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2.1 S’il tient compte de la contextualité

2.1.3 Évangile: phénomène culturel

L’évangile demeure Bonne Nouvelle tout en devenant un phénomène culturel par l’adoption et l’intégration du système de sens de la culture en question, lui permettant d’apporter des expressions originales à la vie chrétienne, à partir de sa tradition vivante (contextualisation)4.

Le processus d’inculturation implique donc de discerner les valeurs de la nouvelle culture et, par la suite, de prendre appui sur elles. À partir des valeurs acceptables (d’où le nécessaire discernement), peut alors s’échafauder un dialogue fructueux entre foi et culture pour un mutuel enrichissement5. Cette capacité d’assumer les richesses culturelles compatibles avec la foi permet de “guérir” et de transformer les modes de pensée ou les styles de vie en désaccord avec le Royame de Dieu6. C’est au sein du dialogue que la vérité de la foi trouve à s’énoncer et que la Tradition chrétienne s’enrichit tout comme elle enrichit les cultures. Mais ce sont les cultures elles-même qui, au contact du message évangélique, font surgir de leur propre tradition vivante des expressions originales de vie

3. Idem, p. 128.

4. Idem., p. 125.

5. André Fossion, La catéchèse dans le champ de la communication, ses enjeux pour l’inculturation de la foi, Paris, Les Éditions du Cerf, 1990, p. 118.

et de pensées chrétiennes. Ces expressions dès lors, sont le fruit d’une volonté réciproque dans un dialogue ouvert. La pertinence du message chrétien ne peut être reconnue que de l’intérieur de la culture7. Elle devient alors une donnée de l’expérience.

Voilà la logique de l’inculturation. De cette logique découlent des questions inévitables. Comment le message chrétien vient-il rejoindre l’expérience humaine? Quels sont les points de passage entre une prise en compte des données de l’expérience humaine et “l’assentiment” au message évangélique?8 Ces questions ne trouvent leur réponse que dans une contextualisation du message. En partant de l’humain tel qu’il est, dans chacun de ses contextes de vie. Tout individu au sein de sa culture devrait être capable de

comprendre le message non pas comme une simple présentation ayant un sens pour celui qui l’annonce, mais comme un défi pour lui, le défi de faire sens dans ses mots à lui.

Toute ambition d’inculturer l’évangile, dans la logique de la contextualisation, doit partager les questions, les angoisses et les espérances des hommes9. C’est à partir des situations et des questions humaines, des valeurs culturelles et du langage qui les porte, que le travail se continue. S’ensuit une compréhension toujours à approfondir des aspirations, des structures de pensée, des forces qui y sont à l’oeuvre, sinon le message risque de ne prendre aucun sens ou bien un sens autre que celui visé.

7. André Fossion, op.cit., p. 205.

8. Ibid.

À partir de quel présupposé de base, un travail comme celui-ci se justifie-t-il? Nous croyons que toutes les réalités humaines et les aspirations au coeur de l’homme sont en attente de la révélation de Dieu et du salut en Jésus-Christ. De même que le Christ s’est incarné dans la culture de son peuple, de même qu’il a assumé toutes les réalités

humaines pour annoncer la Bonne Nouvelle “du dedans” de ces réalités, ainsi

l’inculturation, dans son volet contextualisation, doit commencer par assumer tout le concret, toute la vie, tout le langage, afin d’annoncer de manière pertinente le message évangélique10 11. Comment y parvenir sans être près de la vie quotidienne, notamment près de la pensée traditionnelle, comment y parvenir sans chercher à comprendre le sens des images et proverbes entendus, en restant étranger à la logique et au mode de raisonnement des aînés? Il y a là, partout, une richesse culturelle à ne pas négliger dont il faut apprendre et respecter les codes.

C’est en se penchant sur l’expérience humaine vécue dans la culture qu’on peut découvrir les signes {semina verbi) qui disposent à l’écoute de l’évangile. Pour rencontrer l’homme, Dieu choisit des réalités vécues pour l’homme et en fait des signes11. Le

psalmiste évoque à sa façon, dans le psaume dix-neuf, comment les deux “racontent” la gloire de Dieu et comment son étendue manifeste (rend apparent, accessible) l’oeuvre de ses mains. À partir de ces ouvrages, Dieu laisse une trace indélébile de sa personne. Tout

10.Idem., p. 207.

comme on peut dire de Jésus qu’il est le reflet de la gloire de Dieu et comme Y empreinte de sa personne; de même trouve-t-on dans la création (de Dieu et des hommes) des empreintes, des signes de lui. Sous un autre angle, Beaudelaire, ce poète symboliste tente de démontrer qu’entre la nature et nous il y a des correspondances, des affinités latentes, des “identités” mystérieuses et que l’homme peut être le moyen d’union entre le naturel et le spirituel:

La nature est un temple où de vivants pilliers laissant parfois sortir de confuses paroles;

l’homme y passe à travers des forêts de symboles qui l’observent avec des regards familiers.12

La contextualisation, qui prend en compte les réalités culturelles, accueillera ces dites réalités en prenant soin de bien les interpréter et en cherchant à les réintégrer dans la culture sous forme d’enseignements religieux, par exemple. Elle le fait à l’image même du Seigneur Jésus nous enseignant par ses paraboles. La parabole du Samaritain, en Luc 10/25-37, ne nous renvoie-t-elle pas à une réflexion profonde sur le sens de l’entraide communautaire? De fait, quiconque se laisse imprégner de cette parole ne peut rester insensible à l’autre; encore plus si ce dernier est issu du même contexte. Donnons un autre exemple précis: le sens africain de la communauté étant reconnu, accueilli, interprété, sera réintégré, mis en valeur et orienté vers la “participation au peuple de Dieu”. En fait, le contrôle est exercé par la communauté elle-même. C’est à la

communauté de savoir qui elle veut accueillir:

Le but de ces communautés, c’est bien sûr de partager la Parole de Dieu. C’est absolument nécessaire que les chrétiens le fassent pénétrer dans leur vie, selon leur culture propre (...) Plus largement, la communauté anime les différentes étapes de la vie: naissance, maladie, mort. Autant de choses qui sont vécues et réfléchies en communauté.13

C’est ainsi que l’Église s’édifie dans le champ social et s’enrichit de l’apport de nouveaux croyants. Du dedans de leur situation socio-culturelle, ceux-ci découvrent et s’approprient le message, dans une position telle qu’eux-mêmes, de manière active et responsable, procèdent à l’inculturation de leur prore foi en devenir. En aucun moment s’agit-il d’obliger à accepter une forme de christianisme qui leur serait étrangère et qui ne cadrerait pas avec leur façon d’être dans le monde14. L’étude approfondie et critique de leurs coutumes religieuses ainsi que le contact vivant avec leurs habitudes révéleront leurs besoins culturels fondamentaux et fourniront les éléments nécessaires pour l’élaboration d’un culte chrétien vivant et adapté15.

Dans cette perspective, ayant réfléchi sérieusement sur les valeurs traditionnelles, une théologie nourrie de la foi et nourrissant la foi se développera16. Tel est le cycle de l’inculturation: la Parole produit la foi, la foi se confesse dans le culte, le culte se

13. Jean-Marc Ela, Voici le temps des Héritiers, Paris, Éditions Karthala, 1982, p. 46-47.

14. Jean de Dieu Mvuanda, Inculturer pour évangéliser en profondeur, New-York, Paris, Éditions Peter Lang, 1998, p. 140.

15. Ibid.

prolonge dans P existence, et P existence se nourrit de la Parole17.

C’est toujours en référence constante à cette expérience que s’élabore cette théologie, elle pourra alors être dite “inculturée”. Sinon l’évangélisation risque de demeurer superficielle, ou pire, prisonnière d’une conception colonisée:

Une évangélisation qui n’unit pas la foi à la vie réelle, ni ne sait insérer dans son discours sur Dieu les multiples formes des drames de l’existence, finit par aliéner et perdre tout intérêt historique; elle n’a presque rien à dire car elle ne prend pas au sérieux ce qui rend la vie sérieuse et importante.18

La contextualisation veut que les thèmes fondamentaux de la théologie (l’alliance avec Dieu en Jésus-Christ, la vie nouvelle en Jésus-Christ, le salut en Jésus-Christ, l’union à Jésus-Christ et à l’Église, la sanctification et la marche chrétienne persévérante)

puissent se traduire et se dire dans des termes appartenant à la culture. Voilà une théologie qui se nourrit d’une contextualisation bien appliquée produisant une inculturation authentique.