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Ducharme et Vian, phonographes du pornographe? : approche de l'esthétique de la transgression langagière dans "Le nez qui voque" et "L'automne à Pékin"

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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JACINTHE DUBÉ

DUCHARME ET VIAN,

PHONOGRAPHES DU PORNOGRAPHE ?

Approche de l'esthétique de la transgression langagière dans Le

nez qui voque et L'automne à Pékin

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures et postdoctorales de l'Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en études littéraires

pour l'obtention du grade de Maître ès arts (M.A.)

Faculté des études supérieures et postdoctorales de l'Université Laval UNIVERSITÉ LAVAL

QUÉBEC

2012

c

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Résumé

Ce mémoire propose un parallèle entre deux gures centrales des mouvements de transgression propres au XXe siècle, Boris Vian et Réjean Ducharme. Issu de l'inter-discursivité ducharmienne et de la fascination de Vian pour l'Amérique, ce croisement d'imaginaires se veut une lecture accompagnée des parcours des deux auteurs et un approfondissement de leurs anités par l'entremise de deux romans, Le nez qui voque et L'automne à Pékin. Sous l'égide de la transgression langagière, ces deux ÷uvres dé-ploient une critique ludique des institutions et, plus largement, une critique de la société de consommation et de la société du mérite. Cette mise à mal des systèmes dominants prend pour bouc-émissaire l'écrivain commercial, que Ducharme se plaît à qualier de pornographe, et a pour arme un plurilinguisme désinvolte qui prend ses racines dans la langue parlée, reléguant Ducharme et Vian au statut de phonographes.

Abstract

In this dissertation are analysed two major gures of the transgression that cha-racterizes the 20th century, Boris Vian and Réjean Ducharme. This parallel is born of the interdiscursivity that is present in the work of Ducharme and of the fascination of Vian for America. It suggests a reading of their two imaginative worlds through the exploration of two novels, Le nez qui voque and L'automne à Pékin. In both works we see deployed, through transgressive language, a playful criticism of institutions and, more broadly, of consumer and meritocratic culture. The gure of the commercial wri-ter, labelled as pornographer by Ducharme, acts as a scapegoat in this criticism, just as Ducharme's and Vian's multilingualism transforms them in phonographs who play with words and language with complete freedom.

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Remerciements

Je tiens d'abord à remercier chaleureusement ma directrice, Marie-Andrée Beaudet, qui a su m'éclairer à chaque étape de cette aventure. Sa présence tout au long de mon parcours a été des plus inspirantes.

Merci également à mes premiers lecteurs, Richard Saint-Gelais et Marc Lapprand, qui m'ont savamment conseillée pendant ces deux années de recherche. Je tiens égale-ment à souligner les bienheureux conseils de Petr Vurm et d'Élisabeth Haghebaert et les remercie pour l'enthousiasme qu'ils ont su me transmettre à travers leurs recherches. Je suis aussi reconnaissante envers le CRILCQ et le Département des littératures pour leur soutien lors de ma Maîtrise.

Je remercie mes parents pour leur soutien et leurs encouragements. Merci à mes chers amis pour leur présence. Enn, un merci tout particulier à Thomas.

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Liste des abréviations

 AA : Réjean Ducharme, L'avalée des avalés, Paris Gallimard, 1966, 378 p.  AP : Boris Vian, L'automne à Pékin, Paris, les Éditions de Minuit (Double),

1956, 297 p.

 EJ : Boris Vian, L'écume des jours, dans ×uvres romanesques complètes, Paris, Gallimard (La Pléiade), 2010, t. 1, p. 343-499.

 EN : Réjean Ducharme, Les enfantômes, Paris, Gallimard (NRF), 1976, 283 p.  FCC : Réjean Ducharme, La lle de Christophe Colomb, Paris, Gallimard, 1969,

232 p.

 HF : Réjean Ducharme, L'hiver de force, Paris, Gallimard, 1973, 273 p.  NV : Réjean Ducharme, Le nez qui voque, Paris, Gallimard, 1967, 333 p.  OC : Réjean Ducharme, L'océantume, Paris, Gallimard, 1968, 262 p.

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Table des matières

Résumé iii

Abstract iii

Remerciements v

Liste des abréviations vii

Introduction 1

I Ducharme et Vian, polygraphes

7

1 Deux ÷uvres marquées par la chanson 9

1.1 Survol des genres : deux créateurs éclectiques . . . 9

1.2 Instauration d'un dialogue . . . 13

1.3 Deux écrivains à la lumière de leurs chansons . . . 14

2 Interdiscursivité et manigances ducharmiennes 19 2.1 Les deux écrivains face aux discours dominants . . . 19

2.2 Mise en place de l'idole . . . 22

2.3 Vian et son  alter-negro  . . . 25

2.4 C'est si beau  Fais-moi mal  . . . 26

3 Autoprésentation des écrivains : refus du sérieux littéraire 29 3.1 Deux lecteurs avides . . . 29

3.2 Des textes liminaires éloquents . . . 30

3.3 Le sot et le bouon, deux gures qui  ne sont pas de ce monde  . . . 32

4 La vision de l'homme de lettres : esthétique de la désertion 35 4.1 Deux francs-tireurs marginaux . . . 35

4.2 Deux écrivains et leur tribu . . . 36

4.3 Ni Anciens ni Modernes . . . 38

4.4 Une recherche de convivialité . . . 39 ix

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4.5 Un bouc-émissaire commun : le pornographe . . . 42

II Ducharme et Vian, phonographes du pornographe

45 5 Le paratexte et les plaisirs du phonographe 47 5.1 Contexte de l'écriture . . . 47

5.2 Le paratexte au service du plaisir de l'écrivain . . . 50

5.3 Deux auteurs inquiétants . . . 52

5.4 Le ludisme des épigraphes . . . 53

5.5 Des phonographes en liberté . . . 55

6 Un parti pris pour le ludisme 59 6.1 Des thématiques plutôt sombres . . . 59

6.2 Comique de situation, comique de mots, hostie de comiques . . . 62

6.3 Le diable à ressort . . . 63

6.4 Le pantin à celles . . . 65

6.5 Distractions ducharmiennes et vianesques . . . 66

6.6 Un jeu multiforme : le plurilinguisme . . . 69

7 Figures du Bouon : Mille Milles et l'abbé Petitjean 71 7.1 Pour un rire grotesque . . . 71

7.2 Esthétique du blasphème . . . 73

7.3 L'inversion carnavalesque . . . 75

7.4 Rejet du pornographe . . . 77

7.5 Des héros tragiques . . . 78

8 Deux libertaires réfugiés dans la langue 81 8.1 Pour une dimension philosophique de la littérature . . . 81

8.2 Pour une critique du travail . . . 83

8.3 Pour une culture orale . . . 85

Conclusion 89

Bibliographie 93

Annexe 1 99

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Quoi ! Vous n'avez jamais vu ça, un pornographe ? D'où sortez-vous ? Arrivez en ville, sacrement ! Vous ne connaissez même pas le pornographe du phonographe ? Réveillez-vous ! C'est la civilisation maintenant ! Réjean Ducharme

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Introduction

Ah comme la neige a neigé, Mon c÷ur est consumé de givre. Qu'est-ce que le spasme de vivre A la douleur que j'ai, que j'ai ? Réjean Ducharme

C'est en citant de mémoire son frère Nelligan (Nez-lit-gant1), que Ducharme

amorce le deuxième roman qu'il a envoyé chez Gallimard, Le nez qui voque2, qui se

veut l'÷uvre d'un véritable poète, qu'on se le tienne pour dit, et non d'un vulgaire prosateur. Ducharme trouve en la gure de Nelligan une complicité et une inspiration. Figure de fou, de poète maudit éternellement jeune, Nelligan semble être l'aîné d'une grande famille de marginaux qui aurait pour père Lautréamont.

Si les écrivains périphériques ont inuencé l'écriture ducharmienne, qu'en est-il des auteurs de cette France dont l'héritage est fortement contesté par Ducharme ? S'il est évident qu'il a lu les classiques français, comme Racine, Corneille et Molière, lors de son parcours académique, qu'en est-il des écrivains plus marginaux qui ÷uvrent dans la modernité du milieu du XXe siècle ? Ducharme a certes connu les chansons de Boris Vian, qu'il idolâtre par l'entremise des personnages d'André et de Nicole ainsi que par la dédicace des Enfantômes (EN, 7), mais qu'en est-il de son ÷uvre littéraire ? Une intuition, un sentiment de proximité à la lecture de ces deux ÷uvres nous ont poussée à creuser la question. Comment Vian, qui a publié ses premiers livres vingt ans avant la parution de L'avalée des avalés, aurait pu inuencer le Québécois ? Si nous ne pouvons armer cet héritage avec certitude, nous pouvons, du moins, mettre en parallèle deux éthos qui créent de manière semblable des ÷uvres dont les esthétiques demeurent proches.

1. Réjean Ducharme [et al.],  Témoignages d'écrivains , dans Études françaises, vol 3, n3, 1967, p. 307.

2. L'épigraphe du Nez qui voque est reproduite en annexe.

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État de la question

Parmi les nombreuses parentés littéraires que l'on a attribuées à Ducharme3, le

nom de Vian revient plus d'une fois, aux côtés de celui de Raymond Queneau et de celui du père de la pataphysique, Alfred Jarry. Ce dernier, père littéraire de Vian, fait quant à lui partie de la liste de prédilection du Parisien4, grâce à son fameux Gestes et opinions

du docteur Faustroll, pataphysicien. Si Jarry ressemble peu à Nelligan, il n'en demeure pas moins que Ducharme et Vian se placent tous deux dans la lignée de Rabelais et des auteurs humanistes libres-penseurs, comme l'a bien noté Petr Vurm5 qui a établi

un des premiers parallèles entre les deux créateurs. Ce rapprochement entre l'auteur de L'écume des jours et celui de L'avalée des avalés a aussi été proposé par Élisabeth Nardout-Lafarge6. Notre réexion part donc de ces premières pistes qui ont mis en

lumière les liens de ressemblances entre la créativité de ces deux écrivains marginaux touche-à-tout fascinés par l'enfance.

Liens de ressemblance et de dissemblance

Si nous cherchons, à travers cette étude, à démontrer la possible inuence de Vian sur l'÷uvre Ducharme, nous souhaitons également cartographier les liens de complicité qui les unissent, de manière à voir leurs écrits sous un angle nouveau. À la lecture de leurs ÷uvres, les marques de leur individualité nous tiennent en éveil. Le style de Ducharme, empreint d'un ton davantage politique et contestataire face au pouvoir symbolique des instances consacrées, reste bien distinct de celui de Vian qui se situe davantage dans un réalisme merveilleux. Bien que leur style dière, leur individualité s'arme de façon semblable, d'une manière libre et ludique. À travers leur usage désinvolte du langage,

3. En plus des nombreux parallèles entre Ducharme et des auteurs québécois, il en existe entre Du-charme et Le Clézio, Louis-Ferdinand Céline, Jean Cocteau, Rimbaud et Lautréamont. Quant à Vian, des rapprochements ont démontré ses anités avec Raymond Queneau, Jacques Prévert, Alfred Jarry, Lewis Carroll, Antoine de Saint-Exupéry, Eugène Ionesco et Samuel Beckett. À notre connaissance, Vian n'a jamais été mis en parallèle avec un auteur du continent américain.

4. Cette liste de sept titres comprend aussi Adolphe, de Benjamin Constant, La chasse au Snark, de Lewis Carroll, La merveilleuse visite, de H. G. Wells, Un rude hiver, de Raymond Queneau, La colonie pénitentiaire, de Kafka ainsi que Pylône de William Faulkner.

5. Petr Vurm,  Ducharme et Vian : deux créativités aux conns des mots , dans Marie-Andrée Beaudet, Élisabeth Nardout-Lafarge et Élisabeth Haghebaert [dir], Présences de Ducharme, Québec, Éditions Nota bene (collection Convergences), 2009, p. 85-100.

6. Élisabeth Nardout-Lafarge, Une poétique du débris, Montréal, Fides (Nouvelles études québé-coises), 2001, p. 115-116.

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Ducharme et Vian se présentent comme des  explorateurs des espaces limitrophes de la langue7 et, plus largement, comme des transgresseurs des frontières qui délimitent

le langage. Grâce à leur écriture aranchie des normes, les deux créateurs achent un refus du drame, du cliché, tout autant que du récit réaliste et bien-pensant. Ils déploient alors un  langage-univers8 qui poétise l'absurdité de leurs histoires qui sont teintées

à la fois d'un comique grotesque et d'un tragique sournois.

Cette esthétique n'est pas sans être liée à leur statut d'écrivain célèbre qui dière chez l'un et chez l'autre. Ils ont tous deux connu leur aaire médiatique, dans des circonstances toutefois bien diérentes. Si l'aaire Ducharme semble être devenue une  conjoncture institutionnelle dépassée9, elle n'est pas sans avoir entouré la

consécra-tion de l'÷uvre du premier auteur québécois publié chez Gallimard. L'auteur de L'avalée des avalés, à la suggestion d'un ami, a envoyé son premier manuscrit à Gallimard sans même connaître les hiérarchies éditoriales françaises. Malgré le succès qui a suivi la publication de ses premiers livres, l'écrivain québécois a préféré rester dans l'ombre. Contrairement à l'aaire Ducharme, l'aaire Sullivan se présente comme un événement parasitaire ayant fait ombrage à l'÷uvre littéraire de Vian. Taxée de pornographie, l'÷uvre de l'auteur afro-américain imaginé par Vian a été censurée et lui a valu un long procès au cours duquel il a dû se défendre auprès de la presse. Malgré les assauts médiatiques, Vian a lui aussi préféré se tenir loin des journalistes. En restant ainsi dans la marge, les deux auteurs se sont opposés d'une manière paradoxale à l'écrivain commercial que Ducharme se plaît à qualier de pornographe. En prenant en compte ces diérences de styles et de parcours, nous tenterons de mettre en commun le cheminement artistique des deux auteurs.

Cadre théorique et déroulement

Les rapports à l'écrivain et à la littérature qu'ont entretenus Ducharme et Vian à travers leurs écrits nous ont permis, dans un premier temps, de caractériser ces deux gures de bouon érudit qui achent une perception de l'art des plus singulières, une vision libertaire qui a pour bouc-émissaire le pornographe. Nous verrons, à la lumière

7. Petr Vurm,  Ducharme et Vian : deux créativités aux conns des mots , loc. cit., p. 91. 8. Jacques Bens,  Un langage-univers , dans L'écume des jours, Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1963, p. 177-187.

9. Marie-Andrée Beaudet, Élisabeth Haghebaert et Élisabeth Nardout-Lafarge [dir],  Introduc-tion , dans Présences de Ducharme, op. cit., p. 5.

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des réexions de Mikhaïl Bakhtine, comment Ducharme et Vian se donnent tous deux le droit de parodier, de mettre à nu les conventions littéraires et de réunir les contradic-tions. Les propositions de Dominique Maingueneau quant à la posture de l'écrivain nous permettront également de mettre en parallèle leur désir de marginalité. Leur rapport à la littérature n'est pas sans mettre en place une critique de l'art et des institutions, ni sans établir un rapport fraternel avec le lecteur. Le concept de communitas utilisé par Michel Biron nous permettra de mieux cerner ce rapport fraternel.

Nous nous pencherons, dans un deuxième temps, sur la question de la transgression langagière présente dans Le nez qui voque et L'automne à Pékin10. Notre choix s'est

arrêté sur ces deux romans pivots en raison de la grande liberté dans l'écriture qu'ils arborent. Dans les deux cas, ils marquent un changement de cap dans le cheminement intellectuel des auteurs. Le roman de Ducharme clôt la trilogie de l'enfance et mène les personnages ducharmiens dans le monde des adultes, un monde moins fantaisiste. Le roman de Vian, quant à lui, ore un ton plus grave qui s'éloigne de celui des écrits de jeunesse et de L'écume des jours, menant au ton plus introspectif de L'herbe rouge11

et à l'humour grinçant de L'arrache-c÷ur12.

Notre choix de corpus a aussi été inuencé par la présence des paratextes subversifs qui contribuent, dans les deux cas, à la marginalité achée des deux auteurs. Ce choix a ensuite été conforté par les récits qui mettent tous deux en scène des thématiques des plus semblables, notamment l'usure qui s'oppose au culte de la jeunesse. En mettant en parallèle les diérents thèmes abordés, nous avons dégagé des canevas similaires, ce qui nous a menée à découvrir les tentatives de mises à mort du roman sentimental et une forte critique des institutions. Chez Ducharme comme chez Vian, ces aronts se font par l'entremise des personnages de bouons que sont Mille Milles et l'abbé Petitjean et prennent pour arme un usage ludique et désinvolte du langage. Nous montrerons alors comment la subversion s'articule autour du rire grâce aux réexions distinctes d'Henri Bergson et de Mikhaïl Bakhtine.

10. Nous avons choisi la publication des Éditions de Minuit, plutôt que celle de la Pléiade, pour la commodité du lecteur, puisque ce roman sera analysé tout au long de la deuxième partie. Il s'agit de la dernière version, revue et corrigée par l'auteur.

11. Boris Vian, L'herbe rouge, dans ×uvres romanesques complètes, Paris, Gallimard (La Pléiade), 2010, t. 2, p. 291-400.

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Le phonographe du pornographe

La question qui donne son titre à ce mémoire,  Ducharme et Vian : phonographes du pornographe ? , s'est imposée d'elle-même, comme un refrain qui aurait servi de bruit de fond à nos recherches. En mélangeant une multiplicité de discours, de langages et de registres, les phonographes que sont Ducharme et Vian mettent en place un plurilinguisme13 propre au monde infernal. Ce discours multiforme fait d'argot, de

sacres, de néologismes et de langues étrangères se joint à la présence paradoxale du pornographe dont ils se moquent abondamment. Le langage singulier des deux auteurs et la gure imposante de l'écrivain commercial nous ont menée à ce rapprochement de deux termes en apparence éloignés, mais que Brassens s'est plu à joindre pour la première fois. L'approche de l'esthétique de la transgression langagière mentionnée dans le titre se veut ainsi une réexion sur leur rapport à l'art, à la littérature et aux institutions, ce qui a fait ressortir, chez l'un comme chez l'autre, une critique virulente de la société de consommation et de la société du mérite au prot d'une réexion sur la dimension philosophique de la vie, une réexion poétique propre aux humanistes.

13. Mikhaïl Bakhtine,  Le plurilinguisme dans le roman , dans Esthétique et théorie du roman, Paris, Gallimard, 1978, p. 122-151.

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Première partie

Ducharme et Vian, polygraphes

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1. Deux ÷uvres marquées par la chanson

J'suis l'pornogra-phe Du phonogra-phe Le polisson De la chanson ! Georges Brassens

Survol des genres : deux créateurs éclectiques

Ducharme et Vian ont traversé les frontières des genres pour toucher un peu à tout, au roman, à la poésie, au théâtre, à la chanson et aux arts visuels, en y laissant toujours une marque de leur individualité. Leurs ÷uvres hétéroclites gravitent autour d'un éditeur, et non le moindre, Gallimard. Si ce dernier publie toujours l'÷uvre de Ducharme, il a fermé la porte à Vian au tournant des années 19501 pour la rouvrir,

d'une manière posthume, en l'accueillant dans la prestigieuse collection de la Pléiade en 2010.

Vian a écrit dix romans, Ducharme neuf, jusqu'à ce jour ; le Parisien a composé dix pièces de théâtre, le Québécois quatre ; Vian a aussi écrit une soixantaine de nouvelles, genre auquel Ducharme n'a pas encore touché ; pour ce qui est des scénarios de lm, Vian en a écrit plus de trente, Ducharme cinq, dont deux ont été portés à l'écran2. On

oublie souvent l'adaptation québécoise de l'oratorio-ballet de Bertolt Brecht et de Kurt Weill par Ducharme3, auquel Pauline Julien a participé, et la demi-douzaine de livrets

d'opéra composés par Vian, dont deux ont été mis en scène. Vian a d'ailleurs lui aussi refait, selon Jacques Canetti, des textes de chansons à partir d'extraits de Brecht sur la musique de Kurt Weill4, sorte de chassé-croisé qui relie les deux artistes.

1. Gallimard a fermé la porte à Vian en 1947, avec L'automne à Pékin, premier refus après l'accueil enthousiaste de L'écume des jours, publié quelques mois auparavant. La maison d'édition avait également accueilli Vercoquin et le plancton, en 1946, dans la collection  La Plume au vent . L'herbe rouge et L'arrache-c÷ur seront à leur tour refusés par Gallimard, respectivement en 1949 et en 1951.

2. Les bons débarras (1980) et Les beaux souvenirs (1981) ont été réalisés par Francis Mankiewicz. 3. Les sept péchés capitaux (1978) a été mis en scène par Fernand Nault.

4. Noël Arnaud, Les vies parallèles de Boris Vian, Paris, Christian Bourgois, 1998, p. 408.

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On peut aussi mettre en parallèle le Manuel de Saint-Germain-des-Prés5, manuel

qui se veut anthropologique, et le tableau de la société des années 1960 et 1970 dressé dans L'hiver de force. Bien qu'il n'y ait pas de recueil de poésie chez Ducharme, celle-ci s'insère, ici et là, à l'intérieur de ses romans, alors que l'on retrouve trois recueils de poèmes chez Vian.

Le Parisien a aussi rédigé des articles, des lettres ouvertes, des pamphlets et des manifestes pour une cinquantaine de revues, notamment pour Les temps modernes6,

contrairement à Ducharme qui se tient généralement à l'écart des revues7. L'écrivain

français, qui était aussi trompettiste, a réalisé de nombreuses critiques de jazz et a participé à la valorisation de ce genre musical en France, à une époque où ce style était encore considéré comme une  musique de sauvage . Le musicien s'est livré, à côté de tout cela, à la traduction française de romans, de nouvelles, d'essais et de pièces de théâtre écrits en anglais, contribuant ainsi à faire connaître la littérature américaine à Paris.

Les deux écrivains sont aussi paroliers, ce qui nous intéressera particulièrement dans ce chapitre, et leurs chansons ont été mises en musique. Vian, qui a écrit plus de cinq cents chansons8, s'est adonné à l'interprétation de quelques-unes d'entre elles,

alors que Ducharme a coné ses mots à Robert Charlebois9 et à Pauline Julien, qui,

quant à elle, a également interprété plusieurs chansons de Vian, autre sorte de chassé-croisé entre les deux artistes. Si Ducharme laisse la composition musicale à Charlebois, Vian travaille en collaboration, notamment avec Henri Salvador, avec lequel il crée de célèbres rocks humoristiques qui lancent le genre en France10. Nous reviendrons sur

l'importance de la chanson dans le dialogue entre les deux créateurs.

Les deux artistes ÷uvrent en arts visuels, à leur manière bien singulière, s'adon-nant au plaisir du titre pour donner du sens à l'image. En eet, Ducharme signe ses Trophoux du nom de Roch Plante11, tandis que Vian se plaît à la confection de

mo-5. Boris Vian, Manuel de Saint-Germain-des-Prés, Paris, Chêne, 1974, 303 p.

6. La revue Les temps modernes a été fondée par Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir et a été publiée, pendant quelques années, chez Gallimard.

7. Ducharme a toutefois participé à la revue Études françaises, vol 3, n3, 1967, p. 306-307. Il y a signé un témoignage sur Nelligan, dans l'article intitulé  Témoignages d'écrivains . Mes remerciements à Julien-Bernard Chabot pour cette découverte.

8. Boris Vian, Chansons, Paris, Christian Bourgois, 2005, 742 p.

9. Jérôme Charlebois interprète aussi une chanson écrite par Ducharme, mais celle-ci provient des textes qu'avait déjà son père et que celui-ci n'avait pas mis en musique.

10. Noël Arnaud, Les vies parallèles de Boris Vian, op. cit., p.389. 11. Roch Plante, Trophoux, Outremont, Lanctôt, 2004, 167 p.

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dèles réduits12 et à la peinture de quelques tableaux pour l'exposition de la Galerie

de la Pléiade  Si vous savez écrire, vous savez dessiner. . . , qui a eu lieu le 20 dé-cembre 194613. Ducharme donne des titres ludiques à ses assemblages d'objets trouvés,

transcrivant parfois phonétiquement la langue parlée, comme dans  Mansu taparsu  ou bien  Motte rappeler . Vian, quant à lui, intitule un tableau représentant une fu-sillade  Allez à Cannes cet été  et un autre gurant un personnage tué :  N'allez pas à Cannes cet été .

Vian réalise aussi des collages et des dessins divers, qui se trouvent en marge de son ÷uvre écrite, alors que Ducharme, quant à lui, envoie pas moins de 200 dessins chez Gallimard, réunis en deux chemises intitulées Lactume n1 et Lactume n2, qui font écho à L'océantume, et dont chacun est accompagné d'une signature ou d'un message ludique, parfois subversif, comme dans  Shakespeare me fait penser à Milk shake et banana split. Rd14!  Rolf Puls retrace l'histoire de ces dessins, qui sont passés dans

les mains de Queneau, grand ami de Vian :

Par on ne sait quel mystère, ces dessins étaient allés chez Raymond Queneau qui, ne sachant qu'en faire ni qu'en penser, les envoya à Massin le 13 avril 1966 avec ce mot :

Je vous remets ce dossier de dessins que je viens de recevoir de Mont-réal. Je ne connais pas l'auteur. C'est pour le moins curieux  du pop'art mal digéré ? , mais avec des trouvailles, il me semble. [signa-ture]15

Fréquentant un moment l'École Polytechnique, Ducharme côtoie l'univers des in-génieurs, univers dans lequel Vian fait sa formation. Pataphysicien, le transcendant Satrape qu'est Vian fait aussi partie du Collège des  sciences des solutions imagi-naires , lequel parodie les méthodes scientiques et mathématiques et dont la tradition est  d'accompagner la littérature ocielle tout en la maintenant à distance16, ce à

quoi se plaît Ducharme qui lui aussi joue le jeu réglé des classiques en les parodiant et

12. Quelques-uns de ces objets se retrouvent sur les pages couvertures de ses romans publiés chez Le livre de poche.

13. Noël Arnaud [dir], Images de Boris Vian, Paris, Pierre Horay, 1978, p. 90-93.

14. Titre retranscrit à partir de l'exposition réalisée dans le cadre du Festival Québec en toutes lettres, édition 2011.

15. Rolf Puls,  Ronds, rectangles et légendes , dans Marie-Andrée Beaudet, Élisabeth Haghebaert et Élisabeth Nardout-Lafarge [dir], Présences de Ducharme, op. cit., p. 331.

16. Marc Lapprand,  Introduction , dans Boris Vian, ×uvres romanesques complètes, op. cit., t. 1, p. XLII.

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en les maghanant17.

Il convient de dénir le concept de maghanage, un procédé littéraire né au Québec, qui consiste à créer une version carnavalesque de la traduction des classiques. L'écrivain adopte alors une  attitude pseudo-naïve  et,  contraint de parler la langue de pres-tige sans l'avoir bien apprise, opère des mélanges indus et commet des fautes18.  Ce

procédé de dérision permet donc de désacraliser la culture savante et de se distinguer des classiques français dont la lecture était alors imposée dans les écoles québécoises.

Polygraphes, Ducharme et Vian ont donc touché un peu à tout, ce qu'on leur a d'ailleurs reproché et qui a attisé une sorte de mépris chez certains critiques bien-pensants, mais, comme l'écrit Élisabeth Haghebaert,  reprocher à cette posture quali-able de touche-à-tout son manque de personnalité reviendrait à ne pas tenir compte des exigences et des risques qu'elle implique19. Comme le relève Marc Lapprand, Vian

répondra à ce mépris dans la postface des Morts ont tous la même peau en s'adressant aux  pisse-copies  :  Quand admettrez-vous qu'on puisse écrire aux Temps modernes et ne pas être existentialiste, aimer le canular et ne pas en faire tout le temps ? Quand admettrez-vous la liberté20?  Vian s'adonne au canular par l'entremise de Vernon

Sullivan, alors que Ducharme peut facilement tromper ses lecteurs par son absence, d'autant plus lorsqu'il utilise, lui aussi, le pseudonyme de Roch Plante, nom qu'il aurait choisi par boutade, selon Rolf Puls, en raison de sa laideur comique21.

À côté de toutes ces activités qui créent deux ÷uvres éclectiques, les deux écri-vains se nourrissent de poésie, de littérature, et gardent les yeux rivés sur le continent de l'autre. Ducharme lit un nombre incalculable d'auteurs français, dont Rimbaud, et d'écrivains périphériques, dont Lautréamont et Le Clézio. Vian, quant à lui, lit et tra-duit la littérature américaine, plus particulièrement les genres paralittéraires alors en émergence, c'est-à-dire le roman policier de série noire et la science-ction. Il admire aussi Jarry, à qui l'on a comparé Ducharme, et son ami Queneau, qui les a lus et éva-lués tous les deux chez Gallimard. Les deux écrivains sont de grands lecteurs, autant de la littérature instituée que de la littérature plus marginale, et cela se perçoit par les

17. Le cid maghané est une pièce inédite de Réjean Ducharme qui a été jouée en 1968. Cette pièce écrite en joual parodie celle de Corneille.

18. Élisabeth Haghebaert, Une marginalité paradoxale, Québec, Nota bene, 2009, p. 120. 19. Ibid., p. 27.

20. Marc Lapprand,  Introduction , loc. cit., p. XLI.

21. Propos recueillis lors de l'entretien  Roger Grenier et Rolf Puls, éditeurs de Ducharme , pendant le Festival Québec en toutes lettres, le 22 octobre 2011.

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nombreuses allusions intertextuelles dans leurs romans.

Ils sont aussi mélomanes et sont fortement inuencés par la musique du conti-nent de l'autre. Ducharme écoute Brel, Henri Salvador, Magali Noël, Brassens, Vian le jazz de la Nouvelle-Orléans, dont le maître est pour lui Duke Ellington. Bien que nous n'en soyons pas sûrs pour ce qui est du Québécois, aucun des deux n'aurait jamais voyagé dans le pays de l'autre pour démythier ces univers qui inuencent leur imagi-naire respectif. Les liens de complicité entre Ducharme et Vian, entre leurs inuences, leurs lectures et leurs chansons, invitent à souligner les traces d'interdiscursivité qui se trouvent dans l'÷uvre de Ducharme, l'inverse n'étant pas possible, le décès de Vian ayant eu lieu avant que Ducharme publie ses écrits.

Instauration d'un dialogue

La présence de paroliers et de chansons dans l'÷uvre de Ducharme est considé-rable et mérite une attention particulière. Comme le souligne François Théorêt,  [l]a chanson, au même titre que le cinéma et la télévision, et en même temps que la poésie de Rimbaud et de Lautréamont, participe à ce carrefour discursif et intertextuel que constitue l'univers ducharmien22.  Le texte qui nous intéressera particulièrement dans

cette première partie est celui de L'hiver de force, dans lequel se fait entendre une  cacophonie23  mêlant des chansons françaises, québécoises et américaines avec des

émissions de télévision et des lms de diérents genres. C'est aussi dans ce récit que Ducharme attribue une image d'  idole24 à Boris Vian.

Un premier parallèle entre Ducharme et Vian a été esquissé dans Une poétique du débris25 et a mis en relief les parentés entre les personnages adolescents des romans,

entre les inventions onomastiques, ainsi qu'entre les gures d'auteur des deux mystica-teurs. Ce parallèle a ensuite été approfondi par Petr Vurm, lors du colloque Présences de Ducharme26, qui a souligné les nombreux liens qui unissent les deux créateurs, ainsi

22. François Théorêt,  Réjean Ducharme et la chanson , mémoire de maîtrise, Montréal, Univer-sité de Montréal, 1995, p. 116.

23. Élisabeth Haghebaerth, Une marginalité paradoxale, op. cit., p. 113. 24. François Théorêt,  Réjean Ducharme et la chanson , op. cit., p. 13. 25. Élisabeth Nardout-Lafarge, Une poétique du débris, op. cit., p. 115-116.

26. Marie-Andrée Beaudet, Élisabeth Haghebaert et Élisabeth Nardout-Lafarge [dir], Présences de Ducharme, op. cit.

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que leurs diérences. Son texte  Ducharme et Vian : deux créativités aux conns des mots27 souligne le caractère de  cartographes  de Vian et de Ducharme qui  créent

et voyagent surtout à l'intérieur de la carte-langue28, ce qui les conne dans un espace

qu'ils se plaisent à explorer et les oppose à des frontières qu'ils peuvent transgresser. En eet, leur ÷uvre démontre  la dynamique constante de leur écriture, qui, en se renouvelant constamment, s'oppose au cliché29.  Mais, comme il le souligne, ce qui

invite d'abord à ce rapprochement est l'inscription des chansons de Vian dans L'hiver de force.

La plupart des références à Vian dans l'÷uvre de Ducharme se rattachent aux chansons évoquées dans L'hiver de force ainsi qu'à celle qui gure dans l'exergue des Enfantômes. La présence des chansons du Parisien rappelle que Ducharme est également à la fois parolier et écrivain et, comme le note Petr Vurm, qui rapproche les deux créateurs,

leur ÷uvre entière en est inuencée et devient par la suite hybride, parsemée de toutes sortes de petits poèmes et de chansonnettes. En outre, le choix du-charmien de dialoguer avec les chansons de Vian semble un microcosme, laissant transparaître en ligrane l'univers de Ducharme, sa propre ironie et sa propre thématique30.

En eet, en étant intégrées à des moments clés du récit,  les chansons constituent de véritables micro-univers ctifs31  qui viennent ajouter du sens au discours. Nous

verrons comment les chansons de Vian sont mises en scène dans l'÷uvre de Ducharme, mais il convient d'abord de caractériser et de distinguer les deux paroliers.

Deux écrivains à la lumière de leurs chansons

Ducharme a commencé à écrire des chansons dès 197032 pour Robert Charlebois,

en créant une sorte de parodie de Vigneault,  Mon pays ce n'est pas un pays c'est un job , et une chanson écrite en joual,  le violent seul . Quant à Vian, qui jouait de sa  trompinette , il rejoint son premier orchestre de jazz amateur dès 18 ans. Ce n'est que plus tard qu'il écrira ses chansons les plus connues et qu'il interprètera

quelques-27. Petr Vurm,  Ducharme et Vian : deux créativités aux conns des mots , loc. cit., p. 85-100. 28. Ibid., p. 90.

29. Ibid., p. 89. 30. Ibid., p. 88.

31. François Théorêt,  Réjean Ducharme et la chanson , op. cit., p. 51. 32. Ibid., p. 2.

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unes d'entre elles (bien qu'il ait déjà écrit quelques chansons gaillardes au lycée33). En

eet, après l'insuccès de son ÷uvre romanesque, qui s'est terminée en 195334, Vian s'est

davantage tourné vers le théâtre, l'opéra et la musique.

En s'adonnant à cette forme d'écriture, les deux paroliers semblent guidés par le  principe de sympathie  qui caractérise la chanson  parce qu'elle est en général po-pulaire et sans prétention, c'est-à-dire en périphérie, elle aussi, des genres reconnus35. 

Ainsi, en raison de son côté accessible et rassembleur, au Québec, la chanson popu-laire francophone a joué un rôle de catalyseur dans la Révolution Tranquille et l'éveil nationaliste des années soixante-soixante-dix36.  Pauline Julien et Robert Charlebois

en sont d'ailleurs des gures emblématiques. Quelques années auparavant, à l'époque de Vian, la chanson française animait la scène parisienne et nombre de gens se ras-semblaient aux Trois Baudets, où l'on a vu naître un Georges Brassens et un Jacques Brel. Plus tard, on y retrouve aussi un certain Serge Gainsbourg qui se réclame alors de Vian :

Il avait une présence hallucinante, vachement  stressé , pernicieux, caustique. . . Les gens étaient sidérés. . . Ah mais, il chantait des trucs terribles, des choses qui m'ont marqué à vie. . . Moi, j'ai pris la relève. . . Enn, je crois. . . De toute façon, c'est parce que je l'ai entendu que je me suis décidé à tenter de faire quelque chose d'intéressant dans cet art mineur37. . .

Considérée comme un art mineur par Gainsbourg, la chanson permet à Vian et à Du-charme de créer des microcosmes qui sont étroitement liés à leur ÷uvre littéraire et au contexte dans lequel ils écrivent. Cette forme d'écriture plus populaire leur permet également de critiquer la société et de remettre en question les goûts mêmes de ceux qui sont susceptibles de les écouter.

En eet, là où ils se rejoignent et s'éloignent à la fois dans l'écriture de leurs chansons est dans le fait que leurs créations sont profondément ancrées dans des univers réalistes qui leur sont propres, celui du Paris de l'après-guerre et celui du Montréal de la Révolution tranquille. Cet ancrage reste toutefois plus implicite chez Vian. Le contexte culturel dans lequel s'inscrit son ÷uvre reste moins marqué par un besoin

33. Noël Arnaud, Les vies parallèles de Boris Vian, op. cit., p. 36-38.

34. Le dernier roman écrit par Vian est L'arrache-c÷ur. Il a toutefois travaillé, par la suite, à une deuxième édition de L'automne à Pékin. Il a arrêté d'écrire des romans à la suite des refus de Gallimard.

35. Élisabeth Haghebaert, Une marginalité paradoxale, op. cit., p. 232. 36. Élisabeth Nardout-Lafarge, Une poétique du débris, op. cit., p. 162.

37. Serge Gainsbourg [fragments d'une conversation sur Vian recueillis par Noël Simsolo],  J'ai pris la relève , dans L'arc 90. Boris Vian, Aix-en-Provence, Le Jas, 1984, p. 61.

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collectif d'armation identitaire, si ce n'est celui de la jeunesse d'après-guerre. Dans ses chansons comme dans son ÷uvre littéraire, Ducharme rejette le Paris de Vian, mais en gardant toujours un ton ironique face au nationalisme québécois :

Lâchez Montmartre et sa vieille butte Les Invalides et leur vieux dôme Lâchez-moé Paris deux minutes Et parlez-moi de St-Jérôme38

Vian, qui quant à lui détient un héritage culturel fort diérent, parsème ses chan-sons et son ÷uvre d'éléments de la culture américaine et tente de se les approprier en s'imaginant écrivain américain, mais aussi en utilisant, ici et là, à travers ses écrits, des mots anglais qui n'ont pas la même résonance que dans l'÷uvre de Ducharme. Si pour le Québécois ils traduisent entre autres la présence d'une diglossie aliénante, pour le Pari-sien, ils représentent l'émergence de l'inuence de cette culture en Europe au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. En eet, cette inuence, amenée entre autres par la présence des GI en France, naît à l'époque de Vian et se perçoit dans des mouvements comme celui des zazous. Comme le souligne Petr Vurm,

Vian et Ducharme exemplient la réexion sur la présence (ou peut-on oser dire l'occupation ?) américaine et ses produits culturels : le cinéma, les chansons à la mode et surtout l'anglais omniprésent dont ils essaient de reproduire les résonances par une orthographe phonétique qui renvoie à Raymond Queneau. Dans le cas de Vian, l'époque de l'après-guerre qui l'a rendu célèbre serait même impensable sans les éléments de la culture américaine, et sans cette aura et cet imaginaire mythiques qui entourent aujourd'hui les années existentialistes de Saint-Germain-des-Prés39.

Ainsi, l'on retrouve dans leurs paroles la présence envahissante de la société de consommation, associée à une forme d'américanité, qui caractérise leur époque. Par exemple dans  Mon pays ce n'est pas un pays c'est un job  et dans  La complainte du progrès , le besoin de consommer se traduit par l'énumération. Cela se voit ainsi chez Ducharme :

Une demi-heure dans `pra-midi ! À manger des chips !

38.  Une ville ben ordinaire (St-Jérôme) , retranscrit dans François Théorêt,  Réjean Ducharme et la chanson , op. cit., p. XII. Réjean Ducharme n'a jamais voulu publier ses chansons, tout comme deux de ses pièces de théâtre, Le marquis qui perdit et Le cid maghané. Les chansons de Vian, quant à elles, ont été rassemblées à partir de manuscrits par sa deuxième femme, Ursula Kübler, et quelques amis de Vian, quelques années après son décès.

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Des palettes de chocolat ! Des Lifes-Savers ! Des Mae-wests ! À boire du Coke ! Du Seven-Up ! Du chocolat au lait40! Et chez Vian : Un frigidai-reu Un joli scoutai-reu Un atomixai-reu Et du Dunlopillo Une cuisiniè-reu

Avec un four en ver-reu Des tas de couvai-reu Et des pellagâteaux41!

Ce goût pour l'énumération excessive, de tradition rabelaisienne, caractérise le délire verbal des deux paroliers, mais aussi des deux écrivains.

En plus de cette présence imposante de l'américanité dans leurs ÷uvres, Ducharme et Vian ont en commun l'usage de diérents procédés stylistiques. L'étude de ces procé-dés réalisée par François Théorêt pour ce qui est des chansons de Ducharme s'applique à celles de Vian. En eet, on y retrouve également la versication, la répétition, l'alli-tération, la musication et l'accumulation. Si Théorêt arme que Ducharme utilise trois niveaux de langue42, nous préférons utiliser le terme de variétés43. Nous trouvons donc,

dans les chansons du Québécois, des variétés de langue populaire, familière et, plus ra-rement, littéraire, par exemple dans  Dix ans44  et  Première neige45. Ducharme

s'adonne même à un  exercice de stylistique comparée (joual/argot)46 an de rendre

humoristique la chanson  Mon pays ce n'est pas un pays c'est un job , en y ajoutant une strophe en argot parisien qui n'apparaît pas dans les premiers enregistrements. Vian, quant à lui, démontre une forme d'appartenance à la culture populaire parisienne

40. Réjean Ducharme,  Mon pays ce n'est pas un pays c'est un job , retranscrit dans François Théorêt, Réjean Ducharme et la chanson, op. cit., p. XXXI-XXXII. On pourrait aussi penser, pour ce qui est de l'énumération excessive, à la chanson  Manche de pelle  qui a été étudiée par Chantal Savoie et Serge Lacasse dans le collectif Présences de Ducharme, op. cit., p. 295-308.

41. Boris Vian,  La complainte du progrès  [1955], dans Chansons, op. cit., p. 187-188. 42. François Théorêt,  Réjean Ducharme et la chanson , op. cit., p. 29.

43. À ce sujet voir Diane Vincent,  Les niveaux de langue : les marches de l'escalier , dans États d'âme, états de langue, Québec, Nota bene, 2007, p. 43-46.

44. Réjean Ducharme,  Dix ans , retranscrit dans François Théorêt, Réjean Ducharme et la chanson, op. cit., p. XVI-XVII.

45. Réjean Ducharme,  Première neige , retranscrit dans François Théorêt, Réjean Ducharme et la chanson, op. cit., p. XV-XVI.

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en utilisant l'argot dans la plupart de ses textes de chanson. Cet usage des diérents registres de langues caractérise également l'écriture de leurs textes littéraires.

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2. Interdiscursivité et manigances ducharmiennes

Si les chansons de Boris Vian n'existaient pas, il nous manquerait quelque chose. [. . .] J'ai entendu dire à d'aucuns qu'ils n'aimaient pas ça. Grand bien leur fasse ! Un temps viendra comme dit l'autre, où les chiens auront besoin de leur queue, et tous les publics des chansons de Boris Vian. Georges Brassens

Les deux écrivains face aux discours dominants

Comme les romans précédents de Ducharme, L'hiver de force présente un para-texte qui tend à instaurer une relation de complicité avec le lecteur, notamment dans l'épigraphe où, en refusant le sérieux des énoncés qui y sont posés,  l'écrivain rappelle au lecteur non seulement la force signiante du langage, mais aussi que tout récit est, en tant qu'÷uvre littéraire, une construction soumise à des règles et à des codes1. 

Toute forme de discours auxquels sont associés des règles ou des codes est rejetée par les personnages principaux que sont André et Nicole Ferron qui cherchent à  accepter une absence de sens2 .

Le récit de L'hiver de force s'ouvre sur un refus radical d'adhésion à la société représentée par le  gros tas de braves petits crottés qui forment l'humanité  (HF, 15), rappelant la Milliarde de L'océantume (OC, 67). Il s'ouvre aussi sur une subversion du discours sartrien :

Faisons qu'y ait plus rien ; quand y aura plus rien on pourra plus dire du mal de rien. Comme quand on était aux Beaux-Arts puis qu'on lisait Sartre puis qu'on comprenait tout à l'envers ce que voulait dire réaliser l'existentiel. . .  (On croyait qu'il fallait fermer les yeux et regarder les mots tourner dans notre tête jusqu'à ce qu'ils ne veulent plus rien dire.) (HF, 16)

La  vie enregistrée  d'André et de Nicole débute par une mise en dérision du discours existentialiste qui, comme le souligne Józef Kwaterko, valorise le  travail sur soi  et fait

1. Yannick Gasquy-Resch,  Le brouillage du lisible : lecture du paratexte de l'hiver de force , dans Études françaises, vol, n1, 1993, p. 41-42.

2. Micheline Cambron,  Un roman montréalais à la Ducharme : L'hiver de force , dans Une société, un récit, Montréal, L'Hexagone, 1989, p. 168.

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la promotion de  concepts clés , tels que  projet ,  choix  et  responsabilité3 .

Ainsi, André et Nicole se lancent ironiquement dans des  travaux d'introspection  (HF, 19) qui se résument à un bilan méthodique de leurs achats :

On s'est acheté cinq boîtes de panatelas Garcia y Vega. [. . .] On s'est acheté deux gros médaillons de let de b÷uf [. . .] On s'est acheté un billet de Mini-Loto [. . .] On a acheté enn quatre fascicules de l'encyclopédie Alpha [. . .] Tu ne peux rien inaugurer, même des travaux d'introspection pour trouver des solutions pour sortir de ton trou, sans que ça te coûte les yeux de la tête. (HF, 18-19)

De la même manière, quelques pages plus loin, André arme :  On a enn acheté le disque de Boris Vian. Ça faisait des mois qu'on le surveillait à la pharmacie Labow. $5,49 c'était trop cher. On a attendu notre prix. Patience et longueur de temps.  (HF, 40) Nous reviendrons sur ce passage de trois pages qui évoque le chansonnier parisien.

André et Nicole refusent d'adhérer à la société contre-culturelle, tout comme ils rejettent le milieu artistique montréalais. Ils se moquent ainsi à la fois des hippies et des existentialistes, et parodient le discours de Sartre qu'ils réduisent au statut de bruit de fond. Cette raillerie n'est pas sans rappeler celle de Vian dans L'écume des jours, lorsqu'il crée Jean-Sol Partre et la duchesse de Bovouard. Le roman, qui quant à lui a pour bruit de fond un air de jazz4, met en scène le philosophe. Vian se moque de lui en

caricaturant la conférence qu'il a donnée le 29 octobre 1945 au club Maintenant. Comme le raconte Simone de Beauvoir dans La force des choses5, il s'agit de la conférence alors

intitulée  L'existentialisme est-il un humanisme ?  :

Partout paraissaient des échos sur nos livres, sur nous. Dans les rues, des pho-tographes nous mitraillaient, des gens nous abordaient. [. . .] À la conférence de Sartre, il vint une telle foule que la salle ne put la contenir : ce fut une bousculade erénée et des femmes s'évanouirent6.

Parodie des plus grotesques, la conférence de L'écume des jours est portée en dérision d'une manière excessive (EJ, 406-411). En eet, les gens qui veulent y assister

3. Jozéf Kwaterko,  L'intertexte et le discours essayistique chez Réjean Ducharme , dans Le roman québécois et ses (inter)discours, Québec, Nota bene, 1998, p. 72-73.

4. L'avant-propos de L'écume des jours introduit ce bruit de fond en opposition au bruit des  masses  :  Dans la vie, l'essentiel est de porter sur tout des jugements a priori. Il apparaît, en eet, que les masses ont tort, et les individus toujours raison. Il faut se garder d'en déduire des règles de conduite : elles ne doivent pas avoir besoin d'être formulées pour qu'on les suive. Il y a seulement deux choses : c'est l'amour, de toutes les façons, avec des jolies lles, et la musique de La Nouvelle-Orléans ou de Duke Ellington. Le reste devrait disparaître, car le reste est laid .

5. Simone de Beauvoir, La force des choses, Paris, Gallimard, 1963, 686 p.

6. Citation retranscrite dans les  Notes et variantes de L'écume des jours , dans ×uvres roma-nesques complètes, op. cit., t. 1, p. 1213.

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utilisent des ruses invraisemblables, se faisant parachuter, arrivant par les égouts et usant d'autres moyens détournés. Partre lui-même arrive à dos d'éléphant pour éviter la foule hystérique. Se moquant du phénomène social plus que du discours du philosophe, Vian s'en prend à l'eet de mode que produit l'engouement pour Sartre, au même titre que Ducharme qui s'en prend aux discours contre-culturels et nationalistes alors dominants au Québec. Par ailleurs, selon Jozéf Kwaterko7, le seul ouvrage de Sartre

recensé dans l'÷uvre de Ducharme serait L'existentialisme est un humanisme8, qui est

le texte sténographié, à peine retouché par Sartre, de cette conférence.

Vian réitère cette attaque amicale envers Sartre à plusieurs reprises, notamment dans le Manuel de Saint-Germain-des-Prés où il divise les existentialistes en deux camps, les riches et les pauvres :  Au début, tous les existentialistes étaient pau-vres : mais depuis, Sartre, Simone de Beauvoir, Camus ont gagné de l'argent dans la littérature9 . Il tourne ensuite en dérision les existentialistes pauvres qui en viennent

à ne plus vouloir payer leur loyer, comme André et Nicole. Vian se moque aussi d'une photo de Juliette Gréco et Roger Vadim en la commentant ainsi :  Vadim et Gréco échangent des propos déprimants à l'entrée d'une cave existentialiste10, sorte de satire

des clichés alors répandus.

Si Ducharme se moque également du discours de Sartre en le transformant en bruit de fond, il se joue aussi de celui des Québécois engagés que le personnage de Roger Degrandpré représente. Roger dirige la revue La bombe Q et écrit avec ses collègues une  analyse historique hégélienne marxiste-léniniste  qu'André et Nicole se plaisent à corriger, pour  se payer leur tête  (HF, 62). Si l'éditeur Roger Grenier arme en parlant de L'hiver de force qu'il aurait eu des modèles et qu'  [o]n y a reconnu en particulier Pauline Julien [qui] aurait inspiré Catherine, alias Petit-Pois, alias la Toune11 , il est possible de voir dans le personnage de Roger Degrandpré une sorte

de caricature amicale de Gérald Godin, un des fondateurs de la revue Parti pris. Cette revue n'est pas sans avoir été inuencée par les idées de Sartre. En eet,  la rhétorique argumentative dans Parti pris reprend jusqu'à les paraphraser les termes fondamentaux de l'existentialisme sartrien  et cette rhétorique met en lien les concepts clés de cette

7. Jozéf Kwaterko,  L'intertexte et le discours essayistique chez Réjean Ducharme , loc. cit., p. 73.

8. Jean-Paul Sartre, L'existentialisme est un humanisme, Paris, Gallimard, 1996, 108 p. 9. Boris Vian, Manuel de Saint-Germain-des-Prés, op. cit., p. 62.

10. Id.

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philosophie avec  la responsabilité sociale de l'écrivain12.

L'hiver de force, paru trois ans après la Crise d'octobre, est un récit fondamentale-ment provocateur du point de vue du discours. André s'exclame :  Province de Québec mon cul ! Ah c'est bon ! Ah je suis bien d'accord !  (HF, 107), dans un contexte où la création d'un pays anime nombre d'artistes et d'écrivains. Il se présente ainsi comme faisant partie de ce que Roger qualie de  déserteurs sociaux  qui ne s'occupent que de leur derrière (HF, 125). La Bombe Q n'est pas sans rappeler les bombes posées par le Front de libération du Québec (FLQ) dans des endroits représentant le pouvoir fédéral. Ainsi, l'apparition du  Déserteur  dans le roman semble aller de pair avec le refus de participer à la vie sociale et politique, et d'entrer dans ce qu'André nomme  Le Bordel des Patriotes  (HF, 89) qui caricature le milieu indépendantiste des années 1960 et 1970, mais au-delà de tout cela, il s'agit surtout d'un refus de toute autorité et de toute hégémonie discursive.

Mise en place de l'idole

L'écoute du disque de Vian arrive à un moment critique du récit d'André et de Nicole. Celle-ci se produit alors qu'ils viennent de subir une  catastrophe , un  échec sentimental  (HF, 39), dû au fait qu'ils ont manqué leur conversation téléphonique avec la Toune, n'ayant su quoi lui dire. En eet, André et Nicole, en plus d'être envahis par nombre de chansons provenant de leur radio, de leur tourne-disque ou de la télévision,  ont une toune dans la tête , Catherine, qu'ils surnomment aectueusement Petit Pois, et ils n'attendent que de pouvoir lui parler. À la suite de cet échec de communication avec Petit Pois, ils partent à la pharmacie Labow an d'y trouver un antiacide, du Bromo-Seltzer, mais reviennent avec le vinyle de Vian acheté pour 0,99 $ (HF, 40-41). L'achat du disque de Vian apparaît donc comme un remède, une médecine douce, mais aussi comme une source d'excitation :  Une pluie battante chassait les gens des trottoirs et on n'avait plus mal au ventre ; rien ne nous gênait pour faire les fous.  (HF, 41). Les deux acolytes chantent avec exaltation  Le déserteur  qui est devenu, depuis leur passage aux Beaux-Arts, leur  leitmotiv , leur  theme-song , leur  plus belle chanson du monde  (HF, 41) et qui, comme le souligne Petr Vurm, est une des rares

12. Jozéf Kwaterko,  L'intertexte et le discours essayistique chez Réjean Ducharme , loc. cit., p. 89. Les concepts clés qui sont soulignés par Kwaterko sont le travail sur soi, le défaut d'être / désir d'être, le délaissement, le projet, le choix et la responsabilité.

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choses qui donnent des frissons positifs à André et Nicole13.

Ils écoutent aussi les chansons provocatrices que sont  Fais-moi mal ,  Bourrée de complexes ,  Je suis snob  et  toutes les autres  (HF, 41), en se couchant à la manière de gisants, parodiant leur posture et leur silence sacré.  Le déserteur  revient :  c'était si bon qu'on croyait qu'on ne pourrait jamais se lasser. De toute façon, ça n'arrivera pas demain puisqu'on a ouvert la fenêtre et lancé le disque dans le parc Jeanne-Mance.  (HF, 41) Dans un désir de conserver la pureté qui caractérisait, selon eux, le disque de Vian, initialement décrit comme vierge, de ne pas le laisser s'anéantir par le temps,  l'usure  et la répétition, ils sacralisent, à leur manière, les chansons du parolier français.

En plus de consacrer Boris Vian idole des Ferron, le texte crée un espace d'inter-discursivité. En eet,

J'suis snob, critique miniature de la contre-culture de consommation, appelle le Roger de L'hiver de force et tout l'entourage  artistique  de Catherine ; Le dé-serteur et son dialogue avec  Monsieur le Président  annonce la thématique de la révolte et toutes les manières de narguer l'autorité ; tandis que Bourrée de com-plexes fait penser à des personnages féminins tels que Laïnou ; enn, Fais-moi mal, Johnny, avec son brin d'ironie typique, laisse entrevoir en ligrane les relations complexes et jamais résolues de Johnny avec Exa Torrent, de Rémi avec Raïa, et d'autres personnages ducharmiens14.

Ce microcosme vianesque inscrit dans l'÷uvre de Ducharme se perçoit aussi lorsque, par exemple, André parle d'un lm de Jean-Luc Godard, La Chinoise, et qu'il le qualie dans le genre  quand je sors avec Hildegarde c'est toujours moi qu'on regarde  (HF, 141). Faisant allusion à la chanson  J'suis snob , André utilise les mots de Vian pour qualier le lm. Il en est de même pour l'humour de Vian, souvent ironique, qui est celui que Nicole préfère (HF, 105). C'est d'ailleurs le sens de l'humour qui les soutient alors qu'ils n'ont plus rien, plus de tourne-disques, plus d'électroménagers ni de téléphone (HF, 169).

André et Nicole secouent leur  twistesse  (HF, 142) en jouant avec les mots, en se réconfortant avec les paroles de Vian une fois de plus :  Hé ! C'est assez les chansons tristes. On ferme Adamo, on se prend par le cou, on laisse éclater notre verve. Je roule en Torino... dans les rues de Paris... depuis que j'ai compris la vie.  (HF, 120)

13. Petr Vurm,  Ducharme et Vian : deux créativités aux conns des mots , loc. cit., p. 87. 14. Ibid., p. 88.

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S'appropriant les mots du Parisien qui chante ironiquement  Le petit commerce , André s'explique :  Torino, c'est pour la petite blonde bêcheuse. C'est Cadillac que Boris Vian dit.  (HF, 120). Se moquant de la luxueuse Cadillac, symbole américain de réussite sociale, et la transformant en voiture de sport populaire, André s'approprie les mots du chanteur et oppose ainsi deux marques de voitures américaines, l'une propre aux riches, l'autre à la classe moyenne ou populaire, et préfère attribuer ironiquement à la blonde prétentieuse la voiture populaire.

L'allusion à cette dernière, sorte de bouc-émissaire des Ferron, scande le récit après sa première apparition :  Notre voisine est une petite Allemande blonde qui a toujours l'air bête et qui roule en Ford Torino fast-back jaune moutarde (elle doit être bunny au club Playboy : elle a un lapin collé dans une de ses petites vitres).  (HF, 35) Appartenant à l'univers des pornographes blasés, elle fait partie des personnages qui inspirent à la fois répulsion et fascination chez Ducharme.

Vian se joue aussi des gures blasées comme l'alcoolique de la chanson  Je bois , qui boit  sans y prendre plaisir , au même titre que Ducharme qui se moque de l'écrivain pornographe Blasey Blasey qui écrit  comme d'autres vont à l'usine (AA, 284) . C'est à ce détachement en particulier que fait référence la dérision chez Vian comme chez Ducharme, à ce manque d'appropriation sensible des choses, que ce soit une appropriation d'un état éthylique ou d'un discours culturel, les deux étant traités sur le même plan.

Ducharme mélange la chanson à d'autres objets culturels et s'approprie librement les diérents discours populaires et savants pour faire voir ou faire entendre du sens. Nous soulignerons ici un croisement d'ordre culturel qui nous semble intéressant en ce qui concerne le dialogue entre Ducharme et Vian, le lm Rendez-vous avec Callaghan, dont les répliques s'imbriquent aux paroles des chansons du Parisien, alors qu'André et Nicole reviennent de la pharmacie avec le vinyle. Tout comme  [l]es Ferron semblent ignorer que Le blé en herbe a d'abord été un roman15, ils semblent ignorer que

Rendez-vous avec Callaghan est tiré d'un livre écrit par Peter Cheyney, auteur que Vian a traduit de l'anglais. Créateur de roman policier de série noire, l'écrivain britannique a publié son premier roman en se faisant passer pour un américain, suite à un pari, tout comme Vian qui a inventé Vernon Sullivan après une gageure. La présence de Peter Cheyney rappelle Vernon Sullivan que Ducharme connaît certainement, puisqu'il fait

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allusion à la mort de Vian qui est étroitement liée à l'existence de Sullivan :  Ça a fait un gros boum quand il a cassé sa pipe, Boris. . . mais là, c'est pas riche. . .  (HF, 105).

Vian et son  alter-negro 

Vernon Sullivan, auteur afro-américain imaginé par Vian16, a écrit J'irai cracher

sur vos tombes, Les morts ont tous la même peau, Et on tuera tous les areux ainsi que Elles se rendent pas compte17. Taxée de pornographie, cette ÷uvre a été censurée et

a fait scandale en France. En eet, peu après la publication de J'irai cracher sur vos tombes en 1946, une plainte est déposée par le Cartel d'action sociale, alors représenté par Daniel Parker qui s'était déjà attaqué à Henry Miller. Peu après, un fait divers déplorable avait eu lieu à Paris, le meurtre de Marie-Anne Masson, assassinée par son amant éconduit qui avait laissé le livre de Vian ouvert à la scène du crime sur la table de chevet.

Vian a dû subir un long procès qui a alimenté ses réexions ironiques sur le rôle de la littérature et du lecteur. En novembre 1948, Vian avoue devant le juge d'instruction être le véritable auteur du roman. Si ce scandale l'a poursuivi, il n'en demeure pas moins qu'il a parallèlement continué à créer une ÷uvre artistique riche sous son véritable nom. Un peu plus de dix ans après ce scandale, soit en 1959, Vian assiste, sans y tenir particulièrement, à la projection d'un lm inspiré de son roman J'irai cracher sur vos tombes. Il décède, quelques minutes après le début de la projection.

Roger Degrandpré, qui fait allusion à la mort de Vian dans L'hiver de force, rappelle implicitement, nous semble-t-il, J'irai cracher sur vos tombes et l'existence de Vernon Sullivan. Puisque les répliques du lm Rendez-vous avec Callaghan accompagnent la première référence au chansonnier parisien, il nous semble possible de faire un bref parallèle entre une réplique du lm et l'existence de Sullivan18. Alors que les Ferron

chantent  Le déserteur , la télévision laisse entendre  Trouvez le chapeau et vous aurez l'assassin , ce qui semble faire écho à Vian qui doit écrire aux journalistes, se

16. Le terme alter-negro a été proposé par Michel Rybalka, voir Boris Vian, essai d'interprétation et de documentation, Paris, Minard, 1984, p. 98.

17. Publiés respectivement en 1946, 1947, 1948 et 1950.

18. Selon Élisabeth Nardout-Lafarge,  chez Ducharme, les sources les plus importantes sont sans doute les plus soigneusement dissimulées . Voir Élisabeth Nardout-Lafarge, Une poétique du débris, op. cit., p. 112.

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défendant de ne pas être un assassin19, de ne pas porter le chapeau. Sans pousser plus

loin les possibles manigances ducharmiennes, nous soulignerons seulement le fait que l'auteur a peut-être voulu présenter les deux visages du chansonnier en juxtaposant à ses paroles un lm de série noire, créé à partir d'un livre dont l'auteur a été traduit par Vian20.

C'est si beau  Fais-moi mal 

Le côté scandaleux de Vian est salué dans la dédicace des Enfantômes, où Du-charme écrit :  à Magali Noël, c'est si beau Fais-moi mal  (EN, 7), faisant référence à la chanson écrite par l'idole des Ferron. Si Ducharme fait allusion à lui à travers la chanteuse française, il le fait aussi en évoquant, toujours dans la dédicace, Patrick Straram, qui avait pour pseudonyme le Bison Ravi, anagramme qu'il avait empruntée à Vian avec l'autorisation d'Ursula Kübler. Ducharme glisse donc, nous semble-t-il, deux allusions cachées à Vian.

Ces références côtoient des noms d'artistes n'ayant que très peu de lien entre eux, si ce n'est l'époque. Ducharme dédie son roman à diverses personnes, les mettant toutes sur le plan d'une appropriation sensible, réitérant l'adverbe  si  pour appuyer ses commentaires, ou s'exclamant  ah . Ainsi, la chanson de Vian est encore adorée et sa présence côtoie celle d'amis comme  Pauline  et  Godin . Magali Noël, quant à elle, est mise aux côtés de deux autres chanteuses françaises, Françoise Hardy et Sylvie Vartan, et  Fais-moi mal  avoisine deux autres chansons  si belles ,  Un rêve  et  la Maritza , chanson annonçant le thème du paradis perdu qu'est l'enfance.

La chanson de Vian mentionnée en dédicace est une chanson provocatrice. Elle met en scène la rencontre d'un certain Johnny et d'une femme qui désire se  faire faire mal , mais qui le regrettera par la suite. Exemple ironique de l'adulte et ses  adulteries , l'inscription de cette chanson introduit le premier roman de Ducharme

19. Boris Vian,  Je ne suis pas un assassin , article reproduit dans Images de Boris Vian, op. cit., p. 67.

20. Si Élisabeth Haghebaert souligne que Ducharme ait pu vouloir faire appel à Vian en réitérant le nom de Colline, faisant penser au nom de Colin de L'écume des jours prononcé en anglais, et en faisant allusion à un c÷ur arraché, nous ne pousserons pas ces réexions plus loin, mais noterons qu'il y a, en eet, des échos qui semblent rappeler l'÷uvre romanesque de Vian. Voir Une marginalité paradoxale, op. cit., p. 160.

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à mettre en place un personnage principal adulte, masculin et marié, personnage qui sera suivi par les  radas  des romans de la seconde vague où se mêlent complexité des relations humaines et  érotisation de la langue21. D'ailleurs, le narrateur de Gros

mots22 se nommera Johnny et entretiendra des relations des plus complexes avec Exa

Torrent, la Petite Tare, Julien et Poppée, des noms des plus inhabituels rappelant ceux de l'écrivain parisien. Sorte de microcosme qui fait appel aux diérentes thématiques de Ducharme, la chanson poursuit le dialogue instauré avec Vian dans L'hiver de force.

En plus de mettre en place des microcosmes thématiques, le paratexte des En-fantômes se joue des conventions. Mélangeant dans une cacophonie des références à vingt-six personnalités québécoises, américaines, canadiennes, françaises et italiennes, ainsi qu'à des amis, Ducharme se moque de l'usage même de la dédicace. En eet, comme le souligne Hélène Amrit,

L'éclectisme et le nombre impressionnant des personnes citées annihilent la na-lité de la dédicace qui est de rendre hommage ; sa signication se perd dans les méandres de la lecture. La vérication de l'authenticité des noms de cette liste n'apporterait guère plus à ce constat. Éventuellement elle préciserait une époque (Françoise Hardy, Sylvie Vartan, Jerry Lewis, Darry Cowl...), ou encore un lieu (Réal Laporte est un journaliste québécois) ; mais une signication globale peut-elle résulter d'une tpeut-elle recherche ? Le jeu, l'ironie, l'abus anéantissent la fonction de la dédicace23.

Ainsi, ces références semblent gratuites et  glanées au hasard  (NV, 9) pour se moquer de l'usage littéraire habituel. Ducharme met donc en place une dédicace qui semble perdre son sens, comme il écrit une préface aux poèmes de Gérald Godin en prétendant ne pas y prêter d'importance :

Maître,

une autre manière de me sortir de cette aaire de Préface, c'est d'en faire une qui ne soit pas de votre goût du tout24.

Si ces mélanges hétérogènes peuvent surprendre, l'usage de la dédicace en tant que tel est aussi étonnant. En eet, Amrit souligne la marginalité de Ducharme qui, à une époque où la dédicace est de moins en moins utilisée, s'en sert abondamment, revenant ainsi à une pratique ancienne en la détournant de son usage habituel. Les pratiques

21. Élisabeth Haghebaert, Une marginalité paradoxale, op. cit., p. 113. 22. Réjean Ducharme, Gros mots, Paris, Gallimard, 1999, 356 p.

23. Hélène Amrit, Les stratégies paratextuelles dans l'÷uvre de Réjean Ducharme, Besançon, Les Belles Lettres, Annales littéraires de l'Université de Besançon, 1995, p. 82.

24. Réjean Ducharme,  Préface , dans Gérald Godin, Ils ne demandaient qu'à brûler, édition établie par André Gervais, Montréal, Hexagone, 2001, p. 7-8.

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paratextuelles sont largement mises à l'épreuve dans les premiers romans de Ducharme, mais elles disparaissent complètement avec Va savoir25 et Gros mots, tout comme les

marques fantaisistes des notices biographiques nissent par s'eacer progressivement elles aussi, laissant place à un recentrement sur les faits essentiels liés à sa vie, soit son année de naissance, son origine et son statut d'écrivain. Nous verrons, dans la deuxième partie, comment ces aronts aux conventions paratextuelles se manifestent aussi chez Vian.

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3. Autoprésentation des écrivains : refus du sérieux littéraire

Deux lecteurs avides

L'instauration du dialogue entre les romans de Ducharme et les chansons de Vian nous incite à voir comment ces deux écrivains peuvent se rejoindre du point de vue biographique. Ducharme est né d'un chaueur de taxi et d'une  femme simple et douce1  du nom de Nina Lavallée, qui lui aurait appris,  sans faillir à l'amour ,

comme il l'écrivait lui-même en 1990,

les dures leçons de la liberté, et [lui] appren[ait] encore,

rien qu'en [lui] parlant comme elle parle,

qu'il faut être bien armé de mots pour se défendre, sinon conquérir2.

Le Québécois provient d'un milieu familial modeste, contrairement à Vian qui naît d'un père rentier et d'une mère mélomane, harpiste et pianiste amateur. La famille Vian ne jouira toutefois pas de cette aisance nancière très longtemps, en raison des crises importantes, notamment celles de 1929 et de 1940, qui contraignent Paul Vian à devenir placier en produits pharmaceutiques, puis démarcheur d'une agence immobilière. Il devint, comme l'écrit amicalement Noël Arnaud, un  grand bourgeois ruiné  qui se transforma en  aristocrate n de race contemplant les agitations du monde avec un scepticisme enjoué3 , ce qui t que Boris Vian fut élevé dans un  complet mépris de

la Trinité sociale : Armée, Église, Argent4.

Les repères biographiques chez Ducharme restent plus ous. Son enfance semble caractérisée par la lecture et l'écriture auxquelles il se serait adonné nuit et jour en suivant la devise que lui attribue son ami Serge Boutet en 1959 :  lire pour connaître

1. Michel Saint-Germain,  Réjean Ducharme par sa mère , dans L'actualité, 1er octobre 1994, www.lactualite.com/culture/rejean-ducharme-par-sa-mere, [site consulté le 26 septembre 2011].

2.  L'auteur Réjean Ducharme lauréat du prix Gilles-Corbeil , dans Le nouvelliste, mercredi 28 novembre 1990. Cet article reproduit le  mot de remerciements  écrit par Ducharme et prononcé par Claire Richard lors de la remise du prix Gilles-Corbeil. Ce texte est également reproduit dans Textes en hommage aux lauréats des prix triennaux. Prix Gilles-Corbeil, Prix Serge-Garant, Prix Ozias-Leduc, Montréal, Publication de la fondation Émile-Nelligan, 2005, p. 21-23.

3. Noël Arnaud, Les vies parallèles de Boris Vian, op. cit., p. 15-16. 4. Ibid., p. 16.

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et poussé par l'ambition d' exprimer sa pensée en un coup de plume5 , alors que

paradoxalement, Ducharme prétendait, dans une entrevue accordée à Gérald Godin en 1966,  lire un peu  et  n'avoir pas de culture6 . Vian, au contraire, écrit dans

un commentaire à une ÷uvre inachevée qu'il a  tout lu  :  Racine, Corneille, les chnocks, même Molière, ils me barbent. À huit ans j'ai lu tout ça. Maupassant aussi. Je lisais tout. Je regrette pas. Je suis débarrassé7.  Faussement prétentieux, Vian prote

de ce moment de réexion autobiographique pour se moquer des classiques, alors que faussement inculte, Ducharme occulte sa bibliothèque personnelle. Dans les deux cas, ils se moquent d'eux-mêmes, de la littérature, de leur position au sein de celle-ci.

Des textes liminaires éloquents

L'entrée de ces deux écrivains dans le monde littéraire s'accompagne d'un désir de distanciation face au sérieux des conventions littéraires. Par l'auto-dérision et l'au-todénigrement qui caractérisent leur présentation aux éditeurs, ils achent leur refus d'adhérer aux conventions. Bien que leurs procédés soient diérents, nous pouvons ef-fectuer un parallèle entre l'autodénigrement d'apparence naïve de Ducharme et l'auto-dérision joyeuse de Vian et tenter de caractériser la prise de position qu'ils expriment. Nous prendrons pour appui une proposition de Dominique Maingueneau qui arme que l' on ne peut produire des énoncés reconnus comme littéraires sans se poser comme écrivain, sans se dénir par rapport aux représentations et aux comportements asso-ciés à ce statut8.  Ces textes d'autoprésentation étaient destinés à accompagner les

romans qui devaient être publiés chez l'un des éditeurs les plus prestigieux, Gallimard. Nous considérerons donc ces textes comme étant des énoncés littéraires produits par des écrivains qui font leur entrée dans l'institution.

La maison d'édition parisienne a eu droit à des textes singuliers, globalement teintés d'une esthétique fantaisiste chez Vian et d'un ton naïf assumé chez Ducharme. Nous retenons pour analyse les deux textes que Vian glisse dans sa lettre du 20 juin 1946

5.  Réjean Ducharme par lui-même , extrait de l'album de nissant [consulté sur le site de radio-canada à l'occasion du 70e anniversaire de Ducharme, page devenue inaccessible].

6. Gérald Godin,  Gallimard publie un Québécois de 24 ans, inconnu , dans Le Magazine Ma-clean, septembre 1966, p. 57.

7. Noël Arnaud, Les vies parallèles de Boris Vian, op. cit., p. 205.

8. Dominique Maingueneau, Le contexte de l'÷uvre littéraire : énonciation, écrivain, société, Paris, Dunod, 1993, p 27.

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