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Ducharme et Vian, phonographes du pornographe

6. Un parti pris pour le ludisme Des thématiques plutôt sombres

Si Le nez qui voque s'éloigne de l'écriture fantaisiste des deux romans publiés à la même époque, c'est-à-dire, L'océantume et L'avalée des avalés, le ton de L'automne à Pékin, quant à lui, s'éloigne de  l'écriture heureuse  de L'écume des jours et devient  globalement plus grave1. Mais il ne faut pas s'y tromper, comme l'écrit Mille Milles,

 Rien n'est sérieux. Rien n'est sérieux. Rien n'est sérieux. Rien n'est sérieux. Tout est risible. Tout est ridicule. Il n'y a rien de grave.  (NV, 35) L'éditeur2 de L'automne

à Pékin qui l'a fait paraître aux éditions de Minuit en 1956 ne s'est pas laissé berner et ce ton plus grave ne l'a pas empêché d'écrire sur la quatrième de couverture  une littérature où il est enn permis de rire3 . Mille Milles, quant à lui, nous le rappelle à

plusieurs reprises, il est un  hostie de comique . Mais ce n'est pas de n'importe quel rire dont il s'agit ici. Ce rire, semblable à celui que provoque Charlot4, est d'un comique

tragique qui permet d'apaiser le dégoût de l'absurde.

En eet, comme nous allons le démontrer par la suite, les deux créateurs mettent en place à la fois des histoires dont les thématiques sont plutôt sombres et des récits ludiques portant à rire. Désarmant le sérieux des thèmes abordés, le ludisme permet surtout d'éloigner les clichés qui transformeraient le récit en drame plutôt qu'en tragédie, car le tragique est bel et bien présent chez les deux auteurs. Il nous semble d'ailleurs que, sans être des tragédies à l'état pur, ces ÷uvres marient à merveille le sublime, qui consiste à montrer que l'art maîtrise l'horreur, et le comique, qui permet d'apaiser le dégoût de l'absurde. Ce tragique permet alors de mettre en place une dimension

1. Marc Lapprand [dir],  Notice de L'automne à Pékin , loc. cit., p. 1220. 2. Jérôme Lindon dirige alors les éditions de Minuit.

3. François Caradec,  Avant de relire L'automne à Pékin , postface à L'automne à Pékin, op cit., p. 296.

4. Lors de la deuxième publication de L'automne à Pékin, on retrouve, parmi les rares critiques, une comparaison entre Vian et Charlot :  De même que Charlot est tout le contraire d'un comique", qu'il est cruel, lâche, et j'en passe, et que malgré cela il nous fait bien rire, de même Boris Vian, sinistre et plein de mauvais goût, écrit impassiblement des livres très dangereux : le fou rire vous y guette, vous saisit soudain au détour d'une page, il vous serre à la gorge et ne vous lâche plus. L'automne à Pékin, disons-le, est un des livres les plus drôles qu'il nous ait été donné de lire depuis longtemps.  André Valace cité dans Marc Lapprand [dir],  Notice de L'automne à Pékin , loc cit., p. 1234.

philosophique qui met l'accent sur l'immérité de la vie5, ce dont il sera question dans

la dernière partie.

Comme nous l'avons mentionné, Le nez qui voque présente le récit d'un jeune adolescent nommé Mille Milles qui quitte sa famille pour aller découvrir la ville de Montréal et le monde des adultes. À l'inverse, L'automne à Pékin présente le récit d'un jeune homme nommé Angel qui quitte la ville pour aller dans le désert participer à la construction d'un chemin de fer. Ces récits d'apparence éloignés détiennent des thématiques communes qu'il convient de mettre en relief. Il y a d'abord l'usure qui hante les personnages qui se voient vieillir, et un désir de pureté qui se joint à cette horreur de l'usure. Dans L'automne à Pékin, Anne expliquera à Angel, parlant du couple :  il y a toujours une espèce de dégradation  (AP, 150). Mais Mille Milles a trouvé un remède plutôt radical à ce problème, le pacte de suicide, ce qui lui permet de dire  Nous sommes aranchis de l'angoisse, de l'humiliation de vieillir, de pourrir, de devoir devenir plus laids et plus banaux année après année, heure après heure.  (NV, 27)

Cette dégradation touchera non seulement Mille Milles et Angel, mais aussi les jeunes femmes qu'ils aectionnent, qui elles aussi vieillissent sous leurs yeux, à leur grande déception ou frustration :  On ne le croit pas d'abord [. . .], mais elle s'use.  (AP, 119) Ils entretiennent par ailleurs tous les deux une sorte de fraternité étrange avec elles. En eet, Rochelle dira à Angel :  Vous êtes le type dont on a envie d'être la s÷ur. Exactement.  (AP, 44). Ce rapport semble aussi approprié pour ce qui est de Châteaugué et de Mille Milles. Ces deux gures, mi-s÷ur mi-amante, niront, dans les deux romans, par se suicider tragiquement, geste que les deux jeunes hommes ne poseront nalement pas malgré leur promesse.

Les gures de doubles sont, dans les deux cas, assez inquiétantes. Comme le dé- montre l'analyse de Gérard Durozoi et de Philippe Gauthier6, il y a aussi un rapport

ambigu entre les personnages d'Anne et d'Angel, qui seraient, nalement, les deux vi- sages d'un même personnage, l'un étant angélique et pur, l'autre ayant un  nom de chien  (AP, 105) donc n'étant  pas encore homme7 . Ce dernier se fait tuer par le

5. Réexion proposée par Élisabeth Rallo-Ditche lors du cours sur la tragédie donnée à l'hiver 2008 à l'Université Aix-Marseille 1.

6. Gérard Durozoi et Philippe Gauthier,  Notes sur L'automne à Pékin , dans Noël Arnaud [dir], Boris Vian de A à Z. Obliques, op. cit., p. 5-15.

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premier, ce qui créerait une fusion alchimique dont le résultat serait  l'équilibre na- lement atteint  (AP, 237) dont il est question dans la troisième partie métatextuelle intitulée  Passage . Si Pierre-Louis Vaillancourt propose que  la mort de Chateau- gué signal[e] pour Mille Milles l'entrée dans l'âge adulte8, on pourrait également voir

dans le personnage de la jeune lle une sorte de double de Mille Milles, à l'image de son enfance, qui nit par mourir à la n du récit an, ici aussi, de créer un nouvel équilibre.

En plus de mettre en scène des personnages de double qui provoquent un sentiment d' inquiétante étrangeté9 , Ducharme et Vian fabriquent une sorte de vide qui est

présent en arrière-fond, tout au long des romans. Les lieux de ce vide se présentent sous diérentes formes, sous la forme d'une zone noire dans le désert chez Vian et sous la forme d'un appartement délabré chez Ducharme, où dans les deux cas, la menace d'une mort imminente provenant du pacte de suicide plane sur le récit. Ce désir de mourir, an d'éviter la dégradation, de fuir l'absence de sens, constitue une thématique des plus sombres. L'histoire semble alors devenir absurde :  si l'Histoire est insensée, l'individu se retrouve démuni, toutes les solutions connues (philosophiques, politiques, etc.) peuvent être réfutées sans risque de perte grave10. 

En eet, ces deux romans prétendent n'orir que des choses qui ne servent à rien, car comme l'évoque Mille Milles,  Rien n'est vrai  (NV, 96), ce qui fait écho à Angel qui déplore  [t]out ce travail qui ne sert à rien...  (AP, 274), car bien qu'il soit question de la construction d'un chemin de fer dans le désert, il s'agit aussi de la construction d'un récit sur des pages blanches, comme le soulignent les nombreuses allusions métatextuelles. Ce chemin de fer nit par disparaître, enseveli sous le sable11, et le  Passage  nal nous

souligne que le récit est prêt à recommencer. Les trois parties intitulées  Passages  sont d'ailleurs très signicatives et commentent métatextuellement le texte par des digressions désinvoltes. Ce sont ces parties qui précèdent ce que Vian désigne comme les trois mouvements du roman.

8. Pierre-Louis Vaillancourt,  Bourreaux d'adultes , dans Réjean Ducharme. De la pie-grièche à l'oiseau-moqueur, Paris, L'Harmattan, 2000, p. 49.

9. Concept freudien utilisé par Alain Costes dans  Boris Vian et le plaisir du texte , loc. cit. Les deux sources de l'inquiétante étrangeté seraient reliées à des croyances animistes que nous aurions surmontées et à des complexes infantiles refoulés.

10. Gérard Durozoi,  Narration nie et ction interminable dans L'automne à Pékin , loc. cit., p. 253.

11. Cette n peut faire penser à celle de La lle de Christophe Colomb, qui, comme le souligne Bernard Andrès cité par Élisabeth Nardout-Lafarge, semble parodier d'autres textes :  parodie de la Bible, de l'Apocalypse, de Rabelais ou de Boris Vian ? Irréductible à l'un ou l'autre hypotexte, ou à quelque procédé littéraire, le parodique devient ici façon d'assumer l'héritage , voir Élisabeth Nardout-Lafarge, Une poétique du débris, op. cit., p. 109.

Ce désert et les situations absurdes qui s'y déroulent peuvent être mis en parallèle avec l'enseignement de Mille Milles qui parodie Gide12 :

Je veux parler de la littérature et du désert. Je t'apprendrai à te méer des phrases, de ces idées d'hommes dont tu ne vois pas le visage. Souvent, ce qu'on appelle grandeur en littérature n'est que l'apparence de la gêne qu'éprouve l'esprit devant un aliment absurde, incohérent, incomplet ou vide de sens. (NV, 279)

En ce sens, ils semblent tous deux adhérer à cette réexion de Jean-Marie Le Clézio13,

qui arme qu' [é]crire et communiquer, c'est être capable de faire croire n'importe quoi à n'importe qui14. 

Comique de situation, comique de mots, hostie de comiques

Si ces canevas plutôt noirs peuvent nous inciter à croire que les deux récits sont voués à un sombre pessimisme, il reste que Ducharme et Vian mettent à l'avant-plan un jeu sur le langage qui provoque le rire et permet d'apaiser l'angoisse de l'absurde. En ef- fet,  l'irréalisme fantaisiste, les jeux de mots, l'absurde, le gag, permett[e]nt sans doute de surmonter, de compenser ou de sublimer les réalités frustrantes et douloureuses, tou- jours présentes sous forme de dégradation, d'usure ou de mort15.  Comme le souligne

François Caradec, L'automne à Pékin est une  Quête pour Rire16. Mille Milles, quant

à lui, lance un appel au rire :  Nations du monde, faites-moi rire.  (NV, 223), mais cet appel ne sera nalement pas entendu et le rire s'éteindra tragiquement :  Oh si gai parce que je sais que tôt ou tard je devrai pleurer !...  (NV, 317).

Nous tenterons de voir comment s'articule le rire en prenant pour appui l'essai d'Henri Bergson17. Le philosophe voit le rire comme une sanction sociale qui châtie

12. André Gide, Les nourritures terrestres ; suivi de Les nouvelles nourritures, Paris, Gallimard, 1970, 254 p.

13. Ducharme a tissé une amitié avec Le Clézio et le cite nombre de fois. Selon les manuscrits déposés à BAC, il lui aurait d'ailleurs initialement dédicacé Les enfantômes, qui s'intitulait alors Dans le noir je me souviens, faux livre pour J.-M. G. Le Clézio. Élisabeth Haghebaerth a fait un parallèle entre les deux écrivains. Voir  Ducharme  Le Clézio : distance et proximité , dans Présences de Ducharme, op. cit., p. 69-84.

14. Cité par Michel Rybalka dans Boris Vian, essai d'interprétation et de documentation, op. cit., p. 170.

15. Akiko Fukagawa,  Les  jeux  dans L'automne à Pékin , dans Gallia, n43, 2003, p. 65. 16. François Caradec,  Avant de relire L'automne à Pékin , postface à L'automne à Pékin, op cit., p. 296.

17. Henri Bergson, Le rire. Essai sur la signication du comique, édition électronique réalisée par Bertrand Gibier, 2002, 87 p. Disponible à l'adresse : classiques.uqac.ca/classiques/bergson_

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toute excentricité. En exhibant de manière excessive des mécanismes qui font rire, les narrateurs du Nez qui voque et de L'automne à Pékin prennent eux-mêmes le rôle de la société et mettent en évidence leurs propres distractions et leur propre marginalité. Cette auto-dérision, comme un jeu de miroir, permet de mettre en relief le caractère gé de la langue et le sérieux de la société qui condamne ce qui s'écarte de la norme.

Nous avons montré comment Ducharme et Vian mettaient en place, dès les épi- graphes, un rapport de complicité avec le lecteur. C'est ce rapport qui permet, selon Bergson, de provoquer le rire :  le rire cache une arrière-pensée d'entente, je dirais presque de complicité, avec d'autres rieurs, réels ou imaginaires18.  Le philosophe fonde

son essai sur l'idée que le comique provient d'une distraction, d'un eet d'automatisme ou bien d'une raideur que l'on peut grossir ou xer. Bergson transpose ces réexions dans ce qu'il nomme le comique de situation et le comique de mots et part de l'idée que l'on doit  chercher, dans les jeux qui amusèrent l'enfant, la première ébauche des combinaisons qui font rire l'homme19, ce qui nous semble tout à fait approprié

pour deux écrivains qui vouent un culte à la jeunesse. Bergson prend entre autres pour exemples les gures du diable à ressort et du pantin à celles.

Le diable à ressort

Le diable à ressort permet d'imager l'écriture des deux écrivains. En eet, à la lecture du Nez qui voque, on suit souvent  une idée qui s'exprime, qu'on réprime, et qui s'exprime encore, un ot de paroles qui s'élance, qu'on arrête et qui repart toujours20. 

Mille Milles écrit :  Cela est très profond, mais cela ne veut rien dire. Cela est venu sous ma plume, comme cela.  (NV, 96) et il pourrait  continuer ainsi pendant deux sang pages  (NV, 154). À la lecture du journal de Mille Milles, le lecteur est saisi par une obligation de s'arrêter sur chaque armation, mais aussi par la nécessité de ne pas s'attacher à ses idées, car Mille Milles revient sur celles-ci, au détour de ses phrases, en émettant des commentaires tels que :  Je renie tout ce que je viens de dire. Ça n'a aucun sens.  (NV, 221) Cela s'apparente au  piège à délires de lecture21 qu'est

L'automne à Pékin.

henri/le_rire/le_rire.html [page consultée le 27 janvier 2012]. 18. Ibid., p. 11.

19. Ibid., p. 34 20. Ibid., p. 35.

En eet, vu sous un autre angle, le diable à ressort fait penser à l'ouverture de L'automne à Pékin qui présente la tentative d'Amadis Dudu de prendre l'autobus, dans une suite d'allers et retours forcés qui dure plusieurs pages. Amadis tente de monter dans plusieurs autobus, mais à chaque fois le chaueur lui refuse l'entrée d'une manière absurde et s'obstine à le jeter dehors. Amadis court pour rejoindre un autre arrêt, mais se rend compte qu'il est désormais trop près de son bureau et nit par revenir au point de départ,  où cela vaudrait la peine  (AP, 13), comme un diable dans sa boîte.

Le diable à ressort fait essentiellement rire grâce aux eets de répétition qu'il produit :  la répétition d'un mot n'est pas risible par elle-même. Elle ne nous fait rire que parce qu'elle symbolise un certain jeu particulier d'éléments moraux, symbole lui- même d'un jeu tout matériel. C'est le jeu du chat qui s'amuse avec la souris22. Il en

est ainsi pour les syntagmes  hostie de comique  et  salaud d'Arland  qui scandent les textes à plus d'une reprise. L'écart entre les propos auxquels est associé l'hostie de comique et la signication même de celui-ci est généralement ce qui suscite le rire. Déjà, on peut souligner l'étrangeté du sacre dans un récit qui se veut ironiquement  un chef- d'÷uvre de littérature française  (NV, 54). L'expression  hostie de comique  sert en partie à désarmer une certaine gravité des propos. Comme l'écrit Mille Milles :  Il ne faut pas me prendre au sérieux. Je ne fais que répéter ce que j'ai entendu dire.  (NV, 152) D'ailleurs, la répétition ne l'eraie pas :

Mais il y a beaucoup de place dans mon cahier et je ne suis pas avare de mon temps. Il y a beaucoup de place dans mon cahier et je ne suis pas avare de mon temps. Il y a beaucoup de place dans mon cahier et je ne suis pas avare de mon temps. Il y a beaucoup de place dans mon cahier et je ne suis pas avare de mon temps. (NV, 125)

Le nom d'Arland dans L'automne à Pékin n'attirerait pas l'attention s'il n'était toujours accompagné du qualicatif  salaud , qui le transforme en bouc-émissaire alors que son rôle n'a que très peu d'importance. La possibilité qu'il s'agisse d'une référence à Marcel Arland met l'accent sur le marquage autobiographique et rappelle l'échec de Vian au prix de la Pléiade. Petite vengeance sans vergogne, la répétition de ce nom survient dans le roman comme un signe de distraction du narrateur extradiégétique qui oublie, lui aussi, qu'il se doit d'écrire un chef-d'÷uvre de littérature. Vian se plaît aussi à l'usage de la répétition, lorsqu'il met en scène, lors de la première  Réunion  du Conseil d'administration, un membre qui reçoit toutes les propositions avec le même

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commentaire :  Je ne suis pas de cet avis.  (AP, 83-85) comme si l'aiguille du phono- graphe était restée bloquée sur cette phrase.

Le pantin à celles

La gure du pantin à celles est celle du personnage qui  croit parler et agir librement [. . .] alors qu'envisagé d'un certain côté il apparaît comme un simple jouet entre les mains d'un autre qui s'en amuse23.  Chez Vian comme chez Ducharme,

le pantin à celles semble être le lecteur même du récit qui se fait manipuler par les discours contradictoires. Si Mille Milles arme d'abord être un poète et non un vulgaire prosateur (NV, 202), il nit par rejeter son cahier et clamer :  Vous ne savez pas ce que vous manquez, ô hommes, si vous n'aimez pas la vulgarité des hommes  (NV, 319), soutenant ainsi des propos qui viennent contredire ce qui a été lu auparavant. Le pantin devient alors le lecteur qui oscille d'un côté et de l'autre, suivant les idées ambivalentes du narrateur qui approuve et rejette ses propres pensées, dans un va-et-vient continuel.

Le lecteur se retrouve aussi dans le rôle d'un pantin à celles dans L'automne à Pékin en raison des  Passages  qui commentent métatextuellement ce qui est arrivé et ce que le lecteur s'apprête à lire :

Il y a lieu de s'arrêter une minute, maintenant, car cela va devenir noué et en chapitres ordinaires. On peut savoir pourquoi : il y a déjà une lle [. . .]. Il en viendra d'autres, et rien ne peut durer dans ces conditions. [. . .] Une s'appellera Cuivre, et l'autre Lavande, et les noms de certains viendront après ; mais ni dans ce livre, ni dans la même histoire. (AP, 67)

Le narrateur s'amuse ainsi à créer une forme de lecture accompagnée qui met en place des éléments d'apparence inutiles, comme celui-ci :  Je crois que je parlerai des cailloux, de temps en temps.  (AP, 67) ou bien celui-là :  Cruc, son bateau fera naufrage, et tout sera terminé lorsqu'il arrivera. Alors j'en reparlerai seulement dans le passage suivant, ou même pas.  (AP, 145) Il nous fournit aussi des clés de lecture des plus étonnantes, par exemple :  On a certainement noté la faible présence du personnage principal, qui est évidemment Rochelle  (AP, 237).

Trompant la vigilance du lecteur, le narrateur de L'automne à Pékin se joue de lui en orientant sa lecture vers nombre de chemins diérents dans un but ludique et un

refus de l'histoire romanesque traditionnelle. Après le premier  Passage  qui commente métatextuellement la lecture du roman, il amorce le  premier mouvement  et met en scène le lecteur en se jouant de son ignorance :

[. . .]pour la commodité du lecteur, [Athanagore] remplit la che de renseignement suivante, reproduite ci-dessous in extenso, mais en typographie seulement : Taille : 1 m 65

Poids : 69 kilogrammes force Cheveux : grisonnants

Système pileux résiduaire : peu développé Âge : incertain

[. . .]

À son tour, [Martin Lardier] remplit une che ; il la déchira malheureusement trop vite pour que l'on ait le temps de la recopier, mais on le recoincera au tournant. (AP, 69)

Le lecteur, qui était interpellé directement lors du  Passage  écrit en italique, se voit