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Chapitre 4. Discussion générale

4.2 Résumé des études empiriques de la thèse

4.2.1 Adversité socioéconomique et psychosociale chez les mères inuites.

L’objectif du premier article était de décrire avec une approche épidémiologique l’adversité socioéconomique et psychosociale vécue par les mères inuites du Nunavik lors de la première année postnatale, une période cruciale pour le développement de l’enfant et la relation mère- enfant. Cet objectif a été atteint deux façons, soit en documentant la prévalence et la cooccurrence de facteurs de risque socioéconomiques (âge, éducation, monoparentalité, statut d’emploi, statut d’aide sociale) et psychosociaux (détresse psychologique, idéations et tentatives de suicide, violence conjugale, consommation de drogues illicites, abus d’alcool) de même qu’en identifiant des patrons d’associations et des profils spécifiques de risque qui qualifient la situation des mères.

Les taux de prévalence révélés par la présente étude indiquent que la majorité des mères inuites vivent des difficultés socioéconomiques et psychosociales durant l’année postnatale. Ces taux dépassent ceux des femmes canadiennes non autochtones rapportés dans diverses études d’envergure et enquêtes de santé (Canadian Centre for Justice Statistics (Statistics Canada), 2006; Government of Canada, 2006; Gravel & Béland, 2005; Statistics Canada, 2009, 2011). Toutefois ces taux sont généralement similaires à ceux rapportés par les femmes inuites en âge de procréer dans la dernière Enquête de santé auprès des Inuits du Nunavik (Anctil, 2008; Lavoie et al., 2007; Muckle et al., 2007), sauf pour la détresse psychologique et les tentatives de suicide à vie qui sont plus élevées dans notre échantillon (Kirmayer & Kenneth, 2007). Les analyses de fréquence menées avec quatre conditions dichotomiques créées à partir des facteurs de risque (précarité socioéconomique, détresse, violence conjugale et usage de substances) montrent que 58% des mères cumulent simultanément plus d’une condition. Une analyse de classes latentes réalisée à partir de ces mêmes conditions révèle trois profils distincts de risques caractérisant la situation des mères. Le premier, qualifié de profil à faible risque, compte 30,8% des mères de l’échantillon ne présentant peu ou pas de risques socioéconomiques et psychosociaux. Les deuxième et troisième profils regroupent 69,2% des mères qui sont susceptibles de vivre de la détresse, mais pour des raisons différentes : le deuxième profil inclut surtout des mères monoparentales sujettes à un stress socioéconomique (40,1%), alors que le troisième profil se compose de mères avec moins de difficultés financières, mais évoluant au sein d’une relation de couple violente et étant plus enclines à consommer des drogues ou boire de l’alcool de façon excessive durant l’année postnatale.

L’ensemble des résultats obtenus dans le cadre de ce premier article suggère que les mères inuites sont d’autant plus vulnérables durant l’année postnatale. En plus de s’adapter aux changements générés par la naissance d’un enfant, une majorité d’entre elles doit transiger avec une multitude de facteurs de risque ou d’évènements négatifs sur les plans socioéconomique et psychosocial. Trois profils distincts de risques caractérisant les mères inuites ont été mis en évidence et peuvent contribuer à orienter les cibles d’intervention des programmes périnataux de prévention et d’intervention en santé publique.

4.2.2 Risques socioéconomiques et psychosociaux chez les mères inuites durant l’année postnatale et le développement du nourrisson à 12 mois. Le second article de la

thèse poursuivait deux objectifs principaux : examiner les associations entre le risque socioéconomique et psychosocial vécu par les mères inuites du Nunavik durant l’année postnatale et le développement du nourrisson à 12 mois ; tester une hypothèse de médiation de cette association par l’altération de la qualité de l’environnement familial prodiguée par les mères. Comme la majorité des mères expérimentent plus d’un risque, nous avons créé un indice de cumul de risques que nous avons intégré aux analyses dans le but de déterminer lequel de la nature ou du nombre de risques prédit le mieux le développement du nourrisson. Nos analyses n’indiquent pas de lien entre le cumul de risques et le développement du nourrisson, ce qui diffère des résultats obtenus dans plusieurs études réalisées auprès d’échantillons occidentaux (Flouri & Kallis, 2007; Whitaker et al., 2006). Toutefois, elles révèlent quelques associations significatives de petite taille ( 0,27)18 entre des risques

spécifiques et des indicateurs psychomoteurs et cognitifs de développement après considération des variables confondantes. En d’autres termes, ces résultats suggèrent que la nature des facteurs de risque en présence joue un rôle plus important que le nombre de facteurs de risque dans une optique de prédiction du développement du nourrisson inuit ou que d’autres facteurs non mesurés dans notre étude importent davantage. Dans notre échantillon, ne pas avoir d’emploi, être peu scolarisé, avoir déjà tenté de se suicider et avoir consommé de la drogue durant l’année postnatale sont les facteurs de risque associés au développement psychomoteur et cognitif du nourrisson inuit. Nous estimons que la présence de tels risques durant l’année postnatale ne découle pas spécifiquement de cette période de transition, mais plutôt d’une prolongation d’une situation antérieure comportant de nombreux risques et continuant de s’actualiser dans la vie des mères. Contrairement aux travaux réalisés auprès d’échantillons occidentaux (Bernstein, 2006; Flykt et al., 2012; Kitzmann et al., 2003) et autochtones (Frankel et al., 2014; Sarche et al., 2009), notre étude n’indique pas de relation significative entre les facteurs de risque et le comportement du nourrisson. Elle ne corrobore pas non plus le rôle médiateur de la qualité de l’environnement familial prodiguée par les mères à l’enfant dans le lien entre le risque maternel et le développement du nourrisson inuit.

En fait, la qualité de l’environnement familial prodiguée par les mères ressort plutôt comme un prédicteur positif du développement psychomoteur et cognitif.

Cette étude montre que certaines difficultés spécifiques durant l’année postnatale peuvent contribuer à l’identification des enfants les plus vulnérables, soit ceux dont le sain développement précoce est le plus menacé. Ces difficultés traduisent possiblement un stress chronique qui nuit à la résilience et augmente le risque de reproduire des comportements inadéquats du passé. De plus, elle témoigne de l’influence positive de la qualité de l’environnement familial inuit sur le développement précoce de l’enfant supportant ainsi l’implantation de programmes d’habiletés et de soutien parental adaptés à la culture. De tels programmes permettraient d’aider les parents et les familles en leur fournissant un modèle parental sain dont les politiques colonialistes les ont privés.