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2.2 En son contexte d’origine

2.2.1 L’agir christique

La Parole de Dieu s’est faite homme, un homme concret, situé dans le temps et dans l’espace, enraciné dans une culture déterminée1. Le Christ, par son origine, s’est lié aux conditions sociales et culturelles des hommes avec lesquels il a vécu. C’est là

l’inculturation originelle de la Parole de Dieu et le modèle de référence pour toute l’oeuvre d’évangélisation de l’Église, appelée à porter la force de l’évangile au coeur de la culture et des cultures.

Dans sa pratique, Jésus part de la réalité du peuple. Il va à la rencontre du peuple et se montre extrêmement attentif, qu’il s’agisse des conflits et même des ruptures. De là l’importance des soins aux malades, de !’attention aux pauvres, de la défense permanente des marginalisés1 2. Il ne se tient pas à distance, insensible au drame humain. Il entre dans le conflit aux cotés de ceux qui souffrent du rejet religieux et de la domination sociale. Il n’est aucune douleur qui ne le touche, aucun cri de supplication qu’il n’entende!

Les évangiles montrent combien Jésus connaissait la vie du peuple: comment on fait les semailles, comment on administre une propriété, comment se comportent des ouvriers sans emploi errant sur les places, comment on fait le pain, comment l’ivraie et le

1. Directoire général pour la catéchèse, Vatican, Librería Editricia Vaticana, 1977, p. 119. 2. Leonardo Boff, La nouvelle évangélisation, Paris, Les Éditions du Cerf¡ 1992, p. 110-111.

bon grain croissent ensemble, comment se déroulent les fêtes, comment se produisent les conflits de famille, à quelles profondeurs atteint la tristesse d’une veuve qui perd son fils unique3. Il regarde croître les lys des champs et s’ébattre en liberté les oiseaux du ciel; il sait comment se comporte la semence dans les différents types de terrains. De tout cela, il fait le matériau de ses paraboles. De tout il sait tirer leçon, il prend la réalité telle qu’elle est, il sait ce qu’il y a dans l’homme de carences mais aussi de potentiel!

À la manière d’agir de Jésus qui s’est servi d’expériences et de situations

humaines pour expliquer les réalités transcendantes ainsi que les attitudes à adopter face à ces réalités4, de même l’Église primitive sut accueillir les grandes valeurs de la culture grecque. L’inculturation doit suivre les traces.

Évidemment, tout cela n’exclut pas les erreurs ou écarts possibles. Le problème était déjà celui de l’Église primitive dans laquelle les chrétiens issus du judaïsme avaient tendance à imposer aux païens convertis des traditions, des coutumes, des pratiques

culturellement attachées au judaïsme5. Mais qu’à cela ne tienne, dirigée par l’Esprit Saint, l’Église sut trouver des solutions et s’ouvrir à de nouveaux horizons culturels pour que la grande mission (trans-mission) qui lui fut confiée puisse continuer, fort de son élan initial.

3. Idem., p. 112.

4. Directoire général pour la catéchèse, Vatican, Librería Editricia Vaticana, 1977, p. 168.

5. André Fossion, La catéchèse dans le champ de la communication, ses enjeux pou l’inculturation de la foi, Paris, Les Éditions du Cerf, 1990, p. 484.

2.2.2 Vision apostolique

Nous n’avons qu’à penser à la rencontre entre Pierre et Corneille. Bien que l’apôtre eût une vision limitée face à la portée du message de l’évangile, il n’en fut pas moins un des pionniers quant à l’inculturation de l’évangile dans la culture païenne! Appelé à dépasser sa conception marginalisante de l’Église, il ne put, dans un premier temps, que constater, grâce à une vision, l’ampleur que voulait prendre la dynamique de l’évangélisation. Dans un deuxième temps, il assista à l’entrée de gens d’une autre culture dans le peuple de Dieu. Ainsi fut-il amené à transcender ses propres convictions,

positions, opinions pour s’ouvrir au plan initial de l’évangélisation: “...que Dieu ne fait point acception de personnes, mais qu’en toutes nations celui qui le craint et qui pratique la justice lui est agréable...” (Ac. 10/34-35).

Et ainsi de suite pour Pierre, Paul, Jacques et Jean. Le processus de rencontre et de confrontation avec les cultures est une expérience que l’Église a vécue depuis les origines de la prédication de l’évangile6. Très rapidement, la communauté chrétienne fut en état de vérifier l’universalité de l’annonce et les obstacles qui découlent de la diversité des

cultures. C’est dans un pluralisme culturel que le christianisme naquit et se développa. Un passage de la lettre de saint Paul aux chrétiens d’Éphèse donne un bon éclairage pour comprendre comment cette communauté primitive a abordé ce problème. Le texte dit: “Or voici qu’à présent dans le Christ-Jésus, vous qui jadis étiez loin, vous

6. Jean-Paul Π, Foi et raison. Lettre encyclique Fides et Ratio sur les rapports entre la foi et la raison,

êtes devenus proches. Grâce au sang du Christ (...) lui qui des deux peuples n’en a fait qu’un seul, détruisant la barrière qui les séparait” (Éphésiens 2/13-14).

À la lumière de ce texte, notre réflexion s’élargit et nous sommes mieux à même de constater que du principe divin, les barrières séparant les diverses cultures tombent. Il s’agit d’un don universel; non pas limité à la particularité d’un peuple, de sa langue et de ses usages, mais étendu à tous, comme un patrimoine dans lequel chacun peut puiser librement, dans sa singularité7. Déjà nous voyons se dessiner un tableau culturellement hétérogène! De divers lieux et de différentes traditions culturelles, tous sont appelés à participer. Une grande vérité est décrite: la rencontre de la foi avec les différentes cultures de l’époque a donné naissance, de fait, à une nouvelle réalité.

Depuis son origine en effet, la mission de l’Église a pris la forme d’une rencontre mutuellement enrichissante, tant au niveau des évangélisateurs qu’à celui des cultures les plus diverses8. On y voit saint Paul se faire tout à tous pour les gagner tous à Jésus Christ. L’évangile fut annoncé à Rome et à tous les pays romains ou barbares de l’Empire.

L’histoire des communautés chrétiennes depuis les origines peut être considérée comme l’histoire de l’inculturation de la foi dans des sociétés et des cultures particulières. C’est ce qui s’est passé historiquement. L’enjeu pour nous, aujourd’hui, est de retrouver la fécondité de telles attitudes dans les champs culturels que présente notre temps. Nous

7. Idem., p. 109.

nous sommes éloignés de ceux qui, les premiers, ont proclamé la Bonne Nouvelle. Mais au fait, pourquoi donc ce zèle si intense depuis près de deux mille ans gagne-t-il encore les chrétiens de nos jours? Pourquoi donc investir notre temps, nos talents, nos efforts, pour chercher à inculturer la foi dans des contextes culturels éloignés du nôtre et, parfois, présentant des valeurs qui semblent diamétralement opposées aux nôtres?

2.2.3 Incitatifs pour notre temps

Nous vient pourtant cette injonction qui a parcouru des siècles avec succès et qui nous subjugue encore aujourd’hui: “Allez faites de toutes les nations (ethnies, groupes ethniques, groupes culturels) des disciples” (Matthieu 28/19). Cette phrase qui a motivé tant de chrétiens dans le passé a ouvert le chemin afín que foi et culture puissent se rencontrer de façon fructueuse. C’est cette requête même, remplie de puissance et

d’espérance, qui réussit à motiver de nos jours les uns et les autres dans ce travail encore inachevé. De fait, la promesse prévaut jusqu'à la fin du monde: “...cette Bonne Nouvelle du Royaume sera prêchée dans le monde entier pour servir de témoignage à toutes les nations. Alors viendra la fin...” (Matthieu 24/14).

Nous l’avons vu précédemment, l’aspect religieux omniprésent en chaque culture doit être perçu comme une préoccupation ultime qui entraîne dans son sillage une

la culture y occupe une place irréductible. Dans certaines cultures, il sert de pierre angulaire à tout l’édifice des visions du monde. Certaines cultures ont vu le jour, dans !’histoire, sur des bases purement religieuses. Qu’on pense à la Nouvelle-Angleterre et pourquoi pas même à la Nouvelle-France à leurs débuts. Sur quoi ces colonies se sont- elles basées à leur départ? Sûrement pas, uniquement, sur des bases économiques! A quoi faisons-nous référence pour situer toute la dimension de l’identité? Le coté religieux faisait partie intégrante de la collectivité; il représentait une sorte de “matrice culturelle”9. Ces bases représentaient un véritable vecteur pour l’identité culturelle10 11. Ce que nous cherchons à dire, c’est simplement que si la religion est cette dimension de profondeur qui semble n’échapper à aucune culture, alors il n’y a pas de fonction ou de domaines profanes qui ne fassent pas l’objet d’une évangélisation.

Tous les hommes sont sans exception destinataires du message. Cette universalité tient tant de la nature du message lui-même que de la nature humaine. D’une part, la consigne expresse de Christ institue chaque être humain comme destinataire11. Il s’adresse à tous, sans aucune exclusion. Il est destiné aux hommes et aux femmes “de toute langue, de toute condition, de toute race et de toute nation”. D’autre part, Catechesi Tradendae nous enseigne que tout homme, parce qu’il est créature de Dieu, a une

9. Raymond Lemieux, Jean-Paul Montminy, Le catholisisme québécois, Québec, Les Éditions de l’IQRC, 2000, p. 17.

10. Idem., p. 36.

prédisposition au désir de connaître le message du Christ. Cette quête de Dieu est

présente en lui même de manière inconsciente et parfois malgré les apparences. S’il en est ainsi, rien ne peut justifier qu’on lui refuse Γannonce du message tout en lui

reconnaissant sa part de liberté quant à la réception qu’il en fait. De là, l’importance primordiale d’une bonne compréhension tant de l’évangile que des cultures en vue d’une bonne transmission du message. C’est dire la lourde responsabilité de celui qui porte l’évangile à un peuple (où une culture propre tient lieu) qui ne l’a pas encore entendu.

Ainsi donc, vu la destination universelle du message reposant sur un désir naturel de Dieu qui prédispose tout humain à entendre le message de la Bonne Nouvelle, ce message vient rejoindre une quête et une attente de Dieu en l’homme12. Cette annonce vient révéler ce qui secrètement est cherché. C’est bien ce que Paul put découvrir chez les Athéniens de l’aréopage: “...ce que vous adorez sans le connaître, je viens vous

l’annoncer...” (Ac. 7/23).

L’inculturation se trouve ainsi fondé théologiquement. Ses fondements sont avant tout scripturaires.

L’inculturation peut se voir comme une réalité concomitante au processus

d’expansion du message divin13. Elle est une exigence de son universalisme. L’Église ne sera une que dans la mesure où elle aura intégré tous les peuples de la terre avec leurs

12. Idem., p. 66.

13. Jean de Dieu Mvuanda, Inculturer pour évangéliser en profondeur, New-York, Éditions Peter Lang, 1998, p. 221.

particularités. Ainsi donc, puisque le message dans toute sa richesse transcende tous les moyens d’expressions culturelles, la doctrine de la foi qui en découle peut prendre corps dans chaque culture et lui donner un contenu chrétien.

Il n’y a pas d’évangile “non inculturé”! Un christianisme préexistant à la culture, sans attaches culturelles, cela n’existe pas. Concrètement, par le processus

d’évangélisation, va s’opérer la rencontre d’un évangile déjà inculturé avec d’autres cultures. Destiné à tous les hommes, le message est toujours ouvert à de nouvelles

inculturations dans un monde en mouvement qui requiert la nouveauté. Le christianisme est donc appelé à vivre sans cesse la rencontre avec de nouvelles situations culturelles tant et aussi longtemps que la consommation des siècles n’est pas venue. Ce processus est inachevable car l’évangile est bel et bien un message pour l’humanité, à toutes les ethnies {ta ethne).