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Deux libertaires réfugiés dans la langue Pour une dimension philosophique de la littérature

Ducharme et Vian, phonographes du pornographe

8. Deux libertaires réfugiés dans la langue Pour une dimension philosophique de la littérature

Si Ducharme et Vian se sont moqués des conventions et ont joué avec les lecteurs comme avec des pantins à celles grâce à un usage délibérément ludique de la langue, leur ÷uvre reste marquée par une profonde volonté de communiquer leur manière de percevoir la littérature et la création. Cela peut se lire ainsi chez Ducharme :

Je ne sais pas si ce que j'écris là est vrai. Mais, de toute façon, ces lignes sont vraies puisqu'elles rendent dèlement ce que, vraiment, je pense en ce moment. Le penses-tu vraiment ? Oui. Donc tu dis la vérité. Voilà une dénition de la vérité humaine. (NV, 57) [Nous soulignons.]

Et chez Vian :

Il y a seulement deux choses : c'est l'amour, de toutes les façons, avec des jolies lles, et la musique de La Nouvelle-Orléans ou de Duke Ellington. Le reste devrait disparaître, car le reste est laid, et les quelques pages de démonstration qui suivent tirent toute leur force du fait que l'histoire est entièrement vraie, puisque je l'ai imaginée d'un bout à l'autre. (EC, 345) [Nous soulignons.]

Si Vian accorde une place importante à l'amour et aux jolies lles, Mille Milles, quant à lui, écrit un peu plus loin :  Il n'y a pas de femmes qui se déshabillent dans Hegel, dans Racine. Donc, quel intérêt ?  (NV, 57) Malgré tout le prestige qu'on peut accorder à certaines ÷uvres, les deux créateurs restent constamment suspicieux et ne se gênent pas pour contester les idées reçues :

Gide voulait m'apprendre la ferveur. En le lisant, j'ai appris le soupçon. Soulier, je t'enseignerai le soupçon. Soulier, n'écoute pas ce que ceux qui vivent de l'art et de la littérature disent au sujet de l'art et de la littérature. (NV, 59) [nous soulignons]

En critiquant la littérature consacrée comme la littérature commerciale, Ducharme et Vian remettent en question les valeurs communément admises, comme le font les li- bertaires. Si Ducharme s'inscrit dans la lignée de  [l]'écrivain canadien-français [qui] est un autodidacte qui se mée des techniques propres à son art1, Vian se rapproche

1. Michel Biron,  Comment inventer un lecteur d'ici ? , dans La conscience du désert, op. cit., p. 38.

quant à lui des écrivains artistes qui, dans  la détestation de l'esprit bourgeois , ont préféré  écrire pour leurs seuls pairs, à l'écart des sphères religieuses, politiques et commerciales2 .

À travers ce culte d'une littérature faite d'audace et de liberté, nous retrouvons aussi un rapport à l'enseignement. Comme l'a souligné Élisabeth Nardout-Lafarge :  En se dérobant ainsi radicalement à toute fonction d'édication et d'exemplarité, les textes de Ducharme mettent en cause l'enseignement lui-même et obligent donc à le repen- ser3.  Ainsi, ce rapport à l'instruction semble se rapprocher des idées d'un des premiers

humanistes libres penseurs canadiens-français, Arthur Buies :  Il faut [. . .] que l'ins- truction soit libre, qu'elle soit dirigée par des hommes qui veulent faire d'autres hommes et non par une caste ambitieuse qui ne cherche qu'à faire des esclaves an de leur com- mander4.  Ce rapport est celui de la communitas formée d'hommes et de femmes qui

se partagent des rôles dans un rapport de complicité.

Ducharme et Vian, qui intègrent une dimension philosophique à leur ÷uvre, ques- tionnent plus largement la place de la littérature dans une société de plus en plus fondée sur des valeurs économiques, une place qui semble vouée à se perdre dans la culture de masse et dans la société de consommation propres à l'époque moderne. S'ils rejettent l'écrivain pornographe qui gagnerait sa vie en reprenant des clichés, les deux écrivains refusent simplement l'expression absurde qu'est  travailler pour gagner sa vie . Cela se traduit ainsi chez Ducharme :  La vie ? Je ne sais pas ; je l'ai trouvée là quand je suis né ; mais j'ai bien l'intention d'en faire ma vie  (NV, 102).  Travailler ? Pourquoi ? Pour gagner notre vie ? La vie est gratuite voyons !  (NV, 163) Et pareillement chez Vian :

Que faire d'autre

Que d'écrire, comme les autres Et d'hésiter De répéter Et de chercher De rechercher De pas trouver De s'emmerder

Et de se dire ça sert à rien Il vaudrait mieux gagner sa vie

2. Michel Biron,  Paris n'existe pas , dans La conscience du désert, op. cit., p. 65. 3. Élisabeth Nardout-Lafarge, Une poétique du débris, op. cit., p. 13.

4. Cité dans Mathieu Houle-Courcelles, Sur les traces de l'anarchisme au Québec (1860-1960), Montréal, Lux Éditeur, 2008, p. 20.

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Mais ma vie, je l'ai, moi, ma vie J'ai pas besoin de la gagner5

Ainsi, puisqu'il n'y a rien à  gagner  et que la vie comme la mort sont imméritées, il ne leur reste plus qu'à rechercher une forme d'adéquation entre le créateur et l'homme, une forme de simplicité et d'honnêteté.

Pour une critique du travail

Cette simplicité et cette honnêteté semblent être associées à leur désir de s'inscrire dans une relation de fraternité avec l'humain, avec le lecteur-frère. Comme ils le dé- montrent dans leurs textes d'autoprésentation, les deux créateurs esquissent une quête propre à l'homme qui ne serait pas artiste. Ainsi, ils se placent aux côtés de l'homme ordinaire et s'amusent à le décharger des lourdeurs propres à son quotidien. Ils ridicu- lisent alors certains types de travail et provoquent un rire complice et libérateur. C'est d'ailleurs le rapport au travail qui instaure la création de jargons de métier, de voca- bulaire spécialisé, d'argot professionnel, mais aussi d'un usage ludique du langage. En eet, comme le souligne la sociolinguiste Josianne Boutet, les  blagues, [les] plaisante- ries plus ou moins rituelles [et les] propos obscènes [constituent] des moyens de décharge aective ou pulsionnelle face au danger, au risque et à la sourance du travail6. 

Comme il le fait avec Vercoquin et le Plancton, Vian réalise une nouvelle  ten- tative de description de vie de bureau7  avec L'automne à Pékin, laquelle sera, bien

évidemment, excessivement parodique. Le travail de bureau, connu à la fois de Vian et de Ducharme, est fortement tourné en dérision :  Vous vous rendez bien compte que, sans bureau, il n'y a pas de travail sérieux, non ?  (AP, 107) Et ainsi :

[Des feignants,] il y en a plein les bureaux, dit Anne. Il y en a des masses. Ils s'emmerdent le matin. Ils s'emmerdent le soir. À midi, ils vont bouer des choses qui n'ont plus gure humaine, dans des gamelles en alpax, et ils digèrent l'après- midi en perçant des trous dans des feuilles, en écrivant des lettres personnelles, en téléphonant à leurs copains. [. . .]  Vous avez de l'imagination, dit Amadis. Et une âme poétique, épique et tout. Pour la dernière fois, allez à votre travail. (AP, 234-235)

5. Boris Vian,  Un de plus , dans Je voudrais pas crever, op. cit., 1996, p. 37. 6. Josianne Boutet, Langage et société, Paris, Éditions du Seuil (Mémo), 1997, p 61.

7. Boris Vian,  Éléments d'une biographie de Boris Vian (avantageusement connu sous le nom de Bison Ravi , suivi de  Éléments d'une biographie (sans intérêt) , loc. cit., p. 106.

Ce passage est beaucoup plus comique lorsque le lecteur sait que l'auteur a presque entièrement écrit son roman pendant ses heures de travail à l'Oce du papier.

Il en est de même pour Mille Milles qui se moque du formulaire qu'on lui présente au Bureau de placement. D'ailleurs, comme il l'écrit, il n'est allé là que  pour rire  (NV, 18) et il se moque bien des questions toutes faites que lui pose la femme derrière un pupitre. En regardant les édices de la ville,  maisons, magasins, usines, immeubles, gratte-ciel  (NV, 107), il explique à Chateaugué pourquoi ils ont été construits :  Pour rien. Pour se coucher, pour travailler, pour se réveiller, pour gagner de l'argent, pour manger, pour digérer, pour compter de l'argent, pour s'acheter des vêtements.  (NV, 107), activités qu'il qualiera de fébriles et tragiques.

En remettant ainsi en question le travail, Ducharme et Vian questionnent plus largement le fonctionnement de la société. Si le travail de bureau semble aveuglément valorisé selon les deux écrivains, il en est de même pour plusieurs autres emplois. Mille Milles et Chateaugué, devenus respectivement plongeur et serveuse, s'exclament :  Nous sommes contents, pour le moment du moins, de servir modestement la société, et ce sentiment de contentement que nous éprouvons remplace avantageusement tout cet amour que la société nous donnerait si elle n'était pas si snob.  (NV, 225) Vian, quant à lui, ridiculise les  snobisme-parties8 en caricaturant une réunion d'un Conseil

d'administration :  Ils parlaient très sérieusement, dans un langage parsemé d'inexions nettes et décisives, en levant assez haut le menton, et en faisant des gestes avec la main droite qui ne tenait pas la serviette.  (AP, 81), dénonçant ainsi le ridicule des gens qui se croient importants.

Le capital symbolique attribué aux diérents champs sociaux, au sens où l'en- tendait Bourdieu9, est également remis en cause. Ducharme et Vian s'attaquent non

seulement aux canons littéraires et au langage, mais également au principal vecteur de la société capitaliste, le travail. Ils écrivent des ÷uvres d'imagination qui se jouent des partages sociaux et y intègrent un réalisme grotesque qui liquide les systèmes de valeurs. Comme le souligne Michel Biron  [i]l n'est de littérature possible pour cet écrivain-chômeur [qu'est Mille Milles,] qu'à condition de renoncer par avance à la litté- rature en tant que société ou célébration10, ce qui est tout aussi vrai chez Vian.

8. Boris Vian,  J'suis snob  [1954], dans Chansons, op. cit., p. 342.

9. Bernard Lahire,  Champ, hors-champ, contrechamp , dans Le travail sociologique de Pierre Bourdieu, Paris, La Découverte, 1999, p. 24-58.

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Pour une culture orale

Alain Costes souligne que  Vian ne dit jamais qu'il écrit" : il amuse, il raconte, il engueule, il parle11 et il le fait  [e]n l'absence des parents12 auxquels le sérieux

est associé. Ainsi, il peut se permettre de contourner le  Principe de Réalité  en créant des simulacres qui nous mènent alors  fort loin sur les chantiers cahoteux de la transgression13.  Ce rapport au texte raconté en l'absence de maîtres donne à la

lecture un nouveau rôle, celui de former une amitié partagée autour de l'÷uvre. Comme nous l'avons démontré, les deux créateurs, s'ils écrivent en recherchant une forme de convivialité, le font aussi en se positionnant  contre ceux qui font partie de l'élite cultivée, le petit groupe des hommes de lettres, les lecteurs qui ne participent pas à la communitas14.  Leur arme principale, nous l'avons vu, est le rire qui, comme le

souligne Mille Milles,  désarme. Paralyse  (NV, 140), et ce rire permet de protéger la communitas en lui redonnant chaleur et valeur. Pour faire appel à la communitas, ils doivent toutefois occuper un lieu, celui de la langue qu'elle parle.

Dans la lignée de Ramuz et Céline, des écrivains du XXe siècle se sont mis à opter pour une  littérarisation des pratiques orales , an de  proclamer une forme d'éman- cipation15 . En France, cette pratique a pris une place de plus en plus importante

au XIXe siècle, au moment où les classes dites populaires se sont mises à être davan- tage représentées dans le roman. Au Québec, ce changement va de pair avec la quête d'identité. En eet, comme l'arme Jérôme Meizoz,

pour échapper à la langue du colonisateur ou de celui qui est perçu comme tel, bien des écrivains de l'émergence font un retour sur l'oralité première de leur région an de se donner un lieu de parole, dont ils tentent de tirer des principes formels intégrés dans un texte par ailleurs écrit en français16.

L'usage du style parlé permet donc de retrouver un lieu que l'on peut habiter et où l'on peut s'exprimer.

Ducharme et Vian transcrivent la langue parlée, mais ils le font conjointement à d'autres usages de la langue qu'ils s'amusent à confronter les uns aux autres, notam-

11. Alain Costes,  Boris Vian et le plaisir du texte , loc. cit., p. 145. 12. Ibid., p. 144.

13. Ibid., p. 147.

14. Michel Biron, L'absence du maître, op. cit., p. 229.

15. Élisabeth Haghebaert, Une marginalité paradoxale, op. cit., p. 56. 16. Jérôme Meizoz, L'âge du roman parlant, Genève, Droz, 2001, p. 127.

ment le langage littéraire, celui auquel le style parlé a dû s'opposer pour exister dans le roman. En eet, même si cette forme de transgression qu'est l'usage de la langue po- pulaire, voire vulgaire, a été admis comme principe créateur, il reste que  [l]a plupart des écrivains qui ont, d'une manière ou d'une autre, recouru à la transposition narra- tive du parler se sont vu, à un moment ou à un autre, reprocher de l'incorrection de leurs usages17.  La coexistence des langages populaire et littéraire permet toutefois de

contrer ces reproches, car en exhibant à la fois les règles et le non-respect de ses règles, Ducharme et Vian démontrent qu'ils ÷uvrent librement, sans se soucier des cadres for- mels, en étant en pleine possession de leurs moyens. Le Parisien, qui n'a pas connu sa reconnaissance littéraire, a toutefois opté à certains moments pour une forme d'auto- censure, comme le démontre Alain Costes dans son étude sur les manuscrits :  [l]es années d'apprentissage, pour Vian, auront consisté à savoir modérer, doser, pondérer, parfois à regret, sa virtuosité verbale, son plaisir à torturer la langue18.

S'ils ont ni par devenir des modèles, voire des classiques à qui l'on reprend la propension habile à  écrire mal  et à bafouer la langue des bourgeois, c'est qu'ils ont contourné l'eet de malaise que peut produire cet usage de la langue parlée, notamment au Québec, où, comme le souligne Élisabeth Haghebaert, l'écriture  passe par une entreprise de dé-culturation19 , où la diérence se doit d'être soulignée. Ducharme,

 [a]u lieu de fuir les mots dans le joual ou le bon parler, [. . .] les a combinés dans une Europe qui devient l'Amérique20. Pour ce qui est de Vian, son style va de pair avec

la critique des bourgeois et des traditions littéraires issues de la bienséance et avec la critique des canons qui avaient jusqu'alors dominé le champ littéraire parisien. Il s'en défend, se comparant à Céline, dans une note personnelle datée du 11 novembre 1951 :

J'ai lu l'autre jour chez Dody un petit bouquin, une plaquette d'un nommé Yves Gandon, intitulé  De l'écriture artiste au style canaille . Idiot, le truc. Style ca- naille ? J'ai rien d'une canaille. Et je parle comme ça absolument naturellement. Il ne peut pas appeler ça le style parlé, Gandon ? Ça lui ferait mal ? Ça le blesserait, Gandon ? Il n'a jamais parlé à personne de vivant, Gandon ? [. . .] C'est pas vul- gaire parce que c'est écrit comme ça. C'est les gens qui sont vulgaires. C'est pas le style. Tu parles, d'ailleurs les gens vraiment vulgaires ils écrivent pas comme

17. Ibid., p. 27

18. Alain Costes,  Jeux de mots et écriture littéraire , dans Boris Vian : Le corps de l'écriture. Une lecture psychanalytique du désir d'écrire vianesque, op. cit., p. 112.

19. Élisabeth Haghebaert, Une marginalité paradoxale, op. cit., p. 57.

20. Naïm Kattan,  Les jeux de mots , dans Madeleine Frédéric et Jacques Allard [dir], Moder- nité/Postmodernité du roman contemporain. Actes du Congrès international organisé par le Centre d'études de l'Université libre de Bruxelles, Montréal, Université du Québec à Montréal, (Cahier du Département d'études littéraires, n11) p. 176.

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ça. Ils soignent vachement la oriture. Ils écrivent avec des ampoules au cul21.

Ce style d'écriture témoigne d'une recherche de proximité avec la communitas, avec le lecteur-ami, de la part d'un écrivain qui ne se considère pas homme de lettres ou bien écrivain commercial qui, quant à lui, écrit avec  des ampoules au cul . Comme l'écrit Ducharme :  est-ce qu'il ne sut pas d'être de la race humaine pour prétendre parler aux êtres humains22?  En commentant l'étude de Jérôme Meizoz, Pierre Bourdieu sou-

ligne que  les germes du style" sont présents dans le parler ordinaire et [. . .] la langue littéraire n'est jamais qu'une transposition spéciale de la langue de tous"23.  Cette

transposition spéciale se veut, chez Vian comme chez Ducharme, sans oritures qui ca- moueraient un malaise. Les deux créateurs s'eorcent plutôt d'exhiber les mécanismes mêmes de cette transposition, dans une  bouonnerie tragique24  qui s'éloigne de

tout cliché romanesque. L'oralité présente dans leur texte rapproche plutôt leur ÷uvre de la causerie, au sens où l'entendait Octave Crémazie qui la comparait à la fantaisie,  c'est-à-dire une prose extrêmement libre, une prose de circonstance qu'il rattache au journal et qui est dépourvue apparemment de visées esthétiques25. S'ils écrivent sous

la forme apparente du roman, leurs écrits se rapprochent davantage du récit intimiste qui tend à se rapprocher du lecteur.

21. Cité dans Noël Arnaud, Les vies parallèles de Boris Vian, op. cit., p. 256. 22. Cité par Rolf Puls, dans  Ronds, rectangles et légendes , loc. cit., p. 332.

23. Pierre Bourdieu,  Préface , dans Jérôme Meizoz, L'âge du roman parlant, op. cit., p. 10. 24. Marc Lapprand,  Introduction , loc. cit.,p. XXXII.

Conclusion

Ducharme et Vian dénoncent avec plaisir l'écrivain qui se prostitue et fabrique son ÷uvre en se basant sur les idées et les genres à la mode. En jouant aux phonographes, les deux créateurs brouillent toutes pistes qui pourraient mener à une classication de leur ÷uvre. Comme nous l'avons souligné, ils achent un refus paradoxal d'être connus, d'être célèbres. C'est sans doute parce qu' être célèbre , au sens où l'entend Ducharme,  c'est laisser son nom courir les rues, expression péjorative qui vise les délinquants, les sans-abris, les prostituées, les chiens errants, au risque que ce nom soit mésinterprété, pris pour un autre, utilisé à d'autres ns26, ce qu'ils ne se gênent d'ailleurs pas de

faire en parodiant les noms de bien des artistes et écrivains connus.

Leur célébrité ne peut toutefois pas être mise en doute, bien que celle de Vian soit arrivée d'une manière posthume, et leur nom court désormais les rues, bien malgré eux. Vian, quelques jours avant sa mort, écrit à son ami Jacques Bens :  Comme tout le monde, je passe ma vie à préparer une image déformée du cadavre que je serai, comme s'il n'allait pas se déformer susamment tout seul27.  Ducharme, quant à lui, continue

de cacher son visage, nous laissant l'imaginer d'une manière ambiguë à travers son ÷uvre, à travers ses personnages de bouons et de radas.

Délinquants, sans-abri, si ce n'est celui de la langue, Ducharme et Vian se re- joignent, comme nous l'avons démontré, par leur gure d'auteurs marginaux et par leur utilisation ludique du langage. Il reste que ce parallèle devrait davantage être observé à la lumière de leurs nombreuses diérences et que les romans que nous avons analysés ne sauraient sure à une étude plus approfondie, car leur ÷uvre n'a cessé de se renou- veler. Il nous semble d'ailleurs que les liens de ressemblances entre leur ÷uvre se situent davantage au début de leur parcours respectif qu'à la n.

Les derniers romans de Ducharme témoignent d'un changement chez l'auteur qui laisse deviner  une réconciliation avec la littérature française28 . Va savoir29 se pré-

26. Élisabeth Nardout-Lafarge, Une poétique du débris, op. cit., p. 101. 27. Noël Arnaud, Les vies parallèles de Boris Vian, op. cit., p. 475. 28. Élisabeth Haghebaert, Une marginalité paradoxale, op. cit., p. 248.

29. L'allusion à Mille Milles reviendra, dépersonnalisée, dans un paragraphe lyrique qui décrit le Corps et l'Âme du narrateur,  Tout déplié, il a déjà mille milles . Voir Réjean Ducharme, Va savoir, op. cit., p. 153.

sente comme un récit lumineux, Dévadé, un roman baroque et Gros Mots, comme un jeu de miroirs sur l'acte d'écrire. Les derniers romans de Vian, L'arrache-c÷ur et