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3.3 L ,ouverture (la réceptivité)

3.3.2 Deux procédés en comparaison

Allons-y avec une description comparative des deux procédés employés jusqu’ici en missiologie et permettons-nous des conclusions face à telle ou telle approche. Nous comparerons deux méthodes, soit l’adaptation comme stratégie versus le processus

d’inculturation. Car avant la théorie de Finculturation, c’est celle de l’adaptation qui a

dominé, mettant l’accent sur l’isolement de quelques éléments culturels les plus proches de la théologie “donatrice”, exportée de surcroît, au lieu de considérer la culture hôte dans sa globalité. Nous ne voulons pas faire ici le procès de cette stratégie mais l’utiliser par comparaison pour mieux comprendre Finculturation. Quelles sont les différences notables entre les deux processus?

Dans la théorie de l’adaptation, le missionnaire ou l’Église qui l’envoyait se considérait comme agent premier; ce n’est pas le cas pour Finculturation: la

communauté réceptrice devient l’agent primordial6. Cela a des conséquences dans la

conception même de l’Église. Elle n’est plus celle qui doit à tout prix donner mais elle qui doit d’abord écouter pour mieux donner!

Le but du processus de l’adaptation était l’implantation de l’Église mais comme

5. Joseph Masson, “L’Église ouverte sur le monde”, Nouvelle Revue Théologique, 84/10 (1962) p. 1038-1039.

une extension de l’Église donatrice; pour Γinauguration le but est tout autre, il s’agit de faire naître une Église locale, distincte et caractérisée par sa propre culture. Encore ici, cela ne peut absolument pas se faire si on n’adopte pas une attitude humble d’écoute et d’ouverture. La mission ne doit pas être une chasse-gardée des traditions supérieures, sorte de colonialisme théologique, elle doit laisser libre cours à la théologie de s’exprimer culturellement.

Le mode du processus de l’adaptation était la diffusion de l’Église universelle; tandis que pour l’inculturation c’est plutôt l’intégration de la culture locale dans l’Église, huit de l’action combinée de l’Esprit, qui la fait grandir, et de Jésus qui a dit: “Je bâtirai mon Église”. Parlait-il uniquement d’un arrière-plan traditionnel précis et unique ou n’établissait-il pas déjà l’horizon d’une Église plus large, universelle justement? Ainsi la prise en compte des traits culturels importants, sous leurs aspects positifs relève

davantage de l’inculturation que de l’adaptation7. On trouve dans l’histoire des exemples d’emploi de procédés qui, si mal appliqués, peuvent conduire à un poids excessif exercé sur la culture réceptrice. Le concept d’alphabétisation fait exemple en ce domaine. En plus de proposer une activité nouvelle, souvent c’était toute la culture importée qui était imposée. À l’inverse, la découverte du trait culturel comme l’oralité, bien présente dans certaines cultures, loin d’imposer quoi que ce soit, a amené l’effet contraire. Pour le missionnaire cela l’a amené à la découverte d’un moyen d’expression bien ancré donc

7. René Jaouen, La chrétienté nouvelle du Nord-Cameroun dans Le christ et les cultures dans le monde et l’histoire, Montréal, Les Éditions Bellarmin, 1991, p. 204.

bien utilisé; pour l’autochtone, une prise de parole libérant en soi une parole encore plus appropriée.

La profondeur du processus de l’adaptation était limitée. Il consistait à choisir certains éléments de la culture, en les considérant comme bons, assimilables, acceptables et à laisser les autres de côté sans se demander jusqu’à quel point ils pourraient être aptes, eux aussi, à porter l’évangile. L’inculturation porte sur la globalité de la culture comme un tout organique, indivisible, considéré comme but à atteindre. L’apôtre Paul a su ainsi relativiser l’idolâtrie des Athéniens et aller puiser une profondeur dans ce trait de culture, ce qui lui permit de le réinterpréter en “Bonne Nouvelle”.

La justification du processus de l’adaptation en est une de concession et poussé à l’extrême, une sorte de privilège accordé à une terre de mission, tandis que dans

l’inculturation, on est à l’antipode d’une telle attitude; celle-ci est motivée par la pensée qu’un tel travail est un droit pour toute culture d’exprimer sa foi dans ses termes propres. De là la nécessité pour le missionnaire de respecter cette culture.

Les bénéficiaires du processus d’adaptation étaient les jeunes Églises de mission et exclusivement ceux qui avaient bien voulu y adhérer, tandis qu’en inculturation, c’est bien évidemment toute la communauté culturelle qui est invitée à bénéficier des bienfaits qu’apportera, à coup sûr, l’évangile.

Avec l’adaptation, l’accent était mis sur l’unité quoiqu’avec une certaine tolérance de la diversité, tandis qu’avec l’inculturation, ce qui est proné c’est l’unité, bien sûr, mais

dans le respect de la diversité et de la liberté. Tout comme au jour de la Pentecôte où on voyait présagée cette unité possible. Une telle attitude respecte le fait qu’un Africain peut être différent dans son culte mais participer à la même foi qu’un Occidental.

L’approche qui était privilégié en adaptation s’observait dans la bonne volonté et le sens pratique du missionnaire, fondés sur la connaissance qu’il avait de

l’évangélisation, avec un respect rigoureux des méthodes apprises. Dans l’inculturation, une réelle progression se réalise dans le simple fait du dialogue qui s’installe entre l’évangile et la culture locale. Dans le premier cas on assiste à un monologue. Dans le second, le dialogue soutend un échange bilatéral qui suppose par définition une ouverture d’esprit réciproque. Un tableau comparatif donne ces quelques lignes:

Processus d’adaptation Processus d’inculturation BUT implantation de l’Église naissance d’une Église locale

MODE diffusion de l’Église

universelle

l’intégration de la culture locale dans l’Église

PROFONDEUR choix de certains

éléments jugés bons

la globalité de la culture comme un tout organique

JUSTIFICATION privilège accordé droit pour toute culture BÉNÉFICIAIRES les jeunes Églises

de mission

toute la communauté culturelle

ACCENT unité avec tolérance

de la diversité

unité dans le respect de la diversité

APPROCHE bonne volonté et sens dialogue, échange bilatéral, pratique du missionnaire, ouverture d’esprit

respect rigoureux des méthodes apprises

* Ce tableau s’inspire avec quelques modifications de celui de Eugène Lapointe dans: A ce monde aimé de Dieu proclamer l’Évcmgile. La mission aujourd’hui, Montréal, Médiaspaul, 1997, p. 126.

On voit bien l’évolution, pour ne pas dire “révolution”, frappante qui marque les façons de faire: l’ouverture à l’héritage culturel comme donnée fondamentale à tout travail missionnaire, à savoir une connaissance réfléchie de la culture que donne

l’anthropologie, la compréhension de ses éléments, de son dynamisme et de son système de symboles, tels que le peuple évangélisé les vit et visant la réinterprétation de cet héritage provoquée par le message chrétien. Et cela, progressivement, pas à pas.

Comment se conçoit cette ouverture? Elle consiste tout simplement à tenir pour acquis que le processus n’est jamais terminé. Il se déploie continuellement8. Il se réalise dans le questionnement, 1 ’ approfondissement, la réinterprétation et se renforce pendant le déroulement de la vie de la communauté.

Ce phénomène de rencontre nous amène ainsi à considérer les attitudes antérieures requises de l’évangélisateur et de l’évangélisé: chez le premier une disposition à

apprendre, caractérisée par l’humilité et le respect des personnes et de la culture qu’il va rencontrer; chez le second, l’humilité nécessaire pour recevoir la Parole. L’un et l’autre

ont leur part à jouer9.