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Le risque socioéconomique et psychosocial chez les mères inuites durant l'année postnatale et ses effets sur le développement du nourrisson à 12 mois

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Academic year: 2021

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Le risque socioéconomique et psychosocial chez les

mères inuites durant l’année postnatale et ses effets

sur le développement du nourrisson à 12 mois

Thèse

Stéphanie Fortin

Doctorat en psychologie – Recherche et intervention - Orientation

clinique

Philosophiae doctor (Ph. D.)

Québec, Canada

© Stéphanie Fortin, 2017

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Le risque socioéconomique et psychosocial chez les

mères inuites durant l’année postnatale et ses effets

sur le développement du nourrisson à 12 mois

Thèse

Stéphanie Fortin

Sous la direction de :

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Résumé

La Commission de vérité et de réconciliation (CVR) a dénoncé d’anciennes politiques assimilatoires envers les Autochtones dans lesquelles les pensionnats ont joué un rôle central en excluant les parents du développement de leurs enfants. Appliquées plus tardivement aux Inuits, ces politiques ont provoqué de profonds traumatismes collectifs dont les séquelles persistent à travers les piètres conditions de vie, la prévalence de problématiques destructrices et la surreprésentation des enfants dans le système de protection de l’enfance. C’est dans ce contexte que la présente thèse examine différentes difficultés socioéconomiques et psychosociales de 176 mères inuites du Nunavik durant l’année postnatale en tant que facteurs pouvant constituer un risque pour le développement optimal du nourrisson à 12 mois. Dans le premier article, l’adversité postnatale vécue par ces mères est décrite selon une approche épidémiologique en documentant la prévalence de facteurs de risque socioéconomiques (âge, éducation, monoparentalité, emploi, aide sociale) et psychosociaux (détresse psychologique, comportements suicidaires, violence conjugale, consommation de drogues, abus d’alcool) et en identifiant des profils de risque. Les résultats indiquent que la majorité des mères rapportent plusieurs facteurs de risque pouvant nuire à leur bien-être durant une période développementale charnière chez l’enfant. À partir de ces risques, 4 conditions dichotomiques (précarité socioéconomique, détresse, violence conjugale et utilisation de substances) sont créées et intégrées aux analyses de classes latentes. Elles mettent en évidence 3 profils. Le premier comprend des mères ne présentant peu ou pas de risques (30,8%) ; les deuxième et troisième incluent des mères susceptibles de vivre de la détresse, mais pour des raisons différentes (69,2%). Le deuxième profil regroupe des mères monoparentales sujettes à un stress socioéconomique (40,1%) tandis que le troisième profil compte des mères financièrement moins en difficulté, mais qui évoluent dans une relation conjugale violente et tendent à consommer des drogues ou à abuser de l’alcool (29,1%). Ces résultats suggèrent que les programmes périnataux au Nunavik devront adresser les besoins potentiellement différents de ces 2 groupes de mères pour favoriser leur bien-être et celui de leur enfant. Dans le second article, l’examen des associations directes des facteurs de risque maternels avec le développement du nourrisson à 12 mois et des associations indirectes via un processus d’altération de la qualité de l’environnement familial est réalisé. Comme la

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majorité des participantes expérimentent plusieurs risques, le lien entre le cumul de facteurs de risque et le développement est aussi examiné. Aucun des modèles n’indique de lien direct entre le cumul de risques et le développement ou de relation indirecte via la qualité de l’environnement familial. Toutefois, certains risques maternels tels que ne pas avoir d’emploi, être peu scolarisé, avoir déjà tenté de se suicider et avoir consommé de la drogue durant l’année postnatale sont directement associés (ß  -0,27) à des indicateurs psychomoteurs et cognitifs de développement à 12 mois. La qualité de l’environnement familial présente aussi des liens directs (ß  0,16) avec le développement psychomoteur et cognitif dans certains modèles. Cette étude ne corrobore pas l’hypothèse postulant que le développement est affecté par le fardeau croissant de stress résultant de l'augmentation du nombre de risques. Elle suggère plutôt que certains risques socioéconomiques et psychosociaux présents durant l’année postnatale, peuvent favoriser l’identification des nourrissons les plus vulnérables, c’est-à-dire ceux dont le développement psychomoteur et cognitif optimal est le plus menacé. Nous estimons que les risques influençant négativement le développement dans cette étude constituent des indicateurs d’un malaise de longue date continuant de s’actualiser dans la vie des mères. Même si l’année postnatale est reconnue comme charnière pour le développement, cette thèse démontre l’importance de s’intéresser à des stresseurs chroniques, présents avant la naissance de l’enfant chez les Inuits. Les traumatismes historiques, dont les effets se transmettent aux générations subséquentes, constituent des stresseurs chroniques, pouvant nuire aux processus de résilience des mères et les amener à répéter des comportements inadéquats vécus dans leur passé. La CVR recommande d’ailleurs la mise en place de programmes de formation et de soutien parentaux adaptés à la culture afin d’aider les parents victimes des conséquences de l’oppression culturelle passée. La présente thèse soutient empiriquement de tels programmes en montrant que la qualité de l’environnement familial prodiguée par les mères inuites est associée à un meilleur développement précoce chez le nourrisson.

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Table des matières

Résumé ... iii

Liste des tableaux ... viii

Liste des figures ... ix

Remerciements ... x

Avant-Propos ... xii

Chapitre 1. Introduction générale ... 1

1.1 Les traumatismes historiques des peuples autochtones du Canada ... 1

1.1.1 La construction des inégalités à travers l’histoire ... 2

1.1.1.1 La Loi sur les Indiens ... 2

1.1.1.2 Le système de pensionnats destinés aux enfants autochtones ... 3

1.1.2 Le contexte actuel en réponse aux traumatismes historiques ... 4

1.1.2.1 Les réponses aux traumatismes historiques ... 5

1.1.2.1.1 Les effets intergénérationnels : l’exemple des pensionnats autochtones ... 5

1.1.1.1.2 Les réponses contemporaines ... 6

1.1.1.1.2.1 Les inégalités socioéconomiques et psychosociales ... 7

1.1.1.1.2.2 Effets négatifs sur les compétences parentales ... 8

1.2 Les traumatismes historiques des Inuits au Canada ... 9

1.2.1 Un aperçu sur des traumatismes historiques intenses et récents ... 10

1.2.2 Le contexte actuel en réponse aux traumatismes historiques ... 12

1.2.2.1 Les pathologies sociales chez les Inuits du Nunavik ... 13

1.2.2.1.1 Adversité socioéconomique ... 13

1.2.2.1.2 Adversité psychosociale ... 14

1.2.2.2 La perturbation des processus familiaux et parentaux traditionnels... 16

1.2.3 La situation actuelle des enfants inuits du Nunavik ... 16

1.2.3.1 Compromission de la sécurité et du développement ... 17

1.3 Le risque et le développement de l’enfant ... 18

1.3.1 Facteurs de risque et vulnérabilité de l’enfant à travers son développement ... 18

1.3.2 La nature du risque et le développement de l’enfant ... 19

1.3.2.1 Le risque de nature socioéconomique ... 19

1.3.2.2 Le risque de nature psychosociale ... 20

1.3.3 Le nombre de risques cumulés et le développement de l’enfant ... 21

1.3.3.1 L’approche par cumul de risques... 22

1.3.3.2 Cumul de risques et développement de l’enfant ... 22

1.4 Processus de transmission du risque du parent à l’enfant ... 23

1.4.1 Altération de la qualité de l’environnement prodigué par le parent à l’enfant ... 24

1.4.1.1 Le fonctionnement réflectif ... 24

1.4.1.2 Le stress parental ... 25

1.5 Le risque et le développement de l’enfant autochtone ... 27

1.5.1 L’influence de l’aspect culturel ... 27

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1.5.2.1 Notre étude ... 29

1.6 Les objectifs de la thèse ... 30

Chapitre 2. Article empirique 1 : Socioeconomic and Psychosocial Adversity in Inuit Mothers from Nunavik during the First Postpartum Year ... 32

Résumé ... 34

Abstract ... 35

2.1 Introduction ... 36

2.2 Methods ... 39

2.2.1 Participants ... 39

2.2.2 Instruments and variables ... 40

2.2.3 Statistical analysis... 41

2.4 Results ... 43

2.5 Discussion ... 45

2.6 Conclusions ... 48

References ... 50

Chapitre 3. Article empirique 2 : Le risque socioéconomique et psychosocial chez les mères inuites du Nunavik durant l’année postnatale et le développement du nourrisson à 12 mois ... 61 Résumé ... 63 3.1 Introduction ... 64 3.2 Méthode ... 69 3.2.1 Participants ... 69 3.2.2 Procédures ... 70 3.2.3 Instruments et variables ... 71

3.2.3.1 Instruments auprès des mères ... 71

3.2.3.1.1 Indice de Détresse Psychologique de l’Enquête Santé Québec . 72 3.2.3.1.2 Les tentatives de suicide au cours de la vie ... 72

3.2.3.1.3 Conflict Tactics Scales ... 72

3.2.3.1.4 Indicateur de consommation d’alcool et de drogues durant l’année postnatale ... 73

3.2.3.1.5 Indice de cumul de risques ... 73

3.2.3.1.6 Home Observation for Measurement of the Environnement... 73

3.2.3.2 Instruments auprès des nourrissons ... 74

3.2.3.2.1 Bayley Scales of Infant Development-II ... 74

3.2.3.2.2 Fagan Test of Infant Intelligence (FTII-II) ... 75

3.2.4 Analyses statistiques ... 76

3.2.4.1 Variables confondantes... 76

3.2.4.2 Modèles d’analyses... 76

3.2.4.3 Rééchantillonage par bootstrap ... 77

3.2.4.4 Les données manquantes ... 77

3.3 Résultats... 77

3.3.1 Résultats descriptifs ... 77

3.3.2 Modèle de médiation ... 78 3.3.2.1 Médiation par la qualité de l’environnement prodiguée par la mère 79

(7)

3.3.2.2 Prédiction du développement par les facteurs de risque

socioéconomiques ... 79

3.3.2.3 Prédiction du développement par les facteurs de risque psychosociaux ... 79

3.3.2.4 Prédiction du développement par la qualité de l’environnement familial prodiguée par la mère ... 80

3.3.2.5 Prédiction du développement par le cumul de risques ... 80

3.4 Discussion ... 80

3.4.1 Médiation par la qualité de l’environnement familial prodiguée par la mère ... 80

3.4.2 Associations directes avec le développement ... 82

3.4.2.1 Qualité de l’environnement familial prodiguée par la mère ... 82

3.4.2.2 Risques socioéconomiques et psychosociaux... 82

3.4.3 Forces de l’étude ... 85

3.4.4 Implications et conclusion ... 85

Références ... 87

Annexe ... 104

Chapitre 4. Discussion générale ... 109

4.1 Remise en contexte ... 109

4.2 Résumé des études empiriques de la thèse ... 110

4.2.2 Risques socioéconomiques et psychosociaux chez les mères inuites durant l’année postnatale et le développement du nourrisson à 12 mois ... 112

4.3 Contributions de la thèse au contexte actuel ... 113

4.4 Forces et limites ... 117

4.5 Orientations futures et recommandations ... 118

(8)

Liste des tableaux

Liste des tableaux dans l’article 1

Tableau

1. High-risk conditions during the postpartum year

.………... 57 2. Demographic and psychosocial characteristics of the Inuit mothers in the postnatal

year

... 58 3. Correlations among psychosocial risk factors

... 59

Liste des tableaux dans l’article 2

Tableau

1. Description de la composition de l’index de cumul de risque

………...………..…... 98 2. Caractéristiques des participants (n = 176)

....………... 99

Liste des tableaux dans l’annexe de l’article 2

Tableau

A1. Associations directes et indirectes entre les facteurs de risque socioéconomiques, le HOME et le développement du nourrisson à 12 mois

………... 104 A2. Associations directes et indirectes entre les facteurs de risque psychosociaux, le

HOME et le développement du nourrisson à 12 mois

………... 106 A3. Associations directes et indirectes entre le cumul de risques, le HOME et le

développement du nourrisson à 12 mois

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Liste des figures

Liste des figures dans l’article 1

Figure

1. Risk profiles in Inuit mothers (N = 176). The proportions reported are for the latent classes based on the estimated model. They represent the probability of being in the risk group for each risk condition

... 60

Liste des figures dans l’article 2

Figure

1. Phénomène d'attrition de la phase de recrutement à la fin de la collecte de données à 12 mois

………... 101 2. Modèle d’analyse représentant le lien direct et indirect

………... 102 3. Distribution de la proportion de participantes (N=176) selon le nombre de risques

cumulés à l’Indice de cumul de risques

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Remerciements

Je tiens tout d’abord à remercier ma directrice de thèse, Dre Gina Muckle. Malgré quelques moments de dérive, Gina est demeurée confiante et optimiste quant ma capacité de mener à terme ce projet de thèse de belle façon. Ses connaissances sur le thème, ses conseils éclairants, sa disponibilité, sa grande rigueur arrimée à beaucoup de patience m’ont permis de maintenir le cap durant un long voyage qui a commencé il y a près de 8 ans et qui s’achève maintenant. Je suis aussi extrêmement reconnaissante envers Nadine Forget-Dubois, dont le soutien scientifique, pédagogique et moral m’a permis de parcourir les derniers kilomètres de ce voyage tout en évitant les écueils.

Je souhaiterais également souligner la contribution des membres de mon comité de thèse. Merci à Dre Ginette Dionne d’avoir pris le temps de me lire avec autant de soin et de m’avoir fait des suggestions qui m’apparaissaient toujours claires. Merci aussi à Dr Georges Tarabulsy pour ses judicieux commentaires et sa capacité à détendre lors de mes présentations.

Un merci spécial à toutes les mères et les enfants inuits du Nunavik qui ont eu confiance et qui ont généreusement accepté de partager avec notre équipe un peu de leur quotidien et de leur histoire. Sans vous, ce projet de thèse n’aurait jamais pu voir le jour. J’aurais vraiment aimé vous rencontrer et vous témoigner ma gratitude de vive voix, mais cela n’a malheureusement pas été possible pour des raisons logistiques. J’ai toutefois un peu appris à vous connaître à travers les récits des professionnels de recherche de notre équipe qui vous ont rencontrés à plusieurs reprises. Je les remercie d’ailleurs de m’avoir partagé leurs expériences et d’avoir rendu ces colonnes monochromes de chiffres plus humaines dans mon esprit.

Je veux remercier les gens de l’axe Santé des Populations et Pratiques Optimales en Santé de m’avoir accueillie dans leur équipe. Plus particulièrement, merci d’abord à Dre Jocelyne Gagnon qui a été une référence incontestable pour moi en ce qui a trait à la collecte et aux données de l’étude. Avant de quitter l’équipe pour se consacrer à son rôle de

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grand-maman, Jocelyne était comme « ma maman de recherche » avec qui j’aimais beaucoup discuter. Merci aussi à Dr Olivier Boucher et Dre Sarah Fraser qui ont été des modèles pour moi et qui m’ont offert leur aide de façon ponctuelle.

Je souhaite aussi souligner l’aide financière reçue des Fonds de recherche en santé du Québec, des Instituts de Recherche en Santé du Canada et du Centre Nasivvik dans le cadre de ce projet. Sans cette aide, la conciliation travail-études aurait été plus que complexe durant mes études doctorales.

Merci également à mes superviseurs cliniques qui m’ont donné la piqure pour la pratique de la psychologie de sorte que j’ai eu envie d’aller jusqu’au bout pour pouvoir faire ce magnifique métier. Je souhaite tout particulièrement reconnaitre l’accompagnement et le soutien que m’ont offert Louise Towner, Marie-Claude Hébert et Noël Montgrain durant mon cheminement universitaire.

Finalement, je souhaite remercier tous mes proches qui ont contribué de près ou de loin à la réussite de ce projet de thèse. Un énorme merci à mes parents, Carole Bolduc et Yves Fortin, pour leur patience, leur compréhension et leur soutien durant mes études. Merci à mes compagnes Emmanuelle et Élodie qui rendaient ma rédaction plus agréable et plus sympathique dans le dernier droit. Merci à mes amis et collègues arbitres de soccer qui m’ont permis de conserver un esprit sain dans un corps sain durant les 6 dernières années. Merci à France Fortin et Dominic Barrieau pour leur soutien dans la rédaction de mon premier article en anglais. Merci à Enzo et Tim pour leur présence des derniers mois. Merci à Lyes qui voulait autant que moi que j’accomplisse avec succès ce projet. Ton aide m’aura été précieuse jusqu’au dernier mot. Merci à tous ceux qui ont toujours cru en moi.

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Avant-Propos

L’auteure principale du présent projet de thèse est Stéphanie Fortin, doctorante en psychologie. Sous la supervision de sa directrice de thèse, Gina Muckle, Ph.D., Mme Fortin a procédé à la rédaction de chacune des sections de la thèse en plus de celle des deux articles empiriques. Elle a également réalisé les analyses statistiques ainsi que leur interprétation avec le soutien de Nadine Forget-Dubois, Ph.D., du Centre de recherche du CHU de Québec, axe Santé des Populations et Pratiques Optimales en Santé. Dre Gina Muckle a aussi collaboré à l’interprétation des résultats et la révision du document entier de thèse en raison de son expertise en recherche et de sa longue expérience auprès de la population inuite du Nunavik.

Le premier article de la thèse « Socioeconomic and Psychosocial Adversity in Inuit Mothers from Nunavik during the First Postpartum Year » a fait l’objet d’une publication dans édition spéciale consacrée aux Inuits du Journal of Aboriginal Health, paru à l’été 2015. Le second article intitulé « Le risque socioéconomique et psychosocial chez les mères inuites du Nunavik durant l’année postnatale et le développement du nourrisson à 12 mois » n’est quant à lui pas publié.

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Chapitre 1.

Introduction générale

1.1 Les traumatismes historiques des peuples autochtones du Canada

Le Canada compte une population de plus de 1,4 million d’Autochtones issus de trois nations : les Premières Nations (61%), les Inuits (4%) et les Métis (32%)1 (Kelly-Scott & Smith, 2015). Ces nations se distinguent par leurs caractéristiques sociales, culturelles et génétiques, mais elles partagent des expériences historiques et contemporaines similaires (Brave Heart, Chase, Elkins, & Altschul, 2011; Ministère des Affaires autochtones et du Nord Canada, 2015). Leurs histoires sont toutes marquées par d’anciennes politiques assimilatoires dans lesquelles les pensionnats autochtones ont joué un rôle central en excluant les parents du développement de leurs enfants (Chasonneuve, 2007; Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015a). Suite à ces politiques, ces nations ont expérimenté de profonds traumatismes collectifs qui ont affecté leur qualité de vie et la transmission du savoir parental (Muir & Bohr, 2014; Roy, 2014). Aujourd’hui, les nations autochtones canadiennes portent encore les séquelles de ce passé traumatique qui contribuent à l’omniprésence d’inégalités entre Autochtones et non-Autochtones, à la forte prévalence de problématiques destructrices telles que l’abus de substances, le suicide et la violence ainsi qu’à la surreprésentation des enfants autochtones dans le système de protection de l’enfance (Bombay, Matheson, & Anisman, 2014; Brown-Rice, 2013; Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015c; Unicef Canada, 2009).

La présente thèse porte sur différents facteurs socioéconomiques et psychosociaux chez les Inuits en lien avec le développement de l’enfant. L’Étude canadienne sur l’incidence des signalements a confirmé le rôle important de tels facteurs dans les enquêtes sur la compromission de la sécurité et du développement des enfants de familles autochtones (Agence de santé publique du Canada, 2005). Toutefois, ces facteurs ainsi que leurs influences ne peuvent être véritablement compris sans tenir compte du contexte

1 Le reste n’ont pas déclaré leur appartenance à une nation spécifique (2%) ou ont précisé

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historique dans lequel ils s’inscrivent.

1.1.1 La construction des inégalités à travers l’histoire

Au cours de l’histoire du Canada, les peuples autochtones ont vécu d’importants préjudices dont plusieurs vont à l’encontre des droits universels de l’homme (Chasonneuve, 2007; Organisation des Nations Unies, 1948). Pendant plus d’un siècle, ils ont subi un ensemble de politiques gouvernementales visant la destruction délibérée de leur culture, incluant leurs langues, leurs croyances, leurs coutumes et leurs traditions spirituelles (Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015a). La Loi sur les Indiens adoptée en 1876 et l’établissement en 1894 d’un système de pensionnats destinés aux enfants autochtones figurent parmi les plus importantes politiques de génocide culturel2 du Canada (Chasonneuve, 2007; Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015a; Wesley-Esquimaux & Smolewski, 2004).

1.1.1.1 La Loi sur les Indiens. La Loi sur les Indiens adoptée en 1876 est une

politique paternaliste visant le contrôle et l’assimilation des peuples autochtones (Ministère des Affaires autochtones et du Nord Canada, 1996, 2011). Comme l’exprime clairement le sous-ministre aux Affaires indiennes de l’époque Duncan Campbell Scott, son objectif principal est « qu’il n’y ait plus un seul Indien au Canada qui n’ait pas été absorbé par la société et jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de question indienne ni de département des Affaires indiennes » (Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015a, pp. 57).

La Loi sur les Indiens inclut différents articles qui définissent les personnes possédant le statut « d’Indien ou de sauvage », placent les peuples autochtones sous la tutelle de l’état et limitent ou résilient plusieurs de leurs droits. En vertu de cette loi, le gouvernement canadien abolit les formes de gouvernances autochtones traditionnelles et les remplace par une structure qu’il détermine et dirige. Il peut aussi administrer les terres, les ressources et

2 Même s’il n’est pas reconnu par la Convention pour la prévention et la répression du crime

de génocide de l’Organisation des Nations Unies, la notion de génocide culturel est employée par la Commission de vérité et réconciliation du Canada pour qualifier la politique indienne du 19e et 20e siècle : « Un génocide culturel est la destruction des structures et des pratiques

qui permettent au groupe de continuer à vivre en tant que groupe » (Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015a, pp. 1).

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l’argent des Autochtones, contrôler certaines de leurs activités et promouvoir les valeurs de la culture dominante au sein de leurs collectivités (Ministère des Affaires autochtones et du Nord Canada, 1996, 2011). La Loi sur les Indiens fait en sorte que les Autochtones sont susceptibles d’être déportés de leurs terres; ils ne peuvent plus quitter librement les réserves ni voyager à l’extérieur de celles-ci ; ils n’ont pas le droit de contracter un prêt hypothécaire; ils ne peuvent pas vendre leurs produits agricoles ni ceux de la chasse ou la pêche en dehors des réserves ; il leur est interdit de consommer de l’alcool, de voter et de pratiquer leurs cérémonies spirituelles (Chasonneuve, 2007; Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015a; Wesley-Esquimaux & Smolewski, 2004). En 1920, un amendement à la Loi des Indiens permet aussi au gouvernement canadien de contraindre les parents autochtones à envoyer leurs enfants dans des pensionnats financés par l’état et dirigés par des communautés religieuses (Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015a).

1.1.1.2 Le système de pensionnats destinés aux enfants autochtones. La législation

sur l’établissement du système de pensionnats destinés aux enfants autochtones est officiellement adoptée par le gouvernement canadien en 1894. Le mandat de ce système va bien au-delà de l’éducation de l’enfant : il vise à « tuer l’Indien au sein de l’enfant » en excluant les parents, les familles et les communautés autochtones du développement de leurs enfants (Chasonneuve, 2007; Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015a).

Les pensionnats autochtones séparent les enfants de tous leurs repères affectifs et culturels afin qu’ils adhèrent au mode de vie européen et aux valeurs chrétiennes (Bombay et al., 2014; Ministère des Affaires autochtones et du Nord Canada, 2011). Les enfants sont forcés à vivre à l’extérieur des communautés, parfois loin de celles-ci, ce qui restreint et affaiblit les liens familiaux, car les contacts famille-enfant se font plutôt rares. Dès leur admission, les liens culturels sont également rompus, car les enfants sont privés du droit de parler leur langue natale, de porter leurs vêtements ou de participer à des activités traditionnelles, sous peine de sanctions disciplinaires coercitives et abusives (châtiment corporel excessif, l’humiliation et violence psychologique) (Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015a). Le fonctionnement des pensionnats autochtones s’inspire de celui des maisons de correction, ce qui fait en sorte que la discipline y est rude et le personnel adopte souvent une attitude froide et détachée à l’égard des enfants. Le manque de

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financement de bon nombre d’établissements fait en sorte que les besoins physiques des pensionnaires ne sont pas toujours comblés : par exemple, plusieurs pensionnats sont insalubres, non sécuritaires et surpeuplés et ne peuvent nourrir adéquatement les enfants. Ces piètres conditions de vie contribuent au décès de certains enfants lors d’épidémies et d’incendies (Bombay et al., 2014). De plus, la qualité de la formation dispensée dans les pensionnats est limitée, car les pensionnaires doivent régulièrement travailler sur les heures de classe et que le personnel enseignant est souvent peu ou pas du tout formé. Plusieurs employés de ces établissements infligent aussi des sévices sexuels aux enfants dont ils ont la charge (Brave Heart et al., 2011; Brown-Rice, 2013).

Le système de pensionnats s’est officiellement éteint après la fermeture de son dernier établissement en 1998 (Chasonneuve, 2007). Une analyse approfondie de son histoire et de son fonctionnement a récemment été dévoilée par la Commission de vérité et réconciliation du Canada (2015a). Elle a estimé la fréquentation de ces établissements à plus de 150 000 enfants, dont plusieurs proviennent de générations successives au sein de mêmes familles et de mêmes communautés. La Commission a également indiqué que les pensionnats autochtones ne peuvent pas être considérés comme de l’histoire ancienne, car leurs répercussions négatives persistent encore dans les sociétés autochtones actuelles (Bopp, Bopp, & Lane, 2003; Fast & Collin-Vézina, 2010; Wesley-Esquimaux & Smolewski, 2004). Ces répercussions ne transparaissent pas uniquement dans la vie d’anciens pensionnaires et de leur famille, mais elles se traduisent également dans le bien-être de collectivités entières.

1.1.2 Le contexte actuel en réponse aux traumatismes historiques

Il y a une reconnaissance croissante à l’effet que l’existence plus brève, plus pauvre et plus perturbée de nombreux Autochtones canadiens découle en partie des expériences traumatiques vécues au cours de leur histoire par leurs ancêtres (Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015c; Wesley-Esquimaux & Smolewski, 2004). Cette compréhension de l’adversité actuelle en tant que réponse aux traumatismes collectifs3

3 Pour répondre à la définition de traumatisme collectif (« massive group trauma »), un

évènement doit être répandu au sein d’un groupe ou d’une population spécifique, perpétré délibérément par des membres d’un autre groupe avec des intentions destructrices et générer un niveau élevé de détresse au sein du groupe victime (Evans-Campbell, 2008).

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expérimentés durant la colonisation rejoint la théorie du traumatisme historique élaborée par Brave Heart et DeBruyn (1998; Brave Heart, 2003). Cette dernière stipule que les peuples autochtones ont subi des traumatismes historiques4 dont les effets se transmettent par divers processus d’une génération à l’autre et contribuent ainsi à l’importance de diverses problématiques sociales actuelles. Selon Brave Heart et De Bruyn (1998), les séquelles psychologiques des traumatismes vécus par les peuples autochtones à travers l’histoire se sont accumulées, car elles n’ont jamais pu être pleinement réglées (Laliberté, 2007). En raison de l’étendue des traumatismes, de leur nature et de leur chronicité, les Autochtones ont difficilement pu mettre en branle des mécanismes sains de guérison, d’autant plus qu’ils ne pouvaient plus recourir à leurs cérémonies spirituelles et cathartiques (Brave Heart, 2011). Le résultat est une sorte de stress posttraumatique et de deuil pathologique à l’échelle collective, caractérisé par une détresse psychologique et sociale affectant les individus, les familles et les communautés de génération en génération par différents mécanismes biologiques et comportementaux (Crawford, 2014; Evans-Campbell, 2008; Walters et al., 2011).

1.1.2.1 Les réponses aux traumatismes historiques. Même si elle gagne en

popularité, la théorie du traumatisme historique est difficile à documenter empiriquement, notamment parce qu’il faudrait évaluer objectivement l’impact d’incidents ayant eu lieu dans un passé éloigné (Sotero, 2006; Walters et al., 2011). Seuls les effets intergénérationnels d’évènements traumatiques plus récents comme ceux liés aux pensionnats autochtones peuvent être utilisés dans le but de soutenir scientifiquement cette théorie (Bombay et al., 2014). En ce sens, plusieurs études ont commencé à examiner les répercussions des pensionnats non seulement auprès des survivants, mais aussi auprès de leurs enfants et de leurs petits-enfants.

1.1.2.1.1 Les effets intergénérationnels : l’exemple des pensionnats autochtones.

Une vaste enquête nationale sur la santé de 22 602 participants a d’abord rapporté que les survivants des pensionnats présentent un risque accru de souffrir de divers problèmes de santé

4 Un traumatisme historique est l’ensemble des blessures psychologiques non résolues,

provoquées par d’intenses traumatismes collectifs (« massive group trauma ») et cumulées à travers toute une vie et les générations précédentes (Brave Heart et al., 2011).

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physique et mentale comparativement aux Autochtones n’ayant pas fréquenté ces établissements (First Nations Centre, 2005). D’autres travaux ont par la suite démontré que les enfants et les petits-enfants des survivants sont aussi plus susceptibles d’avoir des comportements suicidaires (idéations suicidaires, tentatives de suicide et suicide) (Elias et al., 2012; Evans-Campbell, Walters, Pearson, & Campbell, 2012; First Nations Information Governance Centre, 2012), de présenter un niveau élevé de symptômes dépressifs (Bombay, Matheson, & Anisman, 2011), d’avoir des difficultés scolaires (reprendre un degré scolaire et avoir des problèmes d’apprentissage) et de vivre dans des conditions socioéconomiques défavorisées (Bougie & Senécal, 2010; First Nations Centre, 2005).

Pour expliquer les effets intergénérationnels découlant des pensionnats autochtones, Bombay et ses collaborateurs (2014) ont proposé différents mécanismes. Ils mentionnent qu’en privant les pensionnaires de modèles parentaux et en les soumettant à de multiples formes de maltraitance, les pensionnats ont empêché la transmission d’un savoir parental sain et ils ont induit des comportements parentaux négatifs (e.g. discipline abusive, violence familiale), qui se sont transmis aux générations subséquentes (Evans-Campbell, 2008; First Nations Information Governance Centre, 2012; Muir & Bohr, 2014). Ils suggèrent aussi que par un mécanisme appelé la prolifération intergénérationnelle du stress, le stress parental des survivants a pu accroître l’exposition aux stresseurs chez leurs descendants en les soumettant à des conditions sociales adverses ainsi qu’en affectant les comportements parentaux à leur endroit (Thoits, 2010). De plus, ils mentionnent que des dérèglements biologiques (axe hypothalamo-pituitaire-surrénal et neurochimie des régions limbiques et frontales du cortex cérébral) engendrés par un stress prénatal ou précoce dans le développement ont aussi pu vulnérabiliser les descendants des survivants aux risques en accroissant leur réactivité physiologique et psychologique aux stresseurs (Anisman, Merali, & Heyley, 2008). Bref, l’ensemble de ces mécanismes a fait en sorte que les séquelles des traumatismes historiques vécues par les peuples autochtones continuent de miner la qualité de vie et le bien-être actuel des individus, des familles et des communautés de multiples façons (Evans-Campbell, 2008).

1.1.1.1.2 Les réponses contemporaines. Pour plusieurs, le contexte actuel des

Autochtones au Canada est en partie le reflet de séquelles associées aux traumatismes coloniaux, mais aussi celui de la discrimination que ce peuple continue de vivre (Commission

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de vérité et réconciliation du Canada, 2015c; Evans-Campbell, 2008; Ministère des Affaires autochtones et du Nord Canada, 1996; Unicef Canada, 2009; Walters et al., 2011). Ce contexte est marqué par de multiples inégalités entre Autochtones et non-Autochtones, par une importante prévalence de pathologies sociales ainsi que par la détresse de nombreux parents et familles dont témoigne la surreprésentation des enfants autochtones dans le système de protection de l’enfance (Bombay et al., 2014; Brave Heart & DeBruyn, 1998; Brave Heart, 2003; Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015c; Unicef Canada, 2009).

1.1.1.1.2.1 Les inégalités socioéconomiques et psychosociales. Après avoir passé 9

jours dans les communautés autochtones de six provinces canadiennes, le rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits des Autochtones, M. James Anaya, a déclaré : « le Canada se classe constamment parmi les meilleurs pays pour son indice de développement humain, et pourtant, malgré la richesse et la prospérité, les peuples autochtones vivent dans des conditions comparables à celles des pays qui arrivent au bas de ce classement et où la pauvreté abonde » (Vastel, 2013).

Les Canadiens d’origine autochtone figurent parmi les individus les plus pauvres au pays et vivent plus souvent dans des habitations surpeuplées ou en piètres conditions (Kelly-Scott & Smith, 2015; Wilson & Macdonald, 2010). Au recensement de 2006, ils présentent des taux de non-employabilité supérieurs et un revenu médian inférieur de 8 135$ à la moyenne nationale de 27 097$ (Wilson & Macdonald, 2010). De plus, pour un niveau équivalent de formation et d’emploi, ils gagnent un salaire inférieur aux Canadiens non autochtones. L’Enquête nationale auprès des ménages de 2011 a révélé un taux de non-diplomation plus élevé chez les 25-64 ans de la population autochtone : ce taux est de 29% pour les Autochtones alors qu’il est de 12% pour les non-Autochtones (Kelly-Scott & Smith, 2015). Cette même enquête a également dénombré une proportion deux fois plus élevée de foyers monoparentaux auprès des Canadiens autochtones que non autochtones (34% versus 17%).

Par ailleurs, les collectivités autochtones canadiennes sont confrontées à de sérieuses problématiques psychosociales. Ces dernières affectent généralement une proportion plus grande d’individus dans les populations autochtones que non autochtones (Brave Heart &

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DeBruyn, 1998) : le taux de suicide y est presque le double (Kirmayer et al., 2007; Organisation nationale de la santé autochtone, 2011), la violence conjugale et les agressions sexuelles touchent une proportion trois fois plus importante de personnes (Perreault, 2011) et une consommation abusive d’alcool5 chez les plus de 12 ans est rapportée par 33% des Autochtones contre 23% des non-Autochtones (Kelly-Scott & Smith, 2015).

Un tel contexte d’inégalités et d’adversité socioéconomique et psychosociale engendre assurément des répercussions sur la vie des familles autochtones (Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015c; Tourigny, Domond, Trocmé, & Sioui, 2007). L’Étude canadienne sur l’incidence des signalements a d’ailleurs souligné que la pauvreté et les facteurs de risque de nature sociale nuisent de façon significative au bien-être des parents et des enfants autochtones (Agence de santé publique du Canada, 2005). Après avoir analysé plus de 3000 signalements d’enfants autochtones à travers le Canada, Sinha et ses collaborateurs (2013) ont remarqué que 57% des enquêtes impliquent des facteurs de risque multiples chez le ou les pourvoyeurs de soins et que 45% incluent des facteurs de risque relatifs aux conditions de vie. Le manque de ressources parentales (56%), l’abus de substances (56%), le faible revenu (54%), la violence domestique (44%) sont les facteurs de risque les plus fréquemment rapportés dans le cadre d’investigation sur la compromission de la sécurité et du développement de l’enfant autochtone.

1.1.1.1.2.2 Effets négatifs sur les compétences parentales. Plusieurs études ont

souligné que le système de pensionnats a interféré avec la capacité de nombreux Autochtones à devenir parents (Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015a; Muir & Bohr, 2014; Trocmé, Knoke, & Blackstock, 2004). La Commission de vérité et réconciliation du Canada (2015b) mentionne qu’au sein de ce système, les enfants n’ont pas seulement perdu leurs relations avec leurs propres parents, mais qu’ils y ont aussi laissé une partie de leurs aptitudes à devenir des parents affectueux. Plusieurs témoignages d’anciens pensionnaires vont d’ailleurs en ce sens : « on ne m’a jamais enseigné à aimer, on ne m’a jamais enseigné à fonder une famille » (Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015b, pp. 14). Trocmé et ses collaborateurs (2004) constatent que les familles autochtones sont davantage

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dirigées par de jeunes parents ayant subi plus de maltraitance lorsqu’ils étaient enfants. Selon eux, ces antécédents d’abus sont susceptibles d’avoir miné leurs capacités à être parent et perpétuent le cycle intergénérationnel de négligence et de maltraitance de la période des pensionnats.

Les enfants autochtones ne représentent que 4,8% de la population canadienne de moins de 14 ans, mais ils constituent pourtant 48% des placements en familles d’accueil à l’heure actuelle (Kelly-Scott & Smith, 2015). La chef Norma Kassi a d’ailleurs déclaré : « les portes des pensionnats se sont fermées, mais les foyers d’accueil demeurent et on continue à nous retirer nos enfants » (Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015b, pp. 14). Evans-Campbell (2008) avance que ce haut taux de placement contribue à l’internalisation d’un message social à l’effet que les parents autochtones sont inaptes à élever leurs enfants. Au-delà de la souffrance émotionnelle qu’elle engendre, il faut comprendre que la perte d’un ou de plusieurs enfants revêt une symbolique plus profonde pour les peuples autochtones : les enfants représentent le futur de leurs communautés et quand ils sont enlevés, cela compromet la capacité à envisager l’avenir pour les membres de cette communauté.

1.2 Les traumatismes historiques des Inuits au Canada

La théorie du traumatisme historique constitue un cadre conceptuel approprié pour envisager les changements culturels intenses traversés par les Inuits au cours de leur histoire ainsi que leurs liens avec la souffrance sociale observée au sein des communautés contemporaines (Crawford, 2014). Comme bien d’autres collectivités autochtones canadiennes, les collectivités inuites ont dû modifier leur mode de vie pour adopter celui de la culture dominante au pays. L’expérience inuite est toutefois unique en raison de la rapidité et de la récence du processus d’assimilation auquel cette population a été soumise (Crawford, 2014; Fondation autochtone de l’espoir, 2010; Qikiqtani Inuit Association, 2014). La Commission royale d’enquête sur les peuples autochtones et la Commission de vérité et réconciliation du Canada (CVR) ont d’ailleurs consacré des sections spécifiques au vécu des Inuits afin de tenir compte du caractère distinct de leur histoire (Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015b; Ministère des Affaires autochtones et du Nord Canada, 1996).

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1.2.1 Un aperçu sur des traumatismes historiques intenses et récents

Les peuples inuits échappent aux politiques fédérales d’assimilation et conservent leur culture et leur mode de vie jusqu’en 1939 (Fondation autochtone de l’espoir, 2010). Ils ne répondent pas au statut « d’Indiens » défini par la loi, ce qui leur permet de vivre traditionnellement en petits groupes avec leur parenté et se déplacent au gré des saisons en bateau ou en traîneau à chiens pour assurer leurs besoins à l’aide de la chasse, de la pêche et de la cueillette (Qikiqtani Inuit Association, 2014). Après la Seconde Guerre mondiale, des préoccupations relatives au développement économique et à la souveraineté dans l’Arctique canadien stimulent l’intérêt du gouvernement envers les régions nordiques (Fondation autochtone de l’espoir, 2010; Ministère des Affaires autochtones et du Nord Canada, 1996). À partir de ce moment, il va chercher à développer les communautés du Nord de façon à ce qu’elles ressemblent au modèle de civilisation en place au sud du pays.

Le processus d’assimilation progressivement implanté pendant un peu plus d’un siècle au Sud s’est exercé intensivement en l’espace d’une génération dans les régions nordiques habitées par les Inuits (Fondation autochtone de l’espoir, 2010). Ce dernier a commencé au milieu des années 1950 avec la relocalisation forcée de nombreuses communautés inuites du Nunavik et du Nunavut que les autorités gouvernementales ont réinstallé dans des peuplements fixes (Crawford, 2014). Cette transition rapide du mode de vie semi-nomade à sédentaire génère un stress significatif au sein de la population, d’autant plus que les logements et les emplois promis par le gouvernement dans les peuplements sont insuffisants (Pauktuutit Inuit Women of Canada, 2006; Qikiqtani Inuit Association, 2014). Dans les peuplements, les agents de la Gendarmerie royale du Canada ont aussi procédé à la mise à mort massive des chiens de traîneau, appelés « Qimmiit », entre le milieu des années 1950 et la fin des années 1960 (Chasonneuve, 2007). Les Qimmiit ont été pendant plusieurs siècles au cœur de la vie nordique et leur mort est chargée de signification pour de nombreux Inuits : « ils tuaient l’essence de notre culture de la même façon dont ils tuaient les chiens » (Fondation autochtone de l’espoir, 2010, p. 28). La perte des chiens a aussi grandement miné l’autonomie et la liberté de plusieurs Inuits qui n’ont plus été capables de se déplacer, de chasser et par conséquent, de subvenir à leurs propres besoins (Ministère des Affaires autochtones et du Nord Canada, 1996; Qikiqtani Inuit Association, 2014). Ils sont ainsi

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devenus plus dépendants des allocations gouvernementales pour assurer leur survie et ce serait à ce moment que l’abus d’alcool, la consommation de drogues et les agressions ont davantage gagné les communautés inuites (Fondation autochtone de l’espoir, 2010; Qikiqtani Inuit Association, 2014).

Entre le milieu des années 1950 et 1975, les familles inuites ont été également éprouvées par une épidémie de tuberculose ayant infecté le tiers de la population de même que par le système de pensionnats implanté au Nunavik sans le consentement des parents (Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015a). En plus des pertes humaines liées à la maladie, le traitement des tuberculeux est à l’origine de brutales séparations au sein des familles : tout de suite après avoir reçu leur diagnostic, les malades sont envoyés dans des sanatoriums situés au sud du pays où ils sont isolés et soignés pendant des mois, parfois même plus d’une année. Les enfants inuits atteints de cette maladie deviennent orphelins pendant toute la durée de leur traitement dans les sanatoriums (Qikiqtani Inuit Association, 2014). Ils sont souvent pris en charge par des individus qui ne parlent pas leur langue et avec qui ils peuvent difficilement communiquer. L’implantation accélérée et rigoureuse du système de pensionnats dans le Nord comparativement au Sud génère aussi une onde de choc auprès des familles inuites (Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015a) : en 1949, seulement 111 enfants inuits fréquentent les pensionnats à temps complet au Canada tandis qu’en 1964, on estime que 75% des Inuits d’âge scolaire vont dans ces établissements (David, 2006). Les visées de ce système dans les régions nordiques demeurent assimilatoires comme en témoigne cet extrait d’un rapport ministériel de 1954 : « le régime des pensionnats est probablement le moyen le plus efficace pour donner aux enfants issus de milieux jugés primitifs une éducation civilisée, une formation axée sur les métiers qui les préparerait à fonctionner dans l’économie des Blancs » (Fondation autochtone de l’espoir, 2010, p. 24). Toute allusion à la culture inuite est interdite dans les pensionnats, qui sont souvent situés à des milliers de kilomètres de la résidence des familles (Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015b). Même si la qualité de l’éducation offerte est quelque peu supérieure, le système de pensionnats du Nord souffre des mêmes problématiques de sous-financement, de discipline abusive, d’humiliation et d’abus sexuels que celui du Sud. Il est tout aussi porteur du sentiment de perte et de souffrance qui a marqué la vie des enfants, des familles et des communautés inuites qui ont vécu cette épreuve (Fondation autochtone de l’espoir, 2010).

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Au Nunavik, la CVR documente la présence de quatre pensionnats qui sont demeurés actifs du milieu des années 1950 à la fin de 1971 : George River à Kangiqsualujjuaq, Grande Rivière de la Baleine à Kuujjuarapik, Payne Bay à Kangirsuk et Port Harrison à Inukjuak (Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015b). Elle précise aussi qu’un grand nombre d’enfants inuits de cette région ont été envoyés au Churchill Vocational Centre au Manitoba, car elle estime que le tiers des élèves fréquentant cet établissement en 1970 sont originaires du Nunavik.

1.2.2 Le contexte actuel en réponse aux traumatismes historiques

En interférant avec la transmission de la culture, des valeurs et des rôles traditionnels, en affaiblissant les relations entre les générations de même qu’en brisant de nombreuses familles, les changements rapides de la seconde moitié du 21e siècle dans le Nord ont généré

un stress intense au sein des sociétés inuites (Fondation autochtone de l’espoir, 2010; Pauktuutit Inuit Women of Canada, 2006). À travers ces évènements répondant au concept de traumatisme historique, de nombreux Inuits ont eu l’impression de perdre leur pouvoir d’agir sur leur propre destinée. Comme les traumatismes historiques sont relativement récents dans le Nord et qu’ils ont touché une forte proportion d’individus, leurs répercussions actuelles sont estimées comme étant plus lourdes et saillantes (Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015a). Elles se reflètent entre autres dans les piètres conditions de vie et dans la plus présence accrue de pathologies sociales qui minent le bien-être des familles et des enfants inuits aujourd’hui (Chasonneuve, 2007; Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015c; Fondation autochtone de l’espoir, 2010; Ministère des Affaires autochtones et du Nord Canada, 1996; Pauktuutit Inuit Women of Canada, 2006; Qikiqtani Inuit Association, 2014).

Dans le cadre de la présente thèse, nous nous intéresserons au contexte actuel des Inuits vivant au Nunavik. Le Nunavik est une région se situant au nord du 55e parallèle de la

province de Québec, où vivent un peu moins de 20% de la population inuite canadienne (Kelly-Scott & Smith, 2015). Il compte près de 12 000 Inuits répartis dans 14 villages longeant les côtes de la Baie d'Hudson, du Détroit d’Hudson et de la Baie d'Ungava (Régie régionale de la santé et des services sociaux Nunavik, 2012).

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1.2.2.1 Les pathologies sociales chez les Inuits du Nunavik. De tous les problèmes

de santé publique recensés au sein des communautés inuites du Nunavik, les pathologies sociales seraient les plus prévalentes et dévastatrices (Bjerregaard, Young, Dewailly, & Ebbesson, 2004). Même si des progrès socioéconomiques ont eu lieu durant les dernières décennies, les problématiques relatives à la pauvreté, aux conditions de logement, à la santé mentale, au suicide, à la violence et à l’abus de substances demeurent préoccupantes.

1.2.2.1.1 Adversité socioéconomique. Au Nunavik, la pauvreté6 touche 37,5% des

ménages inuits et non inuits, ce qui est trois fois supérieur à ce qui est observé pour l’ensemble du Québec et du Canada (Duhaime & Roberson, 2012). Cette dernière affecte plus massivement les familles monoparentales de cette région qui représentent la moitié des foyers à faible revenu (Duhaime, 2009). L’Enquête de santé auprès des Inuits du Nunavik (ESIN) de 2004, réalisée auprès de 521 ménages des 14 communautés de cette région (27% de la population), soutient aussi qu’une proportion significative de cette population expérimente des stresseurs socioéconomiques (Rochette, St-Laurent, & Plaziac, 2007). Elle démontre notamment que les opportunités d’emplois stables et bien rémunérés demeurent limitées pour les Inuits de 15 ans et plus de cette région puisque près de 60% d’entre eux gagnent un revenu annuel inférieur à 20 000$ avant impôt et que 47% occupent un emploi à plein temps (Anctil, 2008). Bien qu’elle ne présente pas de données quant au taux de faible revenu, cette enquête indique que le quart des répondants ont manqué de fonds pour subvenir à leurs besoins alimentaires et que les familles monoparentales, qui tendent davantage à souffrir de pauvreté, constituent 30% des ménages inuits (Rochette et al., 2007). Un autre facteur qui limite l’emploi et le revenu des Inuits du Nunavik est l’absence de certificat, de diplôme d’études ou de formation professionnelle pour une importante proportion d’entre eux. En effet, Duhaime et ses collaborateurs (2015) mentionnent que 69% des Inuits de 15 ans et plus se retrouvent dans cette situation alors que ce taux est de 22% pour l’ensemble du Québec.

6 Dans Duhaime et Roberson (2012), une mesure de faible revenu qui tient compte de la

composition des ménages et des prix à la consommation pour chaque région a été établie. Au Nunavik, cette mesure a été estimée à 22 943$ par ménage. Le taux de pauvreté dans cette région représente la proportion des ménages avec un revenu annuel inférieur à 22 943$.

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Par ailleurs, les collectivités inuites du Nunavik sont aux prises avec une importante problématique de logement qui nuit à leur qualité de vie. Un peu moins de la moitié des Inuits vivent dans une habitation nécessitant des réparations majeures alors que seulement 8% des Québécois se retrouvent dans cette situation en 2006 (Duhaime, Lévesque, & Caron, 2015). Le taux de surpeuplement résidentiel relevé dans les communautés inuites du Nunavik est aussi 24 fois plus élevé que pour l’ensemble du Québec.

1.2.2.1.2 Adversité psychosociale. Comme le souligne l’Inuit Tapiriit Kanatami

(l’organisation nationale des Inuits au Canada), les difficultés psychosociales telles que les problèmes de santé mentale, le suicide, la violence, la dépendance et l’abus de substances touchent une vaste proportion d’Inuits (Alianait Inuit-specific Mental Wellness Task Group, 2007). En raison des difficultés qui sévissent au sein des collectivités inuites, le bien-être psychologique a été ciblé comme une priorité centrale par la population et par la santé publique du Nunavik (Alianait Inuit-specific Mental Wellness Task Group, 2007; Lessard, Bergeron, Fournier, & Bruneau, 2008). Même s’il n’existe pas de relevé officiel attestant de la prévalence des troubles mentaux au Nunavik, l’ESIN de 2004 fournit différents indicateurs témoignant de la détresse individuelle et sociale vécue par les Inuits de cette région.

À l’aide d’un questionnaire de dépistage de la dépression et d’autres problèmes de santé mentale, l’ESIN a évalué que 13% des Inuits ont présenté un niveau élevé de détresse psychologique7 dans les 30 derniers jours (Kirmayer & Kenneth, 2007). Kirmayer et Kenneth (2007) suggèrent que ce taux est de deux fois supérieur à celui pour la dépression au Canada (6%). L’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes estime toutefois qu’un niveau élevé de détresse psychologique mesuré avec le Kessler Psychological Distress Scale (Kessler et al., 2002) est rapporté par 23% des Québécois (Institut de la statistique du Québec, 2010). Par contre, les taux d’idéations suicidaires et de tentatives de suicide, qui constituent aussi des indicateurs d’une détresse significative, sont nettement plus élevés chez les Inuits du Nunavik comparativement à l’ensemble de la province : au cours de leur vie, 35% des Inuits ont eu des idéations suicidaires et 21% ont tenté de se suicider alors que ces chiffres

7 Un niveau élevé de détresse psychologique correspondrait à celui rapporté par des

échantillons cliniques souffrant de dépression ou autres problématiques de santé mentale (Kirmayer & Kenneth, 2007).

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sont respectivement de 14% et de 3,5% pour le Québec; dans l’année précédant l’enquête, 14% des Inuits ont eu des idéations suicidaires et 7% ont tenté de se suicider alors que ces chiffres sont respectivement de 3,8% et de 0,3% pour le Québec (Institut de la statistique du Québec, 2010; Kirmayer & Kenneth, 2007).

La violence s’inscrit aussi au nombre des pathologies sociales affligeant les Inuits du Nunavik. En effet, plus de la moitié des participants à l’ESIN ont affirmé avoir été victimes de violence physique à au moins une reprise depuis l’âge adulte (Lavoie, Muckle, Fraser, & Boucher, 2007). Chez les femmes inuites, ce chiffre était de 60% et deux tiers parmi celles-ci ont mentionné que la violence subie était de nature conjugale.

Les études portant sur la consommation d’alcool des Inuits témoignent d’un mode de consommation spécifique à cette population : ils consomment moins fréquemment, mais ils absorbent de plus grandes quantités d’alcool par épisode de consommation (Muckle et al., 2011; Muckle, Chevalier, Boucher, Laflamme, & Rochette, 2007). En ce sens, l’ESIN de 2004 rapporte que 76,9% des Inuits du Nunavik de 15 ans et plus ont consommé de l’alcool au moins une fois au cours de l’année précédant l’enquête comparativement à 80,5% des Canadiens dans l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes (ESCC) de 2003 (Statistique Canada, 2003). Près de 90% des consommateurs d’alcool inuits contre 46,1% et 46,7% des consommateurs d’alcool québécois et canadiens rapportent au moins un épisode de consommation excessive durant l’année précédant le sondage.

La consommation de drogues illicites des Inuits du Nunavik dépasse aussi largement celle du Québec et du Canada. Dans l’ESIN de 2004, 60,3% des Inuits ont mentionné avoir fait usage de drogue au cours des 12 mois précédents tandis que pour l’ensemble des Canadiens et des Québécois, ces taux sont respectivement de 14,5% et de 16,4% selon le Canadian Addiction Survey (CAS) (Santé Canada, 2004). La drogue la plus souvent utilisée est le cannabis avec 60,2% de consommateurs au Nunavik, 14,1% au Canada et 15,8% au Québec. La consommation d’autres drogues est significativement moins prévalente au Nunavik : par exemple, 7,5% consomment de la cocaïne, 5,9% des solvants, 2,7% des hallucinogènes et 2,0% des drogues injectables (Muckle et al., 2007; Tjepkema, 2004).

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1.2.2.2 La perturbation des processus familiaux et parentaux traditionnels. La

tradition inuite véhicule des valeurs familiales s’appuyant principalement sur un amour profond des enfants, un grand degré d’autonomie et de liberté, des stratégies indirectes de guidance et de recadrage, l’apprentissage par l’observation et l’imitation de modèles, la patience, la constance et l’utilisation de l’humour pour dissuader les comportements indésirables (McShane, Hastings, Smylie, & Prince, 2009; Pauktuutit Inuit Women of Canada, 2006). Bien que certains de ces principes demeurent importants aux yeux des familles inuites contemporaines, d’autres ont perdu de leur importance et de leur efficacité en raison des changements abrupts du mode de vie chez cette population (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec, 2007; Muir & Bohr, 2014). La transmission du savoir-être parental a aussi été profondément perturbée par les ruptures familiales prolongées que le système de pensionnats implantés dans le Nord a provoquées (Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015b) : plusieurs se sentent inadéquats ou confus à l’égard de leur rôle parental alors que d’autres font état de difficultés à être affectueux, impliqués ou à communiquer sainement avec leurs enfants (Chasonneuve, 2007). Le Pauktuutit Inuit Women of Canada (2006) ajoute que l’organisation de la vie moderne faisant en sorte que les enfants se développent davantage dans des milieux extra-familiaux comme l’école limite aussi l’efficacité des méthodes d’éducation traditionnelles qui nécessitent le maintien d’une proximité parent-enfant plus accrue.

1.2.3 La situation actuelle des enfants inuits du Nunavik

Les enfants occupent une place symbolique et démographique de choix au sein des communautés inuites du Nunavik. D’une part, ils ont une valeur sacrée et représentent l’avenir de leurs communautés (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec, 2007; Evans-Campbell, 2008) ; d’autre part, ils forment plus de 45% de la population inuite de cette région (Duhaime et al., 2015). Leur santé et leur développement sont aussi au cœur du bien-être des communautés dans lesquelles ils vivent (Sarche & Whitesell, 2012).

Malgré un héritage culturel riche, les enfants inuits du Nunavik doivent faire face à des défis développementaux souvent plus importants que ceux d’autres populations (Sarche & Whitesell, 2012). Comme le décrivent les études précédentes, ils évoluent dans des milieux

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expérimentant encore les séquelles profondes de traumatismes historiques, c’est-à-dire des taux accrus de problématiques socioéconomiques et psychosociales telles que la pauvreté, le suicide, la détresse psychologique, la violence, l’abus de substances et la toxicomanie (Bjerregaard et al., 2004; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec, 2007). Ce contexte adverse expose les enfants inuits à un risque accru sur le plan développemental d’autant plus que les services d’aide de première et de deuxième ligne se font plus rares dans des régions éloignées comme celle du Nunavik (Houlding, Schmidt, Stern, Jamieson, & Borg, 2012; Tourigny, Domond, Trocmé, & Sioui, 2007).

1.2.3.1 Compromission de la sécurité et du développement. Au cours de l’année

2010, les deux Directions de la protection de la jeunesse (DPJ) du Nunavik ont jugé qu’il y avait compromission de la sécurité et du développement de près du quart des enfants de cette région : 40% pour des motifs de négligence et 34% pour des motifs d’abus physiques ou sexuels (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec, 2010). En examinant 139 dossiers pris en charge par la DPJ des Baies d’Hudson et d’Ungava sélectionnés aléatoirement, une enquête a révélé que 45% d’entre eux impliquent une situation de trouble sérieux du comportement chez l’enfant (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec, 2007). Cette même enquête a aussi indiqué que ce sont les comportements et le mode de vie des parents qui compromettent le plus souvent la sécurité et le développement des enfants au Nunavik (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec, 2007). En effet, 76% des dossiers examinés incluent une situation de dépendance ou d’abus de substances (alcool ou drogues) chez un parent, 62% de la violence conjugale ou familiale, 27% le suicide d’un proche et 13% des troubles de santé mentale diagnostiqués chez le parent.

La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (2010) estime que la que la situation des enfants inuits du Nunavik demeure très alarmante, en particulier celle des enfants de moins de 5 ans qui représente environ la moitié des cas de compromission développementale fondés. Malgré la gravité connue de cette situation, les études traitant des facteurs susceptibles de miner ou de promouvoir le développement des enfants inuits de cette région demeurent rares (Dionne, McKinnon, & Squires, 2010; Pageau, Ferland, & Déry, 2003; Tourigny, Domond, Trocmé, Sioui, & Baril, 2007).

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1.3 Le risque et le développement de l’enfant

L'année postnatale constitue une période charnière dans le développement de l'enfant et l'établissement de sa relation à la mère (Maggi, Irwin, Siddiqi, & Hertzman, 2010; A. Stein et al., 2010). Durant cette période, les mères agissent généralement comme principal pourvoyeur de soins à l'enfant et jouent ainsi un rôle clé dans son développement (Barkin et al., 2010). Parallèlement, elles doivent aussi faire face à de nombreux changements biologiques, psychologiques et sociaux qui génèrent du stress et les vulnérabilisent aux difficultés personnelles et conjugales (Bener, Sheikh, & Gerber, 2012; Negron, Martin, Almog, Balbierz, & Howell, 2013). Bien que normative, cette transition en présence d’une ou de plusieurs difficultés significatives vécues simultanément peut compromettre le plein potentiel des mères sur le plan parental tout comme le développement de leurs enfants (Beck, 2001; Leigh & Milgrom, 2008; Woolhouse, Gartland, Hegarty, Donath, & Brown, 2012). Confrontées à de nombreuses inégalités socioéconomiques et psychosociales découlant d’anciennes politiques d’oppression culturelle, les mères inuites du Nunavik risquent de vivre davantage de difficultés durant l'année postnatale, lesquelles sont susceptibles de nuire à leurs habiletés à pourvoir au développement optimal de leur enfant (Bowen, Stewart, Baetz, & Muhajarine, 2009; Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015a; Yelland, Sutherland, & Brown, 2010).

1.3.1 Facteurs de risque et vulnérabilité de l’enfant à travers son développement

Les différents phénomènes qui accroissent la probabilité de l'enfant de se développer en deçà des attentes en regard de son âge chronologique et selon son contexte culturel sont considérés comme des facteurs de risque (Wright, Masten, & Narayan, 2013). Dans une population donnée, les facteurs de risque ne sont pas des marqueurs d'inadaptation, mais plutôt des indices permettant d'identifier les individus susceptibles de présenter un développement sous-optimal. La vulnérabilité et la résilience face aux risques peuvent toutefois varier selon la période développementale traversée par l'enfant. Par exemple, O'Dougherty Wright et ses collaborateurs (2013) précisent que les nouveau-nés et nourrissons sont hautement vulnérables aux facteurs de risque affectant leurs pourvoyeurs de soins en raison de leur grande dépendance à leur égard. Par contre, le développement de ces nourrissons est susceptible d'être moins influencé de façon directe par des facteurs distaux et

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complexes, comme une guerre ou un désastre naturel, car leur compréhension de ces incidents est nulle. Ainsi, la vulnérabilité de l'enfant dépend à la fois de son niveau de maturité développementale et de la nature des risques en présence.

1.3.2 La nature du risque et le développement de l’enfant

De nombreuses associations entre les risques expérimentés par les mères durant les premières années postnatales et les trajectoires développementales plus défavorables chez l'enfant sont bien documentées auprès de populations occidentales8 (Benzies, Mychasiuk, & Tough, 2015; Candelaria, O’Connell, & Teti, 2006; de Campos, Savelsbergh, & Rocha, 2012; Derauf et al., 2011; Maggi et al., 2010; Shaw, Owens, Giovannelli, & Winslow, 2001). Autant la présence de risques de nature socioéconomique que celle de risques de nature psychosociale semblent être associée à des répercussions négatives sur différentes sphères du fonctionnement de l’enfant9.

1.3.2.1 Le risque de nature socioéconomique. Le risque de nature socioéconomique

chez les mères, caractérisé par des facteurs tels un faible revenu, un niveau d'éducation moindre ou la monoparentalité, est associé à des performances inférieures sur le plan de la motricité fine et grossière (de Campos et al., 2012; McPhillips & Jordan-Black, 2007), du développement cognitif global, du développement langagier et des apprentissages scolaires (Christensen, Zubrick, Lawrence, Mitrou, & Taylor, 2014; Letourneau, Duffett-Leger, Levac, Watson, & Young-Morris, 2013; Maggi et al., 2010; McPhillips & Jordan-Black, 2007; Sektnan, McClelland, Acock, & Morrison, 2010; Tong, Baghurst, Vimpani, & McMichael, 2007). Dans une étude auprès d’enfants de 4,5 ans, McPhillips et Jordan-Black (2007) ont observé des effets modérés10 (Cohen, 1992; Durlak, 2009) en comparant les

performances moyennes de ceux de milieux favorisés et de milieux défavorisés sur le plan

8 Dans le cadre de la thèse, le terme occidental renvoie à la culture nord-américaine et

européenne.

9 Différentes mesures et méthodologies sont utilisées dans le cadre des études présentées dans

cette section et vont influencer leurs résultats de sorte qu’il n’est pas possible de les comparer directement. En ce sens, notre intérêt se centre sur les associations relevées par ces études.

10 Les tailles d’effet sont qualifiées selon les critères statistiques déterminés par Cohen

(1992). Ces derniers ne reflètent pas nécessairement la valeur pratique ou clinique des effets observés (Durlak, 2009).

Figure

Figure 1. Risk profiles in Inuit mothers (N = 176). The proportions reported are for the latent classes based on the estimated model
Figure 1. Phénomène d'attrition de la phase de recrutement à la fin de la collecte de données à 12 mois
Figure 2. Modèle d’analyse représentant le lien direct et indirect.
Figure  3.  Distribution  de  la  proportion  de  participantes  (N =  176) selon  le  nombre  de  risques  cumulés  à  l’Indice  de  cumul  de  risques

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