• Aucun résultat trouvé

Ducharme et Vian, phonographes du pornographe

7. Figures du Bouon : Mille Milles et l'abbé Petitjean

Il est vrai qu'ici vous ne trouverez Guère de perfection, sauf si on se met à rire ; Autre sujet mon c÷ur ne peut choisir À la vue du chagrin qui vous mine et consume. Il vaut mieux traiter du rire que des larmes, Parce que rire est le propre de l'homme. Rabelais

Pour un rire grotesque

Si le comique de mot ou de situation permet de sublimer les thématiques plus sombres et de dénoncer le caractère gé des conventions langagières, la présence des personnages de bouon provoque un rire libérateur qui prend pour cible les institutions les plus consacrées. Comme il en a été question dans la première partie, Ducharme et Vian semblent se présenter sous les masques du sot et du bouon au sens où l'entendait Bakhtine. Le rôle du bouon est repris par Mille Milles et l'abbé Petitjean dans Le nez qui voque et L'automne à Pékin. Comme le souligne Bernard Dupriez,

[a]ux yeux de son lecteur, dès le début de l'÷uvre, Ducharme ne revendique pas d'autre place que celle de bouon. Il est celui qui, par le truchement de Mille Milles, va faire des jeux de mots, va faire grimacer les apparences toutes faites de la langue et leur faire dire des choses insoupçonnées1.

Ce truchement est diérent chez Vian, car si l'on a attribué à Angel le rôle de porte- parole de l'auteur2, c'est l'abbé Petitjean qui assume la bouonnerie satirique. Mille

Milles et l'abbé entretiennent tous deux un rapport ludique au langage et s'en servent pour  dénoncer toute espèce de conventionalité fausse, pernicieuse pour toutes les relations humaines3.  Ces deux personnages nous semblent donc fondamentaux pour

comprendre la critique des institutions à laquelle se livrent les deux auteurs.

1. Bernard Dupriez,  Ducharme et des celles , loc. cit., p. 169.

2. La  projection  de Vian à travers les doubles que sont Angel et Anne a été proposée par Michel Rybalka dans Boris Vian, essai d'interprétation et de documentation, op. cit., p.117.

3. Mikhaïl Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, op. cit., p. 308.

Les gures de bouon permettent un rire de connivence qui trouve ses racines dans la conscience populaire. La forme de leurs moqueries prend sa source dans le sociolecte qui leur est propre, le langage parlé au Québec ou celui parlé à Paris, mais aussi dans les usages littéraires les plus valorisés. Une des principales sources du rire provient justement de ce contraste prégnant dans leur ÷uvre. Élisabeth Haghebaert a d'ailleurs souligné le rôle fondateur de Ducharme dans la littérature québécoise, soit celui d'ériger, entre autres, l'oralité en norme4. Vian, quant à lui, dans la lignée de

Céline et de Queneau, a revendiqué le style parlé5. Se permettant de dire des gros mots

et de malmener le bon usage, Mille Milles et l'abbé Petitjean se placent dans la tradition du comique populaire.

Issue de la littérature médiévale, la gure du bouon investit la place publique, une place où l'on retrouve les bas niveaux sociaux et un langage plus vulgaire. En toute liberté,  ces gures rient et on rit d'elles6 . Le comique est ici davantage grotesque

que tragique, car il s'agit du rire  du comique populaire sur la grand-place7.  Si la

conception de Bergson vient montrer les mécanismes du rire présents dans le langage et exhiber la marginalité des auteurs, la conception de Bakhtine vient quant à elle souligner le rôle libérateur du rire que provoquent les personnages de bouon. Les discours portés par Mille Milles et l'abbé Petitjean sont étroitement liés à ce comique populaire libérateur et leur esthétique se caractérise par l'excès et l'extravagance8. En

déployant une esthétique du blasphème et en créant des inversions carnavalesques, les deux personnages traversent les cadres du convenu et donnent à Vian et à Ducharme le rôle de  l'écrivain grotesque [qui] n'analyse ni n'enseigne en termes de vrai ou de faux, de bien ou de mal, et [qui] n'essaie pas non plus de distinguer ces concepts. Au contraire, son souci est de démontrer qu'ils sont inséparables9 .

4. Élisabeth Haghebaert, Une marginalité paradoxale, op. cit., p. 28. 5. Noël Arnaud, Les vies parallèles de Boris Vian, op. cit., p. 256. 6. Mikhaïl Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, op. cit., p. 306. 7. Id.

8. Nicole Buard-O'Shea,  Excès et extravagance : l'ambivalence du monde vianesque , dans Le monde de Boris Vian et le grotesque littéraire, op. cit., p. 91-122.

9. Philip Thomson cité par Nicole Buard-O'Shea dans Le monde de Boris Vian et le grotesque littéraire, op.cit., p. 20.

73

Esthétique du blasphème

Comme l'a démontré Marie-Hélène Larochelle10, le blasphème occupe une place

importante dans l'÷uvre romanesque de Ducharme. Il en est de même chez Vian. Si Mille Milles est le plus grand blasphémateur de l'÷uvre ducharmienne par son utili- sation récurrente de l'expression  hostie de comique , Vian, quant à lui, subvertit la gure traditionnelle de l'abbé en lui faisant porter un discours des plus inconve- nants. Le blasphème, en plus d'être une forte composante identitaire au Québec,  par- ticipe[rait] d'une certaine volonté consciente de s'aranchir des cadres traditionnels de l'autorité religieuse , et d'un autre côté,  relève[rait] plutôt de l'inconscience que de l'ignorance11. Le blasphème apparaît dans le roman comme un vecteur de la culture

populaire et scande le discours pour provoquer le lecteur.

Mille Milles compare de l'eau bénite à de la suie et se crée un nouveau rituel (NV, 30). Il s'adonne à la prière et se l'approprie ainsi :  Pensons, les yeux fermés, aux embrassées du monde, aux giées du monde, aux trahies du monde, aux endormies du monde, aux injustement laides et oubliées du monde, aux sept merveilles du monde.  (NV, 37), vidant de tout sens ses paroles en juxtaposant des idées contradictoires. Mille Milles commente une autre prière sacrée :  Aimez-vous les uns les autres an que tout aille bien. . . ! Quelle bêtise ! Que de grâce et de légèreté !  (NV, 193), s'appropriant et banalisant la morale chrétienne. Il compare aussi son état à celui de la vierge :  Je suis plein de ma joie comme Je-vous-salue-Marie est pleine de grâces.  (NV, 263) Cette joie est d'ailleurs un peu trop excessive pour qu'elle ne soit grotesque.

Mille Milles se crée sa propre morale, ou plutôt une absence de morale, et s'ex- prime librement, selon ses envies :  Laissez-moi blasphémer un peu avant de m'en aller. L'amour, ce n'est pas quelque chose, c'est quelque part. . . c'est. . . Et puis non ! Je vous fais grâce des précisions pornographiques.  (NV, 165) Il préfère plutôt voir le rire dans la religion :  Voyez-vous le rions dans prions ?  (NV, 166) Mais ses bouonneries prendront n à un moment bien précis du récit :  C'est alors que je l'ai embrassée. Brutalement, de façon à lui faire perdre l'équilibre, pour que cela passe comme le reste pour de la bouonnerie [. . .] Je riais avec elle, mais je n'avais pas le goût de rire. (NV, 312) Embrassant Chateaugué, Mille Milles tombe dans le commun, l'impureté, l'adul-

10. Marie-Hélène Larochelle,  Du sociolecte : étude du blasphème dans les romans de Réjean Ducharme , dans Présences de Ducharme, op. cit., p. 147-163.

terie, le cliché commercial, le genre de dénouement que privilégierait un pornographe, mais surtout il ferme la porte de l'enfance, rejoignant ainsi ce réalisme sentimental qu'il exècre. Nous verrons comment cette intrusion du pornographe se présente aussi chez Vian.

Le blasphème prend une place tout aussi importante dans L'automne à Pékin, par l'entremise de l'abbé Petitjean qui fait agréablement penser au Frère Jean dans Gargantua. En eet, ces deux gures religieuses ont une même passion pour la bonne chère et la boisson et festoient à c÷ur joie. L'abbé Petitjean le remarque lui-même :  Je suis toujours le même, dit l'abbé. Buveur indiscret. . . et goinfre en outre.  (AP, 196) Il est sans doute celui qui utilise le plus le langage familier et l'argot, ainsi qu'un registre inventé par Vian,  l'argot de sacristie  (AP, 198). On trouvera dans son langage des mots tels que  estrapadouiller ,  foutaises ,  parpaillot ,  pouillette ,  dégueulis ,  goût de pisse-d'âne ,  foutu ,  bougrement , ou des expressions argotiques très crues telles que  elle ne me botte pas  (AP, 197) ou bien  il s'envoie une sacrée poule !  (AP, 245). Il commente d'ailleurs son langage en s'exclamant :  Je n'arrête pas de blasphémer  (AP, 198), puis en soulignant :  C'est la première fois [. . .] que je reste aussi longtemps sans dire une connerie plus grosse que moi.  (AP, 227)

Cela n'est pas sans rappeler Mille Milles qui se moque du langage conventionnel en s'exclamant ironiquement :  N'employez pas le mot ça ; c'est une contraction vulgaire. Vive le mot cela !  (NV, 45), proclamant la suprématie du mot  cela  comme s'il s'adressait aux passants sur la grand-place. Si Mille Milles est un  hostie de comique , un  joyeux luron  (NV, 242), un  Popeye, le vrai marin  (NV, 235), l'abbé, quant à lui, est qualié de marrant et on ne dit que du bien de lui :   Je n'aime pas les curés non plus, [. . .], mais celui-là n'est pas comme les autres. [. . .]/  C'est un rigolo (AP, 166).

Les deux bouons se moquent de la grâce. En eet, comme le fait Mille Milles en comparant la grâce de Marie à sa joie, l'abbé la ridiculise en la prenant au pied de la lettre, comme le veut le récit :   J'ai été touché par la grâce, dit Claude./ Il se passa la main sur l'occiput. [. . .] L'abbé tâta./  Fichtre. . . dit-il, elle n'y a pas été de main morte. . .  (AP, 34). En eet, le commis de bureau a été touché par celle-ci lorsqu'un des barreaux de sa cellule de prison lui est tombé dessus. L'abbé se tiendra d'ailleurs au courant de son état et lui demandera tout bonnement :  Où en êtes-vous

75

avec la grâce ? , ce à quoi Claude répondra :  Ça va et ça vient.  (AP, 143), ce qui ira dans le sens de l'acte saint qu'il choisira d'accomplir, la fornication avec une négresse. Dans un renversement grotesque, le profane vient remplacer le sacré et le discours met à mal l'institution religieuse. L'abbé armera en toute liberté et d'une manière provo- catrice :  La religion a été inventée pour placer les criminels.  (AP, 214) Il défendra également l'idée que l'ermitage rend fou et  qu'au bout de trois ou quatre ans [. . .] on s'en va droit devant soi, et on tue la première petite lle que l'on rencontre pour la vio- ler.  (AP, 139). Ces propos excessifs alimentent le grotesque du discours et provoquent un rire, certes grinçant, mais également libérateur. L'abbé avouera nalement ne porter la soutane que pour noyauter l'institution religieuse (AP, 280).

Dans une envolée lyrique, Mille Milles, quant à lui, s'exclame :

Ô hommes, que n'aimez-vous la vulgarité des hommes, l'avarice d'âme des hommes, la petite cruauté des hommes, la sensualité sérieuse et méchante des hommes, le grand ennui et l'ingrate solitude des hommes ? Vous ne savez pas ce que vous manquez, ô hommes, si vous n'aimez pas la vulgarité des hommes, l'avarice d'âme des hommes, la petite cruauté des hommes, la grossière sensualité des hommes, le grand ennui et l'ingrate solitude des hommes. Vous manquez tout, si vous n'aimez pas l'homme. (NV, 319-320)

Aux valeurs portées par la religion, Mille Milles substitue la cruauté, la sensualité, la méchanceté, l'ennui, la solitude et l'avarice, au même titre que l'abbé qui rachète ses péchés en égrenant son chapelet  avec la rapidité d'une machine à écosser les petits pois  (AP, 134) et en se signant des dérogations (AP, 131). Mille Milles nira par rejeter catégoriquement la pureté après avoir rencontré Questa :  La pureté me fatigue. Je suis fatigué de m'entendre penser à la pureté. Va pour la cochonnerie. Au fond, j'aime mieux la cochonnerie. Le mot est moins fatigant, plus modeste. Vulves, venez.  (NV, 205) Il inventera lui aussi une nouvelle prière, parodiant le Christ :  Laissez venir à moi les grosses adultes et les gros adultes.  (NV, 205)

L'inversion carnavalesque

Si l'abbé Petitjean semble s'inspirer d'un personnage de Rabelais, Mille Milles, quant à lui, n'est pas sans évoquer l'écrivain satirique :  Je te fous zéro, espèce de petit con pontiant ! C'est ainsi qu'ils parlent, en France. Espèce de Grandgousier ! Espèce de pente à gruelles !  (NV, 326) Dans la tradition de cet humaniste, Ducharme

et Vian inversent les valeurs an de rendre les situations grotesques et carnavalesques, voire  festivalesques12 . En eet, aux messes austères et ritualisées, l'abbé substitue

des  messes qui pètent le feu  (AP, 135), et aux prières sacrées, des comptines pour enfants qui au lieu de se terminer par un amen se terminent entre autres par  Quatre, cinq, six, cueillir des saucisses  (AP, 130) ou bien  Picoti, picota, lève la queue et saute en bas.  (AP, 143) Le latin biblique fait place à un latin dépourvu de sens sacré comme dans l'expression  tanquam adeo uctuat nec mergitur  (AP, 609), qui reprend la devise de la ville de Paris. En fait,  [l]a trivialisation des formules et des chants religieux constitue un phénomène généralisé du monde vianesque13  et ces quelques

exemples se retrouvent parmi tant d'autres dans L'automne à Pékin.

En plus d'utiliser des comptines pour enfants à la place des prières, les curés détiennent des  lance-hosties  (AP, 11), ce qui les transforme en enfants qui jouent dans la cour d'école. Petitjean n'est toutefois pas sans être touché par les péchés des adultes. En eet, l'homme de religion s'adonne avec plaisir à l'observation des créatures féminines et avoue  triquer  à ses moments perdus (AP, 197), c'est-à-dire avoir une érection. Mille Milles, quant à lui, ne peut retenir l'adulte qui grandit en lui et les visions pornographiques qui le perturbent. Lui aussi se  hortensesturbe  (NV, 155) et n'en peut plus de ressentir la naïveté de Chateaugué :  Est-ce qu'elle sait que nous pourrions faire des cochonneries, si nous le voulions ?  (NV, 142). Son journal nira par raconter le combat qui se livre entre ses pensées malsaines et son désir de pureté, transformant ironiquement le Grand Auteur qui est  en train d'écrire un chef-d'÷uvre de littérature  en vulgaire pornographe.

Le discours de Mille Milles subvertira de plus en plus les valeurs chrétiennes et il nira par s'exclamer :  Si les porcs aiment les perles, qu'ils en mangent. Je ne serai pas ousqué de voir des porcs manger des perles. Cela me ferait plaisir. Margaritas ante porcos ! Aux porcs, les perles !  (NV, 280-281), abolissant ainsi toute forme de hiérarchie des savoirs, rendant à l'homme vulgaire la possibilité de connaître et de juger des choses qui lui sont présentées. Ainsi, le renversement des valeurs déstabilise et le lecteur constate l'inadéquation entre l'hostie de comique et le Grand Auteur au même titre que l'inadéquation entre l'abbé et l'hédoniste provocateur. C'est que l'homme vulgaire, le pornographe, s'acharne sur le récit et tente de se l'approprier.

12. Pierre Popovic,  Le festivalesque (La ville dans le roman de Réjean Ducharme) , Tangence, n48, 1995, p. 116-127.

77

Rejet du pornographe

Malgré toute sa bouonnerie, Mille Milles semble voué à une certaine fatalité lorsqu'il embrasse Chateaugué et son geste mène à la conclusion tragique du récit. Son entrée dans le monde des adultes coïncide avec son entrée dans le genre romanesque. Comme le souligne Gilles Marcotte,  [o]n ne fait pas ce qu'on veut, quand on écrit un roman. On fait ce que veut le roman. Et le roman veut l'histoire, la ville, le sexe14. 

Ainsi, Le nez qui voque semble se terminer par la prise en charge du pornographe qui nit par ébaucher un récit voué aux clichés. Comme le souligne Franca Marcato-Falzoni, qui suggère que la mort de Chateaugué représente la mort du conte, genre qui s'oppose au roman,  [l]a naissance et la mort du conte au sein du roman sont ainsi étroitement liées au fait que l'attirance sexuelle l'emporte sur la pure amitié "15. Chateaugué

refuse toutefois cette possibilité et préfère quitter l'univers du roman dénitivement. En ce sens, il semble que le roman s'est fatigué de sa bouonnerie, de son  jeu de vertige" où le langage, fou de lui-même, s'[est] égar[é] comme dire et s['est] retrouv[é] comme pur mouvement, jeu, action16. Mille Milles nira d'ailleurs par écrire :  Nous

avons joué jusqu'à l'éc÷urement.  (NV, 333)17.

Il en est de même dans le récit de Vian où Angel nira par armer :  Je ne peux plus supporter ce désert où tout le monde vient crever  (AP, 268). En eet, Angel aussi est pris en otage par le roman qui voudrait le voir avec Rochelle. Son plus grand rôle semble d'ailleurs de repousser cette envie. Ce sera l'abbé Petitjean qui l'aidera à éviter les clichés. En eet, celui-ci incarne une sorte de conseiller amoureux qui guidera Angel vers autre chose que le roman. L'abbé refuse que le récit devienne sentimental et ordonne à Angel :  N'employez pas ces tournures mélancoliques  (AP, 224), ou bien :  Ne faites pas de littérature  (AP, 205) Il ira même jusqu'à lui donner un énorme coup de poing dans la gure an qu'il ne se suicide pas par amour (AP, 273). Angel continuera de se demander s'il boira le poison ou pas, et l'abbé nira par s'exclamer :  Alors, buvez, dit-il. Si vous n'avez pas plus d'imagination que cela. . .  (AP, 275) Le récit évite toutefois le roman sentimental en se terminant par une allusion

14. Gilles Marcotte,  Réjean Ducharme contre Blasey Blasey , loc. cit., p. 79.

15. Franca Marcato-Falzoni, Du mythe au roman. Une trilogie ducharmienne, op. cit., p. 208. 16. Gilles Marcotte,  Réjean Ducharme contre Blasey Blasey , loc. cit., p.

17. Ce passage peut faire penser au commentaire que Ducharme inscrit en marge du manuscrit de L'hiver de force :  Mon hostie de roman est ni . Cette note est citée dans Élisabeth Nardout- Lafarge, Une poétique du débris, op. cit., p. 289. Ce manuscrit est d'ailleurs parsemé de jurons. Fonds Réjean-Ducharme, Bibliothèque et Archives Canada (BAC).

à un élément fantaisiste. Angel, qui a repris l'autobus, s'exclamera :  Terminus !...  et le receveur lui répondra  Vole !...  (AP, 282)

En se suicidant, Rochelle, contrairement à Chateaugué, souhaite s'inscrire explici- tement dans le genre romanesque. En eet, Angel, qui l'accompagne, lui dit :  Comme dans les romans [. . .]. Mourir ensemble. L'un près de l'autre. , ce à quoi elle répondra :

Tendrement enlacés [. . .]. C'est joli, comme image, vous ne trouvez pas ? Je l'ai lu. [. . .] C'est dans les romans [. . .] Ça n'existe pas. [. . .] Ça serait aussi comme un lm que j'ai vu [. . .]. Ils mourraient d'amour l'un à côté de l'autre. Est-ce que vous pourriez mourir d'amour pour moi ? (AP, 268)

Autrement dit, pourriez-vous entrer dans le roman avec moi ? Angel ne la suivra tou- tefois pas dans son sommeil, puisque le départ de la jeune lle signe l'arrêt de mort du roman sentimental qu'il n'a plus besoin de repousser. Il peut donc continuer à errer dans le  jeu de vertige  qu'est le récit.

Ainsi Angel fuit les combats de chevalerie, l'histoire vue par Rochelle :  Il y avait deux hommes amoureux de moi, qui se battaient pour moi, c'était merveilleux. C'était très romanesque.  (AP, 266) Mais il n'y avait que très peu de chances qu'Angel se batte puisque, comme le lui a souligné Rochelle à plusieurs reprises, il n'était pas poétique (AP, 89) et n'était que  comme tous les autres  (AP, 90). Mille Milles, quant à lui, est pris au piège, et le choix entre Chateaugué et Questa ne se pose plus, les deux femmes n'ayant pas à se battre pour lui. Si Ducharme ne termine pas son récit sur une note fantaisiste, il le fait s'arrêter avant qu'il ne tombe dans le cliché, celui où Mille Milles se