. Elle contribue à forger l’image que nous projetons au reste du monde. » : ORDRE DES ARCHITECTES DU QUÉBEC, préc., note 40, p. 42.

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services des organismes publics qui mentionne « Ces projets de règlement n’ont pas d’impact sur les

citoyens »43. L’absence de dialogue entre les citoyens44 qui sont, ne l’oublions pas, les principaux

usagers des projets qui font l’objet des contrats publics, et ceux qui sont chargés de les concevoir, de les exécuter et de les superviser, commence à retenir l’attention de certains chercheurs45.

La gestion des projets faisant l’objet des contrats publics présente elle aussi de nombreux défis. Pour paraphraser le professeur Steven J. Kelman, le droit est souvent vu comme un monde de

contraintes alors que le management s’intéresse davantage aux objectifs, à la vision et aux résultats46.

Il soutient, à l’instar d’autres auteurs, que l’activité contractuelle du gouvernement est parfois paralysée par un cadre juridique excessif et inutilement complexe. À son avis, certaines règles, plutôt que de promouvoir les valeurs qui devraient guider l’Administration publique lors de l’exercice de son pouvoir contractuel47, freinent celles-ci en obligeant les pouvoirs publics à se focaliser sur le

respect des procédures contractuelles plutôt que sur leurs finalités. Se pose dès lors la question de l’équilibre entre les moyens et les résultats recherchés. Comment, les procédures en place, peuvent-elles être en adéquation avec les résultats attendus des contrats publics, tout en faisant la promotion des valeurs démocratiques devant caractériser l’exercice des pouvoirs publics ? Comment rallier des parties aux intérêts divergents dans le cadre d’une activité contractuelle comme celle qui consiste à réaliser un projet public ?

43 Règlement modifiant le Règlement sur certains contrats de services des organismes publics (projet), préc., note 3.

44 Précisons dès maintenant que, par « citoyens » ou « public », deux expressions qui seront employées fréquemment dans les pages qui vont suivre, nous entendons de manière générale : toute personne affectée de près ou de loin par les projets qui font l’objet des contrats publics. Dans le cas de la construction d’un hôpital par exemple, le public peut être composé des usagers, des employés, des résidents du quartier projeté pour la construction et de tous les autres individus ou groupes qui sont affectés de près ou de loin par ce projet. 45 Susan ROSE-ACKERMAN, « Citizens and technocrats: an essay on trust, public participation, and government legitimacy », dans Susan ROSE-ACKERMAN, Peter L. LINDSETH et Blake EMERSON (dir.), Comparative

Administrative Law, 2e éd., Cheltenham, UK, Edward Elgar Publishing, 2017, p. 251; Myrish T. CADAPAN

-ANTONIO, « Participation of Civil Society in Public Procurement: Case Studies from the Philippines », Public

Contract Law Journal 2007.629; Paul CROZET et François RANGEON, « Le public dans les contrats de ville :

habitant, citoyen ou client ? », (2006) 24-4 Politiques et management public 17.

46 Steven J. KELMAN, « Achieving Contracting Goals and Recognizing Public Law Concerns - A contract Management Perspective », dans Jody FREEMAN et Martha MINOW (dir.), Government by contract: outsourcing

and American democracy, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 2009, p. 159.

47 Dont les suivantes : « accountability, rationality in decision making, respect for persons, honesty, and

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QUESTION DE RECHERCHE

Comme nous venons de le voir, nombreux sont les travaux réalisés sur les problèmes qui affectent l’exercice du pouvoir contractuel de l’État et sur les défis qu’il présente du point de vue de son encadrement. Qu’il s’agisse des risques de corruption et de collusion, des difficultés posées par les modes d’adjudication, du déficit démocratique affectant l’exercice de ce type de pouvoir public ou encore des débats portant sur la nature des projets qui devraient être confiés au privé et à ceux qui devraient rester dans le giron de l’Administration publique, la littérature est particulièrement bien alimentée.

D’un point de vue plus fondamental, les nombreux enjeux soulevés par l’exercice du pouvoir contractuel de l’État mettent en évidence la question qui se trouve en trame de fond de toutes les autres : En fin de compte, à quoi servent les contrats publics, quelle est leur finalité ? Car avant de s’interroger sur les moyens qu’il convient de préconiser pour encadrer un pouvoir public, encore faut-il se demander quelle en est la finalité. En ce qui a trait aux contrats publics, l’état du droit administratif sur cette question est on ne peut plus clair : le contrat public a pour finalité de servir

l’intérêt public. La réponse à cette question fait généralement consensus, pour ne pas dire l’unanimité

chez les auteurs et au sein des tribunaux.

Nous le verrons plus en détail dans la section consacrée au particularisme du contrat public, mais mentionnons tout de suite que ce qui distingue le contrat privé du contrat public et ce qui fait qu’on lui applique des règles exorbitantes du droit commun, c’est précisément qu’il a pour finalité de servir l’intérêt public. Autrement dit, pourquoi acceptons-nous que les relations contractuelles auxquelles est partie l’État ne soient pas régies par les mêmes règles que celles qui concernent seulement des parties privées ? Pourquoi de tels contrats font l’objet d’un traitement juridique particulier ? La réponse à ces questions peut être résumée comme suit : le contrat public est passé au bénéfice d’un intérêt plus grand que la simple addition des intérêts particuliers des parties qui s’entendent dans le cadre d’un contrat usuel. Par ce que l’intérêt public est en jeu, il est possible de déroger ou d’ajouter aux règles du jeu qui gouvernent les relations contractuelles ordinaires.

Mais qu’est-ce que signifie « servir l’intérêt public » ? Plus particulièrement, qu’est-ce que

signifie l’intérêt public dans le contexte de l’exercice du pouvoir contractuel de l’État ? De façon

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l’intérêt public, mais personne n’en donne de définition. La loi est elle aussi silencieuse sur la question. Ce constat, jumelé à l’intuition qu’une enquête sur la véritable finalité des contrats publics pourrait contribuer à mieux comprendre les racines des problèmes auxquels font face les administrations publiques lorsqu’il est question d’exercer leur pouvoir contractuel, nous incitent à emprunter cet angle de recherche.

HYPOTHÈSE

Notre hypothèse de départ est la suivante : le cadre normatif applicable aux contrats publics québécois est dominé par une conception budgétaire de la notion d’intérêt public. À notre avis, et c’est ce que nous tenterons de vérifier, la notion d’intérêt public est si étroitement associée au respect des contraintes budgétaires, que les deux notions en sont venues à se confondre. Autrement dit, un contrat public sera présumé servir l’intérêt public si celui-ci est conçu et exécuté dans le respect des budgets. Nous croyons en outre que cette conception budgétaire de l’intérêt public a comme principale conséquence de faire primer le prix des soumissions sur d’autres critères de sélection comme par exemple, la qualité de la prestation, la responsabilité sociale du cocontractant ou la conformité des méthodes proposées avec les normes environnementales.

Si cette hypothèse s’avère fondée, cela signifie que, dans les faits, les contrats publics sont régis par une conception de l’intérêt public qui laisse bien peu de place à d’autres variables. Or, une notion comme l’intérêt public ne peut pas se laisser emprisonner dans un cadre aussi hermétique. L’intérêt public, de par les fonctions qui lui ont traditionnellement été dévolues en droit administratif, ne peut pas être l’accessoire, le prête-nom ou le serviteur d’une conception particulière et figée d’une autre chose qui lui serait immanente48. Le risque que nous voulons ici souligner, ce n’est pas tant que

l’intérêt public soit caractérisé par une conception particulière – ce qui sera d’ailleurs toujours le cas en raison du caractère perméable de la notion – mais plutôt qu’il soit dominé par cette conception au point d’opérer une certaine confusion entre la conception et la notion et de faire oublier cette dernière au profit de l’idéologie qu’elle véhicule. Une telle situation présente le danger d’appliquer l’intérêt

48 Le professeur Didier Truchet, qui s’est intéressé durant toute sa carrière à la notion d’intérêt général, mentionne ce qui suit à son sujet : « Ces caractéristiques [son imprécision conceptuelle et sa plasticité] ne sont pas des défauts, mais des qualités qui le rendent précieux pour appliquer une règle à des situations de fait de plus en plus diverses. Il est en phase avec le glissement progressif de nos systèmes juridiques vers un système de valeurs : il met de la légitimité dans la légalité ». Didier TRUCHET, « La notion d’intérêt général : le point de

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public de manière dogmatique, sans réel questionnement sur ce qui est vraiment d’intérêt public selon chaque cas d’espèce. Donc, si notre hypothèse s’avère fondée, cela implique de proposer une façon de refonder l’intérêt public à la lumière de paramètres lui permettant de retrouver sa « liberté » conceptuelle.

CADRE THÉORIQUE ET MÉTHODOLOGIE

La thèse qui suit procède d’un exercice de déconstruction et de reconstruction. Ce qui sera déconstruit dans un premier temps, pour être reconstruit dans un second, c’est la conception dominante de l’intérêt public telle qu’elle se dégage du cadre normatif applicable aux contrats publics québécois.

Dans la première partie de la thèse, nous ferons état des liens qu’entretiennent les notions

d’intérêt public et de contrat public en droit québécois. Nous présenterons ensuite les fonctions qui ont traditionnellement été dévolues à la notion d’intérêt public (fondement, but et limite des pouvoirs de l’État) ainsi que les deux grandes conceptions qui ont caractérisé cette notion au fil du temps (la conception utilitariste et la conception volontariste). Cela nous permettra d’analyser, dans un second temps, le cadre normatif applicable aux contrats publics afin de découvrir la conception de l’intérêt public qui s’en dégage.

Mais comment identifier la conception dominante de l’intérêt public lors de l’exercice du pouvoir contractuel de l’État ? Comme la loi ne nous en donne aucune définition, nous nous sommes livrés à un exercice d’interprétation. Pour ce faire, nous avons porté notre regard sur le du cadre

normatif qui régit les contrats publics québécois et nous avons tenté d’isoler tous les éléments

susceptibles de nous fournir des indices sur la façon dont est conçue la notion d’intérêt public lorsqu’il est question de contrat public. Précisons ici qu’il n’était pas de notre intention de brosser un portrait détaillé des règles applicables aux contrats publics49, mais plutôt d’en faire ressortir les éléments les

plus révélateurs pour les fins de notre question de recherche. C’est pourquoi nous nous sommes efforcés, dans cette première partie de la thèse, de présenter du même souffle les éléments les plus

49 D’autres l’ont fait avant nous : Pierre GIROUX, Denis LEMIEUX et Nicholas JOBIDON, Contrats des organismes

publics : loi commentée, 2e éd., Brossard, Québec, Wolters Kluwer CCH, 2013; Pierre LEMIEUX, Les contrats

de l’administration fédérale, provinciale et municipale, Sherbrooke, Éditons RDUS, 1981; Andrée LAJOIE,

Contrats administratifs : jalons pour une théorie, Montréal, Éditions Thémis, 1984; Pierre GIROUX et Denis

LEMIEUX, Contrats des organismes publics québécois, Farnham (Qc), Publications CCH/FM Ltée, 1988; Paul

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déterminants du cadre normatif et la lecture que nous en faisons. Les autres éléments, que nous avons volontairement omis de présenter, sont ceux qui ne nous renseignent pas ou peu sur l’interprétation à donner à la notion d’intérêt public. À titre d’exemple, nous n’avons pas traité de façon exhaustive des règles qui encadrent les mesures de surveillance et d’accompagnement des entreprises inadmissibles aux contrats publics ou du rôle du Commissaire à la lutte contre la corruption, si ce n’est que pour mentionner que l’intégrité des cocontractants de l’État peut parfois apparaître comme une composante de l’intérêt public.

Si nous avons choisi d’étudier le cadre normatif plutôt que le simple cadre juridique applicable aux contrats publics, c’est parce que celui-ci nous semble plus à même de révéler certaines tendances dans la façon dont se vit concrètement l’activité contractuelle étatique. Comme le mentionnait le professeur Jean-Guy Belley dans un article paru en 1991 en guise de compte-rendu d’une importante étude empirique ayant porté sur les relations contractuelles entre l’aluminerie Alcan et ses fournisseurs, « la science du droit fournit une vision abstraite de la réalité concrète »50 et il faut

par conséquent se demander « quelle sorte d’abstraction la théorie juridique se révèle être par rapport à la réalité sociologique »51.

En posant notre regard sur les normes qui gouvernent les contrats publics et non seulement sur les règles de droit qui les encadrent, nous nous donnons l’occasion d’étudier, en sus des lois, des règlements et de la jurisprudence, tout le corpus des directives et des politiques édictées pour mieux circonscrire l’activité contractuelle étatique et guider les responsables de l’approvisionnement qui œuvrent au quotidien au sein des organismes publics. Cette posture normative nous autorise également à inclure dans notre analyse la structure usuelle des documents d’appels d’offres de même que les principales composantes de la gestion des projets publics. Évidemment, nous ne prétendons pas ici à l’étude empirique ou à l’étude sociologique des contrats publics. Notre cadre d’analyse demeure principalement axé sur le régime juridique applicable aux contrats publics, lequel est composé des sources formelles du droit que sont les règles de droit.52. Notre cadre d’analyse est

50 Jean-Guy BELLEY, « L’entreprise, l’approvisionnement et le droit. Vers une théorie pluraliste du contrat », (1991) 32-2 Les Cahiers de droit 253, 286.

51 Id.

52 Même si dans un régime de droit civil comme celui du Québec, la jurisprudence n’est pas considérée de facto comme une source de droit formelle, nous considérons que dans le domaine des contrats publics, une branche du droit administratif, l’influence de la Common law et de la jurisprudence est si importante qu’il serait incorrect de ranger cette source du droit dans la catégorie des normes qui ne constituent pas des règles de droit. Pour une revue de l’influence de la jurisprudence en droit québécois, voir : Albert MAYRAND, « L’autorité du précédent

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toutefois enrichi par l’ajout d’autres sources, que nous pouvons qualifier de sources « matérielles ». Nous croyons que la prise en compte de ces autres sources est absolument nécessaire dans le domaine étudié, car il s’agit d’un passage obligé pour bien comprendre l’ensemble des variables qui ont une influence dans la façon dont sont conçus, octroyés et réalisés les contrats publics québécois et par voie de conséquence, dans la façon dont est conçue la notion d’intérêt public telle qu’appliquée à ce domaine.

Le choix d’une analyse des contrats publics sous l’égide d’une pluralité de normes se révèle d’autant plus judicieux dans le contexte où l’objet de notre étude est le contrat public et que celui-ci implique l’intervention d’un organisme public et d’une partie privée. Le contrat classique, conçu comme un simple accord de volontés entre deux personnes libres de consentir et désireuses de s’entendre sur un but précis, peut certainement être étudié sous l’angle des clauses contenues au contrat et des règles de droit auxquelles ces personnes sont tenues. Une telle démarche ne permet toutefois pas de saisir toute l’importance et les nuances des autres normes qui commandent certains comportements dans les pratiques des nombreux intervenants qui concourent à la conclusion d’un contrat de la nature de ceux qui donnent lieu au démarrage d’un projet public. Comme le mentionnait Jean-Guy Belley en introduction de l’article précité, les nombreuses recherches menées sur les contrats, particulièrement ceux de nature commerciale, ont « montré que le droit étatique des contrats n'occupe qu'une place marginale dans la pratique des échanges commerciaux, qu'il soit envisagé comme outil de planification ou comme mode de résolution des litiges »53. Bien que commentaire

visait plus spécifiquement les contrats de nature privée, cela nous semble tout aussi vrai en ce qui a trait au contrat public.

Nous sommes évidemment conscients que notre analyse aurait été encore plus complète si nous avions été en mesure de capturer le point de vue des acteurs qui interviennent au quotidien dans l’univers des contrats publics. Pour ce faire, nous aurions pu réaliser des entrevues dirigées ou semi-dirigées ou entreprendre une démarche d’observation de la nature de celle qui a été menée par le professeur Belley dont nous évoquions les travaux précédemment. Pour différentes raisons, notamment parce qu’il nous semblait plus opportun de comprendre en profondeur notre sujet sous un angle théorique avant de nous aventurer sur ce que nous pourrions appeler le « terrain » des projets publics, nous avons choisi de ne pas emprunter une approche empirique dans le cadre de cette thèse. Nous avons toutefois bon espoir que les conclusions auxquelles mènera notre étude auront

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