• Aucun résultat trouvé

La vision de l'homme de lettres : esthétique de la désertion Deux francs-tireurs marginau

L'insertion de Vian et de Ducharme au sein de l'institution littéraire a contribué à la création de leurs gures d'auteurs marginaux. Cette marginalité peut être rapprochée de la notion de liminarité dénie par Michel Biron dans son essai L'absence du maître1.

Si celui-ci se penche plus particulièrement sur la littérature québécoise et sur Ducharme, il n'en demeure pas moins qu'une part de ses réexions peut également éclairer la posture de Vian.

Dans son essai, Biron prend pour assise le concept de communitas qu'il emprunte à l'anthropologie. Il utilise ce concept pour dénir l'espace littéraire québécois comme  une société dépourvue de structure hiérarchique forte2 . L'écrivain québécois, loin

de faire face à une longue tradition qu'il peut transgresser, se retrouve devant l'absence d'une structure à laquelle il pourrait adhérer ou s'opposer. Il ne s'agit pas pour lui de s'élever en acquérant un prestige symbolique, mais bien d'étendre horizontalement une zone de proximité et de s'inscrire dans une communitas où ne règne aucun maître ni aucune loi susceptible de dresser des interdits. Si l'écrivain québécois a un combat à livrer dans la sphère littéraire, selon Biron, c'est bien contre l'absence même d'une sphère bien dénie.

Vian s'est tenu en marge des mouvements artistiques et littéraires de son époque, prenant ce que bon lui semblait de ceux-ci sans revendiquer une quelconque appar- tenance. Grandissant à Ville d'Avray dans un univers de jeux et de surprises-parties, Vian s'est établi à Paris. Le trompettiste a animé les caves de Saint-Germain-des-Prés, qui étaient d'un côté appréciées par la jeunesse d'après-guerre en quête de liberté, de l'autre malmenées par la presse tapageuse en quête de scandales. Bien que ce soit sous un pseudonyme, il a publié des écrits scandaleux chez Jean d'Halluin, aux éditions du Scorpion, au même moment où il tentait de publier chez Gallimard. Auteur à la fois de romans noirs, de romans à  l'écriture heureuse3, d'articles publiés dans  pas moins

1. Michel Biron, L'absence du maître, Montréal, Presses de l'Université de Montréal (Socius), 2000, 320 p.

2. Ibid., p. 11.

3. Propos de Michèle Léglise, la première femme de Vian, au sujet de L'écume des jours, voir

de cinquante revues ou journaux d'obédiences artistiques et d'orientation politiques souvent très diérentes4 , il promenait sa plume et son talent dans diérents milieux.

En fréquentant des lieux aussi éloignés du point de vue des hiérarchies culturelles, Vian a pris des libertés face à l'institution littéraire française et, d'une certaine façon, s'est moqué de ses règles et de ses cadres. Comme le souligne Marc Lapprand, il se place

en deçà de ce monde ociel de la littérature, dans ce qu'il a de plus sérieux et intellectuel. En désavouant délibérément l'esprit de sérieux, Vian s'assure une position de franc-tireur et s'expose à la marginalité5.

Cette position au sein de l'institution française semble lui avoir nui, alors que cet éclectisme avait un rôle fondamental, voire fondateur, dans les milieux artistiques de l'autre continent où les écrivains se battaient contre l'absence même de cadres et de lieux. Biron souligne que  l'écrivain américain est animé par l'esprit franc-tireur [qui lui] se bat seul, avec une connaissance relative et un respect limité des principes militaires, mais avec succès6. Le franc-tireur doit alors improviser et il le fait avec ses

connaissances, sans souci de dissocier ce qui doit se faire et ce qui ne doit pas se faire.

Deux écrivains et leur tribu

Ce positionnement par rapport aux lecteurs invite à se pencher sur les rapports entre les deux écrivains et les diérentes  tribus7. En voulant se positionner en dehors

du monde littéraire institutionnalisé, tout en se posant comme écrivains, Ducharme et Vian expriment  l'impossibilité de se clore sur soi et l'impossibilité de se confondre avec la société ordinaire", la nécessité de jouer de et dans cet entre-deux8.  Pour parler aux

hommes, ils doivent passer par l'institutionnalisation de leur discours et légitimer leur statut d'écrivain. Ils doivent errer dans ce hors-lieu qu'est la  paratopie  de l'écrivain, c'est-à-dire cette  localité paradoxale , où, selon Maingueneau, se trouvent l'écrivain et la littérature qui ont bel et bien un  lieu  dans la société, mais aucun territoire stable. En ce sens,  [l]'appartenance au champ littéraire n'est donc pas l'absence de

Marc Lapprand [dir],  Notice de L'écume des jours , dans ×uvres romanesques complètes, op. cit., t. 1, p. 1184.

4. Marc Lapprand,  Introduction , loc. cit., p. XIII. 5. Ibid., p. XIV.

6. Michel Biron, L'absence du maître, op. cit., p. 45.

7. Dominique Maingueneau, Le discours littéraire. Paratopie et scène d'énonciation, op. cit., p. 75.

37

tout lieu, mais plutôt une dicile négociation entre le lieu et le non-lieu, une localisation parasitaire, qui vit de l'impossibilité même de se stabiliser9. 

Comme nous l'avons mentionné, les discours qui dominent à l'époque où Ducharme publie ses premiers livres sont les discours indépendantistes et contre-culturels, plus tardivement, les discours féministes. La Révolution tranquille se dresse en toile de fond et l'engagement politique est valorisé. En se positionnant comme quelqu'un qui  n'a pas de culture  et en ne voulant pas  être pris pour un écrivain , Ducharme se permet de s'exclure des débats sociaux et de faire voir, à travers son ÷uvre, diérentes idéologies à la mode, en les rejetant constamment, ne prenant jamais parti et se jouant des étiquettes :  Quelle sorte de littérature fais-je, Elphège ? Est-ce de la littérature surréaliste, surrectionnelle, ou surrénale ?  (NV, 162).

Pour ce qui est de Vian, il écrit à une époque où l'existentialisme de Jean-Paul Sartre prédomine et où le surréalisme d'André Breton est reconnu. Côtoyant le philo- sophe dans les caves de Saint-Germain-des-Prés, il en conclut tout simplement :  Je ne suis pas existentialiste. En eet, pour un existentialiste, l'existence précède l'essence. Pour moi, il n'y a pas d'essence10.  Il se permet aussi de parodier le fameux poème

 Liberté  de Paul Éluard en le transformant en écrit pornographique :

Sur ton ventre bouclier Sur tes cuisses écartées Sur ton mystère à coulisse J'écris ton nom

Je suis venu dans la nuit Pour barbouiller tout cela Je suis venu pour ton nom Pour l'écrire

Avec du sperme11.

Ducharme, quant à lui, écrit que  Paul Éluard ne [lui] fait rien12, préférant adorer

le poète maudit qu'est Nelligan, autre gure de fou. En ce sens, Ducharme et Vian ne s'arment pas nécessairement contre les mouvements artistiques et littéraires de leur époque, mais refusent d'y prendre part, si ce n'est pour les parodier. Appuyé par Sartre et Queneau, Vian n'a toutefois pas connu la reconnaissance de son ÷uvre littéraire de

9. Dominique Maingueneau, Le contexte de l'÷uvre littéraire : énonciation, écrivain, société, op. cit., p. 28.

10. Noël Arnaud, Les vies parallèles de Boris Vian, op. cit., p. 233.

11. Boris Vian,  Liberté , dans Écrits pornographiques, Paris, Christian Bourgois, 1980 p. 68. 12. Réjean Ducharme [et al.],  Témoignages d'écrivains , dans Études françaises, vol 3, n3, 1967, p. 307.

son vivant, contrairement a Ducharme, et il a fallu attendre quelques années après sa mort en 1959 pour que s'amorce une forme de légitimation de son ÷uvre. La consécration des écrits de Vian s'est fait au moment où Jean-Jacques Pauvert a ressorti ses ÷uvres en 1963 et les a publiés au Livre de poche.

À travers leur ÷uvre, Ducharme et Vian semblent guidés par une forme de liberté qui caractérise les électrons libres, liberté qui s'exprime par une volonté d'armation basée sur l'altérité et qui peut se traduire ainsi chez Ducharme, par l'entremise du personnage d'André Ferron :  Je suis content d'être con ! C'est pas dicile d'être intelligent, tout le monde l'est ! Je suis prêt à tout pour pas être comme les autres, moi, même être con !  (HF, 197) ou bien par celui de Laïnou :  Tout ce que me donnent vos sermons c'est l'envie de faire le contraire !  (HF, 198) et ainsi chez Vian, par l'entremise du Général Audubon :  dire des idioties, de nos jours où tout le monde rééchit profondément, c'est le seul moyen de prouver qu'on a une pensée libre et indépendante13. 

Ni Anciens ni Modernes

Comme nous l'avons montré, Ducharme et Vian ne prennent pas part aux mou- vements qui les entourent et s'insèrent de façon marginale dans la modernité. En plus de contourner les conventions littéraires de leur époque, les deux créateurs font  du conit des Anciens et des Modernes, en se réappropriant des formes comme celles du sonnet et du récit épique. En eet, la première ÷uvre de Vian, le recueil de poèmes Cent sonnets14, reprend la forme régulière pour y insérer des calembours gaillards et

loufoques. Ce recueil permet au poète de répondre à Victor Hugo pour qui  le ca- lembour [était] la ente de l'esprit qui vole . En eet, Vian reformule :  de l'esprit volant je ne suis que la ente/ Mais je tombe de haut tandis que vous rampez15. Se

permettant de plaisanter et de se moquer des classiques, Vian le fait  avec les outils les plus nobles qui soient16 . Ducharme fait aussi appel à Victor Hugo, avec ironie,

lorsqu'André et Nicole viennent de se faire couper le téléphone, un des seuls moyens qui

13. Boris Vian, Le goûter des généraux, dans Théâtre I, Paris, Christian Bourgois (10/18), 1971, p. 233.

14. Boris Vian, Cent sonnets, Paris, Christian Bourgois, 1984, 194 p.

15. Annick Vivier,  Du bon usage du calembour , dans Le magazine littéraire, n 270 (octobre 1989), p. 34.

16. Marc Lapprand, Boris Vian. La vie contre : biographie critique, Ottawa, Les Presses de l'Uni- versité d'Ottawa, 1993, p. 12.

39

leur permettrait de garder contact avec la société :  On leur fait des calembours, cette ente de l'esprit : plus de téléphone, plus de fonne mais le fonne c'est platte !"  (HF, 169) Si le calembour est dénigré par Hugo, il est survalorisé par Ducharme et Vian qui l'utilisent à bon escient et abondamment. D'ailleurs comme l'arme Athanagore, un des personnages de L'automne à Pékin,  vous avez tort de lire Notre-Dame de Paris, parce que c'est vieux  (AP, 131).

Hugo est un des classiques parmi tant d'autres que les deux  calembourgeois  (HF, 63) portent en dérision. Les écrivains les plus consacrés sont pris en otage par Ducharme qui leur tord le cou et leur emprunte leur esthétique formelle. En eet, il s'adonne au récit épique, grâce à La lle de Christophe Colomb, à la pièce en alexandrins avec Le marquis qui perdit, et au pastiche de Corneille en écrivant Le cid maghané17.

Ainsi,  il s'insère dans une lointaine tradition en réinterprétant à sa manière la geste des Anciens qui précisément consistait à imiter les prédécesseurs18 , et cela se fait

toujours sur le mode de la dérision qu'est le maghanage. Vian, quant à lui, qualie Racine de  schnock  qui le  barbe , au même titre que Corneille et Molière19. Il s'en

prend aussi, à la demande des organisateurs du festival de Caen, à l'histoire de Lancelot et Guenièvre, en composant Le chevalier de neige20.

Une recherche de convivialité

Si Ducharme et Vian se placent tous deux volontiers en marge des institutions, ils se rejoignent également dans leur désir de commencement, celui de créer une littérature en l'absence d'un maître qui les transformerait en disciple d'une quelconque idéologie ou d'une quelconque esthétique formelle dominante. Pour ce faire, les deux créateurs renouvellent constamment leur ÷uvre en refusant d'adopter les clichés et les modes qui caractérisent leur époque.

Dans son  Journal à rebrousse-poil , Vian exprime ce désir :

[. . .] j'ai essayé de raconter aux gens des histoires qu'ils n'avaient jamais lues. Connerie pure, double connerie : ils n'aiment que ce qu'ils connaissent déjà ; mais

17. Ces deux pièces, jouées respectivement en 1970 et 1968, restent inédites à ce jour. 18. Élisabeth Haghebaert, Une marginalité paradoxale, op. cit., p. 42.

19. Noël Arnaud, Les vies parallèles de Boris Vian, op. cit., p. 205-206.

moi j'y prends pas plaisir à ce que je connais, en littérature. Au fond, je me les racontais les histoires. J'aurais aimé les lire dans des livres d'autres21.

Mais Vian, en se racontant des histoires, n'écrit pas seulement pour lui. Par exemple, son Conte de fées à l'usage des moyennes personnes22 est rédigé dans le but d'alléger

la convalescence de sa première femme, Michèle Léglise. Le premier roman qu'il publie chez Gallimard, Vercoquin et le plancton, est d'abord destiné à  amuser une bande de copains . Ce désir d'intimité dans l'écriture s'apparente à celui de Mille Milles, le narrateur du Nez qui voque, qui lui arme écrire comme on écrit à sa ancée (NV, 12).

En adoptant cette forme d'écriture, les deux écrivains instaurent un rapport par- ticulier au lecteur et à la littérature. Ils créent, dans les deux cas, une distanciation envers le lecteur-éditeur et s'adressent directement à un certain type de lecteur-frère qui, lui aussi, désire se faire raconter des histoires sans devoir passer par les formalités propres aux conventions littéraires de l'époque. Ducharme et Vian achent ainsi une forme de marginalité semblable et entreprennent, comme le souligne Élisabeth Haghe- baerth à propos de Ducharme,  une recherche de sympathie et de convivialité23 .

Cette recherche démontre ainsi que  l'÷uvre vise à rassembler autour de son nom une communauté sans visage, qui se joue des partages sociaux24, les écrivains recherchant

autant une certaine reconnaissance littéraire pour pouvoir survivre en tant qu'auteur, qu'une fraternité avec leurs lecteurs.

Faisant tous deux appel à la communitas, Ducharme et Vian se positionnent aux côtés des hommes et des femmes qui n'ont pas de poids dans l'institution. L'épigraphe du Nez qui voque, amplement commentée, est révélatrice à cet égard. Ducharme écrit :  Je ne suis pas un homme de lettres. Je suis un homme.  (NV, 10) Dans le roman, Mille Milles revient sur cette idée en écrivant :  Je suis en train d'écrire un chef-d'÷uvre de littérature française. Dans cent un ans, les enfants d'école en apprendront des pages par c÷ur. Mais, je ne veux pas de gloire (NV, 54).  De son côté, Vian écrit, dans un de ses poèmes :

J'aimerais

Devenir un grand poète Et les gens

21. Noël Arnaud, Les vies parallèles de Boris Vian, op. cit., p. 194.

22. Boris Vian, Conte de fées à l'usage des moyennes personnes, dans ×uvres romanesques com- plètes, op. cit., t. 1, p. 3-39.

23. Élisabeth Haghebaert, Une marginalité paradoxale, op. cit., p. 223.

24. Dominique Maingueneau, Le contexte de l'÷uvre littéraire : énonciation, écrivain, société, op. cit., p. 42.

41

Me mettraient

Plein de laurier sur la tête Mais voilà

Je n'ai pas

Assez de goût pour les livres Et je songe trop à vivre Et je pense trop aux gens Pour être toujours content De n'écrire que du vent25.

Les deux créateurs se présentent comme des écrivains qui ne visent pas un lectorat composé d'amateurs et d'amatrices de eurs de rhétorique (NV, 12), ni composé de gens qui posent du  laurier  sur les têtes en guise de considération. Plus qu'une distanciation envers ce type de lecteur, c'est un certain rapport à l'homme et à la littérature qui se crée dans ces propos.

Ce rapport à la littérature se perçoit aussi dans un poème inédit  Conseils à un ami26, écrit par Vian en 1958, et dans la dédicace de La lle de Christophe Colomb,

récit épique proposé à Gallimard dès 1966. Vian met en garde le lecteur :

Ami, tu veux/ Devenir poète/ N'essaie surtout pas/ D'être riche/ Tu feras/ De petits bijoux/ Que l'on te paiera/ Vingt-cinq sous.

L'éditeur/ Va te proposer/ De te prostituer/ Sans vergogne/ L'interprète/ Va te discuter/ Et va suggérer/ Que tu rognes.

Tu riras/ De ce qu'on dira/ Et tu garderas/ Dans ta tête/ Ce refrain/ Toujours inconnu/ Que tu sieras/ Dans la rue27...

À l'écrivain commercial qui se vend, voire qui se prostitue, Vian préfère les écrivains qui mettent dans leurs ÷uvres des eurs, des baisers, des notes mises en joli bouquet28,

comme André et Nicole qui ont une véritable passion pour la Flore laurentienne et qui apprennent le langage des eurs en se disant  que le jour où [les braves petits crottés qui forment l'humanité] ne laisseront plus pousser les eurs ils vont perdre deux joueurs.  (HF, 247)

Chez Vian comme chez Ducharme, le véritable écrivain ne doit pas se conformer, voire se compromettre pour faire plaisir aux critiques et aux éditeurs, et ne doit pas

25. Boris Vian,  J'aimerais , dans Je voudrais pas crever, Paris, Fayard, 1996, p. 41.

26. Boris Vian,  Conseils à un ami , dans  Poèmes divers  dans ×uvres, Paris, Fayard, 1999, t. 5, p. 219-220. Ce poème inédit est reproduit en annexe.

27. Boris Vian,  Conseils à un ami , loc. cit., p. 219. 28. Id.

chercher à gagner des prix :

AU JEUNE HOMME DE LETTRES

N'attends pas après les lecteurs, les critiques et le Prix Nobel pour te prendre pour un génie, pour un immortel. N'attends pas. Vas-y ! Protes-en ! Prends-toi tout de suite pour un génie, pour un immortel (FCC, 7).

La perception achée de l'artiste, chez les deux écrivains, va donc à l'encontre de l'idée romantique du génie inspiré. Le véritable écrivain créateur est celui qui  se prend pour29, sans se soucier des règles et de l'institution, et qui vise juste.

Un bouc-émissaire commun : le pornographe

Ainsi, la perception de l'écrivain est un sujet de moqueries chez Vian comme chez Ducharme. L'écrivain liminaire, en cherchant à faire partie de la communitas, se posi- tionne également contre l'écrivain qui ne ferait qu'écrire pour de l'argent, c'est-à-dire l'écrivain  professionnel . En eet, le bouc-émissaire de Ducharme et de Vian est l'écri- vain commercial que Mille Milles qualie de pornographe. Leur rapport au pornographe est toutefois ambivalent, car bien qu'ils souhaitent s'en dissocier, cette gure fait malgré tout partie de leurs univers. Présent dans Le nez qui voque, le pornographe est aussi mis en scène dans L'avalée des avalés (AA, 282-284), sous la gure de l'écrivain nommé Blasey Blasey, ainsi que dans La lle de Christophe Colomb où Ducharme reprend le titre de la chanson de Brassens, un contemporain de Vian, et écrit :  Quoi ! Vous n'avez jamais vu ça, un pornographe ?/ D'où sortez-vous ? Arrivez en ville, sacrement !/ Vous ne connaissez même pas le pornographe du phonographe ?/ Réveillez-vous ! C'est la ci- vilisation maintenant (FCC, 33-34) !  Cette civilisation, cette ville, dans laquelle arrive aussi Mille Milles, est faite, comme il le dit, de  littérature pornographique contempo- raine  (NV, 58) et en attendant l'autobus il n'a d'autre chose à faire que de  palp[er] les livres sexuels du petit kiosque à journaux  (NV, 318), dans lequel pourrait se trouver, aux côtés d'un roman d'Henry Miller, J'irai cracher sur vos tombes.

En eet, Vian, ce pornographe qui crée des romans noirs américains, approuverait sans doute ce que pense Mille Milles, soit que  [t]ous les romanciers sont des porno-

29. Dans la préface à la rétrospective de la poésie de Gérald Godin, Ducharme lui rend hommage en écrivant :  Ainsi Gérald, qui n'a jamais eu de voix/ pour cinq cent (0,05$), s'est pris,/ entre autres personnages, pour un poète , dans Réjean Ducharme,  Préface , dans Gérald Godin, Ils ne demandaient qu'à brûler, op. cit., p. 7.

43

graphes, surtout les Américains30. Vian établit une distinction nette entre l'écrivain

Vernon Sullivan et l'écrivain parisien de son vrai nom, ne serait-ce que par l'utilisation du pseudonyme. Cette distinction s'établit davantage devant les critiques et les censeurs auxquels il précise :  Encore une fois, J'irai cracher sur vos tombes (je l'ai dit et redit