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Une analyse critique du concept d'inculturation : fécondités et exigences du concept d'inculturation

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(1)

Martyn Lachance IÀL

(

UNE ANALYSE CRITIQUE DU CONCEPT

D’INCULTURATION

(Fécondités et exigences du concept d’inculturation)

Mémoire Présenté

à la faculté des études supérieures de l’Université Laval

pour l’obtention

du grade de maître ès arts (M.A.)

Faculté de théologie et de sciences religieuses Université Laval

Septembre 2001

(2)

(fécondités et exigences du concept d’inculturation)

Le rapport qu’entretient l’Évangile avec les cultures n’est pas nouveau; c’est la forme qu’il prend dans celles-ci qui l’est.

Force est de constater que chaque culture est unique tandis que le message évangélique, lui, est universel quant à sa portée.

Ce défi, relevé quelquefois avec succès et d’autres fois avec des lacunes, est toujours actuel: trouver des formulations adéquates et appropriées de l’expérience de foi dans des concepts locaux qui tiennent compte des particularités culturelles propres à chaque culture.

C’est bien évidemment à partir du contexte visé que tout effort d’inculturer le message kérygmatique doit commencer. Si des modèles nouveaux de discours et

d’expressions de foi sont appelés à naître, encore faut-il que les destinataires puissent y trouver du sens. Ce n’est qu’à partir d’une écoute du travail de salut (pierres d’attentes), sorte d’acte de foi de celui qui entre en contact avec l’autre dans le but de recevoir, que les deux parties en cause pourront rendre possible une juste inculturation et ainsi rendre justice à cette si noble tâche qu’est !’inculturation de l’évangile.

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humaine, reste encore à faire. Elle peut tout aussi bien s’y découvrir un potentiel de fécondités possibles; tout en y

décelant des exigences inhérentes à son développement.

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pour sa collaboration franche et sincère,

pour ces heures merveilleuses passées à corriger et son désir à voir se concrétiser ce

projet si important pour moi.

Je veux aussi souligner l’apport de M. Marcel Viau qui, au tout début, a servi de “rampe de lancement” me permettant ainsi de prendre mon envol dans le domaine de la recherche au deuxième cycle, et qui sait...

Je ne puis également passer sous silence ceux qui, sans le savoir, par leur ouverture et leur esprit d’accueil m’ont si fortement encouragé: M. René-Michel Roberge et M. Guy St-Michel.

Je remercie tendrement mon épouse Manon qui n’a cessé de croire en moi. À ma famille et belle-famille, merci pour vos encouragements qui ont fait la différence.

Je rends gloire à Dieu pour son soutien indéfectible tout au long de ce projet: ...Il y a dans le coeur de l’homme

beaucoup de projets,

mais c’est le dessein de !’Étemel qui s’accomplit. .. Pr. 19/21

...Il accomplira donc ses desseins à mon égard,

et il en concevra bien d’autres encore... Job 23/14

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TABLE DES MATIÈRES ... iii

PROBLÉMATIQUE ... 1

INTRODUCTION ... 6

PREMIÈRE PARTIE UNE PRÉSENTATION DU CONCEPT D’INCULTURATION 1.1 Historique ... 9

1.1.1 Prédécesseurs ...10

1.1.2 Différenciation des termes —... 15

1.2 Notions fondamentales ...21

1.2.1 Définition du terme ... 23

1.2.2 Deux entités: la culture et T évangile ... 29

1.3 Les aspects culturels ...42

1.3.1 Définition du terme ...42

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DEUXIÈME PARTIE

FÉCONDITÉ DU CONCEPT D’INCULTURATION

...Il est porteur de fécondité....

2.1 S’il tient compte de la contextualité ...51

2.1.1 Tenir compte des caractéristiques culturelles ...51

2.1.2 Évangile: facteur d’influence ... 56

2.1.3 Évangile: phénomène culturel ... 59

2.2 En son contexte d’origine ... 64

2.2.1 L’agir christique 65 2.2.2 Vision apostolique 67 2.2.3 Incitatifs pour notre temps ... 69

2.3 dans des modèles antérieurs ...__ ..._______ ___ ______ ... 72

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TROISIÈME PARTIE

EXIGENCES DU CONCEPT D’INCULTURATION

... Dépasser ses limites suppose...

3.1 La reconnaissance de / ,éthos (les valeurs culturelles) ...80

3.1.1 Barême pour tout comportement ... 80

3.1.2 Réalités de la foi versus réalités de la vie ...83

3.2 L ’écoute active (l’accueil)... 88

3.2.1 Ce qu’est l’écoute ... 88

3.2.2 Ce que n’est pas l’écoute ... 91

3.2.3 L’écoute comme prédisposition à recevoir ...94

3.3 L ,ouverture (la réceptivité) ... 98

3.3.1 Plus qu’une attitude, une “aptitude” ... 98

3.3.2 Deux procédés en comparaison ... 101

3.3.3 Message compris, message “vécu” ... 106

CONCLUSION ... 110

113 BIBLIOGRAPHIE

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Le fait que le contact entre les diverses cultures soit de plus en plus évident, et d’ailleurs inévitable, représente en soi une chance providentielle pour l’inculturation. Ainsi le rapport que peut entretenir l’Évangile avec les cultures s’en trouve mis en relief de façon notoire. Et, s’il est intelligemment orienté, ce rapport conduit à une rencontre du message évangélique avec la culture. C’est ici qu’une juste inculturation joue un rôle important. En fait, elle doit être bien comprise, bien définie, bien encadrée (délimitée). Cela se comprend: à chacun sa discipline, son domaine propre d’exécution, son aire de mouvement.

Quoique cette discipline soit jeune, il est quand même indéniable que cette étude est en bonne voie de développement. Ce qui fut au départ vu comme une vision

renouvellée de l’évangélisation est de nos jours perçu comme une discipline propre à la missiologie: qui aujourd’hui oserait penser (pour ne pas dire planifier) une expérience missionnaire sans au préalable faire des recherches, à la fois anthropologiques, voire même sociologiques, avant de s’aventurer dans un tel rapport, une telle rencontre? L’inculturation n’a-t-elle pas été désignée, à juste titre comme étant un mode

d’évangélisation qui surgit d’une culture donnée? Si tel est le cas, ne gagnerions-nous pas à développer une conscience d’inculturation et des conditions qui s’y rattachent?

Effectivement, plus que jamais, une mise en place de conditions favorables à l’inculturation est à l’ordre du jour.

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concepts locaux qui pourraient même risquer d’être différents des conceptions passées et/ou héritées du passé, voire même à l’opposé. Si on se réfère au passé, disons-le, la christianisation des cultures s’est souvent trouvée réduite à / ’expansion du christianisme, voire péjorativement, à une imposition de ce dernier. Or, dans le contexte actuel des choses il s’agit d’appliquer de nouvelles façons de penser et non pas d’une simple actualisation de méthodes anciennes ni même d’une remise à jour d’expériences historiques (chrétiennes) du passé1.

Ce qu’il faut, c’est plutôt créer des modèles nouveaux d’expressions et de discours de foi à partir de particularités culturelles mettant en valeur le rôle des cultures. C’est réactualiser l’expérience chrétienne dans un nouveau contexte culturel et ainsi produire une figure historique du christianisme1 2. C’est cela I’inculturation, c’est tout cela et rien de moins. Complexe mais nécessaire. Complexe en vertu de sa démarche scientifique;

nécessaire en vertu de ses chances de réussite. Complexité oblige, puisqu’il s’agit de l’adaptation de la vie et du message chrétiens aux formes culturelles d’une culture (milieu) donnée, de même que de la transformation et/ou 1 ’ épanouissement de cette culture sous l’effet de l’évangile en une réalité nouvelle.

C’est justement à cause de cela que l’élément anthropologique, dont l’arrière-plan sociologique, prend une part active dans la démarche. Chaque culture a son vécu propre

1. Leonardo Boff, Église en genèse, Paris, Desclée, 1978, p. 9.

2. Claude Geflré, “La rencontre du christianisme et des cultures. Fondements théologiques de

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capable de discerner dans le passé ce qui permet de commencer à bâtir l’avenir, et ce, dans le moment présent. Ce n’est pas que cette ambition soit démesurée mais c’est bien plutôt à cause du caractère universalisant des prérogatives de l’évangile. Dans ce contexte la pluralité culturelle de !’appropriation de l’évangile devient un élément incontournable de cette ambition..

S’il en est ainsi, nous comprenons que l’évangile interpelle un groupe humain. Il ne s’agit plus d’imposer une réponse toute faite que la culture réceptrice serait contrainte à accepter, réduisant au silence parce que tout aurait été dit3, mais de trouver une ou des formes d’approche. J. Scheuer l’exprime de cette façon:

L’inculturation est le processus par lequel la vie et le message chrétien s’insèrent dans une culture particulière, s’incarnant pour ainsi dire dans une communauté culturelle, une société donnée et y prennent si bien racine qu’ils produisent de nouvelles richesses, des formes inédites de pensée, d’action, de célébration.4

On dénote bien ici le souci d’intégrer quelque chose d’original dans une culture mais encore faut-il le faire en respectant l’originalité de cette culture, protégeant ainsi la triple dynamique enjeu: a) défendre et promouvoir la culture de l’homme; b) apporter librement l’évangile au sein de cette culture; c) viser l’enrichissement mutuel des parties

3. René Jaouen, “Les conditions d’une inculturation fiable. Observation d’un missionnaire au Cameroun”,

in Vie et Lumière, no. 168, p. 37.

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en cause.

Il faut éviter que se constitue une nouvelle communauté chrétienne qui soit

superficielle. Il faut non seulement que f expérience s’exprime avec les éléments propres de cette culture mais encore qu’elle se transforme en un principe d’inspiration et d’action. Ce n’est que mû par une telle mentalité que nous devons aborder un tel travail.

Mais à pousser plus loin notre recherche, des questions surgissent.

A priori, ce travail de l’évangile comme pénétration des cultures risque de provoquer une acculturation, ce qui implique donc qu’on est en présence de deux

cultures. L’inculturation, quant à elle, représente un travail à l’intérieur de toute culture, ce qui implique que l’évangile n’est pas réductible à une culture, fut-elle chrétienne.

S’il en est ainsi, peut-on vivre l’évangile sans pour autant renoncer à sa culture? La parole de Dieu, qui s’origine du transcendant, pourrait-elle avoir quelque rapport avec nos modes de pensée, nos coutumes, nos cultures?

Et comment l’élément porteur de l’inculturation (la Parole de Dieu) qui représente une unicité au travers de toute l’histoire, pourrait-elle s’allier à la multiplicité des cultures, qui elles, sont si liées aux particularités de l’histoire?

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l’inculturation au lieu de promouvoir une nouvelle manière d’être pour l’Eglise, reconnaisse plutôt à chaque culture sa propre manière de faire l’Église?

Si par ailleurs, une intime rencontre est possible (et soulignons-le, souhaitable), quels sont les exigences pour faire que cette rencontre ait un sens durable?

Puisqu’une culture ne peut dominer les inculturations d’autres cultures, se pourrait-il qu’à partir de contextes culturels ethniques, par exemple africains, chinois, indiens, etc., s’inscrive une formulation locale du christianisme, une redéfinition de sa réalité dans un langage et des pratiques accessibles aux cultures en cause et que

l’originalité du message chrétien n’en soit pas altérée?

Cette noble tâche comporte sans doute en elle-même ses exigences dans son exécution. Quelles sont-elles? Comment les identifier pour être en mesure de les reconnaître et d’en évaluer la portée et peut-être de les observer?

Pour en revenir à ce qui au début fut appelé une vision renouvellée de

l’évangélisation, l’inculturation serait ainsi une exigence de pleine évangélisation, ou, si on préfère, une visée renouvellée de l’évangélisation. Elle représente, en cela, l’un des enjeux majeurs de l’Église en ce début du troisième millénaire.

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Ce travail se voulant une analyse critique du concept d’inculturation, concept qui gagne de plus en plus en intérêt et en importance, il nous apparaît nécessaire de donner en considérations préliminaires une série de définitions fixant une sorte de canevas d’étude indispensable à l’analyse ainsi qu’un bref survol historique nous situant dans le temps et l’espace. Ceci nous amènera, par la suite, à considérer et réaliser qu’effectivement ce concept est porteur de fécondité.

Qui dit inculturation sous-entend le vocable culture. Bien qu’étant incorporé dans le concept, il n’en reste pas moins qu’il représente, à lui seul, un arrière-plan

anthropologique de l’inculturation qu’il nous faudra aussi considérer.

Après avoir exposé l’apport des aspects culturels nous y découvrirons que pour donner le plus de chance possible à Γinculturation de l’évangile, ces aspects sont appelés à y jouer un rôle de premier plan. C’est à partir du contexte visé que tout effort

d’inculturer le message kérygmatique doit commencer: nous parlerons donc de “contextualisation”.

La réalité de l’inculturation n’a pas son origine dans son appellation. Si le mot est un néologisme pour nous, la réalité n’est pas nouvelle dans l’histoire. Bien au contraire, quand l’évangile a été véritablement donné, c’est un contexte bien précis et une culture

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hôte spécifique qui font reçu. Le christianisme, à ses débuts, était déjà tributaire d’un modèle d’inculturation, si on tient compte de l’arrière-plan culturel juif qui l’accuillit avec ses propres manières de penser et d’agir.

Nous faisons l’hypothèse qu’aucune culture n’échappe (ou ne doit échapper) à l’inculturation de l’évangile et que cette réalité a une portée universelle. Nous n’avons qu’à considérer des secteurs comme l’économie, par exemple, pour nous convaincre d’un tel mouvement. C’est donc cette universalité du concept que nous étudierons.

Par voie de conséquence pragmatique nous allons “situer” dans diverses

applications, certains phénomènes d’inculturation et en apprécier la nature et la portée. Cela nous servira d’amorce ouvrant la voie vers une compréhension plus claire et plus précise.

Dans un premier temps, nous présenterons le concept dans son arrière-plan historique tout en prenant soin de le situer par des définitions qui serviront de points d’ancrage.

Dans un deuxième temps, nous verrons les éléments porteurs de fécondité que ce concept peut comporter.

Finalement, dans un troisième temps, nous mettrons en lumière certaines exigences qu’un tel processus peut rencontrer.

(15)

Incidemment comme tout concept, celui d’inculturation n’échappe pas aux exigences inhérentes à son développement. C’est pourquoi nous verrons que pour dépasser ses limites, cela suppose la reconnaissance de certains éléments essentiels pour son plein épanouissement. L’inculturation suppose une connaissance approfondie de l’arrière-plan culturel de tous ses agents, comme présupposé de base indispensable. Cette dynamique fait appel tant aux transmetteurs (l’évangélisateur) qu’aux récepteurs

(l’évangélisé).

De plus, nous constaterons l’importance d’adopter des attitudes telle que l’écoute pour donner le plus de crédit possible à la réalisation de toute bonne inculturation.

Nous serons aussi amené à comparer deux méthodes utilisées en missiologie, à savoir l’adaptation versus l’inculturation; les forces et les faiblesses de chacune d’elles. Ce survol, a priori passionnant pour nous, pourra susciter d’autres passions pour ce qui est tant de la connaissance que de l’action. Nous cherchons des pistes de réflexion plus larges pour une inculturation de l’évangile encore concrètement nécessaire de nos jours. Nous espérons même que ce travail puisse connaître des retombées pratiques sur le terrain de la mission, comme celui de la pastorale ordinaire de nos communautés chrétiennes.

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UNE PRÉSENTATION DU CONCEPT D’INCULTURATION

1.1 HISTORIQUE

Le concept d’inculturation, mérite une attention toute particulière. Néologisme, le mot est obtenu par dérivation du mot culture. Il consiste à donner à ce terme une sorte de plus-value indiquant qu’il se passe quelque chose à l’intérieur de la culture. Il s’agit pour nous de mieux saisir la dynamique en cause. Comme la réalité désignée par ce mot n’est pas nouvelle, il nous semble important de situer cette dynamique dans son histoire. Nous pouvons espérer trouver un certain nombre d’éléments nous permettant de mieux

comprendre l’actualité du phénomène1. 1

1. Hervé Carrier, Évangiles et cultures, de Léon XIII à Jean-Paul II, Paris, Éditions Médiaspaul, 1987, p. 147-148.

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1.1.1 Prédécesseurs

En effet le caractère pragmatique du concept est aussi vieux que l’est

(historiquement) la pénétration de l’évangile dans les différentes cultures. Dans ce sens, c’était déjà une réalité concrète pratiquée avant même que n’apparaisse l’emploi usuel du terme. C’est pourquoi nous faisons l’hypothèse qu’on peut repérer une certaine continuité dans l’histoire même si les mots ont changé.

Le passé constitue pour nous un guide, une sorte d’aide pouvant nous conduire à une certaine sagesse, nous évitant une démarche solitaire à l’aveuglette sans points de repère ni balises.

Traditionnellement, on dénote chez saint Paul par exemple, cet intérêt à rendre accessible à la mentalité de ses auditeurs le message du Christ alors que l’évangile commençait à être annoncé dans tous les pays de l’Empire romain. Par la suite dans l’histoire du christianisme d’autres témoignages ne manquent pas d’attirer !’attention. Qu’on pense à l’apôtre saint Thomas qui selon la tradition apporta le christianisme en Inde et y fonda une communauté florissante parmi les plus inculturées du pays2. Qu’on pense aussi à Origène et Augustin, ces Pères de l’Église qui ont su exprimer l’essentiel du message de Jésus pour le rendre intelligible aux cultures dominantes de leur temps. On ne peut passer sous silence la contribution de saint Jérôme, fidèle admirateur de l’oeuvre dOrigène. Il entreprit à sa façon de continuer le travail en rendant la traduction latine des

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Évangiles plus exacte et plus élégante3. Pensons également à Raymond Lulle qui après sa conversion sut avec brio présenter l’évangile aux peuples sarrasins (arabes) de l’époque4. Il nous faut aussi évoquer l’apport de Matteo Ricci qui sut trouver une approche envers le peuple chinois de tel sorte qu’il provoqua chez eux un si grand intérêt que la pensée chinoise en lut affectée témoignant ainsi de la profondeur de l’inculturation5. De même, Robert de Nobili, dans la même ligne d’idées sut provoquer un même mouvement parmi le peuple indien6. Signalons enfin, dans un passé non lointain, les dires et actions d’un Libermann prenant vigoureusement la défense des peuples noirs méprisés; approche qui lui servit pendant toute sa vocation missionnaire en Afrique7. De plus, ses principes avant-gardistes ne manquèrent pas d’avoir un impact qui les rend encore tout à fait appropriés de nos jours:

Nous ne sommes plus maintenant dans l’ordre des choses du passé: Le mal du clergé, dans ces derniers temps, a toujours été qu’il est resté dans l’idée du passé. Le monde a marché en avant (...) et non en restant en arrière! Il faut que nous le suivions tout en restant dans

l’esprit de l’évangile.(...) Vouloir se cramponner aux vieux temps et rester dans les habitudes et

3. Jean Steinman, Saint Jérôme, Paris, Les Éditions du Cerf, 1985, p. 147.

4. Ramon Syranyes de Franch, “Raymond Lulle. Docteur des missions”, Suisse, Nouvelles revue de Science Missionnaire, 1954, p. 4L

5. Jean-Yves Calvez, “Nécessaire inculturation”, Lumen Vitae, vol. 39, 1984, p. 314. 6. Ibid.

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l’esprit qui régnaient alors, c’est rendre nos efforts nuis, et l’ennemi se fortifiera dans l’ordre nouveau. Embrassons donc avec franchise et simplicité l’ordre nouveau et apportons-y l’esprit du Saint Évangile.8

Pour en revenir au terme inculturation, il a comme prédécesseur le sens

anthropologique du mot enculturation; ainsi, avant même sa prérogative théologique il nous faut savoir déceler sa signification anthropologique et sociologique. Évidemment, c’est dans une culture que le message porteur de vie va prendre racine. De la réception à 1 ’expérimentation chrétienne, non seulement s’expriment les conditions propres d’une culture d’accueil, mais un principe d’inspiration et d’action au sein de cette culture9.

A.A Roest Crollius avance dans un article intitulé “What is so new about

inculturation” que ce concept a été introduit par un missiologue, le ?.Joseph Masson10 11. Celui-ci utilise l’expression: un catholicisme inculturé11. Auparavant, le terme avait déjà été utilisé par le missiologue belge Pierre Charles en 1953 mais celui-ci lui réservait plutôt un sens anthropologique. Ce Pierre Charles, il faut le noter, créa les Semaines missiologiques de Louvain dès 1923 et en fut responsable jusqu’en 1962, année où le

8. Claude Libermann, notes et documents relatifs à la congrégation du Saint-Esprit, Paris, 1917, p. 151, cité par H. Koren, op.cit, p. 285.

9. Jacques Scheuer, “Matteo Ricci et l’inculturation de la foi”, Lumen Vitae, vol. 39, 1984, p. 247. 10. Ary Roest Crollius, “What is so new about inculturation ”, Rome, Éditrice Pontificia Universita

Gregoriana, 1991, p. 2.

11. Joseph Masson, “L’Église ouverte sur le monde. Aux dimensions du Concile”, Nouvelles Revue Théologique, vol. 84, 1963, p. 1038.

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Masson prit la relève12. Ces semaines furent interrompues en 1975. Le terme fut utilisé à plusieurs reprises lors de la vingt-neuvième semaine de missiologie en 1959..

Cette année-là (1959), les Semaines missiologiques ont tenu leur session

précisément sur le thème “l’Église devant les cultures”. Le P. Masson !’introduisit à la conclusion de la première session du concile Vatican Π en 1962, où le thème de

l’ouverture au monde fut mis en valeur. Pour la première fois plus de 160 évêques

provenaient d’Afrique et d’Asie. Il n’est donc pas surprenant que la pluralité des cultures associée à l’ouverture de l’Église au monde eut trouvée une oreille si attentive. Douze ans plus tard (1974) l’expression “l’Église est une Église inculturée” est introduite dans des textes officiels13. La déclaration des évêques d’Afrique présentée au quatrième Synode épiscopal mondial de 1974 constitue une étape importante de la réflexion, même si le mot inculturation n’a pas encore acquis droit de cité. Les évêques d’Afrique et de Madagascar considèrent comme tout à fait dépassée une certaine théologie de l’adaptation en faveur d’une théologie de l’incarnation14. Nous en préciserons les termes plus loin.

En 1974, la Compagnie de Jésus, à son tour, adopta un décret portant sur le travail d’inculturation de la foi et de la vie chrétienne.

Ainsi donc le mot fut lancé. Les revues commencèrent à vulgariser ce concept. Le

12. Les Semaines furent un lieu de réflexion sur les méthodes d’apostolat missionnaire où se retrouvaient principalement des futurs missionnaires, des missionnaires en congé et des missiologues.

13. Raymond Joly, “Inculturation et vie de foi”, Spiritus, vol. 98, 1985, p. 3.

14. Maurice Cheza, Henri Derroite, René Luneau, Les évêques d’Afrique parlent (1962-1992). Documents pour le synode africain, Paris, Éditions du Centurion, 1992, p. 118.

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P. Divakar écrivit en 1976 un article visant à faire comprendre le décret sus-mentionné à un large public. L’année suivante, le P. Boka Di Londi ouvre une rubrique sur

l’inculturation dans la revue Telema en se référant à Evangelii Nuntiandi (exhortation apostolique de Paul VI sur “l’évangélisation du monde moderne”) autorisant plutôt à employer le vocable inculturation15.

Mais c’est au cours du Synode des évêques en 1977 qu’une intervention remarquée du P. Pedro Arrupe fera connaître au grand public le mot en son plein sens théologique. D’ailleurs, fait à remarquer, et qui témoigne de l’originalité de sa démarche, c’est chez saint Ignace qu’il sut discerner la genèse de ce concept. Évidemment saint Ignace n’a pas utilisé le mot inculturation, mais le contenu théologique du terme n’a pas échappé à sa réflexion. De ce fait, il entrevit dans les “Exercices” cette disposition fondamentale: “...sauver la proposition du prochain...” qui selon lui représentait

l’ouverture nécessaire à tout véritable dialogue. Dans les “Constitutions” il a su discerner l’importance de tenir compte des circonstances de pays, de lieux et de langues, de la diversité des mentalités, des tempéramments personnels. De ces cinq terrains concrets, va se développer sa vision16.

Jusqu’à Vatican Π, on désigait par le mot adaptation le rapport de l’évangile aux diverses cultures; après on parlera d’inculturation. Les cultures sont conçues de plus en

15. Boka Di Londi, “Éditorial”, Telema, no. 10, 1977, p. 5.

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plus comme Γespace privilégié offert à Γévangélisation. “L’incarnation du Fils de Dieu a été une incarnation culturelle” disait Jean-Paul Π à l’université de Coimbre le 15 mai

1982. Cet intérêt nouveau est lié à deux phénomènes: l’un étant le caractère mondial de l’Église, comme le faisait si bien remarquer le Père Geffré en disant que l’avenir du christianisme ne se joue plus en Occident, mais en Amérique Latine, en Asie et en Afrique; et l’autre l’importance accrue des Églises locales laissant ainsi l’occasion à ces dernières de pouvoir faire ressortir en leur spécificité toute nouvelle expérience17.

L’inculturation représente cette réalité concrète pour laquelle la Parole divine s’est faite langage humain, assumant ainsi les façons de s’exprimer des diverses cultures, recevant d’elles des expériences particulières et leur apportant l’expérience d’une sagesse

bimillénaire. Désormais d’une manière générale le mot désigne !’ensemble des relations foi-culture. Son fondement théologique mieux élucidé, on le retrouve dans les textes officiels.

1.1.2 Différenciation des termes

Revenons un peu sur l’époque qui précéda cet emploi usuel du mot. D’autres concepts ont contribué à la pensée missiologique en la rendant sensible à la réalité des cultures.

17. Claude Geffré, “Les fondements théologiques de l’inculturation”, in Gilles Langevin et Raphaël Pirro,

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À partir du travail de Crollius18 nous avons répertorié au moins sept termes (quoiqu’il y en ait d’autres) qui, de près ou de loin, pouvaient être perçus sinon comme complémentaires, du moins habituellement employés dans le discours.

Ainsi l’adaptation, concept appartenant au champ de la sociologie, signifie une forme volontaire d’ajustement à un environnement local, tandis qu’accomodation amène l’idée, par souci d’adaptation au milieu, de compromis, de modification afin que l’autre trouve son parti. Le terme contextualisation, quant à lui, replace le message évangélique dans un environnement culturel local et reflète l’ouverture au moment présent, aux réalités sociales, politiques et économiques dans leurs rapports à l’évangile.

L’indigénisation. perçue comme une réalité sociologique elle aussi, souligne la relation à la politique d’évangélisation des cultures. Elle a donné lieu à des termes tels que

africanisation, malgachisation, hindouisation ou l’haïtianisation par exemple. Un autre terme, apparu d’abord chez les anthropologues pour définir les rapports interculturels entre des groupes distincts, est celui d’acculturation, processus par lequel une culture évolue - pour ne pas dire change - au contact d’une autre culture, provoquant ainsi des emprunts, des imitations, des transferts. L’acculturation produit une sorte d’adoption ou d’adaptation forcée quelquefois, à une nouvelle culture matérielle, à de nouvelles

croyances ou à de nouveaux modes de comportement avec perte ou abandon même de sa propre culture. Le terme enculturation. quant à lui, désigne les aspects de l’expérience

18. Ary Roest Crollius, What is so new about inculturation, Rome, Editrice Pontificia Universita Gregoriana, 1991, p.2.

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apprise qui démarquent un individu d’un autre individu et par lesquels, initialement et plus tard, il acquiert compétence dans sa culture. Enfin, un dernier terme analysé est celui de transculturation évoquant le passage d’une culture à une autre mais par une sorte d’imposition à une culture locale d’un modèle étranger.

Le plus répandu, le mot adaptation, n’était pas sans utilité. Le jésuite Hernandez en 1958 distinguait l’adaptation du missionnaire et la présentation du message évangélique19. Dans le sens qui en est ainsi constitué, le terme s’apparente à 1’accomodation représentant l’ensemble des dispositions utiles que doit adopter le missionnaire pour favoriser son insertion culturelle. Ce fut le même cas pour le mot contextualisation apparu et popularisé par A.Sapsezian au Concile Mondial des Églises à Genève ainsi qu’au Congrès de

Lausanne de 1974. Le terme se réfère plutôt à l’éducation théologique en contrées étrangères tout aussi bien qu’à démontrer les divers aspects de la vie et de la mission de l’Église. Quant au terme indigénisation, il fut rejetté sous prétexte d’être trop restrictif dans sa signification.

Ce qui nous amène à une autre expression, plus proche encore, qui est celle d’acculturation, terme emprunté de l’anthropologie culturelle, dénotant le contact entre cultures et les changements qui s’ensuivent. Le concept provient des études d’HerSkovits en 195220. Le P. Charles utilisa ce terme pour désigner le rôle du message chrétien dans le

19. Ibid.

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P. Masson parle pour sa part d’une “acculturation chrétienne” dans le sens d’une christianisation de la culture22. Mais bien que l’adoption du terme fut acceptée, il n’en fallait pas moins faire la part des choses en montrant clairement ressortir que ce dernier n’était pas réductible à cette seule relation Église-culture.

On dénota ainsi que ce terme pouvait présenter quelques difficultés. En effet, Gaudium et Spes 42, disait clairement qu’en vertu de sa mission et de sa nature, l’Église ne pouvait être liée exclusivement à aucune forme de culture particulière. En

conséquence, elle est donc par nature “transculturelle”. Cependant les gens sont incorporés dans une culture particulière. On ne peut donc pas en faire abstraction. Ad Gentes 10 parle d’une profonde insertion par laquelle l’Église devenait partie d’une culture (sese inserere debet) pour les mêmes motifs qui conduisit Christ à se lier lui-même, en vertu de son incarnation, aux conditions culturelles et sociales des êtres humains chez lesquels il est demeuré. Ainsi donc, cela amena à comprendre le terme inculturation comme un synonyme d’insertion dans une culture. On dénote bien le progrès du concept. Il fait son chemin:

La création et le développement des formes de

la célébration chrétienne se sont faites graduellement selon les conditions locales, dans les grandes aires

21. Pierre Charles, “Missiologie et acculturation”, Nouvelle Revue Théologique, no. 75, 1953, p. 28.

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culturelles où s’est diffusée la Bonne Nouvelle, (...) L’Église de Rome a adopté dans sa liturgie la langue vivante du peuple, le grec d’abord, puis le latin et, comme les autres Églises latines, elle a assumé dans son culte des moments importants de la vie sociale

d’Occident, en leur donnant une signification chrétienne.23 Voilà implicitement l’évolution de la démarche qui aboutit à l’adoption contemporaine du terme24.

Le terme se comprend facilement quand il se réfère à des situations individuelles; mais qu’en est-il de l’Église? Est-elle soumise au même processus d’insertion la faisant devenir une partie de la culture réceptrice? Bien que les deux termes, inculturation et acculturation, s’apparentent, il semble qu’on ait délimité le champ d’action de chacun. Par souci de clarté, enculturation et acculturation peuvent se référer à des problématiques anthropologiques : la seconde étant le contact avec les cultures et la première

!’appropriation de culture par les sujets. Inculturation peut être retenu pour des

problématiques spécifiques missiologiques. C’est pourquoi le terme devient strictement théologique. Ainsi s’exprime non seulement l’idée de similitude dans les termes mais aussi l’idée de différenciation. De façon pratique, les études théologiques et les

. La liturgie romaine et l’inculturation, Quatrième instruction de la congrégation pour le culte divin et la Description des sacrements pour une juste application de la Constitution conciliaire sur la liturgie, in Documentation catholique, 2093, XCI (1994), p. 437.

23

24. Enculturation est plutôt une forme anglaise plus appropriée. Le préfixe “en” signifie mettre quelque chose dedans ou sur; d’où le sens d’anthropologie culturelle: l’individu est enculturé ־ dans sa culture - et continue de s’enculturer tout au long de sa vie. Inculturation pour sa part, s’apparente mieux aux

origines latines et dénote le processus par lequel quelque chose s’insère - progressivement - dansjjne״-:-״x culture; d’où le sens d’anthropologie théologique. /L'SSl Hf/T,X

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recherches anthropologiques ont chacune leur part.

C’est ainsi qu’à partir de la trente-deuxième assemblée générale de la Compagnie de Jésus (1974-1975), le terme inculturation devint un outil dans le discours

missiologique.

Faisant suite à cette assemblée, le P. Arrape donna une définition de !’inculturation dans la lettre du 14 mai 1978: “Incarnation de la vie et du message chrétiens dans une aire culturelle concrète, en sorte que non seulement cette expérience s’exprime avec les éléments propres à la culture en question (ce ne serait alors qu’une adaptation

superficielle), mais encore que cette même expérience se transforme en un principe d’inspiration à la fois norme et force d’unification, qui transforme et recrée cette culture étant ainsi à l’origine d’une nouvelle créatiori15.

Comme nous venons de le voir, c’est grâce au P. Pedro Arrape et les autres qu’on doit !’utilisation du terme inculturation dans son sens théologique présent. Ce n’est qu’en

1979 qu’un écrit pontifical lui donna Une portée universelle pour ainsi se répandre assez rapidement dans les milieux préoccupés d’évangélisation25 26

25. Pedro Arrope, Écrits pour évangéliser, Paris, Desclée de Brouwer Bellarmin, 1985, p. 169-170. 26. Eugène Lapointe, à ce monde aimé de Dieu proclamer l’évangile. La misison aujourd’hui, Montréal,

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1.2 NOTIONS FONDAMENTALES

L’inculturation se veut ce mouvement de rapprochement d’une culture et une assimilation à cette dernière. Le christianisme veut donc l’inculturation et l’échange entre les cultures.

En fait, à travers les siècles, il est entré en union étroite avec plusieurs cultures; il les a pénétrées, il s’en est enrichi. Il les a aussi renouvellées et comme recrées. Il a pris en elles visage et forme concrète. Il s’est ouvert pour s’initier à des rencontres multiples de cultures avec toutes leurs ambiguités, leurs forces, leurs faiblesses1.

L’image qui convient à l’inculturation est celle de la graine semée en terre1 2; elle va se nourrir de cette terre, mais va y produire un arbre et des fruits nouveaux conformes à la nature de la graine et enrichie de la terre où elle a été jetée. Le P. Arrupe le disait ainsi: “L’influence novatrice et transformatrice de l’expérience chrétienne dans une culture donnée (...) contribue à donner une cohésion nouvelle à cette culture” (14 mai 1978). À partir de cet ensemencement se produira un nouveau développement culturel, une nouvelle expression. Au sein de la nouvelle culture où à été semé l’évangile quelque chose va se transformer. L’inculturation invite à entrer en communion nouvelle et

profonde avec d’autres cultures, ses visées sont universalisantes. Autant les cultures sont diverses, autant l’inculturation doit se diversifier. Si, tenant compte que le monde

1. Jean-Yves Calvez, Nécessaire inculturation, Lumen Vitae, Vol. 39, 1984, p. 314. 2. Idem, p. 317.

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sémitique fut le berceau du christianisme, Vinculturation se continua dans le monde méditerranéen gréco-romain puis dans le monde celtique et le monde franc, germanique, ensuite dans le Nouveau Monde, jusqu’à nos jours où elle gagne le monde africain, le monde asiatique et même ΓOcéanie. L’inculturation, d’ailleurs, n’est-elle pas ce

processus historique par lequel la propagation de la foi se trouve inextricablement liée au phénomène des rencontres interculturelles? À tort ou à raison, on a d’ailleurs vu le

concept essuyer certaines critiques, voire même soulever des polémiques. Ce processus s’est vu accuser d’être une occidentalisation des pratiques de la foi; on l’a associé à une forme de colonialisme (clérical) quand il ne fut pas perçu comme une autre forme de domination blanche; on l’a défini comme étant un prosélytisme (catholique ou protestant) ou pire, comme une tentative de syncrétisme ou une sorte de fusion nalhonnête.

De fait, l’inculturation de l’évangile a pris des dimensions universelles tout comme son mandat originel l’exigeait. Toutefois l’histoire missionnaire démontre en beaucoup d’exemples comment un tel processus peut être dévié de ses finalités fondamentales.

Nous avons vu précédemment que la vie chrétienne doit être apportée dans toute culture comme une semence et non comme un fruit. Nous y discernons le principe: toute culture est sans cesse en évolution et le message chrétien peut s’insérer dans son

développement comme un élément dynamique et fertilisant (le message de l’évangile restant fécond au sein de toutes les cultures). Le christianisme a une place dans

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1.2.1 Définition du terme

L’inculturation est cette relation entre l’évangile et une culture particulière. Elle est ce processus par lequel la vie et le message chrétiens s’insèrent dans cette culture s’incarnant pour ainsi dire dans une société donnée, une communauté culturelle, en y prenant si bien racine que de nouvelles richesses s’y produisent.

Elle est cette ouverture donnée à d’autres façons penser, de sentir, de vivre, de s’exprimer dont celle qui est propre à la culture visée pour qu’elles puissent s’identifier à leur tour au message évangélique.

Elle est l’adoption de la vie et du message chrétiens par formes culturelles d’un milieu donné. Elle est !’épanouissement d’une culture sous l’effet de l’évangile pour la production d’une forme inédite du christianisme. Le processus d’inculturation représente le sens que prend l’évangile dans les cultures et la manière dont les gens s’approprient l’évangile et l’adoptent dans leur réalité culturelle. Il suppose la présentation du message et des valeurs de l’évangile en des formes propres à chaque culture pour que foi et vie chrétiennes s’insèrent dans celle-ci produisant un nouveau développement et de nouvelles expressions de l’évangile.

Il consiste à donner un sens chrétien à des rites élaborés dans un contexte particulier afín que l’expérience de l’évangile transforme la société et suscite une nouvelle création, un enrichissement. Il permet que la connaissance de Jésus et des valeurs qu’il a

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L’inculturation n’est pas seulement l’assimilation d’un message (étape subséquente à l’annonce) mais consiste aussi à discerner dans la culture passée et présente, les éléments qui peuvent le mieux exprimer les expériences nouvelles pour mieux orienter peu à peu la formation d’une nouvelle culture. Elle provoque cette culture à exprimer le message dans toute son existence: prière, art, vie de famille et vie publique, par exemple.

Elle suscite des réponses inédites à la première annonce de l’évangile puis à l’évangélisation continue3.

L’inculturation est un processus évolutif interne à une culture en réponse à la proclamation de l’évangile, ce dernier agissant comme facteur endogène et guide de ce processus4. Elle est un processus pacifique où l’évangile et la culture entrent en contact l’un avec l’autre de manière dynamique et fructueuse en vue de s’ancrer l’un dans l’autre C’est pourquoi elle suppose la pénétration de l’évangile au plus profond des personnes et des peuples pour les rejoindre de façon vitale jusque dans les racines de leurs cultures5.

L’inculturation prend en considération le fait que l’homme est si enraciné dans la réalité culturelle qu’on ne saurait réussir aucune évangélisation profonde de sa personne sans s’adresser à lui dans les termes de sa culture. La symbiose, dans laquelle les

3. Eugène Lapointe, À ce monde aimé de Dieu proclamer l’évangile. La mission aujourd’hui, Montréal, Médiaspaul, 1997, p. 121.

4. Idem, p. 122.

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individus et leur société gardent leur identité spécifique est un éléments essentiel à préserver tout au long de ce processus6. Cette symbiose suppose donc à la fois proclamation et écoute, proposition et réponse créatrice.

Dans ce sens, une certaine acculturation intelligente est inévitable et fait partie de ce processus. Cependant, si les changements générés demeurent endogènes, et non exogènes7, on ne peut parler d’aliénation ni d’usage abusif, car c’est de l’intérieur de la culture que s’est opéré le changement de mentalité. La conscience, !’intelligence du processus en est donc un facteur prépondérant qui garantit son authenticité. C’est à la lumière du message chrétien, qu’est jugée toute culture8. Ce jugement est indispensable pour la pénétration de l’évangile dans la culture. Son opération est fondamentale pour la reconnaissance des valeurs évangéliques, chez celui qui proclame comme chez celui qui reçoit, ces valeurs formant ainsi contraste avec celles qui doivent être abandonnées en raison de leur incompatibilité avec la foi évangélique:

Pour que l’Église puisse accomplir ce “devoir fondamental, aujourd’hui urgent” (Jean-Paul Π) elle doit certainement continuer à proclamer la Parole de Dieu, se rendre présente dans les diverses cultures et

encourager le développement des communautés autochtones. Mais elle doit surtout apprendre

6. Jean de Dieu Mvuanda, Inculturer pour évangéliser en profondeur, New-York, Paris, Éditions Peter Lang, 1998, p. 27.

7. Idem, p. 29. 8. Idem, p. 31.

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à mieux voir comment Celui qui précède ses disciples en Galillée, première terre missionnaire au lendemain de la résurrection (Mc. 16/7), continue à les devancer partout où ils se rendent dans Γespace et le temps. (...) La terre de

chaque culture est déjà sanctifiée par le Christ, en qui le monde a été créé et sauvé, et en qui il trouvera son accomplissement ultime. C’est pourquoi les authentiques auditeurs de la Parole sont aussi des infatigables auditeurs de la Parole, toujours prêts à accueillir dans un esprit d’action et de grâce les réponses nouvelles des cultures qui se mettent à évoluer sous l’influence de l’Évangile.9

Catechesei Tradendae exprime fort bien cette idée. Il s’agit de porter la force de l’évangile au coeur des cultures en cherchant à connaître leurs composantes essentielles, d’en apprendre les expressions tout en respectant leurs valeurs et richesses propres pour les aider à faire surgir de leur tradition vivante des expressions originales de pratiques évangélique, car, admet-on, la force de l’évangile est partout transformatrice et

régénératrice lorsqu’elle pénètre une culture10. C’est une démarche qui pourrait, par exemple, partir d’éléments religieux (ou autres) appartenant déjà au patrimoine de cette culture pour les amener, par un processus lent et respectueux, à se dépasser. Elle cherche alors à communiquer la plénitude du message chrétien à leurs valeurs légitimes et

acceptables. Dès lors, tout dans la culture hôte qui n’est pas à bannir mais tout ce qui est

9. Achiel Peelman, L'ïnculturation, l'Église et les cultures, Paris, Desclée, 1988, p. 122.

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compatible avec l’évangile peut et doit être retenu, dans le respect de ce peuple11. Tout ce qui est en accord avec la nature de l’homme telle qu’instituée par Dieu, tout ce qui est bon et simplement humain doit être accepté, développé, surélevé voire même sanctifié. C’est dire que tout élément positif découvert dans la culture peut être considéré comme une sorte de préparation évangélique. Pensons à saint Paul chez les Athéniens: le Dieu que Paul proclamait était-il vraiment un dieu “étranger” comme le supposait les philosophes? Absolument pas! Le Dieu judéo-chrétien avait été anticipé bien longtemps auparavant sur l’autel d’Épiménide au sixième siècle av. J.C.11 12. C’était donc un Dieu ayant déjà intervenu dans l’histoire d’Athènes; il avait donc certes le droit d’y être annoncé dans le but d’intervenir positivement au sein de cette culture.

Dans Γexpérience de chaque culture, des valeurs existent qui ne demandent qu’à s’accomplir 13. Ou pour employer un autre terme: des semina verbi. En fait, c’est un peu !’identification du message chrétien avec la culture; d’où Finculturation de la foi. Dans ce processus la présentation de l’évangile va peu à peu se dégager de son revêtement culturel

11. Ibid.

12. Don Richardson, L ,Éternité dans leur cœur, Lausanne, Éditions Jeunesse en Misison, 1992, p. 23. Ce qui précède se réfère principalement à une tradition tenue pour historique par Diogène, écrivain grec du troisième siècle après J.C. Epiménide, héros crétois, répondit à une demande selon laquelle on désirait son conseil pour lutter contre un fléau. Apparemment, le but d’Épiménide était de donner au dieu concerné l’occasion de révéler qu’il voulait bien apporter son aide. Un certain nombre de moutons furent offerts en sacrifice sur des autels sans dédicace. Ainsi le fléau quitta la ville. Le fait que l’inscription

“agnosto theo” fut gravé sur au moins un autel à Athènes est confirmé par un historien du premier siècle, nommé Luc. D y décrit un événement qui prend un relief impressionnant (Actes 17/16-23) après ce que l’on vient de raconter sur Épiménide.

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antérieur et prendre les nouvelles formes, plus accordées au nouveau cadre culturel qui l’a accueilli14.

L’inculturation est une espèce de conversion organique: ce qui était extérieur - les valeurs évangéliques - est retenu et transformé par l’organisme pour en devenir

finalement partie constituante avec tous les éléments vitaux préexistant déjà en lui comme valeurs positives15.

C’est l’équivalent de la metanoia: la conversion, le changement. Si l’évangile pénètre une culture et n’y change rien, peut-on parler d’inculturation? Une différenciation est à faire ici: soit que l’évangile n’arrive pas à établir un lien avec la culture, ou

simplement, par un respect mal compris, soit que l’évangile se laisse absorber par cette dernière. On serait alors en présence d’un simple processus de syncrétisme.

Un processus d’inculturation juste ne saurait permettre qu’on choississe les parties de l’évangile que la culture voudrait bien accepter d’entendre et qu’on ignore telle ou telle autre partie. Le but visé est qu’on ne se satisfasse pas de s’accomoder de ce qu’on préférerait entendre de l’évangile et d’en accepter ce avec quoi on se sentirait à l’aise, mais qu’on soit confronté à ses exigences mêmes lorsqu’elles paraissent radicales.

L’évangile transcende toute culture tout comme !,événement Jésus-Christ s’adresse à toute culture.

14. Jean de Dieu Mvuanda, op.cit. p. 31. 15. Idem, p. 32.

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1.2.2 Deux entités: la culture et l’évangile

Comme on peut déjà voir, l’inculturation est un risque mais un risque nécessaire, comme dirait J.Y. Calvez: “...aujourd’hui, dans toutes ces régions, le besoin

d’inculturation est devenu explicite et urgent”16. Sans elle, la foi ne peut s’enraciner mais avec elle, des pénétrations nouvelles et profondes du message évangélique sont toujours possibles.

En réalité, c’est dans un rapport dialectique entre la culture et l’évangile qu’on doit se représenter l’inculturation. Ce qui peut apparaître contradictoire a priori, peut trouver sa compréhension, voire même sa justification a posteriori, dans une certaine analyse des éléments en cause. En fait deux entités se rencontrent: la culture et l’évangile. La culture réceptrice versus la culture porteuse. C’est que les présupposés de l’évangile passent obligatoirement à travers les “signifiants” de cette culture, qui eux vivent de leur culture traditionnelle. Bien que la culture porteuse ait des visées sur l’autre, l’expérience désirée ne peut arriver sans un effort de discernement des deux parties enjeu. En effet, le

discernement des valeurs positives proposées se fera, par la culture hôte à condition que celle-ci se sache respectée et qu’elle puisse l’interpréter comme une amélioration de sa situation. Mais l’exercice n’est pas seulement à sens unique. La culture porteuse doit être en mesure de relativiser, de mettre en balance, d’effacer de sa proposition ce qui n’est pas l’essentiel du message évangélique. Si cela est bien fait, un juste retour va s’opérer, une

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sorte d’emprunt réciproque se matérialisant dans le vécu et apportant (à l’un et à l’autre) des formes inédites de pensées et même d’actions.

C’est comme l’organisme opérant un choix parmi les substances extérieures et

n’assimilant que ce qui lui est vital sans cesser d’être lui-même11. C’est ici la sagesse de l’inculturation: signifier la transcendance propre de la Révélation dans chaque culture.

L’inculturation pourrait ainsi se définir comme l’effort d’injecter l’évangile dans un contexte socio-culturel donné de sorte que les personnes à évangéliser puissent conserver les valeurs existantes dans la mesure où elles n’entrent pas en contradiction avec l’évangile.

À ce stade-ci, pourrait-on envisager quelques paradoxes? Quand nous considérons que l’expansion du christianisme engendre, de soi, un enracinement dans la culture locale hôte comme condition de son authenticité ou même de son efficacité, on ne doit pas oublier que le même souci d’authenticité et d’efficacité appelle également, à l’égard de cette culture un détachement, un déracinement. Dans chacune des cultures, porteuses ou réceptrices, un double mouvement s’opère. La question est de savoir qui gagne dans cet exercice. Les deux! Comme nous l’avons déjà mentionné, qui peut prétendre ne pas acquérir en s’ouvrant à un autre, en posant que l’un et l’autre ait quelque chose à

apporter? De même, chaque culture ne peut trouver son identité qu’en accueillant l’autre, d’où l’adage évangélique qui s’applique bien: “qui perd sa vie, la gagnera!”. 17

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En effet, dans le dialogue entre Γ évangile et les cultures, chaque culture puise dans l’évangile ce dont elle a besoin pour s’enrichir et progresser. La culture atteint son

authenticité par !’affirmation de son identité en assimilant les richesses proposées par l’apport nouveau qu’est l’évangile.

Par principe, l’évangélisation veut favoriser une amélioration qualitative de la culture. Mais dans cet élan donateur, elle a besoin d’une reformulation du message dans la culture des personnes qui s’en laissent imprégner. C’est à la fois une tâche et une exigence, importante, voire obligatoire dans le processus d’une inculturation juste et réussie.

L’inculturation signifie aussi une intime transformation des authentiques valeurs culturelles par leur intégration dans le christianisme. Nous le savons, le message chrétien doit s’enraciner dans les cultures humaines, les assumer et les transformer, alors la

mission d’évangélisation (celle qui met l’évangile comme Bonne Nouvelle à la portée de tous -Lc.4/18-21-), devient un facteur actif d’inculturation. C’est d’elle que relève

l’enracinement de la foi et de la vie chrétiennes; c’est d’elle aussi que surgira une expression vraiment inculturée de la foi.

L’inculturation peut être vue d’abord comme un processus d’enracinement, suivi d’une maturation pour en arriver à un approfondissement de la foi à divers points de vue: existentiel, mystique et intellectuel18.

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Naîtra de cette injection une nouveauté de vie, un apport additionnel, dans la mesure où le christianisme et la foi chrétienne seront finalement perçus comme une valeur de vie. Une évangélisation en profondeur suppose que les croyants se sentent

existentiellement interpellés et s’engagent au nom de leur foi à produire une nouvelle image de la société19. Pour cela ils peuvent être amenés à transformer leur mentalité et à changer les références faisant autorité dans la culture. Apparaîtra alors un récit neuf de leur histoire, une conscience originale et améliorée de leur identité. Ce processus dès lors aura aboutit à défricher les consciences par un travail en profondeur et ne se sera pas contenté de coloniser celles-ci, comme l’a déploré Fernand Dumont à propos de la situation religieuse des Québécois20 21.

L’inculturation est !’actualisation permanente de l’expression de la rencontre entre Dieu et une culture. Considérée sous une autre facette, elle exprime la réponse que donne la culture à cette rencontre et à cette intervention de Dieu dans son existence, compte tenu de la diversité des situations humaines.

On discerne ici une finalité ultime: rendre le projet de vie évangélique réef \ c’est- à-dire suffisamment incarné, vécu de l’intérieur, respectueux des valeurs authentiques, capable de dire l’expérience de foi de manière singulière. En fait, il s’agit que cette

19. Idem, p. 426.

20. Fernand Dumont, “Sur notre situation religieuse”, Relations, no. 302, Février 1966, p. 37. 21. Jean de Dieu Mvu anda, op.cit., p. 197.

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culture entende l’appel à la conversion et que naisse en elle une Église locale vivante et vitalisante car proche du peuple, engagée, capable de faire constamment le lien entre la vie et la foi. L’inculturation aura modifié non pas superficiellement mais en profondeur la philosophie sous jacente de cette culture22. C’est alors qu’on pourra dire, évidence à l’appui, que le christianisme est vécu comme un élément intégré à sa structure

fondamentale. Le bon grain de l’évangile aura pris racine au coeur même de la vie des gens. Le message chrétien peut alors rencontrer les aspirations d’un peuple. La vie et le message chrétiens s’incarnent de sorte que l’expérience qu’on en fait s’exprime avec les éléments propres à une culture donnée et que cette même expérience devient principe d’inspiration capable de transformer et recréer cette culture.

Pour que l’universel du message chrétien puisse se dévoiler et se développer, n’est-ce pas à partir d’un enracinement humain et d’une inscription culturelle précise qu’il peut le faire? Le christianisme s’enracine et s’intériorise toujours mieux quand il est porté par ce qu’il y a de meilleur dans une expérience culturelle. Quand l’évangile rejoint réellement un peuple au creux de son expérience vitale quotidienne, la culture est

provoquée à son propre dépassement, une rencontre du mystère de Dieu et l’homme est rendue possible23.

Ainsi, ce n’est qu’au niveau de sa culture qu’un peuple peut aspirer à un

22. Idem, p. 228.

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développement, une nouvelle création: passant par le conditionnement d’un milieu humain, la Parole de Dieu rejoint le peuple dans sa culture là où il se trouve, c’est pourquoi la révélation demande une actualisation à chaque époque. Sans cesse, elle nourrit les différentes cultures dont elle dépend (le récit biblique est un bel exemple d’interculturalité) et se nourrit de la multitude des particularités de chaque culture24.

La culture doit ruminer le message pour en faire une réalité typiquement culturelle, de l’intérieur même de son expérience, dans le tissu social de celle-ci25. Cela engage un long processus. Au sein même des conflits d’idéologie et de croyances, l’attitude requise pour une juste inculturation est celle d’une réappropriation culturelle critique, c’est-à- dire que c’est de la culture même, à leur rythme, que se définiront les divers éléments proposés et dans la culture que les termes adéquats s’élaboreront.

L’inculturation est ce processus par lequel la culture assimile l’évangile à partir de ses propres formes26. Plus précisément, elle vise à rendre sensible aux signes de Dieu dans les cultures, à les reconnaître, à les accueillir, à les admirer, d’où l’importance du

respect27. Il s’agit pour ses agents de s’investir dans la vie, dans les activités même de la culture qu’ils veulent atteindre, d’y participer en découvrant ses valeurs, en assumant à la

24. Ibid.

25. Idem, p. 146.

26. Leonardo Boff, La nouvelle évangélisation, Paris, Les Éditions du Cerf, 1992, p. 28. 27. Idem, p. 47.

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fois ses points négatifs et positifs, ses possibilités et ses limites, ses côtés lumineux et ses points d’ombre. C’est seulement à partir de ce processus de sympathie-emphatie que l’inculturation peut participer à la croissance et à !’épanouissement.

En fait, toute évangélisation devrait avoir comme but que la culture réceptrice fasse une véritable auto-gestion ou auto-gestation de la Bonne Nouvelle, à partir de son contexte culturel. N’est-ce pas à partir de l’expérience de foi traditionnelle de son peuple que Jésus a cherché à faire passer son message?

Inculturer l’évangile signifie donc à la fois témoigner et proposer cette bonne nouvelle et essayer tous ensemble de faire advenir cette Parole dans le vécu de ceux à qui elle est destinée28. Le contenu kérygmatique ne prend d’assaut aucune culture. Bien au contraire, il vient à la rencontre de la force la plus fondamentale, celle qui engendre toute culture: le désir de la vie, présent dans toutes les cultures.

C’est pourquoi l’évangélisation doit être dépourvue de tout ethnocentrisme. Il ne s’agit pas de reproduire sa propre expression culturelle chez l’autre; il ne s’agit non plus d’une simple adaptation de l’évangile aux dimensions superficielles de la culture29. Au contraire, l’évangile doit pénétrer en profondeur la culture et par sa force intrinsèque la féconder.

L’inculturation est cette conscience toujours plus vive que l’évangélisation

28. Idem, p. 53. 29. Idem, p. 56.

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adéquate ne peut s’accomplir sans un effort permanent de reconnaissance des réalités et d’adaptation du message chrétien à l’humain de façon à respecter l’altérité de toute culture30. Mais une ligne directrice se démarque: une évangélisation qui n’apporterait pas un accroissement de vie, qui n’amènerait rien de nouveau, qui ne proposerait pas une plus grande humanisation ne saurait être caractéristique de la bonne nouvelle de Jésus31. Faire fi d’une telle démarche équivaudrait à ne pas respecter l’élément fondamental de tout présupposé culturel, si on considère la position anthropologique voulant que la religion soit le noyau de toute culture.

De fait, l’évangile enrichit les cultures, les aide à déceler les côtés déficients qui existent en elles, voire à les dépasser tout en prenant soin de communiquer à ces valeurs la nouveauté du message chrétien. Par voie de conséquence, des expressions originales surgiront de ces dernières et viendront ainsi enrichir les efforts d’inculturation. On assiste ici à un mouvement bilatéral, à un mouvement d’échange. Dès lors, loin de n’être qu’au service de l’initié, le christianisme reçoit en retour bien plus que ce qu’il a investi. Cela veut dire qu’il n’y a pas seulement un mouvement de transformation de la culture au contact de l’évangile mais aussi un mouvement de réinterprétation de la foi à la lumière des expériences culturelles pour ainsi trouver une source d’accomplissement et

d’inspiration créatrice.

30. Idem, p. 82-83 31. Idem, p. 115.

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On voit bien, de plus en plus que le mot inculturation désigne quelque chose de plus profond et de plus intérieur que le seul mouvement de rapprochement entre le

christianisme et une culture donnée; d’où le préfixe latin “in”: se dit de la foi et la culture se fécondant mutuellement et grandissant l’une par l’autre. Le concept se distingue de celui d’acculturation comme simple processus d’évolution d’une culture au contact d’une autre. Par l’inculturation, la Parole de Dieu s’incarne dans la culture d’accueil et la

modifie en profondeur32.

Elle appelle une véritable reformulation de la foi à partir de la substance intime de la culture dans laquelle elle s’incarne, à partir de ses valeurs, de ses aspirations, de ses structures. De son réseau symbolique, la culture assimile l’évangile que ses propres formes culturelles traduisent à leur manière, donnant ainsi tout le crédit à la fois à 1 ’ élément inj ecté et à l’élément récepteur.

L’inculturation est en cela un défi ponctuel et actuel: faire germer la Bonne Nouvelle dans l’histoire mouvante de l’humanité. Vivre sans cesse la rencontre avec de nouvelles époques présentant en elles de nouvelles situations culturelles suppose chaque fois un pari nouveau: réélaborer et réinterpréter le message chrétien dans la sensibilité et les structures de pensée singulières qui sont propres à chaque culture.

L’histoire atteste bien ce lien entre christianisme et culture33. Bien plus, sur tous

32. Henri Durel, Marie-Ange Pinol Etayo, Acculturation/Inculturation du christianisme en Europe, Paris, Éditeur Didier Érudition, 1998, p. 177-178.

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les continents, les grandes religions, peut-on dire, sont à la source d’une éthique, d’un humanisme qui permettent chaque fois de redire, à leur façon, le projet divin.

L’inculturation est à la fois possible et justifiée puisqu’elle éveille la soif de vérité qui est en tout homme et montre une voie où s’engager pour la trouver. Elle est donc nécessaire pour la constitution d’une culture, bonne, meilleure; son absence en rend impossible le plein développement. À combien plus forte raison, l’essence même du christianisme est- elle d’y jouer un rôle? La Bonne Nouvelle rénove constamment la vie et la culture. Suffit- il de dire que l’évangile est l’irruption de Dieu dans l’histoire et que ce fait divin

transcende toute civilisation et toute culture! Un lien est indispensable entre évangile et culture si on veut que l’évangile transforme les cultures de l’intérieur, les purifie, les élève, les féconde,les fortifie.

Tant de régions, tant de milieux culturels restent encore non-atteints, voire même insensibles à la Bonne Nouvelle de Jésus. Ces cultures étrangères aux vastes espaces du monde encore en marge de la foi chrétienne tout aussi bien que ces larges secteurs culturels, dans les pays historiquement christianisés qui deviennent aujourd’hui

indifférents, sinon réfractaires à l’évangile. Si le Christ, par la rédemption, a accompli l’oeuvre du salut de tout homme et de tout l’homme, ce n’est pas prétentieux de dire qu’il a sauvé aussi la culture humaine. De même que la grâce du salut assainit, perfectionne, intègre et élève la nature de l’homme, de même, analogiquement, elle guérit,

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humaine et chrétienne34. La culture est le chemin de l’homme. C’est sur ce chemin que l’homme peut rencontrer Dieu, ce Dieu qui réunit "en lui” les valeurs de toutes les

cultures et révèle pleinement l’homme à lui-même. Si l’on veut respecter une culture, seul doit être transmis un message universel: la Bonne Nouvelle qui révèle la voie conduisant à Dieu35.

Évangéliser, a-t-on dit, c’est rendre neuve l’humanité, c’est atteindre et comme bouleverser, par la force de l’évangile, les critères de jugements, les valeurs

déterminantes, les points d’intérêts, les lignes de pensée, les sources inspiratrices et les modèles de vie de

l’humanité qui sont en contraste evec la Parole de Dieu et le dessein du salut... rendre neuve l’humanité, c’est assainir les pensées inhumaines du coeur,

s’attaquer à la racine du mal. C’est lutter pour rendre plus digne l’homme, créature de Dieu et le contexte (culture) dans lequel il vit.36

L’inculturation vise toujours, dans son objectif d’évangélisation, à s’adapter au style de vie d’un peuple, à ses expressions, à ses valeurs, à ses symboles, à sa structure, à ses moeurs afin que le peuple, bien qu’évangélisé, garde son identité et sa dignité. Ainsi cette expérience s’exprimera avec les éléments propres à la culture en question et

subséquemment sera un principe d’inspiration pour la transformation de cette culture37.

34. Idem, p. 4445־.

35. Jacques Gadille, Marc Spindler, Sciences de la mission et formation missionnaire au Xxè siècle, Lyon, Éditions Lyonnaise d’Art et d’Historie, 1992, p. 49.

36. Djundu Lunge, La contextualisation de l’évangile pour une inculturation de la foi chrétienne (thèse), Québec, Faculté de Théologie Université Laval, 1991, p. 151.

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Ce que Finculturation veut c’est l’enracinement de l’évangile pour mettre les richesses des cultures au service de ce dernier.

Dans tous les cas, loin de l’aliéner, Finculturation revalorise la culture. Elle nous met en présence d’un processus d’échange mutuel entre deux partenaires. L’un donne et l’autre reçoit; l’autre donne à son tour pour que ce premier reçoive aussi38.

Ce processus de donner et de recevoir doit être intégralement respecté si l’évangile veut prendre racine au sein des populations à qui il s’adresse.

Si l’on pouvait schématiser ce processus, il pourrait s’effectuer en quatre étapes principales, tel que vécu en terre africaine, par exemple. Premièrement, il suppose d’abord la proclamation de l’évangile dans une culture hôte. Deuxièmement, cette proclamation ayant fait son oeuvre, le peuple connaît une conversion. La foi acceptée ouvre la porte à l’enracinement de l’évangile au sein de ce peuple. Troisièmement, un dialogue s’installe: c’est la période de fécondation mutuelle entre l’évangile et la culture du peuple en état d’évangélisation. Le peuple se met en état d’accueil des nouveaux éléments dans sa culture, il se purifie en se débarassant volontairement des éléments qui ne concordent pas avec la nouvelle vie (conversion)39. C’est une période de profondes transformations dans la vie de ce peuple. Lorsque le peuple aura noué de bonnes relations avec l’évangile et l’aura considéré comme faisant partie intégrante de sa vie, à ce moment

38. Idem, p. 157. 39. Idem, p. 169.

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précis, on parlera d’inculturation de la foi chrétienne dans ce peuple. Inculturer Γévangile c’est donner la place qu’il faut à l’évangile au sein de cette culture40. Inculturer

l’évangile, c’est incarner la Parole de Dieu dans l’âme d’un peuple, c’est aller aux profondeur de la vie pour que ce peuple soit transformé par un effet d’échange, c’est enrichir ce même évangile des éléments compatibles avec lui dans la culture de ce peuple. Enfin, quatrièmement, pour que le message annoncé, reçu et enraciné garde son actualité au sein de ce peuple, il lui faut un mécanisme de dynamisation. L’actualisation de l’évangile au sein du peupe41, c’est ce mouvement par lequel il travaille le peuple de l’intérieur, provoquant sans cesse de nouvelles lectures de cet évangile.

40. Idem, p. 170. 41. Ibid.

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